Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2025 TCDP 73

Date : Le 29 juillet 2025

Numéro du dossier : HR-DP-3083-25

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Atefeh Shirafkan

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada

l’intimé

Décision sur requête

Membre : Paul Singh

 


I. NATURE DE LA REQUÊTE

[1] La plaignante, Atefeh Shirafkan, allègue qu’en refusant de l’employer, l’intimé, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), a fait preuve de discrimination à son égard du fait de son âge et de son origine nationale ou ethnique. IRCC nie avoir fait preuve de discrimination.

[2] IRCC affirme que l’exposé des précisions de la plaignante dépasse la portée de la plainte que la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a renvoyée au Tribunal. Il a présenté une requête dans le but d’obtenir une ordonnance visant à faire radier l’exposé des précisions dans son intégralité et à enjoindre à la plaignante de produire un exposé des précisions modifié qui se limite aux allégations selon lesquelles l’âge et l’origine nationale ou ethnique ont joué un rôle dans la décision d’IRCC de lui refuser un poste. IRCC demande également au Tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à la plaignante de fournir, dans son exposé des précisions modifié, le nom de tous les témoins qu’elle a l’intention de citer et un résumé du témoignage prévu de chacun, ainsi que la liste des documents qu’elle a en sa possession sur lesquels elle a l’intention de s’appuyer. La plaignante s’oppose à la requête.

II. DÉCISION SUR REQUÊTE

[3] La requête d’IRCC est accueillie.

III. CONTEXTE

Plaintes

[4] La plaignante a été embauchée par IRCC en tant qu’employée occasionnelle en août 2019, puis a été congédiée en novembre de la même année.

[5] En mars 2021, la plaignante a déposé auprès de la Commission une plainte pour atteinte aux droits de la personne contre IRCC (la « plainte contre IRCC »), dans laquelle elle affirme qu’en lui refusant un poste, IRCC a fait preuve de discrimination à son égard du fait de son âge et de son origine nationale ou ethnique. Dans cette plainte, elle soutient également avoir subi du harcèlement fondé sur les mêmes motifs de la part de son superviseur et de son gestionnaire à IRCC.

[6] En mars 2021, la plaignante a aussi déposé deux autres plaintes auprès de la Commission contre son superviseur et son gestionnaire (les « plaintes pour harcèlement »), dans lesquelles elle allègue avoir été victime de harcèlement discriminatoire, fondé sur les mêmes faits que ceux exposés dans la plainte contre IRCC.

[7] En janvier 2025, la Commission a renvoyé la plainte contre IRCC au Tribunal pour instruction. Dans le compte rendu de sa décision sur cette plainte, la Commission a indiqué que l’enquêteur n’avait pas examiné les allégations de harcèlement formulées à l’encontre du superviseur et du gestionnaire parce qu’il existait déjà des motifs suffisants pour renvoyer la plainte contre IRCC au Tribunal, étant donné que la plaignante alléguait qu’en refusant de l’employer, IRCC avait fait preuve de discrimination fondée sur l’âge et l’origine nationale ou ethnique.

[8] En janvier 2025, la Commission a également rejeté les deux plaintes pour harcèlement que la plaignante avait déposées à l’encontre de son superviseur et de son gestionnaire. Dans ses comptes rendus de décision relatifs à ces plaintes, la Commission a indiqué que l’enquêteur avait conclu qu’[traduction] « il n’y avait pas de fondement raisonnable dans la preuve permettant de conclure que la conduite des intimés [c.-à-d., le superviseur et le gestionnaire de Mme Shirafkan] constituait du harcèlement. L’enquêteur a examiné les éléments de preuve de manière approfondie et a tiré la bonne conclusion ».

[9] En février 2025, la plaignante a déposé à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de rejeter les plaintes pour harcèlement. Dans sa demande, la plaignante soutient que la Commission a commis des actes répréhensibles, notamment qu’elle [traduction] « a agit de mauvaise foi du fait qu’elle a rendu une décision fondée sur de faux éléments de preuve, qu’elle s’est sciemment appuyée sur de fausses déclarations d’IRCC, et ce, de manière abusive et arbitraire, et qu’elle a délibérément fait fi des éléments dont elle disposait ». La procédure de contrôle judiciaire est en cours.

Exposé des précisions

[10] En mars 2025, dans le cadre de la plainte contre IRCC, la plaignante a déposé un long exposé des précisions comptant plus de 20 sections, dans lequel elle allègue qu’IRCC aurait eu de nombreux comportements répréhensibles, notamment les suivants :

i. Harcèlement — L’exposé des précisions contient des allégations selon lesquelles la plaignante a été victime de harcèlement de la part de son superviseur et de son gestionnaire et qu’elle a fait l’objet de représailles après avoir les avoir dénoncés.

ii. Manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation — La plaignante affirme qu’IRCC ne lui a pas offert de prendre des mesures d’adaptation en raison de son trouble anxieux malgré le fait qu’il en avait connaissance. Cette situation aurait conduit à une aggravation de l’état de santé mentale de la plaignante.

iii. Discrimination systémique — La plaignante affirme qu’il règne au sein d’IRCC une [traduction] « culture profondément ancrée qui normalise les injustices ». La plaignante allègue l’existence de discrimination systémique généralisée et de comportements répréhensibles de la part de hauts fonctionnaires d’IRCC. Les allégations portent, entre autres, sur le parjure et la falsification de documents. La plaignante affirme que le sous-ministre n’a rien fait face aux actes répréhensibles commis au sein d’IRCC, ce qui démontre que [traduction] « les membres de la direction ne se contentent pas d’ignorer la discrimination, ils la facilitent activement en faisant passer leur réputation avant l’intérêt public ».

iv. Infractions à la loi — La plaignante allègue qu’en raison de son comportement répréhensible et de ses manquements aux politiques, IRCC a violé de nombreuses lois, notamment la Charte canadienne des droits et libertés, la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, la Loi sur l’équité en matière d’emploi, la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, la Loi sur la gestion des finances publiques, le Code canadien du travail, la Loi fédérale sur la responsabilité et la Loi sur les conflits d’intérêts.

IV. ANALYSE

Requête en radiation

[11] L’article 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H‑6 (la « LCDP ») donne au Tribunal le pouvoir d’instruire les plaintes que lui renvoie la Commission.

[12] La compétence du Tribunal se limite à la portée de la plainte qui a été renvoyée par la Commission. L’exposé des précisions ne peut pas servir à introduire fondamentalement une nouvelle plainte, étant donné que cela aurait pour effet de contourner le processus de renvoi de la Commission prévu par la LCDP. Lorsqu’un exposé des précisions ne s’inscrit pas dans la portée de la plainte renvoyée par la Commission, le Tribunal n’a pas compétence pour l’instruire : Garnier c. Service correctionnel du Canada, 2023 TCDP 32, aux par. 9 et 10.

[13] Bien que le Tribunal ait le pouvoir discrétionnaire d’autoriser un exposé des précisions à préciser, à raffiner ou à détailler une plainte qui lui a été renvoyée, il ne doit pas introduire de nouvelles questions ou allégations qui n’ont pas été renvoyées par la Commission ou qui n’ont aucun lien logique avec la plainte initiale. En dépit du fait que les plaintes dont le Tribunal est saisi puissent évoluer au fil du temps, l’exposé des précisions doit raisonnablement respecter, dans sa substance même, les fondements factuels et les allégations prévues dans la plainte initiale : Levasseur c. Société canadienne des postes, 2021 TCDP 32, aux par. 15 et 16; Thomas c. Service correctionnel du Canada, 2024 TCDP 139, au par. 14 [Thomas].

[14] Lorsque des observations semblent modifier ou bonifier la portée de la plainte, le Tribunal doit déterminer s’il existe un lien suffisant entre les allégations contenues dans l’exposé des précisions et la plainte initiale. Si un tel lien existe, la modification proposée à la portée de la plainte est admissible; dans le cas contraire, les nouvelles allégations doivent être traitées comme une plainte nouvelle et distincte : Thomas, aux par. 15 et 16.

[15] Compte tenu du présent cadre juridique, je suis convaincu que la majeure partie de l’exposé des précisions de la plaignante dépasse la portée de la plainte renvoyée par la Commission. La plainte renvoyée au Tribunal a une portée limitée et bien définie, c’est-à-dire qu’elle porte sur la question de savoir si l’âge et l’origine nationale ou ethnique de la plaignante ont joué un rôle dans la décision d’IRCC de ne pas la nommer à un poste de durée déterminée, après l’avoir embauchée en tant qu’employée occasionnelle pendant quelques mois.

[16] Cependant, l’exposé des précisions de la plaignante contient des allégations générales sans lien raisonnable avec la portée limitée de la plainte initiale. Par exemple, le fait qu’IRCC n’aurait pas offert de mesures d’adaptations à la plaignante en raison de son trouble anxieux n’a absolument rien à voir avec la plainte initiale. De même, les allégations générales de la plaignante concernant la discrimination systémique au sein d’IRCC, notamment le fait que des hauts fonctionnaires qui n’avaient pas de liens avec la plaignante pendant son court passage à IRCC auraient commis de graves actes répréhensibles, n’ont aucun lien raisonnable avec sa plainte initiale.

[17] En outre, les allégations formulées dans l’exposé des précisions selon lesquelles IRCC aurait enfreint les dispositions de différentes lois, outre la LCDP, ne relèvent généralement pas de la compétence du Tribunal, car elles concernent des domaines régis par des lois qui échappent au champ d’application de la LCDP.

[18] Enfin, la plaignante introduit dans son exposé des précisions des allégations de harcèlement et d’autres allégations connexes à l’encontre de son superviseur et de son gestionnaire. Celles-ci ont été rejetées par la Commission. Le Tribunal n’a pas compétence pour instruire les questions rejetées par la Commission lors de son examen préalable. Si la plaignante s’oppose à une décision de la Commission ou si elle croit que le processus était vicié, elle doit déposer une demande de contrôle judiciaire, ce qu’elle a fait : Mohammed Tibilla c. Agence du revenu du Canada, 2025 TCDP 24 au par. 31; Canada (Commission des droits de la personne) c. Warman 2012 CF 1162, au par. 56 (confirmé par 2014 CAF 18).

[19] Dans sa réponse à la requête en radiation d’IRCC, la plaignante semble reconnaître que les allégations contenues dans son exposé des précisions dépassent la portée de la plainte que la Commission a renvoyée au Tribunal. La plaignante soutient toutefois qu’elle devrait être autorisée à les inclure à des fins contextuelles. Plus précisément, la plaignante affirme ce qui suit :

[traduction]

L’intimé affirme faussement que la plaignante tente de faire instruire des questions de harcèlement, de discrimination systémique et de manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation — lesquelles ne relèvent pas de la compétence du Tribunal et dont la Cour fédérale et la Cour suprême du Canada sont actuellement saisies. Ces questions ont été ajoutées à l’exposé des précisions à des fins manifestement contextuelles et permettent de mieux comprendre les allégations initiales, c’est-à-dire la discrimination fondée sur l’âge, la situation de famille (le népotisme) et l’origine nationale ou ethnique dans le cadre du processus d’embauche, de formation et de promotion.

[…]

Ces questions sont incluses uniquement dans le but de fournir des éléments pertinents relatifs à l’historique et au contexte. La plaignante reconnaît que la compétence du Tribunal ne porte que sur les allégations de discrimination fondée sur l’âge, l’origine nationale ou ethnique et la situation de famille dans le cadre du processus d’embauche, de formation et de promotion. Elle ne demande pas au Tribunal de se prononcer sur les questions contextuelles qui sont soumises à d’autres tribunaux.

 

[20] Je ne suis pas convaincu que les allégations superflues de la plaignante devraient se trouver dans l’exposé des précisions à des fins contextuelles. Bien que le Tribunal autorise les parties à inclure des renseignements contextuels dans leurs exposés, ces renseignements doivent avoir un lien avec les allégations contenues dans la plainte renvoyée par la Commission et servir à informer le Tribunal de celles-ci de manière raisonnable. Comme il est indiqué ci-dessus, les allégations de harcèlement, de discrimination systémique et de manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation contenues dans l’exposé de la plaignante sont distinctes des questions précises et bien définies que la Commission a renvoyées au Tribunal pour instruction.

[21] De plus, l’instruction des plaintes doit se faire sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique : paragraphe 48.9(1) de la LCDP. Je refuse d’autoriser l’inclusion des allégations superflues à des fins contextuelles, car il n’existe pas de lien suffisant entre celles-ci et la plainte initiale dans les circonstances et leur inclusion empêcherait de régler la plainte de façon expéditive. Si j’autorisais leur inclusion, IRCC devrait alors consacrer inutilement du temps et des ressources pour répondre à ces allégations dans son exposé des précisions et à l’audience. Leur inclusion aurait aussi pour effet de prolonger inutilement le processus d’audience et de brouiller les questions précises et bien définies qui ont été renvoyées par la Commission.

Exigences relatives aux témoins et à la communication

[22] IRCC demande également au Tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à la plaignante de fournir, dans son exposé des précisions modifié, le nom de tous les témoins qu’elle a l’intention de citer et un résumé du témoignage prévu de chacun, ainsi que la liste des documents qu’elle a en sa possession sur lesquels elle a l’intention de s’appuyer.

[23] La plaignante s’oppose à une telle ordonnance. Elle soutient qu’il est prématuré de lui demander de communiquer sa preuve à ce stade précoce de l’instance parce qu’IRCC lui a refusé l’accès à divers documents. En ce qui concerne les témoins, la plaignante affirme qu’IRCC connaît mieux qu’elle l’identité des membres du personnel qui étaient présents au moment des faits et qu’elle ne devrait donc pas être obligée de fournir une liste de témoins à ce stade-ci de l’instance.

[24] Je ne souscris pas à la position de la plaignante. Chaque partie est tenue de déposer un exposé des précisions contenant les faits pertinents qu’elle entend établir, sa position sur les questions en litige, une liste de tous les documents potentiellement pertinents, ainsi qu’une liste de témoins et un résumé du témoignage prévu de chacun : Jorge c. Postes Canada, 2021 TCDP 25, au par. 77; règle 18 des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 (les « Règles »).

[25] La plaignante ne peut pas faire abstraction de ses obligations prévues à la règle 18 des Règles simplement parce qu’elle estime qu’IRCC a accès à davantage de renseignements ou qu’elle affirme qu’il l’a empêchée de consulter certains documents. La plaignante est tenue de faire de son mieux pour se conformer aux Règles et pour déposer la liste des témoins qu’elle entend citer et les documents pertinents en fonction des renseignements à sa disposition. Si elle obtient de nouveaux documents pertinents au cours de l’instance, elle doit les communiquer sans délai à IRCC : paragraphe 24(1) des Règles.

[26] De même, la plaignante peut, avec l’autorisation du Tribunal, modifier sa liste de témoins afin d’en ajouter ou d’en supprimer au cours de l’instance si de nouveaux renseignements ou l’instruction de la plainte le justifient. En outre, une fois qu’IRCC aura déposé sa réponse à l’exposé des précisions ainsi que les documents pertinents, il sera loisible à la plaignante de déposer une requête en communication si elle estime qu’IRCC n’a pas communiqué tous les documents requis. La plaignante dispose donc de plusieurs options pour régler les questions en suspens relatives aux témoins et à la communication au cours de l’instruction de sa plainte. Or, le non-respect de la règle 18 des Règles ne fait pas partie de ces options.

V. CONCLUSION ET ORDONNANCE

[27] La requête d’IRCC est accueillie.

[28] Le Tribunal ordonne ce qui suit :

i. L’exposé des précisions de la plaignante est radié dans son intégralité. La plaignante a 30 jours pour déposer un exposé des précisions modifié qui se limite aux allégations selon lesquelles l’âge et l’origine nationale ou ethnique ont joué un rôle dans la décision d’IRCC de lui refuser un poste.

ii. La plaignante est également tenue de se conformer à chacune des exigences relatives à l’exposé des précisions énoncées aux alinéas 18(1)a) à 18(1)f) des Règles afin de permettre à IRCC de répondre adéquatement aux allégations formulées à son encontre. Elle doit notamment fournir le nom de chaque témoin qu’elle a l’intention de citer, un résumé du témoignage prévu de chacun et la liste de tous les documents en sa possession sur lesquels elle entend s’appuyer.

Signée par

Paul Singh

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 29 juillet 2025

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : HR-DP-3083-25

Intitulé de la cause : Atefeh Shirafkan c. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 29 juillet 2025

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

Atefeh Shirafkan , pour son propre compte

Jenelle Mack et Benjamin Bertram , pour l’intimé

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