Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2025 TCDP 72

Date : Le 23 juillet 2025

Numéro(s) du/des dossier(s) : T2736/11221

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

June Francis

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et –

Air Canada

l’intimée

et

British Columbia Civil Liberties Association

la partie intéressée

Décision sur requête

Membre : Athanasios Hadjis

 



I. APERÇU

[1] La présente est une décision sur requête portant sur une requête visant l’obtention de la qualité d’intervenant.

[2] La plaignante, Mme June Francis, a déposé une plainte contre l’intimée, Air Canada. Elle affirme qu’elle a été traitée de manière abusive, méprisante et humiliante par le personnel d’Air Canada au comptoir d’enregistrement de l’aéroport international de Vancouver et qu’elle a ensuite été interpellée par un superviseur et un agent de sécurité. Elle allègue que sa couleur, sa race, son sexe, son origine nationale et ethnique et sa déficience ont été des facteurs dans la manifestation de ce traitement.

[3] La British Columbia Civil Liberties Association (la « BCCLA » ) a demandé au Tribunal la qualité d’intervenante à l’égard de l’instruction de la plainte.

II. DÉCISION

[4] Le Tribunal accorde la qualité d’intervenante à la BCCLA, sous réserve de certaines limites quant à l’étendue de la participation de celle-ci.

III. QUESTIONS EN LITIGE

[5] Les questions en litige sont les suivantes :

1. La BCCLA devrait-elle obtenir la qualité d’intervenante?

2. Dans l’affirmative, quelle serait l’étendue de sa participation à l’instruction?

IV. ANALYSE

[6] L’article 27 des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021) (DORS/2021-137) (les « Règles ») énonce la procédure que doit suivre une personne désirant obtenir la qualité d’intervenant. Aux termes du paragraphe 27(2), l’avis de requête précise l’assistance que la personne désire apporter à l’instruction et l’étendue de la participation à l’instruction qu’elle souhaite. Si le Tribunal fait droit à la requête, il précise l’étendue de la participation de l’intervenant à l’instruction (Règles, au par. 27(3)).

[7] La plaignante et la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») consentent à la requête de la BCCLA visant à obtenir la qualité d’intervenante selon les modalités qui y sont proposées. Air Canada s’y oppose.

[8] La requête de la BCCLA était appuyée par un affidavit de Veronica Martisius, membre de l’équipe du contentieux de la BCCLA.

[9] Dans la décision K.L. c. Société canadienne des postes, 2025 TCDP 28 [K.L.], le Tribunal a récemment eu l’occasion de revoir et de préciser les critères à prendre en compte lors de l’examen d’une requête en autorisation d’intervenir. Le Tribunal a formulé les critères en fonction de trois éléments :

1. l’utilité de la participation de la personne qui désire intervenir à l’égard de l’instruction du Tribunal, notamment la question de savoir si cette participation ajoutera aux positions des parties existantes.

2. la personne qui désire intervenir a un intérêt réel dans le dossier;

3. l’intérêt de la justice.

A. L’intervention de la BCCLA serait utile à la décision du Tribunal

[10] Je conclus que l’intervention de la BCCLA sera utile au Tribunal, car elle l’aidera à trancher les questions constitutionnelles. Bien qu’il existe un certain risque de chevauchement avec les positions des parties, l’expérience et le point de vue de la BCCLA sur les questions liées à la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») sont susceptibles d’ajouter à leurs arguments.

[11] Me Martisius a expliqué que la BCCLA a été fondée en 1963. Ses objectifs comprennent la promotion, la défense, le maintien et l’expansion des libertés civiles et des droits de la personne en Colombie-Britannique et partout au Canada.

[12] La BCCLA compte plusieurs milliers d’adeptes au Canada. Pour réaliser une grande partie de ses activités, la BCCLA emploie 16 personnes. Elle jouit d’un statut unique au pays en tant qu’organisation citoyenne disposant des ressources d’une équipe à temps plein qui se consacre entièrement aux libertés civiles et aux droits de la personne. La BCCLA est également soutenue par une équipe de bénévoles composée d’universitaires, de professionnels et de non-spécialistes ayant de l’expérience et un intérêt dans les domaines des libertés civiles et des droits de la personne.

[13] La BCCLA réalise ses objectifs en préparant des mémoires et en les présentant aux autorités, en aidant les victimes de violations des libertés civiles et des droits de la personne, en menant des activités de sensibilisation du public et en intentant des actions en justice en son propre nom ou en qualité d’intervenante dans des procédures judiciaires devant toutes les instances, dont la Cour suprême du Canada.

[14] La plaignante a soulevé la question de savoir si, et dans quelle mesure, le principe d’exclusivité prévu à l’article 29 de la Convention de Montréal a pour effet de limiter le pouvoir du Tribunal d’accorder des dommages-intérêts au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP »), relativement aux plaintes de discrimination portées contre un transporteur aérien. Plus précisément, la plaignante a déposé un avis de question constitutionnelle concernant l’application de la Charte à la Loi sur le transport aérien, L.R.C. (1985), ch. C-26, et à la Convention de Montréal.

[15] Dans sa requête, la BCCLA déclare qu’elle a l’intention de limiter l’intervention qu’elle propose aux arguments portant sur la question de savoir si la Loi sur le transport aérien et la Convention de Montréal peuvent avoir pour effet de priver le Tribunal de la capacité d’accorder des dommages-intérêts au titre de l’article 53 de la LCDP, ainsi qu’aux questions constitutionnelles soulevées par la plaignante dans son avis de question constitutionnelle.

[16] Toutefois, Me Martisius déclare également dans son affidavit que les observations de la BCCLA mettront en évidence l’effet du Règlement de l’aviation canadien, DORS/96-433, auquel Air Canada a renvoyé dans son exposé des précisions modifié, en tant que source d’un mandat légal et d’un pouvoir discrétionnaire permettant aux transporteurs aériens de prendre des mesures raisonnables pour prévenir l’indiscipline. La BCCLA a l’intention de faire valoir qu’il s’agit de [traduction] « pouvoirs quasi policiers accordés aux transporteurs aériens », qui influent sur les droits et les libertés civiles des passagers aériens, protégés par la Charte.

[17] Comme il a été souligné dans la décision K.L., au paragraphe 49, la personne qui désire intervenir doit démontrer qu’elle fournira des observations, des précisions et des perspectives utiles qui aideront le Tribunal à se prononcer sur les questions soulevées par les parties à l’instance, et non de nouvelles questions.

[18] Bien qu’Air Canada ait renvoyé au Règlement de l’aviation canadien dans son exposé des précisions modifié, la seule question constitutionnelle que les parties ont soulevée porte sur la possibilité d’une ordonnance réparatrice accordant des dommages-intérêts au titre de l’article 53 de la LCDP. La plaignante n’a pas soulevé la question des [traduction] « pouvoirs quasi policiers » dans ses actes de procédure, comme elle l’a reconnu dans sa réponse à la requête de la BCCLA, en soulignant qu’elle n’avait pas l’intention de présenter des observations sur le Règlement de l’aviation canadien et qu’elle n’en traite d’ailleurs pas dans son exposé des précisions en réplique. La Commission ne l’a pas fait non plus.

[19] Bien que la relation entre les pouvoirs [traduction] « quasi policiers » conférés aux transporteurs aériens par le Règlement de l’aviation canadien et la Charte constitue une nouvelle question, la BCCLA souligne que ses observations à cet égard visent à mettre en évidence la nécessité des protections et des réparations prévues par la LCDP comme moyen de contrôle de l’exercice de ces pouvoirs par les transporteurs aériens. À cet égard, je conclus que les observations de la BCCLA pourraient être utiles au Tribunal en ce qui concerne la question constitutionnelle.

[20] Dans l’ensemble, compte tenu de l’expérience de la BCCLA dans les affaires liées à la Charte, je conviens que ses observations sur la question constitutionnelle dont le Tribunal est saisi pourraient s’avérer utiles. Il existe un certain risque de chevauchement avec les observations de la plaignante et de la Commission, mais, vu les limites que j’imposerai à l’intervention de la BCCLA ci-après dans l’ordonnance, je suis disposé à accepter ce risque.

[21] Je rappelle que les observations de la BCCLA doivent se limiter à la question constitutionnelle formulée par la plaignante et qu’elles ne doivent pas constituer une contestation d’autres instruments réglementaires que les parties n’ont pas invoqués dans leurs actes de procédure.

B. La BCCLA a un intérêt réel dans le présent dossier

[22] Comme il a été souligné dans la décision K.L., au paragraphe 44, ce facteur du critère vise à garantir au Tribunal que la personne qui se propose d’intervenir possède les connaissances, les compétences et les ressources nécessaires, et qu’elle les consacrera à l’affaire dont le Tribunal est saisi.

[23] La BCCLA a un intérêt public général dans la présente instance. Me Martisius souligne dans son affidavit que la BCCLA [traduction] « intervient depuis longtemps devant les tribunaux, [qu’elle] présente des mémoires aux gouvernements et aux organismes administratifs et publie des exposés de position sur des questions liées à la discrimination raciale et aux droits de la personne ».

[24] Il est clair que toute limitation alléguée des droits de la personne et des libertés civiles présente un intérêt majeur pour la BCCLA en tant que groupe de défense des droits de la personne. En outre, la BCCLA possède l’expérience, les connaissances, les compétences et les ressources nécessaires et les consacrera à la présente affaire.

[25] Bien qu’Air Canada affirme que la BCCLA n’a pas d’expérience en matière de droit aérien, les questions constitutionnelles soulevées reflètent un enjeu plus vaste qui s’inscrit dans le champ de compétence et d’intérêt de la BCCLA.

C. L’intervention de la BCCLA est dans l’intérêt de la justice

[26] Il est dans l’intérêt de la justice d’accorder à la BCCLA la qualité d’intervenante. Les questions constitutionnelles sur lesquelles la BCCLA souhaite intervenir transcendent les intérêts des parties dans le présent dossier. Il s’agit précisément d’une affaire comportant une dimension tellement « publique, importante et complexe » qu’une intervention est justifiée (K.L., au par. 57).

[27] La BCCLA a présenté sa requête au cours du mois précédant le début de l’audience, mais, vu sa portée limitée, l’intervention qu’elle sollicite n’aura aucune incidence sur le processus d’audience. La BCCLA pourra assister à l’audience, mais n’y participera que dans plusieurs mois, lorsque les observations finales seront présentées. Dans la mesure où la participation de la BCCLA risque de retarder l’instruction, il est possible de la circonscrire en fixant des conditions.

D. L’étendue de la participation de la BCCLA à l’instruction

[28] Les conditions d’intervention proposées par la BCCLA sont en grande partie compatibles avec l’obligation qu’a le Tribunal de mener les instances de façon aussi expéditive et informelle que le permettent les principes de justice naturelle et les Règles (par. 48.9(1) de la LCDP; K.L., au par. 78).

[29] La BCCLA entend limiter la longueur de ses observations écrites à 20 pages et la durée de ses plaidoiries à 30 minutes, ce qui est raisonnable. En outre, la BCCLA précise qu’elle limitera ses arguments à la question de savoir si la Convention de Montréal a pour effet de priver le Tribunal de la capacité d’accorder des réparations, ainsi qu’aux questions constitutionnelles soulevées par la plaignante dans son avis de question constitutionnelle.

[30] La BCCLA ne produira pas de nouveaux éléments de preuve. Elle acceptera le dossier tel quel.

[31] La BCCLA a demandé à participer aux conférences de gestion préparatoire, mais j’estime que cette participation n’est pas justifiée compte tenu de l’étendue limitée de l’intervention.

[32] Pour les motifs qui précèdent, la qualité d’intervenante est accordée à la BCCLA dans la présente affaire, sous réserve des conditions énoncées dans l’ordonnance ci-après.

V. ORDONNANCE

[33] J’ordonne que la BCCLA obtienne la qualité restreinte d’intervenante dans la présente affaire selon les conditions suivantes :

1. La BCCLA est autorisée à présenter des observations finales écrites (d’une longueur maximale de 20 pages) et orales (d’une durée maximale de 30 minutes) lors de l’audience. Les arguments de la BCCLA se limiteront à la question de savoir si la Convention de Montréal a pour effet de priver le Tribunal de la capacité d’accorder des réparations au titre de l’article 53 de la LCDP, ainsi qu’aux questions constitutionnelles soulevées par la plaignante dans son avis de question constitutionnelle.

2. Les représentantes de la BCCLA peuvent assister à l’audience, mais elles ne sont pas autorisées à présenter des éléments de preuve ni à interroger ou contre-interroger les témoins.

3. La BCCLA ne participera à aucune conférence de gestion préparatoire.

Signée par

Athanasios Hadjis

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 23 juillet 2025

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : T2736/11221

Intitulé de la cause : June Francis c. Air Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 23 juillet 2025

 

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

Sujit Choudhry et Mani Kakkar , pour la plaignante

Clay Hunter , pour l’intimée

Caroline Carrasco , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Lindsay A. Waddell et Evelyn Tsao , pour la partie intéressée .

 

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