Contenu de la décision
Tribunal canadien |
|
Canadian Human |
Référence : 2025 TCDP
Date : Le
Numéro du dossier :
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Entre :
le plaignant
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
l’intimée
Décision sur requête
Membre :
Table des matières
(iii) Arguments des parties et analyse
(a) Autorité de la chose jugée
(c) Allégations supplémentaires
(e) Allégations portant sur le statut permanent
3. Les allégations portant sur la période postérieure à mars 2019 devraient-elles être radiées?
V. REQUÊTE EN RADIATION PRÉSENTÉE PAR L’INTIMÉE
I. APERÇU
[1] Il s’agit d’une décision sur la requête que l’intimée, l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), a présentée pour obtenir une ordonnance visant à faire radier certaines parties de l’exposé des précisions du plaignant, Mohammed Tibilla. L’intimée demande que la portée de la plainte présentée au Tribunal se limite aux événements survenus pendant la période du 29 octobre 2018 au 29 mars 2019, au cours de laquelle le plaignant occupait le poste de contrôleur fiscal spécialisé (SP-05) au Bureau des services fiscaux de Montréal.
[2] Le plaignant a présenté une plainte de discrimination contre l’ARC le 3 juillet 2019 (la « plainte de 2019 »). Dans son formulaire de plainte, il affirme avoir commencé à subir de la discrimination en 2009 et en 2013, mais sa description des événements est limitée à la période du 29 octobre 2018 au 29 mars 2019, au cours de laquelle il travaillait au Bureau des services fiscaux de Montréal. Dans son exposé des précisions, toutefois, il mentionne des événements qui se sont produits au cours de deux périodes antérieures et qui ont déjà fait l’objet de plaintes distinctes pour atteinte aux droits de la personne :
A) D’avril 2006 à juin 2009 : Pendant cette période, le plaignant occupait un poste de vérificateur (SP-05) pour une durée déterminée au Bureau des services fiscaux de la Montérégie. En 2012, le plaignant a déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne dans laquelle il affirmait que son chef d’équipe lui avait fait des remarques racistes (la « plainte de 2012 »). La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a rejeté la plainte pour non-respect des délais. Le plaignant a fait des démarches pour soumettre cette décision à un contrôle judiciaire, mais il s’est désisté de sa demande devant la Cour fédérale après que celle-ci lui eut interdit de poursuivre les démarches sans avoir fourni de cautionnement pour les dépens.
B) En mars 2013 : Pendant qu’il occupait le poste d’agent de prestations (SP-04) pour une durée déterminée au Bureau des services fiscaux de Jonquière, le plaignant a présenté une plainte pour atteinte aux droits de la personne au motif que son gestionnaire avait mis fin à son emploi en guise de représailles pour la plainte qu’il avait présentée en 2012 (la « plainte de 2013 »). La Commission a décidé qu’il n’était pas justifié de procéder à un examen plus approfondi et elle a donc rejeté la plainte. Le plaignant a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision à la Cour fédérale, mais il s’est désisté de sa demande après que la Cour lui eut interdit de poursuivre les démarches sans avoir fourni de cautionnement pour les dépens.
[3] Je juge que le Tribunal n’a pas compétence pour examiner les allégations du plaignant relatives à ces périodes antérieures, car ce dernier remet en cause des décisions de la Commission, que le Tribunal n’a pas le pouvoir de modifier ni d’annuler. Étant donné que les événements dont il est question dans les plaintes susmentionnées n’ont aucun lien avec ceux qui font l’objet de la plainte de 2019 et qu’ils ne sont pas mentionnés dans les documents relatant l’historique de la plainte de 2019, je juge qu’ils dépassent la portée de la plainte. Pour les motifs susmentionnés, ces parties de l’exposé des précisions doivent être radiées. Je refuse de les conserver en guise de contexte, car les allégations qu’elles contiennent ne sont pas liées aux événements sur lesquels je dois me prononcer et il serait injuste envers l’intimée de les conserver.
[4] L’exposé des précisions du plaignant contient également des allégations selon lesquelles il a obtenu un poste permanent en 2009, un fait qu’il aurait découvert à l’étape de la divulgation de la procédure du Tribunal et qui n’est pas mentionné dans le formulaire de plainte. J’estime que ces allégations pourraient avoir une incidence sur la plainte de 2019 et qu’il serait pertinent que le Tribunal les entende. Enfin, je conclus que les allégations du plaignant portant sur des incidents de discrimination survenus après mars 2019 qui sont liés aux faits qui m’ont été présentés et aux questions que j’ai à trancher ne devraient pas être radiées. Il serait prématuré à cette étape-ci d’empêcher la présentation de ces éléments de preuve.
[5] Le 11 mars 2025, j’ai rendu une ordonnance à cet égard, dont voici les motifs.
II. DÉCISION
[6] La requête est accueillie en partie. Les parties de l’exposé des précisions du plaignant qui portent sur la plainte de 2012 et la plainte de 2013 sont radiées et ne seront pas conservées comme contexte.
[7] Le plaignant est autorisé à faire valoir le statut d’employé permanent qu’il aurait acquis en 2009.
[8] Les allégations portant sur la période postérieure à mars 2019 ne sont pas radiées; des arguments pourront être présentés à l’appui de ces allégations dans la mesure où ils sont liés aux événements qui ont donné lieu à la plainte de 2019.
III. QUESTIONS EN LITIGE
1. Les parties contestées de l’exposé des précisions du plaignant ayant trait à la plainte de 2012 et à la plainte de 2013 devraient-elles être radiées?
2. Devraient-elles être conservées à titre de contexte?
3. Les allégations portant sur la période postérieure à mars 2019 devraient-elles être radiées?
IV. ANALYSE
1. Les parties contestées de l’exposé des précisions du plaignant ayant trait à la plainte de 2012 et à la plainte de 2013 devraient-elles être radiées?
(i) Allégations portant sur des incidents survenus de septembre 2008 à juin 2009 (Bureau des services fiscaux de la Montérégie)
[9] Les paragraphes 5 à 11 de l’exposé des précisions du plaignant portent sur des événements qui seraient survenus lorsque le plaignant occupait le poste de vérificateur de niveau SP-05 pour une durée déterminée au Bureau des services fiscaux de la Montérégie situé à Brossard, au Québec, de septembre 2006 à juin 2009. Ces paragraphes décrivent une conversation ayant eu lieu en septembre 2008 pendant l’évaluation de rendement annuelle du plaignant au cours de laquelle son chef d’équipe lui aurait fait des remarques à caractère raciste. Dans son exposé des précisions, le plaignant soutient que le chef d’équipe a tenu ces mêmes propos en d’autres occasions, mais il ne donne aucun autre détail. Le plaignant soutient en outre que, en mars 2009, il a reçu d’un autre superviseur une évaluation de rendement négative qui ne respectait pas les lignes directrices applicables aux évaluations et qui, selon lui, était fondée sur le racisme. En juin 2009, le plaignant a été congédié en raison de cette évaluation de rendement négative.
[10] Ces paragraphes reprennent certains faits qui faisaient l’objet de la plainte de 2012, rejetée par la Commission.
[11] Dans la plainte de 2012, le plaignant faisait référence à des incidents qui s’étaient produits de 2007 à 2009, lorsqu’il travaillait comme vérificateur de niveau SP-05 pour une durée déterminée au Bureau des services fiscaux de la Montérégie. Il y décrivait des incidents survenus en avril 2007, en avril 2008 et en octobre 2008 entre lui-même et le même chef d’équipe qui, comme il est indiqué dans son exposé des précisions, lui aurait fait des remarques à caractère raciste. Dans la plainte visée par la présente affaire, le plaignant ne mentionne pas la conversation qui aurait eu lieu en septembre 2008. Il mentionne toutefois d’autres incidents, survenus avant et après cette date, où le chef d’équipe aurait formulé des remarques racistes du même type (l’utilisation du mot [traduction] « nègre »).
[12] Le plaignant évoque aussi une évaluation de rendement négative qui, selon lui, ne respectait pas les lignes directrices applicables aux évaluations et qui avait mené à son congédiement. Tout comme il l’allègue actuellement dans son exposé des précisions, le plaignant soutenait dans la plainte de 2012 que l’évaluation de rendement négative et le congédiement étaient des prétextes pour dissimuler la discrimination. Dans la plainte de 2012, il situait toutefois cette évaluation au 29 avril 2009, alors qu’il est plutôt indiqué qu’elle a eu lieu en mars 2009 dans son exposé des précisions. Toutefois, compte tenu des recoupements dans la description de ces événements, j’estime que cette divergence est le résultat d’une erreur et je suis convaincue que le plaignant renvoie au même incident dans les deux cas. Je conclus que les allégations sur ce sujet, qui faisait déjà l’objet de la plainte de 2012, concernent les mêmes personnes et portent sur la même période que les allégations formulées dans la plainte de 2012.
[13] Le plaignant a présenté un grief pour contester son congédiement du Bureau des services fiscaux de la Montérégie, mais il n’a pas soulevé d’allégations de discrimination à ce moment-là (voir la conclusion de la Cour fédérale à cet égard dans la décision Tibilla c. Canada (Procureur général), 2011 CF 163, aux par. 32 et 33). La Cour fédérale a rejeté sa demande de contrôle judiciaire de la décision rendue relativement au grief. La Cour d’appel fédérale a rejeté son appel pour cause de non-respect des délais, et la Cour suprême du Canada a rejeté sa demande d’autorisation d’appel.
[14] Le 6 février 2012, le plaignant a également déposé auprès de la Commission la plainte de 2012 contre son ancien employeur. La Commission a rejeté la plainte pour non-respect des délais au motif que le dernier acte discriminatoire allégué était survenu plus d’un an avant la réception de la plainte et que le plaignant n’avait pas pris toutes les mesures qu’une personne raisonnable aurait prises dans les circonstances pour que sa plainte soit traitée. Le plaignant a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision. La procédure a toutefois été interrompue lorsque la Cour fédérale a ordonné au plaignant de fournir le cautionnement pour les dépens qui pourraient être adjugés au défendeur et lui a interdit de poursuivre les démarches avant de s’être conformé à l’ordonnance, ce que le plaignant n’a pas fait.
(ii) Allégations portant sur des incidents survenus en mars 2013 (Bureau des services fiscaux de Jonquière)
[15] Les paragraphes en question relatent un incident survenu quatre jours après l’entrée en fonction du plaignant à titre d’agent de prestations (SP-04) au Bureau des services fiscaux de Jonquière. Le plaignant soutient que, le 8 mars 2013, son nouveau gestionnaire lui a dit qu’il était au courant de ses antécédents d’emploi au Bureau des services fiscaux de la Montérégie et de la plainte de 2012. Le gestionnaire aurait informé le plaignant qu’il ne renouvellerait pas son contrat lorsque celui-ci prendrait fin.
[16] Ces événements ont amené le plaignant à présenter la plainte de 2013, le 4 novembre 2013. La Commission a décidé de rejeter la plainte de 2013 parce qu’elle a jugé que, compte tenu de toutes les circonstances, il n’était pas justifié de procéder à un examen plus approfondi de celle-ci. Le plaignant a présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission. Toutefois, il s’est désisté de sa demande lorsque la Cour lui a interdit de poursuivre les démarches sans avoir fourni de cautionnement pour les dépens.
[17] La plainte de 2013 porte sur les mêmes incidents que ceux qui sont mentionnés aux paragraphes 12 à 14 de l’exposé des précisions du plaignant, mais elle fournit davantage de détails à cet égard. En fin de compte, les deux documents portent sur les mêmes événements, survenus aux mêmes dates et en présence des mêmes personnes, et donnant lieu aux mêmes allégations.
(iii) Arguments des parties et analyse
[18] La position de l’intimée au sujet des allégations du plaignant peut se résumer en deux arguments principaux.
[19] Premièrement, l’intimée est d’avis que le Tribunal n’a pas compétence pour examiner les allégations figurant dans l’exposé des précisions du plaignant qui portent sur des événements antérieurs au 29 octobre 2018, car ces allégations dépassent la portée de la plainte que la Commission a renvoyée au Tribunal au titre du paragraphe 49(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP »).
[20] Deuxièmement, l’intimée fait valoir que ces allégations ne peuvent pas être examinées en raison du principe de l’autorité de la chose jugée, applicable en common law. J’analyserai d’abord cet argument.
(a) Autorité de la chose jugée
[21] L’intimée fait observer que la Commission avait déjà jugé que les événements visés par la plainte de 2012 et la plainte de 2013 ne devaient pas faire l’objet d’un renvoi au Tribunal et que les événements visés par la plainte de 2013 ne constituaient pas de la discrimination. Ces décisions ont donc acquis l’autorité de la chose jugée et lient le Tribunal. La Commission est d’accord avec l’intimée.
[22] Les parties n’ont pas traité davantage de l’application du principe de l’autorité de la chose jugée ni de ses deux volets, soit la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et la préclusion fondée sur la cause d’action. Je juge que ce principe, qui interdit la remise en litige de questions déjà tranchées par les tribunaux dans une autre instance, ne s’applique pas dans les circonstances. En effet, si les faits dont il est question aux paragraphes 5 à 14 de l’exposé des précisions du plaignant sont, à une exception près, les mêmes que ceux qui avaient été examinés par la Commission dans la plainte de 2012 et la plainte de 2013, en revanche, les questions qui ont finalement été tranchées ne sont pas les mêmes.
[23] La Commission a jugé que la plainte de 2012 et la plainte de 2013 ne devaient pas être retenues et elle a fondé sa décision sur deux motifs.
[24] Dans le cas de la plainte de 2012, la décision était fondée sur l’alinéa 41(1)e) de la LCDP, qui confère à la Commission le pouvoir discrétionnaire de juger irrecevable toute plainte qui « a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances »
. Autrement dit, la Commission a fondé sa décision sur le non-respect des délais, comme elle est habilitée à le faire.
[25] Pour ce qui est de la plainte de 2013, la Commission s’est fondée sur le sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la LCDP, qui lui confère le pouvoir, après enquête, de rejeter la plainte « si elle est convaincue [...] que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié »
.
[26] Dans les deux cas, la Commission a exercé son rôle qui consiste à recevoir les plaintes et à en faire un examen préalable en vue de statuer sur leur admissibilité. La Commission n’est pas un organisme décisionnel; cette fonction est remplie par le Tribunal. Lorsqu’elle détermine si une plainte devrait être renvoyée au Tribunal, la Commission procède à un examen préalable. Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, suivant les dispositions de la LCDP et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de la soumettre à un examen : Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), 1996 CanLII 152 (CSC), au par. 53.
[27] En d’autres termes, la Commission a décidé de ne pas traiter la plainte de 2012 et a jugé qu’il n’était pas justifié de soumettre la plainte de 2013 à un examen, ce qui diffère d’une situation où le Tribunal aurait procédé à l’instruction des plaintes qui lui auraient été renvoyées et aurait statué sur leur fond. C’est d’ailleurs ce que le plaignant demande au Tribunal de faire dans la présente affaire. En soulevant des allégations relatives à des incidents concernant ses supérieurs du Bureau des services fiscaux de la Montérégie et du Bureau des services fiscaux de Jonquière survenus pendant la période de 2006 à 2009 et en 2013, le plaignant demande au Tribunal de juger si ces incidents constituaient de la discrimination au sens de l’article 7 de la LCDP. La Commission ne s’est pas prononcée sur cette question lorsqu’elle a rendu ses décisions au titre de l’alinéa 41(1)e) et du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la LCDP. Comme ce ne sont pas les mêmes questions qui ont été examinées, le principe de l’autorité de la chose jugée ne s’applique pas.
(b) Compétence
[28] La compétence du Tribunal pour instruire les plaintes découle de l’article 49 de la LCDP, aux termes duquel le président du Tribunal doit instruire la plainte sur réception de la demande de la Commission (par. 49(2)). La portée de l’instruction par le Tribunal se limite donc aux questions soulevées dans les plaintes jointes aux demandes de la Commission. Le Tribunal n’a pas compétence pour examiner la décision de la Commission de renvoyer la plainte pour instruction : Torraville c. Jazz Aviation LP, 2020 TCDP 40, aux par. 27 à 32. Dans la présente affaire, je juge qu’il conviendrait de radier les observations contestées sur le fondement de la compétence.
[29] En formulant les allégations figurant aux paragraphes 5 à 14 de son exposé des précisions, le plaignant tente de contourner les deux décisions finales rendues par la Commission au sujet de la plainte de 2012 et de la plainte de 2013. Dans ces décisions, la Commission avait finalement jugé que les plaintes en question ne devaient pas être renvoyées au Tribunal pour instruction. À présent, le plaignant demande en fait au Tribunal de se prononcer sur le fond de ces plaintes, ce qui revient à contester les décisions de la Commission.
[30] Le plaignant soutient que son formulaire de plainte indiquait 2009 et 2013 comme dates de début des incidents de discrimination allégués et que l’intimée n’a jamais contesté ces dates devant la Commission. Il croit donc qu’il serait injuste à cette étape-ci d’accéder à la requête de l’intimée visant la radiation de ces paragraphes et que cette requête devrait être rejetée. Je comprends la frustration du plaignant, mais j’estime que la mention de ces années à la case du formulaire de plainte indiquant la date de début est, en soi, insuffisante pour l’emporter sur tous les autres éléments de preuve convaincants attestant que ces allégations ne faisaient pas partie de la plainte qui m’a été renvoyée. Je suis convaincue par les arguments de la Commission : les paragraphes contestés de l’exposé des précisions portent sur des allégations qui n’ont pas été examinées durant son enquête et qui ne faisaient pas non plus partie de la plainte renvoyée au Tribunal. Plus important encore, ces paragraphes ont trait à des décisions finales rendues par la Commission qui n’ont pas été infirmées.
[31] Le plaignant souligne également que la Commission a rejeté la plainte de 2012 pour non-respect des délais et que, par conséquent, elle n’a pas conclu que la plainte elle-même était dépourvue de fondement. Je juge que les motifs pour lesquels la Commission a rendu sa décision n’ont rien à voir avec la question de compétence dont il est ici question. Le Tribunal n’a pas compétence pour examiner les décisions rendues par la Commission lors de son examen préalable, quels que soient les motifs sur lesquels elles sont fondées. Seule la Cour fédérale peut le faire (Canada (Commission des droits de la personne) c. Warman, 2012 CF 1162 (CanLII), au par. 56). Le plaignant connaît la compétence de la Cour fédérale à cet égard, puisqu’il a tenté de soumettre à un contrôle judiciaire les décisions de la Commission de ne pas renvoyer au Tribunal la plainte de 2012 et la plainte de 2013. Dans le contexte de ces deux demandes de contrôle judiciaire, la Cour fédérale a prononcé une ordonnance en vertu de l’alinéa 416(1)f) des Règles des Cours fédérales pour exiger du plaignant qu’il fournisse un cautionnement pour les dépens qui pourraient être adjugés au défendeur et pour interdire au plaignant de poursuivre sa demande sans avoir fourni le cautionnement demandé. Pour ce qui est de la demande présentée en 2013, le plaignant s’est officiellement désisté à la suite de cette ordonnance. Quant à la demande présentée en 2012, selon les renseignements figurant au dossier, le plaignant n’a effectué aucune autre démarche. Dans les deux cas, le processus de demande de contrôle judiciaire a pris fin à ce moment-là, de sorte qu’il n’y a aucune raison de douter du caractère définitif des décisions de la Commission au sujet de la plainte de 2012 et de la plainte de 2013.
[32] Plutôt que d’avoir poursuivi ces demandes en se conformant à l’ordonnance de la Cour, le plaignant demande essentiellement au Tribunal de modifier ou d’annuler les décisions par lesquelles la Commission a choisi de ne pas lui renvoyer la plainte de 2012 et la plainte de 2013. Il tente de contourner le processus décisionnel de la Commission en remettant en question les mêmes événements, survenus quand il travaillait au Bureau des services fiscaux de la Montérégie et au Bureau des services fiscaux de Jonquière, qui avaient fait l’objet de plaintes que la Commission avait décidé de ne pas renvoyer au Tribunal, dans l’espoir d’obtenir un résultat différent.
[33] Il ne s’agit pas de la voie de recours appropriée pour ce faire. Le fait de permettre au plaignant de soulever devant le Tribunal les questions mêmes que la Commission avait décidé de ne pas lui renvoyer aurait pour effet de contrecarrer l’économie de la LCDP, en particulier le sens de l’article 49.
[34] Je conclus que le Tribunal n’a pas compétence pour examiner les faits qui font l’objet de la plainte de 2012 et de la plainte de 2013. Pour ces motifs, j’accueille la requête de l’intimée visant à faire radier ces paragraphes de l’exposé des précisions du plaignant.
(c) Allégations supplémentaires
[35] Certaines des allégations figurant dans les paragraphes contestés de l’exposé des précisions du plaignant portent sur la période visée par la plainte de 2012, mais n’y étaient pas mentionnées. Je juge que l’ajout de ces allégations ne modifie en rien ma conclusion. Les paragraphes 5 et 6 de l’exposé des précisions du plaignant portent sur une conversation qui a eu lieu en septembre 2008 entre le plaignant et son chef d’équipe, qui lui aurait fait des remarques à caractère raciste. Le plaignant n’a pas mentionné cette conversation dans la plainte de 2012. Toutefois, les remarques formulées en septembre 2008 ressemblent à d’autres que le même chef d’équipe aurait faites au plaignant, selon ce dernier, avant et après cette date. Rien n’explique pourquoi le plaignant n’a pas inclus cette conversation dans la plainte de 2012, ce qui est surprenant étant donné que cette conversation date de la même période, que le plaignant occupait le même poste et que les personnes concernées sont les mêmes.
[36] Ces allégations, telles qu’elles sont formulées par le plaignant, témoignent de sa volonté à remettre en litige la plainte de 2012 et la plainte de 2013 puisqu’elles sont très semblables aux allégations formulées dans les plaintes antérieures et portent sur la même époque. Il s’agit encore là d’une façon de contourner les décisions de la Commission. D’ailleurs, le plaignant avait tenté de contester ces décisions en Cour fédérale, puis s’est désisté. Le Tribunal n’a pas compétence pour examiner ces décisions.
(d) Portée
[37] J’ai déjà conclu que le Tribunal n’a pas compétence pour examiner les allégations liées à la plainte de 2012 et à la plainte de 2013, étant donné que la Commission a décidé de ne pas renvoyer ces plaintes au Tribunal. Toutefois, je juge également que ces allégations devraient être radiées au motif qu’elles dépassent la portée de la plainte qui a été renvoyée au Tribunal pour instruction.
[38] Les parties ont présenté des observations détaillées sur la question de savoir si la portée de la plainte de 2019 pourrait aussi englober la plainte de 2012 et la plainte de 2013. L’intimée fait valoir qu’il n’y a aucune ambiguïté quant à la portée de la plainte de 2019, qui comprend des allégations de discrimination portant sur des incidents qui se seraient produits du 29 octobre 2018 au 29 mars 2019; ces allégations n’ont aucun lien avec les événements qui se seraient produits en 2008, en 2009 et en 2013.
[39] Le plaignant soutient que le fait qu’il ait indiqué 2009 et 2013 comme dates de début de la discrimination dans son formulaire de plainte prouve que les allégations portant sur cette période faisaient partie de la plainte de 2019. Il fait remarquer que la Commission n’est pas tenue de se pencher sur chacune des allégations pendant son enquête et affirme que, étant donné que le compte rendu de décision fourni par la Commission au moment où elle a renvoyé la plainte au Tribunal ne mentionne pas que les dates de 2009 et de 2013 ont été retirées, la plainte de 2019 a été renvoyée au Tribunal dans son intégralité, et la Commission a demandé au Tribunal de procéder à une [traduction] « instruction complète »
des allégations, dont celles qui portaient sur cette période.
[40] La lettre de renvoi que la Commission transmet au Tribunal contribue à définir la portée de la plainte qui lui est renvoyée pour instruction, mais elle ne peut pas être dissociée du long historique de la plainte et du contexte dans lequel le Tribunal a été saisi de l’affaire : Murray c. Canada, 2014 CF 139, au par. 67. Afin d’avoir une compréhension d’ensemble de la plainte, de son historique et de son contexte général, le Tribunal peut consulter notamment la plainte initiale, comme le soutient le plaignant dans la présente affaire, mais aussi le rapport d’enquête de la Commission, les lettres envoyées par celle-ci au président et aux parties, et les formulaires administratifs : Levasseur c. Société canadienne des postes, 2021 TCDP 32, au par. 17; Karas c. Société canadienne du sang et Santé Canada, 2021 TCDP 2, au par. 30.
[41] Ainsi, je prends acte de plusieurs documents rédigés par le plaignant et la Commission avant la présentation de l’exposé des précisions qui, comme l’a souligné l’intimée, ne faisaient aucune référence à des événements survenus en 2009 ou en 2013 :
A) La plainte : Dans la plainte elle-même, les années 2009 et 2013 ont été indiquées à la case des dates de début de la discrimination du formulaire, mais la plainte ne comprend aucune mention d’événements survenus au cours de ces années. Le plaignant a également joint au formulaire de plainte une description détaillée de sa plainte dans une lettre de trois pages; toutefois, celle-ci ne fait aucune mention d’événements survenus en 2009 ou en 2013. Le premier incident décrit par le plaignant remonte plutôt au 29 octobre 2018.
B) Dans le résumé de la plainte, la Commission ne fait référence qu’à des actes discriminatoires qui se seraient produits pendant la période d’octobre 2018 à mars 2019.
C) Le rapport de décision de la Commission, daté du 3 décembre 2021, renvoie seulement au premier événement ayant fait l’objet d’une allégation, qui serait survenu le 29 mars 2018.
D) La lettre de renvoi de la Commission, datée du 3 mars 2022, ne mentionne aucun incident survenu en 2009 ou en 2013.
E) Le rapport de décision de la Commission, daté du 2 juin 2023, ne mentionne aucun incident survenu en 2009 ou en 2013.
F) Le rapport supplémentaire de décision de la Commission, daté du 16 octobre 2023, ne mentionne aucun incident survenu en 2009 ou en 2013.
[42] Le plaignant peut clarifier, préciser et détailler les allégations de discrimination figurant dans sa plainte lorsqu’il présente son exposé des précisions. Comme l’explique le Tribunal au paragraphe 15 de la décision Levasseur, l’exposé des précisions doit raisonnablement respecter, dans sa substance même, les fondements factuels et les allégations prévues à la plainte initiale du plaignant.
[43] Le plaignant n’a pas mentionné les faits relatifs aux incidents de 2009 et de 2013 dans son formulaire de plainte, et je juge qu’il n’y a aucun lien entre les allégations qui font l’objet de la plainte dans la présente affaire et les allégations visées par la plainte de 2012 et la plainte de 2013. Ces deux plaintes portent sur des événements qui se sont produits au sein du même ministère fédéral, mais dans des bureaux différents, en présence de personnes différentes et à des périodes différentes. Dans la plainte de 2013, le plaignant a affirmé qu’il avait subi des représailles pour avoir présenté la plainte de 2012, ce qui établissait un lien entre les deux événements. Dans le contexte de la plainte de 2019, aucune allégation de cet ordre n’a été formulée pour lier la plainte à celle de 2012 ou de 2013. Je ne dispose d’aucun élément de preuve attestant que les événements décrits dans la plainte de 2019 sont liés de quelque façon que ce soit aux événements mentionnés dans la plainte de 2012 ou la plainte de 2013.
[44] Si je prends aussi en considération l’absence notable de toute mention des événements remontant à 2009 et à 2013 dans les documents relatifs à la plainte, je juge que la mention par le plaignant des années 2009 et 2013 dans la case réservée à la date de début du formulaire de plainte est insuffisante pour que je considère que ces allégations supplémentaires font partie de la portée de la plainte qui a été renvoyée au Tribunal par la Commission.
[45] La Commission estime également que ces allégations dépassent la portée de la plainte, mais pour des raisons différentes. Elle soutient que la portée de la plainte de 2019 ne peut pas englober des faits que la Commission a examinés et qu’elle a décidé de ne pas renvoyer au Tribunal pour instruction. À son avis, il n’est pas nécessaire que le Tribunal analyse si les événements faisant l’objet de la plainte de 2012 et de la plainte de 2013 ont un lien suffisant avec la plainte renvoyée au Tribunal, puisqu’il n’y a aucune ambiguïté quant à la portée de la plainte qui a été renvoyée. Les décisions de la Commission quant à la teneur de la plainte de 2012 et de la plainte de 2013 dissipent toute ambiguïté quant à la portée de la plainte devant être examinée par le Tribunal.
[46] C’est aussi mon avis : la portée d’une plainte ne peut pas englober des allégations que la Commission, dans des décisions finales, avait déjà décidé de ne pas renvoyer au Tribunal pour instruction. Cette conclusion repose sur un argument lié à la compétence, comme il a déjà été exposé, mais aussi sur un argument lié à la clarté de la portée des plaintes que la Commission renvoie au Tribunal. Il ne peut y avoir aucune ambiguïté sur cette question : la Commission n’a pas renvoyé au Tribunal des allégations qu’elle avait précédemment décidé de ne pas lui renvoyer.
(e) Allégations portant sur le statut permanent
[47] Aux paragraphes 9 et 10 de l’exposé des précisions du plaignant, ce dernier soutient qu’il a obtenu un poste permanent de niveau SP-05 au Bureau des services fiscaux de la Montérégie en 2009, ce qui, selon lui, aurait dû empêcher l’employeur de le congédier lorsqu’il occupait ce poste et ce qui constitue une autre preuve de discrimination, étant donné qu’il a été congédié comme s’il avait eu un statut temporaire. Le plaignant soutient qu’il n’a pris connaissance de ce fait qu’au moment où il a examiné les documents communiqués par l’intimée dans le contexte de la plainte de 2019.
[48] Bref, le plaignant tente de formuler une nouvelle allégation relative à la plainte de 2012, allégation que la Commission n’avait pas examinée lorsqu’elle a décidé de ne pas renvoyer la plainte de 2012 au Tribunal. Plus précisément, le plaignant souhaite apporter la preuve de l’existence d’une lettre qui montre qu’il avait obtenu un poste permanent à l’époque, ce qui aurait dû l’empêcher d’être congédié lorsqu’il travaillait au Bureau des services fiscaux de la Montérégie. Il affirme qu’il s’agit là d’une autre preuve de la conduite discriminatoire continuellement adoptée par l’employeur à son encontre pendant cette période.
[49] L’intimée me demande de radier ces paragraphes de l’exposé des précisions du plaignant. Elle fait remarquer que la lettre en question a été adressée au plaignant il y a dix ans et que ce dernier n’a pas expliqué pourquoi il n’y aurait pas eu accès ni pourquoi il n’a pas fait mention de cette lettre dans la plainte de 2019. L’intimée s’interroge sur le poids que le Tribunal devrait accorder à cette lettre et soutient, entre autres, qu’elle visait à informer le plaignant non pas qu’il avait obtenu un statut permanent, mais bien qu’il recevrait une prime de bilinguisme. Enfin, l’intimée affirme que la lettre ne change rien au fait que le Tribunal n’a pas compétence pour annuler la décision de la Commission de ne pas traiter une plainte.
[50] J’estime qu’il serait prématuré à ce stade-ci de radier les allégations en question. Si, par ces allégations, le plaignant tente une nouvelle fois de contester la décision rendue par la Commission relativement à la plainte de 2012, alors je serais d’accord avec l’intimée pour dire que mes conclusions antérieures concernant le fait que le Tribunal n’a pas compétence pour examiner cette décision s’appliquent aussi à ce contexte. Toutefois, si l’allégation du plaignant relative à son statut permanent est pertinente pour l’instruction de la plainte de 2019 sur laquelle je dois statuer, alors je pourrais envisager qu’elle soit présentée uniquement à cette fin. Compte tenu de l’incertitude qui subsiste quant à leur pertinence et à leur objet à ce stade-ci, je n’ordonnerai pas la radiation de ces parties de l’exposé des précisions du plaignant. Il se pourrait fort bien que je conclue à l’audience que la preuve que les parties présentent relativement à ces allégations n’est pas pertinente, ne devrait pas être admise ou devrait se voir accorder peu de poids, voire aucun. Toutefois, il n’est pas nécessaire que je tire de conclusion à ce sujet à ce stade-ci.
2. Les parties contestées de l’exposé des précisions du plaignant ayant trait à la plainte de 2012 et à la plainte de 2013 devraient-elles être conservées à titre de contexte?
[51] La Commission soutient que, bien que le plaignant ne puisse pas se fonder sur les paragraphes ayant trait à ses plaintes antérieures pour atteinte aux droits de la personne afin d’obtenir des mesures de réparation indépendantes de la part du Tribunal, ces paragraphes pourraient être conservés [traduction] « comme contexte illustrant le lien entre les parties en vue de l’instruction de la plainte dans la présente affaire »
. Je fais observer qu’il y a des circonstances où une telle approche est utile. Dans la décision sur requête Wilson c. Banque de Nouvelle-Écosse, 2022 TCDP 34, le Tribunal a fait remarquer qu’il était possible que les faits à l’origine des allégations antérieures soient pertinents à l’égard des questions en litige, si l’on excluait toute responsabilité qu’ils pourraient établir de façon indépendante. Au paragraphe 64, le Tribunal a affirmé ce qui suit : « Par exemple, il se pourrait que les faits allégués les plus anciens soient pertinents pour l’interprétation que font les témoins des événements de 2014-2015. L’interprétation des événements par un témoin, et ses perceptions, sont souvent influencées par des expériences et interactions passées »
.
[52] Étant donné que les témoins en cause dans les trois plaintes, à l’exception du plaignant, sont tous différents, qu’ils travaillaient dans des bureaux différents et qu’ils ont connu le plaignant à des époques différentes, le contexte que ces allégations antérieures pourraient fournir n’est pas utile aux témoins dans la présente affaire. La Commission soutient que les allégations fournissent un contexte [traduction] « qui pourrait aider le Tribunal à comprendre la nature des liens entre l’intimée et le plaignant au moment où les événements importants se sont produits »
. Je ne suis pas de cet avis. Compte tenu de l’absence de lien entre ces allégations et les événements décrits dans la plainte de 2019, je ne vois aucune raison de les conserver.
[53] Si je conserve ces allégations et que je permets au plaignant de présenter des éléments de preuve à cet égard, comme le suggère la Commission, l’instance risque d’être inutilement prolongée et complexifiée, sans qu’il en découle d’avantage manifeste ou que la pertinence de ces éléments ne soit établie. L’intimée aurait alors à se défendre contre ces allégations, ne serait-ce que pour s’assurer que le « contexte » sur lequel se fonderait le Tribunal correspond à sa vision des faits, ce qui pourrait ensuite amener le Tribunal à devoir tirer des conclusions de fait sur des éléments de preuve contradictoires. Cette manière de procéder ne cadre pas avec l’obligation qui incombe au Tribunal au titre du paragraphe 48.9(1) de la LCDP, selon lequel il doit procéder à l’instruction de façon expéditive et équitable, comme je l’explique ci-après.
[54] L’intimée a souligné l’effet préjudiciable qu’elle subirait si elle devait se défendre contre ces allégations. Plus de 15 ans se sont écoulés depuis que s’est produit le premier événement ayant donné lieu à une allégation et une seule des personnes concernées travaille toujours pour l’intimée, ce qui se répercute sur la capacité de cette dernière à faire comparaître des témoins compétents et également sur la qualité des témoignages que se verrait présenter le Tribunal. Par ailleurs, étant donné que la Commission a déterminé précédemment que le Tribunal ne devait pas examiner ces allégations, je conclus que cette façon de procéder serait inéquitable pour l’intimée, qui devrait pouvoir considérer ces questions comme tranchées une fois pour toutes.
3. Les allégations portant sur la période postérieure à mars 2019 devraient-elles être radiées?
[55] La plainte de 2019, qui fait l’objet de la présente affaire devant le Tribunal, porte sur des incidents qui se sont produits durant la période du 29 octobre 2018 au 29 mars 2019, soit pendant que le plaignant occupait un poste de vérificateur fiscal spécialisé de niveau SP-05 pour une durée déterminée au Bureau des services fiscaux de Montréal. Le plaignant est par la suite retourné au Bureau des services fiscaux de Jonquière pour y occuper à nouveau un poste de niveau SP-04. Le 18 février 2021, il a été congédié (le « congédiement de 2021 »).
[56] Les paragraphes 55, 56 et 71 de l’exposé des précisions du plaignant font référence à ce congédiement, qui est survenu après le dépôt de la plainte de 2019. Le plaignant soutient que le congédiement de 2021 constituait des représailles pour les événements faisant l’objet de la plainte de 2013 et de la plainte de 2019. L’intimée soutient que ces allégations dépassent la portée de la plainte. Le congédiement de 2021 fait également l’objet d’une instance devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « CRTESPF »), qui a instruit le grief en question en juillet 2024. Le plaignant soutient que le Tribunal a compétence concurrente et peut se prononcer sur l’aspect du congédiement de 2021 touchant aux droits de la personne, mais l’intimée affirme qu’il y a une situation de litispendance et que les mêmes faits ne peuvent pas faire l’objet de deux instances différentes.
(i) Portée
[57] L’intimée soutient qu’il faudrait radier l’observation du plaignant selon laquelle le congédiement de 2021 constituait des représailles en raison de la plainte pour atteinte aux droits de la personne présentée précédemment parce que le congédiement a eu lieu à une époque différente, lorsque le plaignant travaillait dans un autre bureau, et mettait en cause des personnes différentes de celles visées par la plainte de 2019. Par conséquent, ces allégations ont trait à un autre contexte et ne devraient pas être autorisées dans le cadre de la plainte faisant l’objet de la présente affaire.
[58] Je ne suis pas du même avis. Le Tribunal permet souvent aux plaignants d’ajouter des allégations de représailles à leurs plaintes, à condition toutefois qu’elles soient défendables et soutenables : Polhill c. la Première Nation Keeseekoowenin, 2017 TCDP 34, au par. 31. Le fondement de la plainte doit être le dépôt préalable de l’autre plainte elle-même devant la Commission. Le plaignant doit avoir subi un effet préjudiciable et doit démontrer que le dépôt de sa plainte devant la Commission a été un facteur dans la manifestation de cet effet préjudiciable : Temate c. Agence de santé publique du Canada, 2022 TCDP 31, aux par. 72 et 73.
[59] Dans la présente affaire, le congédiement de 2021 est survenu après le dépôt par le plaignant de la plainte de 2019. Dans la mesure où les allégations sont liées aux représailles alléguées pour le dépôt de la plainte de 2019, j’estime qu’il existe « une connexion, un lien suffisant »
avec cette plainte. Le Tribunal peut considérer que les allégations en question font partie de la plainte.
[60] Il ne s’ensuit pas pour autant que le Tribunal examinera la question de savoir si le congédiement de 2021 était fondé sur la discrimination par ailleurs. Étant donné que le congédiement a eu lieu dans un autre bureau, alors que le plaignant occupait un autre poste, et que des personnes différentes sont concernées, je suis d’accord avec l’intimée pour dire que, à moins que les allégations visent à démontrer qu’il y a eu représailles, elles dépassent la portée de la plainte et auraient dû faire l’objet d’une plainte distincte.
[61] Je conclus que les allégations relatives au congédiement de 2021 peuvent être conservées dans la mesure où elles visent à démontrer que le congédiement est une mesure de représailles pour le dépôt de la plainte de 2019.
(ii) Litispendance
[62] L’exception de litispendance (lis pendens ou affaire en instance) est un moyen de procédure préliminaire qui, s’il est appliqué, empêche la tenue d’une action en justice au motif qu’une autre action en justice a déjà été intentée sur le fondement des mêmes faits. Les principes qui régissent l’application de cette exception sont les mêmes que ceux qui s’appliquent à l’autorité de la chose jugée, c’est-à-dire que, dans les deux cas, on cherche à éviter de multiplier les recours en justice et à réduire le risque d’obtenir des jugements contradictoires. Sur le plan de l’intérêt privé, la litispendance évite au défendeur les inconvénients pouvant découler des poursuites multiples. Pour que s’applique l’exception, il faut qu’il y ait identité de parties, d’objet (ou de chose) et de cause : Rocois Construction Inc. c. Québec Ready Mix Inc., 1990 CanLII 74 (CSC), [1990] 2 RCS 440.
[63] L’intimée fait valoir que l’exception de litispendance s’applique compte tenu de la procédure en instance devant la CRTESPF, puisque les deux tribunaux auraient à examiner les mêmes faits qui sont soulevés dans les paragraphes 55, 56 et 71 de l’exposé des précisions, et elle soutient, par conséquent, que ceux-ci devraient être radiés. L’intimée affirme que, bien que la CRTESPF et le Tribunal aient compétence concurrente, la Commission doit tout de même veiller à ce que tous les autres recours possibles soient épuisés avant de statuer sur une plainte afin d’éviter que des décisions contradictoires soient rendues ou qu’il y ait double indemnité.
[64] La CRTESPF a compétence pour rendre des décisions et ordonner des mesures de réparation en cas de violation de la LCDP. Aux termes des alinéas 226(2)a) et 226(2)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, ch. 22, art. 2, l’arbitre de grief et la CRTESPF peuvent, pour instruire toute affaire dont ils sont saisis, interpréter et appliquer la LCDP et rendre les ordonnances prévues à l’alinéa 53(2)e) ou au paragraphe 53(3) de la LCDP. Dans la lettre de congédiement de 2021 adressée au plaignant, il n’y a nulle mention de la plainte de 2019. Le grief qui a été renvoyé à la CRTESPF pour arbitrage ne fait pas non plus référence aux allégations de représailles que soulève le plaignant ni à la LCDP. Aucune des parties ne m’a fourni de preuve relative aux arguments qui ont été présentés à l’audience devant la CRTESPF. Il m’est donc impossible à l’heure actuelle de dire si la CRTESPF se penchera bel et bien sur la question de savoir si le congédiement de 2021 constitue une mesure de représailles en matière de droits de la personne.
[65] Compte tenu de l’incertitude qui subsiste quant à la portée de l’instance devant la CRTESPF, je ne peux pas conclure que l’exception de litispendance s’applique dans la présente affaire. Je juge que la requête visant la radiation des allégations visées pour ce motif est prématurée. Il est possible que je modifie cette conclusion lorsque la CRTESPF aura rendu sa décision.
[66] Le plaignant soutient qu’il a également présenté une plainte pour atteinte aux droits de la personne liée à son congédiement de 2021 pendant que la Commission examinait la plainte de 2019. À la pièce H de son dossier de requête, le plaignant a inclus une copie de ce qui semble être un formulaire de plainte pour atteinte aux droits de la personne présenté à la Commission concernant le congédiement de 2021. Toutefois, contrairement aux trois autres plaintes déposées par le plaignant, le formulaire de plainte en question n’est pas daté et ne comprend pas de section « Consentements » ni de page finale dûment signées. Rien ne confirme que ce document a bel et bien été reçu par la Commission ni qu’il a été traité par celle-ci. Lorsque je tiens compte de la déclaration de la Commission selon laquelle les allégations relatives au congédiement de 2021 [traduction] « n’ont pas fait l’objet d’une plainte devant la Commission »
[non souligné dans l’original], je suis convaincue qu’une telle plainte n’a pas été déposée en bonne et due forme à la Commission. Je n’ai donc pas à me prononcer sur la question de savoir si cette plainte aurait influé sur la capacité du plaignant de soulever ces allégations devant moi dans la présente affaire.
V. REQUÊTE EN RADIATION PRÉSENTÉE PAR L’INTIMÉE
[67] En plus des paragraphes dont j’ai ordonné la radiation dans mon ordonnance du 11 mars 2025, l’intimée m’a demandé de radier [traduction] « les parties de la plainte du plaignant qui font référence à des pertes financières subies avant le 31 mars 2019 »
. Les seules parties de l’exposé des précisions qui portent sur cet aspect sont celles du paragraphe 73, dont j’ai déjà ordonné la radiation. Il est donc inutile que j’examine davantage cette requête.
[68] L’intimée sollicite en outre un jugement déclaratoire portant que toute demande d’indemnisation financière liée à des événements survenus avant juillet 2018 ou après mars 2019 est irrecevable. Les allégations relatives à des événements n’ayant pas de lien avec la plainte de 2019 ont été radiées, et j’ai jugé qu’il était prématuré à cette étape-ci de radier les allégations relatives à des événements survenus après mars 2019. Je ne consens donc pas à prononcer le jugement déclaratoire demandé.
Signée par
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéro du dossier du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Requête traitée par écrit sans comparution des parties
Observations écrites par :
Geneviève Colverson, pour la Commission canadienne des droits de la personne