Contenu de la décision
Tribunal canadien |
|
Canadian Human |
Référence : 2025 TCDP
Date : Le
Numéros des dossiers :
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Entre :
le plaignant
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
l’intimé
Décision sur requête
Membre :
I. APERÇU
[1] L’audience relative à la présente affaire doit reprendre le 19 juin 2025. Le plaignant, M. Richards, demande au Tribunal, pour la troisième fois, d’ordonner à l’intimé, le Service correctionnel du Canada (le « SCC ») de lui fournir un ordinateur portatif qu’il puisse utiliser dans l’instance en l’espèce. M. Richards soutient qu’il n’est pas en mesure de se préparer équitablement pour l’audience ni de poursuivre l’audience sans avoir accès à un ordinateur portatif, car il est trop difficile pour lui de consulter les copies papier des documents.
[2] Dans la décision 2024 TCDP 12, j’ai rejeté la première requête présentée par M. Richards en vue d’obtenir l’accès à un ordinateur portatif et à d’autres appareils. J’ai conclu que, bien que M. Richards ait le droit de se préparer à l’audience et d’avoir un accès raisonnable aux outils nécessaires pour ce faire, la solution proposée par le SCC de fournir à M. Richards des copies papier des documents communiqués était raisonnable et ne compromettait pas l’équité procédurale. Les considérations liées à la sécurité en milieu carcéral doivent être soupesées par rapport au droit de M. Richards de se préparer en vue de son audience.
[3] Dans la décision 2024 TCDP 19, j’ai rejeté la demande de réexamen de la décision sur requête concernant l’ordinateur portatif présentée par M. Richards, car j’ai jugé qu’il n’y avait eu aucun changement important dans la situation qui aurait justifié la modification de la décision sur requête. J’ai conclu que, si M. Richards n’était pas en mesure de se préparer équitablement en vue de son audience ou s’il avait besoin de mesures d’adaptation pour des motifs religieux ou médicaux ou pour d’autres motifs, d’autres possibilités s’offraient à lui. L’accès à un ordinateur portatif dans sa cellule n’est pas le seul moyen de veiller à ce qu’il puisse participer pleinement et équitablement à la présente instance.
[4] La Commission a présenté de nombreuses observations à l’appui de la demande de M. Richards. Elle soutient que la demande en l’espèce est différente parce qu’elle concerne la poursuite de l’audience, et non la préparation en vue de celle-ci. La Commission affirme en outre que la demande ne porte pas sur la question de savoir si M. Richards devrait avoir accès à un ordinateur portatif, mais bien de déterminer s’il est raisonnable de la part du SCC de refuser que M. Richards utilise un ordinateur portatif dans sa cellule. Selon la Commission, M. Richards a besoin d’avoir accès à un ordinateur portatif dans sa cellule pour pouvoir examiner la preuve et se préparer le soir en vue de chaque journée d’audience. Le SCC est d’avis que le Tribunal a déjà statué deux fois sur cette question, mais il est tout de même disposé à tenter de répondre aux besoins de M. Richards en plaçant un ordinateur portatif dans la salle d’audience afin qu’il puisse l’utiliser lorsque l’audience virtuelle reprendra en juin. La Commission estime que cette proposition ne permet pas de surmonter les grandes difficultés qui se posent pour un plaignant incarcéré qui n’est pas représenté. La Commission fait valoir que les préoccupations antérieures du SCC sur le plan de la sécurité ne sont plus de mise, étant donné que M. Richards pourrait avoir accès à un ordinateur portatif réservé à la communication électronique ou à un ordinateur portatif en lecture seule et que le SCC a déjà permis à d’autres détenus d’utiliser ces appareils dans leur cellule.
[5] Le SCC, qui n’est pas du même avis, affirme que la présentation de cette demande pour une troisième fois constitue un abus de procédure. Il soutient qu’il ne devrait pas être permis à la Commission de tenter de reformuler la question. Le SCC soutient que le Tribunal était bien conscient qu’il n’y aurait pas qu’une préparation en vue de l’audience, mais qu’une audience aurait bel et bien lieu, lorsqu’elle a rejeté les demandes présentées précédemment par M. Richards.
[6] En plus des documents liés à la requête, la Commission a inclus dans les documents qu’elle a transmis un courriel daté du 19 janvier 2024 qui, selon le SCC, était protégé par le privilège relatif aux règlements. Le SCC demande au Tribunal de ne pas tenir compte de cette lettre lorsqu’il se prononcera sur la requête en l’espèce. Le SCC demande en outre au Tribunal de rendre une ordonnance enjoignant aux parties de ne pas communiquer les documents dans un contexte autre que celui du litige et de mettre sous scellé les documents de la Commission relatifs à la requête, afin qu’ils ne soient pas accessibles au public.
II. DÉCISION
[7] Les demandes de M. Richards et de la Commission sont rejetées. Je rejette les demandes du SCC visant à faire déclarer protégé le courriel du 19 janvier 2024 et à faire mettre sous scellé les documents de la Commission relatifs à la requête, mais je n’ai pas tenu compte du courriel en question lorsque j’ai rendu ma décision de rejeter la demande de M. Richards. L’approche adoptée par la Commission ne favorise pas les tentatives de bonne foi visant la résolution des questions préliminaires et compromet le règlement informel et rapide des plaintes.
III. ANALYSE
[8] Je n’admets pas les arguments de M. Richards et de la Commission selon lesquels je devrais modifier mon ordonnance antérieure au motif que la présente demande est présentée dans le contexte de la poursuite de l’audience, qui se déroulera dorénavant en mode virtuel, ou que le SCC pourrait fournir un ordinateur portatif réservé à la communication électronique et ayant des fonctionnalités limitées. Les tentatives de la Commission pour reformuler la question ne changent en rien la nature de la demande, qui demeure la même : M. Richards veut que le SCC lui permette d’utiliser un ordinateur portatif dans sa cellule.
[9] La Commission soutient qu’il n’y aurait pas de problèmes de sécurité si le SCC fournissait à M. Richards un ordinateur portatif en lecture seule ou un ordinateur portatif réservé à la communication électronique, mais elle n’a fourni aucune preuve à l’appui de cette affirmation; elle a simplement affirmé que le SCC avait permis l’utilisation de ces appareils dans d’autres affaires. Je ne suis pas disposée à rouvrir ma décision sur requête antérieure ni à demander aux parties de présenter de nouvelles observations ou de nouveaux éléments de preuve à cette étape-ci de l’instance concernant les risques pour la sécurité qui pourraient découler de l’utilisation dans une cellule d’un ordinateur portatif réservé à la communication électronique par opposition à un appareil entièrement fonctionnel, à plus forte raison qu’il existe déjà une solution de rechange raisonnable. Comme je l’ai déjà conclu dans la présente affaire, le fait de fournir à M. Richards deux copies papier de tous les documents communiqués constitue une solution raisonnable. M. Richards a eu plus d’un an pour examiner les documents, soit amplement de temps pour se préparer à la prochaine étape de l’audience.
[10] Je n’admets pas non plus l’argument portant que M. Richards a besoin d’avoir accès à un ordinateur portatif dans sa cellule au motif que l’audience dans la présente affaire se déroulera désormais à distance. M. Richards a le droit à une pleine participation à son audience, et non le droit à un ordinateur portatif. M. Richards et la Commission semblent également se fonder sur le fait que, pendant la partie de l’audience qui se déroulait en personne, lorsque la Commission passait en revue les éléments de preuve de M. Richards, ce dernier avait du mal à retrouver dans ses cahiers les documents dont il était question. Le SCC a déjà offert de mettre à disposition un ordinateur réservé à la communication électronique dans la salle d’audience lorsque l’audience reprendra en juin.
[11] Enfin, toutes les parties et les avocats doivent déployer des efforts pour se préparer en vue d’une audience et y participer. Il faut notamment examiner de façon approfondie les documents, les identifier et s’assurer qu’ils sont prêts à être présentés en preuve (qu’il s’agisse de documents papier ou sous forme électronique), et les parties doivent avoir préparé les questions qu’elles doivent poser à leurs témoins et les questions qu’elles souhaitent poser en contre-interrogatoire aux témoins de la partie adverse. Les parties doivent également être en mesure de se retrouver dans leurs propres documents; il s’agit là d’une responsabilité qui incombe à tous les participants ainsi qu’aux avocats qui doivent appeler des témoins à témoigner. L’accès à un ordinateur portatif ne soustrait pas les parties à cette responsabilité, et il ne s’agit pas non plus d’une panacée si les plaideurs ou leur avocat ne sont pas bien préparés.
[12] De plus, les affirmations de la Commission selon lesquelles il est [traduction] « très préjudiciable » et [traduction] « contraire à l’équité procédurale » que M. Richards ait à interroger des témoins par Teams ou Zoom en disposant de tous les documents en copie papier relèvent de la conjecture et ne sont pas fondées à cette étape-ci. Aucun élément de preuve attestant un préjudice réel n’a été présenté; seules des allégations de préjudice possible ont été formulées. Quoi qu’il en soit, l’accès à un ordinateur portatif dans la cellule ne constituerait pas le seul moyen de remédier au préjudice, si celui-ci était établi.
[13] Par exemple, si, à la fin de la journée d’audience, M. Richards soutient qu’il a besoin de plus de temps pour se préparer en vue du lendemain et examiner ses documents, je tiendrai compte de ses observations et de celles des autres parties afin d’assurer sa pleine participation, en toute équité. Toutefois, l’accès à un ordinateur portatif n’est pas un droit, pas plus pour une personne incarcérée que pour les participants à d’autres instances. Ce n’est pas parce que l’intimé et la Commission ont accès à un ordinateur portatif que le Tribunal doit ordonner aux intimés de fournir aux plaignants des appareils qu’ils peuvent utiliser le soir pour veiller à l’équité et à l’efficacité de l’instance. Je tiendrai compte des arguments de M. Richards s’il estime réellement qu’il y a eu préjudice. Toutefois, je ne donnerai pas suite à des affirmations et à des accusations vagues et non fondées au sujet d’un préjudice quelconque.
[14] Enfin, tant M. Richards que la Commission soutiennent, encore une fois, que les documents relatifs à la présente instance sont volumineux, mais il s’agit là d’un corollaire de l’ampleur et de la portée des plaintes en l’espèce. M. Richards est en possession des copies papier de tous les documents depuis plus d’un an. Comme je l’ai affirmé précédemment, il reste qu’une audience de cette envergure nécessite beaucoup de préparation, ce qui ne correspond pas à une situation nouvelle ni à un changement important dans la situation (2024 TCDP 19, au par. 20).
A. Allégations selon lesquelles la Commission a communiqué des renseignements protégés au Tribunal et demandes du SCC
[15] La Commission a présenté de longues observations à l’appui de la demande de M. Richards pour obtenir un ordinateur portatif, lesquelles comprenaient un courriel daté du 19 janvier 2024, envoyé par l’avocat du SCC; or, ce dernier avait déjà précisé que le courriel en question ne devait pas être transmis au Tribunal. Le SCC est d’avis que le courriel comprenait une proposition protégée par le privilège relatif aux règlements qui avait fait l’objet d’une discussion entre les parties en vue de résoudre le différend lié à la première demande de M. Richards pour l’obtention d’un ordinateur portatif. Le SCC demande au Tribunal de ne pas tenir compte du courriel du 19 janvier 2024 et soutient que, autrement, la capacité des parties de tenter de régler les questions avant de demander au Tribunal de trancher pourrait être grandement diminuée. Le SCC demande également que les documents de la Commission relatifs à la requête soient mis sous scellé et que j’ordonne aux parties de ne pas communiquer les documents dans un contexte autre que celui du litige.
[16] La Commission est d’avis que le courriel en question n’est pas protégé par le privilège relatif aux règlements pour différentes raisons. Par exemple, elle soutient que le courriel n’a pas été échangé dans le but de négocier un règlement final de la plainte. La Commission semble reconnaître que le SCC avait donné des instructions claires selon lesquelles cette partie des communications ne devait pas être diffusée, mais elle soutient qu’il n’y avait pas eu d’entente confirmant que la discussion était confidentielle ou protégée par le privilège relatif aux règlements ou qu’elle avait un caractère privé. La Commission soutient en outre que le SCC a expressément et implicitement renoncé à tout privilège en acceptant de diffuser d’autres parties de cette communication. Enfin, la Commission n’est pas d’accord avec le SCC pour dire que celui-ci a agi de bonne foi et soutient que, même si la communication faisait l’objet d’un privilège, une exception devrait s’appliquer, car le SCC tente d’induire le Tribunal en erreur ou de faire de fausses déclarations concernant la question de l’ordinateur portatif.
[17] Je rejette les demandes du SCC visant à obtenir du Tribunal qu’il rende une ordonnance pour enjoindre aux parties de ne pas communiquer les documents dans un contexte autre que celui du litige et pour mettre sous scellé les documents relatifs à la requête. Toute demande visant la mise sous scellé du dossier doit être présentée au titre de l’article 52 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et il ne m’a été présenté aucun fondement juridique qui ne soit pas prévu à l’article 52 pour pouvoir ordonner aux parties de ne pas diffuser un document qu’elles ont déjà en leur possession.
[18] Je n’ai toutefois pas tenu compte du courriel en question lorsque j’ai rendu ma décision de rejeter la requête de M. Richards et de la Commission. À mon avis, le fait d’interpréter les règles du privilège de la façon suggérée par la Commission équivaudrait à cautionner un comportement que le Tribunal n’a aucune raison d’encourager, que ce soit dans la présente affaire ou dans toute autre affaire. Je suis d’accord avec le SCC pour dire que la communication par la Commission d’une proposition formulée par une autre partie en vue de résoudre une question, qu’il s’agisse d’une question procédurale ou autre, ne devrait pas être encouragée par le Tribunal. Ce type de pratique est loin de correspondre aux attentes du Tribunal à l’égard de parties qui ont eu pour directive de collaborer afin de résoudre des questions procédurales et qui tentent de négocier en toute bonne foi.
[19] J’ai déjà intimé aux parties de gérer leur cause de manière proportionnelle et de choisir leurs batailles judicieusement (voir, par exemple, 2023 TCDP 51, au par. 27–29). Les parties doivent déployer des efforts ciblés et non se quereller au sujet de communications qui ont été échangées dans un climat de confiance dans le but de résoudre une question procédurale, qu’elles aient été protégées par un privilège de façon officielle ou non. Le différend entre les parties ayant découlé de la décision de la Commission de communiquer le courriel en question a eu pour effet d’amener les avocats, de même que le Tribunal, à consacrer des ressources à cette question à un moment où toutes les parties devraient être en train de se préparer en vue de l’audience qui doit reprendre dans un peu plus d’un mois. Une telle approche, qui minera de futurs règlements ou de futures tentatives de négocier, n’est pas dans l’intérêt de M. Richards ni d’autres plaideurs dont les dossiers sont en suspens pendant que le Tribunal consacre des ressources pour régler le différend en l’espèce.
IV. ORDONNANCE
[20] La demande de M. Richards est rejetée. Les parties doivent se conformer aux directives et aux décisions sur requête du Tribunal et se préparer en vue de la reprise de l’audience en juin. Le Tribunal n’examinera aucune autre requête ni demande visant l’obtention d’une ordonnance pour l’utilisation d’un ordinateur portatif.
[21] Les demandes du SCC visant la mise sous scellé des documents de la Commission relatifs à la requête sont rejetées. Sa demande d’ordonnance intimant aux parties de ne pas utiliser les documents qui sont déjà en leur possession est également rejetée.
[22] Le greffe communiquera avec les parties pour fixer la date d’une conférence de gestion préparatoire avec les parties en vue de la reprise de l’audience relative à la présente affaire en juin. Toutes les parties doivent se préparer en conséquence.
Signée par
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéro(s) des dossier(s) du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Requête traitée par écrit sans comparution des parties
Observations écrites par :
Ryan Richards, pour son propre compte
Ikram Warsame et Sameha Omer, pour la Commission canadienne des droits de la personne
Dominique Guimond, pour l’intimé