Contenu de la décision
Tribunal canadien |
|
Canadian Human |
Référence : 2023 TCDP 75
Date : Le
Numéro du dossier :
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Entre :
la plaignante
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
l’intimé
Décision sur requête
Membre :
Table des matières
V. RÉSUMÉ DE LA POSITION DE L’INTIMÉ (LA PARTIE REQUÉRANTE)
VI. RÉSUMÉ DE LA POSITION DE LA PNMC
VII. RÉSUMÉ DE LA POSITION DE LA COMMISSION
VIII. RÉSUMÉ DE LA POSITION DE L’INTIMÉ EN RÉPLIQUE
I. APERÇU
[1] La présente décision porte sur une requête déposée par l’intimé, à savoir le procureur général du Canada, au nom de Services aux Autochtones Canada (« SAC »). Elle découle d’une plainte déposée par la plaignante, la Première Nation des Mississaugas de Credit (la « PNMC »), qui allègue que SAC sous-finance les services d’éducation destinés aux enfants des Premières Nations de l’Ontario vivant dans les réserves en raison de sa formule de financement fondée sur des hypothèses et/ou des prémisses discriminatoires.
[2] L’intimé fait valoir que la PNMC, dans sa plainte et son exposé des précisions, allègue non pas qu’elle-même ou une autre Première Nation de l’Ontario a subi des effets préjudiciables en raison de la formule, mais plutôt que la façon dont la formule a été élaborée est discriminatoire. Il conteste l’admissibilité de certains éléments de preuve déposés par la PNMC et la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission »). Il soutient que ces éléments de preuve sortent du cadre de la plainte parce qu’ils sont spécifiques à la PNMC. Il ajoute que la PNMC l’avait assuré que sa cause n’était pas spécifique à elle et qu’elle avait refusé de lui fournir des documents spécifiques à elle au motif qu’ils étaient sans rapport avec sa cause telle qu’elle avait été présentée dans sa plainte. De ce fait, selon l’intimé, ces éléments de preuve devraient être retirés du dossier.
[3] L’intimé conteste également une grande partie des éléments de preuve déposés en réplique par la PNMC et la Commission au motif qu’ils constituent un fractionnement inéquitable et inadmissible de la cause. Il soutient que ces éléments de preuve spécifiques à la PNMC ne répondent pas à une nouvelle question qu’il a soulevée pour la première fois dans sa preuve en réponse et qu’ils auraient dû faire partie de la preuve principale de la PNMC et de la Commission plutôt que d’être déposés en réplique. Selon lui, il en résulte un préjudice à son égard parce qu’il est privé de la possibilité de répondre à l’ensemble de la cause présentée contre lui, et ces éléments devraient être retirés du dossier.
[4] L’intimé demande l’autorisation de déposer d’autres éléments de preuve en réponse 1) à la preuve produite par la PNMC après le dépôt de sa preuve en réponse et 2) aux éléments de preuve en réplique qui auraient dû faire partie de la preuve principale, si le Tribunal décide de ne pas retirer les éléments de preuve qu’il conteste.
[5] L’intimé demande à ne pas être davantage lésé dans sa capacité à répondre à la cause présentée contre lui, notamment par l’imposition d’un calendrier accéléré inéquitable et déraisonnable pour la présentation de sa preuve supplémentaire et de sa contre-preuve si l’autorisation demandée lui est accordée.
[6] La PNMC et la Commission s’opposent au retrait des éléments de preuve concernés. Elles soutiennent que tous ces éléments sont pertinents et qu’aucun ne constitue une réponse inappropriée parce qu’ils ont été déposés en réponse à des éléments de preuve présentés par l’intimé. Elles ajoutent que l’intimé donne à tort préséance à la forme au détriment du fond et à des règles de présentation de la preuve excessivement strictes des tribunaux judiciaires au détriment des règles de présentation de la preuve plus informelles et plus équitables prévues dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (LCDP).
[7] La PNMC et la Commission estiment que, si les éléments de preuve que conteste l’intimé ne sont pas retirés, il n’en résulte aucun préjudice pour celui-ci parce que, lors de l’audience, il pourra présenter au Tribunal des observations sur la valeur probante de ces éléments.
[8] La PNMC et la Commission consentent toutes deux à ce que l’intimé soit autorisé à déposer, dans de brefs délais, une preuve supplémentaire et une contre-preuve. Le cas échéant, le Tribunal pourra faire la lumière sur la véritable question en litige entre les parties à la plainte et disposera d’un dossier de preuve complet au moment de rendre sa décision sur le fond de la plainte.
II. DÉCISION
[9] La requête est accueillie en partie.
[10] Étant donné la nécessité, reconnue dans la LCDP, d’être moins formel dans ses procédures et moins strict en matière de présentation de la preuve que les tribunaux judiciaires, le Tribunal, pour faire la lumière sur le véritable fond de la plainte, ne retirera aucun des éléments de preuve que conteste l’intimé, car ils ne sortent pas du cadre de la plainte de discrimination systémique. L’intimé pourra présenter des observations sur le poids à accorder à ces éléments à l’audience.
[11] Pour éviter qu’il soit lésé dans sa capacité à répondre adéquatement à la plainte et parce qu’il avait compris que la plainte avait une portée plus restreinte, le Tribunal autorise l’intimé à déposer d’autres éléments de preuve en réponse, tel qu’il est indiqué plus haut au paragraphe 4.
[12] Malgré la volumineuse documentation déposée par les parties dans le cadre de la présente requête, dont la réplique de l’intimé déposée le 30 juin 2025, le Tribunal s’est efforcé de rendre la présente décision dans les plus brefs délais. Le Tribunal espère et prévoit que les parties pourront commencer l’audience à la date fixée provisoirement au 15 septembre 2025 afin d’atteindre leur objectif déclaré, à savoir régler de façon juste, équitable et expéditive la plainte, qui a été déposée il y a longtemps.
III. QUESTIONS EN LITIGE
[13] Les questions soulevées dans la présente requête sont celles de savoir 1) si les éléments de preuve de la PNMC et de la Commission que conteste l’intimé et qui sont mentionnés plus haut aux paragraphes 2 et 3 doivent être retirés du dossier du Tribunal et 2) si l’autorisation de déposer une preuve supplémentaire et une contre-preuve, comme il est mentionné plus haut au paragraphe 4, doit être accordée.
IV. CONTEXTE
[14] La plainte dans la présente affaire a été déposée le 25 septembre 2009 et renvoyée par la Commission au Tribunal pour instruction le 30 mars 2012. Il s’agit à la fois d’une plainte personnelle à propos des coûts de services d’éducation spécialisée pour deux enfants de la PNMC et d’une plainte pour discrimination à l’échelle de la province à l’encontre des enfants des Premières Nations en ce qui a trait aux services d’éducation spécialisée. La plainte personnelle a été réglée au moyen d’une entente de règlement partiel conclue entre les parties et approuvée par la Commission le 26 octobre 2016. Quant à la plainte provinciale, l’entente prévoyait un ajournement d’une durée indéterminée visant à permettre aux parties de tenter de la régler également.
[15] La plainte a été déposée au titre de l’article 5 de la LCDP, qui exige qu’un effet de l’acte discriminatoire allégué concernant la prestation de services soit le fait de priver un individu des services ou de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture.
[16] Le 15 mai 2020, la PNMC a informé le Tribunal qu’elle souhaitait reprendre l’instance en ce qui concerne la discrimination à l’échelle de la province et étendre les allégations de discrimination à l’encontre des enfants des Premières Nations de l’Ontario relativement aux services d’éducation en général assujettis à la nouvelle formule de financement de l’intimé, et non pas seulement aux services d’éducation spécialisée. Par la suite, la PNMC a signifié un nouvel exposé des précisions modifié daté du 25 juin 2020, après quoi les autres parties ont déposé de nouveaux exposés des précisions, et la PNMC une réplique.
[17] Dans son exposé des précisions modifié et sa réplique, la PNMC allègue que la formule de financement fédéral, appelée la formule de financement régional provisoire (la « FFRP ») pour la région de l’Ontario, qui est le mécanisme utilisé par SAC pour le financement de base de l’éducation primaire et secondaire des Premières Nations de l’Ontario dans les réserves, a été élaborée d’après des hypothèses et/ou des prémisses discriminatoires.
[18] Dans son exposé des précisions, la PNMC allègue que la formule de financement fédéral de l’éducation des Premières Nations ne tient pas adéquatement compte des besoins de services beaucoup plus grands ni des coûts beaucoup plus élevés de fourniture des services d’éducation dans les réserves, et qu’elle ne permet même pas d’atteindre des niveaux de financement comparables en raison de problèmes méthodologiques entraînant une diminution considérable des fonds qui seraient autrement affectés aux Premières Nations. Dans ses actes de procédure, elle affirme que les enfants des Premières Nations ne bénéficient pas de services d’éducation équitables en raison d’un financement inadéquat, ce qui leur cause un préjudice. La plainte est déposée en son nom et au nom des enfants des Premières Nations qui vivent dans les réserves en Ontario, et elle est soutenue par l’Assemblée générale des chefs de l’Ontario.
[19] Cependant, dans ses actes de procédure, la PNMC s’est exprimée en termes généraux plutôt qu’en fournissant des éléments de preuve précis et détaillés sur les effets préjudiciables des vices dans l’élaboration du modèle de financement sur sa propre communauté, son école ou ses élèves, ou encore d’autres Premières Nations.
[20] Dans les précisions qu’il a fournies en réponse, l’intimé affirme qu’en raison de l’absence d’éléments de preuve précis, la PNMC n’a pas établi le fondement factuel de son allégation selon laquelle la façon dont a été élaboré le modèle de financement a des effets discriminatoires sur les Premières Nations, dont la PNMC.
[21] Dans ses précisions fournies en réponse, l’intimé affirme également que la FFRP ne peut être considérée isolément, car elle fait partie d’un système plus vaste de mesures d’aide financière, et que le fait de se concentrer sur la façon prétendument discriminatoire dont elle a été élaborée donne une image trompeuse de l’ensemble du système de mesures d'aide financière lié à l’éducation qu’offre SAC.
[22] L’intimé fait valoir que l’exposé des précisions de la PNMC ne contient aucun élément de preuve permettant d’établir que la FFRP a un effet préjudiciable sur les enfants des Premières Nations. Dans sa réplique, la PNMC affirme que les effets préjudiciables peuvent être présumés, car ils sont une [traduction] « conséquence inévitable » de la façon dont la FFRP a été élaborée, et [traduction] « [qu’elle sait] que la formule est fondée sur des prémisses discriminatoires et qu’elle est inadéquate par rapport aux besoins plus grands et aux coûts plus élevés ».
[23] Après le dépôt de leurs exposés des précisions modifiés, l’intimé et la PNMC étaient en désaccord avec l’étendue de la communication et la nature de la plainte, ce qui a donné lieu à trois requêtes en communication de documents, toutes réglées par les parties. Deux de ces requêtes ont été déposées par la PNMC, et une par l’intimé.
[24] La requête de l’intimé, déposée le 31 août 2022, visait la communication de documents spécifiques à la PNMC concernant l’exploitation, la planification et les finances. L’intimé a affirmé en avoir besoin pour bien répondre à la plainte, notamment au rapport d’expert de Gabriel Sékaly signifié aux parties par la Commission en février 2022. La PNMC a initialement répondu que les documents n’étaient pas pertinents et qu’ils n’avaient aucun [traduction] « rapport avec la cause qu’elle fait valoir ». Dans un courriel daté du 18 novembre 2022, elle a écrit que [traduction] « la cause qu’elle fait valoir repose entièrement sur une critique de la FFRP […], sur les vices de la formule, et non pas sur ses conséquences dans une seule Première Nation […] ». Le courriel se conclut par l’affirmation suivante : [traduction] « [m]a cliente cherche à démontrer que la formule globale pour toutes les Premières Nations est profondément viciée, de telle sorte qu’elle causera un sous-financement généralisé ».
[25] La requête a été réglée par les parties. La PNMC a communiqué un nombre restreint de documents dont l’intimé était alors satisfait. Toutefois, une fois la requête réglée, l’intimé a senti qu’il devait envoyer des courriels aux parties pour confirmer qu’il avait bien compris la portée de la plainte.
[26] Dans son courriel du 16 janvier 2023, l’intimé a écrit que, selon sa compréhension de la plainte, la PNMC [traduction] « soutiendra que les renseignements spécifiques à elle ne sont pas pertinents parce qu’elle ne fait pas valoir une cause spécifique à elle ». Dans le même courriel, il a ajouté que [traduction] « [s]i, à un moment ou à un autre, [la PNMC] cherche à faire valoir une cause spécifique à elle, il en découlera de nouvelles obligations de communication ».
[27] Dans son courriel du 27 janvier 2023, l’intimé a affirmé que [traduction] « [l]e règlement de la requête par une communication très restreinte de documents pertinents repose sur sa compréhension selon laquelle la PNMC ne fait pas valoir une cause spécifique à elle ». Dans un autre courriel également daté du 27 janvier 2023, il a écrit que le règlement de la requête en communication [traduction] « repose sur la compréhension selon laquelle la PNMC ne fait pas valoir une cause spécifique à elle ».
[28] La PNMC a répondu par courriel le 14 avril 2023 en réitérant son point de vue selon lequel les documents demandés par l’intimé [traduction] « sont sans rapport avec les revendications des parties présentées dans l’exposé des précisions » et la communication qui a donné lieu au règlement de la requête concernait un nombre de documents plus restreint que ce qui était demandé.
[29] Dans un courriel daté du 14 avril 2023, l’intimé a répondu ce qui suit :
[traduction]
« […] Je pense que nous sommes satisfaits de ce que vous avez produit jusqu’à présent, pourvu que vous confirmiez que ma compréhension exposée ci-dessus est exacte, à savoir que la PNMC et la Commission ne feront pas valoir une cause spécifique à la PNMC et qu’elles ne soutiendront pas que les élèves de l’école LSK n’ont pas accès à la même qualité de services d’éducation que les élèves des écoles provinciales. »
[30] Dans un courriel daté du 18 avril 2023, la PNMC a répondu ce qui suit :
[traduction]
« Je peux confirmer que la PNMC devra présenter des éléments de preuve spécifiques à elle seulement si elle doit répondre à des arguments du Canada qui sont spécifiques à elle, comme il est indiqué dans son plan d’audience provisoire. Mis à part de tels éléments de preuve en réponse, sa cause concerne principalement les vices de la formule de financement qui ont des répercussions sur l’ensemble des Premières Nations de l’Ontario. »
[31] À ce stade, il est important de faire observer qu’une divergence d’opinions fondamentale oppose la PNMC et l’intimé en ce qui concerne la portée des allégations qui seront entendues en audience. La divergence d’opinions qui oppose les parties est au cœur de la présente requête, comme l’indiquent les observations présentées dans le cadre de celle-ci. Cette divergence d’opinions concernant la portée et la communication les opposait toujours après le règlement de la requête du 31 août 2022 déposée par l’intimé et a conduit à la présente requête.
[32] L’intimé soutient qu’il a supposé ou compris, comme il est mentionné ci-dessus, que la PNMC avait confirmé que les documents spécifiques à elle étaient sans rapport avec sa cause, car elle ne ferait pas valoir une cause spécifique à elle, et que la PNMC avait également confirmé qu’elle n’allait pas soutenir qu’elle n’est pas lésée dans sa capacité à répondre aux besoins de ses élèves en raison du sous-financement allégué découlant du modèle. Il a également compris que le règlement de la requête du 31 août 2022 par la communication restreinte de documents ne mettait pas fin aux obligations de communication qu’aurait la PNMC si, à un moment ou à un autre, elle cherchait à faire valoir une cause spécifique à elle.
[33] La PNMC soutient que, dans son courriel du 18 avril 2023, elle n’utilise pas l’expression [traduction] « faire valoir une cause spécifique à elle », car elle la juge vague. Elle affirme ce qui suit :
[traduction]
« […] Une preuve spécifique à la PNMC n’est pas nécessaire parce que la PNMC allègue que les Premières Nations de l’Ontario ne reçoivent pas un financement adéquat en matière d’éducation en raison du modèle de financement inadéquat et inéquitable. La cause de la PNMC repose sur cette analyse, et non pas sur une comparaison entre le résultat de ce modèle pour une seule Première Nation (c’est-à-dire le financement que reçoit la PNMC) et une évaluation des besoins en financement de la PNMC. »
[34] La PNMC soutient que ce courriel ainsi que celui qu’elle a envoyé le 18 novembre 2022, mentionné plus haut au paragraphe 24, ne réduisent pas la portée de la plainte, contrairement à ce qu’affirme l’intimé. Ces courriels confirment plutôt que la PNMC cherche à démontrer que le sous-financement touche toutes les Premières Nations, ce qui comprend la PNMC.
[35] En mai 2023, après avoir obtenu de la part de la PNMC la communication à son sens nécessaire pour répondre au rapport de M. Sékaly de février 2022 qui a mené au règlement de sa requête d’août 2022, l’intimé a déposé un rapport d’expert en réponse préparé par Barry Anderson. Ce dernier a jugé les [traduction] « niveaux de financement et de dotation de la PNMC très bons par rapport à ceux de l’école publique voisine », mais il a également fait observer qu’il disposait de peu de renseignements et qu’il ne pouvait pas [traduction] « examiner si le financement ou la dotation étaient adéquats par rapport aux résultats ». Dans son rapport, M. Sékaly ne traite pas de la situation ni des besoins spécifiques à la PNMC, mais il donne celle-ci en exemple pour illustrer comment les fonds sont affectés selon la FFRP et il formule des hypothèses à propos du type de services que la PNMC pourrait offrir au moyen des fonds qui lui sont affectés.
[36] M. Sékaly a également préparé une réponse au rapport de M. Anderson, mais celle-ci n’a pas été déposée auprès du Tribunal parce que le rapport de M. Anderson ne l’a pas été.
[37] La PNMC a soumis un affidavit de sa directrice de l’apprentissage permanent, Patti Barber, daté du 1er août 2024 parmi les éléments de sa preuve principale présentée à l’appui de sa plainte. Trois documents joints en tant que pièces à l’affidavit n’avaient pas été produits auparavant. Ces éléments de preuve devaient constituer, en partie, une réponse au rapport de M. Anderson et indiquaient que la PNMC ne disposait pas d’un financement suffisant pour répondre aux besoins de ses élèves et combler l’écart entre ces derniers et les autres élèves de l’Ontario.
[38] L’intimé a présenté une preuve en réponse préparée par Jonathan Allen et datée du 11 décembre 2024, traitant en partie les éléments spécifiques à la PNMC contenus dans l’affidavit de Mme Barber. Elle comprend ce qui suit au paragraphe 471 :
[traduction]
« Comme il est indiqué ci-dessus, la PNMC n’a pas produit tous les documents pertinents concernant les besoins de ses élèves et les types de programmes d’éducation qu’elle offre et qu’elle peut se permettre d’offrir au moyen de l’allocation qu’elle reçoit selon la FFRP. Je comprends que ces documents n’ont pas été produits parce que la PNMC ne fait pas valoir une plainte de discrimination spécifique à elle. Sans ces documents, il est impossible d’évaluer ce qu’affirme Mme Barber dans ces paragraphes et d’y répondre. »
[39] En réplique à l’affidavit de M. Allen, la PNMC a déposé un autre affidavit de Mme Barber qui fournissait des éléments de preuve supplémentaires concernant la PNMC. En outre, Mme Barber décrit la réponse de la PNMC aux demandes visant la communication de nombreux documents et les efforts considérables que la PNMC a déployés pour produire tous les documents demandés qu’elle a pu trouver.
[40] De plus, après le dépôt de la preuve en réponse de l’intimé, la PNMC et la Commission ont déposé une quantité importante d’éléments de preuve supplémentaires en réplique à l’affidavit de M. Allen et à la preuve en réponse de l’intimé, notamment le rapport en réplique de M. Sékaly daté du 14 janvier 2025, l’affidavit en réplique de Julia Candlish daté du 31 janvier 2025, l’affidavit en réplique de Neil Debassige daté du 3 février 2025, plusieurs documents supplémentaires spécifiques à la PNMC produits le 30 janvier 2025, ainsi qu’un courriel daté du 19 février 2025 auquel était joint un rapport que la PNMC entend invoquer sur le financement de SAC en matière d’éducation primaire et secondaire préparé par une société de conseil embauchée par l’Assemblée des Premières Nations.
V. RÉSUMÉ DE LA POSITION DE L’INTIMÉ (LA PARTIE REQUÉRANTE)
[41] Selon l’intimé, la preuve par affidavit de Mme Barber spécifique à la communauté selon laquelle la PNMC ne dispose pas de fonds suffisants pour répondre aux besoins de ses élèves sort du cadre de la plainte et est donc non pertinente et inadmissible. Par conséquent, il soutient que plusieurs paragraphes de l’affidavit qu’il cite devraient être supprimés.
[42] L’intimé fait valoir que, selon l’alinéa 37a) des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 (les« Règles de pratique »), la PNMC ne peut soulever à l’audience que des questions qu’elle a soulevées dans son exposé des précisions. Il ajoute que, dans son exposé des précisions, la PNMC n’a pas plaidé une cause spécifique à elle selon laquelle ses élèves n’ont pas un accès égal aux services et aux programmes d’éducation en raison d’un financement inadéquat. Elle n’a pas non plus produit suffisamment de documents ou d’éléments de preuve spécifiques à elle dans sa preuve principale. Par conséquent, il serait inéquitable envers l’intimé de permettre à la PNMC de faire valoir une cause spécifique à elle maintenant qu’il a répondu, car il doit avoir une possibilité raisonnable de connaître la cause présentée contre lui et d'y répondre de manière appropriée.
[43] En outre, l’intimé affirme que la PNMC lui a assuré à plusieurs occasions qu’elle ne ferait pas valoir une cause spécifique à elle et qu’elle ne soutiendrait pas que ses élèves ont subi des effets préjudiciables en raison de la FFRP. Il ajoute qu’il s’est appuyé sur ces assurances à son détriment, car il aurait rassemblé des éléments de preuve supplémentaires en réponse, dont une preuve d’expert, s’il avait su que la PNMC ferait valoir une cause spécifique à elle. Il aurait également exigé la production de documents supplémentaires. Il serait inéquitable de permettre à la PNMC de modifier la nature de sa cause et de revenir sur les assurances qu'elle lui a données.
[44] La preuve en réplique a une portée étroite et n’est appropriée que lorsqu’elle répond à une nouvelle question soulevée pour la première fois par l’intimé dans sa preuve en réponse et que le plaignant n’aurait pas raisonnablement pu prévoir lorsqu’il a présenté sa preuve principale.
[45] L’intimé soutient que la PNMC savait que le moyen de défense qu’il invoquerait serait que rien dans la preuve n’établissait l’existence d’un effet préjudiciable de la FFRP sur les élèves de la PNMC ou sur d’autres élèves des Premières Nations avant qu’elle ne présente sa preuve principale. Elle aurait dû plaider une telle cause et communiquer tous les documents relatifs à une cause spécifique à elle dans sa preuve principale.
[46] L’intimé soutient que le rapport de M. Anderson ne répond pas à une plainte spécifique à la PNMC, puisque celle-ci lui avait assuré qu’elle ne faisait pas valoir une telle plainte. Il ne fait pas valoir un moyen de défense affirmatif fondé sur l’article 15 de la LCDP. Il répond plutôt aux allégations de discrimination systémique générale de la PNMC. Le rapport de M. Anderson répond à une cause générale et au rapport en réplique de M. Sékaly. Il vise à démontrer que la démarche ligne par ligne de M. Sékaly donne une image trompeuse des mesures d'aide financière offertes par l’intermédiaire de la FFRP.
[47] L’intimé soutient que les éléments de preuve en réplique qu’il conteste sont inadmissibles et qu’ils constituent un fractionnement de la cause qui ne devrait pas être admis. Un plaignant doit présenter au départ les éléments qu’il souhaite invoquer dans sa preuve principale; il ne devrait pas être autorisé à remédier à son omission dans sa réplique. La preuve en réplique a une portée limitée. Elle ne permet pas au plaignant d’avoir le dernier mot ou de combler les lacunes dans sa preuve principale, mais plutôt de répondre à des questions imprévues soulevées dans la preuve de l’intimé.
[48] L’intimé reconnaît que le Tribunal n’est pas lié par les règles strictes de présentation de la preuve applicables aux tribunaux judiciaires, mais il soutient que les limites relatives à la preuve en réplique ne sont pas de simples règles de preuve. Ce sont les principes qui découlent des exigences d’équité procédurale, lesquelles lient le Tribunal.
[49] Sur le fondement de ses positions mentionnées plus haut aux paragraphes 40 à 47, l’intimé soutient que certains paragraphes des documents suivants devraient être retirés du dossier, à savoir : a) les paragraphes 11 à 31 de l’affidavit de Mme Barber; b) les paragraphes 3 à 41 de l’affidavit en réplique de Mme Barber; c) les paragraphes 3 à 17, 21, 23 à 26, 30 et 32 de l’affidavit en réplique de Mme Candlish; d) les paragraphes 3 et 4 de l’affidavit en réplique de M. Debassige et l’intégralité du rapport en réplique de M. Sékaly.
[50] L’intimé demande également une ordonnance l’autorisant à déposer d'autres éléments de preuve en réponse a) aux documents produits par la PNMC après le dépôt de sa preuve et b) à tout élément de preuve déposé en réplique qui aurait dû faire partie de la preuve principale, mais que le Tribunal décide, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, de ne pas retirer du dossier.
VI. RÉSUMÉ DE LA POSITION DE LA PNMC
[51] La PNMC soutient que les éléments de preuve contestés ne devraient pas être radiés, car ils sont pertinents.
[52] Les paragraphes contestés de l’affidavit de Mme Barber faisant partie de la preuve principale, qui sont antérieurs à la preuve en réponse de l’intimé, répondent et s’attaquent directement aux allégations contenues dans le rapport de M. Anderson selon lesquelles le financement que reçoit la PNMC est suffisant.
[53] Les paragraphes contestés de l’affidavit en réplique de Mme Barber répondent aussi directement à l’affidavit de M. Allen et visent à réfuter les allégations qu’il contient.
[54] La PNMC conteste l’affirmation de l’intimé selon laquelle elle ne soulève pas d’allégations de financement insuffisant, de services insuffisants et d’effets préjudiciables dans son exposé des précisions et sa réplique. Les paragraphes contestés entrent clairement dans le cadre de l’instance et sont extrêmement pertinents, y compris en tant que réponse directe aux allégations de l’intimé. Selon elle, la radiation des paragraphes pertinents que demande l’intimé constituerait une violation manifeste de l’équité procédurale.
[55] La PNMC soutient qu’aucun des éléments de preuve dont l’intimé demande la radiation n’est irrégulier, même au regard du critère juridique qu’il mentionne, car le critère juridique applicable exige simplement que le Tribunal veille au respect de l’équité procédurale, ce qui ne peut être réalisé que s’il est permis que les éléments de preuve demeurent au dossier. La question que doit trancher le Tribunal dans la présente affaire est celle de savoir comment parvenir à l’équilibre entre les intérêts des parties pour assurer l’équité de l’instance.
[56] La PNMC fait valoir que tous les éléments de preuve contestés devraient être admis au titre du critère de l’équité applicable parce qu’ils sont pertinents et que l’intimé aura la possibilité d’y répondre et de les examiner en contre-interrogatoire. L’intimé ne conteste pas la pertinence de la majorité des éléments de preuve qu’il juge irréguliers (c’est-à-dire les parties contestées de l’affidavit en réplique de Mme Candlish, de l’affidavit en réplique de M. Debassige et du rapport de M. Sékaly).
[57] La PNMC fait valoir que l’intimé soulève beaucoup de nouvelles questions de fait dans sa preuve en réponse. Même si la PNMC et la Commission ont pris connaissance des questions plus générales que l’intimé avait soulevées dans son exposé des précisions, on ne peut s’attendre à ce qu’elles aient prévu toutes les questions de fait qu’il a soulevées dans sa preuve en réponse. Le Tribunal tirerait certainement avantage des éléments de preuve en réplique fondés sur des données probantes portant sur ces nouvelles questions, car ils répondent tous directement à la preuve en réponse de l’intimé et sont des éléments de preuve en réplique appropriés.
[58] La PNMC consent à l’ordonnance sollicitée par l’intimé, selon ce qui est mentionné au paragraphe 49 ci-dessus, mais conserve le droit de contester des éléments précis de la preuve et de demander l’autorisation de fournir des éléments de preuve pour y répondre. Ce droit revêt une importance particulière en ce qui concerne les éléments de preuve supplémentaires sur la communication en cours, car, à cet égard, son droit de réponse n’a pas encore été exercé.
VII. RÉSUMÉ DE LA POSITION DE LA COMMISSION
[59] Les observations de la Commission portent uniquement sur les arguments de l’intimé concernant la preuve d’expert indépendant de M. Sékaly présentée en réplique à la preuve de l’intimé.
[60] La Commission appuie les observations de la PNMC, notamment celle selon laquelle le rapport en réplique de M. Sékaly répondait directement à l’affidavit de M. Allen, qui faisait partie de la preuve en réponse de l’intimé. De ce fait, il s’agit d’un élément de preuve approprié et pertinent qui ne doit pas être radié.
[61] La Commission fait valoir que le Tribunal n’est pas lié par les règles officielles de présentation de la preuve applicables devant les tribunaux judiciaires. La LCDP prévoit une instruction des plaintes informelle, expéditive et équitable. En tant que loi sur les droits de la personne, elle a un caractère quasi constitutionnel et doit être interprétée de manière libérale, large et téléologique pour favoriser l’exercice des droits de la personne plutôt que de le restreindre.
[62] Le Tribunal est maître de sa propre procédure et dispose d’un large pouvoir discrétionnaire en matière d’admissibilité de la preuve. Contester une répétition non précisée et le moment du dépôt d’une preuve en réponse, comme le fait l’intimé dans la présente requête, revient à se plaindre de la forme plutôt que du fond, rien de plus, et une telle contestation doit être rejetée par le Tribunal. Une contestation ne peut avoir pour but d’empêcher une partie de présenter des éléments de preuve pertinents dont le Tribunal a besoin pour rendre une décision pleinement éclairée sur le bien-fondé de la plainte.
[63] Selon la Commission, la contestation de l’intimé, au motif que le rapport en réplique de M. Sékaly est inapproprié parce que certaines parties du rapport initial y sont répétées, n’est pas valable. La répétition de certaines parties du rapport initial dans le rapport en réplique est inévitable et ne devrait pas entraîner l’inadmissibilité de ce dernier.
[64] Dans son rapport en réplique, M. Sékaly a principalement répondu à l’affidavit de M. Allen, qui, pièces jointes incluses, compte plus de 2000 pages dont il ignorait entièrement le contenu avant le dépôt, alors, selon la PNMC, il ne pouvait pas le prévoir.
[65] Selon la PNMC, le rapport de M. Allen était une critique du rapport initial de M. Sékaly sous un angle de comparabilité non autochtone plutôt que sous l’angle des besoins. M. Allen a soulevé des questions concernant l’argument de la réaffectation des fonds, l’analyse du déficit de financement et les besoins en matière d’éducation spécialisée, qui sont toutes traitées dans le rapport en réplique de M. Sékaly, lequel possède les caractéristiques d’une preuve en réplique appropriée.
[66] Selon la PNMC, l’intimé pourra exprimer ses réserves à l’audience au moyen d’observations sur le poids à accorder aux éléments de preuve ainsi que de la preuve supplémentaire et de la contre-preuve qu’il cherche à présenter. La PNMC consent à la présentation de ces éléments de preuve, pourvu qu’ils soient déposés en temps utile. Elle conserve le droit de s’opposer à des éléments précis de la preuve supplémentaire et de la contre-preuve ainsi que celui de demander l’autorisation de présenter une preuve en réponse à ces éléments.
VIII. RÉSUMÉ DE LA POSITION DE L’INTIMÉ EN RÉPLIQUE
[67] L’intimé soutient que la PNMC n’a pas plaidé de cause spécifique à elle et qu’une telle cause ne ferait pas implicitement partie d’une plainte générale de discrimination systémique. La PNMC a choisi de ne pas plaider une cause spécifique à elle et de produire tous les documents pertinents dont elle disposait. Elle a d’ailleurs assuré à l’intimé qu’elle ne ferait pas valoir une telle cause. Il serait inéquitable que la PNMC revienne maintenant sur les assurances qu'elle a données.
[68] L’intimé soutient, d’après ce qu’il a compris du contexte des divers courriels échangés entre les parties au sujet de la plainte, que la PNMC ne ferait pas valoir de cause spécifique à elle et qu’elle ne soutiendrait pas que le financement qu’elle reçoit est insuffisant pour répondre aux besoins de ses élèves. Il a plusieurs fois indiqué par écrit à la PNMC que c’était ainsi qu’il comprenait la cause plaidée contre lui et que c’était à une telle cause qu’il répondait. La PNMC n’a rien fait pour informer l’intimé qu’il avait mal compris ou que l’expression [traduction] « cause spécifique à la PNMC » était vague au cours de ces échanges par courriel. Le fait que la PNMC ait indiqué qu’elle ne présenterait que des éléments de preuve spécifiques à la PNMC en réplique confirme que cette compréhension était exacte. C’est pourquoi l’intimé soutient que la PNMC a confirmé que sa compréhension selon laquelle il ne s’agirait pas d’une cause spécifique à la PNMC était exacte.
[69] L’intimé soutient que le courriel du 18 novembre 2022, cité plus haut au paragraphe 24, confirme également que la PNMC a adopté la position selon laquelle les éléments de preuve spécifiques à elle étaient sans rapport avec la cause qu’elle plaide, laquelle porte exclusivement sur la façon dont la formule a été élaborée, [traduction] « et non pas sur ses conséquences dans une seule Première Nation », et que tout moyen de défense spécifique à la PNMC qu’il invoquerait ne serait pas [traduction] « valable », car il [traduction] « s’agirait d’un moyen de défense contre un argument que [la PNMC] n’avanc[e] pas ».
[70] L’intimé soutient que les éléments de preuve spécifiques à la PNMC contenus dans les affidavits de Mme Barber sont loin de constituer une contre-preuve admissible. Ce n’est pas un [traduction] « bouclier », comme l’allègue la PNMC, mais une [traduction] « épée » visant à faire valoir une prétention affirmative et à renforcer la cause de celle-ci après le dépôt de sa preuve principale. La PNMC aurait pu et dû communiquer l’ensemble des documents dans sa preuve principale, ce qui aurait permis à l’intimé de connaître la cause présentée contre lui et de répondre de façon appropriée et équitable. Elle a délibérément choisi de ne pas inclure d’éléments de preuve spécifiques à elle dans sa preuve principale, et il n’est pas approprié de le faire maintenant dans sa preuve en réplique.
[71] L’intimé soutient que la communication de la PNMC est insuffisante si la plainte comprend maintenant une cause spécifique à la communauté concernant les effets de la FFRP sur les élèves de la PNMC.
[72] L’intimé reconnaît que le Tribunal dispose d’un large pouvoir discrétionnaire en matière d’admissibilité de la preuve en réplique. Cependant, le Tribunal doit toujours appliquer la souplesse dont il dispose en matière d’admissibilité de la preuve de façon équilibrée, que l’affaire comporte des requêtes et des demandes ou non. Les éléments de preuve en réplique qui sont non pertinents, argumentatifs ou simplement confirmatoires sont généralement inadmissibles, ce qui vaut également dans le contexte d’une requête ou d’une demande. Les éléments de cette nature ne servent pas les intérêts de la justice et n’aident pas la cour ou le Tribunal à rendre une décision équitable sur le fond de l’affaire.
[73] Selon l’intimé, les éléments de preuve de Mme Barber spécifiques à la PNMC qui concernent d’autres programmes de financement ne répondent pas aux quelques éléments de preuve spécifiques à la PNMC qu’il a présentés. En outre, ces éléments de preuve n’auraient pas pu être prévus à partir de la preuve de l’intimé, car la PNMC connaissait déjà la défense de l’intimé concernant l’existence de programmes autres que la FFRP lorsqu’elle a déposé sa preuve principale. Ce sont de nouveaux éléments de preuve que M. Allen n’a pas présentés et auxquels il n’a pas eu l’occasion de répondre.
[74] L’intimé soutient que la preuve en réplique de Mme Candlish concernant le financement ne répond à aucun nouvel élément fourni par M. Allen dans sa preuve en réponse. Il s’agit plutôt de nouveaux éléments que la PNMC aurait pu prévoir lorsqu’elle a présenté sa preuve principale et qu’elle aurait dû fournir à cette occasion, et non pas dans sa réplique.
[75] L’intimé s’est grandement appuyé sur les assurances données par la PNMC selon lesquelles elle ne présenterait pas de cause spécifique à elle. Par exemple, si une cause spécifique à la PNMC avait été plaidée, l’intimé aurait préparé un dossier de la preuve complètement différent comprenant des éléments de preuve d’experts supplémentaires. Il aurait également demandé que la PNMC communique davantage de documents. Dans ce contexte, il soutient qu’un court délai pour la présentation d’une autre preuve en réponse ou d’une contre-preuve ne peut remédier au préjudice qu’il a subi en conséquence.
IX. ANALYSE
[76] Je souscris à une observation de la PNMC selon laquelle, en définitive, la question que le Tribunal doit trancher dans le cadre de la présente requête est celle de savoir comment parvenir à l’équilibre entre les intérêts des parties pour assurer l’équité de l’instance.
[77] La Commission a demandé au Tribunal d’instruire la plainte dans la présente affaire en vertu du paragraphe 49(1) de la LCDP. L’instruction vise à permettre au Tribunal de faire la lumière sur les faits pour trancher la question en litige que soulève la plainte.
[78] Le mandat du Tribunal en ce qui a trait à l’instruction d’une plainte est plus large que celui exercé dans le cadre d’instances civiles ou pénales en raison du principe bien établi selon lequel les lois sur les droits de la personne dans une société libre et démocratique constituent le fondement de la société elle-même à tous égards. De ce fait, lorsque des droits fondamentaux de citoyens sont en jeu, il est d’une importance fondamentale que justice soit rendue et que, dans le cadre d’une instruction au titre de la LCDP, les parties et le décideur ne soient pas inutilement empêchés de faire la lumière sur les faits par des procédures et des pratiques qui privilégient la forme au détriment du fond.
[79] Le domaine juridique auquel appartiennent la LCDP et le mandat qu’elle accorde est considéré comme quasi constitutionnel au sein de la hiérarchie juridique judiciaire parce qu’il est question des droits fondamentaux de la personne sur lesquels reposent la liberté et la justice. Les plaignants, parfois non représentés, non expérimentés ou sans grands moyens financiers à consacrer à des litiges de cette nature, bénéficient ainsi d’une certaine marge de manœuvre par rapport aux règles de procédure et de présentation de la preuve plus strictes applicables devant les tribunaux judiciaires. L’objectif est de leur permettre, sans formalités inutiles, de présenter et de faire valoir leur cause de manière valable et expéditive afin qu’un décideur puisse cerner le point réellement en litige et, en définitive, rendre une décision juste et équitable sur la question de savoir si leurs droits fondamentaux ont été violés.
[80] Toutefois, cette marge de manœuvre ne permet pas à un plaignant de se soustraire aux exigences de l’article 5 de la LCDP, lesquelles sont mentionnées plus haut au paragraphe 15, soit celles de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’une personne a subi un effet défavorable ou préjudiciable réel en raison d’un ou de plusieurs des actes de discrimination allégués. Elle ne doit pas non plus avoir pour effet de priver un intimé du droit de connaître la cause qu’il doit réfuter pour défendre ses droits de façon appropriée et équitable.
[81] Dans les affaires qui relèvent de la LCDP, l’intimé est généralement une grande société ou un organisme gouvernemental disposant de moyens financiers bien plus grands que ceux du plaignant. Cependant, il doit lui aussi être en mesure de présenter la meilleure défense possible contre des allégations de discrimination, ce dont nul ne souhaite être déclaré responsable. La loi reconnaît le droit fondamental d’une personne accusée d’avoir violé la LCDP de connaître la cause qu’elle doit réfuter pour se défendre adéquatement contre des allégations non fondées, rétablir sa réputation et éviter des sanctions potentiellement sévères.
[82] Ma décision dans la présente affaire vise à ce que les intérêts des deux parties soient reconnus de façon équitable, pratique et expéditive pour que l’instruction se poursuive et que lumière soit faite sur le litige. En rendant ma décision sur la présente requête, je reconnais que les arguments des deux parties ainsi que les stratégies différentes qu’elles ont adoptées pour faire valoir et défendre leurs positions sont valables. Les parties ont tout à fait le droit d’adopter les stratégies qu’elles jugent appropriées du point de vue juridique pour faire valoir leurs arguments à ce stade.
[83] La stratégie de la PNMC pour faire valoir sa cause semble être de la présenter comme une plainte générale de discrimination systémique. La PNMC considère sa plainte sous l’angle de l’égalité réelle, à la lumière de l’histoire et de la culture des Premières Nations au Canada et de l’effet sur elles de la discrimination passée, qui les a placées dans une situation d’inégalité engendrant une hausse des besoins de leurs élèves par rapport à ceux des élèves qui ne fréquentent pas les écoles des réserves.
[84] Cette stratégie est résumée dans le passage suivant tiré de la réplique de la PNMC :
[traduction]
« Le modèle de financement provisoire repose sur des niveaux de financement comparables basés sur l’application de formules de financement provinciales standard. Cependant, les besoins en matière de services et les coûts de la fourniture de services sont beaucoup plus élevés dans les réserves. Il en résulte inévitablement que les enfants n’obtiennent pas des services équitables qui tiennent compte des désavantages historiques et qui sont adaptés à la culture. Les enfants souffrent actuellement et, pour nombre d’entre eux, les effets seront permanents. »
[85] La stratégie que l’intimé a adoptée pour se défendre contre la cause présentée semble consister à mettre la PNMC au défi de prouver, conformément à l’article 5 de la LCDP, que les élèves des Premières Nations vivant dans les réserves en Ontario ont subi ou subissent un effet préjudiciable réel, et non pas seulement hypothétique, parce que l’intimé utilise la FFRP pour financer les services d’éducation destinés à répondre aux besoins de ces élèves. Dans sa défense, l’intimé s’est appuyé sur sa compréhension selon laquelle la cause présentée par les autres parties était fondée sur les vices du système plutôt que sur des effets précis subis par des individus. Il soutient qu’il a reçu des assurances de la PNMC selon lesquelles la cause de celle-ci n’était pas spécifique à une communauté, mais que la cause a changé en raison du dépôt des éléments de preuve contestés.
[86] Pour se défendre de façon équitable contre la cause que fait maintenant valoir la PNMC, l’intimé soutient qu’il a besoin qu’elle lui communique des éléments de preuve spécifiques à la communauté qu’elle a refusé de lui communiquer au motif qu’ils ne sont pas pertinents dans la présente affaire. Il remet également en question les déclarations sous serment de la PNMC selon lesquelles elle a effectué des recherches exhaustives en réponse aux demandes de communication de renseignements supplémentaires et elle ne peut rien produire de plus qui soit accessible et pertinent. Par ailleurs, l’intimé soutient que, si la PNMC ne fait pas valoir une plainte de discrimination systémique fondée sur des éléments de preuve réels qui établissent l’existence d’un préjudice causé par la discrimination alléguée, elle pourrait ne pas satisfaire aux exigences de l’article 5 de la LCDP.
[87] J’admets que la PNMC est parfaitement consciente des exigences de l’article 5 de la LCPD, à savoir qu’un plaignant doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les actes discriminatoires allégués ont des effets préjudiciables sur des individus. En outre, je n’ai aucune raison de croire qu’elle retiendra intentionnellement un élément de preuve accessible et pertinent à ce stade ou à un éventuel stade disjoint de détermination des mesures de réparation, ce qui réduirait la capacité pour l’intimé de se défendre de façon appropriée et équitable contre une allégation de responsabilité au titre de la LCDP.
[88] J’admets également que l’intimé a été réellement surpris par les éléments de preuve spécifiques à la communauté des autres parties qu’elle souhaite voir retirer. Il ne fait aucun doute qu’il a continuellement informé les autres parties qu’il supposait que la PNMC faisait valoir contre lui une cause non spécifique à la communauté et fondée sur la façon dont la formule a été élaborée plutôt que sur ses effets défavorables sur les élèves des Premières Nations dans les réserves. Il affirme en avoir reçu la confirmation, bien qu’il ne semble pas qu’une confirmation explicite ait été envoyée. Il ajoute qu’il a préparé sa défense en s’appuyant sur la confirmation qu’il croyait avoir. Il fait valoir qu’il doit maintenant modifier sa défense, car il a subi un préjudice en raison de la présentation par les autres parties des nouveaux éléments de preuve spécifiques à la communauté qu’il conteste. Par conséquent, il estime qu’il doit être autorisé à soumettre une preuve supplémentaire et une contre-preuve, comme il l’a demandé, afin de répondre de façon appropriée et équitable aux allégations de discrimination, car les éléments de preuve contestés ont été en grande partie déposés après sa preuve en réponse. Je comprends tout à fait les questions que soulève l’intimé à cet égard et je tente d’y répondre de façon équitable dans la présente décision.
[89] Les parties m’ont soumis une grande quantité de renseignements sur les affidavits et le rapport en litige. J’ai examiné ces renseignements et les arguments des parties exposés ci-dessus. De manière générale, la PNMC signale qu’il est expressément mentionné à maintes reprises dans ses affidavits que ceux-ci sont présentés en réponse soit au rapport initial de M. Anderson déposé avant sa preuve principale, soit à la preuve en réponse de l’intimé. Elle ajoute que, s’il s’agit de nouveaux éléments de preuve, ceux-ci n’auraient pas pu être considérés comme requis lorsqu’elle a déposé sa preuve principale. En d’autres termes, même selon les règles plus strictes des tribunaux judiciaires en matières civile et pénale, les éléments de preuve présentés par la PNMC sont appropriés et pertinents, et ils entrent dans le cadre de la plainte et des actes de procédure. Selon la PNMC, il ne serait pas équitable envers elle de retirer les éléments de preuve contestés, et ne pas les examiner n’aiderait pas le Tribunal à statuer sur le fond de l’affaire.
[90] La Commission adopte essentiellement la même approche que la PNMC en ce qui concerne précisément le rapport en réplique de M. Sékaly. Elle affirme qu’il s’agit d’un élément de preuve tout à fait approprié en réplique dans sa réponse à la critique concernant son rapport initial formulée par M. Allen, un déposant de l’intimé, et qu’il est pertinent dans la présente affaire, car il n’était pas considéré comme requis dans la preuve principale, mais il est maintenant nécessaire que le Tribunal l’examine pour décider si la discrimination alléguée a effectivement lieu. Elle fait également observer qu’en tout état de cause, le Tribunal a le pouvoir, en vertu de la LCDP, de statuer sur la requête en fonction des éléments de preuve qu’il juge pertinents par rapport à la question en litige, indépendamment du moment de leur dépôt, qu’il s’agisse d’une réplique directe ou d’éléments pris en considération au moment de la présentation de la preuve principale. Pour admettre de tels éléments à ce stade de la présente instruction, il suffit que le Tribunal les juge suffisamment pertinents pour faire la lumière sur les faits et qu’il donne à l’intimé la possibilité d’y répondre au moyen d’une preuve supplémentaire et d’une contre-preuve ainsi que le droit de soulever des questions sur leur poids lors de l’audience.
[91] Sans surprise, la position de l’intimé est à l’opposé de celle des autres parties en ce qui concerne les questions de savoir si les éléments de preuve contestés sont pertinents et s’il est équitable de les admettre au dossier. L’intimé fait valoir que ces éléments n’entrent pas dans le cadre de la plainte parce que la cause plaidée n’est pas spécifique à la communauté et qu’ils ne sont pas appropriés en réplique parce que ce sont essentiellement de nouveaux éléments de preuve qui ne répondent pas à la preuve en réponse qu’il a présentée. Selon lui, ce sont en outre des éléments de preuve que les autres parties auraient pu et dû envisager et joindre à leurs preuves principales, car elles connaissaient la teneur de la défense de l’intimé. Il soutient qu’il est de ce fait inéquitable de les admettre en réplique, car leur admission donne aux autres parties l’occasion de présenter des éléments de preuve auxquels il ne peut répondre. Selon lui, ces éléments devraient donc être retirés.
[92] En définitive, il m’appartient, après audition de la preuve, de statuer sur le fond de l’affaire au regard de la preuve et du droit. Pour rendre la décision la plus juste et la plus équitable possible, j’ai besoin et j’ai le droit de recevoir, dans le cadre de la présente instruction, tous les éléments de preuve accessibles liés à l’objet du litige. Une fois que les deux parties auront eu la possibilité de présenter la meilleure preuve possible, je pourrai alors apprécier le poids relatif de la preuve.
[93] Aux termes du paragraphe 48.9(1) de la LCDP, le Tribunal doit instruire les plaintes sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique.
[94] Aux termes du paragraphe 50(1) de la LCDP, le membre instructeur donne aux parties à qui il a donné avis conforme de l’instruction la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter des éléments de preuve ainsi que leurs observations.
[95] Aux termes du paragraphe 50(2) de la LCDP, le membre tranche les questions de droit et les questions de fait.
[96] Aux termes de l’alinéa 50(3)c) de la LCDP, le membre a le pouvoir de recevoir des éléments de preuve ou des renseignements indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire.
[97] Aux termes de l’alinéa 50(3)e) de la LCPD, le membre tranche toute question de procédure ou de preuve.
[98] À l’évidence, les dispositions de la LCDP mentionnées ci-dessus offrent une grande souplesse au Tribunal dans le cadre de l’instruction des plaintes pour lui permettre de faire la lumière sur les faits de l’affaire en litige sans formalisme et de façon expéditive dans la mesure du possible et de trancher de façon appropriée et équitable la question soulevée dans la plainte. Le Tribunal est maître chez lui en ce qui concerne les questions de procédure et de preuve.
[99] La question soulevée par la plainte est celle de savoir si le modèle de financement de l’intimé en matière d’éducation des enfants des Premières Nations qui fréquentent les écoles primaires et secondaires dans les réserves de l’Ontario est discriminatoire. Afin d’instruire adéquatement la question soulevée dans la plainte et de rendre une décision fondée, je veux recevoir et examiner les meilleurs éléments de preuve dont les parties disposent. Pour ce faire, les parties doivent avoir une possibilité raisonnable de présenter les meilleurs éléments de preuve à l’appui de leurs causes afin qu’après avoir examiné celles-ci, je puisse rendre la meilleure décision possible.
[100] Après avoir examiné tous les éléments de preuve contestés dans la présente requête et les observations des parties sur ceux-ci, je suis d’avis qu’il serait dans l’intérêt de la justice d’admettre tous les éléments de preuve contestés à ce stade et de donner à l’intimé la possibilité de présenter une preuve supplémentaire pour y répondre de façon équitable.
[101] Je juge que les éléments de preuve contestés se rapportent à la question exposée plus haut au paragraphe 99, en dépit du moment où ils ont été présentés, et qu’ils sont également appropriés en réplique à la lumière de la preuve en réponse de l’intimé. En tout état de cause, je suis disposé à adopter la démarche souple que prévoient les dispositions de la LCDP mentionnées plus haut, plutôt que les règles plus strictes des tribunaux judiciaires, pour admettre les éléments de preuve contestés et ainsi faire la lumière sur les faits dans la présente instruction, et ce, de manière aussi informelle et expéditive que possible, dans le but de rendre une décision juste, équitable et bien motivée. Les parties ne méritent rien de moins.
[102] Par ailleurs, je juge que l’intimé serait lésé dans sa capacité à connaître la cause qu’il doit réfuter pour se défendre adéquatement s’il ne se voyait pas accorder la mesure de réparation qu’il sollicite dans sa requête visant l’autorisation de déposer une preuve supplémentaire et une contre-preuve, ce qu’il devra faire en temps opportun. Je fais droit à la demande des autres parties visant à pouvoir examiner la preuve supplémentaire et la contre-preuve de l’intimé, et à y répondre, conformément à l’ordonnance rendue dans la présente affaire.
X. ORDONNANCE
[103] La requête est accueillie en partie :
a) La demande de l’intimé visant à ce que soient retirés du dossier les éléments de preuve de la PNMC et de la Commission, énumérés plus haut au paragraphe 49, est rejetée.
b) La demande de l’intimé visant l’autorisation de déposer une nouvelle preuve en réponse consistant dans une preuve supplémentaire et une contre-preuve, tel qu’il est indiqué plus haut au paragraphe 50, est accueillie, pourvu que ce soit fait en temps opportun et que les parties adverses conservent leur droit d’y répondre, si besoin est.
Signée par
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéro du dossier du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Requête traitée par écrit sans comparution des parties
Observations écrites par :
Anshumala Juyal, Christine Singh et Khizer Pervez, pour la Commission canadienne des droits de la personne