Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2025 TCDP 44

Date : Le 21 mai 2025

Numéros des dossiers : T2511/6820, T2512/6920, T2661/3721, T2667/4321

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Amirmohammad Mobasseri et al.

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, Sécurité publique Canada, Agence des services frontaliers du Canada et Service canadien du renseignement de sécurité

les intimés

Décision

Membre : Jo-Anne Pickel


I. APERÇU

[1] Voici les motifs pour lesquels je rejette les plaintes dont il est question ci-après.

[2] Les plaignants figurant sur la liste ci-dessous faisaient partie d’un groupe d’environ 40 personnes ayant présenté une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») en 2018 ou vers cette période (les « plaintes collectives »). En termes généraux, les plaignants, qui sont tous de nationalité iranienne, soutiennent que Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (« IRCC »), Sécurité publique Canada, l’Agence des services frontaliers du Canada et le Service canadien du renseignement de sécurité, les intimés, ont fait preuve de discrimination à leur égard en raison de leur origine nationale ou ethnique en retardant le traitement de leurs demandes de résidence permanente, de visa ou de citoyenneté. En plus des plaintes collectives, il y a eu des plaintes individuelles présentées par plus de 50 personnes contre IRCC, fondées sur les mêmes allégations que les plaintes collectives.

[3] Comme il est expliqué en détail ci-après, le Tribunal a donné à tous les plaignants plusieurs occasions de combler les lacunes relevées dans leur exposé des précisions. Les plaignants énumérés ci-dessous ne l’ont pas fait :

  • 1.Mojtaba Eslami

  • 2.Zahra Farahnak

  • 3.Ali Haddadnia

  • 4.Sarah Tahereh Khosravi

  • 5.Mohammad Kianpour

  • 6.Pooyan Naghsh

  • 7.Tina Bastani Nejad

  • 8.Hassan Sadeghi Yamchi

[4] Pour faciliter la lecture, je désignerai ces personnes collectivement sous le nom de « plaignants n’ayant pas répondu ». Les intimés ont présenté une requête en rejet des plaintes présentées par les plaignants n’ayant pas répondu.

II. DÉCISION

[5] Les plaintes présentées par les plaignants n’ayant pas répondu sont rejetées. Les plaignants n’ayant pas répondu ne se sont pas conformés à la décision sur requête et aux directives du Tribunal ni aux Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021) (les « Règles de pratique »), et ce, sans fournir d’explication. En outre, rien ne donne à penser que ces personnes ont l’intention de faire progresser leur dossier en comblant les lacunes relevées dans leur exposé des précisions.

III. QUESTIONS EN LITIGE

[6] La présente décision vise à trancher la question en litige suivante : Le défaut des plaignants n’ayant pas répondu de se conformer à la décision sur requête, aux directives et aux Règles de pratique du Tribunal justifie-t-il le rejet des plaintes qu’ils ont présentées?

IV. ANALYSE

A. Les plaignants ont eu plusieurs occasions de combler les lacunes relevées dans leur exposé des précisions

[7] Le long historique des plaintes faisant l’objet de la présente affaire est exposé dans une décision antérieure du Tribunal, Irannejad et al. c. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, Sécurité publique Canada, Agence des services frontaliers du Canada et Service canadien du renseignement de sécurité, 2024 TCDP 23. Comme il est expliqué dans cette décision, le Tribunal a d’abord mis les plaintes en suspens en attendant l’issue de l’enquête de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement (l’« OSSNR »). Le Tribunal a mis fin à la mise en suspens en avril 2024, une fois l’enquête de l’OSSNR terminée. Au départ, le Tribunal avait fixé la date limite du 19 juin 2024 pour la présentation des exposés des précisions par les plaignants. Avec le consentement des parties, le Tribunal a ensuite repoussé cette date limite au 14 août 2024.

[8] Le 30 août 2024, le Tribunal a envoyé un courriel aux plaignants qui n’avaient pas respecté la date limite du 14 août 2024 pour leur demander de déposer leur exposé des précisions le plus tôt possible. Les plaignants n’ayant pas répondu ont présenté leur exposé des précisions initial entre août et novembre 2024.

[9] Au cours d’une conférence de gestion préparatoire tenue en octobre 2024 avec les plaignants ayant présenté les plaintes collectives, la présidente du Tribunal, à qui les plaintes avaient été confiées au départ, a constaté que de nombreux plaignants n’avaient pas encore déposé leur exposé des précisions. Pendant la conférence, les intimés ont affirmé que les exposés des précisions qui avaient été déposés comportaient des lacunes telles qu’ils ne satisfaisaient pas aux Règles de pratique. La présidente a expliqué aux plaignants les renseignements qu’ils devaient inclure dans leur exposé des précisions. Elle a accordé aux plaignants un délai supplémentaire, soit jusqu’au 1er novembre 2024, pour corriger les lacunes relevées dans leur exposé des précisions. Elle a repoussé ainsi la date limite pour éviter tout délai supplémentaire qui aurait été causé si elle avait dû statuer sur une requête officielle présentée par les intimés à ce sujet.

[10] En décembre 2024, le Tribunal a rejeté pour cause d’abandon les plaintes présentées par 19 autres plaignants : Haddadnia et al. c. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, Sécurité publique Canada, Agence des services frontaliers du Canada et Service canadien du renseignement de sécurité, 2024 TCDP 134.

[11] En janvier 2025, j’ai ordonné aux intimés de transmettre au Tribunal une liste des lacunes alléguées pour chacun des exposés des précisions qui, selon les intimés, n’était pas conforme aux Règles de pratique. Après avoir examiné les exposés des précisions des plaignants ainsi que la liste des lacunes alléguées par les intimés, j’ai rendu des décisions sur requête visant les plaignants dont l’exposé des précisions n’était pas conforme. Dans ces décisions, les parties des exposés des précisions qui étaient lacunaires étaient clairement indiquées, de même que les raisons sous-jacentes. J’ai clairement exposé les renseignements que les plaignants devaient fournir pour corriger les lacunes dans leur exposé des précisions et je leur ai donné jusqu’au 3 mars 2025 pour le faire.

[12] Les plaignants n’ayant pas répondu n’ont pas donné suite à ma décision sur requête du 13 février 2025, et la date limite pour le faire est depuis longtemps dépassée. Au cours d’une conférence de gestion préparatoire tenue le 25 mars 2025 avec les parties, les intimés ont affirmé qu’ils demanderaient le rejet de toute plainte présentée par les plaignants n’ayant pas donné suite à ma décision sur requête du 13 février 2025 visant la correction des lacunes relevées dans les exposés des précisions. J’ai ordonné aux intimés de présenter leur requête au plus tard le 1er avril 2025 et j’ai fixé au 15 avril 2025 la date limite pour que les plaignants n’ayant pas répondu présentent leur réponse à la requête. Après la présentation de la requête par les intimés le 1er avril 2025, j’ai envoyé un courriel à tous les plaignants visés pour leur rappeler que la date limite pour le dépôt de leur réponse à la requête était le 15 avril 2025. Parmi les plaignants n’ayant pas répondu, aucun n’a présenté de réponse à la requête des intimés. Par ailleurs, je n’ai obtenu aucune information des plaignants n’ayant pas répondu concernant quelque défi ou situation personnelle que ce soit qui aurait pu expliquer qu’ils ne répondent pas à ma décision sur requête du 13 février 2025 ou à la requête en rejet des plaintes présentée par les intimés.

B. Principes juridiques et leur application

[13] Il est très important que les personnes aient la possibilité de présenter une plainte de discrimination à un tribunal des droits de la personne financé par les fonds publics. Toutefois, cette possibilité s’accompagne de l’obligation de suivre les processus du Tribunal et de se conformer à ses décisions sur requête, directives et Règles de pratique. Les processus du Tribunal sont moins formels que ceux d’une cour de justice, car il vise à favoriser l’accès, y compris pour les parties qui, parfois, ne sont pas représentées. Or, il ne faut pas en déduire pour autant que les parties peuvent faire preuve de désinvolture quant aux décisions sur requête ou aux directives du Tribunal. Il peut y avoir des circonstances qui justifient qu’une partie ne se conforme pas à une décision sur requête ou à une directive du Tribunal. Toutefois, le plaignant qui ne répond pas à une décision sur requête ou à une directive du Tribunal sans avoir de raison valable risque de voir sa plainte rejetée (voir la règle 9 des Règles de pratique; voir aussi Ouwroulis v. New Locomotion, 2009 HRTO 335, aux par. 4-7).

[14] Le Tribunal doit instruire les plaintes sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des Règles de pratique (par. 48.9(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6; voir aussi la règle 5 des Règles de pratique). Il incombe aux plaignants de faire progresser leur dossier et de tenir leurs coordonnées à jour (Towedo c. Service correctionnel du Canada, 2024 TCDP 6, aux par. 4 et 5).

[15] Bien que les observations des intimés portent sur la question des délais, je juge que la principale question à trancher dans le contexte de leur requête concerne le défaut des plaignants n’ayant pas répondu de se conformer à la décision sur requête rendue par le Tribunal le 13 février 2025, aux directives et aux Règles de pratique du Tribunal, de même qu’aux délais qu’il a fixés.

[16] Le Tribunal applique le critère énoncé dans la décision Seitz aux cas où une requête est présentée au titre de la règle 9, qui traite des conséquences de la non-conformité avec les Règles de pratique ou les ordonnances rendues par le Tribunal (voir Oleson c. Première Nation de Wagmatcook, 2023 TCDP 3, où est appliqué le critère énoncé dans Seitz c. Canada, 2002 CFPI 456, aux par. 16-18). Pour appliquer ce critère, le Tribunal doit se demander i) s’il y a eu mépris total à l’égard des délais établis par le Tribunal et des Règles de pratique, ii) si l’action a été laissée trop longtemps dormante et iii) si le plaignant semble n’avoir aucune intention de faire aboutir le dossier. En l’absence de contre-arguments des plaignants n’ayant pas répondu, je juge qu’il convient d’appliquer le critère établi dans la décision Seitz pour déterminer si les plaintes devraient être rejetées.

[17] Comme il a été expliqué précédemment, le Tribunal a prorogé le délai accordé aux plaignants plusieurs fois pour leur permettre de remédier aux lacunes relevées dans leur exposé des précisions, ce qui s’est soldé par la décision sur requête qu’il a rendue le 13 février 2025. Parmi les plaignants n’ayant pas répondu, aucun n’a donné suite à la décision sur requête et aucun n’a répondu à la requête en rejet des plaintes en l’espèce. J’estime que les actes des plaignants n’ayant pas répondu s’apparentent à un mépris total à l’égard de la décision sur requête, des directives et des Règles de pratique du Tribunal. Comme il a déjà été expliqué, ces plaignants ont eu plusieurs occasions de corriger les lacunes relevées dans leur exposé des précisions, mais ils n’en ont rien fait pendant une période variant, selon le cas, entre six et neuf mois.

[18] Je suis également d’accord avec les intimés pour dire que les plaintes présentées par les plaignants n’ayant pas répondu ont été laissées dormantes pendant trop longtemps, les lacunes qu’elles contenaient n’ayant pas été corrigées pendant six à neuf mois. Plus important encore, rien ne donne à penser que l’un ou l’autre des plaignants n’ayant pas répondu ait l’intention de faire progresser son dossier en corrigeant les lacunes relevées dans son exposé des précisions. Deux autres plaignants ont remédié aux lacunes relevées dans leur exposé des précisions après avoir reçu la requête en rejet des plaintes présentée par les intimés. Je ne rejette donc pas les plaintes de ces plaignants. Au contraire, pour ce qui est des plaignants n’ayant pas répondu, aucun n’a pris quelque mesure que ce soit pour répondre à la requête des intimés ou corriger les lacunes relevées dans son exposé des précisions après avoir pris connaissance de la requête en rejet des plaintes présentée par les intimés. Dans ces circonstances, rien n’indique que les plaignants n’ayant pas répondu aient jamais l’intention de corriger les lacunes relevées dans leur exposé des précisions.

[19] Je suis tout à fait consciente que bon nombre des plaignants qui sont partie aux affaires connexes dont il est ici question se sentent frustrés en raison du long délai écoulé depuis qu’ils ont présenté leur plainte. Toutefois, il ne s’agit pas d’une raison valable pour ne pas tenir compte des décisions sur requête et des directives du Tribunal, lesquelles visent expressément à faire progresser les plaintes, de la façon la plus expéditive possible, tout en assurant le respect des principes d’équité procédurale envers les intimés.

V. ORDONNANCE

[20] Pour les motifs susmentionnés, les plaintes présentées par les personnes suivantes sont rejetées :

1. Mojtaba Eslami

2. Zahra Farahnak

3. Ali Haddadnia

4. Sarah Tahereh Khosravi

5. Mohammad Kianpour

6. Pooyan Naghsh

7. Tina Bastani Nejad

8. Hassan Sadeghi Yamchi

[21] Le greffe enverra une lettre aux plaignants n’ayant pas répondu afin de confirmer que leur nom a été retiré des plaintes collectives et rayé des listes que la Commission a mentionnées dans le cadre de la présente instance. Leur plainte ne sera pas traitée dans le cadre de l’instruction des plaintes collectives.

[22] Étant donné que la plainte d’Ali Haddadnia est rejetée, l’intitulé de la cause relative aux plaintes collectives sera modifié pour afficher le nom du plaignant qui est le suivant dans l’annexe des noms, soit celui d’Amirmohammad Mobasseri. Ainsi, les intitulés de cause pour les plaintes collectives seront dorénavant les suivants : Mobasseri et al. c. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, Mobasseri et al. c. Sécurité publique Canada, Mobasseri et al. c. Agence des services frontaliers du Canada et Mobasseri et al. c. Service canadien du renseignement de sécurité. Le Tribunal poursuivra l’instruction des plaintes des autres plaignants dans le cadre de la présente instance.

Signée par

Jo-Anne Pickel

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 21 mai 2025

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéros des dossiers du Tribunal : T2511/6820, T2512/6920, T2661/3721, T2667/4321

Intitulé de la cause : Amirmohammad Mobasseri et al. c. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada; Amirmohammad Mobasseri et al. c. Sécurité publique Canada; Amirmohammad Mobasseri et al. c. Agence des services frontaliers du Canada; Amirmohammad Mobasseri et al. c. Service canadien du renseignement de sécurité

Date de la décision du Tribunal : Le 21 mai 2025

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

J. Sanderson Graham, Helen Gray, Jennifer Francis et Clare Gover , pour les intimés

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