Contenu de la décision
Tribunal canadien |
|
Canadian Human |
Référence : 2025 TCDP
Date : Le
Numéro du dossier :
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Entre :
le plaignant
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
l’intimée
Décision sur requête
Membre :
Table des matières
(i) Divulgation autorisée : les demandes 8 et 9
(ii) Divulgation autorisée en partie : la demande 5
(iii) Divulgation refusée : les demandes 2, 3, 4, 6 et 10
B. Question no 2 : La Banque doit-elle produire une nouvelle liste de documents?
C. Question no 3 : Le Tribunal peut-il condamner M. Chow à payer les dépens?
I. APERÇU
[1] Alden Chow, le plaignant, me demande d’enjoindre à la Banque Toronto-Dominion (la « Banque »), l’intimée, de divulguer des documents et de fournir une nouvelle liste de documents qui, selon lui, sont potentiellement pertinents pour sa plainte. Il souhaite obtenir les politiques se rapportant au numéro d’identification personnel (NIP) et à la lutte contre la fraude, des renseignements sur les incidents de fraude survenus à la Banque, des documents relatifs à la plainte qu’il a déposée auprès de la Banque et un audit des pratiques d’emploi qui ont trait aux préjugés raciaux.
[2] La Banque veut que la requête soit rejetée et que M. Chow soit condamné à payer les dépens. Elle s’oppose à la plupart des demandes de documents de M. Chow. Elle affirme qu’il s’agit d’une recherche à l’aveuglette puisqu’il n’y a aucun lien rationnel entre les documents et les faits sous-jacents, les questions en litige ou les mesures de réparation demandées. La Banque accepte de produire la politique d’authentification des clients — personnel (la « politique ») dans la mesure où j’impose des mesures pour assurer la confidentialité. M. Chow et la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») s’y opposent, pour des raisons différentes.
[3] La Commission a présenté des observations sur les principes juridiques applicables à la divulgation. Elle s’est opposée aux mesures demandées par la Banque dans le but d’assurer la confidentialité de la politique, mais elle ne s’est pas prononcée sur les autres demandes formulées par M. Chow.
II. CONTEXTE
[4] La plainte de M. Chow est fondée sur le traitement défavorable dont il est question à l’article 5 de la Loi canadienne des droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6. (la « LCDP »). M. Chow aurait été victime de discrimination lorsqu’il s’est rendu dans une succursale de la Banque pour déposer un chèque. Lorsqu’il est arrivé au comptoir, il a entré son NIP. C’est alors que l’employée de la Banque lui a demandé de dire son âge, le nombre de comptes qu’il détenait et sa date de naissance afin de vérifier son identité. Elle lui aurait posé ces questions parce qu’il paraissait plus jeune que ce qui était inscrit dans le système de la Banque et qu’elle voulait s’assurer qu’il était bel et bien la personne qu’il prétendait être avant de lui donner accès au compte.
[5] M. Chow n’a pas répondu aux questions parce qu’il y avait un autre client à côté de lui. L’employée de la Banque lui a alors demandé de montrer une pièce d’identité avec photo, ce qu’il a fait. Il a ensuite déposé le chèque dans son compte et a quitté la Banque.
[6] Plus tard ce jour-là, M. Chow est retourné à la même succursale. Il a alors discuté avec une autre employée et lui a raconté ce qui s’était passé plus tôt. Cette employée lui a expliqué qu’il était arrivé que des personnes se fassent frauduleusement passer pour des clients et qu’elle comprenait qu’on lui ait demandé des renseignements visant à confirmer son identité. Elle a fait mention d’un incident de fraude survenu à Richmond, en Colombie-Britannique, où quelqu’un s’était fait passer pour un client en utilisant une carte d’accès et un NIP.
[7] Une semaine plus tard, M. Chow a envoyé, par courriel, une plainte au directeur de la succursale. Ce dernier lui a répondu le lendemain. La Banque n’a toutefois pas eu de nouvelles de M. Chow jusqu’à ce qu’il dépose une plainte auprès de la Commission un an plus tard, en 2020.
[8] En 2024, la Commission a renvoyé la plainte au Tribunal. Les parties ont déposé leur exposé des précisions à l’automne 2024. Depuis, M. Chow affirme que la Banque n’a pas divulgué tous les documents potentiellement pertinents. Il souhaite obtenir des copies des documents énumérés dans les demandes 2, 3, 4, 5, 6, 8, 9 et 10 qui figurent dans son exposé des précisions.
III. DÉCISION
[9] La requête est accueillie en partie.
[10] La Banque doit divulguer les documents énumérés dans les demandes 8 et 9 parce que ce sont des documents potentiellement pertinents en l’espèce.
[11] La demande 5 est accueillie en partie, car la politique relative à la cartes d’accès et au NIP est potentiellement pertinente en l’espèce. Aucune autre politique se rapportant à la carte d’accès et au NIP ne doit être produite puisque lesdites politiques ne sont pas pertinentes en l’espèce.
[12] Les demandes 2, 3, 4, 6 et 10 sont rejetées, car les documents ne sont pas pertinents en l’espèce et qu’ils n’ont pas à être divulgués.
[13] La Banque doit produire une nouvelle liste sur laquelle figurent les documents supplémentaires divulgués dans le cadre des demandes 5, 8 et 9.
[14] Aucuns dépens ne sont adjugés puisque le Tribunal n’a pas compétence pour adjuger des dépens à l’une ou l’autre des parties.
IV. QUESTIONS EN LITIGE
[15] La présente affaire soulève trois questions :
1. Les documents demandés par M. Chow sont-ils potentiellement pertinents en l’espèce?
2. La Banque doit-elle produire une nouvelle liste de documents?
3. Le Tribunal doit-il condamner M. Chow à payer les dépens?
V. ANALYSE
[16] Les parties à une instance devant le Tribunal doivent avoir la possibilité pleine et entière de présenter leur dossier et de se préparer à l’audience (paragraphe 50(1) de la LCDP). La divulgation est essentielle afin de garantir l’équité et l’efficacité de l’instance, et chaque partie a droit à ce que les éléments de preuve des autres parties lui soient divulgués avant l’audience.
[17] Les Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 (les « Règles de pratique ») obligent les parties à divulguer les documents qu’elles ont en leur possession relativement à un fait ou à une question soulevée dans la plainte, ou à une mesure de réparation sollicitée dans leur exposé des précisions (alinéas 18(1)f), 19(1)e) et 20(1)e) des Règles de pratique). L’obligation de divulguer les documents pertinents est continue, c’est-à-dire qu’elle se poursuit tout au long de l’instance (article 24 des Règles de pratique).
[18] Lorsque les parties contestent la pertinence des documents, le Tribunal peut ordonner la production des documents qu’il juge « potentiellement pertinents » (Brickner c. Gendarmerie royale du Canada, 2017 TCDP 28, aux par. 4 à 10 [Brickner] et Turner c. Agence des services frontaliers du Canada, 2018 TCDP 1, au par. 31 [Turner]). La partie demanderesse n’a pas une norme élevée à satisfaire pour établir la pertinence potentielle. La tendance consiste à favoriser une plus grande divulgation dans la mesure où la partie demanderesse peut démontrer qu’il existe un lien rationnel entre les renseignements demandés et les faits, les questions ou les mesures de réparation mentionnés par les parties (Brickner, au par. 6). Le Tribunal doit se demander si les documents se rapportent à une question secondaire plutôt qu’aux principales questions en litige (Brickner, au par. 8). Pour ce faire, il peut examiner l’exposé des précisions des parties (Warman c. Bahr, 2006 TCDP 18, aux par. 6 et 7 [Warman]; Syndicat des communications de Radio-Canada c. Société Radio-Canada, 2017 TCDP 5, au par. 36 [Syndicat]; Casler c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2017 TCDP 6, au par. 9).
[19] La demande de divulgation doit être détaillée et ne doit pas être conjecturale ou équivaloir à une « partie de pêche » (Gagno c. Gendarmerie royale du Canada, 2023 TCDP 10, au par. 7 [Gagno] et Turner, au par. 30). Le Tribunal peut seulement ordonner à une partie de produire des documents qu’elle a en sa possession et il ne peut pas ordonner à une partie de créer de nouveaux documents (Brickner, au par. 10).
[20] La demande de divulgation doit être proportionnelle à l’affaire (Temate c. Agence de santé publique du Canada, 2022 TCDP 31, aux par. 8 à 15 [Temate]). Étant donné que le Tribunal a l’obligation d’instruire les plaintes sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des Règles de pratique (paragraphe 48.9(1) de la LCDP), plusieurs facteurs sont pris en compte dans cet exercice de proportionnalité. Il faut notamment se demander si la divulgation aurait pour effet d’accroître les coûts, la complexité ou la durée de l’instruction, sans pour autant compromettre le droit à une procédure équitable et accessible.
[21] Enfin, il ne faut pas confondre la divulgation de renseignements potentiellement pertinents avec la preuve et l’admissibilité de la preuve. Ce n’est pas parce qu’un document est divulgué qu’il sera produit ou admis en preuve à l’audience (Brickner, au par. 9).
A. Question no 1 : Les documents demandés par M. Chow sont-ils potentiellement pertinents en l’espèce?
[22] Oui, les documents visés par les demandes 8 et 9 sont pertinents en l’espèce et doivent être divulgués.
[23] La demande 5 est accueillie en partie.
[24] Les demandes 2, 3, 4, 6 et 10 sont rejetées, car les documents ne sont pas pertinents en l’espèce et qu’ils n’ont pas à être divulgués.
(i) Divulgation autorisée : les demandes 8 et 9
(a) Demande 9 : Lettre du 30 avril 2020 et ses annexes, envoyées par Nick Fitz à la Commission canadienne des droits de la personne
[25] D’après les observations, le document visé par la demande 9 a été produit par la Banque et transmis à la Commission pendant l’enquête. Lorsque la plainte de M. Chow a été renvoyée au Tribunal, le document en question se trouvait dans le dossier de divulgation de la Commission, mais il était désigné comme privilégié, ce qui signifie que M. Chow n’en a pas reçu une copie. La Banque a déclaré qu’elle ne croyait pas que le document visé par la demande 9 était potentiellement pertinent, mais n’a fourni aucune observation à l’appui de sa position.
[26] La Banque ne s’oppose pas à la production du document visé par la demande 9 et ne considère pas ce document comme privilégié. Toutefois, dans ses observations, elle a indiqué que la Commission avait désigné le document comme « privilégié ». Par conséquent, la Banque a demandé à la Commission de confirmer qu’elle ne voyait pas d’objection à le divulguer. La Commission n’a pas pris position à l’égard de cette demande.
[27] La demande est accueillie. Le document figure sur la liste de documents à divulguer de la Commission et, comme la Banque n’a exprimé aucune préoccupation au sujet de la divulgation, elle doit maintenant transmettre le document à M. Chow. Le document visé par la demande 9 doit être ajouté à la liste de documents figurant dans l’exposé des précisions et doit être retiré de la liste des documents privilégiés de la Commission.
(b) Demande 8 : Renseignements concernant le suivi ou l’enquête que la Banque a effectués à l’égard de la plainte de M. Chow
[28] Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si tous les renseignements potentiellement pertinents ont été divulgués en ce qui a trait au suivi et à l’enquête qu’a faits la Banque sur l’expérience vécue par M. Chow à la succursale. Au moment des faits, le directeur de la Banque a examiné la plainte de M. Chow et a envoyé un courriel à ce dernier afin de répondre à ses préoccupations. Or, la Banque n’a plus jamais entendu parler de M. Chow et elle affirme qu’aucune enquête n’a été menée en lien avec l’incident. Elle soutient qu’il n’y a aucun autre document à produire à ce sujet.
[29] M. Chow se dit préoccupé du fait que la Banque n’a pas précisé la période visée par sa recherche de documents dans le cadre de la demande 8. Cette période n’est effectivement pas précisée dans les observations de la Banque.
[30] M. Chow a indiqué dans ses observations en réplique qu’il souhaite également obtenir [traduction] « toutes les réponses et les communications que les employés de la succursale se sont envoyées ». Il a inscrit que la période de référence s’étendait du 17 janvier 2019 au 3 septembre 2024, soit le jour où il a déposé son exposé des précisions auprès du Tribunal. Il s’est aussi appuyé sur la pièce C de sa requête pour soutenir que la Banque avait contacté des employés avant juin 2020, alors que la Commission menait son enquête.
[31] La pièce C est une chaîne de courriels que l’avocat de la Banque et la Commission se sont envoyés entre le 30 avril 2020 et le 14 octobre 2020. Il y a un courriel daté du 18 juin 2020 dans lequel l’avocat de la Banque écrit que la Banque [traduction] « a dû communiquer avec divers employés, y compris des employés de la C.-B., pour revoir les faits […] ». Si la Banque a en sa possession des documents qui font état des échanges qu’elle a eus avec ses employés au sujet du présumé incident de discrimination, lesquels ont été produits dans le cadre de l’enquête de la Commission, elle doit les communiquer à M. Chow, sous réserve de tout privilège de non-divulgation invoqué, puisqu’ils pourraient être pertinents. Si de tels documents n’existent pas, je ne peux pas ordonner à la Banque de les produire (Brickner, au par. 10).
[32] La demande 8 est accueillie.
[33] M. Chow s’inquiète du fait que la Banque n’a pas précisé la période visée par sa recherche de documents en lien avec les messages et les courriels des employés, mais il est indiqué à l’article 24 des Règles de pratique que les parties doivent divulguer tout ce qui est potentiellement pertinent sur une base continue, ce qui signifie que si l’une ou l’autre des parties trouve dans ses dossiers des renseignements qui pourraient être pertinents, elle doit les communiquer à l’autre partie.
(ii) Divulgation autorisée en partie : la demande 5
(a) Demande 5 : Toutes les politiques de l’intimée sur la carte d’accès et le NIP
[34] M. Chow demande à la Banque de produire toutes ses politiques sur la carte d’accès et le NIP. Il n’a pas fourni une liste précise des politiques qu’il souhaite obtenir.
Politique d’authentification des clients — Personnel
[35] Dans sa réponse à cette demande, la Banque déclare qu’elle produira la politique intitulée [traduction] « Authentification des clients — Personnel » qui était appliquée en janvier 2019 relativement à l’authentification des clients en succursale. La Banque demande que des conditions raisonnables soient mises en place pour protéger les renseignements parce que les politiques relatives au NIP ne se limitent pas aux interactions en succursale. Elle affirme que le Tribunal a pris de telles mesures dans d’autres affaires, notamment dans des affaires où il est question de renseignements exclusifs de nature confidentielle (Eadie c. MTS Inc., 2013 TCDP 5, aux par. 11 et 12 [Eadie]).
[36] M. Chow affirme que les mesures de confidentialité demandées par la Banque sont contraires à l’intérêt public et au principe reconnu de la publicité des débats judiciaires devant ce Tribunal. Il estime qu’il est dans l’intérêt du public de savoir et de comprendre comment les criminels tentent de contourner les techniques de vérification de la Banque. Selon lui, si le public était davantage sensibilisé à ces techniques, il y aurait moins de cas de fraude. M. Chow affirme que la décision sur requête Eadie se distingue de la présente affaire parce que la politique de la Banque ne saurait être qualifiée de renseignement exclusif de nature confidentielle et que la Banque n’a pas fait valoir qu’elle avait signé une clause de confidentialité avec des tiers.
[37] La Commission soutient que la politique doit être divulguée parce qu’elle est potentiellement pertinente et que la Banque peut déposer une requête en confidentialité officielle à une date plus rapprochée de l’audience ou pendant celle-ci.
[38] Les parties ne contestent pas la pertinence potentielle de la politique relative à l’authentification des clients en succursale. En ce qui concerne la demande 5, j’ordonne à la Banque de produire la politique qui était en vigueur en janvier 2019 et qui réglemente l’authentification des clients en succursale parce qu’elle a un lien rationnel avec l’affaire de M. Chow (Brickner, au par. 6).
[39] Pour ce qui est des préoccupations soulevées par la Banque au sujet de la confidentialité des renseignements, je conviens que le public serait exposé à un risque sérieux de préjudice si ces renseignements se retrouvaient dans le domaine public. Des comptes clients pourraient être compromis. Toutefois, le Tribunal n’est pas encore rendu à l’étape où il doit traiter une requête en confidentialité déposée au titre de l’article 52 de la LCDP. Lorsque des documents sont produits dans le cadre du processus de divulgation, ils sont protégés par un engagement implicite de confidentialité (Gagno, au par. 19 Miller c. International Longshoremen’s Association, Local 269, 2022 TCDP 43, au par. 65). Le même engagement implicite de confidentialité s’applique à la présente instance. En conséquence, M. Chow (et la Commission) ne doit pas partager ou divulguer les documents et les renseignements qui sont fournis dans le cadre de l’instance, ni les utiliser à d’autres fins que celles de la présente instance (Constantinescu c. Service correctionnel du Canada, 2020 TCDP 4, au par. 138).
[40] Comme la Commission et M. Chow l’ont souligné dans leurs observations, ce n’est pas parce qu’un document est produit à l’étape de la divulgation qu’il relève du domaine public, à moins qu’il ne soit déposé en preuve à l’audience (Brickner, au par. 9). Le document n’est donc pas transmis au Tribunal à ce stade de la procédure, et il n’y a rien à sceller dans le dossier pour le moment. Si la Banque craint que la politique ne soit versée au dossier public à l’approche de l’audience, elle peut déposer une requête en confidentialité au titre du paragraphe 52(1) de la LCDP et toutes les parties pourront alors présenter des observations.
[41] En plus de l’engagement implicite, compte tenu du risque sérieux de préjudice si la politique devait se retrouver dans le domaine public, j’ordonne à M. Chow de restituer la politique à la Banque et d’en détruire toute copie après que le jugement final aura été rendu, une fois tous les recours judiciaires épuisés. La Commission, en sa qualité d’institution fédérale, protégera la confidentialité de la politique et suivra toutes les politiques et directives gouvernementales régissant la protection de la nature et des renseignements confidentiels de la politique.
Toutes les autres politiques sur la carte d’accès et le NIP
[42] M. Chow n’a pas atteint le seuil requis pour établir la pertinence potentielle de la divulgation de l’une ou l’autre des autres politiques sur la carte d’accès et le NIP. Ordonner la divulgation de l’une ou l’autre des autres politiques, outre celle que la Banque a déjà accepté de divulguer, équivaudrait à une partie de pêche puisque M. Chow n’a pas fourni une liste des politiques qu’il cherche à obtenir et n’a pas non plus fourni d’autres détails à l’appui de sa position (Turner, au par. 30; Brickner, au par 7). Il n’est pas nécessaire de divulguer quelque autre politique que ce soit concernant la carte d’accès et le NIP pour respecter les principes de justice naturelle et d’équité procédurale (Brickner, au par. 7). Grâce à la politique, M. Chow aura les renseignements dont il a besoin pour se préparer adéquatement à l’audience concernant son expérience en succursale, tel qu’il est de son droit en vertu du paragraphe 50(1) de la LCDP.
[43] La demande de divulgation de toutes les autres politiques sur la carte d’accès et le NIP est rejetée.
(iii) Divulgation refusée : les demandes 2, 3, 4, 6 et 10
(a) Demande 2 : Tous les dossiers et renseignements de l’intimée se rapportant à la façon dont une carte d’accès et un NIP pourraient être « frauduleusement manipulés »
[44] M. Chow estime qu’il est d’intérêt public de divulguer des renseignements sur la manière dont les cartes d’accès peuvent être frauduleusement manipulées. Selon lui, le fait de rendre ces renseignements publics permettrait de sensibiliser les gens aux fraudes commises par les criminels et d’éviter, autant que possible, les cas de fraude.
[45] La Banque s’oppose à fournir les documents en question puisqu’elle a déjà expliqué à M. Chow comment les cartes d’accès et les NIP peuvent être manipulés : une personne autre que le client a une carte d’accès et le NIP. Elle affirme qu’elle n’a en sa possession aucun autre document à produire dans le cadre de la demande 2.
[46] En l’espèce, je vais déterminer si M. Chow a été victime de discrimination lorsqu’on lui a posé d’autres questions après qu’il eut entré son NIP au comptoir de la succursale, mais avant qu’il ne puisse effectuer sa transaction bancaire. Sa plainte ne porte pas sur la façon dont les cartes d’accès et les NIP peuvent être manipulés. La demande 2 n’est pas liée aux faits, aux questions en litige ou aux mesures de réparation sollicitées (Warman, aux par. 6 et 7; Syndicat, au par. 36).
[47] Ordonner la divulgation des documents se rapportant à la façon dont les cartes d’accès et les NIP peuvent être manipulés ne serait pas conforme au principe de proportionnalité (Temate, aux par. 8 à 15). Une telle divulgation aurait pour effet de rendre les étapes de la divulgation et de l’audience plus longues, plus complexes et plus coûteuses. M. Chow n’a pas à savoir en quoi les cartes d’accès et les NIP peuvent être compromis pour faire avancer son dossier. Il sait ce qui s’est passé lorsqu’il s’est rendu à la succursale et il peut faire sa propre déposition et contre-interroger les témoins de la Banque à propos de son expérience.
[48] La divulgation des documents visés par la demande 2 de M. Chow est refusée.
[49] Dans ses observations, la Commission ne s’est pas prononcée sur cette demande. Elle a toutefois laissé entendre, de façon générale, que M. Chow pourrait comprendre la preuve à réfuter à l’audience si la Banque fournissait un résumé détaillé des témoignages prévus. C’est aussi mon avis. À titre de mise en contexte, la présente requête a été déposée avant que le membre assigné à ce dossier ne puisse discuter avec les parties de la nécessité d’obtenir des résumés détaillés des témoignages prévus. Ce sujet sera abordé lors d’une prochaine conférence de gestion préparatoire. Je donnerai des directives aux parties afin de m’assurer que chacune d’entre elles connaît la preuve à réfuter, conformément aux principes énoncés au paragraphe 50(1) de la LCDP.
(b) Demande 3 : Liste des fraudes, par date et lieu, qui ont été commises du 1er décembre 2018 au 17 janvier 2019 dans les succursales de l’intimée en Colombie-Britannique
(c) Demande 4 : Renseignements sur la fraude commise à Richmond, en Colombie-Britannique
[50] Les demandes 3 et 4 concernent les fraudes commises dans des succursales de la Banque situées en Colombie-Britannique pendant la période précédant immédiatement l’acte discriminatoire allégué. M. Chow affirme que ces documents permettront de savoir si des fraudes ont été commises dans la province et si ces caractéristiques protégées ont influé sur la façon dont il a été traité à la succursale de la Banque le 17 janvier 2019.
[51] La Banque affirme que ces demandes ne sont pas potentiellement pertinentes, car l’employée qui a traité la plainte de M. Chow quant à la discrimination dont il aurait été victime a utilisé un exemple et des renseignements anecdotiques pour expliquer pourquoi on lui avait posé d’autres questions après qu’il eut entré son NIP. Selon la Banque, il n’est pas pertinent d’être au courant des incidents de fraude qui ont permis à l’employée de comprendre ce qui était arrivé à M. Chow.
[52] La Commission n’a pas pris position sur le sujet.
[53] En l’espèce, je n’ai pas à me prononcer sur la question de savoir s’il y a eu de la fraude en Colombie-Britannique, notamment à Richmond. Avoir la liste des incidents de fraude commis dans la province au cours de la période définie par M. Chow ne m’aiderait pas à trancher la principale question en litige en l’espèce, à savoir si l’employée qui a servi M. Chow a fait preuve de discrimination à son égard lorsqu’elle lui a posé d’autres questions pour vérifier son identité (Brickner, au par. 6).
[54] M. Chow pourra se préparer à l’audience et faire valoir ses arguments sur la base des documents qui lui auront été divulgués et de tout autre document dont la divulgation aura été ordonnée dans la présente décision sur requête. Les deux parties auront amplement de temps pour préparer leurs témoins, et chacune d’entre elles devra fournir bien avant l’audience un résumé détaillé des témoignages prévus. M. Chow pourra poser des questions aux anciens employés de la Banque sur ce qui aurait été dit ce jour-là. Il serait peu utile pour M. Chow d’obtenir des renseignements supplémentaires sur cet incident de fraude, car la fraude n’est pas un élément central en l’espèce ni un fait litigieux. Par conséquent, il ne serait pas proportionnel aux besoins particuliers de l’affaire d’ordonner la divulgation de ces documents (Warman, aux par. 6 et 7).
[55] M. Chow reconnaît lui-même dans les observations qu’il a présentées en réplique que beaucoup de temps s’est écoulé depuis que l’acte discriminatoire reproché a été commis. Il se dit préoccupé par le fait que les trois employés auxquels il a eu affaire à la Banque en janvier 2019 ne travaillent plus à la succursale. Cependant, ces employés peuvent toujours être appelés à témoigner. Les deux parties ont inscrit les anciens employés sur leur liste des témoins. Étant donné que M. Chow agit pour son propre compte, je vais demander à la Banque de confirmer si elle a l’intention de faire témoigner les anciens employés. Dans l’affirmative, M. Chow pourra les contre-interroger. Sinon, M. Chow pourra demander au Tribunal de les assigner à comparaître (alinéa 53(3)a) de la LCDP).
[56] Les demandes 3 et 4 sont rejetées.
(d) Demande 6 : Toutes les politiques de l’intimée en matière de fraude et de sécurité qui sont liées aux cartes d’accès, aux NIP et aux chèques
[57] M. Chow affirme que [traduction] « l’intimée applique ses politiques en matière de fraude et de sécurité pour justifier et normaliser la discrimination ». Il ajoute que la Banque a fait référence à ces politiques au paragraphe 66 de son exposé des précisions et que le directeur de la succursale lui a indiqué par courriel dans quelles circonstances et de quelle manière la Banque pose des questions supplémentaires. Pour cette raison, il affirme que ces politiques sont potentiellement pertinentes.
[58] La Banque soutient que la demande de M. Chow n’est pas suffisamment précise en ce qui concerne le type de fraude en cause, le type de sécurité (physique et spécifique aux succursales) et que la divulgation de ses politiques est dangereuse et pose un risque pour ses clients.
[59] Je suis d’accord avec la Banque pour dire que la demande de M. Chow n’est pas détaillée et qu’elle est spéculative (Gagno, au par. 7 et Turner, au par. 30). M. Chow a fait référence aux affaires Peterkin c. Toronto Dominion Bank TD Canada Trust, 2019 CF 579, et McIlvenna c. Banque de Nouvelle-Écosse (Banque Scotia), 2017 CF 699, dans ses observations présentées en réplique, mais ni l’une ni l’autre de ces affaires n’étaye son argument selon lequel les politiques en matière de fraude et de sécurité sont potentiellement pertinentes. En fait, ce sont deux contrôles judiciaires qui visaient à déterminer si les décisions de la Commission étaient raisonnables. Or, ni l’une ni l’autre de ces affaires ne m’aide à décider si les documents visés par la demande 6 sont potentiellement pertinents en l’espèce.
[60] La demande faite par M. Chow en vue d’obtenir toutes les politiques en matière de fraude et de sécurité de la Banque qui s’appliquent aux services transactionnels par carte d’accès et par chèque n’est pas proportionnelle aux questions en litige. Je conviens avec la Banque que les politiques en matière de sécurité et de fraude ont pour objectif de protéger les clients et que leur divulgation aurait l’effet contraire et pourrait exacerber les risques de fraude. Ordonner la divulgation reviendrait à ordonner une recherche onéreuse et fort étendue de documentation, ce qui n’est pas nécessaire pour arriver à un résultat qui est juste et équitable (Temate, au par. 10).
[61] La demande 6 est rejetée.
(e) Demande 10 : L’audit, annoncé en mars 2022, des pratiques d’emploi de l’intimée en lien avec les préjugés raciaux et des conclusions qui ont guidé l’élaboration des pratiques opérationnelles de l’intimée
[62] La Banque soutient que le rapport n’est pas potentiellement pertinent; or, ce rapport est accessible en ligne. D’après les observations que M. Chow a présentées en réplique, il semble ne s’être rendu compte que l’audit était rendu public seulement lorsque la Banque a fourni ses observations sur la requête le 1er avril 2025.
[63] Bien que M. Chow s’intéresse à l’audit dans ses observations, cet audit n’est pas en litige en l’espèce. Comme le rapport est en ligne et que M. Chow y a accès, il n’y a pas lieu d’en ordonner la divulgation. Par conséquent, la demande de divulgation des documents visés par la demande 10 semble être sans objet.
B. Question no 2 : La Banque doit-elle produire une nouvelle liste de documents?
[64] Oui. J’ordonne à la Banque de transmettre à M. Chow une liste à jour des documents en vue d’y inclure les documents qui devront être divulgués aux termes de l’ordonnance rendue en l’espèce, à savoir ceux visés par les demandes 5, 8 et 9.
[65] Cependant, la demande de M. Chow visant à obtenir une liste à jour est fondée sur son affirmation selon laquelle la Banque n’a pas fourni une liste des multiples politiques et documents de formation dont il est question dans l’audit et dans le Code de conduite et d’éthique professionnelle. M. Chow affirme que ces documents pourraient servir à élaborer des documents sur le racisme envers les Chinois et les Asiatiques.
[66] En demandant une mise à jour de la liste des documents, M. Chow demande en fait une divulgation plus étendue. Bien que la norme ne soit pas particulièrement élevée, M. Chow n’a avancé aucun argument pour établir la pertinence potentielle des documents de formation sur le racisme envers les Noirs ou sur la sensibilisation aux questions autochtones qui pourraient - selon lui - servir à élaborer des documents de formation sur le racisme envers les Chinois et les Asiatiques (Brickner, au par. 6). Cette demande de documents est hautement spéculative (Brickner, au par. 7). Ordonner cette divulgation et obliger la Banque à produire une nouvelle liste de documents en vue d’y ajouter ceux qui sont énumérés dans les observations de M. Chow aurait un effet préjudiciable sur la présente instance (Brickner, au par. 8) et il n’y a aucune raison d’ordonner à la Banque de produire une liste de tous les documents mentionnés dans l’audit et dans le Code de conduite et d’éthique professionnelle.
C. Question no 3 : Le Tribunal peut-il condamner M. Chow à payer les dépens?
[67] Non. M. Chow a raison d’affirmer que le Tribunal n’a pas compétence pour adjuger des dépens en l’espèce (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S 471). Aucuns dépens ne seront adjugés dans le cadre de la présente requête ou sur le fond de la plainte. Chaque partie est responsable de ses propres dépens.
[68] Ainsi, le Tribunal encourage les parties à résoudre le plus grand nombre possible de questions préliminaires dans le cadre de discussions et du processus de gestion de l’instance. En discutant, il arrive souvent que les parties parviennent à résoudre leurs problèmes rapidement et efficacement, sans avoir à déposer de coûteuses requêtes qui viennent retarder la tenue d’une audience sur le fond.
VI. ORDONNANCE
[69] La requête est accueillie en partie.
[70] La Banque doit divulguer les documents visés par la demande 8, sous réserve de tout privilège de non-divulgation invoqué, ainsi que les documents visés par la demande 9 dans les 15 jours suivant la communication de la présente décision sur requête aux parties.
[71] La Banque doit divulguer la politique dans le cadre de la demande 5. Les parties en l’espèce sont soumises à un engagement implicite de confidentialité. Aucune des parties ne doit partager ou divulguer les documents et les renseignements qui sont fournis dans le cadre de la présente instance, ni les utiliser à d’autres fins que celle de la présente instance. M. Chow doit restituer la politique à la Banque et détruire toute copie de celle-ci après que le jugement final aura été rendu, une fois tous les recours judiciaires épuisés. La Commission, en sa qualité d’institution fédérale, protégera la confidentialité de la politique et suivra toutes les politiques et directives gouvernementales régissant la protection de la nature et des renseignements confidentiels de la politique. Le tout doit être fait dans les 15 jours suivant la communication de la présente décision sur requête aux parties.
[72] La Banque n’a pas à divulguer les documents visés par les demandes 2, 3, 4, 6 et 10.
[73] La Banque doit transmettre à M. Chow une liste à jour des documents en vue d’y inclure tous les documents visés par les demandes 5, 8 et 9 qui devront être divulgués aux termes de la présente décision sur requête, et ce, dans les 15 jours suivant la communication de la décision sur requête aux parties.
[74] Aucuns dépens ne sont adjugés en l’espèce.
Signée par
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéro du dossier du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Requête traitée par écrit sans comparution des parties
Observations écrites par :