Contenu de la décision
Tribunal canadien |
|
Canadian Human |
Référence : 2025 TCDP
Date : Le
Numéro du dossier :
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Entre :
Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada
- et-
Assemblée des Premières Nations
les plaignantes
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
Procureur général du Canada
(représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien)
l’intimé
- et -
Chefs de l’Ontario
- et -
Nation Nishnawbe Aski
- et -
Amnistie Internationale
les parties intéressées
Décision sur requête
Membres :
Table des matières
I. Contexte – Requête conjointe sur les modifications à l’échéancier
I. Contexte – Requête conjointe sur les modifications à l’échéancier
[1] Le 8 avril 2025, le Tribunal a fixé les dates limites pour le dépôt de documents dans le cadre de la requête conjointe des Chefs de l’Ontario et de la Nation Nishnawbe Aski (la « NNA ») (la « requête conjointe »), requête par laquelle les parties sollicitent une ordonnance pour l’approbation d’un accord de règlement avec le Canada qui traiterait de la réforme à long terme de la prestation des services à l’enfance et à la famille en Ontario, qui remplacerait toutes les ordonnances du Tribunal concernant l’Ontario par les modalités de l’accord de règlement et, ce qui est pertinent dans le cadre de la présente décision sur requête, qui réglerait la partie de la plainte concernant l’Ontario. Les dates limites fixées étaient les suivantes : le 30 mai 2025 pour les parties qui ne prennent pas position ou qui soutiennent la requête conjointe et le 16 juin 2025 pour les parties qui s’opposent à la requête conjointe, ce qui comprend l’obligation pour ces parties de déposer leurs affidavits au plus tard le 16 juin 2025.
[2] Le Tribunal a autorisé les Chefs de l’Ontario et la NNA à déposer une version modifiée de la requête conjointe; l’avis correspondant, déposé auprès du Tribunal le 7 mai 2025, comprenait le paragraphe suivant :
[3] Le 14 mai 2025, le Tribunal a écrit aux parties après avoir reçu la version modifiée de l’avis de requête conjointe des Chefs de l’Ontario et de la NNA daté du 7 mai 2025 pour les informer que la question qui y est soulevée (au paragraphe 5 reproduit ci-dessus) est centrale et que le Tribunal souhaite l’examiner le plus rapidement possible avant de trancher toutes les demandes relatives à la qualité de partie intéressée présentées dans le cadre de la requête conjointe.
[4] Le Tribunal a demandé aux parties de présenter des observations écrites détaillées conformément au calendrier ci-dessous :
Les observations détaillées conjointes des Chefs de l’Ontario et de la NNA devaient être présentées au plus tard le 21 mai 2025.
Les observations détaillées du Canada devaient être présentées au plus tard le 28 mai 2025 (le Canada consent au dépôt de version modifiée de la requête conjointe).
Les observations détaillées, conjointes ou séparées, de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada (la « Société de soutien ») et de l’Assemblée des Premières Nations (l’« APN ») (les « coplaignantes » dans la présente affaire) devaient être présentées au plus tard le 4 juin 2025.
Les observations de la Commission devaient être présentées au plus tard le 11 juin 2025. (Le Tribunal invite la Commission à prendre position compte tenu de son mandat et de son expertise sur le régime de la LCDP et de l’intérêt public d’une question aussi centrale. La Commission a affirmé qu’elle préférait répondre après les parties autochtones.)
La réplique conjointe des Chefs de l’Ontario et de la NNA devait être présentée au plus tard le 18 juin 2025.
[5] Le 14 mai 2025, la Société de soutien a écrit au Tribunal pour demander une modification au calendrier de la requête conjointe qui avait été fixé le 8 avril 2025. Le même jour, les avocates des Chefs de l’Ontario ont écrit au Tribunal pour solliciter le droit de répondre aux observations de la Société de soutien avant la fin de la journée du 16 mai 2025, compte tenu des dates limites pour le dépôt de la requête conjointe et du fait qu’elles auront besoin de temps pour demander des instructions à leur client et pour s’entretenir avec la NNA.
[6] Le 15 mai 2025, le Tribunal a invité les Chefs de l’Ontario et toute autre partie souhaitant répondre aux observations présentées le 14 mai 2025 par la Société de soutien visant à faire modifier le calendrier de la requête conjointe à présenter leurs observations avant la fin de la journée du 16 mai 2025. La Société de soutien a été autorisée à déposer une réplique, au besoin, au plus tard le 21 mai 2025.
[7] Le 23 mai 2025, le Tribunal a conclu qu’il avait le pouvoir discrétionnaire de déterminer la procédure à suivre pour examiner les questions dont il était saisi. Le Tribunal a informé les parties qu’il ne voulait pas retarder indûment l’instruction; toutefois, pour plusieurs raisons qui seront expliquées plus tard, le Tribunal a jugé approprié de répondre, à titre préliminaire, à la question importante qui se dégage du paragraphe 5 de la version modifiée de l’avis de requête conjointe avant de poursuivre selon le calendrier partiel de la requête conjointe.
[8] La présente décision sur requête fournit les motifs détaillés relatifs à la directive formulée par le Tribunal le 23 mai 2025.
II. Dépôt des observations des parties sur le calendrier de la requête conjointe établi le 8 avril 2025
[9] En résumé, la Société de soutien fait valoir que, au moment où le Tribunal a établi le calendrier partiel de la requête conjointe, la date limite du 15 avril 2025 pour la présentation des requêtes des parties intéressées n’était pas dépassée (par conséquent, le nombre de demandes était inconnu) et la question qui est soulevée dans la version modifiée de l’avis de requête conjointe était inconnue.
[10] Ces faits nouveaux placent toutes les parties intimées à la requête conjointe dans l’incertitude, car il reste à déterminer si, et dans quelle mesure, des parties intéressées participeront, si celles-ci seront autorisés à déposer des éléments de preuve et quelle mesure de réparation précise sera sollicitée dans la requête conjointe. Il sera ardu de respecter les dates limites du 30 mai 2025 et du 16 juin 2025, et il en découle des difficultés d’ordre procédural particulières pour toutes les parties intimées, car le fait d’exiger des parties qu’elles prennent position avant de comprendre pleinement la mesure de réparation recherchée est préjudiciable et peut entraîner d’autres obstacles procéduraux au cours des étapes subséquentes de l’instruction de la requête conjointe.
[11] À cette fin, la Société de soutien demande que la formation modifie les dates limites établies dans la directive du 8 avril 2025 et ordonne que les dates limites pour les parties qui ne prennent pas position ou qui soutiennent la requête conjointe, et les parties qui cherchent à s’opposer à la requête conjointe, soient fixées à une date ultérieure à la décision de la formation sur la question soulevée dans la version modifiée de l’avis de requête conjointe.
[12] Les Chefs de l’Ontario et la NNA affirment que la Société de soutien cherche à proroger son propre délai pour le dépôt de sa réponse à l’avis de requête conjointe en approbation de l’entente définitive de l’Ontario, en particulier la date limite pour énoncer sa position concernant la requête conjointe (soit le 30 mai 2025 ou le 16 juin 2025, selon que la Société de soutien ne prend pas position à l’égard de l’entente définitive de l’Ontario, qu’elle l’approuve ou qu’elle s’y oppose) jusqu’à ce que les requêtes des parties intéressées aient été tranchées, et en particulier jusqu’à ce que les éléments de preuve des Chippewas de Georgina Island et de la Nation Taykwa Tagamou aient été déposés (s’ils obtiennent la qualité de partie intéressée). La procédure serait ainsi prolongée en raison du fait que la Société de soutien doit pouvoir présenter sa position et ses éléments de preuve en dernier, même après toute partie intéressée, ce qui retarderait considérablement l’instruction de la requête concernant l’entente définitive de l’Ontario. Ce résultat porterait préjudice aux Chefs de l’Ontario et à la NNA et n’est pas dans l’intérêt supérieur des enfants.
[13] La Société de soutien allègue qu’elle subit un préjudice en raison de la directive selon laquelle elle doit énoncer sa position concernant la requête conjointe, car les Chefs de l’Ontario et la NNA ont proposé des modifications à leur requête conjointe pour obtenir des précisions sur leurs droits en tant que parties intéressées.
[14] Les Chefs de l’Ontario font valoir que le calendrier devrait être maintenu et que les prochaines étapes devraient se dérouler sans délai. La Société de soutien ne subit aucun préjudice.
[15] Les modifications à la requête conjointe soulèvent une question limitée concernant la clarification des droits des Chefs de l’Ontario et de la NNA en tant que parties intéressées à l’instance, question qui est essentiellement d’ordre juridique. L’affidavit déposé par les Chefs de l’Ontario et la NNA le 15 mai 2025 clôt la preuve des parties requérantes à l’égard de la requête conjointe (à l’exception de la réplique), incluant les modifications. La question de la clarification du droit des parties requérantes à demander la réparation recherchée dans la requête conjointe en approbation de l’entente définitive de l’Ontario n’a aucune répercussion sur le bien-fondé de cette requête ni sur la mesure de réparation recherchée à cet égard. L’examen de cette question n’a pas d’incidence sur le temps dont la Société de soutien a disposé pour réfléchir à sa position ni sur les éléments de preuve déposés par les parties requérantes et le Canada. La Société de soutien ne subit aucun préjudice.
[16] Comme le Tribunal a ordonné aux Chefs de l’Ontario et à la NNA de présenter leur position concernant la mesure de réparation sollicitée dans la version modifiée de la requête conjointe au plus tard le 21 mai, après quoi les autres parties doivent faire de même, le Tribunal peut statuer sur cette question à titre préliminaire. Les Chefs de l’Ontario et la NNA déposeront un projet d’ordonnance concernant cette question distincte pour accompagner les observations que le Tribunal leur a demandé de présenter au plus tard le 21 mai 2025, afin qu’il n’y ait aucun malentendu sur la mesure de réparation recherchée. Si le Tribunal conclut que la qualité de partie intéressée des Chefs de l’Ontario et de la NAN leur confère le droit de présenter la requête conjointe, l’instruction de cette dernière peut se poursuivre comme prévu.
[17] Toutes les parties sont maintenant sur un pied d’égalité en ce qui concerne la question des droits des Chefs de l’Ontario et de la NNA en tant que parties intéressées, les observations sur ce point étant attendues dans les plus brefs délais. La capacité de la Société de soutien à prendre position sur le bien-fondé de la requête concernant l’entente définitive de l’Ontario et les informations dont elle dispose pour formuler sa prise de position sont exactement les mêmes que si aucune modification n’avait été demandée.
[18] Si les modifications proposées avaient été incluses dans la requête conjointe initiale, la Société de soutien n’aurait pas été en mesure de retarder sa prise de position et le dépôt de ses éléments de preuve. Comme les modifications proposées n’ont pas d’incidence sur la qualité, la Société de soutien ne subit aucun préjudice.
[19] Les Chefs de l’Ontario estiment que la requête conjointe concernant l’entente définitive de l’Ontario doit être instruite sans délai.
[20] La NNA soutient que la question soulevée dans la version modifiée de l’avis de requête conjointe concerne les droits des parties requérantes à demander la mesure de réparation telle qu’elle est décrite; elle vise à clarifier une question de procédure. Il ne s’agit pas d’une modification substantielle de la requête en approbation de l’entente définitive de l’Ontario; les éléments de preuve, le bien-fondé et la mesure de réparation connexes demeurent tels qu’ils ont été initialement déposés le 7 mars 2025. Ainsi, rien dans la version modifiée de l’avis de requête conjointe ne place une partie intimée dans l’incertitude ni ne porte préjudice à sa capacité de terminer la préparation de sa position. La NNA fait valoir que le seul préjudice à considérer est celui qui résulte d’un retard.
[21] Le Canada soutient les positions énoncées par les Chefs de l’Ontario et la NNA en réponse à la demande dont il est ici question. Le Canada souscrit aux points soulevés par les Chefs de l’Ontario et la NNA; il convient notamment que leur demande pour obtenir davantage de droits de participation est sans incidence sur le bien-fondé de la requête conjointe visant l’entente définitive de l’Ontario et la capacité des parties intimées à prendre position. Le Canada demande le maintien des dates limites qui ont été établies pour le dépôt de la requête concernant l’entente définitive de l’Ontario.
[22] Dans sa réplique, la Société de soutien allègue que la principale préoccupation concerne la voie procédurale de la requête conjointe : si les Chefs de l’Ontario et la NNA n’ont pas qualité pour présenter la requête conjointe ou si le Tribunal fixe des limites à la portée de la mesure de réparation qu’ils peuvent solliciter en tant que parties intéressées, il sera essentiel que toutes les parties en soient informées avant de déposer tout document sur le bien-fondé de la requête conjointe.
[23] La Société de soutien a des réserves au sujet des dates limites qui ont été fixées, car il est particulièrement difficile d’engager des dépenses importantes pour se préparer en vue des deux dates limites (tout en continuant de réfléchir à sa position) tant qu’il n’a toujours pas été établi si les Chefs de l’Ontario et la NNA ont qualité pour présenter la requête conjointe et, dans l’affirmative, quels critères ils devront respecter par rapport à la compétence du Tribunal, lequel est chargé d’instruire une plainte pour atteinte aux droits de la personne déposée par la Société de soutien et l’APN. Le fait d’exiger de la Société de soutien qu’elle prenne pleinement position et qu’elle engage des ressources avant de comprendre l’étendue de la réparation recherchée crée des difficultés d’ordre procédural et peut lui être préjudiciable.
[24] Dans un souci de favoriser l’accès à la justice, les avocats de la Société de soutien fournissent des services liés aux tribunaux à titre gracieux. Le report des dates limites existantes à une date ultérieure à la décision de la formation sur la mesure de réparation recherchée par les Chefs de l’Ontario et la NNA au paragraphe 5 de la version modifiée de l’avis de requête conjointe garantira l’efficacité des ressources engagées à cet égard. La Société de soutien fait remarquer qu’elle demande rarement des prorogations de délai et qu’elle travaille généralement rapidement pour comprimer le calendrier de toutes les affaires dont le Tribunal est saisi; elle demande que ces points soient pris en compte par le Tribunal lorsqu’il statuera sur sa demande.
[25] Le Tribunal a examiné les observations des parties sur la question de savoir si le calendrier partiel qui avait été établi par le Tribunal le 8 avril 2025 pour l’instruction de la requête conjointe devrait être maintenu ou modifié. L’analyse figure dans les paragraphes qui suivent. La présente décision sur requête ne traite pas de la demande qu’a présentée la Société de soutien dans ses observations du 8 mai 2025 pour pouvoir finir de préparer sa position concernant la requête conjointe après le dépôt des éléments de preuve des Chippewas de Georgina Island et de la Nation Taykwa Tagamou, dans la mesure où la formation leur accorde la mesure de réparation recherchée en tant que parties intéressées.
III.Droit applicable
[26] Le paragraphe 48.9 (1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, (la « LCDP »), prévoit ce qui suit : « L’instruction des plaintes se fait sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique. »
[27] Les anciennes règles de procédure ont récemment fait l’objet d’une refonte, qui a mené à l’adoption des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137. Toutefois, comme la présente instance est toujours en cours et qu’elle a été entamée sous le régime des anciennes règles de procédure, ce sont ces dernières qui continueront de s’appliquer dans la présente affaire.
[28] L’article 1 des anciennes règles est ainsi libellé :
1(1) Les présentes règles ont pour objet de permettre
a) que toutes les parties à une instruction aient la possibilité pleine et entière de se faire entendre;
b) que l’argumentation et la preuve soient présentées en temps opportun et de façon efficace;
c) que toutes les affaires dont le Tribunal est saisi soient instruites de la façon la moins formaliste et la plus rapide possible.
1(2) Les présentes règles doivent être appliquées de façon libérale par le membre instructeur dans l’affaire dont il a été saisi, afin de favoriser les fins énoncées au paragraphe 1(1).
[29] Dans la présente affaire, le Tribunal s’est appuyé précédemment sur un arrêt de la Cour d’appel fédérale où il était question du pouvoir inhérent d’un tribunal de contrôler sa propre procédure (voir la décision 2019 TCDP 1, au par. 26).
[30] Aux paragraphes 13 à 15 de la décision Canada (Commission des droits de la personne) c. Société canadienne des postes, 2004 CF 81, la Cour fédérale a traité de la capacité du Tribunal à gérer sa procédure et à la prémunir contre les abus :
[13] Les tribunaux administratifs sont maîtres de leur propre procédure. Ainsi que l’écrivait le juge Sopinka dans l’arrêt Prassad c. Canada (Ministre de l’Emploi et du l’Immigration), [1989 CanLII 131 (CSC)] [1989] 1 R.C.S. 560, au paragraphe 16 :
Afin d’interpréter correctement des dispositions législatives susceptibles de sens différents, il faut les examiner en contexte. Nous traitons ici des pouvoirs d’un tribunal administratif à l’égard de sa procédure. En règle générale, ces tribunaux sont considérés maîtres chez eux. En l’absence de règles précises établies par loi ou règlement, ils fixent leur propre procédure à la condition de respecter les règles de l’équité et, dans l’exercice de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, de respecter les règles de justice naturelle.
[14] Par conséquent, il semble parfaitement régulier pour le Tribunal, au début d’une enquête, de donner suite à des requêtes préliminaires afin de débroussailler la procédure. C’est précisément ce qu’a fait le Tribunal dans le cas présent. Il a étudié la requête préliminaire de la SCP, qui soutenait que ce serait un abus de la procédure du Tribunal que d’enquêter sur une affaire remontant à plus de huit ans, laquelle avait été l’objet de deux arbitrages et d’une plainte distincte devant la Commission. Saisi d’une requête portant expressément sur la question de l’abus de procédure, le membre du Tribunal, M. Groarke, est arrivé à la conclusion qu’une enquête sur la partie du dossier se rapportant à la demande de transfert serait effectivement un abus de la procédure du Tribunal. Il ne s’agissait pas d’un contrôle de la décision de la Commission de renvoyer l’affaire au Tribunal. C’était plutôt une décision nouvelle par laquelle le membre Groarke déterminait la manière la mieux à même de disposer des points qui avaient été soumis au Tribunal.
[15] Il m’apparaît évident que l’on ne peut affirmer que le Tribunal est « maître chez lui » s’il ne peut prémunir sa propre procédure contre les abus.
[31] Aux paragraphes 119 et 144 à 147 de la décision Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2012 CF 445, Mme Mactavish, ancienne présidente du Tribunal siégeant à titre de juge de la Cour fédérale, a examiné le pouvoir du Tribunal de trancher des questions de façon préliminaire :
[119] Il n’est pas nécessaire que je me prononce sur ce point puisque j’estime que le Tribunal a conclu à bon droit qu’il était habilité à établir selon quel processus les questions soulevées par une plainte en matière de droits de la personne seraient tranchées. Le Tribunal a également conclu à juste titre qu’il n’est pas toujours tenu de procéder à une instruction complète comportant audition de témoins à l’égard de chacun des points soulevés par une plainte pour trancher des questions de fond.
[…]
[144] Il pourrait aussi y avoir des cas où il conviendrait de régler des questions soulevées par le plaignant par étapes, suivant un ordre précis, de façon à ce que l’instruction puisse se dérouler de manière efficace.
[145] Par exemple, il pourrait s’avérer tout à fait approprié pour le Tribunal de choisir d’entendre et de trancher une question vraiment distincte ou préliminaire sans tenir une instruction complète sur le fond de la plainte, en particulier s’il devenait possible, en disposant de cette question, de restreindre les enjeux, de circonscrire les débats ou de régler l’affaire purement et simplement.
[146] Un autre exemple hypothétique examiné lors de l’audience illustre ce point. Le Tribunal pourrait être saisi d’une affaire d’équité salariale susceptible de nécessiter la tenue d’une instruction s’étendant sur deux ans, pendant laquelle se poserait la question de savoir si la nature de la relation entre les plaignants et le défendeur fait de ce dernier un « employeur » au sens de l’article 11 de la Loi. Dans un tel cas, il pourrait très bien être approprié pour le Tribunal d’entendre et de statuer sur cette question en premier lieu, car une décision négative sur ce point pourrait permettre de disposer de la plainte.
[147] De fait, il serait insensé dans cette hypothèse de forcer les parties à consacrer temps et argent pour une instruction de deux ans, si le statut juridique de la relation existant entre les plaignants et le défendeur pourrait éventuellement être déterminant quant à l’issue de la plainte, et que ce statut pourrait être déterminé de façon rapide et équitable avant l’examen en profondeur de la question de la discrimination salariale.
[32] En outre, la Cour d’appel de Terre-Neuve, dans l’affaire Newfoundland (Human Rights Commission) v. Newfoundland (Health), 1998 CanLII 18107 (NL CA), a conclu que la commission d’enquête peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider s’il y a lieu ou non de traiter une question de compétence comme une question préliminaire. La commission d’enquête n’est pas tenue de se prononcer sur une question de compétence de façon préliminaire ni de tenir une audience complète avant de trancher une telle question. Elle a le pouvoir discrétionnaire de déterminer ce qui est approprié dans les circonstances.
[traduction]
[18] […] La décision Rose (Memorial University v. Rose (1990), 1990 CanLII 6496 (NL CA), 87 Nfld. & P.E.I.R. 233), est un exemple de l’application du principe énoncé ci-dessus selon lequel, dans chaque cas, une commission d’enquête doit déterminer comment la question doit être traitée à la lumière de ce qui est juste et opportun dans les circonstances. (Référence complète ajoutée.)
[21] Lorsqu’elle est saisie d’une demande visant à trancher une question de droit, la commission d’enquête doit décider si elle entend exercer son pouvoir discrétionnaire afin de trancher la question avant l’audience […]
IV. Analyse
[33] Le Tribunal a informé les parties qu’il considérait la question soulevée dans la version modifiée de la requête conjointe comme centrale et qu’il souhaitait la traiter le plus rapidement possible, avant de se prononcer sur toutes les requêtes relatives à la qualité de partie intéressée présentées dans le cadre de la requête conjointe. Il a demandé aux parties de lui présenter des observations détaillées sur cette question, et cette ronde d’observations doit prendre fin le 18 juin 2025. Après cette ronde d’observations, le Tribunal devra répondre aux questions suivantes :
-
De par leur qualité de partie intéressée, les Chefs de l’Ontario et la NNA se voient-ils privés, sous le régime de la LCDP, du droit de déposer la requête conjointe visant à régler la partie de la plainte qui se rapporte à l’Ontario, comme il est indiqué au paragraphe 2 de la version modifiée de l’avis de requête conjointe?
-
Le Tribunal peut-il rendre une ordonnance accordant aux Chefs de l’Ontario et à la NNA des droits de participation supplémentaires afin qu’ils puissent présenter une requête conjointe et régler une partie de la plainte?
-
Existe-t-il une mesure de réparation que le Tribunal juge équitable, dans le contexte particulier de la présente affaire ainsi que de la version modifiée de l’avis de requête conjointe déposée par les Chefs de l’Ontario et la NNA, au regard de la responsabilité qui lui incombe, en vertu du paragraphe 48.9(1) de la LCDP, d’instruire les plaintes sans formalisme et de manière expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique?
[34] Le Tribunal ne juge pas efficace de se prononcer sur toutes les requêtes relatives à la qualité de partie intéressée avant de répondre aux questions susmentionnées, compte tenu de leur nature, surtout si les réponses devaient être négatives. Étant donné la quantité de documents contenus dans la requête conjointe et leur complexité (y compris les multiples demandes relatives à la qualité de partie intéressée), le fait de se prononcer de manière préliminaire sur la question de la qualité pour agir et sur celle de la compétence permettrait d’utiliser judicieusement les ressources du Tribunal et celles des parties. Si les Chefs de l’Ontario et la NNA n’ont pas qualité pour présenter la requête conjointe, le fait de trancher la question à titre préliminaire pourrait rendre théoriques les requêtes relatives à la qualité de partie intéressée. De plus, si le Tribunal rend des ordonnances en réponse à la troisième question ci-dessus, il se peut que les parties et/ou personnes qui sollicitent la qualité de partie intéressée à la requête conjointe aient à présenter de nouvelles observations.
[35] Si le Tribunal répond par l’affirmative à la première ou à la deuxième question, il pourra rapidement statuer sur toutes les requêtes relatives à la qualité de partie intéressée et fixer sans tarder le reste du calendrier de la requête conjointe.
[36] En outre, le Tribunal ne croit pas qu’il soit approprié de maintenir le calendrier partiel, compte tenu de toutes les réponses possibles aux questions ci-dessus qui pourraient avoir une incidence sur le statut de la requête conjointe.
[37] De plus, la requête conjointe nécessite deux audiences, l’une pour les contre-interrogatoires des déclarants et l’autre pour entendre les arguments, ce qui représente d’importantes ressources pour les parties et le Tribunal. Il n’est dans l’intérêt de personne d’attendre la fin des deux audiences pour répondre aux questions ci-dessus. Suivant le raisonnement de la juge Mactavish exposé précédemment, il serait illogique d’obliger les parties à consacrer temps et argent à deux audiences si le Tribunal peut trancher rapidement et équitablement les questions ci-dessus avant d’examiner en détail la requête conjointe.
[38] Le Tribunal estime qu’il est juste et opportun dans les circonstances de suspendre le calendrier partiel de la requête conjointe et de trancher les questions ci-dessus de manière préliminaire.
[39] Le Tribunal estime que les questions ci-dessus sont d’intérêt public et ont valeur de précédent étant donné qu’elles ont trait à des aspects importants du régime législatif de la LCDP.
[40] Le Tribunal est d’avis qu’il exerce correctement son pouvoir discrétionnaire en suspendant le calendrier partiel de la requête conjointe et en tranchant les questions ci-dessus de manière préliminaire, conformément aux principes de droit énoncés dans la section précédente.
V. Ordonnance procédurale
[41] Comme il a déjà été communiqué aux parties :
-
Le Tribunal traitera à titre préliminaire de la question de savoir si les Chefs de l’Ontario et la NNA ont la capacité de présenter la requête conjointe sur l’entente définitive de l’Ontario (telle qu’elle est énoncée au paragraphe 5 de la version modifiée de l’avis de requête conjointe).
-
Le reste du calendrier établi relativement au traitement de la requête conjointe des Chefs de l’Ontario et de la NNA sur l’entente définitive de l’Ontario est suspendu.
Signée par
Présidente de la formation
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéro du dossier du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Requête traitée par écrit sans comparution des parties
Observations écrites par :
Paul Vickery, Sarah-Dawn Norris, Meg Jones, Dayna Anderson, Kevin Staska, Sarah Bird, Jon Khan, Alicia Dueck-Read et Aman Owais, avocats du Procureur général du Canada, l’intimé
Maggie Wente, Jessie Stirling, Ashley Ash et Katelyn Johnstone, avocates des Chefs de l’Ontario, la partie intéressée
Julian Falconer, Asha James, Shelby Percival et Meaghan Daniel, avocats de la Nation Nishnawbe-Aski, la partie intéressée