Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2025 TCDP 70

Date : Le 23 juillet 2025

Numéro du dossier : HR-DP-3010-24

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Beatriz Kanzki

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Banque du Canada

l’intimée

Décision sur requête

Membre : Ashley Bressette-Martinez

 



I. APERÇU

[1] La plaignante, Beatriz Kanzki, a déposé deux requêtes. Dans l’une d’elles, elle demande une ordonnance enjoignant à l’intimée, la Banque du Canada (la « BdC »), de communiquer des documents qui se rapporteraient à sa plainte. Or, la BdC affirme que certains de ces documents sont protégés par le privilège relatif au litige et le privilège du secret professionnel de l’avocat. Dans l’autre requête, Mme Kanzki me demande de me récuser dans la présente affaire. Elle affirme que la manière dont je me suis chargée de la gestion de l’instance soulève une crainte raisonnable de partialité, car je me serais empressée de fixer des dates d’audience au détriment de l’équité et j’aurais traité son avocate, une professionnelle exerçant seule, comme une plaideuse « non représentée ». Elle affirme également que j’ai fait preuve de partialité parce que je lui ai demandé de déposer une requête en règlement d’un différend en matière de communication pour lequel, selon elle, j’avais déjà pris une décision. Mme Kanzki n’a participé à aucune des conférences de gestion préparatoires. Elle a préféré être représentée par son avocate, Me Blandie Samson.

[2] La présente décision sur requête vise uniquement la requête en récusation. Les allégations de partialité sont graves et doivent être résolues avant l’examen de toute autre question.

[3] La BdC me demande de rejeter la requête de Mme Kanzki, car la plaignante ne s’est pas acquittée du lourd fardeau de prouver l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. Dans ses observations, la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a donné un aperçu du droit applicable en matière de crainte raisonnable de partialité. Elle ne s’est pas prononcée sur la requête.

II. DÉCISION

[4] La requête est rejetée. Mme Kanzki ne s’est pas acquittée du lourd fardeau de prouver que ma gestion de l’instance dans la présente affaire soulève une crainte raisonnable de partialité. Une personne raisonnable et bien renseignée qui étudierait la question en profondeur ne conclurait pas que je ne trancherai pas la présente affaire de manière équitable.

III. QUESTION EN LITIGE

[5] La question à trancher est celle de savoir si Mme Kanzki a démontré que mes actions ou mes décisions dans le cadre de la gestion de l’instance soulèvent une crainte raisonnable de partialité.

IV. ANALYSE

A. Crainte raisonnable de partialité – principes juridiques

[6] Une allégation de partialité est une allégation grave qui met en doute l’intégrité du Tribunal et de ses membres (Canada (Canadian Human Rights Commission) v. Canada (Attorney General), 2025 FC 18 (CanLII) [Attaran], au par. 57, citant Arthur c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 223, au par. 8).

[7] Le critère relatif à la crainte raisonnable de partialité, qui a été défini dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369 [Committee for Justice], à la p. 394, comporte la question suivante : À quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique? Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, le membre du Tribunal, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? (Attaran, au par. 55)

[8] Les allégations de partialité doivent être soulevées à la première occasion, afin de s’assurer que le décideur aura l’occasion d’examiner la question avant qu’un préjudice ne soit subi (Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office des transports), 2021 CAF 173, au par. 68). Ainsi, la question à régler est dûment présentée au décideur avant qu’il poursuive la procédure.

[9] La partie qui dépose la requête a le lourd fardeau d’établir l’existence d’une crainte raisonnable de partialité, car les membres des tribunaux sont présumés être impartiaux (Association des employeurs maritimes c. Syndicat des débardeurs, section locale 375 (Syndicat canadien de la fonction publique), 2020 CAF 29 (CanLII), au par. 5). Il doit exister une probabilité réelle de partialité; de simples soupçons, des conjectures, des insinuations ou les impressions d’une partie sont insuffisants. Un simple désaccord avec la décision d’un décideur n’est pas suffisant pour justifier une allégation de partialité (Persaud c. Canada (Procureur général), 2023 CF 811 (CanLII) [Persaud], au par. 58).

[10] Les commentaires ou la conduite constituant la partialité alléguée ne doivent pas être examinés isolément, mais bien selon le contexte des circonstances et eu égard à l’ensemble de la procédure (R. c. S. (R.D.), 1997 CanLII 324 (CSC), [1997] 3 RCS 484, au par. 141). Il faut évaluer les faits de chaque cas, dont l’obligation d’un membre d’instruire une plainte sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique (paragraphe 48.9(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6) (la « LCDP »)); article 5 des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 (les « Règles de pratique »)).

B. Mme Kanzki a-t-elle démontré que mes actions ou mes décisions dans le cadre de la gestion de l’instance dans son dossier soulèvent une crainte raisonnable de partialité?

[11] Non. Mme Kanzki ne s’est pas acquittée du lourd fardeau de démontrer que mes actions ou mes décisions soulèvent une crainte raisonnable de partialité. La plaignante ne prétend pas que ma [traduction] « gestion stricte de l’instance crée une apparence de partialité ». Elle affirme plutôt que mon impatience et ma brusquerie, ainsi que l’ensemble de mes commentaires et de ma conduite, constituent une violation du droit d’être entendu. J’ai regroupé les allégations de partialité formulées par Mme Kanzki en trois catégories, à savoir i) la directive aux parties sur le différend en matière de communication; ii) les allégations quant à la partialité du Tribunal à l’égard de l’avocate de la plaignante; et iii) les conférences de gestion préparatoires en vue de fixer les dates de l’audience.

[12] Plutôt que d’examiner chacune des allégations formulées par Mme Kanzki dans ses observations, la BdC a fait valoir qu’en général, j’avais [traduction] « maintenu une apparence d’impartialité », et que ma conduite ne « dénotait pas de préjugé à l’égard de la plaignante ». Elle ajoute que j’ai interprété et appliqué les Règles de pratique de façon à permettre une instruction équitable, informelle et rapide. La BdC affirme que la présente requête découle d’un désaccord avec ma gestion de l’instance dans le dossier, notamment avec les directives sur les questions procédurales et les questions à régler avant l’audience que j’ai données aux parties, situation qui ressemble à l’affaire Constantinescu c. Service correctionnel Canada, 2020 TCDP 3.

[13] Je ne me prononce pas sur la question de la forclusion, qui n’a pas été débattue par les parties, mais je tiens à préciser que bon nombre des allégations de partialité formulées par Mme Kanzki concernent des faits qui se sont produits pendant la gestion de l’instance, de janvier à avril 2025. La plaignante a déposé sa requête le 2 mai 2025.

(i) Directive du Tribunal aux parties sur le différend en matière de communication

Le 11 avril : directive aux parties

[14] Selon Mme Kanzki, la directive que j’ai donnée à l’intention des parties le 11 avril 2025 suggérait que j’avais déjà décidé que les revendications de privilèges présentées par la BdC étaient bien fondées et qu’une requête en communication de documents équivaudrait à une « partie de pêche ». La plaignante soutient que je n’ai pas tenu compte du déséquilibre de pouvoir entre les parties et que j’ai fait preuve de partialité en lui demandant de déposer une requête visant la communication et les revendications de privilèges en litige. Elle ajoute que la BdC peut [traduction] « déployer ses immenses ressources financières dans l’espoir de l’étouffer financièrement ». Mme Kanzki affirme que je suis [traduction] « tenue, selon les principes d’équité procédurale, de faire tout mon possible pour éviter une telle situation, surtout s’il existe une solution équitable et économique ». Elle soutient que la manière la plus juste et la plus économique de résoudre ce différend aurait été que j’examine les documents protégés de la BdC, mis sous scellé, plutôt que de l’obliger à déposer une requête, ce qui, d’après elle, n’a fait que retarder davantage l’audience sur le fond.

[15] Il est vrai que les parties ne disposent pas toujours de ressources financières égales pour plaider leur cause. Dans un système accusatoire, le fait que les parties puissent régler un différend sans déposer de requête permet au Tribunal et aux parties d’économiser temps et argent et de procéder plus rapidement à une audience sur le fond. Toutefois, ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce. Les parties ont tenté de régler le différend sur la communication et les revendications de privilèges pendant plus de deux mois. Cette question a été soulevée et discutée au cours de trois conférences de gestion préparatoires tenues par le Tribunal entre janvier et mars. Durant la conférence de mars, Mme Kanzki a maintenu que, si elle ne remettait pas en question le professionnalisme de l’avocate de la BdC, il n’en demeurait pas moins qu’elle n’était pas en mesure de déterminer si les revendications de privilèges et la communication étaient appropriées. La BdC estimait qu’elles l’étaient. Les parties se trouvaient manifestement dans une impasse. Dans le cadre de la gestion de l’instance, j’ai demandé à la BdC de me fournir des copies des documents caviardés, afin de comprendre le fondement du différend.

[16] J’ai examiné ces documents, ainsi qu’un autre document fourni par la BdC qui décrivait chaque document caviardé et la nature du privilège revendiqué. Puisque Mme Kanzki n’a pas présenté d’observations officielles ou de requête expliquant pourquoi les revendications de privilèges de la BdC n’étaient pas appropriées, j’ai émis une directive à l’intention des parties, dans le respect de l’obligation du Tribunal d’instruire les plaintes sans formalisme et de façon expéditive (paragraphe 48.9(1) de la LCDP et article 5 des Règles de pratique). J’ai d’abord demandé à la BdC de modifier le caviardage de manière à afficher l’en‑tête des courriels, notamment la date et les champs de l’expéditeur et celui du destinataire, puis je lui ai demandé de me fournir une explication concernant un autre court passage caviardé. Je lui ai indiqué que, si elle refusait d’apporter ces modifications, Mme Kanzki pourrait déposer une requête au plus tard le 25 avril. J’ai invoqué la décision sur requête Letnes c. Gendarmerie royale du Canada, 2022 TCDP 32 [Letnes], une affaire dans laquelle le Tribunal a accepté d’examiner un échantillon de documents pour lesquels l’intimée revendiquait un privilège. Or, dans cette décision, la membre autorisait tout de même les parties à présenter des observations pour chaque document examiné (Letnes, au par. 17), en précisant que ce processus ne pourrait pas servir de « partie de pêche » (Letnes, au par. 15).

[17] La directive susmentionnée ne laissait supposer aucun préjugé. Je n’ai fait qu’exercer mon pouvoir discrétionnaire, en tant que décideuse et maîtresse de ma propre procédure (Prassad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1989 CanLII 131 (CSC), [1989] 1 RCS 560, à la p. 568). Cette directive définit une voie claire, équitable et expéditive pour régler le différend qui dure depuis janvier. Même si j’ai mentionné aux parties que le Tribunal avait parfois examiné des documents, j’ai finalement choisi une méthode différente – mais équitable – pour évaluer la validité des revendications de privilèges de la BdC. Une requête permet à chacune des parties de déposer des observations et leur donne la possibilité pleine et entière de présenter des éléments de preuve ainsi que leurs observations (paragraphe 50(1) de la LCDP). Le fait que Mme Kanzki aurait préféré la méthode de l’examen des documents mis sous scellé n’établit pas que j’avais un préjugé à son égard ni que je n’étais pas disposée à examiner sérieusement ses arguments concernant ces demandes.

Conférence de gestion préparatoire du 25 avril et demande de prorogation du délai fixé pour le dépôt de la requête en communication

[18] Mme Kanzki soutient que je n’ai pas accordé des prorogations raisonnables. À titre d’exemple, elle indique que ma décision de lui accorder un délai supplémentaire d’une semaine au lieu de deux semaines pour déposer la requête en communication soulève une crainte raisonnable de partialité. Dans ses observations, la BdC affirme que j’ai toujours géré l’instance conformément aux Règles de pratique et que j’ai fait droit aux demandes de prorogation raisonnables.

[19] Dans ses observations relatives à la présente requête, la Commission indique que le Tribunal doit être prêt à accorder des prorogations raisonnables, afin de s’assurer que les parties auront la possibilité pleine et entière de présenter des éléments de preuve et que leurs arguments seront dûment examinés par le décideur. La Commission ajoute qu’une partie qui demande une prorogation doit le faire dès que possible, de sorte que le Tribunal puisse entendre les autres parties et statuer sur la demande.

[20] Mme Kanzki aurait pu demander un délai supplémentaire pour déposer la requête n’importe quand depuis le 17 avril, date où elle a reçu ce que la BdC devait lui transmettre aux termes de la directive donnée le 11 avril. Elle aurait aussi pu le faire avant le 17 avril, si elle pensait que le congé de Pâques aurait une incidence sur sa capacité de respecter le délai imparti. Or, elle ne l’a pas fait. Elle a plutôt choisi de présenter sa demande de prorogation le 25 avril, la date limite pour déposer sa requête, durant une conférence de gestion préparatoire visant une discussion sur les dates d’audience (et non sur la requête en communication).

[21] Lors de la conférence du 25 avril, l’avocate de Mme Kanzki, Me Samson, a de nouveau fait part de la position de sa cliente, à savoir qu’elle ne devrait pas avoir à déposer une requête et qu’elle préférerait que le Tribunal examine les documents mis sous scellé. Le choix de la plaignante de demander une prorogation du délai, tout en remettant en cause ma décision précédente, n’était pas favorable à une instruction équitable et expéditive et retardait inutilement la procédure. Une partie ne peut pas demander au Tribunal de modifier une directive antérieure simplement parce qu’elle souhaite un résultat différent (Richards c. Service correctionnel du Canada, 2025 TCDP 35).

[22] En tant que responsable de l’instruction de la présente cause, j’ai le devoir de procéder de façon équitable, informelle et rapide, conformément aux Règles de pratique et au paragraphe 48.9(1) de la LCDP. Les parties ont également un rôle à jouer, par exemple en présentant des demandes raisonnables et proportionnées (Richards c. Service correctionnel Canada, 2023 TCDP 51, au par. 27). Si elles ont besoin d’un délai supplémentaire pour pouvoir respecter les directives du Tribunal, elles doivent en aviser ce dernier dès que possible, car une prorogation a des conséquences sur le traitement des plaintes dans l’ensemble du système et les ressources du Tribunal sont limitées.

[23] Bien que Mme Kanzki conteste « l’impatience ou la brusquerie » dont j’aurais fait preuve lors de la conférence, elle n’a invoqué aucun comportement concret qui pourrait soulever une crainte raisonnable de partialité. Si je me suis montrée polie et courtoise avec l’avocate durant la conférence, je ne nie pas que mon mécontentement au regard de sa conduite aurait été perceptible, car elle a persisté à contester la directive écrite que j’avais donnée aux parties le 11 avril. Toutefois, je suis restée ouverte d’esprit et attentive à la demande de Mme Kanzki, et j’ai permis à toutes les parties de donner leur avis sur sa demande de délai supplémentaire pour le dépôt de la requête. Pour sa part, la BdC s’est opposée à toute prorogation, soulignant que Mme Kanzki avait eu amplement le temps d’en faire la demande et qu’elle avait attendu à la dernière minute pour le faire.

[24] J’ai rendu une décision sur requête par laquelle j’ai accordé à Mme Kanzki un délai supplémentaire d’une semaine pour déposer la requête en communication, au lieu des deux semaines qu’elle avait demandées. Comme l’indique la décision Persaud, au paragraphe 58, un simple désaccord avec la décision d’un décideur n’est pas suffisant pour justifier une allégation de partialité. La gestion de l’instance entraînera inévitablement le rejet, total ou partiel, de certaines demandes présentées par les parties, mais il ne s’ensuit pas pour autant que le résultat était décidé à l’avance ni que les demandes n’ont pas fait l’objet d’un examen impartial et juste. Une personne bien renseignée, qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, ne conclurait pas que je ne peux pas rendre une décision équitable dans le dossier de Mme Kanzki (Committee for Justice, à la p. 394).

(ii) Allégation de partialité du Tribunal à l’égard de Me Samson

[25] Mme Kanzki affirme que j’ai un préjugé inconscient à l’égard de son avocate, Me Samson, qui, dit-elle, exerce seule sa profession. Selon la plaignante, lors de discussions portant sur les témoins et sur une éventuelle ordonnance de confidentialité, j’aurais laissé entendre que son avocate n’avait pas suivi correctement les procédures liées au processus de gestion de l’instance. Mme Kanzki dit que je considère Me Samson comme [traduction] « une plaideuse non représentée qui n’a pas les connaissances juridiques nécessaires pour s’occuper du dossier, contrairement aux avocates de l’intimée ».

[26] Par exemple, pendant la première conférence de gestion préparatoire, en janvier 2025, l’avocate de Mme Kanzki a demandé si le nom de sa cliente pouvait être rendu anonyme pour l’instruction. La BdC s’est opposée à toute anonymisation du nom de la plaignante. J’ai indiqué aux parties que l’instruction était publique et que si une partie souhaitait obtenir une ordonnance de confidentialité au titre du paragraphe 52(1) de la LCDP, elle devait déposer une requête à cette fin. J’ai proposé aux parties de consulter des décisions portant sur de telles demandes, parce que généralement, le Tribunal ne fait pas droit à ce type de demande en l’absence d’observations détaillées fondées sur sa jurisprudence. En effet, les ordonnances de confidentialité constituent une exception importante à la règle générale selon laquelle une instruction devant le Tribunal est publique. Mme Kanzki n’a pas soulevé la question de l’anonymisation à nouveau, bien qu’elle ait été invitée à proposer des points à ajouter à l’ordre du jour des prochaines conférences de gestion préparatoires.

[27] Mme Kanzki estime également que j’ai fait preuve de partialité à l’égard de son avocate lors des discussions avec les parties au sujet des témoins. Elle en donne deux exemples. Premièrement, elle affirme que j’ai fait preuve de partialité au cours du processus de gestion de l’instance lorsque j’ai dit aux parties qu’il lui incombait, en tant que plaignante, de faire avancer sa plainte. Deuxièmement, elle affirme que j’ai fait preuve de partialité parce que j’ai permis à l’intimée d’appeler 18 témoins sans discuter de leur « nécessité », alors que j’ai remis en question son besoin de recourir à un « témoin expert ».

[28] Lorsque la gestion de la présente instance a débuté en janvier 2025, les parties ont été invitées à fournir dans le cadre de leurs exposés des précisions des listes de témoins mises à jour et des résumés précis des témoignages prévus. Sous le régime de la LCDP, il incombe au plaignant de faire la preuve de discrimination prima facie (Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 (CanLII), [2015] 2 RCS 789 [Bombardier], au par. 3). Par conséquent, à l’étape de la gestion de l’instance préalable à l’audience, c’est la communication de la preuve du plaignant qui détermine en grande partie la teneur de la communication de l’intimé. C’est dans ce contexte que j’ai dit aux parties qu’il incombait à Mme Kanzki de faire avancer sa plainte. Son avocate, Me Samson, a précisé lors d’une conférence de gestion préparatoire en février 2025 qu’elle ne pouvait mettre à jour la liste de témoins qu’après la résolution du différend en matière de communication entre les parties. J’ai alors immédiatement suspendu la date limite pour le dépôt de la liste de témoins mise à jour et des résumés des témoignages prévus afin qu’elle soit en mesure de connaître la preuve à réfuter et de se préparer pleinement à l’audience (paragraphe 50(1) de la LCDP).

[29] En ce qui concerne l’allégation de Mme Kanzki selon laquelle j’ai suscité une crainte raisonnable de partialité parce que j’ai mis en doute la nécessité d’un témoin expert, comme toujours, le contexte est important. Lors de cette discussion, la BdC a proposé de convoquer 18 témoins. Mme Kanzki a mentionné trois témoins et a évoqué la possibilité de faire comparaître un témoin expert. La BdC s’est interrogée sur la nécessité d’un expert et a insisté sur l’application de l’article 22 des Règles de pratique à tout témoin expert proposé.

[30] L’allégation de Mme Kanzki selon laquelle il n’y a pas eu de discussion sur la nécessité des 18 témoins de la BdC ne reflète pas avec justesse ce qui s’est passé dans le cadre de la gestion de l’instance. Les parties ont le droit de convoquer les témoins dont elles ont besoin pour présenter des éléments de preuve et des observations concernant la plainte (paragraphe 50(1) de la LCDP). Consciente de la nécessité de gérer efficacement l’instance, j’ai demandé à la BdC si tous les témoins figurant sur sa liste étaient nécessaires et s’il était possible d’en réduire le nombre. En réponse, la BdC a déclaré que pour répondre à l’ensemble des allégations, il était nécessaire d’obtenir des éléments de preuve de la part de tous les témoins.

[31] J’ai ensuite demandé aux parties d’examiner des moyens qui permettent de réduire le nombre de jours d’audience et d’envisager ainsi la présentation de certains témoignages principaux par écrit et la présentation d’un exposé conjoint des faits. Elles ont accepté d’examiner ces options. Ce point a été consigné en vue d’un suivi lors d’une conférence de gestion préparatoire.

[32] J’ai également demandé aux parties de discuter des éléments de preuve que le témoin expert proposé par Mme Kanzki apporterait afin de déterminer s’il était nécessaire de citer un « expert » au sens des Règles de pratique. J’ai dit aux parties que le Tribunal peut faire preuve de souplesse quant aux éléments de preuve qu’il admet à l’audience parce qu’il n’est pas tenu d’appliquer des règles stricte en matière de preuve (paragraphe 50(4) de la LCDP). Toutefois, toute partie qui fait appel à un « expert » doit se conformer aux exigences de l’article 22 des Règles de pratique.

[33] L’impression de Mme Kanzki selon laquelle je considère son avocate comme [traduction] « une plaideuse non représentée » est une mauvaise interprétation de ce qui s’est passé dans le cadre de la gestion de l’instance. Par mes interventions sur l’ordonnance de confidentialité, la preuve d’expert potentielle et le nombre total de témoins, je souhaitais aider les parties à résoudre leurs désaccords et garantir une instruction équitable et rapide, conformément aux objectifs du paragraphe 48.9(1) de la LCDP et de l’article 5 des Règles de pratique. La gestion de l’instance comporte un exercice délicat de pondération entre le droit des parties d’être entendues et une utilisation efficace du temps et des ressources. Dans la présente affaire, il s’agissait de ne pas supposer que les parties savaient que les procédures devant le Tribunal sont publiques, et d’examiner la nécessité des témoins, y compris celle d’un « expert », tout en respectant le droit des parties de présenter leur position. Dans ce contexte, une personne bien renseignée, qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, ne conclurait pas que je ne peux pas prendre une décision juste dans le dossier de Mme Kanzki [Committee for Justice, à la p. 394].

(iii) Conférences de gestion préparatoires en vue de fixer les dates d’audience

[34] Mme Kanzki prétend que j’ai [traduction] « démontré la volonté de précipiter l’instruction de l’affaire » au détriment de sa connaissance de la preuve qu’elle devait réfuter, puisque la question de la divulgation n’était pas résolue.

[35] Le dossier officiel de la présente affaire contredit la position de Mme Kanzki. Pour situer le contexte, il convient de préciser que les allégations de discrimination formulées par Mme Kanzki remontent à huit ans, soit à 2017. Elle a déposé sa plainte auprès de la CCDP en 2020, et celle-ci l’a renvoyée au Tribunal en avril 2024. La gestion de l’instance a débuté en janvier 2025 et les parties ont été invitées à indiquer leur disponibilité pour la tenue de l’audience. Les parties ont convenu de fixer des dates d’audience provisoires pour septembre 2025. Ces dates sont tombées à l’eau peu après la première conférence de gestion préparatoire, les parties ayant confirmé que leurs témoins n’étaient pas tous disponibles.

[36] La discussion sur les dates d’audience entre les parties et le Tribunal s’est poursuivie de janvier à avril 2025, parallèlement à celle sur le différend en matière de communication. Les parties ont travaillé ensemble pour essayer de trouver une disponibilité commune pour douze jours d’audience. Bref, la difficulté de trouver des dates d’audience s’explique en partie par le fait que les parties avaient des points de vue différents sur la manière dont l’audience devait se dérouler. Mme Kanzki a demandé qu’elle soit virtuelle, alors que la BdC a demandé qu’elle se tienne en personne, à Ottawa. Mme Kanzki préférait avoir 12 jours d’audience consécutifs sans interruption, alors que la BdC n’a pas exprimé de préférence et était prête à procéder lorsque les deux parties étaient disponibles.

[37] Au début d’avril 2025, les parties ont confirmé au Tribunal par courriel qu’elles disposaient d’un seul jour de disponibilité commune pour la tenue de l’audience entre janvier et avril 2026. Compte tenu de l’ancienneté de la plainte, des préférences divergentes des parties quant à la programmation de jours d’audience consécutifs et de la disponibilité limitée des avocates pour une audience au cours de l’année à venir, j’ai demandé au greffe de fixer la date d’une conférence de gestion préparatoire. Continuer à échanger des courriels n’aurait pas été efficace et n’aurait pas non plus mené à une instruction expéditive. J’ai d’ailleurs gardé à l’esprit le devoir du Tribunal de garantir une instruction équitable, informelle et rapide (paragraphe 48.9(1) de la LCDP). La majeure partie de la conférence de gestion préparatoire du 25 avril a été consacrée à la discussion sur la requête en divulgation, de sorte que les parties et le Tribunal n’ont pas eu suffisamment de temps pour trouver une disponibilité commune en vue de l’audience.

[38] Les exemples donnés par Mme Kanzki ne répondent pas au critère exigeant qui permet de conclure à la partialité (Persaud, au par. 58). À aucun moment, Mme Kanzki n’a subi de préjudice du fait qu’elle n’a pas été en mesure de préparer son dossier en vue d’une audience. Pour lui permettre de se préparer pleinement à l’audience, j’ai suspendu en février 2025 la date limite de dépôt pour son exposé des précisions, sa liste de témoins et ses résumés des témoignages prévus jusqu’à ce que le différend en matière de communication soit résolu, afin qu’elle puisse décider si elle aura besoin d’un témoin expert ou de tout autre témoin à l’audience. J’ai essayé de respecter la volonté de Mme Kanzki de disposer du plus grand nombre possible de jours d’audience consécutifs, étant donné sa qualité de plaignante. De plus, je n’ai pas encore décidé si l’audience se déroulera de façon virtuelle ou en personne. À la suite du dépôt des requêtes en récusation et en divulgation, la discussion sur les dates d’audience a également été suspendue. À ce jour, les dates de l’audience ne sont pas encore fixées.

[39] Compte tenu des circonstances entourant la gestion de l’instance, une personne bien renseignée, qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, ne conclurait pas que je ne peux pas rendre une décision équitable dans le dossier de Mme Kanzki [Commission pour la justice, p. 394].

V. ORDONNANCE

[40] La requête est rejetée.

[41] Le greffe enverra aux parties le calendrier de dépôt des observations sur la requête en divulgation.

Signée par

Ashley Bressette-Martinez

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 23 juillet 2025

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : HR-DP-3010-24

Intitulé de la cause : Beatriz Kanzki c. Banque du Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 23 juillet 2025

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

Blandie Samson , pour la plaignante

Julie Hudson , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Marianne Abou-Hamad et Marie Bordeleau , pour l’intimée

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