Contenu de la décision
Tribunal canadien |
|
Canadian Human |
Référence :
Date : Le
Numéro du dossier :
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Entre :
le plaignant
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
la partie intimée
Décision sur requête
Membre :
Table des matières
I. APERÇU
[1] Le plaignant, Amit Arora, a déposé auprès de la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a renvoyé sa plainte au Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») pour instruction. L’intimée, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le « CN »), demande la suspension de l’instance en attendant l’issue du contrôle judiciaire.
[2] M. Arora s’oppose à la requête du CN.
II. DÉCISION
[3] La requête est rejetée.
III. QUESTION EN LITIGE
[4] L’intérêt de la justice exige-t-il que l’instance relative à la présente plainte soit suspendue jusqu’à ce que la Cour fédérale statue sur la demande de contrôle judiciaire?
IV. ANALYSE
[5] M. Arora travaillait pour le CN. Le 9 novembre 2019, il a déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne contre le CN, dans laquelle il affirmait avoir subi un traitement défavorable et avoir été congédié sur la base de plusieurs motifs de distinction illicites. Il faisait mention d’au moins 29 incidents impliquant le CN qui, selon lui, seraient survenus entre le 14 janvier 2016 et le 29 mars 2018.
[6] Le 21 février 2025, la Commission a renvoyé la plainte au Tribunal pour instruction. Dans sa lettre de renvoi adressée au Tribunal, la Commission a indiqué qu’elle ne saisissait le Tribunal que du dernier des incidents énumérés, décrit comme étant « l’incident lié à l’enlèvement des poteaux » du 29 mars 2018. Elle a joint à sa lettre le compte rendu de sa décision daté du 19 février 2025, dans lequel il était précisé que seul l’incident lié à l’enlèvement des poteaux ferait l’objet d’un renvoi au Tribunal. Les autres incidents ne seraient pas portés à l’attention du Tribunal.
[7] Le 24 mars 2025, M. Arora a déposé auprès de la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission a refusé [traduction] « de porter un plus grand nombre d’incidents à l’attention du Tribunal ». Autrement dit, il a demandé le contrôle de la décision de la Commission de ne pas saisir le Tribunal des autres incidents.
[8] Après avoir reçu la plainte de la Commission, le Tribunal a fixé les délais dans lesquels les parties devaient déposer leur exposé des précisions, et les autres documents requis. M. Arora devait déposer ses documents le 8 mai 2025 et le CN, le 28 mai 2025. La Commission ne participe qu’à l’étape de la gestion de l’instance. Elle ne déposera pas d’exposé de précisions et ne comparaîtra pas à l’audience.
[9] Le 8 avril 2025, le CN a demandé au Tribunal de suspendre l’instance en attendant l’issue de la demande de contrôle judiciaire.
[10] Aux paragraphes 8 à 11 de la décision sur requête Adams c. Laboratoires Nucléaires Canadiens, 2024 TCDP 87, le Tribunal a résumé le droit applicable aux requêtes en suspension d’instance. Pour statuer sur une telle requête, le Tribunal doit déterminer s’il existe des considérations liées à l’intérêt de la justice qui justifient de faire droit à la requête. Ces considérations peuvent porter sur le risque de dédoublement des ressources judiciaires et juridiques, la durée de la suspension demandée, le motif de la requête, la perte potentielle de ressources judiciaires, l’état d’avancement de la procédure et tout préjudice éventuellement causé aux parties. Les requêtes en suspension d’instance ne devraient être accueillies que dans des circonstances exceptionnelles. Le CN affirme qu’il y a en l’espèce des circonstances exceptionnelles qui justifient une telle suspension.
[11] Le CN soutient que si la Cour fédérale accueille la demande de M. Arora, il y aura alors un dédoublement des procédures et des arguments. Il pourrait également devoir modifier sa défense contre l’allégation relative à l’enlèvement des poteaux si la Cour élargissait la portée de l’affaire.
[12] Cependant, je trouve que la requête du CN repose en réalité sur la question plus pointue des obligations de communication qui lui incombent en raison des déclarations faites par M. Arora lors d’une conférence de gestion d’instance que j’ai tenue le 24 avril 2025. Pendant cette conférence de gestion de l’instance, M. Arora a déclaré que, dans son exposé des précisions et dans les documents devant être communiqués, il serait question des autres incidents énumérés dans la plainte initialement déposée auprès de la Commission. Il a fait remarquer que, dans son compte rendu de décision, la Commission évoquait la possibilité pour les parties de présenter à l’audience du Tribunal des éléments de preuve concernant la relation qu’il entretenait avec son supérieur hiérarchique au CN. Ces éléments de preuve permettraient de mieux comprendre le contexte dans lequel s’est produit l’incident lié à l’enlèvement des poteaux et d’évaluer la question de la discrimination raciale.
[13] Compte tenu des intentions de M. Arora, le CN allègue que celui-ci tente de procéder comme s’il avait déjà obtenu gain de cause dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire. Advenant que tel soit le cas, le CN serait tenu de produire des documents qui dépassent la portée de la plainte que la Commission a renvoyée au Tribunal pour instruction.
[14] Je ne suis pas du même avis. Le fait que M. Arora ait déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission n’a aucune incidence sur la question de la communication des documents soulevée par le CN.
[15] La décision de la Commission était claire. Seul l’incident lié à l’enlèvement des poteaux était porté à l’attention du Tribunal. La véritable question que doit trancher le Tribunal en ce qui concerne la communication des documents est la suivante : la preuve relative aux autres incidents est-elle potentiellement pertinente pour l’affaire dont est saisi le Tribunal, que ce soit pour fournir du contexte ou pour toute autre raison? Comme je l’ai mentionné lors de la conférence de gestion de l’instance, si le CN estime que l’une ou l’autre des allégations contenues dans l’exposé des précisions de M. Arora ou dans les documents requis ne se rapporte pas à l’incident qui a été porté à l’attention du Tribunal, il peut alors soulever son objection et ce sera au Tribunal de trancher.
[16] Le CN n’a pas besoin que la Cour fédérale se prononce pour s’opposer à ce que d’autres incidents soient ajoutés à l’exposé des précisions de M. Arora et aux documents devant être communiqués. Le Tribunal sera en mesure de se pencher sur ces objections. En fait, même si M. Arora n’avait pas déposé sa demande de contrôle judiciaire, le Tribunal serait tout de même appelé à se prononcer sur les questions relatives à la communication. Plus particulièrement, le Tribunal devrait déterminer si les autres incidents sont pertinents à l’égard de l’affaire que lui a renvoyée la Commission et si, le cas échéant, les éléments de preuve se rapportant à ces incidents devraient être versés au dossier.
[17] Il n’y a donc aucun lien avec la demande de contrôle judiciaire en instance.
[18] En outre, même si la demande de contrôle judiciaire est accueillie, il y a fort à parier que l’affaire sera renvoyée à la Commission pour qu’elle l’examine à nouveau. Toutefois, rien ne garantit que la Commission portera l’un ou l’autre de ces autres incidents à l’attention du Tribunal. Par conséquent, il est loin d’être certain qu’il y aura un dédoublement des procédures et des arguments.
[19] Le CN soutient que sa demande visant à préciser la portée de l’affaire n’entraînera qu’un [traduction] « ajournement de courte durée », mais permettra d’obtenir un gain à long terme. Il m’a renvoyé à la décision sur requête Baillie c. Air Canada, 2012 TCDP 6 [Baillie], dans laquelle le Tribunal a conclu qu’il est plus équitable et plus juste et expéditif à long terme de laisser une affaire qui « comporte des questions litigieuses identiques ou essentiellement semblables suivre son cours » au sein du système judiciaire ou du système de justice administrative que de tenir dans chaque cas une audience. Cependant, la décision sur requête Baillie a été rendue dans un contexte complètement différent. Dans cette affaire, il y avait plusieurs plaintes à l’égard desquelles le Tribunal avait rendu plusieurs décisions différentes. Ces décisions ont fait l’objet de plusieurs contrôles judiciaires devant la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale. Plus important encore, les questions dont étaient saisies les cours étaient les mêmes que celles dont était saisi le Tribunal.
[20] Or, ce n’est pas le cas en l’espèce. Le Tribunal n’a pas à se prononcer sur la compétence de la Commission ou sur la portée de la plainte qui aurait dû être renvoyée pour instruction. Le Tribunal doit simplement déterminer si les éléments de preuve se rapportant aux incidents autres que celui lié à l’enlèvement des poteaux sont pertinents à l’égard de la partie de la plainte qui lui a été renvoyée. Il appartiendra donc au membre instructeur de trancher cette question, comme toute autre question de preuve. Il n’est aucunement question de savoir si la Commission a correctement exercé son pouvoir lorsqu’elle a choisi les parties de la plainte qui devaient être traitées. Cette question ne sera pas examinée de nouveau si l’affaire suit son cours, contrairement à ce que prétend le CN.
[21] Je tiens également à souligner qu’il ne me semble pas évident que le sursis accordé pour permettre à la Cour fédérale de statuer et à la Commission de rendre ses décisions, le cas échéant, serait « de courte durée ». Même si la demande de contrôle judiciaire est accueillie, il est fort probable que les autres incidents énumérés dans la plainte soient renvoyés à la Commission pour qu’elle les examine à nouveau.
[22] Pour ces motifs, je ne suis pas d’avis que l’intérêt de la justice exige la suspension du processus d’audience du Tribunal. Il n’existe aucune circonstance exceptionnelle justifiant une telle suspension.
[23] Enfin, je note que, le 9 mai 2025, M. Arora a déposé des observations supplémentaires sur la requête, même si je ne lui ai jamais demandé de répondre à la réplique du CN. Je n’ai pas tenu compte de ces observations dans les présents motifs, à l’exception de la demande qu’il a déposée en vue de faire proroger le délai pour déposer son exposé des précisions, à laquelle je fais droit. Quoi qu’il en soit, il semble que la plupart des observations supplémentaires portent sur le bien-fondé de la plainte plutôt que sur la requête ou qu’ils ne sont pas pertinents.
V. ORDONNANCE
[24] La requête est rejetée.
[25] Le délai pour déposer les exposés des précisions et les documents connexes est prorogé comme suit :
Le plaignant doit déposer son exposé des précisions et les documents connexes (y compris les copies des documents — article 23 des Règles) au plus tard le 6 juin 2025.
L’intimée doit déposer son exposé des précisions et les documents connexes (y compris les copies des documents — article 23 des Règles) au plus tard le 27 juin 2025.
Le plaignant doit déposer sa réplique à l’exposé des précisions de l’intimée au plus tard le 7 juillet 2025.
Signée par
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéro du dossier du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Requête traitée par écrit sans comparution des parties
Observations écrites par :
Khizer Pervez, pour la Commission