Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Allen McLearn, le plaignant, a déposé deux plaintes relatives aux droits de la personne, soit l’une contre la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») et l’autre contre Emploi et Développement social Canada (les « intimés »). Les deux plaintes contiennent des allégations très similaires. Le plaignant souffre d’une lésion cérébrale qui nuit à sa capacité de lire et d’écrire. Il soutient que des employés fédéraux l’ont maltraité et n’ont pas pris les mesures d’adaptation nécessaires pour tenir compte de sa déficience.
Le Tribunal a accepté la demande de la Commission de regrouper les deux plaintes. Comme celles-ci portent sur des questions de fait et de droit très similaires, le Tribunal a conclu que les regrouper permettrait d’économiser des ressources et de réduire le risque de rendre des conclusions contradictoires.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2025 TCDP 22

Date : Le 20 mars 2025

Numéros des dossiers : HR-DP-2997-24 et HR-DP-3068-24

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Allen McLearn

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

l’intimée

- et -

Emploi et Développement social Canada

l’intimé

Décision sur requête

Membre : Gary Stein

 



I. Introduction

[1] Allen McLearn, le plaignant, a déposé deux plaintes distinctes auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») le 22 septembre 2020. La première plainte désignait la Commission comme intimée. La deuxième, Emploi et Développement social Canada (« EDSC »). Les deux plaintes contiennent des allégations essentiellement similaires. M. McLearn a une lésion cérébrale qui nuit à sa capacité de lire ou d’écrire. Il allègue avoir subi un traitement défavorable, fondé sur la déficience, dans la fourniture de services, aux termes de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 [LCDP].

[2] Les deux plaintes visaient initialement la période de juillet 2017 à août 2020. Le formulaire de plainte contre la Commission a par la suite été modifié pour viser la période débutant en janvier 2016, tandis que le formulaire de plainte contre EDSC a été modifié pour viser la période débutant en 2016. Au départ, la plainte contre EDSC comprenait également des allégations concernant des prestations consécutives au décès d’un conjoint, mais ces allégations n’ont pas été renvoyées au Tribunal et ne font pas l’objet de la présente instance.

[3] Le 11 mars 2024, la Commission a renvoyé au Tribunal, pour instruction, la plainte que M. McLearn avait déposée contre elle. Le 21 octobre 2024, elle a renvoyé au Tribunal la plainte déposée contre EDSC. Par la suite, le 21 février 2025, la Commission a déposé une requête afin de demander au Tribunal de joindre les deux plaintes et de procéder à une instruction commune.

II. Décision

[4] J’accueille cette requête et je joins les deux plaintes en vue d’une instruction commune.

III. Position des parties

[5] La Commission soutient que M. McLearn a formulé plusieurs allégations précises qui sont identiques ou essentiellement les mêmes dans les deux plaintes. EDSC est du même avis. Ces allégations concernent principalement des appels téléphoniques que M. McLearn a faits au Centre national d’appels. Selon la Commission, ce sont des membres du personnel de Service Canada, employés par EDSC, qui travaillent au Centre national d’appels. La Commission note également qu’il ressort de son rapport d’enquête sur la plainte visant EDSC que les deux plaintes étaient fondées sur la même matrice factuelle.

[6] La Commission soutient qu’une instruction commune est appropriée parce que les plaintes découlent de faits connexes, si bien qu’elles soulèvent des questions communes de fait et de droit. M. McLearn ne conteste pas le fait que les plaintes portent sur des questions de fait et de droit similaires.

[7] La Commission soutient que si les plaintes étaient instruites séparément, toutes les parties risqueraient de voir des décisions contradictoires rendues sur la base des mêmes faits. De plus, il y aurait un dédoublement inutile des témoignages puisque les incidents et les témoins sont les mêmes. La Commission affirme également qu’elle serait lésée si elle n’avait pas accès à des éléments de preuve que seul EDSC peut fournir dans le cadre d’une audience à laquelle il participe.

[8] M. McLearn demande au Tribunal de rejeter la requête de la Commission visant à joindre les plaintes. L’audience relative à la plainte qu’il a déposée contre la Commission doit débuter le 22 avril 2025, et M. McLearn veut aller de l’avant. Il soutient que la Commission a eu plus de 11 mois pour préparer son dossier, que les retards procéduraux causés par la jonction des deux plaintes seraient préjudiciables, et que ce préjudice ne pourrait être raisonnablement atténué.

[9] La Commission reconnaît que la plainte contre elle en est à une étape procédurale plus avancée que celle contre EDSC. Toutefois, elle propose des méthodes pour simplifier le processus d’une instruction commune et atténuer les retards potentiels, notamment une divulgation accélérée, un dépôt accéléré et une gestion d’instance active. La Commission soutient que les avantages de joindre les plaintes l’emportent sur tout préjudice qui pourrait découler des retards procéduraux.

[10] EDSC ne s’oppose pas à la jonction des deux plaintes, mais affirme qu’il serait injuste sur le plan procédural de les joindre et de commencer l’audience le 22 avril 2025. Il demande également de ne pas procéder à l’instruction commune avant décembre 2025, au plus tôt, parce qu’il a besoin de temps pour se préparer. Si une audience doit commencer avant cette date, EDSC soutient que les plaintes devraient être instruites séparément.

IV. Cadre législatif

[11] Le Tribunal tire sa compétence de la LCDP. Il doit instruire les plaintes sans formalité et de façon expéditive, dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique (paragraphe 48.9(1) de la LCDP). Le Tribunal conserve le pouvoir discrétionnaire de joindre des plaintes distinctes pour instruction commune (paragraphe 50(2) de la LCDP; voir aussi : Lise Nordhage-Sangster c. Agence des services frontaliers du Canada et Mark Pridmore, 2022 TCDP 1 (CanLII) [Pridmore]; Karas c. Société canadienne du sang et Santé Canada, 2020 TCDP 12 (CanLII) [Karas]; Lattey c. Chemin de fer canadien Pacifique, 2002 CanLII 45928 (TCDP) [Lattey]).

[12] Le cadre à appliquer pour déterminer s’il y a lieu d’ordonner l’instruction commune des plaintes a été établi dans la décision Lattey (au par. 13) et confirmé dans les décisions sur requête Karas (au par. 15) et Pridmore (au par. 19). Voici quelques-uns des facteurs énoncés dans la décision Lattey dont le Tribunal doit tenir compte pour décider s’il y a lieu d’ordonner l’instruction commune des plaintes :

  1. L’intérêt public qu’il y a à éviter la multiplicité des procédures, y compris la réduction des coûts, des délais, des inconvénients pour les témoins, du besoin de répéter la preuve et du risque de parvenir à des résultats contradictoires;
  2. Le préjudice que pourrait causer aux intimés une instruction commune, notamment en raison du prolongement de la durée de l’audience pour chaque intimé, étant donné la nécessité d’examiner des questions propres à l’autre intimé, ainsi que du risque de confusion que pourrait engendrer la présentation d’éléments de preuve n’ayant peut-être pas rapport aux allégations mettant en cause particulièrement l’un ou l’autre intimé;
  3. L’existence de questions de fait ou de droit communes.

[13] Le Tribunal doit tenir compte de ces facteurs en s’appuyant sur le contexte et les circonstances uniques de chaque affaire (Karas, au par. 17). Il est important de noter que ces facteurs ne sont pas exhaustifs. De plus, la décision sur requête Karas a eu pour effet d’élargir l’évaluation du préjudice potentiel au-delà du point de vue de l’intimé afin d’inclure le point de vue de toutes les parties et du public (Karas, aux par. 96 à 98).

V. Analyse

[14] J’ai examiné les deux plaintes. Je remarque que M. McLearn n’indique pas dans ses allégations si EDSC ou la Commission a répondu à ses appels téléphoniques aux moments pertinents. M. McLearn n’a pas cette information, mais les deux intimés l’ont peut-être. C’est dans le contexte de ces appels téléphoniques qu’il y aurait eu discrimination. Étant donné le chevauchement des faits et l’incapacité de M. McLearn à dire s’il a parlé à un représentant de la Commission ou à un employé d’EDSC lors de chacun de ses appels téléphoniques, il ne serait pas pratique d’instruire les plaintes séparément. Les allégations concernant ce qui s’est passé sont si étroitement liées qu’il faut les examiner ensemble.

[15] M. McLearn présente un récit unique des événements allégués qui ne peut être scindé artificiellement sans risquer sérieusement de compromettre la fonction du Tribunal qui consiste à rechercher la vérité au moyen de la preuve. Si ces plaintes étaient instruites séparément, les conclusions risqueraient d’être contradictoires alors qu’elles seraient fondées sur les mêmes éléments de preuve, y compris des témoignages. Une telle situation serait inacceptable. J’accepte l’argument d’EDSC selon lequel la jonction des plaintes permettrait aux intimés de travailler ensemble afin de présenter un dossier de preuve clair sur cette question centrale.

[16] Si l’on joint les deux plaintes, l’audience visant celle déposée contre la Commission ne peut donc pas débuter le 22 avril 2025. Je comprends que M. McLearn aimerait mieux que l’on procède à l’instruction de sa plainte contre la Commission le plus tôt possible. Toutefois, dans l’ensemble, il est préférable que la jonction des plaintes entraîne quelques retards plutôt qu’il y ait un dédoublement de la preuve, y compris des témoignages, et un risque de conclusions contradictoires. De plus, lorsque des questions distinctes concernent un seul intimé, comme la Commission l’avance dans son argument selon lequel elle n’offre pas un service aux termes de l’article 5 de la LCDP, le Tribunal peut établir des procédures afin de ne pas prolonger indûment l’audience pour EDSC.

[17] M. McLearn s’appuie sur la décision sur requête Cruden c. Agence canadienne de développement international et Santé Canada et Wheatcroft c. Agence canadienne de développement international, 2010 TCDP 32 [Cruden] pour faire valoir que le Tribunal ne devrait pas joindre des plaintes lorsque l’une d’entre elles est prête à être instruite. Avec égards, je ne suis pas du même avis.

[18] Dans l’affaire Cruden, Mme Cruden avait déposé deux plaintes. Le Tribunal a rejeté la requête visant à joindre les plaintes de Mme Cruden à celle d’un autre plaignant en raison de la date d’accouchement imminente de Mme Cruden et de son souhait que l’audition de sa plainte ait lieu avant qu’elle accouche. Le raisonnement qui sous-tend cette décision ne s’applique pas en l’espèce, compte tenu de cette distinction factuelle importante.

[19] M. McLearn s’appuie également sur la décision sur requête Mercier et Besirovic et al. c. Service correctionnel du Canada et al., 2022 TCDP 19 [Mercier], où le Tribunal a conclu que les retards procéduraux ne sont généralement pas dans l’intérêt public. Toutefois, cette observation ne peut être interprétée sans égard aux faits de l’affaire et ne peut être appliquée en l’espèce. Dans l’affaire Mercier, quatre ans s’étaient écoulés depuis le renvoi de la plainte au Tribunal, et il y avait un risque que des témoins ne soient plus disponibles. De plus, dans cette affaire, 24 plaintes avaient été déposées par neuf plaignantes contre neuf intimés différents et elles avaient été jointes en vue d’une instruction commune. La complexité inhérente au fait d’avoir 24 plaintes et 18 parties n’existe pas dans l’affaire qui nous occupe. Le passage cité par M. McLearn dans ses observations découle d’un retard de quatre ans au Tribunal. Les circonstances de l’espèce sont très différentes.

[20] Toujours dans l’affaire Mercier, le Tribunal n’était pas convaincu que les questions soulevées dans le dossier de Mme Mercier étaient si semblables aux autres que sa plainte devait être instruite au cours d’une instruction commune (Mercier, au par. 56). La situation est différente pour les plaintes de M. McLearn contre la Commission et EDSC; les questions semblent être tellement similaires qu’elles sont presque identiques.

[21] Il est malheureux que les deux plaintes de M. McLearn n’aient pas été reçues simultanément par le Tribunal. Cependant, les facteurs de la décision Lattey qui militent en faveur de la jonction de ces plaintes l’emportent encore sur les facteurs qui favorisent une instruction séparée. Pour préserver l’équité procédurale et accorder à EDSC un temps de préparation adéquat, je conviens que l’audience relative à la plainte contre la Commission, prévue en avril 2025, doit être annulée.

[22] Je ne suis pas non plus d’accord par l’affirmation du plaignant selon laquelle les retards ne peuvent être atténués. Il existe des procédures pour simplifier le processus et réduire au minimum les retards. J’établirai un calendrier clair pour une instruction commune lors d’une prochaine conférence téléphonique de gestion d’instance.

[23] Je ne suis pas non plus convaincu que l’audience doive être reportée à décembre 2025, soit dans neuf mois. EDSC n’a pas fourni de raisons pour justifier un délai aussi long. Il est possible d’assurer l’équité procédurale pour toutes les parties tout en cherchant des options plus rapides.

[24] Dans l’ensemble, dans ce contexte où un seul plaignant a déposé deux plaintes qui portent sur des allégations de fait et des questions de droit essentiellement similaires, la jonction des plaintes permet d’économiser les ressources. Les témoins n’auront à témoigner qu’une seule fois. Les documents à divulguer seront regroupés. Je conviens que le terme « expéditive » utilisé dans la LCDP pour qualifier l’instruction de plaintes par le Tribunal sous-entend plus que la simple rapidité (Bailie et al. c. Air Canada et Association des pilotes d’Air Canada, 2012 TCDP 6 [Bailie], au par. 23). Il s’agit d’une approche équilibrée qui doit être rapide, mais prudente. Dans certaines circonstances, comme en l’espèce, des retards modérés peuvent servir l’intérêt public puisqu’ils permettent d’économiser les ressources, d’atténuer le risque de conclusions de fait contradictoires et d’obtenir un meilleur résultat final (Bailie, au par. 22).

[25] Après avoir examiné les facteurs énoncés dans la décision Lattey, je conclus que tout préjudice que pourrait subir M. McLearn en raison du report de l’audience à venir concernant l’un des intimés est moins important que le préjudice et les risques qui découleraient de l’instruction des deux plaintes séparément.

VI. Ordonnance

[26] J’accueille la requête de la Commission. Les plaintes que M. McLearn a déposées contre la Commission et EDSC feront l’objet d’une instruction commune.

[27] Les dates d’audience prévues pour avril 2025 sont annulées.

[28] Je tiendrai une conférence téléphonique de gestion d’instance pour discuter d’une ordonnance établissant un calendrier et des échéanciers pour le dépôt des exposés des précisions et des listes de témoins, pour la divulgation des documents et pour la fixation de dates d’audience possibles.

[29] S’il y a des préoccupations au sujet des retards à mesure que l’instruction commune progresse, les parties pourront demander de revenir à des instructions séparées.

Signée par

Gary Stein

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 20 mars 2025


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéros des dossiers du Tribunal : HR-DP-2997-24 et HR-DP-3068-24

Intitulé de la cause : Allen McLearn c. Commission canadienne des droits de la personne et Emploi et Développement social Canada

Date de la décision du Tribunal : Le 20 mars 2025

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

Ilinca Stefan et Gabriel Reznick, pour le plaignant

Jessica Warwick , pour l’intimée, la Commission canadienne des droits de la personne

Tengteng Gai et Sahara Douglas , pour l’intimé , Emploi et Développement social Canada

 

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