Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Pour se préparer à l’audience, les parties doivent se transmettre mutuellement certains documents. Le Tribunal exige que ces documents demeurent confidentiels. Ils ne peuvent donc pas être communiqués à des tiers ni être rendus publics, sauf s’ils sont utilisés comme éléments de preuve lors de l’audience. Cette obligation s’appelle l’engagement implicite de confidentialité ou la règle de l’engagement implicite.
Dans cette affaire, le Service correctionnel du Canada (l’« intimé ») soutient que M. Richards (le « plaignant ») a violé cette règle lorsque sa sœur a publié un document lié au dossier sur son compte Instagram. Le Tribunal est d’accord avec l’intimé. Par conséquent, il a rendu des ordonnances visant à atténuer les dommages causés par la publication du document.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2025 TCDP 61

Date : Le 18 juin 2025

Numéros des dossiers : T2218/4017, T2282/3718, T2395/5419, T2647/2321

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Ryan Richards

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Service correctionnel du Canada

l’intimé

Décision sur requête

Membre : Jennifer Khurana

 


I. APERÇU

[1] Le 6 juin 2025, l’intimé, le Service correctionnel du Canada (le « SCC »), a découvert qu’un document qu’il avait communiqué aux parties dans le cadre de la présente instance (la « pièce proposée ») et d’autres documents relatifs aux plaintes en cause dans la présente affaire avaient été ouvertement partagés sur un compte Instagram public qui semble appartenir à Mme Carema Mitchell. M. Richards, le plaignant, a décrit Mme Mitchell comme étant sa sœur sur sa liste de témoins.

[2] Le SCC demande au Tribunal de rendre un certain nombre d’ordonnances provisoires et permanentes pour limiter les dommages causés par la violation de la règle de l’engagement implicite et se réserve le droit de demander le rejet des plaintes pour abus de procédure si M. Richards ne règle pas la situation de manière adéquate ou s’il apprend que la violation entraîne un préjudice supplémentaire. Le SCC demande également au Tribunal de rendre une ordonnance de confidentialité applicable aux reproductions de la pièce proposée qui se trouvent dans les captures d’écran du compte de Mme Mitchell qu’il a fournies à l’appui de sa requête.

[3] M. Richards ne nie pas avoir partagé le document, mais affirme qu’il croyait que la pièce proposée avait été produite dans le cadre de l’instance qui avait déjà connu son dénouement devant la Cour fédérale, de sorte que le document était déjà dans le domaine public et qu’il pouvait être partagé. Il s’excuse pour ce qui, selon ses dires, constitue une erreur ou un oubli de sa part. Il affirme que, dès que le SCC lui a écrit au sujet de la violation, il a immédiatement cherché à rectifier la situation. Il estime donc que les ordonnances demandées par le SCC sont sans objet.

[4] La Commission déclare qu’elle ne s’oppose pas aux demandes formulées par le SCC en vue de faire appliquer la règle de l’engagement implicite. Elle n’a pas d’information quant à la question de savoir si la pièce proposée avait été produite dans le cadre de l’instance devant la Cour fédérale et ne prend pas position sur ce point. Elle s’en remet au Tribunal pour ce qui est de la demande d’ordonnance de confidentialité provisoire, mais s’oppose au prononcé d’une ordonnance de confidentialité générale.

II. DÉCISION

[5] La présente requête est accueillie. M. Richards a violé la règle de l’engagement implicite en partageant des documents obtenus au cours du processus de communication qui n’étaient pas encore admis en preuve et qui n’étaient donc pas publics. J’ai rendu un certain nombre d’ordonnances concernant la violation et j’ai accédé à la demande du SCC de mettre sous scellés l’annexe contenant les captures d’écran de la pièce proposée qu’il avait produite à l’appui de sa requête.

III. CONTEXTE

[6] Tout au long de la présente instance, le SCC a communiqué une quantité importante de documents aux autres parties. L’un des documents était la pièce R-503, soit la pièce proposée, une lettre concernant des mesures disciplinaires imposées à un employé du SCC pour sa conduite envers M. Richards, datée du 3 novembre 2015. Cette lettre contient les coordonnées personnelles de l’employé. Elle a été signifiée aux parties et la liste des documents a été fournie au Tribunal en février 2024; à ce moment-là, M. Richards n’était pas représenté par un avocat. Le SCC, dans sa liste des pièces proposées, faisait état de son intention de faire sceller la pièce proposée.

[7] À cette fin, le SCC a déposé une requête le 20 mars 2024, par laquelle il demandait au Tribunal d’ordonner que la pièce proposée et un certain nombre d’autres pièces soient traitées comme étant confidentielles, ne fassent pas partie du dossier public et ne soient pas accessibles au public. La requête fait référence à la règle de l’engagement implicite de confidentialité. Le 12 avril 2024, j’ai rejeté la requête au motif qu’elle était prématurée, après avoir conclu que les pièces proposées à l’audience ne font pas partie du dossier officiel et ne sont pas accessibles au public (voir Richards c. Service correctionnel du Canada, 2024 TCDP 21, aux par. 2 à 5 (la « décision sur requête relative à la confidentialité »)). J’ai relevé que le SCC pourrait renouveler sa demande si l’une ou l’autre des pièces proposées était admise en preuve.

[8] La pièce proposée n’a pas encore été admise en preuve et ne fait pas partie du dossier officiel.

[9] Le SCC affirme que, lorsqu’il a découvert le 6 juin 2025 que la pièce proposée avait été publiée sur ce qui semble être le compte Instagram public de Mme Mitchell, les publications comportaient la mention « Scanned with CamScanner ». CamScanner est une application pour téléphone portable qui permet de numériser des documents et de les convertir en PDF. Le même jour, le SCC a envoyé une mise en demeure à M. Richards, par laquelle il lui demandait de prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires pour faire retirer le document en question de tout site Web ou plateforme de médias sociaux ainsi que pour récupérer et détruire toutes les copies de documents confidentiels divulgués en violation de la règle de l’engagement implicite; il lui demandait aussi de ne communiquer aucun document visé par la règle de l’engagement implicite à quiconque, sauf dans la mesure permise par la loi, et de confirmer rapidement que toutes les mesures ci-dessus avaient été prises.

[10] Le lendemain, le SCC a vérifié le compte Instagram; les renseignements relatifs à l’instance semblaient avoir été supprimés. Il a ensuite constaté que le compte n’existait plus. Or, le 9 juin 2025, il a découvert que le compte était actif, mais qu’il avait été rendu privé, de sorte qu’il ne pouvait pas vérifier ce qui y était publié. Le SCC n’a pas donc pu vérifier dans quelle mesure la pièce proposée ou d’autres renseignements ont pu être diffusés sur d’autres comptes, réseaux sociaux, pages web, ou envoyés à d’autres personnes. Il craint que cela ne se reproduise.

IV. Le dépôt de la requête et les observations des parties

[11] Le SCC a déposé la requête le 10 juin 2025, soit avant la reprise de l’audience le 16 juin 2025. Comme il n’y avait pas assez de temps avant le début de l’audience pour que les parties me transmettent des observations écrites et que je dois trancher les questions soulevées par la requête le plus rapidement possible en raison de leur nature, j’ai dit aux parties de se préparer à débattre de la requête du SCC de vive voix à l’audience. Au début de la journée d’audience du 16 juin, j’ai demandé à M. Richards s’il avait passé en revue la requête. Il n’en était pas sûr, car il avait été accaparé par la préparation de l’audience, mais il a déclaré qu’il se souvenait avoir reçu une communication du SCC sur la question de l’engagement implicite et qu’il était prêt à présenter ses observations. J’ai donné à M. Richards la possibilité de présenter lesdites observations, mais je lui ai également donné la possibilité de passer en revue l’intégralité du texte de la requête à l’écran et de prendre tout le temps nécessaire pour le faire.

[12] La requête comprenait une courte déclaration sous serment, rédigée en français. La Commission a fait valoir qu’étant donné que M. Richards ne parle pas français, le fait de fournir l’affidavit en français portait atteinte à son droit de participer pleinement et utilement à la procédure. Le SCC a déclaré que, comme la requête devait être présentée le plus rapidement possible, elle n’avait été rédigée que dans une seule langue.

[13] Je souscris aux observations de la Commission sur ce point. Comme il s’agit d’une instance en anglais, et par souci d’équité et de respect des droits linguistiques fondamentaux, M. Richards aurait dû recevoir la version anglaise. Dans un souci de rapidité et pour ne pas retarder l’audition de la requête et le prononcé de la décision, le Tribunal a immédiatement fait traduire vers l’anglais la courte déclaration sous serment. M. Richards a eu la possibilité d’examiner la version anglaise de la déclaration sous serment et de présenter d’autres observations. Comme il s’agissait d’un document préparé par le SCC, j’ai donné à ce dernier la possibilité de vérifier la traduction. Ni le SCC ni la Commission n’ont émis de réserves quant à l’exactitude de la traduction anglaise.

[14] M. Richards et la Commission ont présenté des observations de vive voix sur la requête du SCC, et j’ai donné au SCC la possibilité de répondre oralement. J’ai mentionné aux parties que je rendrais une décision écrite sur la requête dès que possible.

V. QUESTIONS EN LITIGE

1. M. Richards a-t-il violé la règle de confidentialité implicite en partageant des renseignements qui lui avaient été transmis au cours du processus de communication? Dans l’affirmative, le Tribunal doit-il rendre les ordonnances demandées par le SCC afin de limiter le préjudice causé par la violation et d’empêcher que d’autres violations soient commises?

2. Les reproductions de la pièce proposée, déposées à l’appui de la requête du SCC, devraient-elles toutes faire l’objet d’une ordonnance de confidentialité et être mises sous scellés afin de les soustraire à l’accès public au titre des paragraphes 52(1) et 52(2) de la Loi?

VI. CADRE LÉGISLATIF

[15] Le Tribunal est maître de sa procédure. Il tranche les questions de droit et les questions de fait dans les affaires dont il est saisi (par. 50(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 [la « Loi »]). La formation peut également rendre l’ordonnance qu’elle estime nécessaire en cas de comportements vexatoires ou d’abus de procédure (article 10 des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 [les « Règles »]).

[16] Le Tribunal a le pouvoir inhérent d’empêcher que sa procédure soit utilisée abusivement et d’une manière qui aurait « pour effet de discréditer l’administration de la justice » (Constantinescu c. Service Correctionnel Canada, 2022 TCDP 13, au par. 14, citant (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, au par. 37)).

[17] Les parties à une instance sont tenues d’échanger les renseignements qu’elles ont en leur possession dans le cadre du processus de communication préalable à l’audience afin de leur permettre de connaître la preuve contre elles et de se préparer à l’instruction (alinéas 18(1)f), 19(1)e), 20(1)e) et paragraphe 23(1) des Règles, et voir, par exemple, Miller c. International Longshoremen’s Association, Local 269, 2022 TCDP 43, au par. 7 [Miller]).

[18] Les documents échangés au cours du processus de communication préalable à l’audience sont protégés par un engagement implicite de confidentialité envers le Tribunal. Les documents ou renseignements qu’une partie est tenue de produire ne peuvent être partagés ou utilisés par les parties à une autre fin ou dans le cadre d’une autre instance. Seuls les documents déposés et admis en preuve à l’audience font partie du dossier officiel et ne sont plus assujettis à la règle de l’engagement implicite de confidentialité et, de ce fait, peuvent être partagés publiquement (Miller, au par. 65).

[19] Suivant la règle de l’engagement implicite de confidentialité, il est interdit aux parties d’utiliser les informations et les documents obtenus à l’étape de l’enquête préalable à d’autres fins que la préparation du procès et la défense de leurs intérêts au procès et de communiquer ces informations et documents à des tiers sans autorisation particulière du tribunal (Juman c. Doucette, 2008 CSC 8, au par. 4 [Juman]; Lac d’Amiante du Québec Ltée c. 2858-0702 Québec Inc., 2001 CSC 51, au par. 42).

[20] La principale raison d’être de la règle de l’engagement implicite est la protection de la vie privée. Il est généralement anormal qu’une partie contrainte par la loi de produire des documents pour l’objet d’une instance particulière s’expose au risque que l’autre partie se serve de ces documents à une fin autre que l’objet de l’instance judiciaire en question et, en particulier, qu’ils soient mis à la disposition de tiers qui pourraient les utiliser au détriment de la partie qui les a produits lors de l’enquête préalable (Egan c. Agence du revenu du Canada, 2019 TCDP 27, au par. 32, citant Goodman v Rossi, 1995 CanLII 1888 (CA ON) [Egan]). La règle vise à faciliter l’enquête préalable, et ce, en donnant aux parties la certitude que, à ce stade, les informations fournies resteront confidentielles, à moins que le tribunal autorise que les informations en question soient divulguées (Juman, aux par. 23 à 25 et 30).

[21] La crainte d’une utilisation à des fins accessoires risque dans certains cas de décourager l’enquête préalable, ce qui est contraire à une bonne administration de la justice (Egan, au par. 32). L’utilisation à des fins accessoires de documents et de renseignements visés par la règle de l’engagement implicite a également été décrite comme un abus de procédure (Perry v. Mass Fidelity Inc, 2019 ONSC 1134, au par. 21).

[22] Le manquement à l’engagement envers le tribunal peut faire l’objet de diverses mesures réparatrices, dont le sursis ou le rejet de l’instance, la radiation de la défense ou, en l’absence d’une réparation moins draconienne, une procédure pour manquement à l’engagement envers le tribunal (Juman, au par. 29).

[23] En ce qui concerne la demande de confidentialité du SCC, la présomption de publicité des débats n’est pas absolue, et le Tribunal peut prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance nécessaire pour assurer la confidentialité de l’instruction s’il est convaincu qu’il existe un risque sérieux de divulgation de questions de sorte que la nécessité d’empêcher leur divulgation dans l’intérêt des personnes concernées l’emporte sur l’intérêt qu’à la société à ce que l’instruction soit publique (alinéa 52(1)c) de la Loi). Le membre instructeur peut, s’il l’estime indiqué, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance qu’il juge nécessaire pour assurer la confidentialité de la demande visée au paragraphe (1) (paragraphe 52(2) de la Loi).

[24] La mesure de confidentialité doit être nécessaire pour prévenir le risque sérieux en question, lorsqu’il n’existe pas de mesure raisonnable et moins restrictive pour éliminer ce risque. En ce qui concerne la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance doivent l’emporter sur ses effets négatifs (Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, au par. 38).

VII. ANALYSE

A. Question 1 : M. Richards a-t-il violé la règle de confidentialité implicite en partageant des renseignements qui lui avaient été transmis au cours du processus de communication? Dans l’affirmative, le Tribunal doit-il rendre les ordonnances demandées par le SCC afin de limiter le préjudice causé par la violation et d’empêcher que d’autres violations soient commises?

[25] Oui. M. Richards a violé la règle de l’engagement implicite, et je suis d’avis que les ordonnances demandées par le SCC sont appropriées pour limiter le préjudice et empêcher que d’autres violations soient commises. La pièce proposée a été partagée avec Mme Mitchell, puis publiée sur la plateforme publique de médias sociaux Instagram. Même si le compte est devenu privé depuis, le contenu est toujours accessible, quoique pour un nombre plus limité de personnes (170 abonnés selon les captures d’écran de SCC).

[26] M. Richards ne nie pas que la pièce proposée a été partagée et publiée sur les médias sociaux. En fait, il s’est excusé de l’avoir partagée et a déclaré qu’il pensait qu’elle avait été produite dans le cadre de la procédure qu’il avait engagée devant la Cour fédérale, laquelle avait déjà connu son dénouement, et qu’elle était donc déjà dans le domaine public. Le SCC déclare avoir vérifié si la pièce proposée avait été déposée dans le cadre de l’instance devant la Cour fédérale, et que ce n’était pas le cas. En l’absence de toute preuve du contraire de la part de M. Richards, je ne souscris pas à son affirmation selon laquelle la pièce proposée était déjà accessible au public.

[27] Par ailleurs, bien que M. Richards affirme que cette violation s’explique par un oubli de sa part, pour lequel il s’excuse, il savait parfaitement que le SCC avait demandé une ordonnance de confidentialité concernant la mise sous scellés de la pièce proposée; il avait même présenté des observations en opposition à cette demande (voir la décision sur requête relative à la confidentialité, au par. 3). En outre, dans ses observations à l’appui de sa requête en confidentialité, le SCC faisait référence à la règle de l’engagement implicite de confidentialité, qui s’appliquait à la pièce proposée. À mon avis, prétendre — à la lumière de la requête en confidentialité, des observations et de la décision sur requête relative à la confidentialité du document en question — que le document était déjà dans le domaine public témoigne d’un mépris inconsidéré pour le degré de soin et de responsabilité dont toutes les parties, y compris celles qui ne sont pas représentées par un avocat, doivent faire preuve dans le cadre d’une instance du Tribunal.

[28] Le SCC fait valoir que la violation de la règle de l’engagement implicite a des conséquences graves et irréversibles. La pièce proposée a été accessible au public sur Instagram pendant cinq semaines et il n’existe aucun moyen de vérifier dans quelle mesure elle a été diffusée sur d’autres comptes, réseaux sociaux et pages web, ou qu’elle a été envoyée à d’autres personnes. Bien que le compte ait été rendu privé depuis que le SCC a communiqué pour la première fois avec M. Richards à ce sujet le 6 juin, il n’y a maintenant aucun moyen de vérifier ce qui est encore partagé sur ce compte. Il en va de même pour d’autres documents qui pourraient avoir été partagés alors qu’ils ne font pas encore partie du dossier officiel.

[29] Toutes les parties sont liées par la règle de l’engagement implicite, y compris celles qui ne sont pas représentées par un avocat. Je conviens avec le SCC que les violations de la règle de l’engagement implicite peuvent sérieusement compromettre la capacité des parties à s’engager de manière significative dans le processus de communication et éroder leur confiance dans le fait que les informations qu’elles se partagent resteront confidentielles, dans ce litige et dans d’autres instances. L’intégrité du processus de communication, qui exige des parties qu’elles respectent la règle de l’engagement implicite et qui est tributaire de la confiance des parties, peut s’en trouver affectée. Comme il est indiqué plus haut, la crainte d’une utilisation à des fins accessoires peut également dissuader une partie de procéder à une communication complète, ce qui est contraire à la bonne administration de la justice.

[30] Laisser la violation se poursuivre compromettrait la procédure du Tribunal et serait contraire à l’intérêt de la justice. Pour que nos systèmes de justice fonctionnent, toutes les parties aux instances doivent respecter des règles de base, y compris celles qui s’appliquent aux documents échangés au cours du processus de communication. Ne pas remédier à cette violation minerait la confiance du public dans la procédure du Tribunal et laisserait impuni un mépris inconsidéré pour les règles qui s’appliquent aux parties, qu’elles soient représentées par un avocat ou non.

[31] Bien que la pièce proposée ait déjà été partagée et publiée en ligne et que le mal soit déjà fait, le SCC prétend que je devrais rendre un certain nombre d’ordonnances afin de limiter le risque qu’il subisse d’autres préjudices et d’éviter de nuire à l’administration de la justice. Je souscris à ces prétentions. J’ai énoncé ces ordonnances ci-dessous et j’ai également fixé une date limite à laquelle M. Richards doit confirmer s’être conformé aux ordonnances.

[32] Pour aider à maintenir l’intégrité de la procédure du Tribunal et pour remédier rapidement à la violation, une copie de la présente décision sur requête sera transmise à Mme Mitchell, qui semble avoir publié et partagé les documents sur son compte Instagram.

B. Question 2 : Les reproductions de la pièce proposée, déposées à l’appui de la requête du SCC, devraient-elles toutes faire l’objet d’une ordonnance de confidentialité et être mises sous scellés afin de les soustraire à l’accès public au titre des paragraphes 52(1) et 52(2) de la Loi?

[33] Oui. Les captures d’écran de la pièce proposée étaient nécessaires pour prouver les faits de la requête présentée par le SCC. La pièce proposée ne fait pas partie du dossier officiel, n’est pas accessible au public et ne le sera peut-être jamais. L’annexe de la requête, y compris les captures d’écran, devrait être mise sous scellés pour garantir que les documents relatifs à la requête ne dévoilent pas les informations mêmes que la requête vise à protéger, et parce qu’autoriser le public à avoir accès à un document contenant les coordonnées personnelles de l’employé pose un risque sérieux pour la santé et la sécurité de ce dernier. Ne pas mettre sous scellés le document aurait pour effet de rendre la requête vide de sens.

[34] Le SCC affirme que le document est toujours protégé par la règle de l’engagement implicite et qu’il peut rester protégé par cette règle pour toujours s’il n’est jamais admis comme preuve.

[35] En outre, le SCC fait valoir que la pièce proposée contient des renseignements personnels de tiers qui ne seraient pas rendus publics en temps normal et qui ne devraient ni faire partie du dossier officiel ni être accessibles au public. Il prétend qu’il y a nécessité d’empêcher la divulgation des informations, car certaines d’entre elles, notamment l’adresse personnelle de l’employé, sont délicates. Il fait valoir que, selon l’alinéa 52(1)b), si un document qui n’est pas encore en preuve est rendu public, il y a un risque sérieux d’atteinte au droit à une instruction équitable, de sorte que la nécessité d’empêcher la divulgation de renseignements l’emporte sur l’intérêt qu’à la société à ce que l’instruction soit publique. Il soutient également que le document devrait être confidentiel suivant l’alinéa 52(1)c) puisque la divulgation de renseignements personnels pourrait causer un préjudice indu aux personnes concernées, et que les exigences de l’alinéa 52(1)d) sont respectées du fait que la divulgation de l’adresse d’un agent de la paix travaillant avec des détenus soulève une sérieuse possibilité que la vie ou la sécurité d’une personne soit mise en danger.

[36] Le SCC fait également valoir que les informations sont couvertes par la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21. Il soutient, en s’appuyant sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Chin c. Canada (Procureur général), 2023 CAF 144, au par. 9, que la Cour fédérale, et par extension le Tribunal, doit prendre des précautions raisonnables pour éviter de communiquer certains renseignements.

[37] La Commission s’oppose à une demande générale d’ordonnance de confidentialité, et ce, pour les mêmes raisons qu’elle s’est opposée à la demande dans la décision sur requête relative à la confidentialité. Elle précise également que le seul aspect de la lettre qui doit rester confidentiel est l’information personnelle liée à l’adresse de l’employé, et que le document est par ailleurs un document public.

[38] Je suis convaincue que toute reproduction de la pièce proposée (pièce R-503) telle qu’elle figure à l’annexe A de la requête du SCC devrait être mise sous scellés et ne pas être rendue accessible au public. Tout d’abord, le document contient des informations personnelles et, compte tenu de la manière dont il a été partagé et de la mesure dans laquelle il l’a potentiellement été, il convient de réduire au minimum tout risque de divulgation supplémentaire. Les documents devraient être mis sous scellés parce que la divulgation des coordonnées personnelles soulève une sérieuse possibilité que la sécurité d’une personne soit mise en danger au titre de l’alinéa 52(1)d). Deuxièmement, à mon avis, l’ordonnance est nécessaire suivant le paragraphe 52(2) pour assurer la confidentialité des documents que le SCC a déposés à l’appui de sa demande visant à ce que la règle de l’engagement implicite soit respectée et de sa demande fondée sur le paragraphe 52(1). La pièce proposée n’a pas encore été présentée en preuve et reste soumise à la règle de l’engagement implicite. Elle ne doit pas être accessible au public par l’intermédiaire de la requête alors qu’elle n’a pas encore été admise en preuve.

[39] Conformément à la décision sur requête relative à la confidentialité, décision que j’ai moi-même rendue, le Tribunal examinera si une version de la pièce proposée doit faire l’objet d’une ordonnance de confidentialité dans l’éventualité où elle est introduite en preuve à l’audience et admise en tant que pièce. Le Tribunal pourra également examiner si le caviardage pourrait constituer une solution de rechange à l’ordonnance de confidentialité.

VIII. ORDONNANCE

[40] Dès que possible, et au plus tard le 23 juin 2025, M. Richards doit :

  1. informer l’intimé et le Tribunal de tout document couvert par la règle de l’engagement implicite qui aurait été (1) divulgué à quiconque, sauf dans la mesure autorisée par la loi, et/ou (2) publié sur un site web ou une plateforme de médias sociaux (y compris le nom des personnes ayant reçu l’élément et le site web ou la plateforme de médias sociaux et le compte sur lesquels l’élément a été publié);

  2. prendre toutes les mesures nécessaires pour que tout document couvert par la règle de l’engagement implicite soit retiré de tout site web ou de toute plateforme de médias sociaux;

  3. prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer et détruire toutes les copies, y compris les copies électroniques, des documents confidentiels divulgués en violation de la règle de l’engagement implicite;

  4. obtenir de toute personne à qui une copie des documents confidentiels divulgués en violation de la règle de l’engagement implicite a été fournie l’engagement de les restituer et de les retirer sur-le-champ de tout site web ou de toute plateforme de médias sociaux, et de détruire toute copie électronique.

 

[41] M. Richards doit confirmer au Tribunal et à l’intimé au plus tard le 23 juin 2025 qu’il s’est conformé aux ordonnances exposées au paragraphe [40].

[42] Toute personne informée de cette ordonnance doit :

  1. informer immédiatement l’intimé et le Tribunal de tout document couvert par la règle de l’engagement implicite (1) qui lui aurait été divulgué, sauf dans la mesure permise par la loi, et/ou (2) qui aurait été publié sur un site web ou une plateforme de médias sociaux (en plus d’inclure le site web ou la plateforme de médias sociaux et le compte sur lequel le document a été publié);

  2. prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires pour que tout document couvert par la règle de l’engagement implicite soit retiré de tout site web ou de toute plateforme de médias sociaux;

  3. ne divulguer aucun document couvert par la règle de l’engagement implicite à qui que ce soit, sauf dans la mesure où la loi l’autorise, ni utiliser ce document;

  4. prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires pour restituer toutes les copies des documents confidentiels divulgués en violation de la règle de l’engagement implicite, et détruire les copies électroniques de ces documents;

  5. fournir la présente ordonnance à toute personne ayant reçu une copie de documents confidentiels divulgués en violation de la règle de l’engagement implicite;

  6. confirmer dès que possible au Tribunal et à l’intimé que les mesures ci-dessus ont été prises.

[43] Le greffe enverra une copie de la présente décision sur requête à Mme Mitchell, qui semble avoir publié et partagé le document sur son compte Instagram.

[44] M. Richards doit immédiatement transmettre l’ordonnance du Tribunal à toute autre personne à laquelle une copie des documents confidentiels divulgués en violation de la règle de l’engagement implicite aurait pu être fournie et confirmer au Tribunal et à l’intimé que cela a été fait ou qu’il n’a divulgué les documents à personne d’autre que Mme Mitchell.

[45] M. Richards ne doit divulguer aucun document couvert par la règle de l’engagement implicite à qui que ce soit, sauf dans la mesure autorisée par la loi.

[46] Le Tribunal rend l’ordonnance suivante au titre de l’alinéa 52 de la LCDP :

  1. La pièce R-503, telle qu’elle figure dans l’annexe de la requête du SCC, sera mise sous scellés et ne pourra pas être rendue publique.

 

Signée par

Jennifer Khurana

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 18 juin 2025


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéros des dossiers du Tribunal : T2218, T2282, T2395, T2647

Intitulé de la cause : Ryan Richards c. Service correctionnel Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 18 juin 2025

Date et lieu de l’audience : Ottawa, le 16 juin 2025

Comparutions :

Ryan Richards, pour son propre compte

Ikram Warsame et Sameha Omer, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Dominique Guimond, pour l’intimé

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