Contenu de la décision
Tribunal canadien |
|
Canadian Human |
Référence : 2025 TCDP 57
Date : Le
Numéros des dossiers :
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Entre :
le plaignant
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
l’intimé
Décision sur requête
Membre :
I. APERÇU
[1] L’audience doit reprendre le 16 juin 2025, et c’est au cours de celle-ci que les autres témoins de M. Richards seront entendus. L’intimé, le Service correctionnel du Canada (le « SCC »), s’oppose aux témoignages proposés de M. Renford Farrier et de M. Nathanael Williams, deux personnes que M. Richards a ajoutées à sa liste de témoins après avoir terminé son témoignage à l’été 2024. Le SCC affirme qu’il subira un préjudice parce que les témoignages proposés sont trop larges et généraux, qu’ils l’obligent à répondre à une cible mouvante et qu’ils allongeront considérablement la durée de l’audience. M. Richards dit qu’il a besoin des témoignages de ces personnes pour prouver le bien-fondé de sa cause et qu’il n’y a pas de préjudice pour le SCC. La Commission est de cet avis et affirme que les témoignages proposés sont pertinents et probants quant aux allégations de discrimination systémique qui, selon elle, sont au cœur des plaintes de M. Richards.
II. Décision
[2] La requête du SCC visant à modifier l’ordonnance de non-publication est accueillie. Le Tribunal n’entendra pas Renford Farrier ni Nathanael Williams. Le préjudice porté à l’équité et à la gestion efficace de la présente instance l’emporte sur la valeur probante des témoignages proposés. Le Tribunal doit procéder de manière équilibrée et proportionnée et ne risque pas de faire dérailler sa procédure pour admettre des preuves marginalement pertinentes. Bien que les plaintes de M. Richards aient une large portée et comprennent des allégations de discrimination systémique, les questions centrales de la présente instance concernent M. Richards et ses allégations individuelles de discrimination. Les allégations de discrimination systémique ne transforment pas les instances du Tribunal en une commission d’enquête sur les allégations de discrimination dans l’ensemble du système correctionnel fédéral.
III. CONTEXTE
[3] L’audition des plaintes a commencé le 23 avril 2024 en personne à l’Établissement de Warkworth. Après la fin du témoignage de M. Richards le 26 avril 2024, j’ai demandé aux parties de confirmer leurs listes de témoins. La liste révisée de M. Richards incluait MM. Farrier et Williams. Le SCC a écrit aux autres parties pour s’opposer à l’ajout de ces témoins, mais les parties n’ont pas été en mesure de résoudre ce différend par elles‑mêmes. J’ai donc rendu une décision ordonnant à M. Richards et à la Commission de déposer des résumés de témoignage anticipé exposant en détail les témoignages que livreraient MM. Farrier et Williams, y compris les événements spécifiques dont ils parleraient, les noms des personnes concernées, les lieux, le calendrier et tout autre fait matériel (2025 TCDP 8, aux par. 9 à 11 [la « décision sur les résumés de témoignage anticipé »]. J’ai rappelé que les allégations de discrimination systémique ne dispensent pas une partie de son obligation de fournir des précisions sur les preuves qu’elle entend présenter. J’ai dit que si M. Richards et la Commission ne respectaient pas mes directives, ils pourraient ne pas être autorisés à interroger les témoins lors de l’audience.
[4] Mme Carema Mitchell, qui se présente comme la sœur de M. Richards, a contacté le Tribunal au nom de M. Richards le 6 mars 2025 et l’a informé que M. Farrier ne témoignerait pas. Pourtant, le lendemain, Mme Mitchell a fourni des résumés de témoignage anticipé actualisés quant à M. Williams et M. Farrier. Le 14 mars 2025, la Commission a confirmé que les résumés de témoignage anticipé des deux personnes, tels que fournis par M. Richards, [traduction] « reflét[aient] pleinement les informations pertinentes pour la présente affaire ». Le SCC a tenté de clarifier avec M. Richards et la Commission si M. Farrier allait témoigner, mais aucune des parties ne semble avoir répondu. Ma décision répond donc à la demande du SCC d’exclure les deux témoins.
Les témoignages proposés
[5] Comme le soutient le SCC, selon les résumés, le témoignage proposé de M. Williams traiterait d’au moins 17 sujets généraux, dont certains se rapportent à plus d’un événement, à savoir : les interactions avec le personnel, les classifications de sécurité, les transferts, l’accès aux programmes, l’accès aux services, les placements en isolement, les demandes et décisions de libération conditionnelle, le recours à la force en 2011 et 2017, le placement en sécurité maximale à la suite d’un transfert d’un établissement pour jeunes contrevenants en 2003, les accusations d’infraction disciplinaire, les accusations criminelles portées en 2017, les demandes d’habeus corpus, l’incidence sur la classification d’être affilié à un gang, les demandes de services d’un psychologue noir, d’un agent de libération conditionnelle noir et de médecins holistiques, l’accès à un régime alimentaire que lui et M. Richards ont reçu à Donnacona en 2017-2018, les accusations des détenus et le traitement des détenus du rang 2F à l’Établissement de Donnacona en 2017-2018.
[6] Dans la même veine, le témoignage proposé de M. Farrier traiterait d’au moins 14 sujets, dont certains se rapportent à plus d’un événement, à savoir : le placement initial en sécurité maximale, les cas de racisme envers les Noirs, les placements dans trois établissements, les relations avec les agents de libération conditionnelle et leur incidence, les demandes de libération conditionnelle rejetées, l’usage de la force, le régime alimentaire, les difficultés d’accès aux repas pendant le Ramadan, ses observations concernant la préparation de repas casher et halal dans la cuisine, les placements en isolement, les accusations d’infraction disciplinaire (environ 130), un incident de 2010 impliquant un rapport d’observation, l’accès aux programmes, le manque de programmes et de personnel adaptés à la culture.
IV. CADRE LÉGISLATIF
[7] Lorsqu’un membre enquête sur une plainte, les parties à l’instance devant le Tribunal doivent avoir la possibilité de présenter des éléments de preuve et des observations (paragraphe 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H‑6 [la Loi ]). L’instruction des plaintes par le Tribunal se fait sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique (par. 48.9(1) de la Loi).
[8] Le Tribunal a le pouvoir discrétionnaire de recevoir des éléments de preuve qui ne seraient pas admissibles devant un tribunal judiciaire (al. 50(3)c) de la Loi). Le Tribunal se doit d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’une manière qui concorde avec l’esprit de la Loi et les principes de justice naturelle, et ce, en mettant en mettant en balance les droits qu’ont toutes les parties à une audition complète et équitable (Clegg c. Air Canada, 2019 TCDP 4, au par. 68 [Clegg]; par. 48.9(1), 50(1) de la Loi). Le fait que le Tribunal jouisse d’une grande latitude pour ce qui est de décider quelle preuve il peut admettre et, en fin de compte, de déterminer le poids qu’il convient d’accorder à cette preuve une fois qu’elle a été admise ne veut pas dire qu’il est tenu d’admettre n’importe quel élément de preuve qui lui est soumis dans chaque affaire (Clegg, au par.73).
[9] Pour déterminer s’il y a lieu d’admettre une preuve, le Tribunal peut examiner si la preuve est pertinente, l’admission de la preuve concorde avec les principes de justice naturelle et d’équité procédurale, si la valeur probante de la preuve a moins de poids que son effet préjudiciable et s’il y a un empêchement à l’admission de la preuve, y compris l’examen des paragraphes 50(4) et 50(5) de la Loi (Clegg, au par. 84).
[10] Le Tribunal est maître de sa propre procédure (Prassad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 560, aux par. 568 et 569, et peut trancher toutes les questions de droit ou de fait nécessaires à la détermination de toute question faisant l’objet de l’enquête (par. 50(2)). Il s’agit notamment de déterminer le moment où il doit statuer sur une requête ou une question en litige (Canada (CCDP) c. (Canada PG), 2012 CF445, aux par. 129, 144 à 147).
V. MOTIFS
[11] Si la Commission fait valoir que le Tribunal a traditionnellement adopté une approche permissive dans l’admission des preuves et que la pertinence est la « règle d’or », mon analyse de la question de savoir s’il faut autoriser les témoins en cause à témoigner ne peut s’arrêter là. L’existence d’un lien, même marginal, avec les questions en litige n’est pas suffisante si l’on ne mesure pas la valeur des témoignages proposés par rapport aux coûts de leur admission. Pour ce faire, le Tribunal doit nécessairement mettre en balance les avantages des témoignages proposés pour l’aider à déterminer les questions centrales en litige et le préjudice potentiel pour les autres parties et pour l’instance, y compris l’incidence sur la durée de l’audience et le détournement de l’attention portée à l’objet de l’enquête.
[12] Si la « pertinence » était une question binaire, et la permissivité la seule approche, sans aucune évaluation des témoignages proposés, il y aurait très peu de limites à ce qui pourrait être admis dans une instance. Selon ce critère, les témoignages de nombreux détenus seraient recevables, étant donné la portée large de ces plaintes et le nombre d’allégations et de questions en litige. L’enjeu est encore plus important lorsque les plaintes ont une grande portée et sont complexes; dans ces cas, qui impliquent généralement un grand nombre d’incidents allégués et un volume de preuves proportionnellement élevé, le Tribunal doit veiller à ce que l’instance ne devienne pas totalement ingérable.
[13] Mon analyse ci-dessous applique donc cet exercice de mise en balance.
A. M. Richards est l’objet de l’enquête
[14] Pour évaluer la valeur probante des témoignages, je dois identifier qui ou quoi est au centre des plaintes, plutôt que d’examiner l’étendue des plaintes ou le nombre d’allégations qu’elles couvrent. Ryan Richards est au cœur de ces plaintes et ses allégations à l’encontre du SCC ainsi que les événements discriminatoires qu’il allègue sont au centre de l’enquête. M. Richards n’a pas déposé ses plaintes au nom de tous les détenus noirs ou musulmans. Les plaintes elles-mêmes, telles qu’elles ont été déposées, ne mettent pas en cause une pratique ou une politique spécifique qui aurait été discriminatoire. Il appartient au Tribunal de veiller à ce que la suite de l’audience, déjà longue et complexe pour de multiples raisons, ne s’étende pas au point de nous faire perdre de vue les points essentiels du litige. Ainsi, en refusant d’entendre MM. Farrier et Williams, j’évite que l’instance détourne l’attention portée à M. Richards.
B. L’effet préjudiciable l’emporte sur la valeur probante des témoignages proposés
[15] Ayant déterminé que les principales questions en litige en l’espèce sont centrées sur M. Richards et la discrimination qu’il aurait personnellement subie, je pense que la valeur marginale des témoignages proposés de MM. Farrier et M. Williams ne l’emporte pas sur leur effet préjudiciable et détournerait probablement l’attention et les ressources des principales questions dans la présente affaire.
[16] M. Richards affirme qu’il a besoin des témoignages de MM. Farrier et Williams pour étayer sa crédibilité, car le SCC disposera d’un nombre beaucoup plus grand de personnes pour témoigner contre lui. La Commission affirme que les témoignages proposés sont nécessaires et hautement probants pour que soit rendu un jugement équitable et complet quant à la question centrale de savoir si le SCC se livre à une discrimination systémique à l’encontre des détenus noirs. Elle prétend que les témoignages de MM. Farrier et Williams fourniront un contexte crucial et démontreront l’existence d’une discrimination raciale large et persistante à l’encontre des détenus noirs dans le système correctionnel fédéral, conforme aux propres expériences de M. Richards. Selon la Commission, les témoignages proposés permettront au Tribunal de déterminer si la discrimination personnelle subie par M. Richards résulte d’un problème systémique au sein du SCC. À l’appui de son argument selon lequel la preuve générale d’un problème systémique est admissible tout comme la preuve circonstancielle de discrimination, la Commission s’appuie sur des décisions du Tribunal qui reconnaissent l’importance de la preuve contextuelle (Hill c. Air Canada, 2003 TCDP 9, au par.129).
[17] Bien que le Tribunal ait reconnu le contexte de la discrimination systémique dans sa décision de 2020 (2020 TCDP 27, au par. 27), le caractère systémique de certaines des allégations ne dispense pas le Tribunal de son devoir de mettre en balance la pertinence et la valeur probante potentielle des témoignages proposés avec leur préjudice éventuel. Il s’agit notamment d’évaluer l’incidence de l’admission des témoignages par rapport à l’effet que cette admission aurait sur la conduite d’une enquête complexe qui est en cours depuis plusieurs années et qui a déjà consommé une quantité importante de ressources pour toutes les parties concernées.
[18] Je reconnais que la discrimination peut être subtile et peut nécessiter une prise en compte du contexte plus large. Cependant, je ne pense pas que les témoignages proposés soient probants pour les questions centrales des plaintes qui concernent les allégations de Ryan Richards selon lesquelles le SCC l’a soumis à de la violence physique excessive, à du harcèlement sexuel, à des représailles et à diverses autres formes de discrimination et de harcèlement fondées sur des motifs interreliés de sexe, de religion, de race, de couleur et (ou) de handicap. Les résumés de témoignage anticipé de MM. Farrier et Williams ne font pas référence à des incidents impliquant M. Richards. Les incidents impliquant d’autres détenus, relatifs à des interactions avec des personnes différentes, à des moments différents, dans des établissements distincts, et qui se sont produits dans des circonstances distinctes, ne sont pas suffisamment similaires aux faits et à la conduite en cause dans l’instance concernant M. Richards. Même lorsque le Tribunal applique la règle relative aux faits similaires, il procède à un exercice de pondération et peut imposer des limites proportionnelles, y compris en tenant compte de la question de savoir si l’introduction de la preuve risque de semer la confusion quant aux questions en litige (voir, par exemple, Hewston c. Auchinleck, 1997 CanLii 699).
[19] Outre des déclarations générales sur l’existence d’une discrimination systémique et le renforcement de la crédibilité de M. Richards, celui-ci et la Commission n’ont pas exposé les faits spécifiques qu’ils chercheront à prouver par les témoignages proposés. On ne sait pas si M. Richards et la Commission ont fait ou feront des efforts pour communiquer avec les témoins afin de les préparer à l’audience. Il ne semble pas que l’une ou l’autre des parties se soit exprimée en détail sur les difficultés qu’elle a pu rencontrer en essayant de le faire.
[20] M. Richards et la Commission soutiennent que les résumés de témoignage anticipé sont suffisants et conformes à l’alinéa 18(1)e) des Règles de pratique du Tribunal, qui exige des parties qu’elles fournissent un résumé du témoignage que livrera un témoin. Cependant, les déclarations restent pour la plupart générales et vagues, et ne permettent pas de conclure que les témoignages de MM. Farrier et Williams aideront le Tribunal à évaluer les allégations de M. Richards ou sa crédibilité. Dans la décision sur les résumés de témoignage anticipé, j’ai donné des instructions spécifiques à M. Richards et à la Commission pour qu’ils fournissent des détails dans ces résumés, ce qui m’aurait aidé à évaluer la valeur possible des témoignages proposés. Bien que les témoignages fournissent certaines informations supplémentaires, ils continuent d’inclure de nombreuses catégories générales de sujets qui ont la caractéristique d’être un interrogatoire préalable plutôt qu’un examen destiné à étayer un dossier lors d’une audience. Par exemple, le résumé de M. Farrier indique qu’il [traduction] « décrira son historique d’incarcération entre 2010 et 2020 et ses placements dans les établissements de Donnacona, Cowansville et Springhill », sans plus de détails. Cela signifie que les détails de ces catégories seraient révélés pour la première fois lors de l’audience, ce qui aurait une incidence significative sur la capacité du SCC à contre-interroger les témoins et à préparer toute contre-preuve.
[21] La Commission soutient, en s’appuyant sur Richards c. Service correctionnel du Canada, 2020 TCDP 27, au paragraphe 107, Murray c. Commission de l’immigration et du statut de réfugié, 2018 TCDP 32, au paragraphe 60, Radek c. Henderson Development (Canada) Ltd, 2005 BCHRT 302, au paragraphe 505, et Starblanket c. Service correctionnel du Canada, 2014 TCDP 29, au paragraphe 24, que M. Richards ne devrait pas avoir [traduction] « les mains liées » par des exigences en matière de preuve qui sont si onéreuses qu’il est effectivement impossible de prouver l’existence d’une discrimination systémique. Mais le fait de s’assurer que la valeur probante des témoignages proposés l’emporte sur leur effet préjudiciable ne rend pas impossible la preuve de l’existence d’une discrimination systémique. Cet exercice de mise en balance permet plutôt de s’assurer qu’une instance qui dure des années et qui est loin d’être terminée se concentre sur les questions centrales de l’affaire, et évite de compromettre sa cohérence en admettant des témoignages qui, sur la base des résumés présentés, semblent être marginalement pertinents et d’une valeur minime.
[22] Je n’estime pas que les témoignages proposés sont nécessaires pour que le Tribunal puisse examiner les allégations de discrimination systémique, comme le prétend la Commission. Rien dans la nature des preuves présentées, ni dans le libellé de l’article 5, n’empêche M. Richards d’affirmer que la discrimination qu’il aurait subie était de nature systémique. De manière générale, une enquête sur des allégations systémiques de discrimination nécessite de déterminer comment des pratiques, des systèmes ou des attitudes – que ce soit par leur conception ou par leur effet – ont pour conséquence de limiter les possibilités pour un individu ou un groupe d’individus. Quelle que soit la définition du terme, la Commission ne m’a présenté aucun précédent permettant d’étayer la position selon laquelle l’existence d’[traduction] « acte[s] discriminatoire[s] » au sens de l’article 5 de la Loi exige des témoignages provenant de plusieurs victimes.
[23] En outre, rien n’empêche M. Richards et la Commission de présenter des demandes d’intérêt public ou de mesures de redressement systémiques. M. Richards est un formidable plaideur à part entière et s’est admirablement représenté tout au long de la présente instance. Il a témoigné longuement sur la discrimination qu’il aurait subie et est le principal témoin pour ce qui est de son dossier et de la Commission. La Commission fait appel à un témoin expert pour qu’il donne son avis sur l’expérience des détenus noirs incarcérés dans les établissements fédéraux, notamment sur les conditions de détention, l’accès aux services correctionnels et les résultats correctionnels pour les détenus noirs, l’accès aux services correctionnels et aux programmes adaptés à la culture, et la cote de sécurité. Selon le rapport d’expertise que la Commission a déposé en janvier 2024, le Dr Owusu-Bempah témoignera également quant à la manière dont l’expérience de M. Richards cadre avec l’expérience plus large des détenus noirs. Ce rapport a été déposé bien avant l’ajout des deux témoins supplémentaires, et la Commission n’a pas fait valoir que le témoignage d’expert du Dr Owusu-Bempah dépendrait des témoignages de MM. Williams et Farrier.
[24] M. Richards et la Commission contestent que l’audition de ces témoins puisse porter préjudice au SCC. Selon la Commission, le fait de restreindre les preuves de M. Richards et de la Commission en raison d’allégations de préjudice de nature hypothétique ou exagérées va à l’encontre des objectifs d’audience équitable, complète et approfondie.
[25] Je suis d’accord avec la Commission pour dire que la procédure du Tribunal doit être équitable et donner à M. Richards et aux autres parties une possibilité pleine et entière de présenter leurs arguments. Mais ce n’est pas parce que M. Richards et la Commission ont inclus des allégations de discrimination systémique que le Tribunal peut mettre de côté les principes fondamentaux de l’équité procédurale à l’égard de l’intimé. M. Richards et la Commission ont le droit de présenter leurs arguments, et le SCC a le droit de se préparer et de se défendre contre les allégations formulées. Cela doit également se faire dans un délai raisonnable, après une allocation proportionnelle des ressources, conformément au paragraphe 48.9(1) de la Loi.
[26] À mon avis, le préjudice prévisible pour le SCC n’est pas négligeable. J’accepte l’argument du SCC selon lequel, étant donné que l’audience a commencé, l’ajout de ces témoins oblige le SCC à se défendre contre une cible mouvante, ce qui est contraire aux règles d’équité procédurale. Le fait d’entendre des témoignages non seulement sur les événements spécifiques cités par M. Richards, mais aussi sur d’autres incidents qui n’ont pas été abordés précédemment dans le cadre de la présente instance, causera un préjudice au SCC, qui devra se défendre contre des allégations qui ne faisaient pas partie des plaintes initiales au moment où elles ont été déposées.
[27] Comme le soutient le SCC, les témoignages proposés et les nombreux sujets qu’ils abordent (un minimum de 17 et 14 pour M. Farrier) s’ajoutent aux plus de 60 événements soulevés par M. Richards qui font l’objet de la présente audience. Je reconnais que le SCC devrait entreprendre une recherche et une analyse approfondies d’une grande quantité de documents, compte tenu du volume des questions soulevées et de la période couverte par les témoignages proposés. Cela est d’autant plus vrai que la plupart des sujets abordés dans les témoignages proposés restent vagues, sans détails ni dates. Le SCC fait valoir qu’il devrait se préparer à ce qui aurait pu être deux instances entièrement indépendantes et distinctes, sans aucune divulgation de documents préalable. Cela nécessiterait probablement de rappeler MM. Williams et Farrier après une suspension d’audience, compte tenu de la charge de travail nécessaire pour préparer leurs contre-interrogatoires. Si des résumés détaillés de témoignage anticipé avaient été déposés au moment opportun, et non des années après le début de la présente enquête, le SCC aurait pu identifier des témoins potentiels pour répondre à la preuve de MM. Williams et Farrier. Le passage du temps signifie que certains témoins ont pris leur retraite ou sont décédés, et que les souvenirs se sont estompés, en particulier compte tenu de la portée temporelle des plaintes, qui couvrent la période de 2010 à 2020. Dans certains cas, le Tribunal a estimé que le préjudice résultant d’une divulgation tardive pouvait être réparé par un ajournement. Il ne s’agit pas d’une solution appropriée en l’espèce, compte tenu de la logistique et des défis à relever pour donner au SCC la possibilité de répondre pleinement aux témoignages de MM. Williams et Farrier, et du temps qui s’est déjà écoulé depuis les événements et le début de la présente instance.
[28] À mon avis, l’ajout de ces témoins à ce stade ne cause pas seulement un préjudice au SCC, mais compromet également le bon déroulement d’une instance déjà complexe et longue, sans valeur démontrable pour la résolution des principales questions en litige en l’espèce. Même si les preuves tendant à prouver qu’il y a eu d’autres cas de discrimination à l’encontre de détenus noirs ou musulmans ont une pertinence marginale, il ne s’agit pas d’un élément déterminant en ce qui concerne les plaintes de M. Richards. Le Tribunal devra encore déterminer si la race, la religion ou un autre motif protégé par la Loi dont jouit M. Richards ont joué un rôle dans l’un des incidents spécifiques qu’il allègue comme étant discriminatoires afin de conclure à la responsabilité du SCC. Les plaintes ont été formulées et portées devant les tribunaux en partant du principe que M. Richards est la personne qui s’est vu refuser un service ou qui a fait l’objet de discrimination dans la prestation de ce service au sens de l’article 5 de la Loi.
[29] La Commission affirme qu’elle subirait un préjudice important si elle se voyait refuser la possibilité de présenter les témoignages de MM. Farrier et Williams, et que la tentative du SCC d’empêcher les témoins de comparaître est excessive et injustifiée. Elle soutient que le Tribunal devrait admettre les témoignages et, si nécessaire, reporter le contre‑interrogatoire à une date ultérieure. Selon la Commission, un plaignant non représenté et la Commission doivent avoir la possibilité de présenter leurs preuves et une audience équitable et complète exige que ces témoignages pertinents et rapides soient entendus. Selon la Commission, il est dans l’intérêt supérieur de la justice d’admettre de telles preuves dans une affaire relative aux droits de la personne, en particulier lorsqu’il s’agit d’allégations de discrimination systémique, afin que le Tribunal ait accès à toutes les preuves pertinentes pour rendre une décision en toute connaissance de cause.
[30] Je ne souscris pas à ces arguments. Malgré leurs affirmations actuelles quant à l’importance des témoignages proposés, M. Richards et la Commission n’ont inscrit MM. Farrier et Williams sur leurs listes de témoins respectives que quatre ans après la décision rendue en 2020 par le Tribunal reconnaissant le caractère « systémique » des plaintes. M. Richards n’a ajouté MM. Farrier et Williams à sa liste de témoins qu’après avoir conclu son propre témoignage à l’été 2024. Ceux-ci ne figuraient pas non plus sur la liste de témoins de M. Richards du 28 janvier 2024 avant le début de la présente audience. Contrairement aux témoignages proposés de MM. Farrier et Williams, les résumés de témoignage anticipé contenus dans les listes précédentes de M Richards faisaient référence à des témoignages provenant de personnes pouvant témoigner de leurs interactions avec lui, de sa personnalité et de leurs observations.
[31] L’intention de la Commission d’obtenir des témoignages de la part de ces deux personnes est également nouvelle. Si les témoignages proposés étaient essentiels, la Commission n’a fourni aucune explication quant à la raison pour laquelle elle n’avait pas précédemment inclus MM. Farrier et Williams sur sa liste, ou pourquoi elle n’a pas fait référence à ces témoins dans son EP modifié daté du 20 juillet 2021, qui a fait suite à la décision du Tribunal de 2020 reconnaissant le bien-fondé des allégations systémiques dans la présente affaire. La Commission ne les a pas non plus inclus lorsqu’elle a déposé son résumé du témoignage de l’imam Dwyer et le rapport d’expert en janvier 2024. Aucune des parties n’a indiqué que ces témoins avaient été ajoutés en réponse à des développements inattendus survenus pendant le témoignage de M. Richards au cours de la première partie de l’audience.
[32] Il est malhonnête de la part de la Commission de prétendre aujourd’hui que ce serait une « erreur judiciaire » d’exclure des témoins qu’elle ne semble pas avoir pris en considération, dans le cadre de son dossier ,avant 2024. L’invalidité de cette affirmation est d’autant plus renforcée par le fait que la Commission n’a pas indiqué qu’elle souhaitait poser aux témoins des questions spécifiques qui nécessiteraient son propre résumé de témoignage anticipé, distinct de celui fourni par M. Richards. Les parties - y compris la Commission - ne peuvent pas simplement se réserver le droit d’ajouter des témoins à tout moment, sans tenir compte des obligations qui leur incombent en vertu des Règles de pratique du Tribunal ni sans examiner les conséquences que cela pourrait avoir sur l’équité de la procédure ou le déroulement de l’enquête.
[33] La Commission constate également un déséquilibre en ce qui concerne le nombre de témoins cités par chaque partie. Selon le calendrier des témoins fourni par les parties, M. Richards a l’intention d’appeler 9 témoins des faits autres que les deux témoins contestés, et la Commission a un nom sur sa liste, en plus de son expert. La SCC a 30 témoins sur sa liste, soit un total de 41 témoins restants. Avant le début de l’audience, j’ai demandé aux parties de réduire leurs listes de témoins, et la liste de 50 témoins du SCC a été considérablement réduite à 30 témoins (2023 TCDP 51, au par. 28). L’ajout des témoignages proposés annulera certains des progrès réalisés en matière de réduction de la liste des témoins du SCC, qui est très longue en raison du nombre d’allégations formulées par M. Richards dans quatre plaintes couvrant plus d’une décennie d’incarcération dans plusieurs établissements.
[34] En outre, l’asymétrie du nombre de témoins cités par chaque partie n’est pas un indicateur d’iniquité. Cela est particulièrement vrai dans le cas d’une affaire relevant du système correctionnel, où la nature de l’incarcération impose généralement qu’un grand nombre d’employés du SCC interagissent avec le plaignant, en fonction des quarts de travail, des unités et des établissements. De plus, dans les cas comportant plusieurs allégations formulées par des personnes incarcérées, cette asymétrie peut devenir plus prononcée. Toutefois, il va sans dire qu’en l’absence de témoignages concordants, la quantité ne supplante pas la qualité dans l’évaluation de la crédibilité des témoins et qu’un litige n’est pas un concours pour savoir qui peut citer le plus grand nombre de témoins.
C. L’admission des témoignages proposés prolongera l’audience et entraînera des retards supplémentaires.
[35] La Commission fait valoir que les allégations du SCC concernant l’allongement indu de l’instance sont exagérées et infondées. Avant la décision concernant les résumés de témoignage anticipé, M. Richards a estimé qu’il lui faudrait deux heures pour interroger chacun des deux témoins, et la Commission a indiqué qu’elle aurait besoin d’une heure pour chaque témoin. Malgré le nombre et l’étendue des sujets abordés dans les résumés de témoignage anticipé, la Commission maintient que l’audition des deux témoins ne nécessiterait pas plus d’une journée, voire une journée et demie, d’interrogatoire direct.
[36] À mon avis, ces estimations ne sont pas réalistes. Compte tenu du nombre et de l’étendue des sujets abordés dans les résumés de témoignage anticipé, on ne sait pas clairement sur quoi se fondent les estimations de la Commission. Bien que M. Richards affirme que les résumés de témoignage anticipé ne sont que des lignes directrices, ni lui ni la Commission n’ont précisé sur quels aspects ils concentreraient leur examen pour respecter leurs estimations. Alors que la Commission soutient qu’elle a besoin des témoignages de MM. Farrier et Williams pour établir l’existence de pratiques discriminatoires, le SCC a le droit de réfuter ces allégations, ce qui implique nécessairement qu’il doit élargir sa divulgation de documents, sa liste de témoins et qu’il faut augmenter le nombre de jours d’audience. Il est indéniable que l’audience sera plus longue, et pas de façon négligeable. Compte tenu de l’étendue et du nombre des domaines sur lesquels les témoins sont susceptibles de s’exprimer, il est inconcevable que cela ne perturbe que « très peu » l’audience. Chaque grand thème abordé lors de l’interrogatoire direct peut inclure un ou plusieurs événements qui auront une incidence sur le nombre de témoins cités par le SCC. Comme le souligne le SCC, M. Williams a l’intention de témoigner au sujet de ses [traduction] « interactions avec le personnel », sans préciser le nombre d’employés auxquels il fait référence ni leur identité. Il a également l’intention de parler des [traduction] « infractions disciplinaires », mais on ne sait pas exactement combien ni quel sera le contenu de son témoignage en général.
[37] L’objectif d’une audience n’est pas d’avoir accès à toutes les preuves pertinentes, à tout prix, sans tenir compte de l’incidence que l’admission de ces preuves aura sur la procédure ou sur les droits des autres parties. L’ajout de MM. Farrier et Williams entraînera des retards supplémentaires dans le déroulement de l’instance en cours depuis le dépôt de la première plainte de M. Richards en 2017. Deux semaines ont été réservées aux témoins de M. Richards, et plusieurs autres seront nécessaires pour entendre les arguments du SCC. Les témoignages proposés risquent d’ajouter des mois, voire plus, à une procédure d’audience qui prendra encore de nombreuses semaines. Comme je l’ai déjà dit, les parties n’ont pas droit à une durée d’audience infinie (voir Richards c. Service correctionnel du Canada, 2024 TCDP 21, au par. 17).
[38] Enfin, l’expérience passée avec ces parties ne me permet pas de considérer comme fiables les estimations de temps fournies par la Commission. J’ai rappelé précédemment la nécessité de respecter le principe de proportionnalité et j’ai rappelé aux parties leurs obligations d’agir de manière à minimiser le temps et les coûts associés aux procédures judiciaires. Les estimations de temps de la Commission et du plaignant ne semblent pas reposer sur une consultation des témoins eux-mêmes, ni sur un résumé ciblé de ce dont ils témoigneront réellement pendant les trois heures prévues pour l’interrogatoire principal. Comme je l’ai indiqué dans ma décision sur les résumés de témoignage anticipé, l’audience n’est pas le moment pour les parties, y compris la partie qui appelle le témoin, d’apprendre pour la première fois ce que dira le témoin (décision sur les résumés de témoignage anticipé, au paragraphe 10).
D. Il n’est pas prématuré de statuer sur la requête maintenant
[39] M. Richards et la Commission soutiennent que la demande du SCC est prématurée et que les objections doivent être formulées lors de l’audience. La Commission estime qu’il serait injuste de limiter les preuves avant même qu’elles aient été dûment examinées et fait valoir que l’ensemble des preuves devrait être admis et examiné lors de l’audience, afin de garantir que tous les faits pertinents soient examinés avant qu’une décision ne soit prise. Elle s’appuie sur Christoforou c. John Grant Haulage Ltd, 2016 TCDP 14, au paragraphe 61 [Christoforou], pour étayer sa position selon laquelle le tribunal devrait admettre toutes les preuves pouvant être considérées comme pertinentes et évaluer leur poids à l’issue de l’audience.
[40] Je ne souscris pas à l’avis de la Commission. De plus, même si le contre‑interrogatoire devait être reporté, il ne serait d’aucune utilité que les parties consacrent temps et ressources considérables à préparer une audience pour interroger ou contre-interroger deux témoins dont la pertinence par rapport aux questions centrales de la plainte n’a pas été démontrée comme étant plus que minimale, et pour lesquels je conclus que l’effet préjudiciable l’emporte sur la valeur probante potentielle. Il ne sert pas le mandat du Tribunal en vertu de la Loi de consacrer un temps précieux d’audience à leurs témoignages et d’attendre ensuite des objections quant à leur recevabilité.
[41] Le Tribunal, dans la décision Christoforou, sur laquelle la Commission s’appuie, a jugé que tous les éléments de preuve dont on peut soutenir la pertinence et qui émanent de témoins des faits, ou de personnes témoignant sur leurs observations ou sur leur participation, sont habituellement admis, conformément à l’esprit de la Loi (italique ajouté). Bien que le membre dans la présente affaire ait fait référence au paragraphe 50(1) et à l’alinéa 50(3)a), je ne peux ignorer le libellé de l’ensemble du régime législatif, qui comprend le paragraphe 48.9(1), ainsi que la nécessité d’instruire la plainte de manière équitable, sans formalisme et de façon expéditive. En d’autres termes, le Tribunal n’est pas un organisme qui admet tout et n’importe quoi si cela risque de compromettre les objectifs et l’économie de la Loi et de rendre ses instances ingérables.
[42] L’incidence potentiellement préjudiciable des témoignages proposés dans une instance sera évaluée différemment en fonction de la nature de l’affaire et des témoignages proposés eux-mêmes. Dans une affaire simple impliquant un ou deux incidents et un nombre limité de documents, l’impact de l’admission d’une preuve circonscrite, de pertinence marginale ou douteuse, est beaucoup plus faible, et le risque associé à une approche plus permissive peut être gérable. Ce n’est pas le cas en espèce, pour toutes les raisons que j’ai déjà exposées.
[43] Le Tribunal a le pouvoir discrétionnaire de déterminer comment et quand il traitera les requêtes, et il doit le faire d’une manière qui favorise la rapidité et l’équité. Il n’est dans l’intérêt de personne de reporter la décision sur cette question alors que je dispose des informations nécessaires pour la trancher dès maintenant. M. Richards et la Commission ont été invités à fournir des résumés plus détaillés de témoignage anticipé, et les parties ont eu l’occasion de présenter des observations sur l’objection du SCC, qu’il a soulevée depuis que les noms sont apparus pour la première fois sur la liste de témoins de M. Richards, en juin 2024.
E. Les plaintes de discrimination systémique ont aussi des limites
[44] La Commission soutient que les préoccupations soulevées par le SCC concernant la charge liée à l’examen des documents et les retards potentiels sont des caractéristiques inhérentes aux instances complexes en matière de droits de la personne, en particulier celles portant sur de la discrimination systémique exercée sur une longue période. Elle soutient que l’exclusion de témoignages pertinents en raison d’un « inconvénient » anticipé compromettrait le mandat du Tribunal de statuer sur les plaintes en matière de droits de la personne de manière approfondie et significative, en particulier lorsqu’il est question de discrimination systémique.
[45] Je ne souscris pas à l’avis de la Commission. Ce qui compromettra le mandat du Tribunal, c’est de refuser d’imposer des limites lorsqu’elles sont justifiées et de renoncer à la gestion, par le Tribunal, d’une enquête qui doit se dérouler de manière équitable et rapide.
[46] Les instances complexes portant sur des enjeux systémiques font partie de la réalité du Tribunal, et le TCDP est prêt à les entendre et est capable de le faire. Toutefois, le traitement équitable et efficace de telles instances complexes exige que les parties abordent leur cause de manière organisée, avec une planification et une préparation adéquates et une attention accrue aux règles de communication de la preuve et de précision des allégations. Toutes les parties doivent faire des choix lorsqu’elles s’engagent dans un litige, et permettre une exploration exhaustive et ponctuelle de toutes les pistes probatoires possibles paralyserait le Tribunal, au détriment de ces parties et des autres justiciables en attente de l’audition de leur cause.
[47] Les enquêtes complexes portant sur des allégations s’étendant sur une décennie et comprenant de nombreux événements peuvent certes prendre beaucoup de temps, mais cela ne signifie pas que les instances ni les droits des parties sont illimités. Les plaintes de M. Richards ont un historique procédural long et complexe, et il a fallu des années de gestion de l’instance, de divulgation, de résolution des questions préliminaires, de modifications des exposés des précisions et de changements de représentants pour commencer l’audience (voir TCDP 2023 51,aux par. 2 à 4).
[48] Je ne retiens pas non plus l’argument de la Commission selon lequel le retrait de MM. Williams et Farrier des listes de témoins à ce stade serait incompatible avec les principes qui guident les tribunaux des droits de la personne. Transformer une instance en commission d’enquête est incompatible avec les principes qui guident les tribunaux des droits de la personne qui ont été mis en place pour fournir une alternative rapide, flexible et informelle au système judiciaire traditionnel (voir Canada (CCDP) c. Canada (PG), 2012 CF 445, au par. 127).
[49] Il incombe au Tribunal de veiller au respect de son mandat et de demeurer dans les limites prévues par la loi — il s’agit d’un organisme décisionnel, non d’un organisme d’enquête ni d’une commission royale (Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au par. 64). Le Tribunal résout les litiges - par la médiation ou en rendant une décision sur le fond à l’issue d’une enquête, après avoir entendu les preuves et les observations des parties. L’intention du législateur n’est pas respectée lorsqu’on permet un examen exhaustif de tous les aspects du système carcéral. Il existe d’autres voies pour un tel processus, mais une enquête du TCDP n’en fait pas partie. Le cas de M. Richards ne constitue pas une occasion de transformer des plaintes individuelles fondées sur l’article 5 de la Loi en une enquête généralisée sur le traitement des détenus noirs et musulmans au Canada, simplement parce que lui et la Commission ont formulé des allégations de discrimination systémique.
[50] Dans le cadre de la présente décision, j’ai tenu compte de l’incidence potentielle que pourrait avoir l’exclusion des témoignages de MM. Williams et Farrier sur les droits de M. Richards et de la Commission d’être entendus. Toutefois, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, je ne suis pas convaincue que le refus de les entendre compromette ou porte atteinte de manière significative à ce droit.
VI. ORDONNANCE
[51] La demande du SCC est accueillie. Le Tribunal refuse d’entendre les témoignages de MM. Farrier et Williams. Les parties devraient ajuster leur calendrier provisoire de témoins en conséquence et s’assurer de combler les lacunes laissées par les dates et heures qu’elles ont provisoirement allouées à MM. Farrier et Williams. Elles doivent se concerter, les réviser et les soumettre à nouveau au Tribunal, au plus tard le 2 juin 2025. Si des citations à comparaître sont nécessaires, il incombe à la partie qui cite le témoin de demander une citation à comparaître auprès du greffier.
[52] La Commission doit également proposer une date pour la comparution de son témoin expert et réviser ses estimations de temps à la baisse, compte tenu de la directive du Tribunal selon laquelle il n’est pas nécessaire que l’expert répète ce qui figure déjà dans son rapport. J’examinerai les estimations de temps proposées et en discuterai avec les parties lors d’une conférence téléphonique de gestion de l’instance.
Signée par
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéros des dossiers du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Requête traitée par écrit sans comparution des parties
Observations écrites par :