Contenu de la décision
Tribunal canadien |
|
Canadian Human |
Référence : 2025 TCDP
Date : Le
Numéro du dossier :
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Entre :
le plaignant
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
l’intimée
Décision sur requête
Membre :
Table des matières
(i) Cadre juridique – portée de la plainte
(ii) Quel est le fond de la plainte de M. Rustad?
(iii) Paragraphes à radier de l’exposé des précisions modifié
(iv) Paragraphes de l’exposé des précisions qui ne sont pas radiés
(i) Cadre juridique – divulgation
I. APERÇU
[1] Brad Rustad, le plaignant, présente une requête en deux volets. Premièrement, il demande au Tribunal d’accepter l’exposé des précisions modifié qu’il a déposé le 27 juin 2025, dans lequel la portée de sa plainte est élargie pour inclure des allégations selon lesquelles l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), l’intimée, aurait porté atteinte à ses droits garantis par les articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »), en refusant de communiquer des renseignements sur une enquête de la Division des enquêtes criminelles (la « DEC ») le concernant. M. Rustad souhaite également pouvoir ajouter des renseignements au sujet du renvoi d’une vérification en août 2024 (le « renvoi de 2024 ») et d’infractions à la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21 (la « LPRP »). Il veut aussi invoquer la Proclamation royale de 1763 et d’autres lois pour étayer sa plainte.
[2] Deuxièmement, M. Rustad demande que l’ARC lui communique des documents supplémentaires. Il veut qu’elle lui fournisse tous les renseignements relatifs à ses déclarations de revenus de 2005 et 2006 et à celles de son épouse ainsi que tout renseignement à l’appui, de même que les feuillets T et les nouveaux avis de cotisation.
[3] L’ARC estime que la requête doit être rejetée.
II. DÉCISION
[4] La portion de la requête visant le dépôt de l’exposé des précisions modifié daté du 27 juin 2025 est accueillie en partie. M. Rustad peut ajouter des lois fédérales ainsi que la Proclamation royale de 1763 aux arguments juridiques présentés dans son exposé des précisions. Par contre, il ne peut pas élargir la portée de sa plainte pour y inclure des allégations et des renseignements concernant des violations de la Charte, car il s’agirait alors d’une toute nouvelle plainte. De plus, les allégations et les renseignements se rapportant à la LPRP n’ont pas de lien avec la discrimination alléguée et ne peuvent donc pas être ajoutés. Enfin, le plaignant ne peut pas inclure le renvoi de 2024 dans son exposé des précisions modifié, car cette modification aurait un effet préjudiciable sur la présente instance.
[5] La portion de la requête visant la divulgation est rejetée. Je ne rendrai pas d’ordonnance enjoignant à l’ARC de produire les déclarations de revenus de 2005 ou 2006 de M. Rustad (ou de son épouse) parce que ce dernier n’a pas réussi à démontrer qu’elles étaient potentiellement pertinentes en l’espèce.
III. QUESTIONS EN LITIGE
[6] Dans la présente décision sur requête, le Tribunal doit trancher les deux questions suivantes :
1. M. Rustad peut-il ajouter des allégations et des renseignements à sa plainte et déposer son exposé des précisions modifié?
2. M. Rustad a-t-il démontré que les documents d’impôt de 2005 et de 2006 dont il veut obtenir copie pourraient être pertinents dans le contexte de sa plainte?
IV. ANALYSE
A. M. Rustad peut-il ajouter des allégations et des renseignements à sa plainte et déposer son exposé des précisions modifié?
(i) Cadre juridique – portée de la plainte
[7] La Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP ») établit un cadre complet pour l’instruction des plaintes de discrimination. C’est la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») qui est chargée de recevoir les plaintes, d’en faire l’examen préalable et d’enquêter sur celles-ci (articles 40, 44 et 49 de la LCDP). Quant au Tribunal, sa compétence pour instruire une plainte est fondée sur la plainte initialement déposée auprès de la Commission et sur la décision de celle-ci de renvoyer la plainte au Tribunal (par. 44(3) et 49(1) de la LCDP; Garnier c. Service correctionnel du Canada, 2023 TCDP 32 [Garnier], au par. 9).
[8] L’exposé des précisions d’une partie contient la position de celle-ci sur l’affaire (art. 18, 19 et 20 des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 (les « Règles de pratique »)). S’il est vrai qu’il peut clarifier, préciser et détailler une plainte, l’exposé des précisions ne peut pas présenter de renseignements ni d’allégations qui ne sont pas liés à la plainte initiale. Il doit respecter le fondement factuel de la plainte initiale (Levasseur c. Société canadienne des postes, 2021 TCDP 32 [Levasseur], au par. 15).
[9] Le Tribunal peut modifier, clarifier et définir la portée d’une plainte afin de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu que la modification ne cause pas de préjudice aux autres parties (Canada (Procureur général) c. Parent, 2006 CF 1313, au par. 30). Cependant, il n’est pas permis d’apporter des modifications dans le but d’introduire une toute nouvelle plainte, car une telle pratique minerait le processus de renvoi de la Commission prévu par la LCDP (Garnier, au par. 10). Pour déterminer s’il doit autoriser les modifications à un exposé des précisions, le Tribunal peut consulter le formulaire de la plainte initiale déposé auprès de la Commission, le rapport d’enquête et la lettre de renvoi de la Commission, ainsi que tout autre formulaire administratif figurant au dossier, afin d’évaluer s’il existe un lien suffisant entre les nouveaux renseignements et la plainte initiale (Levasseur, aux par. 16 et 17). De manière générale, le Tribunal n’autorise pas une modification s’il est clair et manifeste qu’elle ne permettra pas de prouver qu’il y a eu discrimination (Garnier, au par. 11) et il applique le principe de la proportionnalité (Temate c. Agence de santé publique du Canada, 2022 TCDP 31 [Temate], au par. 58). Toutefois, le Tribunal ne doit radier des portions de l’exposé des précisions que dans les « cas les plus clairs » (Richards c. Service correctionnel Canada, 2020 TCDP 27, au par. 86).
(ii) Quel est le fond de la plainte de M. Rustad?
[10] Afin de pouvoir décider si les nouvelles allégations s’inscrivent dans la portée de la plainte de M. Rustad, je dois évaluer le fond de la plainte qu’il a initialement déposée auprès de la Commission de même que la plainte que la Commission a renvoyée au Tribunal. En 2019, M. Rustad a déposé une plainte auprès de la Commission. Sur son formulaire de plainte, il a coché les caractéristiques protégées suivantes : la race, l’origine nationale ou ethnique, le sexe, l’état matrimonial et la situation de famille. Sa plainte concerne le traitement défavorable qu’il aurait subi lors de la fourniture de services, au titre de l’article 5 de la LCDP.
[11] Dans son formulaire de plainte, M. Rustad affirme que l’ARC a fait preuve de discrimination à son égard au cours de vérifications de la taxe sur les produits et les services (la « TPS ») et de l’impôt sur le revenu effectuées en 2011, en 2018 et en 2019. L’exposé des précisions déposé par l’ARC le 24 mars 2025 précise que quatre vérifications distinctes ont été réalisées de 2011 à 2019 :
1. la première vérification de la TPS a débuté en novembre 2010 et s’est achevée en juillet 2011;
2. la première vérification de l’impôt sur le revenu a commencé en octobre 2011 et s’est terminée en 2012;
3. la deuxième vérification de la TPS a débuté en juillet 2016 et s’est terminée en août 2018;
4. la deuxième vérification de l’impôt sur le revenu a commencé en mars 2019 et s’est achevée en septembre 2021.
[12] M. Rustad affirme que, lors de la vérification de 2019, un employé de l’ARC affecté à son dossier a fait des commentaires racistes et sexistes sur lui et son épouse, laquelle est membre des Premières Nations. De plus, il soutient qu’il a été traité différemment par l’ARC parce qu’il est marié à une femme appartenant aux Premières Nations, car l’ARC aurait tenté de transférer le revenu de la conjointe membre des Premières Nations au contribuable non membre [traduction] « de sorte que le ministre puisse être indûment récompensé ».
[13] Le compte rendu de décision de la Commission à l’intention du Tribunal indique ce qui suit : [traduction] « La Commission estime, en fonction de tous les documents examinés, que les incidents liés aux trois vérifications pourraient témoigner de l’existence de comportements devant être examinés dans leur ensemble, y compris les commentaires discriminatoires prétendument formulés pendant ces vérifications ».
[14] Aux fins de la présente requête, j’ai comparé le formulaire de plainte de M. Rustad et le compte rendu de décision de la Commission avec l’exposé des précisions modifié du plaignant. Je trancherai la présente requête en fonction de ce que M. Rustad a inclus dans son exposé des précisions modifié. Il n’est pas nécessaire que j’examine les arguments qui dépassent la portée de l’exposé des précisions modifié, car, ultimement, la question est de savoir si le Tribunal doit accepter l’exposé modifié de M. Rustad.
(iii) Paragraphes à radier de l’exposé des précisions modifié
(a) Articles 7 et 8 de la Charte – paragraphes 18 à 24, 28 et 29, et 40 à 44
[15] Tout au long de son exposé des précisions modifié, M. Rustad soutient que le défaut de l’ARC de l’informer qu’elle menait une [traduction] « enquête criminelle » a porté atteinte à son droit à la justice fondamentale garanti par l’article 7 de la Charte, ainsi qu’à son droit d’être protégé contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives garanti par l’article 8 de la Charte (par. 43 et 44). Il ajoute qu’il avait le droit d’être avisé que l’enquête, d’abord administrative, était devenue une enquête criminelle. M. Rustad ne soutient pas que ces allégations étaient formulées dans la plainte initiale déposée en décembre 2019, mais il affirme plutôt qu’elles ont un lien suffisant avec la plainte initiale. Pour sa part, l’ARC estime que ces allégations sont des plaintes indépendantes qui découlent d’un contexte criminel et qui outrepassent la compétence du Tribunal et que, pour cette raison, elles n’ont aucune chance raisonnable d’être accueillies. L’ARC explique que le Tribunal n’a pas pour mandat de trancher des contestations fondées sur la Charte, car la question qu’il doit trancher dans toutes les plaintes dont il est saisi est de savoir si un acte discriminatoire a été commis au sens de la LCDP (Matson et al. c. Affaires indiennes et du Nord Canada, 2012 TCDP 19, au par. 13).
[16] Les véritables questions litigieuses dans la plainte qui nous occupe sont celles de savoir si l’ARC traite différemment les personnes comme M. Rustad, en essayant de transférer le revenu d’un conjoint membre des Premières Nations au conjoint non membre, et si les vérificateurs de l’ARC qui ont effectué les vérifications de l’impôt sur le revenu et de la TPS pour M. Rustad ont fait preuve de discrimination à son égard lors d’une réunion portant sur la vérification de 2019. La plainte en question ne vise pas les travaux de la DEC de l’ARC (que j’ai mentionnés dans la décision sur requête Rustad c. Agence du revenu du Canada, 2025 TCDP 59 [Rustad 1], au par. 27). En outre, la DEC est une division totalement distincte de l’ARC, et on ne m’a présenté aucun élément de preuve ni aucun argument indiquant que les vérificateurs qui ont travaillé au dossier de la DEC ont aussi participé aux vérifications de l’impôt sur le revenu et de la TPS concernant M. Rustad. Il n’y a simplement aucun lien avec la plainte initiale (Levasseur, au par. 35). Les allégations de violation de la Charte formulées par M. Rustad ne font pas que clarifier, préciser ou détailler sa plainte initiale (Richards c. Service correctionnel du Canada, 2025 TCDP 5, au par. 20), mais constituent plutôt une toute nouvelle plainte. Le fait d’autoriser les modifications proposées non seulement contournerait l’examen préalable de la Commission (Garnier, au par. 10), mais serait vain, car les nouveaux renseignements et les nouvelles allégations portant sur des violations de la Charte n’aident aucunement le Tribunal à déterminer si un acte discriminatoire a été commis au sens de l’article 5 de la LCDP (Garnier au par. 11; Temate, au par. 58).
[17] Les paragraphes 18 à 24, 28 et 29, et 40 à 44 de l’exposé des précisions modifié sont radiés parce qu’ils portent sur les allégations de violations de la Charte et sur la DEC, qui ne sont pas visées par la plainte.
(b) Allégations relatives à la LPRP – paragraphes 25, 26, 45 et 46
[18] Dans son exposé des précisions modifié, M. Rustad veut ajouter de nouvelles allégations selon lesquelles l’ARC [traduction] « a volontairement caviardé les renseignements dans les documents demandés tout en sachant qu[‘il] étai[t] en droit d’y avoir accès, ce qui était inapproprié ». Les renseignements caviardés auxquels le plaignant fait référence sont liés à [traduction] « l’enquête criminelle » menée par la DEC. Nul ne conteste que, dans la plainte initiale qu’il a déposée auprès de la Commission, M. Rustad affirme avoir reçu des documents comportant de nombreuses parties caviardées qui [traduction] « cachaient les préjugés racistes dans le processus de vérification ». Or, dans sa réponse aux observations relatives à la présente requête, il affirme que les ajouts à ses plaintes [traduction] « ne visaient pas à créer de nouvelles plaintes de discrimination, mais bien à mettre en évidence la conduite discriminatoire de l’intimée », qui, selon lui, relève de la compétence du Tribunal.
[19] En fait, ma compétence se limite à déterminer si l’ARC a fait preuve de discrimination à l’égard de M. Rustad au sens de l’article 5 de la LCDP en raison de ses caractéristiques protégées. L’ARC a raison de dire que je n’ai pas compétence pour décider si une institution gouvernementale a correctement appliqué les dispositions de la LPRP. Cette responsabilité incombe au commissaire à la protection de la vie privée du Canada. Les nouvelles allégations et les nouveaux renseignements fournis par M. Rustad concernant un mauvais usage intentionnel du caviardage dans les documents n’ont aucun lien avec les caractéristiques protégées par la LCDP du plaignant, et ce dernier n’a pas expliqué en quoi la manière dont l’ARC s’est conduite, lorsqu’elle a répondu à sa demande au titre de la LPRP, relève de la compétence du Tribunal. Il est clair et manifeste que les nouveaux renseignements et les nouvelles allégations figurant dans l’exposé des précisions modifié ne permettront pas d’établir qu’il y a eu discrimination (Garnier, au par. 11). Par conséquent, il ne serait pas conforme au principe de la proportionnalité d’autoriser ces modifications (Temate, au par. 58), et les paragraphes 25, 26, 45 et 46 de l’exposé des précisions modifié doivent être radiés.
(c) Renvoi de la vérification en août 2024 – paragraphe 30
[20] Dans son exposé des précisions modifié, M. Rustad a inclus des renseignements sur le renvoi de 2024. Il affirme qu’il s’agit de nouveaux éléments de preuve établissant qu’il a subi de la discrimination et des représailles pour avoir déposé des plaintes parce que le renvoi de 2024 a été effectué par la même vérificatrice qui avait travaillé aux vérifications effectuées de 2011 à 2019. En réponse, l’ARC affirme que je n’ai pas compétence pour examiner les nouveaux éléments présentés, car la vérification en question a été effectuée après le dépôt de la plainte initiale de M. Rustad et le renvoi de la plainte au Tribunal par la Commission.
[21] Aux termes du paragraphe 48.9(1) de la LCDP, l’instruction des plaintes se fait « sans formalisme et de façon expéditive » dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique. Cette disposition est toutefois contrebalancée par le paragraphe 50(1) de la LCDP, qui indique que le Tribunal doit donner aux parties « la possibilité pleine et entière » de présenter leur dossier dans le cadre d’une audience. Il incombe au Tribunal d’établir un équilibre entre le droit d’une partie d’avoir une possibilité pleine et entière de présenter son dossier et la nécessité d’instruire une plainte de façon expéditive.
[22] Une plainte peut être modifiée si la modification a un lien raisonnable avec la plainte initiale et les principales questions en litige, mais M. Rustad demande à inclure le renvoi de 2024 pour la seule raison que « l’intimée a continué de s’appuyer sur de fausses déclarations faites par la vérificatrice [qui avait participé aux vérifications le concernant effectuées de 2011 à 2019] au sujet du caractère raisonnable des dépenses qu[‘il avait] déclarées ». Cependant, M. Rustad n’a pas précisé en quoi consistaient ces fausses déclarations ni si elles étaient liées aux principales questions en litige relatives à la discrimination dans la présente affaire. L’absence d’explication pour appuyer son argument porte un coup fatal à sa demande visant à ajouter ces renseignements à sa plainte. De plus, même si je convenais que le renvoi de 2024 a un lien raisonnable avec sa plainte initiale et les principales questions en litige, je dois tenir compte de la proportionnalité dans le contexte général de la présente affaire, ainsi que de son évolution au cours de la gestion de l’instance.
[23] M. Rustad a déposé son premier exposé des précisions en novembre 2024 et a eu la possibilité de le modifier en mars 2025. L’ARC a aussi déposé son exposé des précisions le même mois, et M. Rustad a choisi de ne pas y répondre. Après avoir rendu la décision sur requête Rustad 1, en juin 2025, le Tribunal a enjoint au plaignant de déposer sa liste de documents, sa liste de témoins, ainsi que des résumés précis des témoignages anticipés, car il ne l’avait pas fait dans les deux premières versions de son exposé des précisions. Seulement M. Rustad a pris l’initiative d’ajouter de nouveaux renseignements et de nouvelles allégations et il a demandé à déposer un exposé des précisions modifié.
[24] L’ARC n’a pas soutenu que l’ajout du renvoi de 2024 serait préjudiciable, mais les parties préparent leur dossier en vue d’une audience depuis près d’un an. Des dates d’audience ont été fixées en mai 2025, mais la procédure a été suspendue parce que M. Rustad a déposé une requête en divulgation de documents supplémentaires. Au début de juillet, lors d’une conférence de gestion préparatoire, j’avais prévu discuter des dates d’audience avec les parties, étant donné que les seuls documents manquants étaient la liste de documents, la liste de témoins et les résumés des témoignages anticipés de M. Rustad. Toutefois, ce dernier a tenté de déposer l’exposé des précisions modifié, et la présente requête est devenue le sujet de la conférence. Au départ, la requête ne visait que l’ajout des violations de la Charte à la plainte de M. Rustad.
[25] Dans la requête en l’espèce et dans sa demande visant le dépôt de l’exposé des précisions modifié, M. Rustad n’a pas expliqué pourquoi il lui a fallu près d’un an, après avoir été informé du renvoi de la vérification effectué en août 2024, pour inclure le renvoi dans sa plainte. Il n’a pas dit au Tribunal qu’il n’avait pas été mis au courant du renvoi de 2024 plus tôt et qu’il n’en avait été informé que récemment. Si elle était autorisée, la modification relative au renvoi de 2024 élargirait la portée de la plainte et retarderait davantage l’audience, puisqu’il faudrait déposer de nouveaux exposés des précisions, des listes de témoins à jour et les résumés des témoignages anticipés des parties. La communication de documents supplémentaires et d’autres étapes de gestion d’instance pourraient également être nécessaires, ce qui prolongerait l’audience.
[26] Je suis convaincue que M. Rustad a eu la pleine possibilité de présenter son dossier, conformément au droit qui lui est conféré par le paragraphe 50(1) de la LCDP. Le préjudice que causerait la modification l’emporte tout simplement sur les avantages qu’il y aurait à l’autoriser à ce stade-ci. M. Rustad ne demande aucune réparation particulière en lien avec cette allégation, et la valeur probante des renseignements en question est faible selon les arguments présentés dans la présente requête.
[27] Étant donné que l’ARC a déjà formulé sa réponse et que le Tribunal a tenté à deux reprises de fixer des dates d’audience, il incombe à M. Rustad de démontrer que sa modification doit être autorisée. Le Tribunal est en droit de supposer que le plaignant a fait valoir ses meilleurs arguments, mais ce dernier ne m’a pas convaincue que la modification devait être autorisée. Si M. Rustad avait mieux expliqué pourquoi il n’avait pas précédemment communiqué ces renseignements dans sa plainte et pourquoi ils devaient y être ajoutés maintenant, le résultat aurait peut-être été différent.
[28] Le paragraphe 30 de l’exposé des précisions modifié est radié.
(iv)Paragraphes de l’exposé des précisions qui ne sont pas radiés
(a) Paragraphes 31 à 34 sur la Proclamation royale et d’autres lois
[29] Dans son exposé des précisions modifié, M. Rustad a invoqué la Proclamation royale de 1763 (et d’autres lois) à titre de fondement juridique de son affirmation selon laquelle il a toujours mené des activités commerciales sur des terres qui n’ont jamais été cédées ou vendues à la Couronne. Le plaignant fait valoir que les lois du Canada doivent respecter la Proclamation royale de 1763 et que le Tribunal doit tenir compte de cette loi lorsqu’il applique la LCDP.
[30] L’ARC soutient que les paragraphes 31 à 34 de l’exposé des précisions modifié doivent être radiés parce qu’ils portent sur des énoncés de droit d’ordre constitutionnel qui ne s’inscrivent pas dans le mandat du Tribunal, qui consiste à déterminer si M. Rustad a été victime de discrimination, et qui n’ont aucun lien avec ce mandat.
[31] M. Rustad peut présenter des arguments juridiques à l’appui de sa plainte, et il aura d’ailleurs la possibilité de le faire lorsqu’il formulera ses observations, après l’audience. Il pourra décider de la meilleure façon de présenter ses arguments à l’appui de sa position selon laquelle une preuve prima facie de discrimination a été établie. Les paragraphes 31 à 34 de l’exposé des précisions modifié ne sont pas radiés.
B. M. Rustad a-t-il démontré que les documents de 2005 et de 2006 relatifs à ses déclarations de revenus pourraient être pertinents dans le contexte de sa plainte?
(i) Cadre juridique – divulgation
[32] Les principes juridiques applicables aux requêtes en divulgation sont énoncés dans la décision Brickner c. Gendarmerie royale du Canada, 2017 TCDP 28 [Brickner], aux par. 4 à 10. Pour décider si des renseignements doivent être divulgués, le Tribunal évalue s’ils sont potentiellement pertinents. Cette norme vise à éviter une production de documents dilatoires et reposant sur des conjectures (Brickner, au par. 5). Bien que la partie requérante n’ait pas à satisfaire à une norme élevée, elle doit démontrer qu’il existe un lien rationnel entre les renseignements qu’elle demande et les faits, questions en litige ou mesures de réparation mentionnés par les parties (Brickner, au par. 6). Cependant, le Tribunal doit s’assurer que la demande n’est pas fondée sur des conjectures et qu’elle n’équivaut pas à une partie de pêche, et les documents doivent être identifiés de manière suffisamment précise (Brickner, au par. 7).
[33] Il faut également tenir compte de la proportionnalité pour garantir une instruction sans formalisme et de façon expéditive, dans le respect des principes de justice naturelle (Brickner, au par. 7; art. 5 des Règles). Le Tribunal peut refuser d’ordonner la divulgation d’éléments de preuve dont la valeur probante ne l’emporte pas sur leur effet préjudiciable sur l’instance (Brickner, au par. 8). La question de savoir si les documents contribueraient à résoudre la principale question en litige fait aussi partie de l’évaluation de la pertinence potentielle d’un document (Brickner, au par. 8). Le Tribunal doit s’abstenir d’ordonner la divulgation si celle-ci risque d’entraîner un retard important dans l’instruction de la plainte ou si les documents demandés sont liés à une question secondaire plutôt qu’à l’une des principales questions en litige (Brickner, au par. 8). Suivant le principe de la proportionnalité, tous les intervenants du système de justice agissent de manière à réduire, autant que possible, le temps et les coûts rattachés à une procédure judiciaire (Temate, au par. 9).
(ii) M. Rustad n’a pas démontré que les documents qu’il demande pourraient être pertinents dans le contexte de sa plainte
[34] M. Rustad a raison de dire que les parties à une instance devant le Tribunal doivent avoir une possibilité pleine et entière de présenter leur dossier et de se préparer à l’audience (voir le par. 50(1) de la LCDP). Aux termes des Règles de pratique, les parties sont tenues de communiquer les renseignements potentiellement pertinents dans leur exposé des précisions, puis d’assurer une communication continue jusqu’à l’audience (voir les art. 18, 19, 20 et 24 des Règles de pratique). Bien que le seuil à atteindre à cet égard ne soit pas élevé, M. Rustad n’a pas démontré en quoi les documents qu’il demande sont potentiellement pertinents.
[35] Par exemple, dans sa requête, M. Rustad me demande de rendre une ordonnance enjoignant à l’ARC de fournir tous les renseignements relatifs à ses déclarations de revenus de 2005 et de 2006 et à celles de son épouse et tout renseignement à l’appui, de même que les feuillets T et les nouveaux avis de cotisation. Il affirme que ces renseignements réfuteront l’exposé des faits présenté par l’ARC, qui indique que son épouse n’a jamais déclaré ses revenus d’entreprise dans ses déclarations de revenus. Selon lui, ces renseignements permettront d’éviter une argumentation du type [traduction] « ma parole contre la tienne » à l’audience. L’ARC estime que M. Rustad n’a pas établi la pertinence de ces documents. Elle ajoute que la requête en divulgation de documents supplémentaires n’est pas admissible, car il s’agit essentiellement d’une demande au titre de la LPRP pour obtenir des documents concernant son épouse et lui.
[36] Selon M. Rustad, les renseignements relatifs à ses déclarations de revenus de 2005 et de 2006 et à celles de son épouse sont non seulement pertinents, mais ils montrent que son épouse a bel et bien déclaré des revenus d’entreprise, et qu’elle et lui n’ont pas comploté en vue de commettre une fraude fiscale. Toutefois, il ne s’agit pas d’une question en litige dans la plainte qui nous occupe. J’ai décidé que les extraits de l’exposé des précisions modifié dans lesquels on fait mention d’une potentielle [traduction] « fraude fiscale » ou des travaux de la DEC ne faisaient pas partie de la plainte. En l’espèce, il s’agit de déterminer si M. Rustad a subi de la discrimination au cours des vérifications effectuées de 2011 à 2019. M. Rustad n’a pas expliqué clairement en quoi les déclarations de revenus de 2005 et de 2006 visant son épouse et lui-même qu’il a demandées pourraient par ailleurs contribuer à résoudre les principales questions en litige dans la présente affaire. La proportionnalité doit aussi être prise en compte dans l’évaluation de la pertinence de ces documents puisque, à ma connaissance, M. Rustad n’a présenté aucun argument indiquant que leur valeur probante l’emporte sur leur effet préjudiciable sur l’instance. Le fait d’ordonner la divulgation de ces documents pourrait mener à d’autres demandes visant à élargir la portée de la plainte et retarder indûment la tenue d’une audience (Brickner, au par. 8). Ce n’est pas parce que l’ARC possède des documents concernant M. Rustad que chacun de ces documents est pertinent dans le contexte de la plainte ou que chaque interaction du plaignant avec l’ARC fait partie de la plainte. J’ai statué sur la portée de la plainte.
[37] Je dois soulever brièvement un dernier point. Bien que M. Rustad allègue, dans son exposé des précisions modifié et dans sa requête, que son épouse a été traitée différemment en raison de son sexe et de son origine ethnique, sa plainte ne concerne pas Mme Helland-Rustad. La plainte a été déposée par M. Rustad, et il devra établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination relativement à la façon dont l’ARC l’a traité lui. Pour cette raison, je n’ordonnerai aucune divulgation concernant son épouse, et je n’entendrai aucun témoignage au sujet d’un acte discriminatoire qui aurait été commis contre elle.
[38] La portion de la requête visant la divulgation est rejetée.
V. ORDONNANCE
[39] La requête de M. Rustad est accueillie en partie. Ce dernier n’est pas tenu de radier les paragraphes 31 à 34 de son exposé des précisions modifié.
[40] M. Rustad doit effectuer ce qui suit :
i. radier les paragraphes 18 à 26, 28 à 30 et 40 à 46 de son exposé des précisions modifié;
ii. réviser sa liste de témoins, ses résumés des témoignages anticipés et la durée estimative des témoignages afin de s’assurer qu’ils respectent la présente décision sur requête, et fournir des versions à jour des documents révisés;
iii. réviser sa demande de réparation en tenant compte de la portée de sa plainte telle qu’elle est définie dans la présente décision sur requête.
[41] Tous les documents susmentionnés doivent être déposés au plus tard sept jours après la communication de la présente décision sur requête aux parties.
[42] La portion de la requête visant la divulgation de documents supplémentaires de M. Rustad est rejetée.
Signée par
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéro du dossier du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Requête traitée par écrit sans comparution des parties
Observations écrites par :