Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2025 TCDP 69

Date : Le 18 juillet 2025

Numéro du dossier : HR-DP-2871-22

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Varun Kapoor

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

LTL Transport Ltd. et Robert McDougall

les intimés

Décision

Membre : Colleen Harrington



I. Contexte

[1] Varun Kapoor (le « plaignant ») est un citoyen canadien qui a émigré de l’Inde en 2006. M. Kapoor possède son propre camion de transport routier. Il a travaillé en tant qu’entrepreneur indépendant pour la société intimée, LTL Transport Ltd. (« LTL »), d’octobre 2017 à décembre 2018. Pendant cette période, M. Kapoor conduisait exclusivement pour LTL. Il a utilisé son camion routier pour tirer des remorques de LTL et transporter des marchandises partout au Canada et aux États-Unis. LTL appartenait à l’autre intimé dans la présente plainte, Robert McDougall.

[2] M. Kapoor affirme que, bien que ses relations de travail avec M. McDougall aient bien commencé, les paiements contractuels versés par LTL avaient commencé à être retardés. M. Kapoor affirme que, lorsqu’il a abordé la question avec M. McDougall, celui-ci s’est mis en colère et a tenu des propos virulents à son endroit, notamment des commentaires offensants, racistes et discriminatoires. M. Kapoor affirme qu’il a été submergé par le stress en raison de la manière dont M. McDougall l’a traité. Comme il n’avait pas été payé depuis la mi-novembre 2018, il a mis fin à sa relation de travail avec LTL en décembre de cette année-là. M. Kapoor a communiqué avec M. McDougall par message texte et par courriel pour tenter d’obtenir le paiement des sommes qui lui étaient dues pour les chargements qu’il avait transportés pour LTL. De nombreuses réponses de M. McDougall contenaient des propos incontestablement racistes.

[3] M. Kapoor a déposé contre LTL une plainte pour atteinte aux droits de la personne dans laquelle il alléguait qu’il avait fait l’objet d’une discrimination fondée sur sa couleur, sa race et son origine nationale ou ethnique. M. Kapoor n’y précisait pas l’acte discriminatoire reproché à LTL, mais, dans le formulaire de résumé de la plainte que la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a joint au moment du renvoi de la plainte devant le Tribunal, on peut lire que celle-ci porte sur l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP ») et que l’acte discriminatoire reproché est [traduction] « Emploi – traitement défavorable ».

[4] Initialement, M. McDougall a participé à la présente instance. Cependant, il a cessé de répondre au Tribunal et aux parties. M. Kapoor a donc déposé une requête en vue de l’ajout de M. McDougall en tant qu’intimé, en plus de LTL. M. McDougall n’a pas répondu à cette requête. Le Tribunal a accepté d’ajouter M. McDougall comme intimé dans l’instance (voir Kapoor c. LTL Transport Ltd. et McDougall, 2024 TCDP 88).

[5] Ni M. McDougall ni LTL n’ont participé à l’audience relative à la présente plainte, qui s’est déroulée sur deux jours par visioconférence Zoom. Le Tribunal a entendu M. Kapoor, qui n’était pas représenté, ainsi que les trois témoins qu’il a cités. La Commission a également participé à l’audience en obtenant les témoignages du plaignant et des témoins et en déposant des exposés finaux.

[6] M. Kapoor et la Commission demandent au Tribunal de conclure que les intimés ont fait preuve de discrimination à l’égard de M. Kapoor alors qu’il était à leur emploi, et pendant une certaine période par la suite. Ils lui demandent également d’ordonner des mesures de réparation individuelles et d’intérêt public à l’encontre des intimés en vertu de l’article 53 de la LCDP, notamment une indemnité pour perte de salaire et des dommages-intérêts.

II. Décision

[7] La plainte est fondée. J’estime, selon la prépondérance des probabilités, que la race, la couleur, l’origine nationale et l’origine ethnique de M. Kapoor ont joué un rôle dans le traitement défavorable réservé à M. Kapoor par M. McDougall au cours de sa relation de travail avec LTL.

[8] Les nombreux commentaires ouvertement racistes formulés par M. McDougall à l’égard de M. Kapoor après la fin de leur relation de travail, alors que ce dernier tentait de se faire payer pour les chargements qu’il avait transportés, me convainquent qu’il est plus probable qu’improbable que M. McDougall ait tenu des propos racistes similaires à l’encontre de M. Kapoor pendant que celui-ci travaillait pour LTL. J’estime que les opinions négatives, racistes et stéréotypées qu’entretenait M. McDougall à l’égard de M. Kapoor en raison de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique ont joué un rôle dans sa décision de retarder et de retenir les paiements qui étaient dus à ce dernier, à la fois pendant et après son emploi. Ce comportement constitue de la discrimination au sens de l’article 7 de la LCDP. M. Kapoor a droit à des réparations de la part de M. McDougall et de LTL afin d’être indemnisé.

III. La non-participation des intimés

[9] Afin de respecter les principes de justice naturelle et d’équité procédurale, le Tribunal devait donner à M. McDougall et à LTL la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations (paragraphes 48.9(1) et 50(1) de la LCDP). Les intimés ont reçu des avis officiels , mais ils ont choisi de ne pas participer à l’instruction. Bien que M. McDougall ait initialement participé à l’instance en déposant un exposé des précisions et deux autres réponses au nom de LTL, dans lesquelles il nie avoir fait preuve de discrimination à l’égard de M. Kapoor, il a ultimement cessé de participer à la gestion de l’instance et de répondre aux communications du Tribunal et des autres parties.

[10] Bien que M. McDougall ait cessé toute communication concernant la présente plainte, le Tribunal a décidé de procéder à l’instruction et a continué de communiquer avec lui, au cas où il reviendrait sur sa décision et déciderait de participer à l’instance. En plus de donner à M. McDougall la possibilité de présenter des observations en réponse à la requête visant son adjonction comme intimé, le Tribunal lui a signifié un avis d’audience par courriel et par service de messagerie à son adresse, ce qui a été confirmé par Purolator.

[11] L’avis d’audience et la lettre d’accompagnement du Tribunal indiquaient les dates et heures de l’audience, ainsi que des renseignements sur la manière de participer à l’audience par vidéoconférence Zoom. La lettre indiquait que, s’il continuait à ignorer les communications du Tribunal et à refuser de prendre part à l’audience, le Tribunal tiendrait celle-ci en son absence et rendrait sa décision sur le fondement des informations que les parties auraient fournies dans le cadre de l’instance et dans leurs exposés finaux. L’avis d’audience indiquait également que s’il ne se présentait pas à l’audience, il ne recevrait plus d’avis concernant l’instance du Tribunal.

[12] Bien que le Tribunal ait fait des efforts pour s’assurer qu’il continue de recevoir les informations nécessaires pour participer à l’instance, M. McDougall n’a pas réagi à la requête déposée par M. Kapoor en vue de l’ajouter comme intimé, et il n’a pas non plus comparu à l’audience de juillet 2024.

[13] Avec le consentement de la Commission et du plaignant, le Tribunal a décidé de procéder à l’audience en l’absence des intimés, comme le permet l’article 9 des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137. Le Tribunal est convaincu que M. McDougall et LTL ont eu amplement l’occasion de participer à l’audience, et qu’ils ont été clairement informés de la date, de l’heure et de la marche à suivre à cet effet.

IV. M. Kapoor et ses témoins étaient crédibles

[14] Le Tribunal « peu[t] rejeter l’ensemble d’un témoignage ou en admettre une partie ou la totalité, le tout notamment en fonction de la crédibilité du témoin » (Dicks c. Randall, 2023 TCDP 8, au par. 6). Dans l’arrêt Faryna c. Chorny, 1951 CanLII 252 (C.A. C.-B.) [Faryna c. Chorny] La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a souligné que, chez un témoin, les « possibilités de connaissance, la capacité d’observation, le discernement et la mémoire, la capacité de décrire clairement ce qu’on a vu et entendu », ainsi que d’autres facteurs, concourent à ce qu’on appelle la crédibilité. La Cour d’appel a décrit l’approche à adopter pour évaluer la crédibilité, en expliquant que le décideur qui entend un témoin doit déterminer si sa version des faits concorde « avec la prépondérance des probabilités qu’une personne douée du sens pratique et bien informée tiendrait facilement pour raisonnables » dans les circonstances.

[15] Le Tribunal est autorisé à recevoir les éléments de preuve ou les renseignements qu’il estime indiqués, « indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire », à condition qu’ils ne soient pas confidentiels (alinéa 50(3)c) et paragraphe 50(4) de la LCDP). La preuve par ouï-dire est incluse parmi ces éléments de preuve et renseignements.

[16] Sur le fondement des facteurs énoncés dans l’arrêt Faryna c. Chorny, j’ai conclu que M. Kapoor et ses trois témoins, Harwinder Sran, Kevin St. John et Karen Alexander, étaient dignes de foi. Leurs témoignages étaient raisonnables, crédibles et cohérents. En ce qui concerne les propos que M. McDougall leur a tenus au sujet de M. Kapoor et d’autres conducteurs d’origine sud-asiatique, leurs témoignages étaient cohérents avec la teneur des messages écrits à M. Kapoor par M. McDougall.

[17] Comme les intimés étaient absents, les témoignages de M. Kapoor et des autres témoins n’ont pas été contestés. Toutefois, le Tribunal et la Commission ont posé certaines questions découlant de l’exposé des précisions et des répliques qui avaient été déposés au nom de LTL par M. McDougall, et qui remettaient en question la version des faits de M. Kapoor. Aucun des éléments de preuve présentés à l’audience n’a contredit le récit de M. Kapoor. Par conséquent, j’ai accepté dans leur intégralité les éléments de preuve de M. Kapoor et de ses témoins .

V. Questions en litige

[18] Je dois trancher les questions suivantes :

1) Les intimés ont-ils fait preuve de discrimination à l’égard de M. Kapoor, en violation de l’article 7 de la LCDP, lorsqu’ils ont retardé et retenu les paiements qui lui étaient dus, et lorsque M. McDougall a fait à son endroit des remarques fondées, du moins en partie, sur la race, la couleur et l’origine nationale ou ethnique de M. Kapoor?

2) Si M. Kapoor parvient à établir qu’il a fait l’objet de discrimination, quelles mesures de réparation d’intérêt public devraient être ordonnées contre les intimés?

VI. Analyse

A. Question no 1 : Les intimés ont contrevenu à l’article 7 de la LCDP

[19] Suivant l’alinéa 7b) de la Loi, « constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects, […] de [...] défavoriser [un individu] en cours d’emploi ».

[20] M. Kapoor doit établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination, c’est-à-dire qu’il doit démontrer que la façon dont il a été traité par les intimés était discriminatoire jusqu’à preuve du contraire. La preuve suffisante jusqu’à preuve contraire « est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur [du plaignant], en l’absence de réplique de l’employeur intimé » (Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne) c. Simpsons-Sears, 1985 CanLII 18 (CSC), [1985] 2 RCS 536, au par. 28).

[21] Pour établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination, M. Kapoor doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (c’est-à-dire, selon la prépondérance des probabilités) :

i) qu’il possède une ou plusieurs caractéristiques protégées par la LCDP (c’est-à-dire un motif de distinction illicite);

ii) qu’il a subi un effet préjudiciable relativement à son emploi;

iii) que le motif de discrimination illicite a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable (voir Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au par. 33).

[22] Les intimés n’ont pas participé à l’audience. Ils n’ont donc pas fourni d’explication, autre que la discrimination, pour justifier leur conduite. Dans ce contexte, la tâche du Tribunal consiste à examiner tous les éléments de preuve et les arguments présentés par M. Kapoor et la Commission afin de déterminer si M. Kapoor, selon la prépondérance des probabilités, a établi une preuve prima facie de discrimination(voir l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 [Bombardier], aux par. 56 et 64; voir également Peel Law Association v. Pieters, 2013 ONCA 396, aux par. 80 à 89).

(i) M. Kapoor présente des caractéristiques protégées par la LCDP

[23] M. Kapoor a fait la preuve par prépondérance du premier critère constitutif de l’acte discriminatoire. Suivant l’article 3 de la LCDP, la race, la couleur et l’origine nationale ou ethnique sont des motifs de distinction illicite. Bien que la LCDP les présente comme des motifs de distinction illicite différents les uns des autres, ils sont souvent invoqués de manière interchangeable dans les affaires de discrimination raciale. Il n’est pas rare que des plaignants déposent leur plainte sur le fondement de ces quatre motifs de distinction illicite, et les décisions rendues par le Tribunal, jusqu’à présent, n’ont pas analysé en détail les différences qui existent entre ces motifs. Cette situation n’est pas propre au régime fédéral des droits de la personne. Joshua Sealy-Harrington et Jonnette Watson Hamilton, dans leur article intitulé « Colour as a Discrete Ground of Discrimination » ((2018) 7:1 Can J Hum Rts 1; 2018 CanLIIDocs 106), soulignent qu’au Canada,, dans presque toutes les affaires relatives aux droits de la personne qui comportent une allégation de discrimination raciale, les motifs de la race, de la couleur, de l’ascendance, du lieu d’origine, de l’origine ethnique et de l’origine nationale sont utilisés comme synonymes (p. 5).

[24] La LCDP ne définit aucun de ces motifs de discrimination illicite, ce qui n’est pas non plus un fait unique dans la législation canadienne sur les droits de la personne. La Commission ontarienne des droits de la personne a publié une fiche d’information sur la discrimination raciale, la race et le racisme, où l’on peut lire :

La « race » est un motif de discrimination interdit par le Code des droits de la personne de l’Ontario (le « Code »), qui n’en donne pas de définition spécifique (comme c’est le cas pour la discrimination raciale). La race est un construit social à partir duquel on établit des différences entre les gens d’après l’accent ou la façon de parler, le nom, les vêtements et l’apparence, le régime alimentaire, les croyances et pratiques, les préférences en matière de loisirs, le lieu d’origine, etc. Le processus de construction sociale de la race est dit de « racialisation », un processus par lequel les sociétés assoient la notion que les races sont bien réelles, différentes et inégales, de façons qui importent pour la vie sociale, économique et politique.

[25] De même, dans le « Document de réflexion sur le racisme systémique » accessible sur son site Web, la Commission canadienne des droits de la personne souligne qu’en dépit du fait que la notion ne soit pas définie dans la LCDP, elle considère que la race « est une “construction sociale”, et non une caractéristique innée ou biologique des personnes ». Elle fait référence à la Stratégie de lutte contre le racisme du gouvernement du Canada, dans laquelle il est affirmé que « la société crée des idées de race en fonction de facteurs géographiques, historiques, politiques, économiques, sociaux et culturels ainsi que de traits physiques, bien qu’aucun de ces éléments ne puisse légitimement être utilisé pour classer les groupes de personnes ».

[26] La Commission, en s’appuyant sur le glossaire de la Fondation canadienne des relations raciales, note que l’on appelle « racialisation » ou « racisation » le « processus par lequel la société construit des groupes de personnes en fonction de caractéristiques comme la couleur de la peau, l’ethnicité, la langue, la situation économique, la religion, la culture, les convictions politiques, etc.” ».

[27] Sealy-Harrington et Watson Hamilton relèvent, dans leur article, que les tribunaux administratifs et les cours de justice partent du principe que le motif de discrimination de la « couleur » [traduction] « renvoie à une caractéristique physique visible – le ton ou la teinte de la peau, c’est-à-dire à l’apparence physique seule, sans composante culturelle » (p. 9). Les auteurs soulignent toutefois que [traduction] « le colorisme renvoie généralement à des hiérarchies fondées sur le spectre de la couleur de peau au sein d’un groupe racialisé, c’est-à-dire, à une différenciation intragroupe ». Ils précisent néanmoins que, selon leur conception, le colorisme est en réalité « multidirectionnel » quant aux personnes désavantagées, « et qu’il peut être aussi bien intergroupe qu’intragroupe » (aux pages 10 et 11).

[28] Pour le Tribunal, l’origine nationale fait référence à la nation ou au lieu d’origine d’une personne et s’applique, par exemple, aux affaires mettant en cause des travailleurs migrants ou des immigrants au Canada. L’origine ethnique diffère de l’origine nationale, bien que ces deux motifs soient souvent liés. Il n’y a là rien de surprenant, étant donné que la LCDP elle-même combine essentiellement les deux motifs au paragraphe 3(1), en les désignant comme « l’origine nationale ou ethnique ». Je considère que l’origine ethnique fait référence à l’ethnicité d’une personne ou à son appartenance à un groupe ethnique avec qui elle partage un bagage culturel commun ou des traditions communes, indépendamment de son origine nationale.

[29] Un exemple d’affaire du Tribunal dans laquelle l’origine nationale ou ethnique avait été citée comme motif de discrimination présumé est Rampersadsingh c. Wignall, 2002 CanLII 23563 (TCDP). Cette affaire concernait une plaignante originaire de Trinité, le pays désigné comme son origine nationale ou sa nationalité. La plaignante était d’ascendance sud-asiatique (ou, selon le terme utilisé dans la décision, originaire des « Indes orientales »), ce que le Tribunal a défini comme étant son origine ethnique ou son ethnicité. La Trinité, comme le Canada, est un pays peuplé de personnes originaires de différentes régions du monde et ayant des origines nationales et ethniques diverses.

[30] Dans la présente affaire, il était tout à fait approprié pour M. Kapoor – en tant que personne d’ascendance sud-asiatique ayant immigré au Canada depuis l’Inde – d’énumérer les quatre motifs de distinction illicite, étant donné qu’ils ont certainement tous joué un rôle dans la manière dont il a été traité par les intimés. M. McDougall a fait référence à M. Kapoor de diverses manières qui seraient généralement reconnues comme étant « racistes », et qui mentionnent ou concernent sa couleur, son origine nationale ou ethnique et sa race. Les témoins de M. Kapoor ont déclaré que M. McDougall leur avait fait des remarques de ce type sur M. Kapoor et d’autres conducteurs d’ascendance sud-asiatique.

(ii) M. Kapoor a subi un traitement défavorable dans le cadre de son emploi

[31] Pour satisfaire au deuxième critère constitutif de la preuve prima facie, M. Kapoor doit établir les trois facteurs énoncés à l’alinéa 7b) de la LCDP, à savoir : a) qu’il a subi un traitement défavorable; b) qu’il était un employé; c) que les intimés ont agi dans le cadre du travail au moment du traitement défavorable.

[32] J’exposerai d’abord les éléments de preuve fournis à l’audience par le plaignant et ses témoins en rapport avec ces trois facteurs de l’alinéa 7b), puis je jugerai si chaque facteur a été établi.

(iii) Faits

[33] Le 12 octobre 2017, M. Kapoor a signé avec LTL un contrat appelé [traduction] « Entente de location avec le propriétaire-exploitant » (l’« Entente de location ») dans laquelle il acceptait de prendre et de livrer des chargements pour LTL en utilisant son propre camion et les remorques de LTL. Selon l’entente de location, il devait recevoir 78 % du montant facturé pour la livraison du chargement, alors que LTL recevrait 22 %, bien que M. Kapoor ait déclaré que cette répartition avait finalement été modifiée, et qu’il recevait 80 % alors que LTL recevait 20 %. M. Kapoor était responsable des frais de carburant et de l’entretien de son camion, mais LTL était responsable de l’entretien de ses remorques.

[34] M. Kapoor a témoigné que LTL avait payé pour les plaques d’immatriculation et l’assurance de son camion, puis avait déduit ces frais de sa rémunération. Il a témoigné que M. McDougall réservait les chargements pour ramassage par les conducteurs et indiquait à ceux-ci le montant de leur rémunération pour le transport. M. McDougall leur avait fourni des cartes de carburant et les permis nécessaires pour transporter leur chargement particulier dans les territoires concernés. Afin de rembourser LTL pour le montant débité sur les cartes de carburant à la fin du mois, M. McDougall déduisait ce montant des paiements dus aux conducteurs. Il payait M. Kapoor par virements électroniques.

[35] Selon les modalités de l’entente de location, M. Kapoor devait conduire exclusivement pour LTL. Le contrat était valable pour une durée d’un an à la fois, jusqu’à ce que l’une ou l’autre des parties le résilie en en avisant l’autre partie par écrit. Le camion de M. Kapoor affichait le nom de LTL sur des autocollants amovibles, de sorte qu’une personne voyant son camion pouvait supposer qu’il travaillait pour LTL. L’entente de location stipulait que LTL louait l’équipement et les services de M. Kapoor, et qu’à ce titre, la société [traduction] « a[urait] la possession et l’usage de l’équipement, de même que son contrôle comme convenu par [M. Kapoor], et assumera[it] l’entière responsabilité de son exploitation, comme convenu par [M. Kapoor], pendant toute la durée de la location. »

[36] M. Kapoor a déclaré que le propriétaire et gérant de LTL, M. McDougall, était la seule personne avec laquelle il traitait chez LTL, et la seule qui, à sa connaissance, y travaillait. M. Kapoor a témoigné qu’il parlait à M. McDougall par téléphone, par message texte ou par courriel plusieurs fois par jour à l’époque où il conduisait pour lui. Il a déclaré que les choses avec LTL s’étaient déroulées sans problème et de manière professionnelle pendant les six premiers mois environ. M. McDougall le payait pour ses déplacements, et M. Kapoor s’occupait parfois de l’entretien des remorques de LTL, même si ce n’était pas sa responsabilité. M. McDougall l’en félicitait.

[37] M. Kapoor a indiqué dans son témoignage qu’au cours des six à huit derniers mois pendant lesquels il avait travaillé pour LTL, la relation avec M. McDougall était devenue [traduction] « très mauvaise ». Il a indiqué que ses paiements avaient commencé à être retardés, et qu’ils étaient incomplets, et que, lorsqu’il demandait à M. McDougall s’il serait payé, ce dernier lui [traduction] « lui parlait rudement ». M. Kapoor a déclaré qu’alors qu’il s’exprimait ainsi avec rudesse, M. McDougall avait tenu des propos discriminatoires à son endroit.

[38] M. Kapoor a déclaré que M. McDougall n’était pas honnête au sujet du montant que les livraisons lui rapporteraient. Par exemple, il disait à M. Kapoor qu’un travail lui rapporterait 7 000 $, alors qu’il devait en réalité rapporter 10 000 $, de manière à lui verser 80 % du plus bas de ces montants et à garder le reste pour lui. M. Kapoor a déclaré que M. McDougall l’accusait également d’endommager ses remorques. M. Kapoor a affirmé qu’en fait, il prenait grand soin de l’équipement de LTL, et que M. McDougall le complimentait même à ce sujet, en le comparant favorablement aux autres conducteurs. M. McDougall utilisait ces fausses accusations comme prétexte pour refuser de payer M. Kapoor.

[39] M. Kapoor a également témoigné que, parfois, lui-même ainsi que d’autres conducteurs travaillant pour LTL étaient [traduction]« interceptés dans des zones d’inspection » et recevaient des contraventions pour diverses infractions telles que la possession de documents et de permis falsifiés fournis par LTL, ou encore en raison de l’état défectueux des remorques de l’entreprise. La témoin de M. Kapoor, Mme Alexander, a corroboré le témoignage de ce dernier concernant le mauvais état des remorques de LTL. Elle a déclaré qu’elle devait effectuer les réparations à ses frais, et que LTL refusait de la rembourser. Mme Alexander a confirmé les déclarations de M. Kapoor selon lesquelles M. McDougall fournissait parfois aux conducteurs des permis falsifiés ou des photocopies de permis, ce qui est illégal et risquait d’attirer aux conducteurs des ennuis avec les gouvernements provinciaux.

[40] M. Kapoor a témoigné qu’il avait mis fin à sa relation de travail avec LTL et M. McDougall en raison du non-paiement des services qu’il avait fournis, ainsi que d’autres facteurs de stress liés à son travail, notamment la violence verbale de M. McDougall. M. Kapoor, qui n’avait pas été rémunéré depuis la mi-novembre, a transmis son avis de démission à M. McDougall le 22 décembre 2018, sous forme de message texte. Il y indiquait donner ainsi un préavis de 15 jours pour sa démission, et invoquait notamment le fait que les [traduction] « paiements [n’étaient] jamais faits dans les délais et [qu’il devait] constamment quémander pour obtenir [s]on argent », en plus de souligner que [traduction]« le salaire était très bas ». Dans son avis de démission, il a également déclaré qu’il réparait continuellement les remorques de LTL et qu’il payait de sa poche pour les erreurs des autres conducteurs. M. Kapoor a rappelé que M. McDougall avait promis de le payer pour le travail effectué, et il a évoqué la possibilité que cette promesse ait été oubliée. M. Kapoor a informé M. McDougall qu’il terminerait toutefois la livraison de son dernier chargement et qu’il lui indiquerait ensuite le kilométrage parcouru. Il a conclu son avis de démission de la manière suivante : [traduction] « Je me sens tellement mal Bob, s’il te plaît, dis-moi si je suis dans le tort ou si j’ai causé des dommages ou commis des erreurs dans le cadre de mes fonctions ». M. McDougall a répondu ce qui suit par texto à M. Kapoor le même jour : [traduction] « Varun, il n’y a pas à dire, t’as fait du très bon travail ».

[41] M. Kapoor a récupéré ses trois derniers chargements au Québec et en Ontario et, avant de les livrer dans l’Ouest canadien, il s’est arrêté à son domicile de Winnipeg le 23 décembre 2018. Il a informé M. McDougall qu’il souhaitait prendre trois jours de congé pour passer les fêtes de Noël avec sa famille avant de terminer la livraison. Cependant, M. McDougall a refusé et a pris des dispositions pour qu’un autre conducteur, Kevin St. John – qui était témoin à l’audience – conduise son propre camion jusqu’à Winnipeg afin d’y récupérer la remorque chargée de LTL. M. St. John a confirmé que le chargement était intact et en bon état lorsqu’il était allé chercher la remorque au domicile de M. Kapoor à Winnipeg. Il a déclaré avoir transporté le chargement jusqu’à sa propriété en Saskatchewan, où il a ensuite été récupéré par une autre personne en vue d’être livré à sa destination.

[42] M. Kapoor a remis au Tribunal un résumé indiquant que LTL lui devait 30 500 dollars pour le travail qu’il avait effectué. Dans un courriel envoyé à M. Kapoor le 13 janvier 2019, M. McDougall a reconnu les sommes dues à ce dernier, en faisant remarquer que l’entente de location lui accordait un délai de 60 jours pour effectuer le paiement, pourvu qu’[traduction]« il n’y ait aucun montant à exiger en contrepartie » de la part de M. Kapoor. M. McDougall a déclaré qu’il envisageait de verser le paiement à M. Kapoor avant cette échéance, mais qu’il devait d’abord en discuter avec son épouse. Il a également indiqué qu’il finaliserait le traitement du relevé de décembre de M. Kapoor et qu’il le lui ferait parvenir.

[43] M. Kapoor a témoigné que, peu après sa démission, M. McDougall avait commencé à lui envoyer des messages textes et des courriels contenant des propos offensants, racistes et discriminatoires. Un certain nombre de ces documents ont été déposés à l’audience.

[44] Dans le même courriel du 13 janvier 2019 adressé à M. Kapoor, M. McDougall a fait les déclarations suivantes :

[traduction]

● « Tu m’as pris en otage concernant des chargements qui devaient être transportés, et t’étais très impoli la majorité du temps, comme tous les autres gens de ton groupe. Aucun d’entre vous n’a la moindre idée de ce que ça coûte, de gérer une entreprise, absolument aucune. Vous les Indiens de l’Est, vous pensez que la part que je reçois, c’est de l’argent direct dans ma poche. »

● « T’en avais rien à faire de savoir si je survivais ou non. Bien souvent, mon compte bancaire est vide à cause d’erreurs de conducteurs, de retards ou de marchandises endommagées, et moi je suis jamais payé pour ça. Est-ce que t’en as quelque chose à foutre? Absolument pas. Comme le reste des Indiens de l’Est, c’est “chacun pour soi, tout pour moi et va te faire foutre, je m’en sacre si tu peux manger ou non, tant que j’obtiens tout gratuitement.” »

● « J’ai passé des heures à chercher les meilleures cargaisons, mais même des chargements de 17 000 $ sont pas suffisants pour toi, Varun, et pour les autres Indiens de l’Est. C’est seulement les gens de ton espèce qui réagissent comme ça – les autres sont très satisfaits de recevoir ce genre de cargaisons. Mais les Indiens de l’Est pensent avoir droit à davantage, ils veulent tout obtenir gratuitement. C’est ce que j’ai appris ces 18 derniers mois. C’est sûr que dès le départ, c’est une erreur de ma part d’en avoir embauché un, ça m’a causé un stress quotidien comme j’en avais jamais connu, et ça m’a fait bien du tort, alors que les conducteurs blancs, eux, sont très satisfaits de ce qu’ils gagnent. »

● « Vous, les Indiens de l’Est, vous devez travailler entre vous, et pas avec les autres, parce que votre sentiment d’avoir droit à tout dépasse largement ce qui est juste et inacceptable. »

● « J’ai essayé de t’aider gratuitement plusieurs fois, dans l’espoir que tu finisses par me témoigner de la reconnaissance, mais c’est jamais arrivé. Tu faisais juste vouloir et exiger toujours plus. Après tout, les gens de ton espèce se croient tout permis. »

● « Quant au fait que tes camions restent à l’arrêt, tout ce que je peux dire c’est que c’est ton choix – je m’en contrefous. C’est clair que la “vie facile” est maintenant terminée. Peut-être que tu devrais retourner dans ton pays, la vie y sera peut-être meilleure pour toi et ta famille. C’est peut-être la solution? »

[45] Dans un message texte envoyé à M. Kapoor le 28 février 2019, M. McDougall a écrit :

● « [...] t’as foutu le bordel, et toi et ton ami au cul basané que t’as heurté, vous êtes des menteurs ».

● « peut-être que toi et ton ami au cul basané, vous vous ferez expulser pour fraude à l’assurance ».

[46] M. Kapoor a répondu par le message qui suit : « Je te demande de ne pas me menacer. » Il a témoigné être d’avis que ce message de M. McDougall était discriminatoire, et que personne ne devrait avoir à tolérer un tel langage.

[47] Dans un message texte daté du 27 avril 2019, M. McDougall a allégué que M. Kapoor avait reçu et dissimulé de nombreuses contraventions, et que ces contraventions avaient failli lui faire perdre son autorisation d’exploitation. Il y écrivait : « [T]oi pis les autres gars de la même couleur, vous exagérez, vous mentez et vous réclamez de l’argent auquel vous avez pas droit, tout en causant des accidents et en refusant ensuite de payer pour les conséquences ».

[48] En réponse à ce message texte, M. Kapoor a répondu que M. McDougall était très raciste. Il a nié avoir reçu une quelconque contravention qui n’aurait pas été imputable à LTL, notamment pour avoir transporté des chargements surdimensionnés avec un permis inadéquat.

[49] Lorsqu’on lui a demandé, au cours de l’audience, s’il avait heurté quelqu’un – comme le laissait entendre le message texte de M. McDougall –, M. Kapoor a répondu qu’aucun accident n’avait eu lieu, et qu’il s’agissait d’une invention de M. McDougall visant à lui éviter de verser les sommes dues.

[50] Le 23 juillet 2019, M. McDougall a envoyé à M. Kapoor un courriel dans lequel il disait ce qui suit :

Varun, je peux juste souhaiter que tu disparaisses de la surface de la Terre. T’es un fauteur de troubles et un braillard, un vrai enfant de chienne. Après tout ce que j’ai fait pour toi, voilà comment tu me remercies : en accumulant les contraventions, en te plaignant constamment, en livrant jamais les chargements, en endommageant la marchandise. T’es un véritable déchet, peu importe ta couleur. Je suis pas raciste, comme t’essaies clairement de le prétendre, mais j’’ai aucune tolérance pour les opportunistes ignorants et stupides comme toi. T’es une pauvre merde qui veut vivre gratuitement au Canada aux dépens des autres. T’es un menteur et un fauteur de troubles, et j’en suis venu à te mépriser plus que n’importe qui d’autre. Si j’étais raciste, t’aurais jamais été embauché, c’est clairement une erreur que j’ai faite au départ. Tu m’as caché toutes tes infractions, sachant très bien que ça aurait certainement entraîné ton congédiement.

[51] Les trois témoins de M. Kapoor avaient également transporté des chargements pour LTL sous la direction de M. McDougall pendant des périodes qui recoupaient celles où M. Kapoor était employé par LTL. Aucun d’entre eux ne travaillait pour LTL au moment de l’audience. Et LTL devait de l’argent à tous pour des travaux qu’ils avaient effectués.

[52] Harwinder Singh Sran, qui est d’ascendance sud-asiatique comme M. Kapoor, a commencé à travailler pour LTL à peu près en même temps que M. Kapoor, en octobre 2017. Il possédait deux camions. Son expérience avec LTL est similaire à celle de M. Kapoor : il a d’abord été payé à temps, puis les paiements ont été retardés et ont cessé. Il a également fait l’objet de communications grossières et discriminatoires de la part de M. Kapoor, tant verbalement que par voie électronique, communications qu’il considérait comme racistes et qui faisaient référence à sa [traduction]« peau basanée » et aux [traduction]« gars à la peau basanée qui viennent de l’Inde ». Il a déclaré que c’est la raison pour laquelle il avait cessé de travailler pour LTL et trouvé du travail ailleurs.

[53] M. St. John a témoigné qu’il avait fait la connaissance de M. McDougall par l’intermédiaire d’un tableau de chargements, soit un babillard virtuel où les entreprises et les expéditeurs peuvent publier des chargements à livrer. Il avait commencé à transporter du foin du Montana à l’Alberta pour le compte de LTL, vers juillet 2018. M. St. John possède quatre camions routiers et ses propres remorques; il était donc dans une situation différente de celle de M. Kapoor. Il a expliqué que, puisqu’il détenait sa propre licence et son autorisation pour transporter des marchandises entre le Canada et les États-Unis, il ne travaillait pas pour LTL; cette entreprise n’était qu’une cliente parmi de nombreuses autres, au même titre que les courtiers et fournisseurs avec lesquels il collaborait. Il n’avait pas de contrat ou d’entente de location avec LTL, contrairement à M. Kapoor.

[54] M. St. John a déclaré avoir rencontré M. Kapoor lorsqu’il s’était rendu à Winnipeg, le 24 décembre 2018, pour reprendre le chargement que M. Kapoor avait acheminé depuis l’Ontario et le Québec pour le compte de LTL. Il a indiqué que M. McDougall affichait une position selon laquelle il se [traduction] « débarrassait » de M. Kapoor, car ce dernier ne lui avait apporté [traduction]« rien d’autre que des peines et des tracas, en plus de lui avait coûter des sommes d’argent considérables ». M. St. John a déclaré que, lorsqu’il avait parlé avec M. McDougall au sujet de la récupération du chargement auprès de M. Kapoor, il avait trouvé la conversation troublante et consternante, car M. McDougall tenait à l’égard de M. Kapoor des propos [traduction] « désobligeants, diffamatoires et racistes », que M. St. John a qualifiés de [traduction]« sombres et malveillants ». Il a déclaré que M. McDougall avait traité M. Kapoor à plusieurs reprises de « [mot en N] des sables » et dit qu’il était [traduction] « l’une de ces personnes à la peau basanée qui portent des serviettes sur la tête ». M. St. John a indiqué que M. McDougall avait également fait référence au fait que M. Kapoor était un immigrant, et ajouté : [traduction]« ils devraient tous être rassemblés et renvoyés dans leur pays d’origine ». Enfin, il a témoigné é que M. McDougall avait fait des remarques générales sur les conducteurs indiens en disant : [traduction] « les conducteurs exploitants indiens que j’ai engagés étaient tous les mêmes », et en les qualifiant de [traduction] « déchets ».

[55] Lorsqu’il a rencontré M. Kapoor à Winnipeg, le 24 décembre 2018, M. St. John a déclaré qu’il avait trouvé que M. Kapoor était un homme honnête et travailleur et qu’il était [traduction] « une âme très douce, une très belle âme ». Il a témoigné qu’après avoir rencontré M. Kapoor, il avait découvert la vraie nature de M. McDougall et avait commencé à penser que quelque chose n’allait pas chez lui, car sa description de M. Kapoor ne correspondait pas à la personne qu’il avait rencontrée. Il a également appris que M. Kapoor n’avait pas été payé pour les services qu’il avait fournis à LTL. Il avait trouvé cela préoccupant, car jusque-là, il avait été payé en temps voulu pour les chargements qu’il avait livrés pour le compte de LTL., M. St. John a déclaré qu’après avoir rencontré M. Kapoor, il avait commencé à prendre ses distances avec M. McDougall. Il avait transporté la remorque de Winnipeg jusqu’à sa propriété en Saskatchewan, où une autre personne était venue la récupérer. Il avait ensuite effectué un dernier transport pour le compte de LTL, pour lequel il n’a jamais été payé, et il a cessé de travailler avec LTL le ou vers le 3 janvier 2019. M. St. John a précisé avoir mis fin à sa relation professionnelle avec M. McDougall en raison de la description mensongère qu’il avait faite de M. Kapoor et des propos racistes qu’il avait tenus à son égard.

[56] Le troisième témoin de M. Kapoor, Karen Alexander, a témoigné qu’elle avait signé un contrat en 2018 pour transporter des marchandises pour LTL. Elle possédait son propre camion et tirait des remorques à plateau appartenant à LTL. Mme Alexander dispose de sa propre autorisation d’exploitation, tout comme M. St. John, et peut donc obtenir ses propres permis. Elle ne dépendait pas de LTL pour les obtenir. Elle connaissait M. Kapoor depuis plus de dix ans, car ils avaient livré des marchandises dans le Nord, en parcourant ensemble les routes de glace. Elle a déclaré avoir entendu M. McDougall qualifier M. Kapoor et d’autres personnes originaires de l’Inde de [traduction] « culs noirs », de [traduction] « culs basanés » et de [traduction] « têtes de chiffon ». Elle a déclaré que M. Kapoor était particulièrement visé par les commentaires racistes de M. McDougall parce qu’il s’était exprimé sur les problèmes au sein de LTL.

[57] Mme Alexander a témoigné que M. McDougall ne l’avait pas payée dans les délais prévus lorsqu’elle travaillait pour LTL, et que LTL lui devait également de l’argent.

a) Les intimés ont traité M. Kapoor défavorablement

[58] La Commission soutient que M. McDougall, en sa qualité de propriétaire et unique gestionnaire de LTL, a traité M. Kapoor défavorablement en cours d’emploi, de deux façons : premièrement, M. McDougall a retardé et retenu les sommes dues à M. Kapoor pour les services rendus au nom de LTL; deuxièmement, il a tenu des propos offensants et discriminatoires à l’égard de M. Kapoor, tant pendant son emploi qu’après sa démission. Les remarques en cause étaient directement liées à sa couleur, sa race et son origine nationale ou ethnique.

[59] Je suis d’avis que M. McDougall a défavorisé M. Kapoor au cours de leur relation d’emploi en retenant les paiements qui lui étaient dus et en tenant des propos discriminatoires à son égard.

b) M. Kapoor était un employé de LTL

[60] Pour que je puisse conclure que M. Kapoor a fait l’objet de discrimination de la part des intimés au sens de l’alinéa 7b) de la LCDP, je dois d’abord déterminer s’il existait une relation d’emploi au moment où le traitement défavorable s’est produit. Selon cette disposition de la LCDP, je dois parvenir à la conclusion que M. Kapoor était un employé .

[61] M. Kapoor a témoigné qu’en plus d’avoir déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne auprès de la Commission, il avait déposé une plainte auprès du Programme du travail en vertu de la partie III du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (le « CCT »), pour tenter de récupérer l’argent qui lui était dû par LTL. Le 19 septembre 2019, il a reçu une décision du Programme du travail l’informant que sa plainte avait été rejetée au motif qu’il [traduction] « n’exist[ait] aucune relation employeur-employé entre [lui] et LTL Transport Ltd., puisqu’[il] [était] un entrepreneur indépendant (propriétaire-exploitant) ».

[62] Je remarque que l’entente de location conclue entre M. Kapoor et LTL précise également qu’étant donné que M. Kapoor est un entrepreneur indépendant, [traduction] « il n’existe aucune relation employé-employeur entre [lui et LTL], de sorte que [M. Kapoor] est responsable de souscrire sa propre assurance contre les accidents du travail, de verser ses propres cotisations fiscales sur l’emploi et le revenu, etc. »

[63] La Commission soutient que, malgré les conclusions du Programme du travail du gouvernement fédéral et le libellé de l’entente de location, M. Kapoor peut être considéré comme un employé au sens de la LCDP. Elle a présenté des observations utiles sur ce point.

[64] L’article 25 de la LCDP définit le terme « emploi » comme incluant « le contrat conclu avec un particulier pour la fourniture de services par celui-ci ». Cet article a été examiné par le Tribunal, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale.

[65] Ainsi, dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Lapierre, 2004 CF 612 [Lapierre], la Cour fédérale s’est penchée sur la définition du terme « emploi » ajoutée à l’article 25 de la LCDP par le Parlement en 1998. Elle a déclaré que la définition ne comporte « aucune ambiguïté : le terme emploi comprend, pour les fins de la LCDP, le “contrat conclu avec un particulier pour la fourniture de services par celui-ci” » (au par. 31).

[66] Le Tribunal à son tour, a examiné plus avant la définition du terme « emploi » figurant à l’article 25. Il a jugé que le contrat visé par la définition « doit avoir été conclu avec un particulier » plutôt qu’avec une société, et qu’en outre, le contrat doit viser « la fourniture de services (plutôt que de biens) et que ceux-ci doivent être fournis par le particulier qui est partie au contrat » (Fick c. Loomis Express, 2022 TCDP 2 [Fick], au par. 78). Comme l’a observé le Tribunal au paragraphe 79 de la décision Fick, la « question fondamentale à trancher pour conclure à l’existence ou à l’absence d’une relation d’emploi dans un contexte lié aux droits de la personne est celle de savoir s’il existe un “contrôle exercé par un employeur à l’égard des conditions de travail et de la rémunération, et [une] dépendance correspondante du travailleur” » (McCormick c. Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L./s.r. l., 2014 CSC 39, au par. 23 [McCormick]).

[67] Même si cette analyse reposait sur la législation relative aux droits de la personne de la Colombie-Britannique, la Cour suprême du Canada a déclaré, dans l’arrêt McCormick, que « la jurisprudence confirme qu’il y a lieu d’interpréter de manière extensive la définition du mot “emploi” » (au par. 22). La Cour suprême a ensuite souligné, par exemple, que des entrepreneurs indépendants « ont été jugés être des employés visés par des lois sur les droits de la personne, même s’ils ne seraient pas considérés comme tels dans d’autres contextes juridiques » (au par. 22; faisant référence, entre autres, à Canadien Pacifique Ltée c. Canada (Commission des droits de la personne), 1990 CanLII 12536 (CAF)).

[68] Dans l’affaire Fick, le plaignant avait également déposé une plainte sous le régime du CCT, en alléguant avoir fait l’objet d’un congédiement injustifié. Un arbitre a conclu que M. Fick n’était pas un employé au sens du CCT et, par conséquent, qu’il n’avait pas compétence pour entendre la plainte pour congédiement injustifié. Cette décision a ultimement été confirmée par la Cour fédérale du Canada.

[69] Le Tribunal a estimé qu’il pouvait néanmoins se prononcer à savoir si M. Fick était un employé au sens de la LCDP, puisque la définition du terme « employé » figurant dans chacun des deux régimes législatifs différait . Le Tribunal a également tenu compte du principe bien connu selon lequel les décideurs doivent donner à la LCDP une interprétation large, libérale et fondée sur l’objet visé, pour « favoriser l’atteinte des objectifs stratégiques sous-tendant les lois sur les droits de la personne, qui sont quasi constitutionnelles, et rendre ces lois pratiques et accessibles sur le plan procédural » (Fick, au par. 90, renvoyant à McCormick).

[70] Bien que le Tribunal, dans la décision Fick, ait conclu que le plaignant n’était pas un employé au sens de l’article 7 de la LCDP, il a souligné que l’examen permettant d’établir si un particulier est un employé visé par cette loi constituait un « examen [...] hautement factuel » (au par. 81). Le Tribunal a exposé certains facteurs, établis à l’origine par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Rosin, 1990 CanLII 12957 (CA) [Rosin], qui peuvent aider à déterminer s’il existe une relation d’emploi, et qui sont notamment les suivants : 1) il existe une situation d’autorité, 2) une certaine rémunération est versée et 3) l’employeur allégué tire avantage du travail exécuté (au par. 79; voir également Lapierre, au par. 41). L’existence d’un contrat est un autre facteur à prendre en considération, bien qu’il ne soit pas déterminant.

[71] En l’espèce, M. Kapoor a signé un contrat avec LTL, soit l’entente de location. La Commission soutient que la relation entre M. Kapoor et les intimés, définie dans l’entente de location, satisfait aux critères établis par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Rosin, à savoir : 1) qu’il existait une situation d’autorité exercée par LTL sur M. Kapoor, comme en témoigne notamment le fait qu’il n’était autorisé à transporter des chargements que pour LTL pendant sa période d’emploi; 2) qu’une rémunération était versée par LTL à M. Kapoor pour les services fournis; 3) LTL a tiré un certain avantage du travail de M. Kapoor, comme en témoigne notamment la durée de l’entente de location (pour un an, plutôt que pour un seul chargement ou sur une base ponctuelle).

[72] La Commission souligne qu’en dépit du fait que la décision Fick présente des faits similaires à ceux de la plainte de M. Kapoor, car elle s’inscrit dans le contexte du transport routier, il convient d’établir une distinction avec la présente affaire, pour plusieurs raisons. La Commission fait valoir que, contrairement à la situation dans l’affaire Fick, M. Kapoor était lié par une entente de location avec LTL en tant que propriétaire exploitant. L’entente de location a été conclue personnellement avec M. Kapoor, à titre individuel, et non avec une entreprise constituée en société. L’entente conclue entre LTL et M. Kapoor portait sur la fourniture de services, et non de marchandises, et les services étaient fournis par M. Kapoor en tant que partie au contrat.

[73] Enfin, contrairement à la situation dans l’affaire Fick, M. Kapoor était tenu de fournir ses services exclusivement à LTL et ne pouvait effectuer de livraison pour d’autres clients. Il était également tenu d’afficher le nom de LTL sur son camion.

[74] La Commission fait valoir que tous ces éléments témoignent d’un degré élevé de dépendance et de vulnérabilité, soit précisément le type de situation que la LCDP vise à protéger. Par conséquent, elle soutient que M. Kapoor ne correspond pas au profil d’entrepreneur indépendant exclu de la protection offerte par la LCDP dont il était question dans la décision Fick.

[75] Je conviens avec la Commission que les faits propres à l’espèce démontrent que la relation de M. Kapoor avec les intimés relève de la définition d’« emploi » à l’article 25 de la LCDP. L’entente de location qu’a signée M. Kapoor a eu pour effet d’établir entre lui et LTL une relation contractuelle dans le cadre de laquelle il devait fournir personnellement des services et travailler exclusivement pour LTL pendant la période pertinente. Je conviens que, pendant la période où l’entente de location était en vigueur (y compris les 15 jours suivant l’avis de résiliation donné le 22 décembre 2018), il était un employé des intimés au sens de l’alinéa 7b) de la LCDP.

c) Le traitement défavorable de la part des intimés a eu lieu en cours d’emploi

Les éléments de preuve établissent que, lorsque M. Kapoor a demandé à M. McDougall de le payer pour le travail qu’il avait effectué pour LTL, M. McDougall lui a répondu en tenant des propos incontestablement racistes. J’estime que les intimés ont agi de la sorte tant avant qu’après que M. Kapoor leur ait transmis son avis de résiliation de l’entente de location. Pendant toute la période où il a retenu les paiements dus à M. Kapoor et tenu des propos méprisants et racistes à son égard, aussi bien verbalement que par écrit, M. McDougall représentait LTL et agissait dans le cadre de ses fonctions en tant que propriétaire et unique gestionnaire de l’entreprise.

(iv)La race, la couleur et l’origine nationale ou ethnique de M. Kapoor ont été des facteurs dans le traitement défavorable qu’il a subi

[76] Pour satisfaire au troisième élément de l’analyse relative à la preuve prima facie de discrimination, M. Kapoor doit démontrer qu’il existe un lien entre les deux premiers éléments. La caractéristique protégée n’a pas à être l’unique mobile du traitement défavorable, et il n’est pas non plus nécessaire d’établir l’existence d’un lien de causalité (voir p. ex., Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), au par. 25).

[77] Le Tribunal a reconnu à de nombreuses reprises qu’il est souvent difficile de prouver la discrimination au moyen d’une preuve directe, car la discrimination flagrante est rare. Selon l’alinéa 7b) de la LCDP, le traitement défavorable fondé sur un motif de distinction illicite peut être direct ou indirect. Le rôle du Tribunal est d’examiner tous les éléments de preuve pour déterminer s’il s’en dégage de « subtiles odeurs » de discrimination (Basi c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP) [Basi]). Dans les affaires comportant des preuves circonstancielles de discrimination, le Tribunal peut tirer une conclusion de discrimination lorsque la preuve présentée à l’appui rend cette conclusion plus probable que d’autres explications ou hypothèses possibles (Basi).

[78] En l’espèce, il existe un grand nombre d’éléments de preuve directe de communications racistes adressées à M. Kapoor par M. McDougall sous forme de courriels et de messages textes. Il s’agit d’une affaire où la conduite offensante, au moins après la résiliation de l’entente de location, est flagrante. Il semble évident que la Commission aurait probablement dû renvoyer la plainte au Tribunal sur le fondement de l’alinéa 14(1)c) de la LCDP au lieu de l’alinéa 7b), ou du moins en complément de celui-ci, comme elle l’a fait dans d’autres affaires. Le Tribunal a déjà statué que le harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite qui survient après la fin d’un emploi, mais qui a un lien avec celui-ci, constitue un acte discriminatoire au sens de l’alinéa 14(1)c) (voir la décision Duverger c. 2553-4330 Québec Inc. (Aéropro), 2019 TCDP 18).

[79] Toutefois, bien que les propos racistes écrits par M. McDougall à M. Kapoor l’aient été après la fin de son emploi chez LTL, je reconnais que la race, la couleur et l’origine nationale ou ethnique de M. Kapoor ont constitué des facteurs dans le traitement défavorable qu’il a subi au cours de son emploi. Ce traitement consiste notamment en l’utilisation, par M. McDougall, d’un langage discriminatoire à l’égard de M. Kapoor et du fait qu’il ne l’ait pas payé dans les délais prévus, voire pas du tout, pour le travail effectué pour LTL. Les éléments de preuve rendent cette inférence plus probable qu’improbable.

[80] M. Kapoor a déclaré que M. McDougall avait utilisé un langage discriminatoire à son égard au cours de son emploi, alors qu’il lui [traduction] « parlait rudement » lorsque M. Kapoor demandait à être payé ou formulait des plaintes concernant des enjeux liés au travail. J’accepte le témoignage de M. Kapoor à ce sujet. Les éléments de preuve permettent de conclure qu’il est plus probable qu’improbable que ce traitement défavorable se soit produit, étant donné les remarques racistes répétées de M. McDougall après la résiliation de l’entente de location, et vu les dépositions des témoins de M. Kapoor selon lesquelles, au cours de l’emploi de M. Kapoor chez LTL, M. McDougall avait tenu des propos racistes au sujet de ce dernier et d’autres personnes originaires de l’Inde.

[81] Chaque fois que M. Kapoor demandait à être payé ou contredisait M. McDougall de quelque manière que ce soit après la résiliation de l’entente de location, M. McDougall réagissait par écrit de manière plutôt virulente, allant même jusqu’à menacer M. Kapoor de le poursuivre pour avoir endommagé une remorque que, selon la preuve présentée au Tribunal, M. Kapoor n’avait pas endommagée. Les communications écrites envoyées à M. Kapoor par M. McDougall contiennent des propos explicitement et manifestement racistes faisant référence à la race, à la couleur ou à l’origine ethnique ou nationale de M. Kapoor.

[82] Le témoignage de Mme Alexander appuie également la conclusion selon laquelle les caractéristiques protégées de M. Kapoor ont été des facteurs dans le traitement défavorable que M. McDougall a réservé à M. Kapoor au cours de son emploi chez LTL. Elle a déclaré que, bien que M. McDougall ait eu une attitude négative à l’égard des personnes originaires de l’Inde et qu’il ait tenu en sa présence des propos racistes au sujet d’autres conducteurs sud-asiatiques, il s’en était pris particulièrement à M. Kapoor, car ce dernier dénonçait les problèmes au sein de LTL, ce que M. McDougall n’appréciait pas. Elle a confirmé le témoignage de M. Kapoor selon lequel M. McDougall blâmait des conducteurs comme lui pour des dommages causés à ses remorques, alors que c’était plutôt lui qui les entretenait mal. Elle a également affirmé qu’il fournissait des permis falsifiés ou photocopiés aux conducteurs, ce qui risquait de leur attirer des ennuis avec les gouvernements provinciaux. Mme Alexander a déclaré qu’il avait tenu des propos racistes à l’égard de M. Kapoor et d’autres conducteurs indiens, les traitant de [traduction]« têtes de chiffon », de [traduction]« culs basanés » et de [traduction]« culs noirs ».

[83] M. Sran a confirmé que M. McDougall avait tenu des propos racistes similaires à son égard et à l’égard d’autres conducteurs indiens pendant la période où M. Kapoor travaillait pour LTL. M. St. John a également témoigné au sujet des insultes racistes et odieuses que M. McDougall avait utilisées pour qualifier M. Kapoor lorsqu’il lui avait demandé de récupérer la remorque auprès de M. Kapoor à Winnipeg, en décembre 2018.

[84] J’estime que les remarques que M. McDougall a faites à Mme Alexander et M. St. John au sujet de M. Kapoor, remarques qui étaient directement liées à sa couleur, à sa race et à son origine nationale ou ethnique, ont été formulées alors que M. Kapoor était encore employé par LTL. Les propos racistes ont été tenus par M. McDougall auprès de M. St. John un jour ou deux après que, le 22 décembre 2018, M. Kapoor eut donné un préavis de 15 jours de la résiliation de l’entente de location, c’est-à-dire lorsque M. McDougall avait fait appel à M. St. John pour qu’il aille chercher la remorque à Winnipeg. Ces propos démontrent que M. McDougall a fait subir un traitement défavorable à son employé, M. Kapoor, sur le fondement de motifs de distinction illicite, même si M. Kapoor n’était pas présent pour entendre ce qu’il disait à son sujet.

[85] Compte tenu des remarques racistes faites à des tiers par M. McDougall au sujet de M. Kapoor durant son emploi chez LTL, ainsi que des propos racistes tenus directement à M. Kapoor après la résiliation de l’entente de location – alors que ce dernier réclamait le paiement des services rendus en cours d’emploi – il est raisonnable de conclure que M. McDougall a tenu des propos racistes similaires à M. Kapoor au cours de son emploi, notamment lorsqu’il soulevait des préoccupations concernant notamment les retards de paiement, les réparations de remorques ou des problèmes avec les permis. J’estime qu’il est plus probable qu’improbable que les [traduction] « rudes paroles » tenues par M. McDougall durant l’emploi de M. Kapoor comportaient des propos faisant référence à la race, à la couleur et à l’origine nationale ou ethnique de ce dernier, et qu’elles étaient donc discriminatoires.

[86] En ce qui concerne les retards de paiement ou le défaut de M. McDougall d’effectuer le paiement des sommes dues à M. Kapoor au cours de l’emploi de celui-ci chez LTL, je souligne que tous les témoins de M. Kapoor ont déclaré que M. McDougall leur devait également de l’argent. M. Sran, également originaire de l’Inde, a déclaré que LTL lui devait une importante somme d’argent (plus de 80 000 dollars) et que M. McDougall avait tenu des propos racistes de même nature à son égard. M. John et Mme Alexander, qui ne sont pas d’ascendance sud-asiatique, ont déclaré que M. McDougall leur devait également de l’argent, mais moins qu’il n’en devait à M. Sran et M. Kapoor.

[87] Je partage l’avis de la Commission selon lequel le fait que M. St. John et Mme Alexander, deux personnes « blanches », aient également des sommes à recevoir de LTL ne signifie pas que le défaut de payer M. Kapoor n’était pas motivé par des considérations raciales. Il est possible d’avoir de mauvaises pratiques d’entreprise tout en étant motivé, consciemment ou non, par des facteurs discriminatoires. En effet, la législation sur les droits de la personne ne se préoccupe pas des motivations ou des intentions des auteurs des actes discriminatoires, mais plutôt des effets de la discrimination sur la victime.

[88] À ses demandes adressées à M. McDougall pour être payé après avoir donné un préavis de 15 jours de résiliation de l’entente de location, M. Kapoor a reçu de sa part des réponses écrites contenant des propos extrêmement offensants, qui faisant référence à sa couleur (par exemple, [traduction]« cul brun » et [traduction]« ta couleur »), à son origine nationale ou ethnique (par exemple, [traduction]« tu devrais retourner dans ton pays », [traduction]« vous les Indiens de l’Est » et [traduction]« votre espèce ») et par des commentaires stéréotypés et racistes à propos des [traduction]« Indiens de l’Est ». M. McDougall a toutefois reconnu devoir un montant à M. Kapoor pour le travail qu’il avait accompli, en ajoutant qu’il disposait de 60 jours après la fin de l’entente de location pour le lui verser.

[89] J’estime qu’il est plus probable qu’improbable que l’attitude raciste manifestée par M. McDougall en réponse à la demande de paiement de M. Kapoor après la fin de l’entente de location était également présente au cours de l’emploi de celui-ci chez LTL, et qu’elle a influencé la décision de M. McDougall de retarder les paiements dus à M. Kapoor ou de s’abstenir de les effectuer. Je conviens que la race, la couleur et l’origine nationale ou ethnique de M. Kapoor sont autant de facteurs qui ont contribué, tant pendant qu’après son emploi, aux retards et aux défauts de paiement de la part de M. McDougall relativement aux services fournis conformément à l’entente de location.

d) Conclusion : M. Kapoor a établi avoir fait l’objet de discrimination de la part des intimés

[90] M. Kapoor a établi que les motifs de distinction illicite que sont sa race, sa couleur et son origine nationale ou ethnique ont été des facteurs dans le traitement défavorable que les intimés lui ont fait subir en tant qu’employé de LTL. Les éléments de preuve présentés à l’audience m’amènent à conclure que M. Kapoor a établi, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’une preuve prima facie de discrimination.

[91] Dès lors, les intimés peuvent présenter soit des éléments de preuve réfutant l’allégation de discrimination prima facie, soit une défense justifiant la discrimination au titre de l’article 15 de la LCDP, ou les deux (voir Bombardier, au par. 64). Bien que M. McDougall ait déposé un exposé des précisions et des répliques au nom de LTL dans le cadre des procédures préalables à l’audience, il a axé sa défense sur la contestation du processus en matière de droits de la personne, en niant être raciste et en accusant M. Kapoor d’avoir commis de multiples infractions routières. Il a affirmé que ces infractions avaient failli faire perdre à LTL son autorisation de circuler et que M. Kapoor avait endommagé les remorques de LTL ainsi que d’autres équipements. Les intimés n’ont pas participé à l’audience et, par conséquent, ils n’ont présenté aucun élément de preuve à l’appui de telles allégations, non plus qu’ils n’ontavancé d’explication autre que la discrimination pour justifier leur conduite discriminatoire prima facie.

[92] Pour déterminer s’il y a eu discrimination, le Tribunal doit se fonder sur les éléments de preuve présentés à l’audience. Et, en l’espèce, la preuve établit clairement que les intimés ont fait preuve de discrimination à l’égard de M. Kapoor, en contravention de l’alinéa 7b) de la LCDP, en raison de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique.

B. Question no 2 : M. Kapoor a droit aux réparations ci-après

[93] Le paragraphe 53(2) de la LCDP prévoit que si, à l’issue de l’instruction, le Tribunal juge la plainte fondée, il peut rendre une ordonnance à l’encontre de la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire. Dans la présente affaire, j’ai conclu que M. McDougall, en tant que propriétaire et unique gestionnaire de LTL, s’est livré à des actes discriminatoires au sens de l’article 7 de la LCDP.

[94] Le but d’une ordonnance de réparation rendue en vertu de la LCDP n’est pas de punir l’intimé, mais d’accorder une réparation intégrale au plaignant, c’est-à-dire, de le replacer dans la position où il se serait trouvé, n’eût été la discrimination (Hughes c. Canada (Procureur général), 2019 CF 1026 [Hughes], au par. 36). Le Tribunal doit également veiller à prévenir et à éliminer la discrimination en élaborant des réparations visant à éduquer les personnes au sujet des droits protégés par la LCDP.

[95] Le Tribunal doit exercer son large pouvoir discrétionnaire en matière de réparation de manière raisonnable, et en obéissant à des principes. Il doit aussi tenir comptedes circonstances particulières de l’affaire, des éléments de preuve présentés à l’audience et du lien qui existe entre l’acte discriminatoire commis et les pertes alléguées (Tanner c. Première Nation Gambler, 2015 TCDP 19, au par. 161).

(i) Dommages-intérêts pour préjudice moral

[96] Le Tribunal peut accorder jusqu’à 20 000 $ pour le préjudice moral causé par un acte discriminatoire (al. 53(2)e) de la LCDP). M. Kapoor demande au Tribunal de lui accorder ce montant maximal au titre du préjudice moral qu’il a subi, et la Commission, quant à elle, fait valoir que M. Kapoor devrait recevoir une indemnité qui correspond au montant maximal permis de 20 000 $, ou qui s’en approche. La Commission soutient que le caractère manifeste, explicite et soutenu des propos offensants, racistes et discriminatoires tenus par M. McDougall à M. Kapoor – notamment par messages textes et courriels – ainsi que le fait qu’il ait exprimé des remarques similaires à son sujet à des tiers comme M. St. John et Mme Alexander – un fait rare dans la jurisprudence du Tribunal –, justifie l’octroi d’un montant se situant dans la tranche supérieure de l’échelle.

[97] M. Kapoor a témoigné que les propos racistes de M. McDougall l’avaient profondément heurté et insulté. Il s’était senti blessé, déshumanisé. Il avait aussi été bouleversé, perturbé et stressé. M. Kapoor a dit avoir été en arrêt de travail pendant une longue période après son emploi chez LTL, en raison du stress causé par le traitement que lui avait réservé M. McDougall. Il a déclaré que, durant l’année qui avait suivi la fin de sa relation d’emploi avec LTL, il avait souffert de dépression et d’hypertension, et avait dû prendre des médicaments, alors qu’il n’avait jamais éprouvé de problèmes de santé auparavant et avait toujours été en excellente santé. M. Kapoor a présenté des dossiers médicaux comme preuve des répercussions de la discrimination sur sa santé, notamment de l’insomnie et de l’anxiété.

[98] M. Kapoor a déclaré que personne ne devrait avoir à tolérer le type de langage que M. McDougall avait employé à son sujet Il a ajouté qu’en tant qu’immigrant, il vit constamment dans la crainte d’être expulsé du Canada. Ainsi, le fait qu’une personne l’ait menacé d’expulsion l’avait fait se sentir très humilié, inférieur et insécure. Par [traduction]« insécure », j’ai compris qu’il voulait dire qu’il ne se sentait pas en sécurité. Il a déclaré qu’il avait travaillé très fort depuis son arrivée au Canada, qu’il était venu ici pour offrir une vie meilleure à sa famille et que le fait d’avoir été l’objet de tels propos de la part de M. McDougall, qui est né au Canada, l’avait fait se sentir [traduction]« insécure », en colère, blessé et apeuré.

[99] Les dommages-intérêts au titre du préjudice moral visent à indemniser le plaignant, dans la mesure du possible, pour le préjudice qu’il a subi et les difficultés qu’il a éprouvées en raison de la discrimination, y compris toute atteinte à sa dignité (Young c. Via Rail Canada Inc., 2023 TCDP 25 [Young], au par. 308). Le Tribunal a statué à de nombreuses reprises que le montant maximal de 20 000 $ est généralement réservé aux cas de discrimination les plus flagrants (Young, au par. 307). Il doit également y avoir un lien de causalité entre les dommages-intérêts demandés et l’acte discriminatoire (Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268, au par. 32).

[100] Le Tribunal a déjà reconnu qu’au moment de décider s’il y a lieu d’accorder des dommages-intérêts au titre du préjudice moral, il convient d’examiner à la fois la gravité objective de l’acte discriminatoire et l’effet de la discrimination sur la victime (Christoforou c. John Grant Haulage Ltd., 2021 TCDP 15 [Christoforou], au par. 104, citant Arunachalam v. Best Buy Canada, 2010 HRTO 1880, au par. 52 et Sanford v. Koop, 2005 HRTO 53, au par. 35).

[101] Je suis d’avis que M. Kapoor a subi un préjudice moral en raison de la discrimination dont il a été victime. En ce qui concerne la gravité objective de la conduite, j’ai examiné la nature de la discrimination subie par M. Kapoor, laquelle consistait principalement en des remarques racistes formulées verbalement et par écrit lorsque M. Kapoor avait soulevé des préoccupations liées à ses conditions de travail, notamment le non-paiement pour le travail effectué pour LTL. Il est difficile d’imaginer des propos sur l’identité d’une personne qui soient plus préjudiciables que ceux en cause. M. McDougall a émis des remarques ignobles et racistes qui touchaient au cœur de l’identité de M. Kapoor en tant qu’immigrant au Canada, et en tant que personne qui est venue d’Inde pour offrir une vie meilleure à sa famille, et qui a travaillé dur pour y parvenir. M. McDougall a fait en sorte que M. Kapoor ne se sente plus en sécurité en suggérant qu’il devrait être expulsé du pays, ce qui, selon M. Kapoor, est une tactique qui peut être utilisée contre les immigrants pour qu’ils se sentent moins en sécurité au Canada, même s’ils sont ici en toute légalité.

[102] M. Kapoor a déclaré que la façon dont M. McDougall l’avait traité, notamment en s’abstenant de le payer, l’avait amené à décider de résilier l’entente de location, un geste lourd de conséquences, étant donné qu’il s’agissait de sa seule source de revenus pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille à l’époque.

[103] En examinant les effets de la discrimination sur M. Kapoor, j’ai également tenu compte de son contexte social ou de sa vulnérabilité (Bilac c. Abbey, Currie et NC Tractor Services Inc., 2023 TCDP 43, au par. 147, renvoyant à Torres v. Royalty Kitchenware Ltd., 1982 CanLII 4886 (ON HRT); Gichuru v. Law Society of British Columbia (No. 2), 2011 BCHRT 185 (CanLII) (conf. par 2014 BCCA 396), au par. 260). En l’espèce, la vulnérabilité de M. Kapoor découle de son statut d’immigrant et de son appartenance à un groupe racialisé. Il a témoigné au sujet de la peur et de l’anxiété causées par les propos de M. McDougall selon lesquels il devrait être expulsé, et de la manière dont ce type de langage pouvait être utilisé pour intimider les immigrants au Canada.

[104] M. Kapoor a déposé sa plainte sur le fondement non seulement de son origine nationale, en tant que personne originaire de l’Inde ayant immigré au Canada, mais aussi de sa race, de sa couleur et de son origine ethnique. La LCDP prévoit que les motifs de distinction illicites peuvent se chevaucher ou être interreliés. Ainsi, l’article 3.1 de la LCDP dispose que les « actes discriminatoires comprennent les actes fondés sur un ou plusieurs motifs de distinction illicite ou l’effet combiné de plusieurs motifs ». La Cour d’appel fédérale a fait référence à cet article comme traitant des motifs « interreliés » ou « combinés » de discrimination (Turner c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 159 [Turner], au par. 48; Jagadeesh c. Banque Canadienne Impériale de Commerce, 2024 CAF 172 [Jagadeesh], au par. 80).

[105] Dans l’arrêt Turner, la Cour d’appel a reconnu que, dans certains cas, une analyse distincte de chacun des motifs multiples pourrait avoir pour effet de minimiser ce qui, en fait, constitue de la discrimination composée, car « chacun des motifs pris individuellement ne justifie pas une conclusion de discrimination, mais lorsque les motifs sont pris ensemble, il se peut qu’un tableau différent s’en dégage » (au par. 48). La Cour a souligné que l’analyse des motifs de distinction illicite ne doit pas faire en sorte de négliger « l’existence possible de la discrimination composée résultant de la combinaison » de plusieurs motifs (au par. 49).

[106] De même, dans l’arrêt Jagadeesh, la Cour d’appel fédérale a mis en garde contre un examen des motifs de distinction illicite selon une approche compartimentée, et précisé que la notion de motifs de discrimination interreliés ou combinés [traduction] « repose sur la reconnaissance du fait que, lorsque de multiples motifs de discrimination sont présents, leur effet combiné peut être supérieur à la somme de leurs effets individuels » (au par. 80).

[107] Dans son « Document de réflexion sur le racisme systémique », la Commission énonce qu’« [a]ppliquer une approche intersectionnelle signifie prendre en compte le fait qu’une personne possède plus d’une catégorie sociale ou d’une identité, et que ses expériences et sa vie sont influencées par ces autres catégories ou identités ». La Commission ajoute : « [l]e concept d’intersectionnalité reconnaît que différents types de discrimination se renforcent et s’influencent mutuellement. Les diverses catégories sociales auxquelles une personne appartient, comme sa religion, son origine ethnique, sa classe sociale, son sexe, ses capacités physiques ou mentales ou son orientation sexuelle, peuvent déterminer la nature de la discrimination à laquelle elle est confrontée dans sa vie ».

[108] En l’espèce, M. Kapoor a été victime d’une discrimination fondée sur sa race, sa couleur et son origine nationale ou ethnique. Ces motifs, qui se recoupent, constituent l’identité de M. Kapoor en tant qu’immigrant et personne racialisée, et ils aggravent les effets de la discrimination qu’il a subie, car les remarques de M. McDougall attaquaient de nombreux aspects de cette identité, tout en s’appuyant sur des stéréotypes racistes.

[109] Dans l’affaire André c. Matimekush-Lac John Nation Innu, 2021 TCDP 8 [André], où le Tribunal a accordé 17 000 $ pour préjudice moral, la plaignante avait présenté des documents médicaux et des rapports de psychologues qui comprenaient des diagnostics de trouble de l’adaptation, d’anxiété généralisée et de syndrome de stress post-traumatique. Les rapports confirmaient les répercussions de la discrimination et du harcèlement sur sa vie. Les symptômes de Mme André comprenaient la détresse, la tristesse, la fatigue récurrente, la perte d’appétit, l’insomnie, la perte d’espoir et des idéations suicidaires (aux par. 177 et 178).

[110] Bien qu’une preuve médicale ne soit pas requise pour établir l’existence du préjudice moral, en l’espèce, M. Kapoor a fourni une telle preuve à l’appui des effets que la discrimination a eus sur sa santé. J’accepte son témoignage selon lequel les effets de la discrimination sur M. Kapoor ont été très graves, et les répercussions sur sa santé physique et mentale, sa vie familiale, sa dignité et sa situation financière lui ont causé un préjudice moral. Vu la nature de la discrimination, du contexte social et de la vulnérabilité de M. Kapoor, ainsi que des effets que la discrimination a eus sur lui, compte tenu de la combinaison des motifs de distinction, je conclus qu’il est approprié et justifié d’accorder un montant se situant dans le haut de la fourchette.

[111] M. Kapoor a donc droit au montant de 20 000 $ au titre du préjudice moral.

(ii) Indemnisation spéciale pour discrimination délibérée ou inconsidérée

[112] Le Tribunal peut également octroyer un montant pouvant aller jusqu’à 20 000 $ s’il conclut que les intimés ont agi de manière délibérée ou inconsidérée (par. 53(3) de la LCDP). M. Kapoor demande l’indemnité maximale de 20 000 $ au titre du paragraphe 53(3) de la LCDP. La Commission appuie cette demande, compte tenu du fait que M. McDougall a fait les remarques en cause à des tiers, en plus de M. Kapoor lui-même. La Commission soutient que les propos de M. McDougall étaient très probablement délibérés, compte tenu de leur caractère répétitif et intentionnel. Elle soutient que ce type de comportement flagrant – à savoir les propos ouvertement discriminatoires et racistes dont M. Kapoor a fait l’objet – est rarement observé dans la jurisprudence relative à la LCDP.

[113] La Cour fédérale a interprété le paragraphe 53(3) comme étant une « disposition punitive visant à dissuader ou à décourager ceux qui se livrent de façon délibérée à des actes discriminatoires » (Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2013 CF 113, au par. 155, conf. par 2014 CAF 110 [Johnstone]). Pour conclure à son caractère délibéré, « il faut que l’acte discriminatoire et l’atteinte aux droits de la personne aient été intentionnels ». On entend par « acte inconsidéré » « celui qui témoigne d’un mépris ou d’une indifférence quant aux conséquences et d’une manière d’agir téméraire ou insouciante » (Johnstone, au par. 155).

[114] Au moment de décider d’accorder ou non une indemnité spéciale, le Tribunal doit se pencher sur le comportement de l’intimé, et non sur les effets qu’a eus son comportement sur la victime (Beattie et Bangloy c. Affaires autochtones et du Nord Canada, 2019 TCDP 45, au par. 210, conf. par 2021 CAF 245).

[115] J’estime que le comportement discriminatoire de M. McDougall était intentionnel, et je conclus donc qu’il a agi de manière délibérée et inconsidérée. Le fait qu’il ait été prêt à mettre ses remarques par écrit et à non seulement les adresser à M. Kapoor, mais à les faire aussi à d’autres personnes, témoigne d’une indifférence évidente à l’égard des conséquences de son comportement et des effets que ce comportement peut avoir sur autrui. Il a également arrêté de payer dans les délais son employé, M. Kapoor, pour finalement de ne plus le payer du tout, malgré l’entente qu’ils avaient conclue et le fait qu’il ait reconnu lui devoir les montants visés. Il savait qu’il privait son employé de la possibilité de gagner sa vie pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. J’ai conclu que les caractéristiques protégées de M. Kapoor ont constitué un facteur dans la décision de M. McDougall de ne pas le payer, ce qui rend discriminatoires les actions de ce dernier.

[116] Dans les affaires Young et André, les employeurs étaient conscients de la détérioration des relations entre les plaignantes et les personnes qui les harcelaient, mais ils n’ont pas agi comme il se devait pour intervenir et résoudre des situations toxiques et préjudiciables pour elles. Dans le cas de M. Kapoor, M. McDougall était à la fois son superviseur et le propriétaire de LTL. Il avait l’obligation de protéger son employé contre la discrimination en milieu de travail. Lorsque M. Kapoor a explicitement dit à M. McDougall qu’il faisait preuve de racisme, ce dernier a réagi en intensifiant les propos racistes à son endroit.

[117] Les faits de la présente affaire démontrent que la conduite de M. McDougall était de nature à justifier l’octroi de dommages-intérêts spéciaux se situant à l’extrémité supérieure de la fourchette, comme l’ont demandé M. Kapoor et la Commission.

[118] M. Kapoor a droit à une indemnité de 20 000 $ pour la discrimination délibérée et inconsidérée dont il a été victime.

(iii) Pertes de salaire

[119] Aux termes de l’alinéa 53(2)c) de la LCDP, le Tribunal peut indemniser la victime de la totalité ou de la fraction des pertes de salaires entraînées par l’acte discriminatoire. M. Kapoor a demandé au Tribunal d’ordonner aux intimés de lui verser la somme de 30 500 $, soit le montant qui lui est dû pour le travail effectué conformément à son entente de location avec LTL.

[120] Dans ses exposés finaux, la Commission fait valoir que, plutôt que de réclamer un salaire perdu pour une période postérieure à sa démission de LTL, M. Kapoor se limite à demander la somme de 30 500 $, laquelle correspond aux montants qui lui sont dus pour les services fournis durant sa période d’emploi.

[121] Lorsqu’un employé est congédié pour une raison discriminatoire, l’indemnité a pour but de le remettre dans la situation où il se trouverait, n’eût été la discrimination. Par ailleurs, l’« évaluation de la perte se fonde sur les circonstances de l’affaire, mais il doit toujours y avoir un lien de causalité entre la discrimination et la perte de revenu » (Hughes, au par. 37). Il incombe au plaignant de d’établir ce lien (André, au par. 126).

[122] L’exercice du pouvoir discrétionnaire du Tribunal d’accorder une indemnité pour la perte de salaire doit obéir à des principes, et la période au cours de laquelle il existe un lien de causalité doit être déterminée à la lumière des circonstances qui entourent chaque cas (Abadi c. TST Overland Express, 2023 TCDP 30, au par. 250). Pour ce faire, le Tribunal doit s’appuyer sur les éléments de preuve présentés à l’audience.

[123] J’ai conclu qu’il existait un lien entre la race, la couleur et l’origine nationale ou ethnique de M. Kapoor et le traitement défavorable qu’il a subi dans le cadre de son emploi, y compris le refus de M. McDougall de lui verser les sommes qui lui étaient dues. Le Tribunal a reçu des éléments de preuve indiquant que M. McDougall devait 30 500 $ à M. Kapoor pour le travail accompli durant son emploi chez LTL, et que M. McDougall reconnaissait que de l’argent était dû à M. Kapoor pour les services fournis. Je reconnais que les intimés lui doivent 30 500 $, et que M. Kapoor a été privé de ce montant en raison de la discrimination qu’il a subie, et qui est visée par l’alinéa 7b) de la LCDP.

[124] Les intimés sont condamnés à verser à M. Kapoor une indemnité de 30 500 $ pour perte de salaire. Au cours des procédures préalables à l’audience, le Tribunal a appris que LTL pourrait ne plus être en activité. Dans un courriel, daté du 25 octobre 2022, qui a été envoyé par M. McDougall à l’avocat de la Commission, et soumis au Tribunal dans le cadre de la requête visant à ajouter M. McDougall à titre d’intimé, M. McDougall déclarait : [traduction] « LTL n’existe plus [...], l’entreprise a cessé ses activités il y a quelques années ». Il ajoutait que LTL était [traduction] « fermée, dissoute, sans plus aucun actif ». Le Tribunal a reconnu qu’il était nécessaire d’ajouter M. McDougall comme intimé à la présente plainte afin de pouvoir la trancher de manière appropriée, en expliquant que « si LTL Transport Ltd. n’est plus en activité, la seule option viable qu’il reste à M. Kapoor pour faire instruire sa plainte est de la diriger désormais contre M. McDougall » (2024 TCDP 88, au par. 27).

[125] Les intimés LTL et M. McDougall sont conjointement et solidairement responsables de l’ensemble des indemnités pécuniaires ordonnées.

(iv)Mesures de redressement d’intérêt public

[126] La Commission souligne que, conformément à l’alinéa 53(2)a) de la LCDP, le Tribunal a le pouvoir discrétionnaire d’ordonner la prise de mesures de redressement. Elle soutient que, si le Tribunal conclut à une violation de la LCDP en l’espèce, il devrait ordonner deux mesures de redressement d’intérêt public. La première consiste à ordonner aux intimés de [traduction] « mettre fin à l’acte discriminatoire constaté par le Tribunal ». La seconde consiste à ordonner à M. McDougall de [traduction]« suivre une formation de sensibilisation aux droits de la personne dispensée par un tiers indépendant ayant une expertise en matière de lutte contre le racisme en milieu de travail » afin de remédier aux actes discriminatoires et de prévenir toute discrimination future.

[127] En plus d’indemniser les victimes d’actes discriminatoires, le pouvoir de réparation du Tribunal vise un autre important objectif de société : « prévenir la discrimination et servir d’outil de dissuasion et d’éducation » (Christoforou, au par. 119). Je suis d’avis que les deux mesures de redressement d’intérêt public proposées pourraient permettre de prévenir de futurs actes discriminatoires de la part des intimés en veillant à ce qu’ils se conforment à la LCDP, compte tenu surtout de leur absence de participation au processus du Tribunal et de leur position selon laquelle les communications de M. McDougall adressées à M. Kapoor n’étaient pas racistes.

[128] Il n’est pas clair si LTL existe encore et, par conséquent, si M. McDougall exploite actuellement cette entreprise ou toute autre. Toutefois, à supposer que M. McDougall soit toujours à la tête des activités de LTL, je lui ordonne de mettre fin aux actes discriminatoires constatés par le Tribunal, soit la tenue de propos racistes et la retenue des paiements dus aux employés, qui a un caractère discriminatoire. J’ordonnerai également que, s’il est toujours aux commandes de LTL, M. McDougall, dans l’année suivant la date de la présente décision, suive une formation de sensibilisation aux droits de la personne donnée par un tiers indépendant qui possède une expertise dans la lutte contre le racisme en milieu de travail, et qu’il fournisse à la Commission la preuve qu’il a suivi cette formation dans le mois suivant la fin de celle-ci.

VII. Ordonnance

[129] Il est ordonné aux intimés, LTL Transport Ltd. et Robert McDougall, de verser à M. Kapoor les montants suivants :

a. 20 000 $ pour le préjudice moral subi du fait de l’acte discriminatoire;

b. 20 000 $ au titre de la discrimination délibérée ou inconsidérée;

c. 30 500 $ d’indemnité pour pertes de salaire.

[130] Les intimés, LTL Transport Ltd. et Robert McDougall, sont condamnés à verser conjointement et solidairement ces montants à M. Kapoor.

[131] Si M. McDougall exploite toujours LTL, il doit mettre fin aux actes discriminatoires constatés par le Tribunal, soit la tenue de propos racistes et la retenue des paiements dus aux employés, qui a un caractère discriminatoire.

[132] J’ordonnerai également que, s’il est toujours aux commandes de LTL, M. McDougall, dans l’année suivant la date de la présente décision, participe à une formation de sensibilisation aux droits de la personne donnée par un tiers indépendant possédant de l’expertise dans la lutte contre le racisme en milieu de travail , et qu’il fournisse à la Commission la preuve qu’il a suivi cette formation dans le mois suivant la fin de la formation.

Signée par

Colleen Harrington

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 18 juillet 2025

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : HR-DP-2871-22

Intitulé de la cause : Varun Kapoor c. LTL Transport Ltd. et Robert McDougall

Date de la décision du Tribunal : Le 18 juillet 2025

Date et lieu de l’audience : Les 8 et 9 juillet 2024

Par visioconférence Zoom

Comparutions :

Varun Kapoor, pour son propre compte

Jonathan Bujeau , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Aucune comparution pour les intimés

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