Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2025 TCDP 67

Date : Le 11 juillet 2025

Numéro du dossier : T2252/0718

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Stacy White

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Laboratoires Nucléaires Canadiens

l’intimé

Décision

Membre : Jennifer Khurana

 


Table des matières

I. APERÇU 1

II. DÉCISION 2

III. ADMISSIBILITÉ DU RAPPORT DU DR. GOJER 2

IV. CONTEXTE FACTUEL 4

A. Les parties 4

B. L’incident survenu au travail 5

C. La reprise des contacts personnels entre Mme White et Mme Fleming 9

V. AUDIENCE ET PORTÉE DE LA PLAINTE 11

VI. QUESTIONS EN LITIGE 11

VII. CRÉDIBILITÉ 12

VIII. MOTIFS ET ANALYSE 14

A. Cadre juridique 14

B. Déficience 15

C. Question no 1 : Mme White a-t-elle établi une preuve prima facie de discrimination au sens de l’article 7 de la Loi compte tenu du fait que les LNC lui ont demandé de reprendre les contacts personnels avec Mme Fleming? 16

Mme White peut-elle être protégée contre la discrimination parce qu’elle était atteinte d’une déficience au cours de la période de référence? 17

Le Dr Durante 20

Le Dr Jeeva 24

Les médecins de la WSIB 26

Le Dr Gojer 26

Le Dr Bloom 28

Mme White 30

Brett Miller 31

La relation entre Mme White et Mme Fleming avant l’incident survenu au travail 35

L’incident survenu au travail et les différents récits de Mme White sur ce qui s’est passé 37

L’incident survenu au travail était-il suffisamment grave pour déclencher un TSPT? 40

Mme White n’a pas établi qu’elle était atteinte d’un TSPT pendant la période de référence 41

Les éléments de preuve n’établissent pas une limitation fonctionnelle et la nécessité d’éviter Mme Fleming pour des raisons de santé. 45

i. La plaignante a-t-elle subi un effet préjudiciable relié à son emploi? 53

D. Question no 2 : Dans l’affirmative, les LNC ont-ils démontré que les actes discriminatoires allégués étaient justifiés? 54

E. Question no 3 : Si les LNC ne peuvent justifier leurs actes, quelles mesures de réparations convient-il d’accorder en raison de la discrimination? 54

F. Question no 4 : Les LNC avaient-ils l’obligation de se renseigner sur l’état de santé de Mme White et sur ses besoins de soins médicaux? 55

G. Il n’existe pas d’obligation distincte de prendre des mesures d’adaptation ni d’« obligation de se renseigner » 55

IX. ORDONNANCE 58

 


I. APERÇU

[1] La plaignante, Stacy White, a été engagée par l’intimé, les Laboratoires Nucléaires Canadiens (les « LNC »), en tant qu’adjointe administrative. Tout allait bien jusqu’à ce qu’elle soit promue au poste de contrôleuse des coûts moins d’un an plus tard. Le 1er août 2013, Sue Fleming, la collègue de Mme White, a enserré le cou de cette dernière (l’« incident survenu au travail »). À la suite de l’incident, Mme White a été absente du travail pendant plusieurs semaines. À son retour, elle a été relocalisée à un autre étage et n’a pas eu à interagir en personne avec Mme Fleming. Elle espérait que les choses restent ainsi. Toutefois, au bout de six mois, les LNC ont demandé à Mme White et à Mme Fleming de reprendre les contacts personnels.

[2] Selon Mme White, l’incident survenu au travail et les interactions antérieures avec Mme Fleming ont provoqué chez elle des troubles de santé mentale invalidants qui l’ont obligée à éviter tout contact personnel avec celle-ci. Mme White fait valoir que les LNC n’ont pas tenu compte des besoins liés à sa déficience et du besoin qui en découlait en lui demandant de reprendre les contacts personnels avec Mme Fleming. Mme White a quitté les LNC en 2015 pour des raisons de santé qu’elle attribue à l’omission de son employeur de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de sa déficience, et elle n’est pas revenue. Elle réclame une indemnité d’un montant total de 796 661 $ pour les pertes qu’elle a subies, dont 450 000 $ de frais juridiques, 116 327 $ de débours, 190 334 dollars de perte de salaire, ainsi que des dommages et intérêts et un certain nombre de mesures de réparations et d’ordonnances d’intérêt public.

[3] La Commission souscrit à la thèse de Mme White et soutient que la preuve médicale démontre que Mme White était atteinte d’un trouble de stress post-traumatique (le « TSPT ») durant la période de référence, ce qui l’empêchait de travailler en personne avec Mme Fleming. La Commission soutient que les LNC savaient ou auraient dû savoir que Mme White était atteinte d’une déficience nécessitant des mesures d’adaptation et qu’ils ont manqué à leur obligation de prendre des mesures d’adaptation lorsqu’ils ont exigé que Mme White reprenne les contacts personnels avec Mme Fleming. La Commission demande un certain nombre de mesures de réparation d’intérêt public, notamment une révision de la politique et la mise en place de formations.

[4] Les LNC soutiennent qu’ils n’ont pas commis d’acte discriminatoire et font valoir que Mme White n’a pas établi une preuve prima facie, car elle n’était pas atteinte d’une déficience qui l’empêchait d’interagir en personne avec Mme Fleming au cours de la période d’août 2013 à mars 2015. Les LNC s’opposent au fait que l’incident survenu au travail a causé l’état de santé invalidant et maintiennent que la volonté d’éviter Mme Fleming était une préférence plutôt qu’une exigence d’ordre médical.

II. DÉCISION

[5] La plainte de Mme White est rejetée. Mme White n’a pas établi qu’elle était atteinte d’une déficience accompagnée d’une limitation fonctionnelle selon laquelle elle devait éviter Mme Fleming pendant la période de référence. Comme elle n’a pas établi que les LNC ont fait preuve de discrimination à son égard, Mme White n’a droit à aucune réparation au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « Loi »).

III. ADMISSIBILITÉ DU RAPPORT DU DR. GOJER

[6] Mme White cherche à s’appuyer sur le rapport d’expert que le Dr Gojer a produit après l’avoir examinée et avoir mené un entretien avec elle et son conjoint. Les LNC font valoir qu’il serait inéquitable sur le plan procédural de recevoir en preuve le rapport du Dr Gojer en raison de ma décision sur requête répertoriée sous la référence 2020 TCDP 37, où j’ai rejeté leur demande d’ordonner à Mme White de se soumettre à une évaluation psychiatrique rétrospective d’une durée de 4 à 6 heures relativement à son état de santé de 2013 à 2015, laquelle serait effectuée par le Dr Bloom. Les LNC souhaitaient que le Dr Bloom puisse interroger des tiers tels que le conjoint de la plaignante, ses collègues et ses amis. Ils affirment que depuis ma décision, Mme White a engagé le Dr Gojer, qu’elle l’a autorisé à les interroger, elle et son conjoint, et qu’il serait inéquitable de permettre à Mme White de s’appuyer sur un rapport qui comprend un examen en personne, alors que les LNC ne peuvent le faire.

[7] Les LNC soutiennent que pour être admis, le rapport d’expert doit répondre aux conditions préalables énoncées dans les arrêts R. c. Mohan, 1994 CanLII 80 (CSC), [1994] 2 RCS 9, R. v. Abbey, 2009 ONCA 624, et White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, et allèguent que le rapport d’expert peut être exclu pour cause de manque d’équité envers l’autre partie, suivant la décision Christoforou c. John Grant Haulage Ltd., 2016 TCDP 14, au par. 68. Ils soutiennent qu’ils ne cherchent pas à débattre à nouveau d’une question déjà tranchée, puisque le fondement factuel de la présente requête a changé lorsque Mme White a engagé le Dr Gojer après ma décision. Les LNC font valoir que le fait que Mme White et la Commission tentent toutes deux de souligner la faiblesse du rapport du Dr Bloom – en ce qu’il ne repose pas sur un examen en personne de Mme White, contrairement à celui du Dr Gojer – démontre le caractère inéquitable de l’admission de ce rapport.

[8] Mme White soutient que la demande des LNC est une reprise de sa requête précédente, et qu’ils auraient dû soulever cette question plus tôt dans l’instance, et non lors des exposés finaux. De même, la Commission soutient que les LNC tentent de débattre à nouveau de la question que le Tribunal a déjà tranchée.

[9] La demande des LNC est rejetée. Les LNC soutiennent que je n’ai pas à me prononcer sur cette demande si je conclus que le rapport du Dr Gojer n’appuie pas la prétention de Mme White selon laquelle elle avait une limitation causée par une déficience et liée à une exigence d’ordre médical au cours de la période de référence, mais je rejette néanmoins leur demande.

[10] Le Tribunal n’est pas lié par les règles traditionnelles de la preuve et peut être beaucoup plus souple (alinéa 50(3)c) de la Loi), mais il doit être convaincu que les avantages liés à l’admission de la preuve l’emportent sur les inconvénients. À mon avis, même si Mme White a obtenu l’avis d’expert du Dr Gojer et lui a permis de les interviewer, elle et son conjoint, je peux recevoir le rapport et permettre aux parties de présenter des observations sur le poids que je devrais accorder à l’un ou l’autre des éléments de preuve. Dans le contexte de l’instruction devant le Tribunal, il conviendrait que les parties présentent ces arguments dans leurs exposés finaux lorsqu’elles ont une meilleure vue d’ensemble de la preuve au dossier.

[11] Il appartient au décideur de faire une analyse approfondie de l’ensemble des éléments de preuve dont il dispose et de prendre ainsi en compte le contexte et les circonstances dans lesquels les éléments de preuve sont obtenus.

[12] Je ne suis pas convaincue que les LNC ont subi un préjudice ou une injustice qui emporterait la valeur probante du rapport. Le Dr Gojer est un expert médico-légal, tout comme le Dr Bloom, et son expertise est utile au Tribunal et à mes conclusions, même si je rejette la plainte. Les parties ont eu amplement l’occasion de vérifier la preuve de la partie adverse et de présenter des observations sur la manière dont je devrais considérer et contextualiser la preuve dont je dispose.

IV. CONTEXTE FACTUEL

A. Les parties

[13] Les LNC sont une entreprise privée de compétence fédérale chargée de la gestion et de l’exploitation des sites, des installations et des biens nucléaires pour le compte d’Énergie atomique du Canada limitée. Son siège social se trouve à Chalk River, en Ontario, mais elle exerce ses activités dans différents endroits de la province, notamment dans le cadre de l’Initiative de la région de Port Hope (l’« IRPH »), où Stacy White était employée. Une centaine de personnes travaillaient au bureau de l’IRPH durant la période de référence. Le bâtiment de l’IRPH où travaillait Mme White comporte deux étages.

[14] Stacy White a commencé à travailler à l’IRPH le 3 janvier 2012 en tant qu’adjointe administrative chargée de la protection de la valeur des biens immobiliers. En septembre 2012, Mme White a changé de fonction et a commencé à occuper un poste de contrôleuse des coûts, où elle était chargée de soutenir et de gérer divers groupes financiers et de réduction des coûts. Son groupe comprenait d’autres contrôleurs des coûts, dont Sue Fleming. Marty Kapitan était leur gestionnaire jusqu’à la fin de l’année 2014, date à laquelle il a été remplacé par Laura Wilson (née Dykstra). Jusqu’à sa promotion au poste de contrôleuse des coûts, Mme White travaillait dans le bureau à cloisons adjacent à celui de Mme Fleming.

B. L’incident survenu au travail

[15] L’incident survenu au travail s’est produit le 1er août 2013. Les parties conviennent qu’un incident s’est produit et que Mme Fleming a enserré le cou de Mme White de ses mains. Le matin même, Mme White a signalé l’incident à son gestionnaire, M. Kapitan. Plus tard dans la journée, Mme White a envoyé un courriel à M. Kapitan dans lequel elle a expliqué que Mme Fleming s’était excusée auprès d’elle à plusieurs reprises. Mme White était certaine que Mme Fleming se sentait mal, mais elle avait l’impression d’être dans une position délicate, car cela ne changeait rien à ce qui s’était passé et rien n’empêchait que l’incident se reproduise. Mme White a écrit ce qui suit :

[traduction]

Je viens de parler avec elle et j’ai l’impression qu’elle pense que le vrai problème découle des difficultés que nous avons eues, en tant qu’équipe, avec Robert (les erreurs, l’attitude, etc.). Je ne suis pas convaincue que ce soit le véritable enjeu en cause. Elle a clairement exprimé sa frustration à mon égard, puis elle m’a envoyé ce message plus tôt :

 

14 h 56 Fleming, Susan

Je ne peux pas venir te parler, car je suis d’humeur pleurnicharde. Je me sens vraiment très mal d’avoir déversé toutes mes frustrations sur toi. Je tiens à ce que tu saches que j’aime beaucoup travailler avec toi et que je te considère comme une excellente collaboratrice. Je te promets de me FORCER à réfléchir avant de réagir à l’avenir. Je m’excuse sincèrement.

J’ai eu une journée difficile avec d’autres problèmes personnels, mais je dois maîtriser mes émotions lorsque je suis au travail, etc.

 

Je te laisse gérer cette question comme tu le souhaites.

 

Merci de m’avoir consacré du temps ce matin.

Stacy

 

[16] Le lendemain, Mme White était absente pour cause de maladie. Elle n’a repris le travail que le 21 août 2013. Elle a reçu l’intégralité de son salaire et n’a pas eu à utiliser de jours de congé de maladie durant son absence du travail.

[17] Le 2 août 2013, Mme White a déposé une plainte officielle concernant l’incident survenu au travail auprès du Bureau de l’éthique et de la divulgation et a formulé d’autres allégations de harcèlement en milieu de travail contre Mme Fleming. Le Bureau de l’éthique et de la divulgation est chargé des examens et des enquêtes concernant les plaintes de discrimination, de harcèlement et de violence en milieu de travail. Dan Sullivan, un agent aux divulgations, a interrogé Mme White après avoir accusé réception de sa plainte. Le même jour, Robert Henderson, spécialiste des relations avec les employés, a interrogé Mme Fleming sur l’incident survenu au travail.

[18] Dans son rapport d’enquête, M. Sullivan a conclu que Mme Fleming avait commis [traduction] « un acte de violence sur le lieu de travail en enserrant le cou de Stacy White de ses mains de manière menaçante ». Il a également conclu que Mme White avait subi un préjudice important et que l’agression lui avait causé des difficultés émotionnelles extrêmes. Au cours de l’entretien téléphonique du 2 août 2013, Mme White a souvent fondu en larmes et s’est montrée bouleversée lorsqu’elle a raconté les événements de la veille. Les LNC ont infligé une suspension sans solde de cinq jours à Mme Fleming.

[19] Le 19 août 2013, Barry Lamirande, spécialiste en matière de respect en milieu de travail pour les LNC, a fait parvenir des informations sur le harcèlement et la résolution des conflits par courriel à Mme White.

[20] Avant l’incident survenu au travail, Mme White travaillait au premier étage du bâtiment à deux étages du local de l’IRPH avec Mme Fleming. À son retour au bureau le 21 août 2023 après l’incident survenu au travail, Mme White a été affectée à un poste de travail au deuxième étage, tandis que Mme Fleming est restée au premier étage. Les LNC ont décidé que toutes les communications entre Mme White et Mme Fleming se feraient par courriel plutôt qu’en personne.

[21] Le 22 août 2013, Caroline Allen, généraliste en ressources humaines, a envoyé un courriel à Mme White pour lui demander comment les choses se passaient au deuxième étage. Mme White a répondu que tout allait bien, qu’elle se sentait la bienvenue et qu’elle avait des attestations de maladie à remettre.

[22] Le 28 août 2013, Mme White a envoyé une plainte formelle par courriel concernant Mme Fleming à Mme Allen, qui l’a transmise à Barry Lamirande et à Susan Haywood, directrice des relations de travail et des Services des ressources humaines. Dans sa plainte, Mme White a écrit qu’elle trouvait traumatisant de revivre les mois d’intimidation et qu’elle avait consigné de nombreux incidents dans son journal. Elle a également écrit qu’elle avait repris le travail qu’elle aimait et qu’elle avait montré à Mme Fleming que les intimidateurs ne gagnent pas, mais qu’elle était toujours anxieuse et souffrante, même si ses collègues étaient accueillants et que la direction s’était montrée compréhensive. Elle a allégué que le comportement inapproprié d’une autre personne lui avait porté préjudice, qu’elle continuait à prendre des médicaments contre l’anxiété, qu’elle voyait un thérapeute et qu’elle consultait régulièrement son médecin de famille.

[23] En octobre 2013, M. Kapitan a soulevé la question de la reprise des modalités de travail entourant les contacts personnels entre Mme White et Mme Fleming dans le cadre des réunions hebdomadaires de l’entreprise.

[24] Le 5 novembre 2013, Mme White a sollicité une rencontre avec Mme Allen. Le lendemain, Mme White a envoyé un courriel à M. Kapitan et à Mme Allen pour leur dire qu’elle avait vu son médecin le jour précédent. Après l’incident survenu au travail, elle a continué d’avoir des problèmes de santé qui l’obligeaient à consulter son médecin tous les mois et à prendre des médicaments sur ordonnance. Elle a écrit que, puisque son état de santé ne s’était toujours pas amélioré, son médecin lui a recommandé d’éviter tout contact personnel avec Mme Fleming et de ne pas assister aux réunions prévues avec elle. Mme White a demandé si elle devait présenter une attestation de maladie pour justifier son absence aux réunions.

[25] Mme Allen et Mme White se sont rencontrées plus tard dans la journée. M. Kapitan a également répondu à Mme White le 7 novembre 2013 pour lui dire qu’il la respectait et qu’il suivrait la recommandation de son médecin. Il n’a pas demandé d’attestation de maladie.

[26] Mme White et Mme Allen ont échangé des courriels le 12 novembre 2013 au sujet de l’enquête sur la plainte de harcèlement de Mme White et ont convenu d’une rencontre.

[27] Début décembre 2013, les LNC ont tenté de tenir une médiation entre Mme White et Mme Fleming afin qu’elles reprennent les contacts personnels. Le 4 décembre 2013, Mme White a envoyé un courriel à M. Kapitan l’informant que son médecin continuait de recommander qu’elle évite tout contact avec Mme Fleming. Elle a ajouté qu’elle devait retourner consulter son médecin le 17 janvier. Les LNC ont annulé la discussion dirigée en personne avec Mme White et Mme Fleming qui était prévue pour le 12 décembre 2013. Par la suite, Mme Allen a écrit à M. Kapitan pour solliciter une rencontre afin de discuter de la marche à suivre.

[28] Le 19 décembre 2013, M. Kapitan a écrit à Andrea Denby, directrice des opérations d’exploitation, au sujet des difficultés liées au maintien de la séparation physique entre Mme White et Mme Fleming. Dans ce courriel, M. Kapitan écrit que les mesures d’adaptation adoptées à l’égard de Mme White ont entraîné des heures de vérification de renseignements, une tâche qui relèverait normalement de Mme White en tant que principale fonction de son poste de contrôleuse des coûts. Il a également mentionné la présence d’erreurs et a précisé que le fait que Mme White soit installée à l’étage supérieur avait entraîné de nombreux échanges de courriels entre tous les membres de l’équipe chargée des coûts du projet, ce qui n’était ni rentable ni propice à l’esprit d’équipe.

[29] Dans sa réponse, Mme Denby a demandé à M. Kapitan s’il avait explicitement demandé à Mme White de travailler avec Mme Fleming. Il a répondu qu’il ne l’avait pas fait, compte tenu des circonstances. Mme Denby a informé M. Kapitan qu’il devrait désormais demander à Mme White de faire ce travail chaque fois qu’il avait besoin qu’elle le fasse, en ajoutant que si elle refusait, ils disposeraient alors d’une voie à suivre, mais que pour l’instant, ils n’en avaient pas.

[30] Mme Denby a transmis le courriel de M. Kapitan à Mme Allen et a signalé d’autres problèmes et difficultés qu’elle attribuait à la mesure d’adaptation selon laquelle [traduction] « Stacy refus[ait] de travailler avec Sue ». Elle a souligné que les difficultés étaient aggravées par les erreurs commises par Mme White et par le nombre d’heures nécessaires pour les corriger en raison de la mesure d’adaptation.

[31] Mme Allen a répondu que la [traduction] « voie à suivre » qui avait été discutée précédemment serait précisée.

[32] Fin janvier 2014, Mme White a rencontré Sandra Faught, une représentante des employées, qu’elle avait informée des allégations de harcèlement et d’agression et des mesures d’adaptation dont elle avait bénéficié, ainsi que de ses problèmes de santé liés au fait qu’elle côtoyait Mme Fleming au travail. Robert Thistle, du service des ressources humaines des LNC, a convoqué Mme White, Vandana Paliwal et M. Lamirande à une réunion. Ils l’ont encouragée à retourner au premier étage et à reprendre le travail avec Mme Fleming.

C. La reprise des contacts personnels entre Mme White et Mme Fleming

[33] À la fin février 2014, M. Kapitan a discuté avec Mme White de sa relocalisation au premier étage. Le 25 février 2014, M. Kapitan a envoyé un courriel à Mme White pour lui demander d’emballer ses effets personnels afin de faciliter le déménagement.

[34] Le 28 février 2014, Mme White a écrit à M. Thistle et lui a dit qu’elle s’était entretenue avec Sandra Faught au début du mois pour assurer le suivi d’une plainte de harcèlement et d’agression qu’elle avait formulée à l’encontre de Mme Fleming au mois d’août. Elle a indiqué que son gestionnaire, M. Kapitan, lui avait expliqué qu’elle avait bénéficié de mesures d’adaptation pendant suffisamment longtemps et lui avait demandé de ranger son bureau et de redescendre à l’étage inférieur. Elle s’est sentie punie pour avoir porté plainte et a déclaré qu’elle était toujours atteinte d’une anxiété débilitante pour laquelle elle prenait des médicaments sur ordonnance, et qu’elle avait parlé à son gestionnaire de l’intimidation et du harcèlement qu’elle avait subis. Elle a terminé sa lettre en demandant s’il existait un délai fixe pour les mesures d’adaptation en milieu de travail.

[35] Mme White est retournée au premier étage le lundi 3 mars 2014. Son espace de travail et celui de Mme Fleming étaient séparés par un espace de réunion.

[36] En mai 2014, Mme White et Mme Fleming ont eu un désaccord au sujet d’une demande de chèque.

[37] Vers août ou septembre 2014, Mme Fleming a obtenu un nouveau poste de responsable des contrats dans un autre service situé au deuxième étage de l’immeuble. M. Kapitan a informé Mme White du plan de transition.

[38] Le 17 février 2015, Mme White a envoyé une attestation de maladie aux LNC indiquant qu’elle serait absente du travail pendant trois semaines. Après le 16 février 2015, elle n’est plus retournée au bureau.

[39] Le 5 mars 2015, Mme White a envoyé un courriel à Karry Beblanc des LNC et a expliqué qu’elle avait eu plusieurs problèmes de santé au cours des cinq derniers mois, notamment de la fatigue, des nausées et un engourdissement du visage, lesquels nécessitaient tous du repos. Elle a expliqué que son médecin de famille avait étudié plusieurs possibilités pour expliquer ces symptômes et que, pendant les deux premières semaines de février, elle avait souffert quotidiennement de fortes nausées. Elle a expliqué que le 16 février, elle s’était rendue aux urgences en raison d’un engourdissement du visage et des bras. Le courriel se termine par la déclaration suivante : [traduction] « Mes problèmes de santé ne sont pas liés au travail, ils sont probablement d’ordre neurologique. Je m’attends à ce qu’un diagnostic soit posé bientôt et à ce que je puisse reprendre mon travail ».

[40] Du 16 février 2015 au 5 mars 2015, les LNC ont versé à Mme White 75 % de son salaire brut normal à titre de prestations de maladie. Depuis le 5 mars 2015, Mme White reçoit des prestations pour perte de gains de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (la « WSIB »), à titre d’indemnisation pour la perte de salaire découlant de l’incident survenu au travail. Les prestations pour perte de gains sont calculées à 85 % des gains hebdomadaires nets de l’employé. Elles ne sont pas soumises à l’impôt sur le revenu et sont indexées, de sorte que le montant des prestations pour perte de gain augmente avec le temps.

[41] À partir du 16 février 2015, les LNC ont maintenu le régime d’avantages sociaux collectif de Mme White, en payant à la fois leur part ainsi que celle de Mme White, une pratique adoptée par l’entreprise pour les employés en congé d’invalidité, dont les prestataires de la WSIB.

[42] Au moment de l’audience de la présente affaire, Mme White était toujours employée par les LNC.

V. AUDIENCE ET PORTÉE DE LA PLAINTE

[43] Lors de la gestion d’instance, j’ai travaillé avec les parties pour définir l’étendue temporelle de la présente plainte. Les parties ont convenu que la période de référence s’étendait d’août 2013 à mars 2015. Les événements antérieurs à cette date font partie du contexte de la discrimination alléguée.

[44] Mme White a témoigné et a également cité Brett Miller, un ancien collègue des LNC, ainsi que son médecin de famille, le Dr Durante, et deux experts en santé mentale, à savoir les Drs Gojer et Jeeva. Les LNC ont cité leur propre expert, le Dr Bloom, mais n’ont cité aucun témoin des faits.

VI. QUESTIONS EN LITIGE

[45] J’ai tranché les questions suivantes :

1. Mme White a-t-elle établi une preuve prima facie de discrimination au sens de l’article 7 de la Loi en faisant valoir que les LNC lui ont demandé de reprendre les contacts personnels avec Mme Fleming?

2. Dans l’affirmative, les LNC ont-ils démontré que les actes discriminatoires allégués étaient justifiés?

3. Si les LNC ne peuvent justifier leurs actes, quelles mesures de réparations convient-il d’accorder en raison de la discrimination?

4. Les LNC avaient-ils l’obligation de se renseigner sur l’état de santé de Mme White et sur ses besoins de soins médicaux?

 

VII. CRÉDIBILITÉ

[46] Dans mon appréciation de la crédibilité et de la fiabilité dans la présente affaire, j’ai appliqué le critère traditionnel établi par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Faryna v. Chorny, 1951 CanLII 252 (CA BC), [1952] 2 D.L.R. 354. En tirant mes conclusions sur la crédibilité, j’ai examiné si le compte rendu des faits du témoin relativement à chaque question était [traduction] « en conformité avec la prépondérance des probabilités qu’une personne pratique et bien informée estimerait d’emblée raisonnables » dans les circonstances.

[47] J’ai tenu compte des facteurs suivants pour déterminer si les déclarations du témoin étaient [traduction] « compatibles avec la prépondérance des probabilités » :

• la cohérence ou l’incohérence interne du témoignage;

• la capacité du témoin à observer une situation et à s’en souvenir;

• la volonté du témoin d’adapter son témoignage ou la possibilité qu’il le fasse;

• la volonté du témoin d’embellir son témoignage ou la possibilité qu’il le fasse;

• l’existence d’éléments de preuve corroborants;

• les motifs des témoins ou leur relation avec les parties;

• le défaut de produire des éléments de preuve matériels.

 

(voir McWilliam v. Toronto Police Services Board, 2020 HRTO 574 (CanLII) [McWilliam], au par. 50, citant Shah v. George Brown College, 2009 HRTO 920, aux par. 12 à 14; et Staniforth v. C.J. Liquid Waste Haulage Ltd., 2009 HRTO 717, aux par. 35 et 36).

 

[48] Lorsqu’il s’agit de la crédibilité à l’égard de la sincérité d’un témoin, la fiabilité est liée à l’exactitude de son témoignage. Afin de confirmer l’exactitude du témoignage d’un témoin, il faut tenir compte de questions comme sa capacité à observer les événements, à les interpréter et à s’en souvenir avec exactitude (McWilliam v. Toronto Police Services Board, au par. 51).

[49] Mme White s’est présentée comme une femme forte, éloquente et intelligente. Elle a conservé un compte rendu détaillé de la plupart des interactions qu’elle a eues sur son lieu de travail. Elle a consigné des événements impliquant des collègues, y compris Mme Fleming, lorsqu’elle a constaté ce qu’elle estimait être du harcèlement ou des comportements inappropriés en milieu de travail. Cependant, le témoignage de Mme White ne correspondait pas toujours aux autres parties du dossier, et la preuve que ses différents récits de l’incident survenu au travail variaient ont influencé mon évaluation de sa crédibilité. En cas de divergence entre ses notes écrites prises durant la période de référence et son témoignage, j’accorde davantage de poids à la preuve documentaire. J’ai énoncé mes conclusions précises ci-après.

[50] Trois experts médicaux ont témoigné au cours de l’instance, à savoir les Drs Jeeva, Gojer et Bloom. Tous trois étaient reconnus comme experts et j’estime qu’ils ont tous rempli leur devoir envers le Tribunal de manière professionnelle et impartiale. Le Dr Durante, qui est le médecin de famille de Mme White, a fait preuve de la même franchise et a témoigné au mieux de ses capacités. Dans certains cas, son témoignage sur les détails des problèmes médicaux n’était pas fiable en raison du temps qui s’est écoulé et de la taille de sa liste de patients. Il a admis que sa mémoire était défaillante, et c’est pourquoi j’accorde davantage de poids au dossier documentaire concernant ses consultations en cas de contradiction avec son témoignage.

[51] Les LNC soutiennent que Mme White aurait pu citer une autre personne concernant l’incident de la demande de chèque survenu en mai 2014 qui avait impliqué Mme Fleming et Mme White. Mme White a fait valoir dans son exposé final que cette personne ne pouvait pas témoigner en raison d’un grave problème de santé familial. Je ne tire aucune inférence défavorable du fait que Mme White n’a pas cité ce témoin, compte tenu des raisons invoquées.

[52] La Commission s’appuie sur la décision Dicks c. Randall, 2023 TCDP 8 [Dicks] pour étayer son argument selon lequel je devrais conclure que Mme White est crédible. Elle fait valoir que le témoignage de la plaignante n’a pas été contesté, tout comme dans l’affaire Dicks. Cette affirmation est inexacte et dénature la participation des LNC à la présente instance, contrairement à l’intimé dans l’affaire Dicks, qui n’a pas comparu et n’a donc pas contesté la preuve de la plaignante. En l’espèce, les LNC ont participé pleinement à l’instance et ont longuement contre-interrogé Mme White et ses témoins. Les éléments de preuve de Mme White ont été examinés et mis en cause, et la Commission confond le fait de ne pas examiner ou de mettre en cause les éléments de preuve avec la décision d’un intimé de ne pas présenter de contre-preuve. Je ne tire aucune inférence défavorable de la décision des LNC de ne pas convoquer de témoins des faits, étant donné que le fardeau de la preuve ne leur incombe pas et qu’il n’existe pas d’obligation distincte de prendre des mesures d’adaptation ou de se renseigner sous le régime des lois fédérales. Les LNC ont choisi de se concentrer principalement sur la réfutation de l’affirmation de Mme White selon laquelle elle présentait une caractéristique protégée par la Loi, à savoir une déficience. Ce choix leur appartenait, mais cela ne signifie pas que les éléments de preuve de Mme White n’ont pas été mis en cause.

VIII. MOTIFS ET ANALYSE

A. Cadre juridique

[53] Mme White allègue avoir été victime de discrimination en matière d’emploi fondée sur la déficience, au sens de l’article 7 de la Loi.

[54] La plaignante a le fardeau d’établir une preuve prima facie. Une preuve prima facie de discrimination est une preuve « qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé » (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears [1985] 2 RCS 536, au par 28).

[55] L’utilisation de l’expression « discrimination prima facie » ne doit pas être assimilée à un allègement de l’obligation du demandeur de convaincre le tribunal selon la norme de la prépondérance des probabilités, laquelle continue toujours de lui incomber (Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc., 2015 CSC 39 [Bombardier ], au par. 65) ».

[56] Pour établir une preuve prima facie, le plaignant doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable qu’il satisfasse aux trois volets de ce critère : 1) il possédait une caractéristique protégée par la Loi contre la discrimination; 2) il a subi un effet préjudiciable relativement à l’emploi; 3) la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable (Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au par. 33).

[57] La caractéristique protégée n’a pas à être le seul facteur du traitement défavorable et il n’est pas nécessaire d’établir l’existence d’un lien de causalité (Bombardier, aux par. 44 à 52).

[58] Afin de déterminer s’il y a eu discrimination, le Tribunal peut examiner les éléments de preuve de toutes les parties. L’intimé peut présenter des éléments de preuve pour réfuter une allégation de discrimination prima facie, présenter une défense justifiant la conduite visée à l’article 15 de la Loi, ou les deux (voir Bombardier, aux par. 64, 67 et 81; Emmett c. Agence du revenu du Canada, 2018 TCDP 23, aux par. 61, 63 à 67).

[59] Si le plaignant établit une preuve prima facie de discrimination, l’intimé doit justifier sa décision ou son comportement en se fondant sur les exemptions prévues dans la Loi ou élaborées par les tribunaux (Bombardier, au par. 37).

[60] Il n’existe pas de droit d’adaptation distinct en vertu de la Loi (Moore c. Société canadienne des postes, 2007 TCDP 31 (CanLII), au par. 86; Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 131 [Cruden], au par. 21; Canada (Procureur général) c. Duval, 2019 CAF 290 [Duval], au par. 25).

[61] La Loi ne prévoit aucune obligation d’adopter des mesures d’adaptation en l’absence de discrimination et le défaut de prendre une mesure d’adaptation n’est ni un motif de distinction illicite ni une pratique discriminatoire aux termes de la LCDP. Si le plaignant établit une discrimination prima facie, l’intimé pourra présenter une défense au titre du paragraphe 15(2) de la Loi pour tenter de justifier la discrimination dans le contexte de l’emploi aux termes de l’article 7 (Chisholm c. Halifax Employers Association, 2021 TCDP 14, au par. 84). La question de savoir si l’employeur a pris des mesures d’adaptation adéquates à l’égard de l’employé ne joue aucun rôle lorsqu’il s’agit de déterminer si une preuve prima facie de discrimination a été établie.

B. Déficience

[62] Aux termes de la Loi, la « déficience » peut être « physique ou mentale, [...] présente ou passée » (art. 25 de la Loi). La Loi ne comporte aucune liste de ce qui peut constituer une « déficience ». La déficience au sens juridique consiste en un handicap physique ou mental, qui occasionne une limitation fonctionnelle ou qui est associé à la perception d’un handicap (Desormeaux c. Ottawa (Ville), 2005 CAF 311 (CanLII), au par. 15, renvoyant à l’arrêt Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2000 CSC 28 [Granovsky], au par. 34).

[63] La déficience n’a pas à être permanente, et ce ne sont pas seulement les déficiences mentales les plus graves qui donnent droit à la protection prévue dans la Loi. Toutefois, l’existence d’une déficience doit toujours être étayée par une preuve suffisante (Mellon c. Canada (Développement des Ressources humaines), 2006 TCDP 3, au par. 88). La Loi interdit également la discrimination au travail fondé sur la perception ou l’impression d’une déficience et exige l’adoption de mesures d’adaptation par l’employeur à moins d’une contrainte excessive (Dupuis c. Canada (Procureur général), 2010 CF 511, au par. 25).

[64] Les parties ne sont pas tenues de présenter un type de preuve particulier pour établir qu’elles ont fait l’objet de discrimination (Chisholm c. Halifax Employers Association, 2021 TCDP 14, au par. 87). Il n’est pas nécessaire d’obtenir une preuve médicale d’expert présentée par un médecin pour prouver l’existence d’une déficience dans le cadre d’une plainte relative aux droits de la personne (Marshall c. Membertou First Nation, 2021 TCDP 36, au par. 125). Une déficience n’exige pas obligatoirement la preuve d’une limitation physique ou la présence d’une affection quelconque, mais il ne suffit pas qu’une personne dise tout simplement qu’elle souffre d’une déficience pour qu’il soit satisfait au critère. Il faut prouver que la déficience existe. Cette preuve peut être tirée des renseignements médicaux et du contexte dans lequel l’acte reproché s’est produit (Mellon, au par. 82).

C. Question no 1 : Mme White a-t-elle établi une preuve prima facie de discrimination au sens de l’article 7 de la Loi compte tenu du fait que les LNC lui ont demandé de reprendre les contacts personnels avec Mme Fleming?

[65] Mme White doit d’abord démontrer qu’elle possédait une caractéristique protégée par la Loi contre la discrimination pour établir une preuve prima facie. Il s’agit de la question déterminante dans la présente affaire.

Mme White peut-elle être protégée contre la discrimination parce qu’elle était atteinte d’une déficience au cours de la période de référence?

[66] Non. J’estime que Mme White n’a pas établi qu’il était plus probable qu’improbable qu’elle était atteinte d’une déficience au cours de la période de référence. Les éléments de preuve n’étayent pas l’affirmation de Mme White selon laquelle elle était atteinte d’un TSPT d’août 2013 à mars 2015 et qu’elle devait travailler à l’écart de Mme Fleming pour des raisons médicales. Même si Mme White était atteinte d’une déficience entre août 2013 et le moment où elle a été tenue de reprendre les contacts personnels avec Mme Fleming, en mars 2014, les LNC ont pris des mesures d’adaptation à son égard durant cette période.

[67] Mme White ne soutient pas qu’elle avait une déficience perçue, mais plutôt qu’elle avait une déficience réelle qui, selon elle, l’empêchait d’avoir des contacts personnels avec Mme Fleming.

[68] Les LNC soutiennent que puisque Mme White défend cette thèse, elle doit démontrer qu’elle était atteinte d’une déficience entraînant une limitation fonctionnelle qui l’empêchait de travailler avec Mme Fleming.

[69] Je suis du même avis. Il ne suffit pas de s’appuyer sur une preuve médicale abondante et de présumer que le fait qu’un ou plusieurs médecins ont posé un diagnostic de trouble médical, tel que le TSPT, amènera le Tribunal à conclure que le plaignant est atteint d’une déficience au sens de la Loi. Il faut quelque chose de plus, notamment une limitation fonctionnelle, et en l’occurrence, celle-là même dont Mme White allègue être atteinte dans la présente affaire. Dans certaines affaires, la limitation fonctionnelle découlant du trouble médical est tellement évidente que l’analyse est essentiellement sans importance. Ce n’est manifestement pas le cas en l’espèce, compte tenu de la nature de la limitation fonctionnelle alléguée par Mme White.

[70] Mme White et la Commission soutiennent que les éléments de preuve médicale établissent l’existence d’un consensus parmi les professionnels de la santé, dont plusieurs médecins de la WSIB, selon lequel Mme White était atteinte d’un TSPT ou d’autres troubles mentaux déclenchés par Mme Fleming et par l’exigence des LNC qu’elle reprenne les contacts personnels avec celle-ci. Mme White et la Commission font également valoir que le témoin expert des LNC, le Dr Bloom, a lui-même admis que Mme White pouvait présenter des symptômes de TSPT qui auraient pu entraver sa capacité à travailler en personne avec Mme Fleming et qu’elle présentait des symptômes depuis le début.

[71] Les LNC soutiennent que le témoignage et les notes de Mme White ne constituent pas un fondement fiable pour établir qu’elle était atteinte d’une déficience, et que les notes cliniques du Dr Durante montrent que Mme White a été progressivement capable de tolérer des contacts personnels avec Mme Fleming sans que cela n’affecte sa santé de manière perceptible. Ils contestent la manière dont la Commission et Mme White ont interprété le témoignage du Dr Bloom. Plus important encore, ils soutiennent que dans la présente affaire, le dossier médical ne comporte aucun élément permettant d’établir un lien entre la reprise des contacts personnels avec Mme Fleming et les symptômes et l’état de santé de Mme White au cours de la période de référence.

[72] Je suis convaincue que Mme White a souffert d’un certain nombre de problèmes de santé et qu’elle a dû faire face à un ensemble complexe et éprouvant de symptômes. J’éprouve beaucoup d’empathie pour cette jeune femme qui a des enfants et un conjoint atteint d’une maladie grave. Il était sûrement extrêmement difficile et effrayant pour elle d’éprouver autant de symptômes et de ne pas savoir ce qui les provoquait. Il est très certainement frustrant de faire l’essai de nombreux traitements, pharmacologiques ou autres, et d’être incapable d’obtenir un diagnostic précis. Mes conclusions ne changent rien au fait qu’elle vit très certainement des moments difficiles en raison de ses problèmes de santé.

[73] Toutefois, mon rôle consiste à respecter le cadre législatif que je suis tenu d’appliquer, et pour qu’une déficience soit reconnue au sens de la Loi et de la jurisprudence pertinente, la plaignante doit démontrer plus que l’existence d’une maladie, d’un trouble médical ou même de symptômes – qu’ils soient physiques ou mentaux, ou les deux à la fois. Le plaignant doit établir une limitation fonctionnelle accompagnée de besoins médicaux correspondant à la période de la discrimination alléguée, et non des années plus tard. Mme White n’a pas allégué avoir été affectée par d’autres limitations fonctionnelles, comme l’incapacité d’effectuer certaines fonctions ou de travailler une journée entière, par exemple. Elle a lié sa plainte et ses allégations de discrimination contre les LNC à une allégation très précise de contrainte d’ordre médical et du besoin qui en découlait, à savoir éviter les contacts personnels avec une collègue en particulier. Il s’agit là d’une limitation qui n’est corroborée par aucun élément de preuve.

[74] Comme je l’expose ci-après dans mon analyse de la preuve, je ne peux concilier la preuve médicale obtenue après coup avec le fait qu’entre mars 2014, lorsque les LNC ont demandé à Mme White de recommencer à travailler avec Mme Fleming, et février 2015, lorsqu’elle est partie en congé, le dossier de la période de référence n’indique pas que Mme White était affectée par une limitation fonctionnelle, comme elle l’allègue, ou qu’elle présentait des symptômes de TSPT. Les notes de Mme White datant de cette période ne font pas état de préoccupations à l’égard de Mme Fleming, ce qui est particulièrement probant à mon avis. Au lieu d’établir une limitation fonctionnelle entraînant le besoin d’éviter Mme White pour des raisons de santé, le dossier montre que la reprise des contacts personnels entre Mme White et Mme Fleming fonctionnait, même si ce n’était pas le choix de Mme White. Tout compte fait, les éléments de preuve médicale obtenus après coup peuvent établir que Mme White présentait des symptômes de TSPT au moment où les spécialistes l’ont examinée, mais j’estime qu’ils n’établissent pas, selon la prépondérance des probabilités, que ces symptômes étaient présents au cours de la période de référence.

[75] J’expose d’abord ci-après les aspects les plus saillants du volumineux dossier médical et non médical, avant d’énoncer mes conclusions sur l’état de santé de Mme White avant son emploi aux LNC, sur sa relation avec Mme Fleming avant l’incident survenu au travail, et sur les divers récits de cet incident fournis par Mme White, compte tenu des observations des parties sur ces questions factuelles et de leur pertinence pour le diagnostic définitif de TSPT. Je termine par mes conclusions sur la déficience alléguée, y compris les allégations précises de Mme White selon lesquelles elle souffrait d’un TSPT et ne pouvait avoir de contacts personnels avec Mme Fleming.

Le Dr Durante

[76] Le Dr Durante a été le médecin de famille de Mme White de 2002 jusqu’à sa retraite en 2021. Selon les notes médicales du Dr Durante, en novembre 2012, Mme White a commencé à avoir des migraines et des problèmes respiratoires et de digestion. En décembre 2012, il a écrit que Mme White n’était [traduction] « tout simplement pas elle-même lors des derniers mois, en raison de ce qu’elle décrit comme des maladies respiratoires en continu ». Son état s’est amélioré par la suite; cependant elle a présenté des symptômes de malaise en mars 2013, mais [traduction] « elle n’a pas été en mesure de préciser les éléments déclencheurs particuliers ».

[77] Le 6 août 2013, lors de la première visite médicale après l’incident survenu au travail, le Dr Durante a diagnostiqué un trouble de la réaction d’adaptation et une anxiété due au stress chez Mme White, et il lui a prescrit du Lorazepam. Ses notes indiquent que [traduction] « les problèmes professionnels peuvent mener à la dépression nerveuse. Sa superviseure immédiate est décrite comme une personne extrêmement cinglante, contrôlante et hostile, qui ne partage pas le travail ou les réalisations et qui est, et a été, agressive verbalement et physiquement ». Les notes indiquent également que « la semaine dernière, elle a étranglé Tracey (sic). Les cris et les agressions verbales se produisent fréquemment et de manière chronique ». Le Dr Durante a également noté le fait que Mme White avait signalé le comportement et qu’elle était en larmes, affligée et « émotionnellement détruite », qu’elle pleurait facilement et qu’elle était horrifiée à l’idée de retourner dans un environnement où la personne fautive pouvait être présente et qu’il était normal qu’elle craigne de subir des agressions verbales, psychologiques ou physiques.

[78] Le 14 août 2013, le Dr Durante a écrit que Mme White s’était calmée grâce à son congé et qu’elle ne prenait plus de Lorazepam pendant la journée. Il lui a recommandé de prolonger son congé jusqu’à ce que son employeur ait résolu le problème, et il a noté que Mme White était plus détendue, même si son anxiété demeurait très présente, et qu’elle ne reprendrait le travail qu’à condition d’être satisfaite des propositions de son employeur. Le Dr Durante a maintenu le diagnostic de trouble de la réaction d’adaptation.

[79] En septembre 2013, le Dr Durante a diagnostiqué chez Mme White un trouble anxieux généralisé, une perturbation situationnelle et d’autres problèmes de santé. Sa note clinique du 8 octobre 2013 indique que l’arrêt de travail de Mme White [traduction] « semble avoir été résolu. Elle a évité tout contact avec sa collègue fautive et s’est montrée sociable avec elle à une occasion. Elle est heureuse de la tournure que les événements ont prise ». Le Dr Durante pensait que Mme White serait en mesure de réduire sa consommation de médicaments dans un avenir proche.

[80] En novembre 2013, les notes cliniques du Dr Durante indiquent que Mme White était [traduction] « désemparée et angoissée » parce que son supérieur immédiat avait proposé une réunion « avec elle et sa bête noire », ce qui avait contrarié Mme White et l’avait amenée à anticiper d’autres problèmes. Il a recommandé à Mme White de faire preuve de fermeté et d’attendre les résultats de l’enquête avant de se rendre à une réunion inconfortable qui augmenterait son anxiété et son stress.

[81] À l’audience, le Dr Durante a témoigné qu’il lui semblait [traduction] « raisonnable qu’il n’y ait pas de rencontre ou de confrontation avec son agresseuse » lorsqu’il a été interrogé au sujet de la note clinique du 5 novembre 2013.

[82] En janvier 2014, le Dr Durante a noté que Mme White [traduction] « a décrit en détail la manière dont elle se sent au travail. Elle est en pleine possession de ses moyens et elle est polie sans avoir de contacts personnels avec sa collègue fautive. Son état mental est plus serein et agréable, et elle a parlé longuement de son travail. Elle est animée et sa logorrhée varie de bonne à élevée ».

[83] Le 4 mars 2014, le lendemain du jour où Mme White a appris qu’elle devait reprendre les contacts personnels avec Mme Fleming, le Dr Durante a écrit ce qui suit :

[traduction]

Elle m’a tenu au courant des problèmes qu’elle a vécus au travail. Elle est retournée à l’étage inférieur et travaille à proximité, sans être directement voisine, de ses collègues fautifs. Elle enregistre furtivement toutes les conversations liées au travail au cours de la journée. En ce qui concerne son humeur, elle s’est adaptée à sa nouvelle réalité et a appris à faire face à la situation. Elle a recours occasionnellement au programme d’aide pour les employés et prend de l’alprazolam au besoin. La prescription est renouvelée. Rendez-vous dans deux mois pour faire le suivi de ses problèmes (caractères gras ajoutés).

[84] Mme White est revenue deux mois plus tard. Les notes consignées par le Dr Durante le 6 mai 2014 indiquent ce qui suit :

[traduction]

Elle ne prend plus d’alprazolam. Les choses se passent bien au travail et elle a pris l’habitude d’enregistrer toutes ses conversations avec ses collègues à l’aide de son ordinateur ou d’une montre enregistreuse. Elle semblait beaucoup plus équilibrée, elle continue à travailler à temps plein, tout en admettant qu’elle aime son travail. Nous n’avons pas confirmé de prochain rendez-vous. Son état affectif est enjoué et positif et aucune autre action de ma part n’est nécessaire pour le moment.

[85] Mme White n’est pas retournée voir le Dr Durante pendant quatre mois. Les notes de celui-ci en date du 15 septembre 2014 indiquent ce qui suit :

[traduction]

Les problèmes liés au travail sont prioritaires. Elle reprend de l’alprazolam en raison d’une anxiété accrue liée à de nouvelles responsabilités professionnelles. Elle se concentre sur les sensations d’étourdissement et de présyncope.

[86] Le 30 septembre 2014, le Dr Durante a écrit que Mme White allait [traduction] « beaucoup mieux. Elle réussit sa transition vers de nouvelles responsabilités professionnelles ». Il a également noté qu’elle tolérait le nouveau médicament qu’elle prenait, qu’elle souffrait d’une forme d’engourdissement des doigts, mais que son [traduction] « état affectif, son humeur et son comportement [étaient] tous beaucoup plus agréables et plaisants » et qu’il n’avait pas besoin de la voir avant le mois suivant « à moins que des problèmes ne surviennent ».

[87] Le Dr Durante n’a pas revu Mme White avant un mois, soit le 31 octobre 2014, lorsqu’il a passé en revue sa médication, indiqué que sa tension artérielle s’était normalisée. Par la suite, le 10 novembre 2014, il a déclaré qu’elle était [traduction] « incapable d’expliquer son malaise. Elle dit qu’elle ne se sent tout simplement pas bien, et qu’elle se sent parfois étourdie et faible ». Le Dr Durante lui a fait passer des examens de laboratoire et il a envisagé d’autres mesures de suivi. Dans ses notes de suivi, il a fait référence à un taux de cortisol élevé, à une image par résonance magnétique et à des résultats de laboratoire normaux, et le 16 décembre 2014, le Dr Durante a écrit que Mme White était [traduction] « très anxieuse concernant la signification de son taux de cortisol élevé, de sorte [qu’il avait] accepté de la référer à un endocrinologiste ».

[88] Le 5 février 2015, les notes du Dr Durante faisaient référence à d’autres analyses en laboratoire; il a indiqué qu’il n’avait pas besoin de voir Mme White et a annulé la consultation.

[89] Le 20 février 2015, Mme White a écrit au Dr Durante pour lui dire qu’elle s’était rendue aux urgences parce que l’engourdissement de sa bouche, de la partie inférieure de ses bras et de ses mains s’était étendu à son visage et à la partie supérieure de ses bras. Tous les tests se sont révélés normaux et elle a indiqué ceci : [traduction] « le fait de ne pas savoir ce qui ne va pas chez moi a augmenté mon niveau de stress et d’anxiété; le médecin m’a remis une attestation de maladie d’une durée de trois semaines ». Son conjoint a également écrit au Dr Durante pour lui demander si son taux de cortisol pouvait être causé par l’apnée du sommeil. Mme White a écrit de nouveau au Dr Durante pour lui dire qu’elle avait passé sa première bonne journée en quatre mois et a décrit un certain nombre d’autres symptômes physiques tels que des étourdissements légers, une baisse de la tension artérielle, des rougeurs au visage, des maux de tête, des nausées, des engourdissements, des mictions fréquentes et des raideurs de la nuque. Elle ne savait pas comment interpréter la somme de ces symptômes, mais a écrit ceci : [traduction] « même si je n’ai pas l’impression d’être très stressée en ce moment, la vie est stressante, surtout au travail ». À l’époque, elle disait faire de l’exercice modérément et dormir suffisamment. Elle a demandé si elle devait consulter un spécialiste en médecine interne.

[90] Dans la note clinique suivante, datée du 5 mars 2015, le Dr Durante indique que Mme White avait toujours des symptômes d’engourdissement intermittents et variables, qu’elle s’était rendue aux urgences et qu’elle semblait assez anxieuse. Il s’est renseigné sur le trouble anxieux généralisé et a dit qu’il attendrait les résultats d’une image par résonance magnétique et d’un rendez-vous avec un spécialiste.

[91] Le 24 mars 2025, le Dr Durante a écrit que Mme White continuait de souffrir de maux de tête, de dysfonctionnements à l’épaule et au bras, et qu’elle était incapable de se concentrer ou de fonctionner, tout en précisant que les résultats aux examens demeuraient normaux, bien qu’elle soit anxieuse. Il a organisé une consultation en neurologie et a souligné que l’image par résonance magnétique de la patiente montrait une lésion de la matière blanche au lobe frontal droit, et il a cherché à en connaître la signification.

[92] La note clinique suivante du Dr Durante du 30 mars 2015 inclut des communications de Mme White dans lesquelles elle décrit une incapacité à bouger, des maux de tête, des nausées, des douleurs au visage et aux oreilles, ainsi qu’un résumé des renseignements sur sa santé rédigé à la première personne, dans lequel elle écrit que le 22 août 2014, elle a appris que la collègue qui l’avait harcelée et intimidée pendant 10 mois, qui l’avait agressée physiquement le 1er août 2013 et avec qui elle avait dû travailler pendant plus d’un an après l’agression, allait être transférée dans un autre service, et qu’elle devrait assumer son poste en plus du sien pour une durée indéterminée. Le Dr Durante énumère ensuite un certain nombre d’autres événements survenus à partir de septembre 2014, qui sont liés aux problèmes de santé physique de Mme White ou aux facteurs de stress dans son milieu familial. Il n’y a aucune mention de Mme Fleming.

[93] Le 4 juin 2015, après un grand nombre d’examens physiques, de tests et de consultations visant à exclure d’autres pathologies, le Dr Durante a diagnostiqué un TSPT chez Mme White, à la suite d’un courriel que Mme White lui avait envoyé, dans lequel elle suggérait qu’elle était peut-être atteinte de cette pathologie.

[94] Le Dr Durante a déclaré que les symptômes du TSPT peuvent varier en gravité et se manifester différemment d’un patient à l’autre, et que les symptômes de Mme White étaient divers et comprenaient des symptômes physiques et psychologiques, y compris des difficultés à rester concentrée et à accomplir des tâches en raison de l’épuisement mental et physique.

Le Dr Jeeva

[95] Le Dr Durante a dirigé Mme White vers le Dr Jeeva, un psychiatre qui l’a examinée pour la première fois en janvier 2016 et a confirmé le diagnostic de TSPT. Il a également diagnostiqué chez elle un trouble dépressif majeur et un éventuel trouble à symptomatologie somatique. Il n’avait noté aucun trouble mental majeur avant le [traduction] « harcèlement subi sur le lieu de travail ».

[96] Le Dr Jeeva a examiné Mme White une deuxième fois le 27 octobre 2016. Il n’a pas fait de lien entre ses symptômes et les LNC ou Mme Fleming. Il a plutôt écrit sur la procédure de demande de prestations d’invalidité, de son mécontentement à l’égard d’une réunion avec un ergothérapeute et du fait que ses enfants étaient à la maison pour l’été. Il a également noté à l’époque qu’elle allait [traduction] « nettement mieux » et qu’elle souhaitait arrêter les médicaments, et que, mis à part sa légère dysphorie, tout semblait normal chez elle en apparence. Il a conclu à l’époque que son TSPT était partiellement résolu. Elle était en mesure de profiter de certaines activités et avait fait part d’une amélioration de sa concentration et de sa mémoire, malgré une baisse de son niveau d’énergie.

[97] Dans son troisième rapport daté du 22 mai 2018, le Dr Jeeva a écrit qu’il y avait eu peu d’amélioration depuis qu’il avait vu Mme White en novembre 2016. Néanmoins, il a reconnu en contre-interrogatoire que son évitement et son hypervigilance pouvaient également correspondre à de la colère envers le milieu de travail et à une volonté de ne pas voir ses collègues. Il a également convenu que la façon dont Mme White se présentait à l’époque ne signifiait pas nécessairement qu’un trouble mental était présent. Il a proposé d’intensifier sa thérapie plutôt que de modifier sa médication, et l’a orientée vers une clinique spécialisée dans les traumatismes pour qu’elle reçoive des soins adaptés.

[98] À l’audience, le Dr Jeeva a témoigné qu’il avait conclu après sa consultation que Mme White était atteinte d’une déficience, et qu’elle était atteinte d’un trouble mental majeur et de troubles anxieux graves qui l’empêchaient de résoudre des problèmes, d’effectuer plusieurs tâches à la fois ou de penser clairement. Il a témoigné que la capacité de Mme White à interagir avec les autres et à contrôler ses émotions avait été altérée compte tenu de son anxiété et de son comportement d’évitement. Le Dr Jeeva pensait que les facteurs de stress découlaient d’un acte de violence dont elle avait été victime, ainsi que de l’intimidation et de la violence psychologique omniprésentes au travail. Il a témoigné qu’elle présentait des caractéristiques du TSPT et que son incapacité était toujours liée au facteur de stress initial lié au travail. Lorsqu’on lui a demandé si Mme White devrait être placée dans une situation où elle interagirait avec Mme Fleming, le Dr Jeeva a répondu qu’il pensait qu’il était très probable qu’une telle situation lui nuirait davantage ou aggraverait ses symptômes, en raison de comportements d’évitement liés au fait que les rappels du traumatisme sont trop difficiles à vivre pour elle.

Les médecins de la WSIB

[99] Le 30 juillet 2018, Mme White a été évaluée par le Dr Aleem, un psychiatre, ainsi que par le Dr Bury, un psychologue, et Mme Sekely, une étudiante, dans le cadre d’un examen médical indépendant de la WSIB visant à déterminer sa capacité à reprendre le travail. Le rapport concluait que Mme White n’était pas en mesure, à ce moment-là, de s’engager efficacement dans un programme de retour au travail. Elle avait reçu un diagnostic de trouble dépressif caractérisé, épisode unique, en rémission complète, ainsi que de TSPT, avec un pronostic de rétablissement fonctionnel partiel. L’examen a également révélé que la capacité de Mme White à faire face à la situation était modérément élevée, et qu’elle avait une capacité modérée à résoudre des problèmes, à repousser les pensées négatives et à rechercher du soutien social.

[100] Le 14 mars 2019, le Dr Gratzer, un psychiatre mandaté par la WSIB pour examiner les dossiers médicaux de Mme White, a fait un rapport sur le diagnostic lié au travail le plus approprié, sur la question de savoir si ses symptômes somatiques étaient reliés à l’incident survenu au travail, sur l’état de son diagnostic et sur les interventions, les examens ou les traitements recommandés. Le Dr Gratzer était d’avis que Mme White souffrait très probablement d’un TSPT et d’un trouble dépressif caractérisé associé à une préoccupation somatique, et que ses symptômes étaient compatibles avec l’incident survenu au travail. Il lui a suggéré la prise de médicaments non conventionnels pour le TSPT et le trouble dépressif caractérisé, il l’a orientée vers un programme de thérapie axée sur les traumatismes et d’autres consultations, ainsi que l’utilisation de médicaments non conventionnels et de neurostimulation.

Le Dr Gojer

[101] Le Dr Gojer, psychiatre, a évalué Mme White et a établi un rapport le 14 août 2021. Il a décrit la réaction de Mme White à l’incident survenu au travail comme une réaction d’adaptation. Il était d’avis que le TSPT n’englobait pas tous les symptômes présentés par Mme White, en particulier la manifestation somatique. Il a affirmé que le diagnostic de trauma complexe était plus approprié pour saisir sa symptomatologie, et il a diagnostiqué chez elle d’autres traumatismes particuliers et un trouble lié au stress. Il a conclu que les symptômes physiques de Mme White étaient tous liés à la période pendant laquelle elle éprouvait de la détresse au travail, et qu’ils s’étaient aggravés après l’agression. À partir de février 2015, l’aggravation de ses symptômes a également été liée à la manière dont elle percevait sa situation stressante au travail. Il était également d’avis que Mme White voulait reprendre le travail, mais que sa peur de revivre un nouveau conflit et d’être exposée aux stimuli initiaux expliquait probablement pourquoi de nouveaux symptômes apparaissaient et se perpétuaient.

[102] Le Dr Gojer a témoigné que les troubles de Mme White auraient nui à sa capacité à fonctionner en milieu de travail. Lorsqu’on lui a demandé s’il croyait que Mme White était atteinte d’une déficience durant la période de référence, le Dr Gojer a répondu qu’il en était fermement convaincu. Il a diagnostiqué chez Mme White un syndrome post-traumatique, un trouble à symptomatologie somatique et un trouble de conversion et a conclu que tous ses symptômes étaient liés à un traumatisme. Le Dr Gojer n’a relevé aucun signe de simulation ou d’affabulation.

[103] À l’audience, le Dr Gojer a expliqué que les patients reçoivent parfois leur diagnostic plus tard, après un événement déclencheur, et que les médecins généralistes qui les examinent cherchent souvent d’abord à exclure les causes médicales parce qu’ils comprennent qu’ils sont confrontés à un syndrome post-traumatique. Il a expliqué que certaines personnes peuvent développer un TSPT pleinement manifeste jusqu’à six mois après le traumatisme, voire plus tard, et que bien que les survivants du traumatisme aient pu initialement réussir à y faire face, des événements ultérieurs peuvent déclencher des symptômes plus marqués, qui correspondent au trouble de stress post-traumatique différé.

[104] Le Dr Gojer a également témoigné que le médecin de famille avait examiné certains des symptômes de Mme White et avait d’abord essayé d’exclure les causes des symptômes physiques. Il a expliqué qu’un psychiatre plus expérimenté aurait pu considérer un événement stressant et conclure qu’il pouvait s’agir de réactions au déclencheur, mais que la médecine est telle qu’avant d’envisager des troubles psychiatriques, il convient d’écarter les causes d’ordre médical.

[105] Le Dr Gojer était d’avis que Mme White avait fait part de multiples symptômes somatiques, mais ceux-ci étaient considérés comme faisant partie d’un syndrome post-traumatique, ce qui compliquait la tâche de déterminer s’ils étaient exagérés ou surdéclarés. Lorsqu’il a été interrogé au sujet des différentes versions de l’incident survenu en milieu de travail données par Mme White, le Dr Gojer a répondu que le traumatisme était essentiellement le même, et que la manière dont l’événement est rapporté dépend de la personne qui reçoit l’information. Il a reconnu qu’il y avait de légers changements ou des variations mineures, mais qu’au bout du compte, les détails des récits de l’incident en milieu de travail lui semblaient cohérents.

Le Dr Bloom

[106] Le Dr Bloom a examiné les nombreux dossiers médicaux de Mme White et a établi un rapport daté du 17 mai 2021. Il a conclu que Mme White était déjà vulnérable au moment des faits en raison de ses antécédents de dystrophie sympathique réflexe ou de syndrome douloureux régional complexe, lesquels n’étaient pas vraiment détaillés dans son dossier médical. Le Dr Bloom a ensuite laissé supposer que cet état pouvait l’avoir rendue plus vulnérable à d’éventuels problèmes de santé et avoir potentiellement contribué à des symptômes de TSPT accompagnés d’une importante surcharge somatique. Il a également souligné que la maladie de Mme White en 2014 et 2015 et son incapacité à travailler constituaient un important facteur de stress sous–jacent et que cet élément n’avait pas été considéré dans les différents rapports d’experts et les renseignements médicaux qu’il a examinés.

[107] Le Dr Bloom a fait référence au diagnostic de TSPT établi en 2015 et au diagnostic similaire posé par le Dr Jeeva, lequel faisait état d’une dépression majeure chronique et d’un éventuel trouble à symptomatologie somatique. Il pensait également que le diagnostic avait été fait rétrospectivement, et qu’il reposait à l’origine sur une prémisse hypothétique, car le tableau clinique de Mme White (les multiples symptômes somatiques) ne pouvait être rattaché à un diagnostic médical connu, de sorte que le stress et le TSPT sont devenus le diagnostic présumé. Une fois cette hypothèse formulée, [traduction] « les divers symptômes nécessaires pour satisfaire aux critères de la maladie ont été élargis et clairement établis au fil du temps ». Il poursuit en soulignant que le Dr Jeeva a laissé entendre que le TSPT était devenu une sorte de diagnostic par défaut, dans son rapport du 13 janvier 2016 où il a écrit que [traduction] « l’anxiété se manifeste maintenant par des symptômes physiques qui ne peuvent être expliqués par des causes d’ordre généralement médical sous-jacentes ».

[108] Lorsqu’on lui a demandé explicitement si Mme White était atteinte d’un problème de santé qui l’empêchait d’avoir des contacts personnels avec Mme Fleming entre le 1er août 2013 et le 16 février 2015 (le dernier jour de travail de Mme Fleming), le Dr Bloom a dit qu’il était difficile de répondre à cette question sur le fondement des informations au dossier, mais il a écrit que dans l’éventualité où le diagnostic de TSPT était juste et que les symptômes remontaient au 1er août 2013, ils pourraient être interprétés comme une entrave aux contacts personnels entre Mme White et Mme Fleming, tout en soulignant que les symptômes de TSPT n’ont été communiqués que beaucoup plus tard en 2015. Il a ensuite écrit que [traduction] « la majorité des notes médicales disponibles [...] rapportent que Mme White se pliait à l’obligation d’avoir des contacts personnels avec Mme Fleming en dépit de son mécontentement, et les notes de cette période ne font état d’aucun problème de santé qui pourrait être interprété comme une contre-indication l’empêchant d’avoir des contacts personnels avec Mme Fleming ».

[109] En réponse à la question des LNC, qui voulaient savoir si les symptômes de Mme White après le 1er août 2013 et son incapacité à travailler après le 16 février 2015 pouvaient s’expliquer par une dystrophie sympathique réflexe ou d’autres problèmes de santé sans lien avec les LNC et leur demande de reprendre les contacts personnels avec Mme Fleming, le Dr Bloom a écrit qu’il serait trop difficile de répondre de manière concluante. Il a indiqué que la majeure partie des symptômes dont souffrait Mme White pendant la période de référence et dont elle avait souffert pendant un certain temps par la suite, étaient constitués de multiples symptômes somatiques qui pourraient s’expliquer par un diagnostic de trouble à symptomatologie somatique. Il a souligné que, lors de la deuxième visite du Dr Jeeva avec Mme White, celle-ci estimait que les symptômes liés au TSPT s’étaient améliorés, mais que les symptômes somatiques persistaient, ce que d’autres cliniciens ont également observé.

[110] Enfin, lorsqu’on lui a demandé de commenter les diagnostics psychiatriques établis par d’autres médecins (celui du Dr Gojer n’était pas disponible à l’époque), le Dr Bloom a répondu que le diagnostic de TSPT faisait largement consensus, bien que certains médecins aient estimé que Mme White souffrait, ou avait souffert, d’un trouble dépressif majeur et qu’il était possible qu’elle souffre d’un trouble à symptomatologie somatique. Le Dr Bloom était principalement préoccupé par le diagnostic de TSPT de Mme White, car il a fallu attendre un certain temps après les faits avant qu’il soit posé. Il a écrit ce qui suit :

[traduction]

En effet, le Dr Durante est le principal pourvoyeur de soins de Mme White et il la connaît depuis 2006; il l’a examinée pendant la période des faits et ses notes cliniques ne contiennent rien qui soutienne, même rétrospectivement, un diagnostic de TSPT jusqu’au printemps 2015, où Mme White a avancé qu’elle était atteinte de ce problème de santé sur le fondement de son analyse et de ses recherches. Il est possible qu’elle ait présenté des symptômes de TSPT au moment des faits ou peu après, mais les notes cliniques du Dr Durante ne corroborent pas cette hypothèse. En effet, selon les notes médicales, le tableau clinique le plus marquant est celui de troubles somatiques diffus et récurrents (caractères gras ajoutés).

 

Une fois que Mme White elle-même, puis le Dr Durante, ont posé le diagnostic, les évaluations ultérieures effectuées par des experts en psychiatrie et en psychologie ont mis en évidence le TSPT et ses symptômes.

 

Par conséquent, il m’est difficile de réfuter catégoriquement un diagnostic de TSPT posé par des collègues qui ont réellement examiné Mme White, mais j’ai du mal, pour les raisons décrites plus haut, à soutenir ce diagnostic sans réserve. Si j’avais examiné Mme White, j’aurais considéré davantage ses antécédents, j’aurais consulté d’autres dossiers et interrogé des personnes de confiance, ce qui m’aurait permis d’avoir l’acuité diagnostique nécessaire pour soutenir ou réfuter catégoriquement le TSPT ou tout autre diagnostic.

Mme White

[111] Mme White a témoigné que pendant les semaines où elle était en congé en août 2013 après l’incident survenu au travail, elle était anxieuse, sous le choc et traumatisée, qu’elle avait du mal à sortir de chez elle et qu’elle pleurait constamment.

[112] Ce n’est qu’en raison des mesures d’adaptation proposées par les LNC qu’elle a pu reprendre le travail après l’agression, et elle a exprimé le besoin qu’elles soient maintenues jusqu’à ce que son état de santé s’améliore. À l’audience, elle a témoigné qu’elle n’avait jamais eu l’occasion de guérir et que, moins d’un mois après son retour au travail, on lui a appris que les mesures d’adaptation étaient temporaires. Elle a déclaré qu’après le retrait des mesures d’adaptation prises à son égard, son état de santé s’est dégradé, son anxiété a augmenté et elle a ajouté qu’elle souffre toujours de ces symptômes.

[113] Après son retour au bureau, les seules communications entre Mme White et Mme Fleming ont eu lieu par courriel . Elle a affirmé que, lorsque M. Kapitan a abordé la question de la reprise des contacts personnels avec Mme Fleming en octobre 2013, elle a parlé au Dr Durante et ses nausées et autres symptômes se sont aggravés. Selon elle, même avant que la question ne soit abordée, elle était anxieuse et sujette à des crises de panique, elle était hypervigilante et avait peur de croiser Mme Fleming.

[114] Selon Mme White, Mme Fleming a continué à nuire à son travail. Elle a donné l’exemple d’un incident où Mme Fleming avait ordonné à la réceptionniste de ne pas envoyer les demandes de chèques que Mme White avait produites, contrairement à la procédure. Selon Mme White, lorsqu’elle a cessé de travailler au premier étage en décembre 2014, Mme Fleming a continué à lui rendre visite tous les jours pour lui dire à quel point elle avait l’air mal en point, pour la rabaisser et la critiquer et nuire à son travail, ce qui a affecté sa santé, selon ce qu’elle a signalé à M. Kapitan.

Brett Miller

[115] Brett Miller, qui a travaillé au bureau de Port Hope de 2012 à 2016, a témoigné qu’il déjeunait avec Mme White et qu’il avait des contacts réguliers avec elle. Il l’avait trouvée positive et professionnelle, mais avait remarqué un changement dans sa réactivité et son caractère après l’incident survenu au travail. À son retour de congé en août 2013, M. Miller l’a trouvée distante et renfermée. En témoignage, il dit avoir communiqué à son gestionnaire de l’époque ses inquiétudes au sujet de Mme White. Il a également fait part de ces préoccupations à Mme Allen, M. Kapitan et Mme Denby. Il a déclaré que les gestionnaires lui avaient dit qu’ils suivraient la situation, mais qu’aucune mesure supplémentaire n’avait été prise.

CONCLUSIONS SUR L’ÉTAT DE SANTÉ, LA LIMITATION FONCTIONNELLE ET LES BESOINS DE SOINS MÉDICAUX ALLÉGUÉS DE M. WHITE

[116] Je conclus qu’aucun problème de santé n’empêchait Mme White de travailler en personne avec Mme Fleming entre le 3 mars 2014, lorsque les LNC l’ont exigé, et mars 2015, lorsqu’elle est partie en congé. Même si j’acceptais que les contacts personnels avec Mme Fleming étaient contre-indiqués pour des raisons de santé à son retour après l’incident survenu au travail, j’estime que les LNC ont tenu les deux employées à l’écart pendant six mois, d’août 2013 au 3 mars 2014. Au cours de cette période, Mme White n’a pas interagi en personne avec Mme Fleming et a principalement communiqué par courriel. Ni Mme White ni la Commission n’allèguent que les interactions indirectes avec Mme Fleming ont entraîné des conséquences ou des restrictions d’ordre médical.

[117] Mme White et la Commission soutiennent que les éléments de preuve appuient incontestablement la conclusion selon laquelle elle était atteinte d’une déficience au sens de la Loi au cours de la période de référence. La Commission s’appuie sur l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), 2000 CSC 27 [Mercier], à l’appui de sa position selon laquelle la déficience ne se définit pas seulement par la présence d’une déficience mentale ou physique entraînant des limitations fonctionnelles, et doit être interprété de manière large en reconnaissant l’élément subjectif de la discrimination fondée sur ce motif. Elle soutient que l’accent doit être mis sur la distinction, l’exclusion ou la préférence plutôt que sur la cause ou l’origine précise de la déficience.

[118] Je conviens que la cause ou l’origine précise d’une déficience n’est pas essentielle, mais j’estime que l’arrêt Mercier ne permet pas d’affirmer que la présence d’une limitation fonctionnelle n’est pas nécessaire pour établir qu’un plaignant est atteint d’une « déficience ». Dans l’arrêt Mercier, la Cour suprême du Canada a conclu qu’un « handicap » peut résulter aussi bien d’une limitation physique que d’une affection, d’une construction sociale, d’une perception de limitation ou d’une combinaison de tous ces facteurs. En d’autres termes, la preuve de déficience n’exige pas obligatoirement la preuve d’une limitation physique ou la présence d’une affliction quelconque et peut inclure une « déficience » réelle ou perçue. La Cour a conclu que c’est « l’effet de l’ensemble de ces circonstances qui détermine si l’individu est ou non affecté d’un “handicap” pour les fins de la Charte » (Mercier, au par. 79) et qu’il est nécessaire de considérer les « circonstances dans lesquelles une distinction est faite » et de trancher la question de savoir si une affection réelle ou perçue engendre pour l’individu la perte ou la diminution des possibilités » (Mercier, au par. 80).

[119] À mon avis, l’arrêt Mercier n’est pas en contradiction avec les arrêts ultérieurs Desormeaux ou Granovksy, ou avec l’exigence d’avoir une limitation fonctionnelle pour établir l’existence d’une déficience. Dans l’arrêt Mercier, la Cour suprême reconnaît que la déficience peut aller au-delà des affections réelles et inclure des affections subjectives, de sorte que la question de savoir si une personne est atteinte d’une déficience nécessite une analyse multidimensionnelle qui tient non seulement compte de la condition de l’individu, mais aussi des circonstances dans lesquelles une distinction est faite (Mercier, aux par. 80 et 83).

[120] Mme White ne fait pas valoir qu’elle était atteinte d’une déficience perçue. Elle allègue plutôt qu’elle était atteinte d’une déficience réelle accompagnée d’une limitation fonctionnelle très particulière, qu’il lui incombe d’établir.

[121] D’ailleurs, je fais une distinction entre les faits de la présente affaire et ceux de l’affaire Desormeaux, dans laquelle le Tribunal a rejeté l’argument de l’employeur selon lequel la plaignante n’avait pas établi l’existence d’une déficience causée par des maux de tête. Selon le Tribunal, indépendamment de la nature de maux de tête dont souffrait Mme Desormeaux, que ce soit des migraines ou autres, l’effet des symptômes de la plaignante et de ses médicaments sur sa capacité de fonctionner n’était pas contesté. Le Tribunal a conclu que l’état de la plaignante lui avait causé une déficience significative et l’avait empêchée de faire son travail. La Cour fédérale d’appel a jugé que le Tribunal avait devant lui un ensemble d’éléments de preuve qui l’autorisait raisonnablement à dire qu’il y avait une déficience et que les rapports des médecins n’étaient pas réellement contradictoires (Desormeaux, aux par. 13 à 15). En revanche, concernant la plainte de Mme White, je ne dispose d’aucun élément de preuve convaincant qui démontre une limitation fonctionnelle au cours de la période de référence, et je ne peux donc pas conclure que la plaignante était atteinte d’une déficience.

L’état de santé de Mme White avant de travailler pour les LNC ne permet pas d’établir qu’elle avait une limitation fonctionnelle pendant la période de référence

[122] Mme White et la Commission soutiennent qu’elle était en bonne santé avant de travailler aux LNC. Elles affirment que cet élément est important, car il permet de conclure que les interactions entre Mme White et Mme Fleming ont été l’événement déclencheur de son TSPT et de son état de santé invalidant et permanent. Mme White a témoigné que ses problèmes de santé ont commencé en novembre 2012, et qu’ils doivent être attribués à la façon dont Mme Fleming l’a traitée à partir d’octobre 2012.

[123] Les LNC font valoir que Mme White avait un état de santé préexistant et que ses problèmes n’ont pas été causés par Mme Fleming ni par la décision des LNC de leur demander de reprendre les contacts en personne. Ils affirment que les éléments de preuve médicale montrent que Mme White a vécu un certain nombre d’incidents de nature psychologique significatifs et que sa personnalité de base et ses problèmes de santé étaient omniprésents dans sa vie avant de commencer à travailler pour les LNC.

[124] Dans la mesure où l’état de santé de Mme White avant son travail pour les LNC est pertinent pour établir ses limitations fonctionnelles précises en milieu de travail durant la période de référence, je ne peux conclure que la preuve sur l’état de santé de Mme White avant son embauche aux LNC appuie son allégation selon laquelle ses problèmes de santé ont tous été causés par Mme Fleming et la décision des LNC de les obliger à recommencer à travailler ensemble. Mme White avait des antécédents de problèmes de santé et des facteurs de stress importants dans sa vie, et elle était une [traduction] « consommatrice modérée de services médicaux », comme l’a écrit le Dr Bloom. Elle n’était pas en parfaite santé avant son emploi aux LNC, et elle a dû faire face à d’autres facteurs de stress dans sa vie alors qu’elle était à l’emploi de ces dernières.

La relation entre Mme White et Mme Fleming avant l’incident survenu au travail

[125] Mme White affirme que [traduction] « des antécédents prolongés de harcèlement » de la part de Mme Fleming l’avaient amenée à développer des problèmes de santé mentale. Elle a témoigné que Mme Fleming avait commencé à la harceler à l’automne 2012, environ un mois après son entrée en fonction en tant que contrôleuse des coûts, et que ce comportement s’était intensifié jusqu’à l’incident survenu au travail. Selon des courriels datés du 21 novembre 2012, Mme White a fait part à M. Kapitan des problèmes qu’elle vivait avec Mme Fleming, et elle a précisé que cette dernière était [traduction] « très en colère » contre elle après avoir relevé des anomalies dans son travail. Elle a signalé que Mme Fleming lui avait crié après en présence de M. Kapitan à l’extérieur de la salle de photocopie et que le comportement de harcèlement s’était ensuite intensifié pour aboutir à l’incident survenu au travail.

[126] Les LNC soutiennent que je ne peux pas accepter sans réserve les affirmations de Mme White concernant le degré de [traduction] « harcèlement » commis par Mme Fleming ni supposer que ce comportement a prédisposé Mme White à une déficience ou à un préjudice psychologique. Ils font valoir que les notes de Mme White sur son emploi aux LNC sont suspectes, même si elles sont plus fiables que son témoignage. Ils font valoir qu’en contre-interrogatoire, il est devenu évident qu’au fil du temps, Mme White avait embelli son récit de l’incident survenu au travail. Selon les LNC, s’il a été démontré à plusieurs reprises que Mme White modifiait constamment son récit, il est légitime de remettre en question la fiabilité de sa version initiale des faits concernant Mme Fleming. Les LNC soutiennent également que, même si on accepte sans réserve les notes de Mme White écrites entre octobre 2012 et l’incident survenu au travail du 1er août 2013, celles-ci ne permettent pas de conclure de façon objective à l’existence d’un harcèlement dont on pourrait raisonnablement dire qu’il avait eu une incidence sur la question de la déficience.

[127] Je ne tire aucune conclusion sur l’existence alléguée du harcèlement durant cette période, mais j’estime que les interactions entre Mme White et Mme Fleming avant l’incident survenu au travail constituent un contexte pertinent pour déterminer l’effet potentiel de ce dernier et trancher la question de savoir si Mme White avait une limitation fonctionnelle et avait besoin d’être séparée de Mme Fleming pour des raisons de santé.

[128] Je reconnais toutefois que Mme White et Mme Fleming ont manifestement eu des difficultés à collaborer et que le gestionnaire de Mme White, M. Kapitan, avait parfaitement connaissance de ces tensions. Mme White exerçait depuis peu la fonction de contrôleuse des coûts, alors que Mme Fleming était plus expérimentée, et les notes de Mme White montrent que Mme Fleming a parfois critiqué son travail. Mme Fleming aurait qualifié le travail de Mme White de [traduction] « déchet », elle se serait mise en colère et aurait [traduction] « crié » que Mme White était [traduction] « parfaite et n’avait rien fait de mal » alors qu’elle se trouvait dans la salle de photocopie.

[129] Je reconnais toutefois que, comme c’est souvent le cas dans les relations humaines, les interactions sont souvent plus nuancées et ne se résument pas toujours à des positions tranchées. Je conviens avec les LNC que le portrait unidimensionnel que Mme White a dressé de Mme Fleming n’est pas fidèle à la réalité. Tout n’était pas négatif dans la relation entre Mme Fleming et Mme White, et les éléments de preuve appuient une conclusion plus nuancée, particulièrement à la lumière des conclusions que j’ai tirées ci-après concernant la fiabilité et la crédibilité des récits de Mme White sur ses interactions avec Mme Fleming. Mme White et Mme Fleming ont réussi à collaborer lors de certaines tâches, et de la formation, à la fois avant que Mme White n’assume le rôle de contrôleuse des coûts et par la suite. Mme White a reconnu en contre-interrogatoire qu’elle avait dû interagir fréquemment avec Mme Fleming avant l’incident survenu au travail, notamment en travaillant côte à côte devant le même écran d’ordinateur, et qu’elle avait assisté à des réunions en présence de Mme Fleming. En outre, Mme White a signalé aux médecins de la WSIB, les Drs Aleem et Bury, qu’elle travaillait en étroite collaboration avec Mme Fleming et qu’elle participait régulièrement avec elle à des projets de groupe. Mme White a reconnu en contre-interrogatoire que Mme Fleming lui avait envoyé des fleurs comme cadeau de Noël en décembre 2012 et qu’elle était venue la chercher à son domicile pour la conduire à des ateliers de planification hors site en juillet 2013.

[130] Elles ont manifestement eu des échanges respectueux, et les notes de Mme White du 8 mars 2013 au mois d’août 2013 ne font état d’aucun harcèlement présumé de la part de Mme Fleming.

[131] Je conviens avec les LNC que, si ces incidents ont bien eu lieu, ils étaient peut-être inappropriés dans un milieu de travail, mais qu’ils ne pourraient raisonnablement être qualifiés de suffisamment répandus et graves au point de causer un trouble de santé mentale invalidant ou d’en être un facteur important. En outre, les notes cliniques du Dr Durante ne mentionnent aucun harcèlement au cours de la période antérieure à août 2013.

[132] La preuve ne permet pas de conclure que la relation était exclusivement négative et je ne suis pas d’avis que leur relation avant l’incident survenu au travail, bien que potentiellement tendue et quelque peu conflictuelle, permet d’établir que Mme White avait besoin d’éviter Mme Fleming pour des raisons de santé pendant la période de référence.

L’incident survenu au travail et les différents récits de Mme White sur ce qui s’est passé

[133] Bien que je ne tire aucune conclusion en matière de responsabilité concernant l’incident survenu au travail, lequel est antérieur à la période visée par la plainte et ne concerne pas une caractéristique protégée, les parties soutiennent, pour des raisons opposées, que l’incident est pertinent, car une conclusion sur la gravité de celui-ci pourrait raisonnablement avoir une incidence sur la question de la déficience dont je suis saisie.

[134] Mme White est d’avis que l’incident a eu un effet considérable sur elle et qu’il a été le déclencheur de son TSPT et d’autres problèmes de santé. Elle soutient également que, puisque les LNC étaient au courant de l’incident survenu au travail, ils auraient raisonnablement dû savoir que sa déficience lui imposait d’éviter Mme Fleming et auraient dû se renseigner sur les mesures d’adaptation qui pouvaient être prises.

[135] Selon les LNC, l’incident survenu au travail et les interactions entre Mme Fleming et Mme White n’ont pas causé de blessure psychologique ou un état de santé invalidant, tel que le TSPT. Ils reconnaissent que l’incident survenu au travail a eu lieu et qu’un rapport a été produit par Dan Sullivan, mais ils soutiennent que je devrais accorder plus de poids aux communications de Mme White durant cette période qu’à son témoignage à l’audience sur le fait qu’elle était bouleversée et désemparée à la suite de cet incident. Ils font également valoir que Mme White a embelli son récit de l’incident au fil du temps et l’a rendu plus grave que la description qu’elle en a faite immédiatement après qu’il se soit produit. Ils font valoir que les récits que Mme White a faits par la suite aux psychiatres qu’elle a consultés donnent une image de plus en plus grave de l’incident survenu au travail, ce qui nuit également à sa crédibilité.

[136] Compte tenu de la manière dont les descriptions faites par Mme White semblent avoir changé, j’accorde davantage de poids au récit qui a suivi l’incident et au contenu de ses notes de l’époque. Dans sa note manuscrite datée du 1er août 2013, Mme White indique que Mme Fleming était [traduction] « FOLLE », qu’elle lui a dit être souvent frustrée contre elle et ajoute qu’elle « [l’avait] littéralement saisie par le cou ». Mme White a parlé de l’incident à M. Kapitan, et elle est restée au travail ce jour-là. À la fin de la journée, elle a écrit un courriel à M. Kapitan pour lui dire qu’elle se sentait dans une position délicate, malgré les excuses de Mme Fleming, et qu’elle laissait M. Kapitan gérer la situation comme il l’entendait. Le lendemain, Mme White a déposé une plainte officielle, dans laquelle elle a mentionné pour la première fois que Mme Fleming l’a [traduction] « agressée verbalement », qu’elle lui a crié après, qu’elle a resserré ses mains autour de son cou et qu’elle a émis un grognement. Le rapport indique également que Mme White était assise et qu’elle s’est penchée en arrière lorsque Mme Fleming l’a touchée, au point où Mme Fleming a relâché ses mains et [traduction] « s’est éloignée d’un pas rageur ». Mme White a signalé qu’elle avait été très secouée et qu’elle avait immédiatement parlé de l’incident à son gestionnaire. Selon elle, cet incident faisait suite à des mois d’intimidation et de malaises physiques quotidiens, et elle a conclu en déclarant qu’elle envisageait de recourir à la justice. Mme White a également écrit qu’elle se sentait comme la [traduction] « femme battue d’un mari violent », même si elle a admis à l’audience qu’elle n’avait jamais subi de violences conjugales.

[137] Les LNC ont cité d’autres exemples montrant que le récit de Mme White sur l’incident survenu au travail semblait s’aggraver au fur et à mesure qu’elle s’adressait à divers professionnels de la santé. Je n’examinerai pas tous ces exemples, mais je tiens à préciser que, selon le rapport du Dr Jeeva, Mme White a affirmé que Mme Fleming lui avait crié dessus. Dans la chronologie des événements présentée à la Commission en 2017 relativement à sa plainte pour atteinte aux droits de la personne, Mme White a écrit que Mme Fleming avait fait irruption dans son bureau à cloisons en criant et en fulminant, qu’elle l’avait agressée physiquement, qu’elle avait mis ses mains autour de son cou, qu’elle l’avait secouée et qu’elle avait grogné, et a indiqué s’être débattue pour échapper à son emprise. Elle a également écrit qu’après l’incident, personne n’est venu lui parler et qu’elle avait été dans le brouillard pour le reste de sa journée de travail, ce qui est en contradiction avec le courriel qu’elle a envoyé à M. Kapitan quelques heures après l’incident, dans lequel elle avait dit que Mme Fleming lui avait présenté ses excuses et où elle avait remercié M. Kapitan de lui avoir parlé.

[138] Mme White semble avoir signalé aux Drs Farreel, Alleem et Bury en 2018 que Mme Fleming s’est approchée d’elle par-derrière, qu’elle a mis ses mains sur son cou et qu’elle l’a secouée, et a également dit au docteur Gojer en 2021 que Mme Fleming lui avait crié [traduction] « [p]ourquoi fais-tu ce travail? »

[139] Lors de son contre‑interrogatoire, Mme White a été interrogée sur ces divergences, entre autres, et elle a reconnu qu’aucun de ses rapports antérieurs ne mentionnait que Mme Fleming l’avait approchée par-derrière et l’avait secouée. Elle a toutefois maintenu avoir dit à tous ses médecins qu’elle avait été approchée par-derrière, tout en niant leur avoir dit que Mme Fleming l’avait secouée.

[140] Je conviens avec les LNC qu’il est improbable que Mme White n’ait pas mentionné à certains de ses médecins que Mme Fleming l’avait secouée par le cou, car c’est ce qu’elle a écrit dans le récit des événements qu’elle a joint à sa plainte pour atteintes aux droits de la personne et que trois professionnels de la santé différents ont souligné ce détail particulier. Mme White a témoigné qu’elle pensait que les médecins avaient mal interprété son récit, mais j’estime qu’il n’est pas plausible que plusieurs médecins aient commis la même erreur d’interprétation. Les LNC soutiennent que les Drs Farrell, Aleem et Bury examinaient Mme White concernant ses prestations de la WSIB et que Mme White avait intérêt à [traduction] « forcer le trait ». Ils ajoutent qu’il en va de même quant à son entrevue avec le Dr Gojer, dont les services avaient été retenus au soutien de sa plainte pour atteinte aux droits de la personne.

[141] À mon avis, les récits divergents de Mme White, qui ont parfois pris de l’ampleur avec le temps, ne renforcent pas ni sa crédibilité quant aux effets de l’incident ni son témoignage sur l’incidence du travail avec Mme Fleming durant la période de référence.

L’incident survenu au travail était-il suffisamment grave pour déclencher un TSPT?

[142] La Commission soutient qu’il ne m’appartient pas de déterminer si Mme White est atteinte d’un TSPT ou d’un autre problème de santé. Elle soutient que le Dr Durante a d’abord diagnostiqué un trouble de santé mentale – soit un trouble anxieux généralisé et une perturbation situationnelle – dès août 2013, ainsi que d’autres troubles médicaux, notamment un TSPT, des troubles dépressifs (léger et majeur), un trouble somatique, un trouble de conversion ou un trouble de l’adaptation. Elle affirme qu’il ne m’appartient pas de me substituer à un médecin et que les éléments de preuve médicale sont irréfutables.

[143] Je reconnais que mon rôle n’est pas celui d’une clinicienne. Toutefois, j’accepte l’argument des LNC selon lequel ce n’est que si Mme White était atteinte d’un TSPT au cours de la période de référence qu’elle aurait dû éviter Mme Fleming pour des raisons de santé, étant donné que l’événement déclencheur de son TSPT était l’incident survenu au travail. La présente ’affaire repose dans son ensemble sur l’allégation de Mme White selon laquelle elle devait éviter Mme Fleming en raison de sa déficience. Je dois donc trancher la question de savoir si les éléments de preuve médicale présentés peuvent établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle est atteinte d’une déficience au sens de la Loi.

[144] Le Dr Bloom a expliqué qu’un diagnostic de TSPT nécessite un incident violent, grave et déclencheur. J’estime que l’incident survenu au travail pourrait avoir été l’événement déclencheur. Personne ne conteste que Mme White était en arrêt de travail entre le 2 et le 21 août 2013. Le rapport d’enquête décrit l’incident et ses conséquences de la manière suivante : [traduction] « [l]e fait d’enserrer la gorge d’une personne de façon menaçante après l’avoir agressée verbalement pourrait avoir un effet extrêmement préjudiciable ». L’incident a manifestement eu des conséquences importantes sur Mme White.

[145] Les LNC soutiennent que le rapport d’enquête interne de M. Sullivan ne reposait que sur les récits subjectifs des incidents faits par Mme White, mais je conviens avec la Commission qu’il y a eu aussi des déclarations faites par Mme Fleming, ainsi que par Mme Denby et M. Kapitan. Le rapport souligne également que Mme White [traduction] « a fondu en larmes » et qu’« elle était bouleversée », et il conclut que Mme Fleming a commis un acte de violence qui a causé « un préjudice significatif » tant émotionnel que psychologique à Mme White.

[146] Je conviens également avec la Commission que les LNC n’ont pas présenté d’éléments de preuve pour contredire les conclusions de l’enquête et n’ont pas cité de témoins pour contester le rapport ou la façon dont l’incident a été interprété. Je conviens que l’incident a eu des conséquences importantes pour Mme White et que les LNC en avaient connaissance. Toutefois, je reconnais que la preuve médicale montre que les récits de Mme White sur l’incident ont changé au fil du temps et qu’ils pourraient bien s’être aggravés, question que j’examinerai ci-après.

[147] Plus important encore, même si l’incident survenu au travail était suffisamment grave pour constituer l’événement déclencheur d’un diagnostic de TSPT, la preuve n’établit pas que Mme White présentait effectivement des symptômes de TSPT pendant la période de référence ni qu’elle avait besoin d’éviter l’élément déclencheur, à savoir Mme Fleming, pour des raisons de santé.

Mme White n’a pas établi qu’elle était atteinte d’un TSPT pendant la période de référence

[148] Je conviens avec les LNC que le Dr Durante n’avait pas envisagé la possibilité d’un diagnostic de TSPT avant que Mme White en fasse mention dans un courriel à la fin du mois de mai 2015, et que les spécialistes de la santé mentale ont fondé leurs évaluations, au moins en partie, sur les déclarations de celle-ci. Cela dit, ils l’ont évaluée et ont tout de même convenu de ce diagnostic. Ils ont posé ce diagnostic en dépit de leur accès limité à l’ensemble des antécédents de la patiente dans certains cas, ainsi que de leur recherche limitée d’autres causes possibles.

[149] Ma principale préoccupation concernant le TSPT ne découle pas du fait que la suggestion vient de Mme Whites. Je suis plutôt préoccupée par le fait que même si j’acceptais ce diagnostic au pied de la lettre, il demeure que les spécialistes ne mentionnent pas l’existence de symptômes pendant la période de référence qui auraient pu étayer le diagnostic de TSPT, une limitation fonctionnelle et la nécessité d’éviter Mme Fleming pour des raisons de santé lorsque les LNC ont demandé que les deux employées recommencent à travailler ensemble. En d’autres termes, bien qu’il soit possible que le TSPT et les symptômes connexes aient été présents au moment où les experts ont examiné Mme White, le dossier médical ne contient pas suffisamment d’éléments pour conclure, selon la prépondérance des probabilités, que le TSPT et les symptômes connexes étaient présents au cours de la période de référence.

[150] Je reconnais que l’incident survenu au travail était suffisamment grave pour constituer un événement déclencheur, mais j’estime que Mme White n’a pas établi qu’elle était atteinte d’un TSPT durant la période de référence, c’est-à-dire entre le moment où elle a été forcée de reprendre contact avec Mme Fleming en mars 2014 et celui où elle a cessé de travailler aux LNC en mars 2015. Le rapport d’enquête du 12 août 2013 reflète les conséquences importantes que l’incident survenu au travail a eues sur Mme White, mais il ne donne qu’un bref aperçu de l’état de Mme White, comme le soutiennent les LNC, et ne constitue pas une description exacte de son état de santé pour l’ensemble de la période de référence dans la présente affaire, à savoir d’août 2013 à mars 2015.

[151] Les LNC ont fait valoir que dans certaines affaires où il disposait des éléments de preuve médicale à l’appui, le Tribunal a néanmoins conclu, après examen, que l’existence de la déficience n’avait pas été démontrée. Ils se fondent sur la décision Beauregard c. Société canadienne des Postes, 2004 TCDP 4 [Beauregard], aux par. 213 à 234, confirmée par la décision répertoriée sous la référence 2005 CF 1384, dans laquelle le Tribunal a conclu à l’absence de déficience, car rien dans les notes médicales contemporaines des événements n’indiquait que le plaignant présentait les symptômes typiquement associés aux troubles psychiatriques allégués par ce dernier et que les opinions des médecins reposaient sur des hypothèses erronées concernant la nature et la gravité d’un facteur de stress allégué (un conflit en milieu de travail). Le Tribunal a conclu qu’il ne suffit pas qu’un médecin affirme qu’une personne souffre d’une condition, encore faut-il que la preuve présentée à l’appui soutienne des caractéristiques propres et mène à la conclusion de l’existence de la maladie (Beauregard, au par. 214). Dans la décision Hopps c. Shadow Lines Transportation Group, 2020 TCDP, aux par. 47 à 55, le Tribunal a décidé que le critère juridique de la déficience n’avait pas été rempli parce que le rapport médical final ne précisait pas de limitations fonctionnelles à long terme et que les rapports montraient que l’état de l’ employé s’était amélioré de telle sorte qu’il pouvait retourner au travail sans la prise de mesures d’adaptation.

[152] La Commission fait valoir que les LNC me demandent d’ignorer les éléments de preuve médicale dans la présente affaire et le fait que les spécialistes de la santé mentale qui ont évalué Mme White après son départ s’accordent largement sur le diagnostic de TSPT. Elle ajoute que même le Dr Bloom a reconnu que dans l’éventualité où Mme White était atteinte d’un TSPT, sa capacité à travailler en personne avec Mme Fleming aurait pu être entravée. Je souscris à l’avis de la Commission quant au consensus entourant le diagnostic de TSPT, mais une telle démarche revient à exclure des éléments clés du dossier de preuve.

[153] L’avis du Dr Bloom était plus nuancé et équilibré, ce qui a renforcé sa crédibilité en tant qu’expert, à mon avis. Il a reconnu que le diagnostic de TSPT était possible, mais la Commission ne tient pas compte dans ses observations du reste de son avis à ce sujet, ce qui affaiblit sa thèse. Selon le Dr Bloom, [traduction] « [b]ien [qu’il] doive admettre la possibilité [que Mme White] ait présenté des symptômes de TSPT au moment de l’incident ou peu après, [il] estime que les notes cliniques du Dr Durante ne corroborent pas cette hypothèse. En effet, selon les notes médicales, le tableau clinique le plus marquant est celui de troubles somatiques diffus et récurrents ».

[154] Les professionnels de la santé n’étaient pas tous d’accord sur le diagnostic précis. Le Dr Bloom n’a pas réfuté le diagnostic de TSPT, mais s’est demandé si d’autres pathologies ne méritaient pas un examen plus approfondi, comme le trouble à symptomatologie somatique, car Mme White présentait depuis longtemps de multiples symptômes somatiques qui l’avaient affligée et perturbée dans sa vie de tous les jours. Le Dr Gratzer était d’avis que les symptômes somatiques étaient compatibles avec l’incident survenu au travail et que la plaignante était très probablement atteinte d’un TSPT, d’un trouble dépressif majeur associé à une préoccupation somatique et d’un TSPT permanent. Le Dr Gojer a témoigné qu’il était possible que les symptômes de Mme White soient dus au stress professionnel qu’elle avait subi, mais qu’il était également possible qu’ils aient d’autres causes. Comme la Commission le reconnaît elle-même dans ses observations, le Dr Gojer a déclaré que le diagnostic de TSPT ne rendait pas compte de tous les symptômes dont souffrait Mme White, et notamment de la manifestation somatique. Un diagnostic plus approprié qui rendrait mieux compte de la symptomatologie psychiatrique serait un trauma complexe, ainsi que le diagnostic d’autres troubles particuliers liés à un traumatisme ou à un facteur de stress.

[155] Même si j’acceptais sans réserve l’affirmation selon laquelle il existait un consensus sur le TSPT, il ne suffit pas d’affirmer qu’un employé souffre d’un problème de santé pour déduire qu’il est atteint d’une déficience ou qu’il a une limitation fonctionnelle nécessitant des mesures d’adaptation. Mon rôle consiste à examiner tous les éléments de preuve médicale et à ne pas simplement considérer qu’il suffit d’être atteint d’un problème de santé. Comme l’a indiqué la Cour suprême dans l’arrêt Granovsky, les affections physiques ou mentales n’engendrent pas toutes des limitations fonctionnelles (Granovsky, au par. 36).

[156] À mon avis, une telle présomption à l’égard des personnes atteintes de problèmes de santé est également contraire à l’objectif de la Loi, qui énonce « le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins » (art. 2 de la Loi). Le fait qu’un employé est atteint d’un problème de santé ne signifie pas que l’employeur doit présumer qu’il est incapable d’exercer une tâche particulière au travail. À mon avis, c’est exactement le type d’hypothèse que la Cour suprême du Canada a jugé discriminatoire dans l’arrêt Mercier parce qu’elle repose sur des suppositions sans fondement. Comme l’affirme la Commission, l’objectif de la Loi est de soutenir les personnes qui cherchent à vivre pleinement leur vie.

[157] Je conclus que le témoignage du Dr Bloom sur ce point est convaincant. Le Dr Bloom a expliqué qu’un diagnostic de TSPT ne se traduit pas nécessairement par une déficience, à moins qu’il ne fasse l’objet d’un examen et d’un diagnostic particuliers. Il a témoigné que de nombreuses personnes atteintes d’un TSPT ou d’un autre trouble de santé mentale, tel que la schizophrénie, peuvent occuper un emploi et qu’il s’agit évidemment d’une bonne chose, qui permet de respecter la dignité et le potentiel de tous les personnes et d’écarter la présomption selon laquelle une personne atteinte d’un problème de santé a une limitation fonctionnelle et ne peut donc pas accomplir certaines tâches particulières en milieu de travail.

[158] J’accepte l’argument de Mme White et de la Commission selon lequel les éléments de preuve médicale ne permettent pas de conclure que Mme White avait simulé son état. Le Dr Durante a témoigné qu’il pensait que Mme White était honnête et directe, et qu’il lui avait toujours fait confiance. De plus, Mme White a été soumise à un test visant à détecter la simulation, et les Drs Aleem et Bury de la WSIB ont confirmé que les résultats du test indiquaient que Mme White ne simulait pas, et qu’il n’y avait aucune preuve de réponses exagérées selon le score qu’elle avait obtenu. Le Dr Gojer n’a pas non plus relevé de signes de simulation. Cela dit, ma décision de rejeter la demande de Mme White n’est en aucun cas liée à la simulation et je n’ai aucune difficulté à conclure qu’elle était confrontée à divers problèmes de santé. Je rejette plutôt sa demande au motif que les lacunes du dossier ne lui permettent pas d’établir qu’elle était atteinte d’un TSPT et, comme je l’explique ci-après, qu’elle ne pouvait travailler avec Mme Fleming pour des raisons de santé.

Les éléments de preuve n’établissent pas une limitation fonctionnelle et la nécessité d’éviter Mme Fleming pour des raisons de santé.

[159] J’estime qu’il est particulièrement probant que le Dr Durante ne fasse aucunement mention de Mme Fleming ou de la [traduction] « collègue » de Mme White dans ses notes cliniques de mars 2014 à mars 2015. Comme Mme White avait clairement parlé de Mme Fleming dans le passé, en la décrivant après l’incident survenu au travail comme [traduction] « une personne extrêmement cinglante, contrôlante et hostile », j’estime qu’il n’est pas plausible, à mon avis, que Mme White ait négligé de mentionner les problèmes avec sa collègue s’ils avaient vraiment eu un effet sur sa santé, étant donné la facilité avec laquelle elle s’est ouverte dans le passé concernant les facteurs de stress au travail.

[160] Les notes cliniques du Dr Durante du 4 mars 2014 montrent clairement qu’il était parfaitement au courant de la nouvelle mesure qui avait été prise concernant Mme Fleming, mais il n’a pourtant émis aucune ordonnance médicale s’y opposant. Le Dr Durante a plutôt affirmé qu’en ce qui [traduction] « concerne son humeur, [Mme White] s’est adaptée à sa nouvelle réalité et a appris à faire face à la situation. » En mai 2014, le Dr Durante a écrit que [traduction] « les choses se passent bien au travail et elle a pris l’habitude d’enregistrer toutes ses conversations avec ses collègues »; son état affectif « est enjoué et positif et aucune autre action de [sa] part n’[était] nécessaire pour le moment ». Ce ne sont pas les mots qu’utilise un médecin pour décrire une personne qui doit éviter sa collègue pour des raisons de santé.

[161] En outre, Mme White a cessé les visites médicales et la prise de médicaments de mai à septembre 2014, mais elle a ensuite commencé à éprouver du stress en raison de responsabilités professionnelles accrues, au moment où Mme Fleming a quitté le service. Mme White a donc subi un stress accru à un moment où elle avait moins d’interactions avec Mme Fleming, et non en raison de ces interactions. La preuve au dossier ne démontre pas que les symptômes somatiques que Mme White éprouvait à cette époque étaient liés à Mme Fleming; les problèmes de santé de Mme White auraient pu avoir d’autres causes.

[162] Ni Mme White ni la Commission n’ont pu expliquer l’absence de cet élément dans les notes du Dr Durante. En réplique, Mme White a fait référence aux congés de maladie qu’elle a pris, aux courriels qu’elle a envoyés à M. Kapitan et au fait que le Dr Durante a souligné à l’automne 2013 les conséquences de l’incident survenu au travail. Mais je suis préoccupée par le moment où les LNC ont retiré les mesures d’adaptation alléguées et par l’absence, dans les notes du Dr Durante, de toute mention de ce retrait comme constituant un problème médical. En tout état de cause, j’estime que les absences de Mme White ne sont aucunement révélateurs quant à leur cause. Mme White n’a pas non plus fourni d’éléments de preuve démontrant que ces absences sortaient de l’ordinaire ou qu’elles étaient excessives, ce qui aurait été le signe de problèmes de santé importants.

[163] La Commission a demandé au Dr Durante s’il avait recommandé à quelque moment en 2013 ou 2014 et jusqu’à ce que Mme White quitte son travail qu’elle n’ait pas de contacts personnels avec Mme White, et il a répondu [traduction] « selon mes souvenirs, je pense que je l’ai fait. C’est probablement ce que j’aurais fait. Je ne sais pas si je l’ai écrit tel quel dans mes notes. Mais c’est raisonnable, à mon avis. C’est la principale chose qu’elle devrait éviter ».

[164] Selon les LNC, le Tribunal ne devrait pas tenir compte des déclarations sur ces points, étant donné que la mémoire du Dr Durante était défaillante et que son témoignage n’est pas fiable. En contre-interrogatoire, le Dr Durante a admis qu’il ne pouvait pas se souvenir des détails d’une consultation sans relire ses notes cliniques. Il a reconnu que les médecins ont l’obligation légale et professionnelle de rédiger des notes cliniques de manière à rendre compte de tous les conseils professionnels qu’ils donnent, et que ces notes sont des documents médico-légaux. Il a également admis qu’une journée de travail typique comprenait entre 25 à 30 consultations et que sa liste de patients comprenait entre 1 100 et 1 400 patients.

[165] Je conclus que le Dr Durante était crédible et franc. Toutefois, compte tenu du temps écoulé et du fait qu’il a admis franchement qu’il ne pouvait pas se souvenir des détails des visites sans consulter ses notes, j’estime que les notes cliniques qu’il a prises durant cette période sont plus fiables que son témoignage, au cours duquel il s’est fié uniquement à sa mémoire. C’est particulièrement le cas étant donné qu’il ne s’agit pas seulement de savoir s’il a conseillé à Mme White de ne pas travailler avec Mme Fleming à un moment donné, mais aussi de savoir s’il l’a fait pendant la période allant de mars 2014 à mars 2015. La question de la Commission était formulée de manière plus générale, soit de savoir s’il lui avait recommandé d’éviter Mme White à quelque moment après l’incident, en 2013 et 2014.

[166] Le Dr Durante a témoigné au mieux de ses capacités, et il est compréhensible qu’il ne puisse pas se souvenir des détails au sujet de consultations datant de dix ans ou plus, en particulier compte tenu du nombre de ses patients.

[167] De toute manière, les LNC soutiennent que, même s’il est accepté sans réserve, le témoignage du Dr Durante sur ce qu’il aurait pu dire au cours de la période de référence fait au mieux état d’une recommandation et non d’une restriction médicale qui nécessite une mesure d’adaptation. Pour soutenir cet argument, les LNC s’appuient sur des décisions dans lesquelles les décideurs ont jugé que la demande d’un plaignant de travailler plus près de son domicile ou de changer de gestionnaire n’était pas nécessaire du point de vue médical (Toronto District School Board v. Canadian Union of Public Employees, Local 4400 Unit C, 2010 CanLII 29128 (ON LA), et Toronto Children’s Aid Society v. Canadian Union of Public Employees, 2017 CanLII 89178 (ON LA), au par. 282).

[168] Je conviens que Mme White n’a pas démontré que son besoin d’éviter Mme Fleming représentait davantage qu’une simple préférence, et que le dossier médical ne permet pas de conclure à l’existence d’un besoin fondé sur de véritables raisons de santé. Les notes du Dr Durante ne font aucunement état d’un lien entre un besoin d’ordre médical concernant Mme Fleming et l’un des problèmes de santé de Mme White au cours de la période de référence. La preuve d’expert obtenue par la suite ne démontre pas non plus que l’entente de travail visée par la demande de réparation, soit le fait d’avoir à travailler avec Mme Fleming, a causé à Mme White un préjudice d’ordre médical.

[169] En ce qui concerne la preuve d’expert, les LNC soutiennent que s’il était indiqué dans l’une des 1 300 pages de la preuve médicale que des raisons de santé empêchaient Mme White de travailler avec Mme Fleming au moment où les LNC exigeaient qu’elles reprennent la collaboration en personne, les exposés finaux de Mme White et de la Commission en aurait fait état. Les LNC soutiennent qu’aucune des parties n’a pu établir une telle exigence d’ordre médicale, car aucun des rapports médicaux ne confirme expressément que Mme White ne pouvait travailler en personne avec Mme Fleming pendant la période de référence. Plus précisément, les LNC soutiennent que les éléments de preuve médicale n’établissent aucun lien entre un manquement allégué à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation et l’état de santé et les symptômes de Mme White.

[170] Selon les LNC, aucun des médecins spécialistes, tels que les Drs Jeeva et Gojer et d’autres, qui avaient examiné Mme White en 2016 et après, et qui avaient diagnostiqué un TSPT, n’a conclu que ce trouble était attribuable au fait que Mme White avait dû reprendre le travail avec Mme Fleming. Le cas échéant, ils établissent un lien avec l’incident survenu au travail et les allégations de harcèlement formulées antérieurement par Mme White.

[171] Je conviens que, selon les conclusions du Dr Gojer, les symptômes physiques de Mme White étaient liés à la période pendant laquelle elle éprouvait de la détresse au travail et qui a précédé l’agression dont elle a été victime. Le Dr Gojer est également d’avis que ses symptômes se sont aggravés après l’agression, et estime qu’à partir de février 2015, les symptômes de Mme White se sont intensifiés de nouveau en raison de la manière dont elle percevait sa situation stressante au travail. Je remarque toutefois que le Dr Gojer ne parle ni de la période pendant laquelle Mme White a dû reprendre les contacts personnels avec Mme Fleming, à savoir de mars 2014 à mars 2015, ni de la restriction médicale qui l’empêchait de travailler en personne avec Mme Fleming.

[172] Les docteurs Bloom et Gojer ont tous deux convenu qu’aucun symptôme mentionné dans les notes médicales antérieures au 4 juin 2015 ne justifiait un diagnostic de syndrome de TSPT. Les LNC soutiennent que même si j’accepte que Mme White présentait certains symptômes et qu’elle prenait des médicaments pendant la période d’août 2013 à mars 2015, il ne s’ensuit pas pour autant qu’elle avait une limitation fonctionnelle l’empêchant de travailler en personnes avec Mme Fleming.

[173] Je conviens que les lieux de travail peuvent être exigeants et qu’ils peuvent entraîner des moments de stress, voire de détresse. Toutefois, un diagnostic d’anxiété, de dépression ou de maladie physique ne signifie pas nécessairement qu’une personne bénéficie des protections prévues par la Loi. Les décisions prises par l’employeur sur le lieu de travail qui déplaisent aux employés ne sont pas nécessairement discriminatoires. La présence de facteurs de stress au travail ne signifie pas nécessairement qu’une personne est atteinte d’une déficience au sens de la Loi, même en présence d’un diagnostic médical. Dans la décision Hughes c. Canada (Procureur général), 2021 CF 147, aux par. 83 à 86, la Cour fédérale a conclu que les affections ne sont pas toutes des déficiences et que même le stress et certaines formes de dépression ne sont pas suffisamment graves pour être considérées comme des déficiences justifiant une protection sous le régime de la Loi.

[174] Je reviens sur l’élément central, à savoir que même le Dr Gojer, un professionnel chevronné en santé mentale et un témoin expert qui a examiné Mme White et témoigné de manière crédible, professionnelle, objective et au meilleur de ses capacités, n’a pas affirmé que Mme White présentait une limitation fonctionnelle ni indiqué que son diagnostic rétrospectif signifiait que Mme White ne pouvait pas travailler en personne avec Mme Fleming au cours de la période de référence pour des raisons de santé. Comme les LNC l’ont fait valoir dans leurs exposés finaux, quiconque examine le rapport du Dr Gojer chercherait en vain une déclaration selon laquelle Mme White ne pouvait pas travailler avec Sue Fleming.

[175] Les LNC soutiennent qu’on n’a pas demandé au Dr Jeeva de se prononcer sur la question de savoir si une restriction médicale empêchait Mme White de travailler avec Mme Fleming durant la période de référence, et qu’on lui a plutôt demandé de formuler des recommandations de traitement concernant des antécédents de TSPT liés au harcèlement en milieu de travail, parce que Mme White souffrait de symptômes d’anxiété et était atteinte d’un TSPT. Les LNC soulignent que dans son premier rapport, le Dr Jeeva fait une seule remarque isolée sur le fait qu’il est difficile d’imaginer que Mme White ait été obligée d’interagir avec la femme qui l’a maltraitée et qui l’a agressée. Les LNC me demandent d’accorder peu de poids à ce commentaire, étant donné que le Dr Jeeva a convenu que son rapport reposait sur le fait que Mme White avait été victime de graves menaces de violence et de violence psychologique de la part de Mme Fleming. Ils me demandent également d’accorder peu de poids à l’avis du Dr Jeeva, qui n’a pas examiné le dossier médical de Mme White, ses notes ou les notes du Dr Durante concernant le harcèlement présumé, et qui n’a donc pas vérifié ses allégations.

[176] Le Dr Jeeva a rédigé son premier rapport en janvier 2016, des années après l’incident du 1er août 2013. Les LNC soutiennent que le Dr Jeeva a également supposé, à tort, que Mme White avait recommencé à collaborer avec Mme Fleming en novembre 2013, et a également présumé qu’il n’y avait aucune cause sous-jacente, même si la preuve montre que certains facteurs de stress de la vie de Mme White n’avaient pas été explorés, tels que l’adaptation à un nouvel emploi exigeant, les graves problèmes de santé de son mari et le stress lié au fait de s’occuper de ses enfants et de travailler à l’extérieur de la maison.

[177] La Commission fait valoir que le Dr Jeeva a témoigné qu’il ne s’était pas fié uniquement sur les déclarations de la plaignante et qu’il avait mené son propre examen de l’état de la santé mentale de Mme White. Il a également déclaré, en réponse à la question de savoir si Mme White devrait reprendre les interactions avec Mme Fleming, qu’il avait du mal à imaginer comment cela pourrait se produire, et il a ajouté : [traduction] « Je pense que la reprise des interactions risquerait très probablement de lui nuire davantage et d’aggraver ses symptômes. Je veux dire qu’elle sera clairement affectée – elle adopte un comportement d’évitement parce que les rappels du traumatisme sont trop difficiles à vivre pour elle. Il ne s’agit pas d’un rappel des événements vécus, elle se retrouvera à nouveau dans le même environnement avec la personne qui a commis l’acte ».

[178] Bien que je ne doute pas que l’opinion du Dr Jeeva repose sur son expertise professionnelle, je tiens à préciser que les faits consignés dans le dossier médical contemporain révèlent que ses déclarations sur ce qui se produirait si Mme White et Mme Fleming étaient réunies ne se sont pas réalisées. Mme Fleming et Mme White ont recommencé à travailler en personne à partir de février 2014 et, comme je l’ai mentionné précédemment, ni les notes du Dr Durante ni celles de Mme White datant de cette période ne font état d’autres préjudices ou traumatismes ou d’une aggravation des symptômes. Au contraire, le Dr Durante a noté une amélioration de la situation de Mme White en milieu de travail.

[179] Je reconnais que le TSPT peut se manifester de façon différée, mais les éléments de preuve médicale obtenus après coup ne permettent pas d’établir que Mme White présentait des symptômes et qu’elle était atteinte d’un TSPT durant la période de référence, et surtout, qu’elle devait éviter de côtoyer Mme Fleming durant cette période pour des raisons de santé. La preuve d’expert présentée par Mme White démontre qu’elle présentait des symptômes lorsque les spécialistes l’ont examinée, mais pas au cours de la période de référence.

[180] Au-delà des lacunes du dossier médical lors de la période de référence – de novembre 2014 à février 2015 – le reste de la preuve n’appuie pas non plus la prétention de Mme White selon laquelle le fait de devoir travailler avec Mme Fleming était lié à ses problèmes de santé.

[181] Dans la mesure où le témoignage de Mme White fait état d’une limitation fonctionnelle et de l’obligation d’éviter Mme Fleming, mais contredit la preuve documentaire, j’accorde davantage de poids à ses notes écrites contemporaines et aux notes cliniques de son médecin de famille qui sont postérieures à mars 2014, moment où l’employeur lui a demandé de reprendre les contacts personnels avec Mme Fleming.

[182] Mme White a eu un entretien en personne avec Mme Fleming en décembre 2013, mais elle n’a pas noté que cet entretien avait eu un effet négatif sur elle. Une note du 23 janvier 2014 indique également que Mme Fleming l’a aidée à répondre à quelques questions et qu’elles ont eu une conversation civilisée. Les LNC citent ces exemples comme illustrant l’exact opposé des véritables symptômes de traumatisme tels que l’hypervigilance et l’évitement.

[183] Les LNC font également valoir qu’après la reprise des contacts personnels avec Mme Fleming, Mme White n’a rien inclus dans ses notes de l’époque pour documenter les difficultés avec celle-ci, ce qui contraste fortement avec les notes qu’elle avait prises avant l’incident survenu au travail. En outre, le témoignage et les allégations de Mme White concernant le harcèlement continu de la part de Mme Fleming ne sont corroborés par aucune note, aucun courriel, ni aucune note clinique contemporaine.

[184] De plus, j’estime qu’il est particulièrement probant qu’en mars 2015, Mme White a écrit à Mme Leblanc, employée des LNC, pour lui dire que son problème de santé n’était pas lié au travail. Il n’est fait aucune mention de Mme Fleming. En contre-interrogatoire, Mme White a expliqué cette absence en établissant une distinction entre les [traduction] « anciens » et les « nouveaux » symptômes, faisant valoir qu’elle n’avait pas encore fait le lien entre ses « nouveaux » symptômes et Mme Fleming. Comme les LNC le font valoir, Mme White n’a pas expliqué la différence entre ces catégories de symptômes, si ce n’est que de dire que les [traduction] « nouveaux » symptômes comprenaient « des engourdissements, des douleurs thoraciques et autres ». Mais au début de son témoignage, Mme White a parlé des symptômes, y compris l’engourdissement, qu’elle ressentait en septembre 2014 et les a décrits comme un continuum. En outre, Mme White avait fait part de douleurs thoraciques au Dr Durante dès 2012, et elle a parlé des engourdissements le 30 septembre 2014. La note clinique du Dr Durante du 20 février 2015 comprend le courriel de Mme White, qui fait état de symptômes qui se sont manifestés pendant 4 mois et qui incluaient des engourdissements.

[185] J’estime que cette distinction entre anciens et nouveaux symptômes n’est pas crédible, et je ne retiens pas les explications données par Mme White dans son témoignage. Lorsque son témoignage contredit ses notes écrites, j’accorde davantage de poids à ces dernières, à savoir les déclarations contemporaines de Mme White, d’autant plus qu’en mars 2015, Mme Fleming avait été affectée à une autre équipe située à un étage différent.

[186] Enfin, le témoignage de M. Miller ne permet pas d’établir si Mme White était atteinte d’une déficience au cours de la période de référence. Je n’ai même pas à examiner la question de la connaissance qu’avait l’employeur de la déficience de Mme White en l’absence d’une preuve prima facie, et son témoignage ne permet pas d’établir que Mme White ne pouvait pas travailler avec Mme Fleming entre août 2013 et mars 2015. Dans la mesure où le témoignage de M. Miller laisse entendre que l’état de Mme White s’est détérioré lorsqu’elle a été contrainte de reprendre le travail avec Mme Fleming, comme je l’ai déjà indiqué, il s’agit d’une allégation qui ne figure ni dans les notes cliniques du Dr Durante ni dans celles de Mme Fleming, et j’accorde davantage de poids à la preuve documentaire qu’à ce témoignage.

i. La plaignante a-t-elle subi un effet préjudiciable relié à son emploi?

[187] Non. Bien que ma conclusion selon laquelle Mme White ne souffrait d’aucune déficience soit déterminante, j’ai brièvement exposé les raisons pour lesquelles j’estime que Mme White n’a pas subi un effet préjudiciable du fait d’avoir à travailler avec Mme Fleming.

[188] Mme White a dû reprendre les contacts personnels avec Mme Fleming, ce qui, selon elle, a aggravé son état de santé. Ultimement, Mme White a cessé de travailler pour des raisons de santé. Bien que Mme White ait ultimément cessé de travailler en 2014, la thèse qu’elle avance avec l’appui de la Commission mettait l’accent sur ses interactions avec Mme Fleming comme constituant le traitement défavorable en cause.

[189] Pour des motifs similaires à ceux que j’ai exposés plus haut pour conclure que Mme White n’était pas atteinte d’une déficience liée à la limitation fonctionnelle consistant à éviter Mme Fleming, j’estime qu’elle n’a pas subi d’effet préjudiciable en devant reprendre contact avec cette dernière. Il est courant en milieu professionnel que les employés soient appelés à travailler avec des personnes qu’ils n’aiment pas ou qu’ils préféreraient éviter. Mais le simple fait de devoir reprendre les contacts personnels avec Mme Fleming ne constitue pas nécessairement un traitement défavorable dans le cas de Mme White.

[190] Comme je l’ai indiqué plus haut, les interactions avec Mme Fleming n’étaient pas toutes négatives et, en tout état de cause, j’estime que la preuve médicale ou d’autre nature ne suffisait pas à démontrer que Mme White a été harcelée ou qu’elle avait subi d’autres effets préjudiciables, même lorsqu’elle a dû reprendre les contacts personnels avec Mme Fleming. Mme White a témoigné que Mme Fleming continuait à l’importuner, mais ses propres notes et les dossiers cliniques du Dr Durante ne font état d’aucune préoccupation à l’égard de Mme Fleming après mars 2014, à l’exception du différend relatif à la demande de chèque, qui, selon moi, n’établit pas non plus un quelconque comportement de harcèlement.

[191] J’estime qu’il n’est pas vraisemblable que Mme White n’ait pas noté ses inquiétudes concernant Mme Fleming, alors qu’elle prenait des notes détaillées de ses interactions avec le personnel et qu’elle a également dit au Dr Durante qu’elle avait un appareil pour enregistrer les interactions avec ses collègues. En outre, comme la Cour suprême l’a expliqué dans l’arrêt Mercier, il est nécessaire d’examiner les « effets de la distinction, [de l’] exclusion ou [de la] préférence » et, rien dans le présent dossier ne démontre que Mme White a subi un effet préjudiciable au cours de la période de référence (Mercier, au par. 81).

D. Question no 2 : Dans l’affirmative, les LNC ont-ils démontré que les actes discriminatoires allégués étaient justifiés?

[192] Comme Mme White n’a pas établi de preuve prima facie, les LNC n’ont aucune preuve à réfuter.

E. Question no 3 : Si les LNC ne peuvent justifier leurs actes, quelles mesures de réparations convient-il d’accorder en raison de la discrimination?

[193] Mme White n’a droit à aucune mesure de réparation prévue par la Loi, car elle n’a pas établi que les LNC ont fait preuve de discrimination à son égard.

F. Question no 4 : Les LNC avaient-ils l’obligation de se renseigner sur l’état de santé de Mme White et sur ses besoins de soins médicaux?

[194] Non. J’ai déjà conclu que Mme White n’avait pas établi de preuve prima facie, ce qui est déterminant quant à l’issue de la plainte.

[195] Cependant, comme Mme White et la Commission ont consacré beaucoup de temps à la question de savoir si les LNC avaient l’obligation de prendre des mesures d’adaptation ou de se renseigner, je traiterai brièvement de la question de la connaissance qu’avaient les LNC.

G. Il n’existe pas d’obligation distincte de prendre des mesures d’adaptation ni d’« obligation de se renseigner »

[196] Tant Mme White que la Commission ont fait référence, dans leurs observations et tout au long de l’instance, à « l’obligation de se renseigner » et ont soutenu que les LNC ne pouvaient prétendre qu’ils ignoraient la déficience et les besoins médicaux de Mme White. Comme j’ai conclu que les problèmes de santé de Mme White ne constituaient pas une déficience au sens de la Loi, j’estime que les LNC n’ont pas ignoré sa déficience ou toute autre discrimination découlant de ses problèmes de santé. En outre, l’employeur n’a pas l’obligation de se renseigner ou de prendre des mesures d’adaptation en l’absence d’une preuve prima facie qui satisfait au critère applicable.

[197] Mme White et la Commission s’appuient sur la décision Mellon c. Canada (Développement des ressources humaines), 2006 TCDP 3, aux par 97 à 100 et 113, au soutien de leur argument selon lequel les LNC savaient ou auraient dû savoir que Mme White était atteinte d’une déficience en raison des commentaires et des comportements observés en milieu de travail. Elles ont également cité la décision Lafrenière c. Via Rail Canada Inc, 2019 TCDP 16 [Lafrenière] pour le principe selon lequel l’obligation de prendre des mesures d’adaptation inclut l’obligation de se renseigner pour comprendre l’étendue de la mesure d’adaptation requise. Mme White s’appuie sur la jurisprudence du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, comme la décision Wall v. Lippé Group, 2008 HRTO 50, et la Commission s’appuie sur la décision Leblanc v. Akrami Visa Inc o/a Akrami & Associates, 2021 HRTO 365, à l’appui de sa prétention selon laquelle les LNC avaient l’obligation de se renseigner davantage et que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation avait été déclenchée. La Commission soutient que les LNC ne devraient pas être autorisés à invoquer leur ignorance de la déficience dont Mme White était atteinte. Indépendamment de ce que d’autres tribunaux provinciaux des droits de la personne ont pu conclure dans le cadre de leurs régimes respectifs, j’estime qu’il n’existe pas d’obligation de se renseigner ou de prendre des mesures d’adaptation en l’absence de discrimination, sous le régime des lois fédérales. Je ne ferai pas un examen plus approfondi de la jurisprudence sur laquelle Mme White et la Commission se sont appuyées, et je ne reproduirai pas leurs observations, si ce n’est que pour rappeler qu’elles ne sont pas pertinentes en l’absence d’une preuve prima facie qui satisfait au critère.

[198] La connaissance de l’employeur ne fait pas partie de l’analyse de la preuve prima facie parce que Mme White a allégué que son employeur avait ignoré sa limitation fonctionnelle, et non qu’il avait agi en supposant que son état de santé comportait quelque limitation fonctionnelle. Toutefois, la connaissance de l’employeur est pertinente lorsque le plaignant établit une preuve prima facie qui satisfait au critère. La manière dont la Commission et Mme White présentent l’affaire – c’est-à-dire comme une question relative à [traduction] « l’obligation de se renseigner » ou à l’’aveuglement volontaire à l’égard de la santé de Mme White – ne constitue pas le point de départ de l’analyse de la responsabilité dans le présent dossier. Comme Mme White n’a pas établi qu’elle était atteinte d’une déficience durant la période de référence, sa demande est rejetée, indépendamment de ce que les LNC auraient pu ou dû savoir.

[199] En toute franchise, sous le régime des lois fédérales, l’employeur n’est pas tenu de faire quoi que ce soit en l’absence d’une preuve prima facie qui satisfait au critère. Toutefois, en choisissant de ne pas suivre une procédure particulière, de ne pas assurer de suivi ou de ne pas se renseigner auprès d’un employé, l’employeur s’en remet à la chance. Autrement dit, si le Tribunal concluait après coup que le plaignant était bel et bien atteint d’une déficience durant la période de référence et qu’il avait établi une preuve prima facie, l’employeur aurait alors la possibilité de justifier sa conduite. L’employeur qui ne s’est pas renseigné de manière appropriée aura probablement plus de difficulté à démontrer que les mesures d’adaptation demandées par l’employé se traduiraient par des contraintes excessives.

[200] En revanche, s’il s’avère, comme c’est le cas pour Mme White, que le plaignant n’a pas établi de preuve prima facie, l’employeur ne pourrait être tenu responsable de quoi que ce soit, et ce qu’il savait, aurait dû savoir ou ce dont il s’est ou ne s’est pas enquis perd toute pertinence.

[201] La décision Lafrenière a été rendue par le Tribunal, organisme qui agit sous le régime des lois fédérales, mais contrairement au cas de Mme White, celui-ci a conclu que le plaignant était atteint d’une déficience concernant le troisième incident et a ainsi procédé à l’examen des actions et des connaissances de l’employeur.

[202] La Commission a fait référence à l’arrêt Canada (Procureur général) c. Gallinger, 2022 CAF 177, dans ses observations en réplique, faisant valoir que la Cour d’appel a jugé que les affaires Cruden et Duval, invoquées par les LNC dans le présent dossier, ne s’appliquent pas lorsque l’employeur n’a pas établi qu’il ne pouvait pas prendre de mesure d’adaptation à l’égard de l’employé sans subir de contraintes excessives. La Commission soutient que les arrêts Cruden et Duval ne soutiennent pas la thèse des LNC, car il ne s’agit pas d’un cas où l’employeur a démontré qu’il ne pouvait pas prendre de mesures d’adaptation à l’égard de l’employé sans subir de contrainte excessive.

[203] Mais cette observation et le recours à l’arrêt Gallinger passent complètement à côté de l’essentiel. Les LNC se sont appuyés sur les arrêts Cruden et Duval pour soutenir leur argument selon lequel si je concluais que Mme White n’était pas atteinte d’une déficience et qu’elle ne s’était donc pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir une preuve prima facie, ils n’avaient alors aucune obligation de se renseigner ou de prendre des mesures d’adaptation, peu importe ce qu’ils savaient ou ignoraient compte tenu du fait qu’il n’existe pas d’obligation procédurale de prendre des mesures d’adaptation sous le régime des lois fédérales. À mon avis, il s’agit là d’un énoncé exact de l’état du droit. L’analyse dans l’arrêt Gallinger survient dans un contexte global, où il ne faisait aucun doute que l’employé avait établi une preuve prima facie (par. 25 et 26).

[204] Si Mme White avait établi une preuve prima face et que les LNC avaient tenté de se défendre en invoquant le paragraphe 15(2) de la Loi et en présentant notamment la preuve d’une contrainte excessive, alors cette analyse aurait pu entrer en jeu. Les efforts des LNC pour se renseigner sur les besoins de Mme White et leurs tentatives de prendre des mesures d’adaptation raisonnables concernant sa déficience auraient été alors en cause.

IX. ORDONNANCE

[205] La plainte est rejetée.

 

 

Signée par

Jennifer Khurana

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 11 juillet 2025

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : T2252/0718

Intitulé de la cause : White c. Laboratoires Nucléaires Canadiens

Date de la décision du Tribunal : Le 11 juillet 2025

Date et lieu de l’audience : Les 17 au19, 24 au 26 et le 31 janvier 2023; Les 1er, 7 au 9, 14 au16 et 21 février 2023; du 28 au 30 mars 2023; le 19 mai 2023, par vidéoconférence

Comparutions :

Christine Roth, pour la plaignante

Ikram Warsame , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Kevin MacNeill et Emma Harmer, pour l’intimé

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