Tribunal canadien des droits de la personne
Informations sur la décision
Le plaignant, Marcus Williams, qui n’est pas représenté, a demandé que l’audience se tienne en mode virtuel, par souci d’économie et de commodité. La Commission canadienne des droits de la personne a appuyé cette demande. L’intimée, la Banque de Nouvelle-Écosse (BNÉ), souhaitait une audience en personne au centre-ville de Toronto. Selon elle, une telle formule permettrait au Tribunal de mieux évaluer la crédibilité des témoins et d’améliorer les perspectives de règlement entre les parties.
Le Tribunal a fait droit à la demande de M. Williams. Il a souligné qu’il dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer le mode de tenue d'une audience, y compris par des moyens électroniques. Il a reconnu les préoccupations de la BNÉ, mais a jugé qu’elles ne l’emportaient pas sur les difficultés soulevées par M. Williams au sujet de l'accessibilité.
Le Tribunal a estimé qu’il serait en mesure d’évaluer correctement la crédibilité des témoins en mode virtuel, comme il l’a fait par le passé. Ce format permet également une communication efficace et un bon partage des documents. Le Tribunal, tenant compte des intérêts des deux parties, a conclu qu’une audience virtuelle respecterait les exigences d’une procédure d’audience équitable, informelle, rapide et ouverte. Une procédure où chaque partie a la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter des éléments de preuve ainsi que leurs observations.
Le Tribunal a également précisé qu’une audience virtuelle ne ferait pas obstacle à d’éventuelles discussions privées dans le but de parvenir à un règlement.
Contenu de la décision
Tribunal canadien |
|
Canadian Human |
Référence : 2025 TCDP 19
Date : Le
Numéro du dossier :
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Entre :
le plaignant
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
l’intimée
Décision sur requête
Membre :
Table des matières
I. APERÇU
[1] Le plaignant, Marcus Williams, a été un employé occasionnel de l’intimée, la Banque de Nouvelle-Écosse (la « BNÉ »), du 9 février 2015 au 26 octobre 2017, date à laquelle son contrat de travail a pris fin. M. Williams allègue dans sa plainte que la BNÉ a fait preuve de discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, l’âge et le sexe à son égard en le licenciant, en lui refusant une prime annuelle et une augmentation et en le privant d’autres possibilités d’emploi au sein de la banque, en contravention de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H -6 (la « LCDP »).
[2] Une audience sur le fond de la plainte est prévue du 12 au 27 mai 2025.
[3] Les parties ne s’entendent pas sur le mode d’audience. M. Williams, qui n’est pas représenté par un avocat, souhaite que l’audience se tienne en mode virtuel, tandis que la BNÉ souhaite que l’audience se tienne en personne au centre-ville de Toronto ou, subsidiairement, selon une formule hybride suivant laquelle les témoignages seraient livrés en personne et les arguments seraient présentés en mode virtuel.
[4] M. Williams est d’avis qu’il n’est pas nécessaire ni juste que lui et les autres témoins se rendent chaque jour au centre-ville de Toronto pour une audience en personne, tant par souci d’économie que de commodité. La BNÉ prétend qu’une audience en personne permettrait au Tribunal de mieux évaluer la crédibilité des nombreux témoins qu’elle a l’intention d’appeler à la barre et qu’elle améliorerait également les perspectives de règlement si les parties étaient physiquement réunies.
II. DÉCISION
[5] L’audience sera virtuelle (pour des raisons pratiques et financières). Le Tribunal pourra bien évaluer la crédibilité des témoins en mode virtuel, comme il l’a fait à maintes reprises dans le passé. Par ailleurs, les parties peuvent décider de mener, en mode virtuel, des discussions privées dans le but de parvenir à un règlement.
III. QUESTION EN LITIGE
[6] La seule question à trancher est de savoir si l’audience doit être tenue en personne, en mode virtuel ou en mode hybride.
IV. CONTEXTE
[7] Dans un courriel daté du 17 janvier 2025, le Tribunal a demandé aux parties de lui faire part de leur(s) préférence(s) quant au mode d’audience.
[8] Le 20 janvier 2025, M. Williams a répondu, par courriel, qu’il préférait que l’audience se tienne en mode virtuel ou, à défaut, en mode hybride (en personne et en mode virtuel). Il n’a pas donné d’autre préférence et n’a pas justifié ses préférences; il n’a pas non plus décrit ce qu’il entendait par « mode hybride »
.
[9] Par courriel adressé aux parties le 23 janvier 2025, le Tribunal a indiqué qu’il préférait que l’audience se tienne en mode virtuel. Ce courriel a été envoyé avant que la BNÉ n’envoie sa réponse.
[10] Le 6 février 2025, la BNÉ a répondu, par courriel, qu’elle préférait [traduction] « nettement »
que l’audience se tienne en personne au centre-ville de Toronto. Elle a affirmé que, selon l’article 33 des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021) (les « Règles »), les audiences du Tribunal étaient présumées se tenir en personne. Elle a également fait valoir que la tenue d’une audience en personne aiderait le Tribunal à évaluer la crédibilité des témoins et faciliterait les discussions entre les parties en vue d’un règlement. La BNÉ a demandé à présenter des observations à ce sujet.
[11] Dans un courriel daté du 19 février 2025, le Tribunal a demandé aux parties de lui fournir toute autre observation afin qu’il puisse statuer sur la question.
[12] Le 27 février 2025, la BNÉ a transmis par courriel d’autres observations aux parties. Elle a continué à s’appuyer sur les observations qu’elle avait formulées dans sa correspondance du 6 février. En outre, elle a fait référence aux lignes directrices de la Cour supérieure de justice de l’Ontario pour déterminer le mode de tenue des instances en matière civile en vigueur depuis le 1er février 2024, et à l’avis au public publié par la Commission des relations de travail de l’Ontario en avril 2024 pour soutenir sa prétention selon laquelle le retour aux audiences en personne (après la pandémie de COVID-19) est, sauf décision à l’effet contraire, la norme pour les cours de justice et les tribunaux administratifs.
[13] Bien que la BNÉ reconnaisse dans ses observations supplémentaires qu’il peut être préférable de tenir des audiences virtuelles dans certaines circonstances, elle est d’avis que ce n’est pas le cas en l’espèce, et ce, pour les motifs suivants : a) étant donné que M. Williams agit seul et a besoin d’être guidé, il serait plus facile de procéder de façon expéditive en personne plutôt qu’en mode virtuel; b) il ne serait pas très coûteux ni très contraignant pour M. Williams de se rendre à Toronto pour une audience en personne puisqu’il réside et travaille dans la région du Grand Toronto-Mississauga et de Hamilton; c) comme une grande partie de la preuve sera produite de vive voix, notamment le contre-interrogatoire de M. Williams, une audience en personne permettrait de présenter et de contester plus efficacement cette preuve et, par conséquent, une audience virtuelle compromettrait la capacité de la BNÉ de se défendre comme il se doit.
[14] Le 7 mars 2025, M. Williams a envoyé des observations en réponse par courriel. Il a surtout fait valoir que le fait de devoir se rendre inutilement à Toronto pour assister à l’audience en personne représentait un obstacle pour lui et pour d’autres témoins, tant pour des raisons financières que pratiques (frais d’essence ou de déplacement, frais de stationnement exorbitants dans le centre-ville de Toronto, risque d’accidents de la route et de retards dans les déplacements, frais supplémentaires de nourriture et frais connexes, et autres frais accessoires engagés relativement à des dépenses superflues).
[15] En outre, M. Williams n’était pas d’accord avec la BNÉ sur le fait qu’en tant que plaideur non représenté, il avait besoin de faire l’objet d’une gestion plus serrée par le Tribunal et que cette gestion serait plus rapide et efficace dans le contexte d’une audience en personne plutôt que d’une audience virtuelle. Il a également contesté la suggestion selon laquelle il y aurait peu de documents lors de l’audience et que la preuve serait principalement produite de vive voix, ou que la BNÉ serait lésée par l’impossibilité d’interroger et de contre-interroger les témoins en personne si l’audience était virtuelle. Il a ajouté que ce serait un gaspillage des fonds publics que de tenir une audience en personne.
V. CADRE LÉGISLATIF
[16] Le paragraphe 33(1) des Règles prévoit que, sous réserve du paragraphe (2), l’audience est tenue en personne. Le paragraphe 33(2) des Règles prévoit que la formation peut ordonner qu’une audience soit tenue en tout ou en partie par téléconférence ou vidéoconférence ou par tout autre moyen de communication électronique.
[17] L’article 5 des Règles prévoit que celles-ci sont interprétées et appliquées de façon à permettre de trancher la plainte sur le fond de façon équitable, informelle et rapide.
[18] Le paragraphe 6(1) des Règles prévoit que celles-ci sont interprétées et appliquées de façon à répondre de façon raisonnable aux besoins des participants à l’instruction.
[19] L’article 8 des Règles prévoit que la formation peut, de sa propre initiative ou sur requête d’une partie, modifier une disposition des Règles ou exempter une partie de son application si la modification ou l’exemption respecte le principe énoncé à l’article 5 des Règles.
[20] Le paragraphe 48.9(1) la LCDP prévoit que l’instruction des plaintes se fait sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des Règles.
[21] Le paragraphe 50(1) de la LCDP prévoit notamment que le Tribunal donne aux parties la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations.
[22] Les demandes d’audience en personne sont évaluées au cas par cas, le Tribunal tenant compte des préférences et des intérêts des parties, de l’équité et de l’accessibilité du mode d’audience, ainsi que des exigences en matière de santé et de sécurité. La proportionnalité est également un facteur, ce qui signifie que le Tribunal tiendra compte du coût, du temps et des efforts déployés par les parties et par lui-même au regard de la nature de l’instance (Woodgate et al c. GRC, 2023 TCDP 42, au par. 22 [Woodgate]).
[23] Le Tribunal a jugé que la vidéoconférence est une solution de rechange tout à fait appropriée à une audience en personne, une solution qui est juste, informelle, rapide et équitable et qui sauvegarde les principes de justice naturelle et d’équité procédurale (Hugie c. T-Lane Transportation and Logistics, 2020 TCDP 25, aux par. 20 à 29; Woodgate, au par. 20).
VI. ANALYSE
[24] Si la BNÉ a raison lorsqu’elle affirme que les instances sont présumées se tenir en personne, cette présomption (réfutable) existe en raison de l’article 33 des Règles, et non en dépit de celui-ci. En fin de compte, l’objectif de cette règle (comme de la plupart des règles du TCDP) est de donner aux membres du Tribunal la flexibilité nécessaire pour tenir compte des circonstances de chaque affaire dont ils sont saisis, ce qui est souligné par les principes d’interprétation des Règles auxquels j’ai renvoyé ci-dessus.
[25] Il est clair que la LCDP et les Règles confèrent au Tribunal le pouvoir discrétionnaire de statuer sur l’aspect procédural du mode d’audience comme il l’entend en fonction du cas dont il est saisi, à condition que ce pouvoir discrétionnaire soit exercé de manière judiciaire et conformément à la loi.
[26] Comme l’a souligné le Tribunal au paragraphe 29 de la décision sur requête Hugie : « Lorsque le Tribunal doit décider si l’utilisation de la visioconférence est une alternative possible dans une procédure, le Tribunal fait un certain exercice de pondération entre les différents intérêts des parties et le préjudice qui pourrait en découler, tout en étant guidé par les principes énoncés dans sa loi habilitante »
. C’est aussi le cas lorsque les cours de justice et les autres tribunaux doivent prendre une telle décision.
[27] Je suis d’avis, après avoir évalué les intérêts de la BNÉ et de M. Williams, que les raisons invoquées par ce dernier en faveur de la tenue d’une audience virtuelle sont plus convaincantes que celles invoquées par la BNÉ en faveur d’une audience en personne.
[28] Il est indéniable que la tenue de l’audience en personne au centre-ville de Toronto pendant une période de 12 jours entraînera des coûts et des inconvénients que n’entraînerait pas une audience virtuelle où les intervenants se connectent à distance à l’aide d’un ordinateur, peu importe où ils sont. Cette situation pourrait être particulièrement pénible pour M. Williams, mais elle pourrait également l’être pour d’autres témoins, ainsi que pour le Tribunal, son personnel et le public. À cet égard, j’accepte l’évaluation faite par M. Williams des coûts additionnels et inconvénients que pourrait entraîner la tenue d’une audience en personne au centre-ville de Toronto.
[29] Comme il est mentionné au paragraphe 21 de la décision sur requête Woodgate : « [D]ans certaines circonstances, le Tribunal [peut] décider que l’utilisation de la visioconférence n’est pas appropriée, par exemple lorsqu’une personne est atteinte de certaines déficiences, lorsque le dossier est d’une grande complexité ou lorsque les technologies disponibles ne permettent pas d’avoir une qualité de visioconférence suffisante. Ces exemples ne sont pas limitatifs et le Tribunal devra évaluer les circonstances et rendre une décision au cas par cas »
.
[30] Dans les circonstances de l’espèce, je n’accepte pas l’évaluation faite par la BNÉ du préjudice qu’elle pourrait subir si l’audience se déroulait en virtuel plutôt qu’en personne du fait que le Tribunal ne pourrait pas bien évaluer la crédibilité des témoins, qu’il y ait ou non beaucoup de témoins et peu de documents. Je n’accepte pas non plus l’idée que si l’audience se déroulait en virtuel, l’avocate de la BNÉ aurait plus de mal à interroger ou à contre-interroger les témoins, à supposer qu’elle utilise l’équipement correctement.
[31] En ce qui concerne mon évaluation de la crédibilité des témoins, au cours de mes 17 années passées au Tribunal, j’ai instruit, en mode virtuel, de nombreuses plaintes fondées sur l’article 7 de la LCDP, y compris après la pandémie de COVID-19, et je ne pense pas être moins apte à évaluer correctement la crédibilité des témoins en virtuel qu’en personne.
[32] En particulier, je trouve que la caméra pointée directement sur le visage d’un témoin, de manière à capter le haut de son corps, me permet d’observer au moins aussi bien les subtilités de l’expression, de la position, de l’attitude et du langage corporel du témoin que si le témoin était devant moi en personne dans une salle d’audience typique. Le son est normalement assez clair pour me permettre d’entendre et de comprendre correctement les témoins, les avocats et les autres personnes qui s’expriment lors d’une audience virtuelle, et ce, aussi bien que s’ils étaient devant moi en personne dans une salle d’audience. Enfin, les documents partagés sur écran lors d’une audience virtuelle sont aussi faciles à lire et à comprendre que s’ils étaient présentés en personne lors d’une audience. Bien entendu, tout cela suppose que l’audience ne soit pas interrompue par des problèmes technologiques, mais ceux-ci finissent toujours par être résolus.
[33] Comme l’affaire concerne le licenciement de M. Williams et cinq postes qu’il n’aurait pas obtenus, elle n’est pas d’une nature si complexe qu’elle justifie la tenue d’une audience en personne plutôt qu’en virtuel.
[34] En outre, les parties peuvent, si elles le souhaitent, entamer des discussions en vue d’un règlement dans une salle privée sécurisée, en mode virtuel, de la même manière que si elles étaient réunies en personne lors de l’audience. Si les parties décidaient de poursuivre les discussions de règlement en personne, elles pourraient certainement en convenir, et le Tribunal pourrait facilement ajourner l’audience virtuelle pour leur permettre de se rencontrer en personne sans retarder tout le monde.
[35] Ainsi, tout compte fait, j’estime qu’il est plus probable que M. Williams subisse un préjudice en raison des dépenses additionnelles et des inconvénients que pourrait lui occasionner le fait de se rendre à une audience en personne au centre-ville de Toronto, plutôt qu’en participant à une audience virtuelle, que la BNÉ ne subisse un préjudice si l’audience se déroulait en virtuel plutôt qu’en personne.
[36] Comme le Tribunal l’a fait remarquer au paragraphe 38 de la décision sur requête Woodgate, le fait de témoigner en personne n’est pas une condition préalable pour satisfaire aux exigences du paragraphe 50(1) de la LCDP. Comme indiqué au paragraphe 20 de la même décision sur requête, auquel je renvoie au paragraphe 23 ci-dessus, le Tribunal a jugé que la vidéoconférence est une solution de rechange tout à fait appropriée à une audience en personne, une solution qui est juste, informelle, rapide et équitable et qui sauvegarde les principes de justice naturelle et d’équité procédurale.
[37] Exerçant le pouvoir discrétionnaire dont je dispose dans la présente affaire et tenant compte des intérêts des deux parties dans la question en litige, je suis d’avis que la tenue d’une audience virtuelle répondra aux normes de la LCDP et des Règles relatives à une procédure d’audience équitable, informelle, rapide et ouverte, où chaque partie a la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter des éléments de preuve ainsi que leurs observations. Je conclus que la vidéoconférence est en l’espèce une solution de rechange tout à fait appropriée à une audience en personne, une solution qui satisfait aux exigences de la LCDP et des Règles.
VII. ORDONNANCE
[38] En l’espèce, l’audience se déroulera de façon virtuelle.
Signée par
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéro du dossier du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Requête traitée par écrit sans comparution des parties
Observations écrites par :