Tribunal canadien des droits de la personne
Informations sur la décision
Dans cette décision, le Tribunal a accepté, à la demande de Cogeco Connexion Inc. (l’« intimé »), de garder confidentiels cinq documents commerciaux. Il a rendu une ordonnance de confidentialité à cet effet. Aucune des autres parties ne s’est opposée à cette demande.
Le Tribunal a estimé que ces documents contiennent des renseignements commerciaux de nature délicate concernant l’intimé. Sa décision s’appuie sur des principes tirés de décisions antérieures importantes et vise à concilier les intérêts commerciaux légitimes de l’intimé et le principe de la publicité des débats judiciaires. Selon ce principe, les procédures judiciaires doivent être accessibles au public. Le Tribunal a conclu que l’intimé avait démontré que les renseignements en question avaient toujours été traités de manière confidentielle, que leur divulgation nuirait à sa compétitivité et qu’il n’existait aucune autre solution raisonnable pour protéger ces renseignements.
Par conséquent, le Tribunal a mis sous scellés les cinq documents en question. Ils ne seront donc pas accessibles au public, seront conservés de manière adéquate et seront détruits une fois que la décision sur le fond sera rendue. Le Tribunal a également mis en place des protocoles pour encadrer l’accès à ces documents pendant la procédure.
Contenu de la décision
Tribunal canadien |
|
Canadian Human |
Référence : 2025 TCDP
Date : Le
Numéro du dossier :
Entre :
le plaignant
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
- et -
Membre :
[1] À LA DEMANDE de l’intimée, déposée par écrit le 1er avril 2025, pour une ordonnance de confidentialité et la mise sous scellé de l’entièreté des documents suivants, dans l’éventualité où ceux-ci seraient déposés au dossier du Tribunal:
a. La pièce intitulée Cartes illustrant les zones et régions où la technologie IPTV est disponible et indisponible, en liasse (7 cartes);
b. La pièce intitulée Plan de modernisation de Cogeco;
c. La pièce intitulée Déroulement d’un projet de mise à niveau chez Cogeco;
d. La pièce intitulée Déroulement d’un projet de modernisation chez Cogeco; et
e. La pièce intitulée Coûts afférents au plan de modernisation de Cogeco.
[2] En vertu du paragraphe 52 (1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (LCDP); et
[3] SUR CONSENTEMENT des autres parties;
[4] ATTENDU que dans sa décision sur requête Zawilski c. Cogeco Connexion Inc., 2025 TCDP 12, datée du 7 février 2025 (la « Décision »), le Tribunal a ordonné la confidentialité en vertu du paragraphe 52 (1) de la LCDP de quatre autres documents ou groupes de documents que les parties comptaient déposer en preuve lors de l’instruction;
[5] ATTENDU que l’intimée demande maintenant au Tribunal d’étendre l’application des ordonnances prévues aux paragraphes 62 et 63 de la Décision aux documents ci-dessus;
[6] ATTENDU que lors d’une téléconférence le 8 avril 2025, l’intimée a également demandé au Tribunal d’ordonner :
a. que les témoignages portant sur ces documents se déroulent à huis clos; et
b. que le Tribunal mette en place des mesures afin d’assurer que les parties et l’intervenant ne dévoilent pas le contenu de ces documents lors de leurs observations finales.
[7] ATTENDU que l’intimée a déposé une déclaration sous serment d’Éric Pigeon, directeur – Accès IP, Évolution et normes des réseaux externes, Cogéco Connexion Inc. à Trois Rivières, au soutien de sa demande;
[8] CONSIDÉRANT que les principes suivants ont été acceptés et appliqués par le Tribunal lorsqu’il a statué sur des demandes pour des ordonnances de confidentialité, notamment dans ce dossier précédemment, dans la Décision aux paragraphes 16 à 23, 38 à 40, et 43:
● La publicité des débats judiciaires est présumée (Procureur général de la Nouvelle-Écosse c. MacIntyre, 1982CanLII14 (CSC) au par. 34) et s’applique aux instances judiciaires du Tribunal;
● Ce principe doit s’appliquer avec souplesse, car il existe des circonstances où il doit être pondéré avec d’autres droits et intérêts dont la protection peut exiger l’imposition de limites discrétionnaires;
● L’article 52 de la LCDP confère au Tribunal de vastes pouvoirs permettant de rendre les ordonnances qu’il juge nécessaires afin d’assurer la confidentialité dans certaines circonstances;
● Les critères de cet article sont compatibles avec ceux établis par la Cour suprême dans la décision Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25;
● Le test Sherman (Succession) exige que la partie qui demande l’ordonnance de confidentialité établisse les trois critères suivants :
1) la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;
2) l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque;
3) du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.
● La Cour suprême dans la décision Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, précise qu’un intérêt public important peut être de nature commerciale et que le requérant doit démontrer que :
1) les renseignements en question ont toujours été traités comme des renseignements confidentiels;
2) qu’ils sont de nature confidentielle;
3) qu’ils ont été recueillis dans l’expectative raisonnable qu’ils resteront confidentiels.
Leur divulgation doit par ailleurs, selon la prépondérance des probabilités, risquer de compromettre les droits exclusifs, commerciaux et scientifiques du requérant.
[9] CONSIDÉRANT que les renseignements sont de nature commerciale, car ils portent des procédés internes ou sur des plans et projets stratégiques futurs de modernisation de l’intimée, et qu’ils ont toujours été traités comme des renseignements confidentiels, car ils n’ont pas été dévoilés publiquement et émanent de bases de données internes, dotées d’un accès restreint;
[10] CONSIDÉRANT que les renseignements qui se trouvent dans les documents visés sont de nature confidentielle, car ils qui contiennent des renseignements techniques et financiers délicats concernant ses procédés internes et ses projets commerciaux futurs, ont une valeur particulière pour l’intimée, et, car leur divulgation aux concurrents de l’intimée risquerait d’entraîner une perte de différenciation ou bien de réduire l’avantage concurrentiel de l’intimée;
[11] CONSIDÉRANT que les renseignements qui se trouvent dans les documents visés ont été recueillis dans l’expectative raisonnable qu’ils resteront confidentiels, car ils contiennent des données et des discussions internes parmi un nombre limité d’employés;
[12] CONSIDÉRANT que selon la prépondérance des probabilités, la divulgation des renseignements qui se trouvent dans les documents visés risque de compromettre les droits exclusifs, commerciaux et scientifiques du requérant, car elle serait susceptible de conférer un avantage concurrentiel à ses compétiteurs dans le cadre d’une industrie avec un nombre limité de joueurs;
[13] CONSIDÉRANT que l’intimée répond ainsi au premier critère du test Sherman (Succession) et établit que ces documents contiennent des renseignements financiers, techniques et de secrets commerciaux confidentiels dont le dévoilement présenterait un risque sérieux pour un intérêt public important sous la forme d’un intérêt commercial et lui causerait un préjudice injustifié et irréparable;
[14] CONSIDÉRANT que ces renseignements portent sur la capacité de l’intimée à mettre à la disposition de ses abonnés la vidéodescription et permettent à l’intimée d’avancer un moyen de défense important dans le cadre du dossier, tout en respectant le droit des parties à un procès équitable.
[15] CONSIDÉRANT qu’il n’existe pas d’autres moyens raisonnables ou efficaces de restreindre la divulgation de ces documents et qui permettraient d’écarter le risque de préjudice injustifié pour l’intimée, car il n’est pas possible de caviarder les documents sans en enlever l’utilité et car il n’est pas possible pour le témoin qui les présentera d’en parler sans en dévoiler les éléments confidentiels;
[16] CONSIDÉRANT que l’intimée répond ainsi au deuxième critère du test Sherman (Succession) et établit que l’ordonnance de confidentialité est nécessaire, car la divulgation de ces renseignements représenterait un risque sérieux pour les intérêts commerciaux importants de l’intimée, et qu’il n’existe pas d’autres options raisonnables;
[17] CONSIDÉRANT que la demande de l’intimée est ciblée, parce qu’elle ne vise que certains documents, que les parties, l’intervenant et le Tribunal y auront accès, et que l’audience et l’ensemble de la preuve demeureront autrement accessibles au public;
[18] CONSIDÉRANT que l’intimée répond ainsi au troisième critère du test Sherman (Succession) et établit que les effets bénéfiques de l’ordonnance de confidentialité, y compris ses effets sur le droit des parties à un procès équitable, prédominent ses effets préjudiciables sur la publicité des débats judiciaires, y compris ses effets sur le droit à la liberté d’expression;
[19] PAR CONSÉQUENT, étant satisfait qu’il existe, en vertu de l’alinéa 52(1)(c) de la LCDP, un risque sérieux que la divulgation de ces documents cause un préjudice injustifié à l’intimée tel que le besoin d’en préserver la confidentialité prédomine sur l’intérêt public que ces documents soient rendus accessibles au public;
[20] LE TRIBUNAL :
1. ACCUEILLE la demande d’ordonnance de confidentialité;
2. ORDONNE la mise sous scellés des documents suivants, dans l'éventualité où ils seraient déposés au dossier du Tribunal :
a. Le document intitulé Cartes illustrant les zones et régions où la technologie IPTV est disponible et indisponible, en liasse (7 cartes);
b. Le document intitulé Plan de modernisation de Cogeco;
c. Le document intitulé Déroulement d’un projet de mise à niveau chez Cogeco;
d. Le document intitulé Déroulement d’un projet de modernisation chez Cogeco; et
e. Le document intitulé Coûts afférents au plan de modernisation de Cogeco.
3. ORDONNE la non-divulgation, la non-publication et la non-diffusion de ces documents;
4. ORDONNE que, à aucun moment au cours de l’instance, ces documents ne soient communiqués, directement ou indirectement, sans l’accord préalable du Tribunal, à une personne ou à une entité autre que le Tribunal, la Commission, le plaignant et l’intervenant;
5. ORDONNE au plaignant, à la Commission, à l’intervenant et au Tribunal, de protéger le caractère confidentiel de ces documents, y compris pendant tout contrôle judiciaire ou appel de la décision et après que la décision finale aura été rendue;
6. ORDONNE au plaignant, à la Commission, à l’intervenant et au Tribunal de conserver toute version électronique de ces documents au moyen d’une méthode de stockage sécurisée;
7. ORDONNE au plaignant et à l’intervenant de détruire ces documents, y compris les notes, les tableaux et les mémoires préparés à partir de ceux-ci, après que la décision finale aura été rendue et une fois que tous les recours judiciaires auront été épuisés.
[21] L’intimée me demande, si je devais ne pas accorder sa demande, d’adopter des lignes directrices en matière de confidentialité qui seraient analogues à la décision dans l’affaire Eadie c. MTS Inc., 2013 TCDP 5. Tel que je l’ai déjà exprimé dans la Décision, je suis d’avis que les lignes directrices établies dans le cadre de cette affaire demeurent applicables à la présente instance, malgré ma décision d’accorder la demande de l’intimée, car elles décrivent de manière claire et utile comment le Tribunal et les parties doivent se comporter à la lumière du caractère confidentiel de ces documents. Par conséquent, le Tribunal :
8. ORDONNE que les documents confidentiels soient déposés séparément et qu’ils indiquent clairement qu’ils sont confidentiels;
9. ORDONNE que toute partie souhaitant faire appel aux documents ou aux renseignements désignés comme confidentiels au cours de l’audience fasse part de ses intentions au Tribunal à l’avance. Le Tribunal exercera ensuite son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 52 de la LCDP d’entendre les délibérations à huis clos dans la mesure nécessaire;
10. ORDONNE que les documents confidentiels ne soient pas utilisés à d’autres fins que celles de la présente instance;
11. ORDONNE à la Commission, en sa qualité d’organisme gouvernemental, de se porter garante de la confidentialité des documents conformément aux politiques et aux directives gouvernementales applicables en matière de conservation et de protection des renseignements exclusifs confidentiels;
12. ORDONNE aux parties et à l’intervenant de prendre des mesures afin de conserver la confidentialité de ces renseignements dans leurs observations finales.
Signée par
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéro(s) du/des dossier(s) du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Requête traitée par écrit sans comparution des parties
Observations orales et/ou écrites par :
Sarah Chênevert-Beaudoin, pour la Commission canadienne des droits de la personne