Tribunal canadien des droits de la personne
Informations sur la décision
Dans cette décision sur requête, le Tribunal détermine les réparations qu’il convient d’accorder à Jamison Todd (le « plaignant »).
Le Tribunal avait déjà conclu qu’OC Transpo (l’« intimée ») avait fait preuve de discrimination lorsqu’elle avait congédié le plaignant en tenant compte des absences liées à la déficience de celui-ci. Toutefois, le Tribunal estime que l’intimée aurait tout de même mis fin à son emploi.
Par conséquent, le Tribunal conclut qu’il ne peut pas accorder au plaignant une indemnité pour perte de salaire, une réintégration dans son ancien poste, ni des dommages-intérêts découlant de son congédiement. En effet, il est plus probable qu’improbable qu’il aurait perdu son emploi même s’il n’y avait pas eu de discrimination. Autrement dit, il n’a pas perdu son emploi à cause de la discrimination.
Contenu de la décision
Tribunal canadien |
|
Canadian Human |
Référence : 2025 TCDP
Date : Le
Numéro du dossier :
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Entre :
le plaignant
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
l’intimée
Décision sur requête
Membre :
Table des matières
Conclusions de fait pertinentes
Droit applicable en matière de lien de causalité
Portée des mesures de réparation
Réintégration et relation entre les parties
I. APERÇU
[1] À l’audition de la plainte déposée par Jamison Todd (le « plaignant »), les parties ont convenu que l’instance serait scindée. De plus, les parties ont reconnu que certaines des réparations demandées par M. Todd (y compris la demande de restitution de ses droits à pension) nécessiteraient le recours à plusieurs experts, sans compter les importants coûts y afférent. Par conséquent, dans l’éventualité où la plainte de M. Todd serait accueillie, j’ai jugé qu’il serait plus efficace et plus rapide pour les parties d’attendre qu’une conclusion soit tirée quant à la question de la responsabilité avant de présenter leur preuve concernant le calcul des dommages-intérêts découlant des pertes de salaire et/ou de la réintégration.
[2] Une première audience devant le Tribunal devait porter sur les éléments de preuve relatifs à la détermination de la responsabilité, et, si nécessaire, une deuxième audience serait convoquée pour que les parties puissent présenter des éléments de preuve concernant les mesures de réparations découlant de la décision du Tribunal sur la responsabilité (la « décision sur la responsabilité ») (Todd c. Ville d’Ottawa, 2020 TCDP 26).
[3] Le Tribunal a rendu la décision sur la responsabilité le 13 août 2020.
[4] Cette décision a fait l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale. Dans une décision rendue le 21 avril 2022, la Cour fédérale a confirmé la décision sur la responsabilité, ce qui signifie que le Tribunal doit maintenant examiner les réparations qu’il convient d’accorder à M. Todd relativement à sa plainte. Au-delà du fait que la décision sur la responsabilité a été confirmée par la Cour fédérale, je n’ai pas pris en compte le contrôle judiciaire ou les positions adoptées par les parties dans cette instance pour rendre ma décision quant à la présente requête.
II. REQUÊTE
[5] Dans la décision sur la responsabilité, le Tribunal a tiré une série de conclusions factuelles sur le congédiement de M. Todd par la ville d’Ottawa, qui exploite OC Transpo[1].
[6] L’intimée a présenté une requête visant à préciser l’étendue des mesures de réparation que M. Todd peut réclamer au cours de la deuxième audience, faisant valoir que, compte tenu des conclusions tirées à l’étape relative à détermination de la responsabilité, le Tribunal ne peut ordonner le versement d’une indemnité pour perte de salaire ou la réintégration de M. Todd dans son emploi chez OC Transpo. Elle fait valoir que le lien de causalité entre le comportement que le Tribunal a jugé discriminatoire et la perte d’emploi de M. Todd avait été rompu par la propre conduite de M. Todd. OC Transpo soutient également que le fait de placer M. Todd dans la position dans laquelle il aurait été n’eût été la conduite discriminatoire d’OC Transpo ne changerait rien au fait qu’il a perdu son emploi.
[7] M. Todd n’est pas de cet avis et il soutient que la conclusion du Tribunal selon laquelle OC Transpo a adopté une conduite discriminatoire à son égard lorsqu’elle l’avait congédié lui donne le droit d’être replacé dans la position dans laquelle il aurait été s’il n’avait pas été congédié, y compris d’être réintégré dans ses fonctions chez OC Transpo et d’être indemnisé pour les salaires et avantages sociaux perdus (y compris les droits à pension) depuis son congédiement.
[8] À la suite de l’échange d’observations écrites, OC Transpo a demandé au Tribunal de tenir une audience pour instruire la requête. Pour faire droit à la demande d’OC Transpo, j’ai pris diverses décisions procédurales concernant le déroulement de l’audience, mais j’ai essentiellement demandé aux parties de me fournir leurs observations sur les conclusions tirées dans la décision sur la responsabilité qui faisaient état de la présence ou de l’absence d’un lien de causalité entre la pratique discriminatoire établie et les réclamations pour perte de salaire et la réintégration.
[9] L’audience s’est tenue le 18 janvier 2024. Je remercie les avocats des deux parties pour leurs observations détaillées, leurs arguments exhaustifs et leurs réponses minutieuses à mes questions.
III. DÉCISION
[10] La requête est accueillie.
[11] Suivant mon examen des observations écrites et orales des parties, de la jurisprudence pertinente et de la décision du Tribunal sur la responsabilité, et pour les motifs exposés ci-après, le Tribunal ne peut faire droit à la demande de réintégration de M. Todd ainsi qu’aux réclamations pour perte de salaire ou pour autres dommages indirects découlant de son congédiement par OC Transpo.
IV. QUESTION EN LITIGE
[12] La seule question à trancher dans le cadre la présente requête est celle de savoir si, compte tenu des conclusions tirées dans la décision sur la responsabilité, le Tribunal peut accorder à M. Todd une réintégration, une indemnisation pour perte de salaire et/ou pour les dommages indirects découlant de son congédiement.
V. ANALYSE
Question en litige : La décision sur la responsabilité limite-t-elle l’étendue des réparations que peut réclamer M. Todd, à savoir qu’il ne peut demander au Tribunal de rendre une ordonnance d’indemnisation pour perte de salaire ou de réintégration?
[13] Compte tenu des conclusions de fait tirées dans la décision sur la responsabilité, M. Todd ne peut établir de lien de causalité entre son congédiement et le comportement discriminatoire d’OC Transpo.
Conclusions de fait pertinentes
[14] Dans la décision sur la responsabilité, j’ai tiré les conclusions suivantes, lesquelles limitent toute réparation ultérieure :
- OC Transpo n’a pas fait preuve de discrimination à l’égard de M. Todd en l’assujettissant à un contrat d’emploi permanent à son retour au travail en 2012 (aux paragraphes 352 et 379);
- L’assujettissement de M. Todd à un contrat d’emploi permanent n’était pas lié à sa déficience (au paragraphe 343);
- M. Todd a omis de coopérer avec OC Transpo en ne respectant pas les exigences du contrat d’emploi permanent et, conformément aux modalités de cette entente, il n’était pas discriminatoire de le congédier pour avoir enfreint le contrat d’emploi permanent (au paragraphe 380);
- La décision de congédier M. Todd pour violation du contrat d’emploi permanent n’était pas discriminatoire au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « Loi »), car il n’y avait aucun lien entre cette décision et les déficiences de M. Todd (au paragraphe 355);
- Un employé ayant une déficience peut également être congédié à juste titre en raison de la violation d’un contrat d’emploi permanent correctement mis en place (au paragraphe 368);
- Le Tribunal n’avait aucune raison de s’ingérer dans l’application contractuelle du contrat d’emploi permanent (au paragraphe 352);
- Au moment de procéder au congédiement, OC Transpo a mentionné une justification supplémentaire, soit [traduction] « l’absentéisme excessif continu » de M. Todd (au paragraphe 355);
- En incluant l’ensemble des antécédents d’absentéisme de M. Todd en tant qu’un des deux motifs de son congédiement, sans distinguer les absences liées à sa déficience ni justifier sa conduite comme la Loi le permet, OC Transpo a fait preuve de discrimination à l’égard de M. Todd (au paragraphe 381).
Droit applicable en matière de lien de causalité
[15] Le Tribunal, ayant jugé la plainte partiellement fondée, doit maintenant, au titre du paragraphe 53(2) de la Loi, rendre une ordonnance qui offre au plaignant une réparation pour la discrimination qu’il a subie et (suivant l’alinéa 53(2)a)) qui vise à prévenir qu’une telle discrimination ne se reproduise à l’avenir. En d’autres termes, le Tribunal doit replacer le plaignant dans la situation où il se trouverait s’il n’y avait pas eu de discrimination et prévenir toute discrimination future. Le rôle du Tribunal est d’ordonner des mesures de réparation pour tout dommage occasionné par la discrimination.
[16] Si un plaignant établit la responsabilité à l’égard de la discrimination, il peut demander au Tribunal d’ordonner la réparation du préjudice qu’il a subi en raison de cette discrimination, à condition qu’il puisse prouver, selon la prépondérance des probabilités, le lien de causalité entre la discrimination et la réparation. C’est ce qu’on appelle établir le lien de causalité, et cette démarche est tout à fait distincte de l’exercice que le Tribunal entreprend à l’étape de l’examen de la responsabilité, où il examine le lien entre la conduite préjudiciable et la caractéristique protégée du plaignant.
[17] Le droit relatif au lien de causalité est très bien établi. La Cour suprême du Canada a exposé le critère permettant de prouver l’existence du lien de causalité, notamment dans l’arrêt Clements c. Clements, 2012 CSC 32, [2012] 2 R.C.S. 181 [Clements], où la juge en chef McLachlin s’est exprimée en ces termes au paragraphe 8 :
Le critère à appliquer pour établir la causalité est celui du « facteur déterminant » (parfois désigné aussi au moyen de l’expression « n’eût été »). Le demandeur doit démontrer, suivant la prépondérance des probabilités, que « n’eût été » la négligence du défendeur, il n’y aurait pas eu préjudice. Par définition, le terme « n’eût été » suppose que la négligence du défendeur était nécessaire pour que survienne le préjudice — en d’autres mots, le préjudice ne serait pas survenu sans la négligence du défendeur. Il s’agit d’une question de fait. Si la partie demanderesse n’établit pas ce lien nécessaire selon la prépondérance des probabilités, eu égard à l’ensemble de la preuve, son action contre le défendeur échoue. [En italiques dans l’original; non souligné dans l’original.]
[18] Bien que les tribunaux des droits de la personne doivent faire preuve de prudence lorsqu’ils appliquent les concepts de common law dans leur examen des plaintes en matière de discrimination, l’exigence d’un lien de causalité entre la perte alléguée et le comportement discriminatoire est inscrite dans le libellé de la Loi et est bien établie dans la jurisprudence du Tribunal.
[19] L’analyse relative au lien de causalité est aussi directement liée à l’objectif fondamental du Tribunal en ce qui concerne la réparation : rétablir le plaignant dans la situation où il se trouverait s’il n’y avait pas eu de discrimination.
[20] C’est ce que la jurisprudence appelle parfois indemniser pleinement une partie (Grant c. Manitoba Telecom Services, 2012 TCDP 20 [Grant], au para 6). Pour s’acquitter de cette mission, le Tribunal doit obéir à des principes lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire d’accorder des mesures de réparation, en tenant compte du lien qui existe entre l’acte discriminatoire commis et la perte alléguée (Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268, au par. 37). En d’autres termes, le Tribunal doit exercer de façon raisonnable son pouvoir discrétionnaire d’accorder des mesures de réparations, en tenant compte des circonstances particulières de l’affaire dont il est saisi et des éléments de preuve qui lui sont présentés (Hughes c. Élections Canada, 2010 TCDP 4, au par. 50; Tahmourpour c. Canada, 2010 CAF 192, au par. 47; Alliance de la fonction publique du Canada c. Société canadienne des postes, 2010 CAF 56, au par. 299, conf. par. 2011 CSC 57).
[21] Dans un contexte d’emploi, indemniser pleinement une partie plaignante peut comprendre sa réintégration dans son emploi antérieur et l’indemnisation pour ses pertes qui découlent du comportement discriminatoire, y compris la perte de salaire (voir Hughes, au par. 36). Dans tous les cas, il doit y avoir un lien de causalité entre la discrimination et le préjudice allégué (voir Chopra, aux par. 32, 37).
[22] En examinant la réparation demandée par le plaignant, il incombe à ce dernier d’établir qu’il est plus probable qu’improbable que ce lien de causalité entre le comportement discriminatoire et la perte pour laquelle la réparation est demandée existe (Christoforou c. John Grant Haulage Ltd., 2021 TCDP 15 [Christoforou], au par. 38).
[23] En d’autres termes, pour que le Tribunal ordonne réparation, le plaignant doit démontrer qu’il existe un lien de causalité entre la discrimination et la réparation qu’il réclame.
[24] Comme l’a indiqué la Cour suprême dans l’arrêt Clements, le critère du « facteur déterminant » emporte une question de fait, et, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire pour déterminer la réparation appropriée dans le contexte d’une plainte en matière de droits de la personne où la responsabilité a été établie, le plaignant doit convaincre le Tribunal que, sur la base des faits qu’il a établis, il est plus probable qu’improbable que la perte qu’il a subie soit attribuable à la discrimination.
Thèses des parties
a) Thèse d’OC Transpo
[25] OC Transpo a fait valoir que M. Todd allait être congédié quoiqu’il en soit, sans égard à la question de son absentéisme excessif, et que M. Todd ne peut établir de lien de causalité entre la discrimination et son congédiement, parce que la discrimination n’était pas un « facteur déterminant » dans la décision de le congédier. Elle soutient que, compte tenu des conclusions tirées dans la décision sur la responsabilité, le Tribunal ne peut ordonner le versement de dommages-intérêts découlant du congédiement de M. Todd ni ordonner qu’il soit réintégré dans son poste chez OC Transpo.
[26] OC Transpo affirme que le pouvoir conféré au Tribunal par la Loi est de nature réparatrice et qu’il ne peut être utilisé pour placer le plaignant dans une meilleure position que celle dans laquelle il se trouverait autrement. OC Transpo soutient que le fait de permettre à M. Todd de réclamer les dommages-intérêts découlant de son congédiement, ou même une éventuelle réintégration, aurait pour effet de l’absoudre de toute responsabilité relativement à sa violation du contrat d’emploi permanent et le placerait dans une meilleure position qu’il ne l’aurait été s’il n’y avait eu aucune conduite discriminatoire à son égard.
[27] L’intimée a également fait valoir que le Tribunal ne devrait pas ordonner la réintégration de M. Todd, parce que la relation entre le plaignant et l’employeur [traduction] « a été détruite ».
b) Thèse du plaignant
[28] Le plaignant soutient que la portée de l’étape portant sur les réparations dans la présente affaire ne devrait pas être limitée de la façon dont le suggère OC Transpo. M. Todd a fait valoir qu’il existe un lien de causalité entre la conduite discriminatoire et son congédiement et qu’il n’y avait aucune garantie qu’il aurait été congédié si l’employeur n’avait pas agi de façon discriminatoire envers lui. Quoiqu’il en soit, M. Todd soutient que le comportement discriminatoire est trop étroitement lié à la décision de le congédier et que les deux facteurs ne peuvent être dissociés à ce stade-ci.
[29] Le plaignant a cité deux décisions dans lesquelles le Tribunal avait accordé une indemnisation pour perte de salaire à des employés qui avaient été congédiés en raison de facteurs à la fois discriminatoires et non discriminatoires. Dans les décisions Parisien c. Commission de transport régionale d’Ottawa-Carleton, 2003 TCDP 10, et Luckman c. Bell Canada, 2002 TCDP 18, le Tribunal a rendu une ordonnance d’indemnisation pour perte de salaire, même s’il a conclu, dans chacune de ces affaires, que le motif discriminatoire ne constituait qu’une partie de la raison du congédiement.
[30] Le plaignant a affirmé qu’OC Transpo tentait d’utiliser la requête en l’espèce pour faire appel de la décision rendue par la Cour fédérale en contrôle judiciaire de la décision sur la responsabilité. Le plaignant a également fait valoir qu’OC Transpo invitait le Tribunal à formuler des hypothèses, sans aucune preuve, sur le raisonnement des supérieurs de M. Todd, lesquels n’ont pas été appelés à témoigner au sujet des motifs du congédiement.
[31] En réponse aux observations d’OC Transpo sur la question de savoir si une ordonnance de réintégration est appropriée, compte tenu de l’état de la relation entre les parties, le plaignant a fait valoir que la Cour fédérale ne s’était aucunement prononcée sur la question de savoir si la relation était ou non rompue pour les besoins d’une réintégration.
Décision
Portée des mesures de réparation
[32] Les parties conviennent que, lorsque le lien de causalité entre la discrimination et le préjudice pour lequel une réparation est demandée ne peut être établi, le Tribunal peut à bon droit refuser d’accorder cette réparation.
[33] Comme le Tribunal l’a déclaré dans la décision sur la responsabilité, le congédiement d’un employé ayant une déficience pour violation d’un contrat d’emploi permanent n’est pas nécessairement discriminatoire (au paragraphe 368). De plus, en l’espèce, OC Transpo n’a pas agi de façon discriminatoire en congédiant M. Todd pour avoir violé son contrat d’emploi permanent à de multiples reprises (au paragraphe 355). Il ressort clairement des conclusions tirées dans la décision sur la responsabilité que le défaut de M. Todd de communiquer avec son superviseur après avoir manqué son quart de travail pour la neuvième fois en mars 2014, en dépit des nombreux avertissements qu’il avait reçus, a constitué la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
[34] Le Tribunal a constaté (au paragraphe 178) qu’à ce moment-là, OC Transpo avait décidé qu’elle était prête à congédier M. Todd.
[35] Le plaignant a fait valoir qu’il n’était pas possible de déterminer avec certitude les raisons précises de son congédiement, parce que l’employeur n’a pas appelé les gens qui ont pris cette décision à témoigner à l’audience relative à la détermination de la responsabilité. Il affirme en outre que le Tribunal ne peut pas savoir si le comportement discriminatoire envers M. Todd était le « facteur déterminant » de son congédiement; il a déclaré, dans ses observations que [traduction] « rien ne garantit qu’il aurait été congédié n’eût été le comportement discriminatoire ».
[36] Si le plaignant a raison d’affirmer qu’il est impossible d’affirmer une telle chose avec certitude, il n’appartient pas au Tribunal de garantir ce qui se serait passé n’eût été le comportement discriminatoire. Il incombe plutôt au plaignant d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est plus probable qu’improbable qu’il existe un lien de causalité entre la discrimination et la mesure de réparation demandée. Il incombe à M. Todd de démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que n’eût été son absentéisme excessif invoqué par son employeur, il n’aurait pas été congédié, ce qui lui donnerait droit aux dommages-intérêts découlant de ce congédiement.
[37] En l’espèce, le Tribunal a déjà jugé qu’OC Transpo avait atteint le point de rupture avec M. Todd en ce qui concerne son refus de collaborer en ne respectant pas les exigences de son contrat d’emploi permanent et qu’elle avait décidé de le congédier (au paragraphe 178). Le fait qu’une justification supplémentaire ait été ajoutée après ce point (justification que le Tribunal a jugé contraire à la Loi) ne change rien au fait que la conduite de M. Todd avait déjà franchi la limite.
[38] Le comportement discriminatoire qui a été établi à l’étape de l’audience relative à la détermination de la responsabilité est le fait qu’OC Transpo a invoqué l’ensemble des antécédents d’absentéisme de M. Todd comme l’une des deux raisons pour le congédier. Dans la décision sur la responsabilité, le Tribunal a fait observer que la décision d’OC Transpo de congédier M. Todd pour violation du contrat d’emploi permanent n’était pas discriminatoire et que son employeur avait des motifs valables de le congédier, même s’il faisait abstraction de son absentéisme excessif.
[39] Pour que le Tribunal accorde à M. Todd la réparation qu’il demande, ce dernier doit être en mesure d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’aurait pas été congédié si OC Transpo n’avait pas fait preuve de discrimination à son égard. Autrement dit, si OC Transpo n’avait pas tenu compte des absences de M. Todd liées à sa déficience dans sa décision de le congédier ou si elle s’était autrement acquittée de son obligation d’offrir des mesures d’adaptation à M. Todd sans qu’il n’en résulte une contrainte excessive, il serait plus probable qu’improbable qu’il eut conservé son emploi.
[40] Toutefois, en l’espèce, le Tribunal a déjà conclu, sur le plan des faits, qu’OC Transpo avait un motif suffisant et non discriminatoire pour congédier M. Todd, soit le non-respect du contrat d’emploi permanent, et qu’elle avait l’intention de le faire. Le fait qu’OC Transpo ait commis un acte discriminatoire à la suite de cette décision, qui ouvre droit à réparation, ne donne pas au Tribunal le pouvoir d’annuler la décision par ailleurs valide et non discriminatoire de congédier M. Todd.
[41] À la lumière de ces conclusions, qui ont déjà été confirmées en contrôle judiciaire, il n’est pas possible pour M. Todd d’établir que, « n’eût été » le comportement discriminatoire de son employeur, il est plus probable qu’improbable qu’il aurait conservé son emploi de chauffeur d’autobus.
Réintégration et relation entre les parties
[42] Bien que j’aie examiné les arguments des parties sur la question de savoir si la nature de la relation entre les parties empêche la réintégration en l’espèce, je ne traiterai pas de cette question sous cet angle, et ce, pour deux raisons :
- Ne relève pas de la portée de la requête : Je conviens avec le plaignant que les parties n’ont pas présenté, à l’audience relative à détermination de la responsabilité, de preuve ou d’observations qui portaient expressément sur la question de savoir si la relation entre M. Todd et son employeur était brisée au point d’empêcher la réintégration, et que des conclusions portant précisément sur ce point n’ont pas été formulées dans la décision sur la responsabilité.
- Inutile à la lumière de ma décision quant à la requête : La jurisprudence régissant la possibilité pour le Tribunal de prononcer une ordonnance de réintégration exige qu’un lien soit établi entre la pratique discriminatoire et la perte alléguée (Grant, au par. 6; Christoforou, au par. 91). Le pouvoir du Tribunal de réintégrer un employé qui a été congédié suivant une conduite discriminatoire est un outil puissant à sa disposition lorsqu’il est appelé à ordonner des mesures de réparation. Compte tenu de mes autres conclusions quant à la présente requête, aucun lien de causalité ne peut être établi entre la discrimination et la perte d’emploi. Ainsi, il ne peut y avoir de lien de causalité entre la discrimination exercée en l’espèce et une ordonnance de réintégration. Par conséquent, la réintégration ne peut constituer un élément de la décision définitive quant aux mesures de réparation.
Conclusion
[43] Par conséquent, pour les motifs exposés ci-dessus, je fais droit à la requête d’OC Transpo visant à exclure la réintégration et l’indemnisation pour perte de salaire des mesures que peut réclamer le plaignant à l’étape de la réparation.
VI. ORDONNANCE
[44] Il est fait droit à la requête d’OC Transpo visant à limiter l’étendue des mesures de réparation que peut réclamer le plaignant dans la présente affaire, plus précisément :
- Les mesures de réparation relatives à la réintégration, à la perte de salaire ou aux dommages découlant précisément du congédiement de M. Todd par OC Transpo sont exclues de l’étape des réparations de la présente plainte;
- À l’audience portant sur les mesures de réparation, M. Todd ne pourra pas présenter de preuve ni d’observations concernant les pertes pécuniaires qui découlaient de son congédiement;
- Une conférence de gestion préparatoire sera prévue avec les parties dans les meilleurs délais afin de trancher la question de savoir si une audience sur les mesures de réparation est nécessaire et, dans l’affirmative, de fixer l’échéancier de cette audience dès que possible.
[45] J’encourage les parties à faire de leur mieux pour s’entendre au sujet du montant approprié des dommages-intérêts découlant du comportement discriminatoire d’OC Transpo. Si le Tribunal peut aider les parties à cet égard, celles-ci sont encouragées à communiquer avec le greffe pour organiser une séance de médiation avec un médiateur du Tribunal. Si les parties sont d’accord, je suis aussi disposé à mener une séance de médiation ou d’arbitrage avec elles.
Signée par
Membre du Tribunal
Toronto (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéro du dossier du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Date et lieu de l’audience :
Audience tenue par vidéoconférence
Comparutions :
[1] Au cours de l’audience et tout au long de l’instance, les parties ont désigné OC Transpo comme étant l’employeur de M. Todd, et je ferai de même dans les présents motifs.