Tribunal canadien des droits de la personne
Informations sur la décision
Le Dr Gupta (le « plaignant ») a déposé une plainte contre les Forces armées canadiennes (la « partie intimée »). Il réclame plus de 2 millions de dollars à titre de réparation, principalement pour perte de salaire et de pension, en raison de la discrimination dont il dit avoir été victime.
La présente décision sur requête porte sur la demande de la partie intimée visant à obtenir des documents supplémentaires de la part du plaignant, notamment des renseignements plus détaillés sur ses revenus et ses pertes.
Le Tribunal ordonne au plaignant de communiquer des documents relatifs à ses revenus à titre de médecin depuis qu’il ne travaille plus pour la partie intimée et aussi des documents relatifs à ses prestations d’invalidité.
Il ne faut pas que le plaignant communique des documents supplémentaires concernant les tableaux qu’il a produits pour illustrer sa perte de salaire, car il a déjà transmis ces documents. La partie intimée souhaite plutôt obtenir plus d’informations sur la manière dont le plaignant a calculé sa perte salariale. Elle pourra poser des questions sur les documents et les calculs lors de l’audience.
Contenu de la décision
Tribunal canadien |
|
Canadian Human |
Référence : 2025 TCDP
Date : Le
Numéro du dossier :
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Entre :
le plaignant
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
l’intimée
Décision
Membre :
Table des matières
(i) Demandes de communication acceptées
(a) Points 1 à 3 : Les revenus professionnels et personnels
(b) Point 5 : Les prestations d’invalidité d’Anciens Combattants Canada
(ii) Demande de communication rejetée
(a) Point 4 : Les documents sources appuyant l’annexe C de l’exposé des précisions
I. APERÇU
[1] Le Dr Gupta, qui a qualité de plaignant dans la présente affaire, affirme avoir été victime de harcèlement pendant qu’il travaillait pour les Forces armées canadiennes (les « FAC »), la partie intimée dans la présente affaire, et avoir en fin de compte perdu son emploi en raison de son sexe, de sa couleur, de son origine nationale ou ethnique, de sa race, de sa religion, de sa déficience et de son identité ou expression de genre. Les faits relatés dans ses allégations remontent à 2006. Le Dr Gupta demande à être indemnisé pour la perte de salaire, la perte de prestations de retraite et le préjudice moral qu’il a subis, ainsi que pour le caractère délibéré et inconsidéré de la conduite dont il a fait l’objet. Il demande également des intérêts, de sorte que sa réclamation s’élève à plus de 2 millions de dollars.
[2] Avant le dépôt de la présente requête, le Dr Gupta a déposé un exposé des précisions et on l’a par la suite prié de déposer un exposé des précisions modifié dans lequel il lui était demandé de donner des détails au sujet de la réparation qu’il réclame. Il n’a produit dans cet exposé des précisions modifié aucun détail ou renseignement supplémentaire au sujet des pertes financières qu’il aurait subies. Les FAC ont ensuite déposé la présente requête, par laquelle elles me demandent d’ordonner au plaignant de communiquer des documents et des renseignements supplémentaires renfermant plus de détails au sujet des éléments suivants :
-
les revenus personnels du Dr Gupta depuis 2006;
-
les revenus de toute société professionnelle ou médicale dont il a été ou est actuellement administrateur depuis février 2006;
-
le montant que le Dr Gupta ou toute société professionnelle ou médicale dont il était administrateur ou actionnaire a reçu en contrepartie de la prestation de services à des personnes assurées au titre de la Loi sur l’assurance-maladie, c. H35 de la C.P.L.M., depuis février 2006;
-
tous les documents sources pour les informations figurant à l’annexe C de son exposé des précisions, intitulée [traduction] «Estimation de la perte financière»;
-
toute prestation d’invalidité qu’il a reçue d’Anciens Combattants Canada ou d’une autre source en raison de sa déficience.
[3] Les parties ont largement réitéré les observations écrites qu’elles avaient formulées lors de la conférence de gestion préparatoire à propos de la requête en l’espèce. La Commission canadienne des droits de la personne ne s’est pas prononcée au sujet de la requête.
II. DÉCISION
[4] J’accueille la requête en partie. Le Dr Gupta est tenu de communiquer les documents relatifs à ses revenus personnels et professionnels (y compris les revenus qu’il a gagnés par l’intermédiaire d’une société) et les documents relatifs à sa pension d’invalidité, car ceux-ci sont potentiellement pertinents pour les besoins de son dossier.
[5] Le Dr Gupta n’a pas besoin de communiquer d’autres documents ou détails se rapportant à l’annexe C de son exposé des précisions. Il a déjà communiqué les documents en sa possession.
III. QUESTION EN LITIGE
[6] Le Dr Gupta doit-il produire les documents demandés?
IV. ANALYSE
[7] La communication de renseignements est essentielle à l’efficacité des procédures et est liée au droit des parties d’avoir la possibilité pleine et entière de présenter leurs arguments et de se préparer à l’audience (paragraphe 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6). C’est pourquoi, aux termes des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 (les « Règles de pratique »), les parties sont tenues de produire tous les documents en leur possession relativement aux faits ou aux questions soulevés dans la plainte, ou aux réparations sollicitées dans la plainte. La communication intervient dès le début de la procédure et se poursuit tout au long de celle-ci (voir les articles 18, 19, 20 et 24 des Règles de pratique).
[8] La jurisprudence du Tribunal expliquant les principes applicables aux demandes de communication abonde (voir Egan c. Agence du revenu du Canada 2017 TCDP 33 [Egan] au par. 40; Brickner c. Gendarmerie royale du Canada, 2017 TCDP 28 [Brickner] aux par. 4 à 10; Peters c. Première Nation de Peters, 2023 TCDP 40 [Peters] aux par. 8 à 14).
[9] Le critère auquel doit satisfaire la partie requérante n’est pas sévère. La requête doit avoir un lien logique avec les faits, les questions ou les formes de réparations mentionnées par les parties en cause, sous réserve des principes de proportionnalité. Les parties pourront ainsi se préparer à l’audience. La demande doit être précise et ne pas être une « partie de pêche »
qui aurait un effet préjudiciable sur la procédure. La prémisse est que les documents sont en possession de la partie visée par la requête. Le Tribunal ne peut pas exiger d’une partie qu’elle crée de nouveaux documents à communiquer. La communication ne doit pas non plus être confondue avec l’admission en preuve. Ce n’est pas parce qu’un document est communiqué qu’il sera produit à titre d’élément de preuve ou admis en preuve lors de l’audition de l’affaire (Peters, au par. 13). La communication de renseignements potentiellement pertinents permet aux parties de comprendre la preuve qu’elles doivent réfuter.
(i) Demandes de communication acceptées
(a) Points 1 à 3 : Les revenus professionnels et personnels
[10] Les FAC ont fait valoir que le Dr Gupta n’a fourni aucun document ou détail à l’appui des pertes financières qu’il allègue avoir subies. Elles affirment que les documents financiers concernant les revenus personnels et professionnels du Dr Gupta (y compris les revenus de toute société dont il est actionnaire) sont potentiellement pertinents en l’espèce, car ils concernent l’atténuation de pertes que le plaignant aurait subies depuis 2006, année où il a commencé à travailler avec la CAF, pertes qui, selon lui, s’élèvent à plus de 2 millions de dollars. Dans ses observations, les FAC ont souligné à juste titre que, dans la décision sur requête Peters c. United Parcel Service du Canada Ltd. et Gordon, 2020 TCDP 19, au paragraphe 20, le Tribunal a reconnu que les documents relatifs à l’atténuation des pertes pour l’emploi devraient être fournis à une partie intimée.
[11] Le Dr Gupta n’est pas d’accord avec les FAC. Il affirme que le revenu qu’il touchait de son travail à temps partiel au sein des FAC s’ajoutait aux revenus qu’il percevait par ailleurs à temps plein. Le Dr Gupta affirme que son revenu de son travail à temps plein n’est pas pertinent en l’espèce et qu’il s’agit donc d’une requête disproportionnée. Cependant, le Dr Gupta n’a pas fourni de précédents pour réfuter la position des FAC et n’a pas non plus fait valoir quoique ce soit qui étaye que sa position sur le revenu de travail à temps partiel est fondée sur des principes de droit établis. Dans ses observations, le plaignant n’a pas contesté la spécificité de la demande des FAC, pas plus qu’il n’a contesté être en possession des documents. Le plaignant a reconnu qu’il aborderait probablement la question de l’atténuation lors de l’audience, ce qui donne à penser que l’atténuation est susceptible d’être une question en litige dans la présente affaire. Il s’ensuit que la demande des FAC n’est pas disproportionnée.
[12] Les FAC ne sont pas sorties pour une « partie de pêche »
, comme l’a dit le Dr Gupta lui-même dans ses observations. La demande des FAC visant à ce que le Dr Gupta produise des documents financiers pour étayer ses pertes alléguées depuis 2006 est rationnelle et directement liée à la preuve qu’elle devra réfuter (Brickner, aux par. 6 et 7; Peters, au par. 11). Pour ce motif, il est impératif de considérer l’atténuation comme un élément potentiellement pertinent à ce stade de l’instance, compte tenu du seuil peu élevé pour atteindre la « pertinence défendable » (Cox c. Northwest Truck Line Inc. et al, 2024 TCDP 135, aux par. 15 et 16). La question des mesures d’atténuation devra être tranchée suivant l’examen de la preuve et des observations présentées par les parties à l’audience.
[13] Pour ce motif, j’ordonne au Dr Gupta de communiquer les documents demandés par les FAC concernant ses revenus personnels et professionnels, parce que les FAC ont le droit de comprendre la preuve qu’elles devront réfuter afin de se préparer à la partie de l’audience qui portera sur les pertes financières qu’il aurait subies (Egan, au par. 40).
(b) Point 5 : Les prestations d’invalidité d’Anciens Combattants Canada
[14] Les FAC ont demandé au Dr Gupta de produire des documents au sujet des prestations d’invalidité que lui verse Anciens Combattants Canada. Elles affirment que ces informations sont pertinentes, parce qu’elles ont besoin de comprendre d’où vient l’argent que reçoit le Dr Gupta, et l’effet de cet argent sur les salaires et l’atténuation. Les FAC affirment que ces renseignements pourraient démontrer l’ampleur de l’indemnité d’invalidité que touche le Dr Gupta.
[15] Le Dr Gupta n’a pas fait valoir que ces documents ne sont pas en sa possession. Dans ses observations, il a déclaré que ces documents n’étaient pas pertinents, sans fournir d’explications ou d’arguments à ce sujet.
[16] Il existe un lien rationnel entre la demande faite par les FAC au Dr Gupta de divulguer des documents concernant ses prestations d’invalidité, parce que ces documents pourraient être pertinents en ce qui concerne la réparation qu’il réclame dans sa plainte (Peters, au par. 11). La preuve relative à la prestation d’invalidité est sans doute pertinente pour établir son degré d’invalidité et sa capacité à travailler. Je reconnais que les FAC ont besoin de ces documents pour comprendre la preuve qu’elles doivent réfuter et pour se préparer à l’audience (voir Egan, au par. 40).
[17] Le Dr Gupta est tenu de communiquer aux FAC les documents relatifs aux prestations d’invalidité qu’il a reçues d’Anciens Combattants Canada.
(ii) Demande de communication rejetée
(a) Point 4 : Les documents sources appuyant l’annexe C de l’exposé des précisions
[18] Les FAC ont demandé au Dr Gupta de produire les documents sources pour expliquer comment il est parvenu aux montants figurant à l’annexe C jointe à son exposé des précisions.
[19] Dans le troisième exposé des précisions modifié qu’il a déposé auprès du Tribunal le 11 février 2025, M. Gupta a énuméré les documents sources de l’annexe C au paragraphe 42 et à l’index. Selon les observations qu’il a déposées dans le cadre de la requête en l’espèce, les documents ont été communiqués aux FAC. Lors de la conférence de gestion préparatoire concernant la présente requête, le Dr Gupta a déclaré que la réalisation des calculs était un exercice ardu. Il a également indiqué qu’il convoquerait un témoin à l’audience pour expliquer les calculs.
[20] Je n’ordonnerai pas de communication supplémentaire sur ce point pour le moment, car le Dr Gupta a communiqué les documents sources en sa possession aux FAC, conformément aux obligations de communication prévues aux articles 18 et 24 des Règles de pratique. Je ne peux pas ordonner à une partie de communiquer des documents dont elle n’a pas possession. Je ne peux pas ordonner au Dr Gupta de créer un document expliquant comment il est arrivé aux montants figurant à l’annexe C (Brickner, aux par. 10 et 24).
[21] L’obligation du Dr Gupta de communiquer des renseignements potentiellement pertinents subsiste tout au long de l’instance, et il ne pourra produire en preuve à l’audience que les éléments qui auront été communiqués à l’autre partie (articles 24 et 37 des Règles de pratique). Étant donné que le Dr Gupta a l’intention d’appeler à la barre un témoin pour expliquer les calculs de l’annexe C, il devra produire avant l’audience un résumé détaillé du témoignage anticipé, qui sera communiqué aux FAC. Les FAC auront l’occasion, lors de l’audience, d’interroger le Dr Gupta et son témoin quant à la question de savoir comment ils sont arrivés aux calculs et aux montants figurant à l’annexe C.
V. ORDONNANCE
[22] J’accueille donc en partie la requête de la plaignante. J’ordonne au Dr Gupta de communiquer les documents suivants dans les 30 jours suivant la communication de la présente ordonnance aux parties :
-
tous les documents et dossiers nécessaires pour établir son revenu personnel de février 2006 à aujourd’hui, y compris les déclarations de revenus, les talons de paye, les relevés T4 et les avis de cotisation;
-
tous les documents et dossiers nécessaires pour établir les revenus de toute société professionnelle ou médicale dont il a été ou est actuellement administrateur, depuis février 2006;
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tous les documents et dossiers nécessaires pour établir le montant que le Dr Gupta ou toute société professionnelle ou médicale dont il était administrateur ou actionnaire a reçu en contrepartie de la prestation de services à des personnes assurées au titre de la Loi sur l’assurance-maladie, c. H35 de la C.P.L.M., depuis février 2006;
-
tous les documents et dossiers relatifs aux prestations d’invalidité qu’il a reçue d’Anciens Combattants Canada ou d’une autre source en raison de sa déficience.
Signée par
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéro du dossier du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Observations écrites et orales par :
Ryan Nerbas, pour
Amanda Neudorf, pour