Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2025 TCDP 63

Date : Le 23 juin 2025

Numéro du dossier : T2251/0618

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Gilbert Dominique (de la part des Pekuakamiulnuatsh)

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Sécurité publique Canada

l’intimée

Décision sur requête

Membre : Jo-Anne Pickel

 


I. APERÇU

[1] Voici les motifs pour lesquels j’accueille la requête en divulgation présentée par l’intimée, Sécurité publique Canada.

[2] Le plaignant, Gilbert Dominique, a déposé une plainte au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (« LCDP » ou la « Loi ») au nom de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh. Il soutient que l’intimée l’a défavorisé à l’occasion de la fourniture de services de police, contrairement à la Loi. Le Tribunal a accepté de scinder l’instance et de séparer ainsi la question de la responsabilité de celle des réparations.

[3] Le Tribunal a finalement jugé que la plainte était fondée (Dominique (de la part des Pekuakamiulnuatsh) c. Sécurité publique Canada, 2022 TCDP 4). Cette décision a été confirmée tant par la Cour fédérale (Canada (Procureur général) c. Première Nation des Pekuakamiulnuatsh, 2023 CF 267) que par la Cour d’appel fédérale (Canada (Procureur général) c. Première Nation des Pekuakamiulnuatsh, 2025 CAF 24). Le Tribunal cherche maintenant à déterminer les mesures de réparation appropriées.

[4] Le plaignant a présenté un rapport d’expertise produit par la professeure Mylène Jaccoud pour étayer sa demande de mesures de réparation dans la présente affaire (le « rapport Jaccoud »). L’intimée a présenté une requête en divulgation des documents utilisés par la professeure Jaccoud aux fins de la préparation de son rapport, notamment les enregistrements des entrevues qu’elle a réalisées et les notes qu’elle a prises pendant les entrevues. Le plaignant s’est opposé à la requête. Toutefois, dans l’éventualité où la divulgation des documents serait ordonnée, le plaignant a présenté sa propre requête en vue d’obtenir une ordonnance de confidentialité s’appliquant aux enregistrements des entretiens et aux notes d’entrevue de la professeure Jaccoud.

II. DÉCISION

[5] Dans une lettre de décision envoyée aux parties le 27 mai 2025, j’ai accueilli la requête en divulgation présentée par l’intimée. Les motifs de ma décision sur requête sont présentés ci-après.

[6] Comme il a été convenu au cours d’une conférence de gestion préparatoire, les parties devront communiquer ensemble et s’entendre sur la mise en place de mesures de confidentialité s’appliquant aux documents dont j’ai ordonné la divulgation. Le plaignant pourra présenter de nouveau une requête en vue d’obtenir une ordonnance de confidentialité s’appliquant aux documents en question, s’il s’avérait nécessaire de le faire à une étape ultérieure de l’instance. Dans un courriel envoyé aux parties le 9 juin 2025, j’ai accueilli la demande du plaignant visant à assujettir l’annexe 2 du rapport Jaccoud à une ordonnance provisoire de confidentialité. Avant l’audience portant sur les réparations, le Tribunal réexaminera l’ordonnance de confidentialité pour établir s’il convient de la lever ou de la rendre permanente.

III. QUESTION EN LITIGE

[7] Je dois déterminer si le Tribunal devrait ordonner la divulgation des documents liés au rapport Jaccoud qui sont demandés par l’intimée.

IV. ANALYSE

A. Contexte du rapport Jaccoud

[8] Le plaignant a fait appel à la professeure Jaccoud pour qu’elle produise un rapport qu’il tentera de faire admettre à titre de rapport d’expertise à l’appui des mesures de réparation qu’il sollicite dans la présente affaire. La professeure Jaccoud a souscrit un affidavit à l’appui de la position du plaignant relativement aux requêtes présentées dans cette affaire. Dans son affidavit, la professeure Jaccoud a affirmé que son rapport était fondé sur les documents internes qui étaient énumérés à l’annexe 1 de son rapport, les entretiens réalisées auprès des participants nommés à l’annexe 2 ainsi que les documents publics précisés à l’annexe 3.

[9] Comme elle l’a expliqué dans son affidavit, la professeure Jaccoud a réalisé des entretiens individuels et des entretiens de groupe pour produire son rapport. Elle a demandé aux participants de s’exprimer aussi bien en tant que professionnels ayant une expertise et occupant un poste au sein de différentes organisations qu’en tant que citoyens et membres de la communauté. La professeure Jaccoud a notamment choisi de réaliser des entretiens auprès de personnes qui avaient des liens avec les services de police de la communauté de Mashteuiatsh, ainsi que de personnes vulnérables ou de personnes susceptibles d’avoir des interactions avec la police.

[10] La professeure Jaccoud a promis aux participants aux entretiens que celles-ci demeureraient confidentielles, malgré le fait qu’elles étaient enregistrées. Elle a assuré aux participants qu’aucun renseignement permettant de les identifier ou d’identifier les personnes mentionnées dans leurs réponses ne serait divulgué à des tiers ni ne figurerait dans le rapport. Dans son affidavit, la professeure Jaccoud soutient qu’il était nécessaire de garantir ainsi la confidentialité pour que les participants acceptent de s’exprimer et de transmettre des renseignements au cours des entretiens. Je suis sensible à l’importance d’assurer la confidentialité de certains renseignements dans la présente instance, dans la mesure du possible. Toutefois, les services de la professeure Jaccoud ont expressément été retenus par le plaignant afin qu’elle produise un rapport devant être présenté en preuve en l’espèce. Je suis donc tenue de me conformer aux principes juridiques qui sont applicables à la divulgation de renseignements aux parties adverses.

B. Requête en divulgation présentée par l’intimée

[11] L’intimée a demandé la divulgation de tous les faits, documents et autres sources utilisés par la professeure Jaccoud dans la préparation de son rapport. L’intimée a fait valoir que les renseignements suivants, à tout le moins, devraient être divulgués :

· Une copie de tous les documents énumérés à l’annexe 1 du rapport Jaccoud;

· Les enregistrements des entretiens réalisés par la professeure Jaccoud auprès des personnes énumérées à l’annexe 2 du rapport, toutes les notes relatives aux discussions ayant eu lieu pendant les entretiens et tout document fourni par les participants aux entretiens.

[12] L’intimée a clairement expliqué qu’elle ne cherchait pas à obtenir les communications entre la professeure Jaccoud et les avocats du plaignant, les versions préliminaires du rapport Jaccoud ni les notes personnelles de la professeure Jaccoud.

[13] Le plaignant ne s’est pas opposé à la divulgation des documents énumérés à l’annexe 1 du rapport Jaccoud. Il n’a pas non plus formulé d’arguments pour s’opposer à la divulgation des autres documents ou renseignements demandés par l’intimée, sauf les enregistrements des entretiens et les notes d’entrevue de la professeure Jaccoud. La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») ne s’est pas prononcée sur la requête en divulgation présentée par l’intimée. Au cours d’une conférence de gestion préparatoire, l’avocate de la Commission a demandé que soit divulgué à la Commission tout document que j’ordonnerais au plaignant de divulguer à l’intimée.

C. Les documents demandés par l’intimée sont potentiellement pertinents et nécessaires pour lui permettre de présenter une défense pleine et entière

[14] Les documents et renseignements demandés par l’intimée sont potentiellement pertinents dans la présente affaire. Ils doivent donc être divulgués, à moins qu’ils ne soient protégés par un privilège. Comme je l’explique ci-après, le contenu des entretiens et les notes d’entrevue de la professeure Jaccoud ne sont protégés par aucun privilège de non-divulgation. De plus, je suis d’accord avec l’avocat de l’intimée pour dire qu’il est nécessaire que celle-ci ait accès au contenu des entretiens et aux notes d’entrevue pour pouvoir vérifier l’exactitude de la preuve de la professeure Jaccoud et présenter une défense pleine et entière.

[15] Il est bien établi dans la jurisprudence que les experts sont tenus de rendre disponibles à la partie adverse tous les documents en leur possession sur lesquels ils se sont fondés pour rédiger le rapport présenté en preuve (voir Montreuil c. Forces canadiennes, 2007 TCDP 17, au par. 43). Dès qu’un témoin expert se présente à la barre, il donne une opinion pour assister le tribunal ou la cour (R. c. Stone, [1999] 2 RCS 290, au par. 99; voir aussi le par. 22(2) des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021) (DORS/2021-137)). La partie adverse doit avoir accès aux fondements des opinions des experts pour en vérifier adéquatement l’exactitude (voir R. c. Stone, ibid.; voir aussi Poulin c. Prat, 1994 CanLII 5421 (QC CA), au par. 29; 9295-2985 Québec inc. c. Municipalité de Lac-Simon, 2022 QCCS 498, au par. 29; Soudure Gi-Mar Inc. c. Toitures P.L.C. Inc., 2001 CanLII 12049 (QC CS), au par. 13).

[16] Selon la jurisprudence mentionnée ci-dessus, l’intimée a le droit d’obtenir les renseignements et les documents qu’elle a sollicités dans sa requête, sous réserve de toute mesure de confidentialité jugée appropriée. Comme je l’explique en détail ci-après, je ne suis pas convaincue par les arguments du plaignant selon lesquels la jurisprudence invoquée précédemment ne serait pas applicable dans la présente affaire.

D. Les règles s’appliquant à la preuve par ouï-dire ne s’appliquent pas à la présente requête en divulgation

[17] Le plaignant a fait valoir que le droit d’obtenir les documents utilisés par un expert dans la préparation de son rapport n’est pas un droit absolu, mais qu’il est plutôt assujetti à des restrictions. Il a soutenu que l’intimée n’avait pas le droit d’obtenir les documents qu’elle avait demandés parce que le rapport Jaccoud est admissible, en dépit du fait qu’il est fondé sur une preuve par ouï-dire.

[18] À mon avis, le plaignant a confondu deux questions, soit 1) celle de la divulgation des documents utilisés aux fins de la préparation du rapport Jaccoud et 2) l’admissibilité du rapport lui-même. Comme l’a soutenu le plaignant, un rapport d’expertise peut être admis en preuve et se voir accorder du poids, même si les faits sur lesquels il est fondé n’ont pas tous été établis. Toutefois, les parties qui présentent un rapport d’expertise doivent tout de même divulguer les documents sur lesquels est fondé le rapport, si la partie adverse le demande. Il s’agit là de deux questions distinctes.

[19] Aucune des décisions invoquées par le plaignant au sujet de l’admissibilité de la preuve d’expert fondée sur le ouï‑dire n’est pertinente, car ces décisions ne traitent pas de la question de savoir si les documents utilisés aux fins de la production des rapports en question doivent être divulgués (voir, par exemple, Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2019 TCDP 39).

E. Les documents ne sont pas assujettis au privilège fondé sur les circonstances de chaque cas

[20] Contrairement au plaignant, je ne suis pas d’avis que les documents demandés par l’intimée sont assujettis au privilège au cas par cas, selon le critère de Wigmore. Le plaignant a tenté d’établir un parallèle entre les circonstances de la présente affaire et le privilège qui s’applique aux sources journalistiques (voir R. c. National Post, 2010 CSC 16). Il soutient que s’applique dans la présente affaire un privilège de non-divulgation des renseignements confidentiels recueillis dans le contexte d’une relation de confiance.

[21] Je ne suis pas convaincu par l’analogie du plaignant avec les sources journalistiques. Contrairement à des sources journalistiques, les renseignements recueillis par la professeure Jaccoud l’étaient expressément en vue de constituer le fondement d’un rapport d’expertise qui serait présenté en preuve dans la présente instance. Par conséquent, je suis d’accord avec l’intimée pour dire que toutes les personnes visées devaient être raisonnablement conscientes que toute l’information qu’elles communiqueraient pourrait être divulguée d’une manière ou d’une autre, ou à tout le moins au Tribunal et à l’intimée.

[22] La seule décision invoquée par le plaignant qui porte sur des documents constituant le fondement d’un rapport semblable au rapport dans la présente affaire est une décision rendue par un juge responsable de la gestion de l'instance de la Cour du banc du Roi de l’Alberta, soit la décision Anderson v. Alberta, 2024 ABKB 64. Cette affaire ne portait pas sur un rapport d’expertise, mais bien sur des rapports produits par des Premières Nations concernant l’utilisation de terres.

[23] Je suis d’accord avec l’intimée qu’il y a lieu d’établir une distinction entre la présente affaire et celle sur laquelle porte la décision de la Cour du banc du Roi de l’Alberta. Dans cette autre affaire, le juge responsable de la gestion de l’instance a conclu que les renseignements figurant dans les rapports finaux sur l’utilisation traditionnelle des terres n’avaient pas été fournis à titre confidentiel et n’étaient donc pas assujettis à un privilège. Le juge a toutefois conclu que certains renseignements supplémentaires communiqués par les personnes interviewées en vue de la production du rapport étaient assujettis au privilège au cas par cas. Le juge a statué que les renseignements comme le nom des participants, le nom des produits médicinaux et les endroits exacts n’étaient pas pertinents, ou alors leur valeur probante était diminuée en raison de l’inclusion de descriptions générales à ce sujet dans le rapport. C’est pourquoi le juge responsable de la gestion de l’instance a déterminé que ces renseignements étaient assujettis au privilège au cas par cas, puisque l’intérêt de protéger cette information l’emportait sur l’intérêt de la divulguer.

[24] Dans la présente affaire, les documents demandés par l’intimée sont les documents qui constituent le fondement du rapport Jaccoud. Comme il a été établi dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et des autres cours dont il a été question précédemment, ces documents doivent être divulgués à l’intimée pour lui permettre de vérifier les éléments de preuve contenus dans le rapport Jaccoud. Si de l’information contenue dans les documents et les renseignements demandés par l’intimée doivent demeurer confidentiels, le Tribunal a le pouvoir de rendre une ordonnance de confidentialité visant à protéger la confidentialité de cette information, au besoin.

[25] Pour tous les motifs exposés ci-dessus, je ne partage pas l’avis du plaignant selon lequel les documents et renseignements demandés par l’intimée sont assujettis à un privilège au cas par cas.

F. Les autres arguments formulés par le plaignant ne sont pas acceptés

[26] Je ne suis pas convaincue par l’argument du plaignant selon lequel les documents demandés par l’intimée n’ont pas à être divulgués en raison de la fiabilité du rapport Jaccoud. C’est principalement pour que l’avocat de l’intimée puisse vérifier la fiabilité du rapport Jaccoud que les documents qu’elle demande doivent être divulgués. Dans un processus contradictoire, chaque partie a le droit de vérifier la preuve de la partie adverse, y compris la preuve d’expert. Il est nécessaire de divulguer les documents et les renseignements qui constituent le fondement du rapport pour permettre à l’intimée de procéder à une vérification complète de la preuve fournie par la professeure Jaccoud.

[27] Le plaignant a soutenu que les documents demandés par l’intimée ne constituaient pas les documents fondamentaux à l’origine du rapport Jaccoud. Je ne suis pas de cet avis. Il ressort clairement du rapport lui-même et de l’affidavit de la professeure Jaccoud que les documents énumérés aux annexes 1 à 3 sont les documents constituant le fondement du rapport.

[28] Le plaignant a fait valoir qu’il n’était pas nécessaire de divulguer les documents demandés par l’intimée, car ils n’étaient pas essentiels à la compréhension du rapport. Le plaignant a affirmé que, dans les décisions invoquées par l’intimée, il était nécessaire de consulter les documents sous-jacents pour réussir à comprendre la teneur des rapports en question, ce qui n’est toutefois pas le cas pour le rapport Jaccoud. Je ne suis pas convaincue par cet argument. Il n’est mentionné dans aucune des décisions invoquées par l’intimée que les cours et les tribunaux ordonnaient la divulgation des documents demandés au motif que ceux-ci étaient nécessaires pour la compréhension des opinions d’expert formulées dans ces affaires. Toutes ces décisions traitent de l’obligation de produire toutes les sources sur lesquelles sont fondées les opinions d’expert. De plus, comme il est expliqué ci-dessus, la divulgation ne vise pas à favoriser la compréhension du rapport, mais bien à permettre à la partie adverse de vérifier la preuve et les opinions contenues dans le rapport.

[29] Enfin, je ne suis pas convaincue par l’argument du plaignant selon lequel l’intimée n’a pas besoin d’accéder aux documents et aux renseignements de la professeure Jaccoud, car elle pourrait simplement mener ses propres entretiens avec les personnes énumérées à l’annexe 2 du rapport Jaccoud. Si cet argument était accepté, les cours et les tribunaux ordonneraient rarement, voire n’ordonneraient jamais, la divulgation du contenu des entretiens ou les notes d’entrevue d’un expert, car il serait toujours possible pour la partie adverse de mener ses propres entretiens avec les personnes interviewées pour la production du rapport initial. La jurisprudence mentionnée précédemment établit clairement que le contenu des entretiens et les notes d’entrevue de l’expert proposé doivent être divulgués. Comme il a été expliqué précédemment, les cours et les tribunaux ont convenu que les parties adverses avaient le droit d’obtenir la divulgation des documents constituant le fondement de la preuve, comme le contenu des entretiens et les notes d’entrevue qui constituent le fondement d’un rapport. La divulgation de ces documents est nécessaire pour permettre à la partie adverse de vérifier la preuve du témoin expert proposé afin de pouvoir présenter une défense pleine et entière. Le même principe s’appliquerait si le plaignant cherchait à obtenir les documents sur lesquels l’un des experts proposés par l’intimée avait fondé son rapport.

[30] Pour tous les motifs susmentionnés, j’accueille la requête en divulgation présentée par l’intimée.

G. Personnes à qui les documents demandés doivent être divulgués

[31] Dans sa requête, les avocats de l’intimée m’ont demandé d’ordonner au plaignant de divulguer les documents susmentionnés à l’intimée. Au départ, le plaignant n’était pas d’accord pour que les enregistrements d’entrevue et les notes d’entrevue soient divulgués à l’intimée ni à son avocat. Il avait seulement accepté de divulguer une transcription anonymisée des entretiens et les notes d’entrevue directement à l’expert proposé par l’intimée. Au cours de la conférence de gestion préparatoire que j’ai tenue avec les parties, l’avocate du plaignant a accepté de transmettre une copie des enregistrements des entretiens et des notes d’entrevue à cette étape de l’instance. Toutefois, elle a précisé que ces documents ne devraient être fournis qu’aux avocats de l’intimée et à l’expert proposé, et non aux représentants de l’intimée.

[32] Je juge qu’il est nécessaire que le plaignant divulgue les enregistrements et les notes d’entrevue à l’intimée et à son avocat, qui pourront ensuite transmettre les documents à l’expert proposé devant répondre au rapport Jaccoud. J’estime, à l’instar de l’intimée, que c’est envers cette dernière, et non envers ses avocats, que le plaignant a une obligation de divulgation, suivant la jurisprudence. Par ailleurs, il est difficile de comprendre comment l’intimée pourrait être en mesure de superviser le travail de ses avocats et de l’expert dont elle a retenu les services sans être informée du contenu des documents divulgués, le cas échéant. Je conclus donc que l’intimée et ses avocats, de même que l’expert proposé, doivent avoir accès aux documents dont j’ordonne la divulgation.

[33] Cela dit, je partage l’avis du plaignant selon lequel il est nécessaire de limiter le plus possible le nombre de personnes ayant accès aux documents divulgués. Ce principe n’a pas non plus été contesté par l’avocat de l’intimée. Ainsi, seules les personnes étroitement impliquées dans la formulation d’instructions aux conseils de l'Intimée et à son expert désigné auront accès aux renseignements contenus dans les documents divulgués, le cas échéant. À mon avis, la confidentialité des renseignements contenus dans les documents divulgués peut être maintenue dans une grande mesure grâce aux ententes qui auront été conclues entre les parties elles-mêmes et dont il est question à la section suivante.

H. Les parties concluront une entente relative aux mesures de confidentialité

[34] Comme il a été mentionné précédemment, le plaignant a demandé que j’ordonne certaines mesures de confidentialité si je devais ordonner la divulgation des renseignements demandés par l’intimée. Avant de terminer la rédaction des présents motifs de décision, j’ai informé les parties que j’avais l’intention d’accueillir la requête en divulgation présentée par l’intimée. Je les ai encouragées à s’entendre sur la prise de mesures de confidentialité appropriées à cette étape-ci de l’instance, compte tenu de la divulgation limitée de documents que j’ai ordonnée et de l’engagement de confidentialité sous-jacent qui lie l’intimée et, par extension, son avocat: Lac d'Amiante du Québec Ltée c. 2858-0702 Québec Inc., 2001 CSC 51 (CanLII), [2001] 2 RCS 743, au par. 42. Au cours d’une conférence de gestion préparatoire de suivi tenue avec les parties, celles-ci ont affirmé qu’elles s’entendraient sur les engagements et les mesures de confidentialité appropriées à cette étape-ci de l’instance.

[35] Il n’a pas encore été établi si les enregistrements des entretiens réalisées par la professeure Jaccoud ou ses notes d’entrevue seront produits en preuve ou devraient autrement être versés au dossier officiel du Tribunal. Si toutefois les enregistrements des entretiens ou les notes d’entrevue devaient être versés au dossier officiel du Tribunal, le plaignant pourrait présenter de nouveau une requête en confidentialité sur laquelle je devrais alors statuer, si les parties elles-mêmes ne parvenaient pas à une entente sur la question.

[36] Comme il est actuellement impossible de savoir si le plaignant devra présenter de nouveau une requête en confidentialité, sur consentement des parties, j’ai accueilli la requête du plaignant visant à obtenir une ordonnance provisoire de confidentialité s’appliquant à l’annexe 2 du rapport Jaccoud. L’annexe 2 présente le nom des personnes qui ont été interviewées aux fins de la production du rapport. Cette ordonnance provisoire de confidentialité est nécessaire pour protéger la confidentialité des noms des participants en attendant que le plaignant présente éventuellement une nouvelle requête en confidentialité. Le Tribunal réexaminera l’ordonnance de confidentialité avant l’audience portant sur les réparations pour établir s’il convient de la lever ou de la rendre permanente.

I. La demande de comparution est rejetée

[37] J’ai rejeté la demande de procéder de manière orale du plaignant relativement aux requêtes présentées dans la présente affaire. Le plaignant a demandé à faire témoigner la professeure Jaccoud et à présenter des observations orales en plus de ses observations écrites. J’ai jugé qu’il n’était pas nécessaire de consacrer du temps à la présentation du témoignage de la professeure Jaccoud. Le plaignant a eu la possibilité de présenter un affidavit souscrit par la professeure Jaccoud. J’ai d’ailleurs accepté le contenu de cet affidavit pour rendre ma décision sur la requête dans la présente affaire. Le plaignant a aussi eu la possibilité de présenter des observations écrites complètes. Ainsi, à mon avis, il était plus approprié de statuer sur les requêtes par écrit, compte tenu du besoin pressant d’instruire la présente affaire de la façon la plus expéditive possible. J’ai toutefois reçu des observations des parties sur la question plus limitée, mentionnée précédemment, qui consistait à déterminer si les représentants de l’intimée et son avocat devaient avoir accès aux documents dont j’ai ordonné la divulgation.

J. Les frais de justice ne sont pas remboursables

[38] Les deux parties ont demandé le remboursement des frais de justice qu’elles ont engagés pour les requêtes dans la présente affaire. Il est bien établi que le Tribunal n’a pas le pouvoir de rembourser ces frais (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53).

K. Besoin pressant de procéder de façon plus expéditive dans la présente affaire

[39] Pendant la conférence de gestion préparatoire que j’ai tenue avec les parties, j’ai insisté sur le fait qu’il était essentiel, à mon avis, de procéder de façon plus expéditive pour veiller à ce que la partie de l’instance consacrée aux réparations puisse être instruite le plus rapidement possible dans les circonstances.

[40] Je suis tout à fait consciente que divers facteurs ont eu une grande incidence sur l’instruction de la présente affaire, notamment la nomination à la Cour du Québec du membre à qui avait été confiée l’affaire au départ et la pénurie de membres du Tribunal qui a duré pendant une période prolongée. La décision antérieure rendue par le membre alors chargé de l’affaire, soit la scission de l’affaire en deux étapes, celles de la responsabilité et des réparations, est également un facteur qui a contribué à allonger la durée requise pour l’instruction de l’affaire. Je ne doute pas que la scission de l’affaire semblait appropriée au moment où elle a été ordonnée. Toutefois, rétrospectivement, il semble évident que la scission de l’affaire a grandement contribué à prolonger la durée de son instruction.

[41] Comme je l’ai fait savoir aux parties, je suis passablement inquiète de constater qu’une action en justice intentée devant la Cour du Québec a pu se rendre jusqu’en Cour suprême du Canada et être tranchée en moins de temps qu’il n’en faudra pour conclure la présente affaire (voir Québec (Procureur général) c. Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, 2024 CSC 39). Les tribunaux administratifs comme le Tribunal ont été établis pour fournir aux parties un accès à la justice en temps opportun. Le Tribunal a pour mandat de veiller à ce que l’instruction se fasse sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle (voir art. 48.9 de la LCDP). Toutefois, l’atteinte de ce but dépend aussi grandement de la volonté des parties de procéder le plus rapidement possible (voir Richards c. Service correctionnel du Canada, 2023 TCDP 51, au par. 27).

[42] Le mandat du Tribunal consistant à fournir un accès à la justice en temps opportun est grandement compromis si les instances ne se déroulent de la façon la plus expéditive possible. Je suis consciente de la complexité de la présente affaire et de l’importance qu’elle revêt pour les parties, mais, à mon avis, ces facteurs ne supplantent pas sur la nécessité de faire en sorte que le Tribunal instruise les affaires qui lui sont présentées de la façon la plus expéditive possible, tout en assurant le respect des principes de l’équité procédurale.

V. ORDONNANCES

[43] Pour les motifs qui précèdent, la requête en divulgation présentée par l’intimée est accueillie. Dans des lettres de décision datées du 27 mai et du 9 juin 2025, j’ai informé les parties de ce qui suit :

a) J’ai ordonné au plaignant de divulguer à l’intimée et à la Commission, le plus tôt possible et au plus tard le 3 juin 2025, tous les faits et les documents ainsi que les autres sources ayant servi à la préparation du rapport Jaccoud, en particulier tous les renseignements liés aux éléments mentionnés dans les annexes 1 à 3 du rapport Jaccoud, y compris les enregistrements des entretiens réalisées par la professeure Jaccoud et ses notes d’entrevue.

b) L'accès aux informations divulguées est permis, si nécessaire, uniquement aux personnes étroitement impliquées dans la formulation d’instructions aux conseils de l'Intimée et à son expert désigné. De même, seules les personnes étroitement impliquées dans la formulation d’instructions au conseil de la Commission sont autorisées à avoir accès aux informations divulguées. Les parties communiqueront ensemble pour s’entendre sur les mesures appropriées à mettre en place à cette étape-ci de l’instance.

c) Le plaignant pourra présenter de nouveau une requête en confidentialité à une étape ultérieure de l’instance, si besoin est.

d) J’ai ordonné que l’annexe 2 du rapport Jaccoud (aux pages 36-37) soit assujettie à une ordonnance provisoire de confidentialité. Avant l’audience portant sur les réparations, le Tribunal réexaminera l’ordonnance de confidentialité pour établir s’il convient de la lever ou de la rendre permanente.

e) Dans les 14 jours suivant la présente décision sur requête, le plaignant doit transmettre au Tribunal une copie du rapport Jaccoud dans laquelle l’annexe 2 aura été caviardée. La version caviardée du rapport sera versée au dossier officiel du Tribunal et y sera conservée jusqu’à ce que l’ordonnance provisoire de confidentialité soit réexaminée, suivant l’alinéa d) ci-dessus.

Signée par

Jo-Anne Pickel

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 23 juin 2025

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : T2251/0618

Intitulé de la cause : Gilbert Dominique (de la part des Pekuakamiulnuatsh) c. Sécurité publique Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 23 juin 2025

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

Benoît Amyot, Léonie Boutin et Thomas Blackburn-Boily , pour le plaignant

Julie Hudson , pour la Commission canadienne des droits de la personne

François Joyal, Marie-Ève Robillard et Pavol Janura , pour l’intimée

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