Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2025 TCDP 55

Date : Le 22 mai 2025

Numéro du dossier : HR-DP-3009-24

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Keri-Lynn Smith

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes

l’intimé

Décision sur requête

Membre : John Hutchings

 



I. APERÇU ET DÉCISION

[1] Keri-Lynn Smith, la plaignante, affirme que l’intimé, le Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes (le « PFNP »), a fait preuve de discrimination à son égard, en raison de sa grossesse, lorsqu’elle était adjointe aux ressources humaines et qu’elle a postulé à un poste d’adjointe administrative. De plus, elle déclare avoir intenté divers recours contre le PFNP auprès des autorités internes, fédérales et provinciales et avoir postulé à d’autres postes dans le cadre de sa recherche de nouvelles fonctions. Le PFNP affirme que la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») n’a jamais renvoyé au Tribunal les allégations relatives au concours pour l’obtention du poste ou aux recours intentés. Le PFNP me demande de restreindre la portée de la plainte afin de radier ces allégations. Mme Smith et la Commission s’opposent à la requête.

[2] Je rejette la requête parce qu’il n’y a aucune raison de réduire la portée de la plainte. Toutes les allégations de Mme Smith sont liées à la plainte, et la Commission a renvoyé l’ensemble de la plainte au Tribunal aux fins d’instruction.

II. QUESTION EN LITIGE

[3] Je dois trancher la question suivante :

i. Dois-je réduire la portée de la plainte?

III. ANALYSE

1. Il n’y a aucune raison de réduire la portée de la plainte.

[4] Les principes juridiques appliqués pour décider s’il y a lieu d’accueillir une requête en radiation sont essentiellement les mêmes que ceux appliqués pour déterminer la portée d’une plainte. En effet, lorsqu’une partie demande la radiation d’allégations, elle soutient en fin de compte que ces allégations ne tombent pas dans la portée de la plainte transmise par la Commission (Levasseur c. Société canadienne des postes, 2021 TCDP 32 [Levasseur], au par. 7).

[5] Je dois examiner tant la demande d’instruction de la Commission que la plainte même pour déterminer la portée de l’instruction (AA c. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 33, au par. 59). Il doit y avoir un lien raisonnable entre la plainte déposée devant la Commission et les allégations contenues dans l’exposé des précisions (Levasseur, au par. 16).

A. Toutes les allégations se rapportent au fond de la plainte.

[6] Les allégations contenues dans l’exposé des précisions de Mme Smith ont un lien évident avec sa plainte. Pour déterminer la portée de la plainte, je dois en déterminer la teneur (Temate c. Agence de santé publique du Canada, 2022 TCDP 31, au par. 7). Le fond de la plainte concerne la manière dont le PFNP a traité Mme Smith au travail lorsqu’elle était enceinte. Par « travail », on entend à la fois des tâches quotidiennes et la participation aux processus d’orientation de carrière de l’employeur, y compris les concours. Les allégations de Mme Smith se rapportent toutes à son travail pendant sa grossesse, y compris les concours auxquels elle a postulé et les recours qu’elle a intentés en raison des actes posés par le PFNP. La Commission affirme, et je suis d’accord, que toutes les allégations contenues dans l’exposé des précisions de Mme Smith reprennent ou développent le libellé de sa plainte initiale. Par conséquent, je conclus que les cinq concours, les expériences vécues par Mme Smith dans son milieu de travail et les recours qu’elle a intentés – autrement dit, toutes les allégations contenues dans son formulaire de plainte et dans son exposé des précisions – ont un lien avec le fond de la plainte. Je n’ordonne pas la radiation du contenu de l’exposé des précisions de Mme Smith.

B. La Commission a renvoyé l’ensemble de la plainte au Tribunal.

[7] Le fait de refuser d’analyser les autres allégations de Mme Smith relativement aux recours ne revient pas à les exclure de la plainte. Les décideurs n’ont pas besoin d’analyser toutes les questions possibles dans une affaire. Ils doivent seulement prendre en considération ce qui est déterminant pour leur décision, en conformité avec les principes d’économie des ressources judiciaires et de la proportionnalité, compte tenu des exigences opérationnelles d’un organisme administratif très occupé. Par conséquent, le rapport d’enquête de la Commission (le « rapport ») indique que [traduction] « seuls les facteurs nécessaires à la formulation d’une recommandation seront pris en compte » (rapport, au par. 9). Le PFNP affirme, et je suis d’accord, que l’agente de la Commission canadienne des droits de la personne (l’« agente ») n’a pas pris en compte les allégations concernant les autres recours intentés par Mme Smith lors de l’évaluation de la plainte (rapport, au par. 11). En fait, le PFNP m’invite également à déduire que, étant donné que l’agente de la a refusé d’analyser ces allégations, elle a implicitement conclu qu’elles devaient être écartées par le Tribunal, et que la Commission a adopté sa conclusion. Même si les parties conviennent, et je l’accepte, que les allégations relatives aux autres recours ne sont pas au cœur de la plainte, je ne suis pas en mesure de conclure que la Commission a décidé de les exclure. Mme Smith explique en détail dans son exposé des précisions les circonstances dans lesquelles elle a intenté divers recours, peut-être dans le but de montrer qu’elle n’était pas satisfaite de la façon dont elle avait été traitée et qu’elle souhaitait que des mesures soient prises à cet égard. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un fait important pour établir le bien-fondé de l’allégation de discrimination même, je ne puis conclure que ces allégations relatives aux recours devraient être exclues de la plainte. Au contraire, je conclus que l’agente a choisi de se concentrer sur des questions plus déterminantes pour l’aider à juger s’il existait un fondement suffisant pour renvoyer la plainte au Tribunal aux fins d’instruction. Je n’interprète pas le choix de l’agente de ne pas analyser d’autres questions pour tirer sa conclusion comme un motif pour les exclure de la plainte.

[8] Je suis dûment saisi des allégations relatives aux concours. L’agente n’a trouvé aucun [traduction] « fondement raisonnable dans la preuve » pour étayer l’opinion selon laquelle une personne qui n’était pas plus qualifiée que Mme Smith a été embauchée à sa place parce qu’elle était enceinte. Étant donné que la Commission a souscrit aux conclusions du rapport et a renvoyé la plainte au Tribunal aux fins d’instruction, le PFNP affirme que la Commission a également adopté les conclusions de l’agente au sujet des concours et qu’elle n’avait pas l’intention de demander au Tribunal de se pencher davantage sur cette question. Ainsi, le PFNP affirme que je ne devrais entendre que l’autre allégation de Mme Smith, à savoir que le PFNP lui a dit de ne pas utiliser les toilettes en dehors de sa pause repas de 30 minutes et de ses deux pauses de 15 minutes, et qu’il a surveillé l’utilisation des toilettes dans le calendrier de Microsoft Outlook. Toutefois, je ne suis pas en mesure de conclure que le rapport exclut de la plainte les allégations relatives aux concours. Il n’indique pas si les allégations sont établies selon la prépondérance des probabilités – à savoir s’il est plus probable qu’improbable que les faits se soient produits tels qu’ils sont allégués – et souligne plutôt la compétence du Tribunal pour trancher les questions de fait et de droit (rapport, au par. 104). Par conséquent, je ne puis conclure que la Commission avait l’intention de soustraire à l’instruction les allégations relatives aux concours.

[9] Une audience est nécessaire pour apprécier les allégations relatives aux concours selon la prépondérance des probabilités et pour déterminer s’il faut conclure à la responsabilité à l’égard d’un acte discriminatoire. Mme Smith déclare avoir appris le résultat du concours lorsqu’il lui a été demandé, en sa qualité d’adjointe aux ressources humaines, de transmettre au quartier général le curriculum vitae du candidat retenu. Elle affirme également qu'elle a demandé une discussion informelle avec la direction pour tirer des leçons de son expérience, mais qu’elle n’a pas reçu de réponse. Autrement dit, elle allègue qu’elle risquait de se trouver en situation de conflit d’intérêts en tant que candidate non retenue à un concours pour lequel elle était appelée à fournir de l’aide pour l’embauche du candidat retenu, et qu’elle n’a pas bénéficié de l’entretien habituel sur l’orientation professionnelle. Bien que l’agente n’ait trouvé aucun [traduction] « fondement raisonnable dans la preuve » permettant de croire à de la discrimination lors du concours, la tenue d’une audience avec la présentation de tous les éléments de preuve des parties permettrait de confirmer ou de réfuter cette conclusion.

[10] Mme Smith pourrait peut-être être en mesure de prouver son allégation de discrimination relative aux concours lors de l’audience, mais elle devra s’acquitter de son propre fardeau de preuve (Constantinescu c. Service correctionnel Canada, 2020 TCDP 4, au par. 204). Cependant, étant donné qu’une audience avec la présentation d’une preuve complète pourrait confirmer ou réfuter l’analyse de l’agente, je ne puis souscrire à l’argument du PFNP selon lequel il serait absurde d’entendre ces allégations. Je conclus au contraire qu’une audience permettrait de mettre en application la décision de la Commission afin qu’elles soient plaidées et analysées.

IV. ORDONNANCE

[11] Je rejette la requête.

[12] Je convoquerai une conférence de gestion préparatoire afin de fixer les dates pour l’audition de la plainte.

Signée par

John Hutchings

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 22 mai 2025

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : HR-DP-3009-24

Intitulé de la cause : Keri-Lynn Smith c. Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 22 mai 2025

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

Keri-Lynn Smith , pour son propre compte

Sameha Omer, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Céline Delorme et Jean-Michel Richardson , pour l’intimé

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