Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2025 TCDP 47

Date : Le 21 mai 2025

Numéro du dossier : T2557/11420

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Narges Mahmoudi

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada

l’intimé

Décision

Membre : Jo-Anne Pickel

 


 

I. APERÇU

[1] Voici les motifs pour lesquels je rejette la plainte.

[2] Le plaignant et plus de 50 autres personnes ont déposé des plaintes auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») vers 2018 (les « plaintes individuelles »). En termes généraux, les plaignants, qui sont tous de nationalité iranienne, allèguent que l’intimé, c’est-à-dire Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (« IRCC »), a fait preuve de discrimination à leur égard en raison de leur origine nationale ou ethnique en retardant le traitement de leurs demandes de statut de résidence permanente, de visa ou de citoyenneté. En plus de ces plaintes, un groupe de plus de 40 autres plaignants ont déposé des plaintes contenant les mêmes allégations contre IRCC, l’Agence des services frontaliers du Canada et le Service canadien du renseignement de sécurité (les « plaintes collectives »).

[3] Comme précisé ci-dessous, le Tribunal a donné au plaignant plusieurs occasions de corriger les lacunes de son exposé des précisions, mais celui-ci ne l’a pas fait. L’intimé a déposé une requête en vue de faire rejeter la plainte.

II. DÉCISION

[4] J’accueille la requête en rejet de la plainte présentée par l’intimé. Le plaignant n’a pas respecté la décision et les directives du Tribunal ni les Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 (les « Règles de pratique »), sans fournir aucune explication. De plus, rien ne permet de croire qu’il a l’intention de faire avancer son dossier en remédiant aux lacunes de son exposé des précisions.

III. QUESTION EN LITIGE

[5] La présente décision traite de la question suivante : le non-respect par le plaignant de la décision, des directives et des Règles de pratique du Tribunal justifie-t-il le rejet de sa plainte?

IV. ANALYSE

A. Multiples possibilités offertes pour remédier aux lacunes de l’exposé des précisions

[6] Les plaintes connexes mentionnées ci-dessus ont un long historique qui est décrit dans une décision antérieure du Tribunal : Irannejad et al. c. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, Sécurité publique Canada, Agence des services frontaliers du Canada et Service canadien du renseignement de sécurité, 2024 TCDP 23. Comme il est expliqué en détail dans cette décision, le Tribunal a initialement mis les plaintes en suspens en attendant le résultat de l’examen de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement (l’« OSSNR »). Le Tribunal a mis fin à la mise en suspens en avril 2024, au terme de l’examen de l’OSSNR. Le Tribunal a d’abord fixé au 14 août 2024 la date limite à laquelle le plaignant devait déposer son exposé des précisions. Le plaignant a déposé son exposé des précisions le 15 août 2024.

[7] En décembre 2024, le Tribunal a rejeté les plaintes déposées par 19 autres plaignants pour cause d’abandon : Haddadnia et al. c. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, Sécurité publique Canada, Agence des services frontaliers du Canada, Service canadien du renseignement de sécurité, 2024 TCDP 134.

[8] Lors d’une conférence de gestion préparatoire à laquelle ont participé les plaignants qui ont déposé des plaintes individuelles contre IRCC en janvier 2025, l’intimé a fait valoir que la plupart des exposés des précisions qui avaient été déposés étaient lacunaires au point de ne pas être conformes aux Règles de pratique. L’intimé a fait remarquer que bon nombre des plaignants avaient utilisé un modèle d’exposé des précisions qui n’était pas suffisamment adapté à la situation particulière de chaque plaignant. La présidente du Tribunal, qui était alors responsable de ces dossiers, a expliqué aux plaignants les informations qui devaient figurer dans l’exposé des précisions. Elle a prorogé jusqu’au 21 janvier 2025 le délai accordé au plaignant et aux autres plaignants individuels pour remédier aux lacunes de leurs EDP. Même après cette date, l’intimé a continué à soutenir que de nombreux exposés des précisions étaient lacunaires, y compris celui du plaignant.

[9] En janvier 2025, j’ai ordonné à l’intimé de transmettre au Tribunal une liste des lacunes alléguées pour chaque exposé des précisions qui, selon lui, n’était pas conforme aux Règles de pratique. J’ai examiné chacun des exposés des précisions visés et la liste des lacunes alléguées dressée par l’intimé. Par la suite, le 13 février 2025, j’ai rendu des décisions sur requête enjoignant aux plaignants concernés de remédier aux lacunes relevées dans leur exposé des précisions. Dans ces décisions, j’ai précisé quelles parties de chaque exposé des précisions étaient déficientes et j’ai expliqué pourquoi elles l’étaient. J’ai clairement énuméré les informations que chaque plaignant devait fournir pour corriger son exposé des précisions. J’ai accordé aux plaignants jusqu’au 3 mars 2025 pour remédier aux lacunes relevées dans leur exposé des précisions. Le plaignant était l’un des plaignants concernés. Il n’a pas répondu à ma décision sur requête du 13 février 2025, et le délai pour le faire est largement dépassé.

[10] Lors d’une conférence de gestion préparatoire à laquelle ont participé les parties le 25 mars 2025, l’intimé a indiqué qu’il demanderait le rejet de toutes les plaintes déposées par les plaignants qui n’auraient pas répondu à ma décision sur requête du 13 février 2025. J’ai ordonné à l’intimé de déposer ses requêtes avant le 1er avril 2025 et j’ai fixé au 15 avril 2025 la date limite à laquelle les plaignants concernés devaient déposer leur réponse. Après que l’intimé eut déposé ses requêtes le 1er avril 2025, j’ai envoyé un courriel à tous les plaignants concernés pour leur rappeler que la date limite pour répondre aux requêtes était le 15 avril 2025. Le plaignant n’a jamais répondu à la requête de l’intimé. En outre, je n’ai reçu aucune information concernant les difficultés ou la situation personnelle du plaignant qui pourrait expliquer qu’il n’ait pas donné suite à ma décision sur requête du 13 février 2025 ni à la requête de l’intimé visant à faire rejeter sa plainte.

B. Les principes juridiques et leur application

[11] La possibilité pour un individu de porter plainte pour discrimination devant un tribunal des droits de la personne financé par l’État revêt une grande importance. Toutefois, cette possibilité vient avec l’obligation de suivre la procédure du Tribunal et de se conformer à ses décisions, directives et Règles de pratique. La procédure du Tribunal est moins formelle que celle d’une cour de justice et vise à faciliter l’accès à la justice, notamment pour les parties qui agissent pour leur propre compte. Toutefois, ce n’est pas parce que la procédure est moins formelle que les parties peuvent faire preuve de désinvolture à l’égard des décisions ou des directives du Tribunal. Certaines circonstances peuvent justifier le non-respect d’une décision ou d’une directive du Tribunal par une partie. Toutefois, un plaignant qui ne se conforme pas à une décision ou à une directive du Tribunal, sans raison valable risque de voir sa plainte rejetée (voir la règle 9 des Règles de pratique; voir également Ouwroulis v. New Locomotion, 2009 HRTO 335, aux par. 4 à 7).

[12] Le Tribunal doit mener les procédures de la manière la plus informelle et la plus rapide possible, dans le respect des principes de justice naturelle et des Règles de pratique (voir le par. 48.9(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6); voir également l’art. 5 des Règles de pratique). Il incombe au plaignant de faire avancer son dossier et de fournir ses coordonnées les plus récentes (Towedo c. Service correctionnel Canada, 2024 TCDP 6, aux par. 4 et 5).

[13] Bien que l’intimé ait axé ses observations sur la question du retard, je suis d’avis que la question principale soulevée dans sa requête concerne le non-respect par le plaignant de la décision sur requête du Tribunal, datée du 13 février 2025, de ses directives et de ses Règles de pratique.

[14] Le Tribunal a appliqué un critère appelé le « critère de Seitz » dans les affaires où une requête a été présentée au titre de l’article 9 des Règles de pratique, qui traite des conséquences de la non-conformité aux Règles de pratique ou aux ordonnances du Tribunal (voir Oleson c. Première Nation de Wagmatcook, 2023 TCDP 3, appliquant le critère élaboré dans Seitz c. Canada, 2002 CFPI 456, aux par. 16 à 18). Selon ce critère, le Tribunal doit se demander si (i) si le plaideur n’a tenu absolument aucun compte des délais et des règles que le Tribunal a établis; (ii) l’affaire est restée dormante trop longtemps; et (iii) le plaideur ne semble pas avoir l’intention de faire aboutir l’affaire. En l’absence d’argument contraire de la part du plaignant, je suis prête à conclure qu’il convient d’appliquer le critère de Seitz pour déterminer si cette plainte doit être rejetée.

[15] Comme indiqué précédemment, j’ai accordé au plaignant plusieurs prorogations de délai afin qu’il puisse remédier aux lacunes de son exposé des précisions, jusqu’à ce que je rende ma décision sur requête du 13 février 2025. Le plaignant n’a jamais répondu à ma décision sur requête ni à la requête de l’intimé visant à faire rejeter sa plainte. Dans ces circonstances, je conclus que le fait que le plaignant n’ait toujours pas remédié aux lacunes de son exposé des précisions constitue un mépris total de la décision, des directives et des Règles de pratique du Tribunal.

[16] Je suis également d’accord avec l’intimé pour dire que cette plainte est demeurée dormante trop longtemps puisque le plaignant n’a rien fait pour remédier aux lacunes de son exposé des précisions pendant près de huit mois. Plus important encore, rien n’indique que le plaignant ait l’intention de faire avancer son dossier en corrigeant les lacunes de son exposé des précisions. Deux autres plaignants ont remédié aux lacunes qui avaient été relevées dans leur exposé des précisions après avoir reçu la requête en rejet de l’intimé. Je ne rejette pas leurs plaintes. En revanche, le plaignant n’a pris aucune mesure pour répondre à la requête de l’intimé ou pour corriger les lacunes de son exposé des précisions, même après avoir reçu la requête en rejet. Dans ces circonstances, rien n’indique que le plaignant ait l’intention de corriger les lacunes de son exposé des précisions.

[17] Je suis pleinement consciente que bon nombre des plaignants dans ces affaires connexes sont frustrés du fait que beaucoup de temps s’est écoulé depuis le dépôt de leur plainte. Toutefois, cela ne constitue pas une raison valable pour ignorer les décisions sur requêtes et les directives du Tribunal, qui visent précisément à faire avancer les plaintes aussi rapidement que possible tout en respectant l’équité procédurale pour l’intimé.

V. ORDONNANCE

[18] Pour les motifs qui précèdent, la présente plainte est rejetée.

 

Signée par

Jo-Anne Pickel

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 21 mai 2025

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : T2557/11420

Intitulé de la cause : Narges Mahmoudi c Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada

Date de la décision du Tribunal : Le 21 mai 2025

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

J. Sanderson Graham, Helen Gray, Jennifer Francis et Clare Gover pour l’intimé

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