Tribunal canadien des droits de la personne
Informations sur la décision
Il s’agit de la décision du Tribunal concernant la plainte de M. Rehman en matière de droits de la personne. M. Rehman disait avoir fait l’objet de la part du ministère de la Défense nationale (MDN) de discrimination en matière d’emploi fondée sur les motifs de distinction illicite que sont la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique et la religion.
M. Rehman a immigré au Canada depuis le Pakistan en 2006. En 2016, il a posé sa candidature dans le cadre d’un processus de dotation du MDN pour des postes de soutien administratif et de bureau à la base militaire de Cold Lake, en Alberta. Il a été évalué et sa candidature retenue dans un répertoire de candidats qualifiés. Le MDN a nommé des candidats de ce répertoire à différents postes, mais pas M. Rehman. D’après lui, sa non-sélection était due à sa race, sa couleur, son origine nationale ou ethnique et sa religion. Il soutenait aussi que des obstacles systémiques et du profilage l’avaient empêché d’être nommé.
Le MDN a nié ces allégations. Il a affirmé que la candidature de M. Rehman n’avait pas été retenue parce qu’il ne satisfaisait pas aux exigences du poste. Il a ajouté que les motifs de distinction illicite mentionnés dans la plainte n’avaient joué aucun rôle dans la décision d’embauche.
Le Tribunal a donné raison au MDN. Il a conclu que M. Rehman n’avait pas prouvé qu’il avait fait l’objet de discrimination. Le Tribunal a constaté que M. Rehman ne possédait pas les qualifications exigées pour le poste. Les explications fournies par le MDN n’étaient pas non plus de simples prétextes pour choisir un autre candidat. Elles étaient toutes raisonnables.
M. Rehman et la Commission canadienne des droits de la personne n'ont pas non plus démontré que des obstacles systémiques ou du profilage avaient empêché M. Rehman d’être nommé en raison de sa race, couleur, origine nationale ou ethnique ou religion.
Le Tribunal s’est dit conscient qu’il devait tenir compte de l’ensemble des circonstances de la plainte afin de déterminer la présence de subtiles odeurs de discrimination, malgré les explications fournies. Il n’en a pas trouvé dans cette affaire. Au contraire, les éléments de preuve ont clairement démontré que la non-nomination de M. Rehman n’avait aucun lien avec ses caractéristiques protégées. Par conséquent, le Tribunal a rejeté la plainte.
Contenu de la décision
Tribunal canadien |
|
Canadian Human |
Référence : 2025 TCDP
Date : Le
Numéro du dossier :
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Entre :
le plaignant
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
l’intimé
Décision
Membre :
Table des matières
III. CADRE JURIDIQUE ET QUESTIONS EN LITIGE
A. Situation, études et antécédents professionnels de M. Rehman
B. Cadre de dotation de la fonction publique
C. Processus de nomination pour lequel M. Rehman a posé sa candidature
E. Candidature de M. Rehman et évaluation de ses qualifications
A. M. Rehman possède-t-il les caractéristiques protégées qu’il prétend avoir?
B. M. Rehman a-t-il subi un effet préjudiciable?
(i) Nominations à des postes pour lesquels M. Rehman n’était pas qualifié
(a) Gestionnaire des comptes clients, rations — Cassandra Clouter
(b) Commis en santé mentale — Connie Wilson
(c) Commis à la gestion de l’information sur la santé et des dossiers médicaux — Sylvie Sarrazin
(d) Commis en santé mentale — Brooke Lattik
(e) Adjoint administratif — Arun Pillai
(ii) Autres nominations, par ordre chronologique
(b) Secrétaire de direction (nomination pour une durée indéterminée) – Brooke Lattik
(c) Série de nominations d’un an au sein du service du contrôleur de l’escadre
(d) Coordonnatrice administrative du Contr Ere (nomination pour une durée déterminée) – Victoria Ark
(k) Commis aux finances (poste à durée indéterminée) — Victoria Ark
(m) Commis aux achats/opératrice (poste à durée indéterminée) — Megan Trainor
(n) Secrétaire de direction (poste d’une durée indéterminée) — Jennifer Leclerc
(o) Commis de l’UPSS (poste à durée indéterminée) — Simone Nunes-Jonczyk
(p) Correspondance au sujet de nominations possibles en 2018
D. Analyse globale — problèmes systémiques
(ii) Exclusion de la candidature des personnes ne résidant pas à Cold Lake
(iii) Non-respect des règles de dotation
(a) Compétences linguistiques en français
(b) Personnes nommées qui occupaient déjà un poste à titre occasionnel
(c) Vérification des références de Mme Grove
(e) Effet discriminatoire de tout manquement allégué aux règles de dotation
(iv) Discrimination fondée sur le nom et les attestations d’études des candidats
(v) Mépris des considérations d’équité en emploi comme autre preuve de discrimination
I. APERÇU
[1] Le plaignant, Zia Rehman, a quitté le Pakistan pour émigrer au Canada en 2006. En 2016, il a posé sa candidature à un processus de nomination mené par l’intimé, le ministère de la Défense nationale (le « MDN »), visant à pourvoir des postes administratifs et de commis à la base des Forces canadiennes de Cold Lake, en Alberta, connue officiellement sous le nom de 4e Escadre, 1re Division aérienne du Canada (la « base » ou la « BFC de Cold Lake »). M. Rehman a été évalué et placé dans un bassin de candidats qualifiés. Le MDN a nommé à différents postes des candidats issus de ce bassin. M. Rehman n’était pas l’un de ces candidats. Il allègue qu’il n’a pas été nommé en raison de sa race, de sa couleur, de son origine nationale ou ethnique et de sa religion.
[2] La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») reconnaît que M. Rehman a été victime d’actes discriminatoires. Elle affirme qu’il existe de subtiles odeurs de discrimination dans la manière dont le MDN a traité la candidature de M. Rehman. Il ne correspondait pas au profil du candidat idéal du MDN, ce qui a élevé une barrière pratiquement insurmontable et artificielle à sa nomination et à celle d’autres personnes comme lui.
[3] Le MDN nie les allégations de M. Rehman. Il soutient que M. Rehman ne possédait pas les qualifications particulières exigées et les atouts requis pour certains des postes pourvus. En ce qui a trait aux autres postes pourvus, les candidats nommés étaient plus qualifiés ou convenaient mieux à ces postes. Les motifs de distinction illicite allégués dans la plainte de M. Rehman n’ont joué aucun rôle dans les décisions qui ont été prises à l’issue des processus de nomination.
[4] La Commission et le MDN étaient représentés par des avocats à l’audience. M. Rehman était représenté par son frère Atiq Rehman, que j’appellerai M. Atiq dans la présente décision pour le distinguer du plaignant.
II. DÉCISION
[5] J’estime que M. Rehman n’a pas démontré qu’il a fait l’objet de discrimination. Pour chaque processus de nomination, soit M. Rehman ne possédait pas le type de qualification recherché, soit il existait une explication raisonnable, qui n’était pas un prétexte, pour nommer quelqu’un d’autre. En outre, M. Rehman et la Commission n’ont pas démontré que sa candidature n’avait pas été retenue en raison d’obstacles systémiques et de profilage fondés sur sa race, sa couleur, son origine nationale ou ethnique et sa religion. Par conséquent, je conclus que ces motifs de distinction illicite n’ont joué aucun rôle dans le fait que M. Rehman n’a été nommé à aucun poste et je rejette sa plainte.
III. CADRE JURIDIQUE ET QUESTIONS EN LITIGE
[6] L’alinéa 7a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H‑6 (la « Loi » ou la « LCDP ») dispose que, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects, de refuser d’employer un individu. La race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur et la religion figurent parmi les motifs de distinction illicite énumérés au paragraphe 3(1) de la Loi.
[7] Dans les affaires liées aux droits de la personne, il incombe aux plaignants de démontrer, selon la prépondérance des probabilités (soit qu’il est plus probable qu’improbable) :
1) qu’ils possèdent une ou plusieurs caractéristiques protégées par la Loi contre la discrimination;
2) qu’ils ont subi un effet préjudiciable;
3) que la ou les caractéristiques protégées ont constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable.
(Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61 [Moore], au par. 33; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 [Bombardier], aux par. 44‑52).
[8] Puisque la plainte de M. Rehman concerne l’alinéa 7a) de la Loi, il doit donc démontrer :
1) qu’il possède les caractéristiques protégées alléguées (race, origine nationale ou ethnique, couleur et religion);
2) qu’il a fait l’objet d’un traitement défavorable (refus d’employer);
3) que les motifs de distinction illicite ont constitué un facteur dans le refus de l’employer.
[9] M. Rehman n’est pas tenu de démontrer que le MDN avait l’intention de commettre un acte discriminatoire à son endroit (Bombardier, aux par. 40-41). C’est le résultat, ou l’effet préjudiciable, qui importe (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536, 1985 CanLII 18 (CSC), aux par. 12 et 14).
[10] Il n’est pas non plus nécessaire que M. Rehman démontre qu’un motif de distinction illicite était l’unique mobile du traitement défavorable (Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2, au par. 25).
[11] La discrimination n’est habituellement pas exercée directement ou intentionnellement. Le Tribunal analyse les circonstances de la plainte pour déterminer s’il existe de subtiles odeurs de discrimination. La discrimination peut être inférée lorsque la preuve qui est présentée au soutien des allégations de discrimination rend une telle inférence plus probable que les autres inférences ou hypothèses possibles (Brunskill c. Société canadienne des postes, 2019 TCDP 22 [Brunskill], aux par. 62-63). Une preuve de discrimination, même circonstancielle, doit néanmoins présenter un rapport tangible avec la décision ou la conduite contestée (voir Bombardier, au par. 88).
[12] Dans leurs observations, la Commission et le MDN ont renvoyé à ce qui a été décrit comme le critère énoncé dans la décision Shakes v. Rex Pak Ltd., 1981 CanLII 4315 (ON HRT) [Shakes]. Ce critère a été utilisé au fil du temps pour faire la preuve des critères constitutifs d’un acte discriminatoire (souvent appelé la preuve prima facie de discrimination) dans les affaires où un plaignant allègue ne pas avoir été embauché en raison d’un motif de distinction illicite. Je ne suis pas d’avis que le critère énoncé dans la décision Shakes constitue un guide utile en l’espèce.
[13] Selon la décision Shakes, telle qu’elle était appliquée par le Tribunal, la preuve prima facie de discrimination était établie si un plaignant démontrait qu’il était qualifié pour occuper l’emploi en question, qu’il n’avait pas été embauché et qu’une personne qui n’était pas mieux qualifiée que lui, mais qui ne présentait pas ses caractéristiques, avait obtenu le poste. Il était alors établi que la preuve du plaignant était complète et suffisante pour qu’un jugement soit rendu en sa faveur en l’absence de réponse de l’intimé. Cette réponse comprenait la preuve présentée par l’intimé pour justifier sa décision de nommer une autre personne que le plaignant. Les paragraphes 18 et suivants de la décision Marchand c. Le Ministère de la Défense nationale, 2011 TCDP 3 (CanLII) illustrent bien pareille application du critère de la décision Shakes.
[14] À l’époque où le Tribunal a commencé à appliquer le critère de la décision Shakes aux affaires relevant de la Loi, il avait tendance à analyser les plaintes pour atteinte aux droits de la personne en vase clos. Le Tribunal ne devait examiner que la preuve du plaignant et de la Commission pour déterminer si une preuve prima facie de discrimination avait été établie. La preuve de l’intimé ne pouvait pas être prise en compte. Une fois la discrimination prima facie établie, le Tribunal se penchait ensuite sur la preuve de l’intimé pour voir s’il existait une explication raisonnable qui n’était pas un prétexte pour justifier l’acte de discrimination prima facie (voir Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204 [Bay Ferries], au par. 22).
[15] Dans l’arrêt Bombardier, la Cour suprême du Canada a toutefois précisé que cette approche en silos ne devait pas servir à déterminer si l’existence de discrimination prima facie avait été établie. Comme le fait observer le Tribunal dans la décision Emmett c. Agence du revenu du Canada, 2018 TCDP 23 [Emmett], aux par. 62-63 , dans l’arrêt Bombardier, la Cour suprême a rejeté l’interprétation étroite du fardeau de preuve du plaignant qu’avait adoptée la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Bay Ferries. Au stade initial de l’analyse, le Tribunal doit aussi prendre en considération la preuve de l’intimé qui contredit la preuve du plaignant.
[16] Ainsi, comme le Tribunal l’a indiqué au paragraphe 64 de la décision Brunskill, il doit considérer la preuve dans son ensemble, ce qui inclut également la preuve qui a été présentée par l’intimé. En d’autres mots, la preuve déposée devant le Tribunal par le plaignant et l’intimé ne doit pas être analysée en silos.
[17] Une fois que la preuve prima facie de discrimination est factuellement établie sur la base de l’ensemble de la preuve des parties, le Tribunal peut ensuite analyser toute défense mise de l’avant par l’intimé pour justifier la discrimination (Bombardier, au par. 64; Moore, au par. 33), notamment les faits prévus au paragraphe 15(2) de la Loi (par exemple, des exigences professionnelles justifiées ou des motifs justifiables).
[18] À l’exception de la décision SM, SV et JR c. Gendarmerie royale du CanadaSM, SV et JR c. Gendarmerie royale du Canada, 2024 TCDP 113 [SM] rendue très récemment, le Tribunal n’a pas appliqué ou fait référence à la décision Shakes depuis plusieurs années, peut-être en raison de l’incidence des arrêts Moore et Bombardier de la Cour suprême du Canada. Dans la décision SM, affaire dans laquelle des plaignants alléguaient qu’ils n’avaient pas été promus pour des motifs fondés sur la discrimination, le Tribunal a mentionné la décision Shakes (SM, aux par. 73-75) dans son analyse. Il a toutefois fait remarquer que les enseignements de la décision Shakes ne supplantaient pas le critère énoncé dans l’arrêt Moore et a renvoyé à la décision Emmett ainsi qu’à l’arrêt Commission canadienne des droits de la personne c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 154 [Morris], aux par. 25-26. Dans l’arrêt Morris, qui a été rendu bien avant l’arrêt Bombardier, la Cour d’appel fédérale avait déjà statué que le critère de la décision Shakes ne constituait qu’un guide utile qui ne devait pas être appliqué automatiquement d’une manière rigide ou arbitraire dans toutes les affaires d’embauche.
[19] Je ne crois pas que le critère énoncé dans la décision Shakes soit encore utile, surtout en l’espèce. Outre le fait que la décision Shakes est antérieure aux jugements plus récents cités précédemment, elle pose également problème en raison de son recours à la notion de candidat [traduction] « qualifié ». Cette terminologie prête à confusion dans des affaires comme celle qui nous occupe, qui concernent les règles de dotation de la fonction publique fédérale, où le plaignant, tous les candidats ainsi que les personnes nommées sont considérés comme « qualifiés » au sens précis de la législation applicable en matière de dotation, comme je l’explique plus loin.
[20] Comme le Tribunal l’a fait remarquer dans la décision SM, le critère applicable est celui énoncé dans l’arrêt Moore.
[21] Par conséquent, les questions permettant de déterminer si M. Rehman a fait la preuve de discrimination prima facie sont les suivantes :
1) M. Rehman possède-t-il les caractéristiques protégées qu’il prétend avoir?
2) M. Rehman a-t-il subi un effet préjudiciable?
3) Dans l’affirmative, l’une ou l’autre des caractéristiques protégées a-t-elle constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable?
[22] Si la discrimination prima facie était prouvée, je devrais alors examiner la question de savoir si le MDN a établi de manière valable que ses actes discriminatoires étaient justifiés. Toutefois, étant donné que je conclus, pour les motifs exposés ci-après, que la preuve de la discrimination prima facie n’a pas été établie, la dernière partie de l’analyse n’est pas nécessaire.
[23] Je vais commencer mon analyse en exposant le contexte factuel qui a mené au processus de nomination et à l’évaluation de la candidature de M. Rehman par le MDN. Je vais ensuite analyser individuellement les faits relatifs à chacune des nominations aux postes pour lesquels la candidature de M. Rehman n’a pas été retenue et je vais déterminer si le critère de l’arrêt Moore a été rempli. Je peux affirmer dès maintenant que M. Rehman a facilement prouvé les deux premiers volets du critère de l’arrêt Moore; il possède les caractéristiques personnelles protégées et il a subi un effet préjudiciable attribuable au fait qu’il n’a été nommé à aucun poste. Dans mon analyse, j’examinerai donc individuellement si, pour chaque poste auquel il n’a pas été nommé, ses caractéristiques personnelles ont joué un rôle dans la décision de ne pas retenir sa candidature.
[24] Enfin, je procéderai à une analyse globale des questions systémiques soulevées par M. Rehman et la Commission, afin de déterminer à nouveau si l’une ou l’autre des caractéristiques protégées du plaignant a joué un rôle dans le fait qu’il n’a été nommé à aucun poste.
IV. CONTEXTE
A. Situation, études et antécédents professionnels de M. Rehman
[25] M. Rehman est né au Pakistan en 1969. Sa langue maternelle est le seraiki et sa langue seconde est l’ourdou. Il indique être de religion musulmane. Il s’identifie comme un musulman à la peau brune originaire d’Asie du Sud et appartenant à une minorité visible. Selon M. Rehman, 97 % de la population pakistanaise est musulmane.
[26] M. Rehman a appris l’anglais à l’école à l’âge de 16 ans et s’exprime dans cette langue avec un accent. Il a obtenu un baccalauréat ès arts de l’Université de Gomal, au Pakistan, en 1994. En 2003, il a obtenu un baccalauréat ès sciences en administration des affaires du International College des îles Caïmans, avec une spécialisation en finance internationale. Dans le cadre de ses études, il a effectué un stage dans une banque internationale.
[27] M. Rehman est arrivé au Canada en juin 2006, parrainé par son frère, M. Atiq, qui vivait déjà ici. En 2008, M. Rehman s’est installé à Calgary, en Alberta. Il s’est marié en 2011 et a une fille.
[28] Depuis 2009, il travaille comme vérificateur de nuit dans un casino situé à l’ouest de Calgary, environ à mi-chemin entre Calgary et Banff. Il a également travaillé à temps partiel comme agent de services à la clientèle dans un hôtel et comme conseiller en fiscalité pour un service saisonnier de préparation de déclarations de revenus.
[29] M. Rehman a témoigné que la raison pour laquelle il était venu au Canada était pour améliorer son sort et celui de sa famille. Il n’était pas satisfait de ses emplois précédents, car ceux-ci ne lui offraient pas de possibilité d’avancement. Il voulait trouver un meilleur emploi. Au fil des ans, il a postulé de nombreux emplois dans les secteurs privé et public, mais sans succès. Il estime que, en tant qu’immigrant, il faisait l’objet de discrimination dès que les gens le rencontraient ou l’entendaient parler. Il a aussi le sentiment d’avoir été victime d’islamophobie.
[30] Au cours de l’été 2016, le MDN a publié une annonce pour un processus de nomination sur le site Web d’emploi du gouvernement du Canada (le processus de sélection no 16-DND-EA-CLDLK-405389). Le processus s’adressait à toutes les personnes résidant au Canada ainsi qu’aux citoyens canadiens résidant à l’étranger. Les deux postes à pourvoir à la BFC de Cold Lake étaient des postes d’adjoints administratifs et de commis de niveaux CR-03 et CR-04. L’échelle salariale des postes se situait entre 40 786 $ et 48 777 $. Les descriptions de tâches de ces postes mentionnaient notamment la réception, la gestion des dossiers, la saisie et l’extraction de données, la création de documents, le traitement et le suivi, la coordination et le soutien des réunions et des activités, ainsi que l’utilisation et l’entretien du matériel et des fournitures de bureau.
[31] L’offre d’emploi précisait aussi qu’un bassin de candidats qualifiés pourrait être établi et pourrait servir à pourvoir des postes similaires temporaires et permanents au sein du MDN à Cold Lake. Comme je l’explique plus loin, ce processus a finalement mené à la nomination de 18 candidats.
[32] M. Rehman a vu l’annonce d’emploi et a posé sa candidature le 8 août 2016. L’échelle salariale n’était pas très différente de ce qu’il gagnait déjà, mais il considérait les postes au MDN comme une occasion d’entrer au ministère. Il savait que le MDN emploie de nombreuses personnes à l’échelle du pays et ailleurs. En outre, un emploi dans la fonction publique fédérale était assorti de meilleurs avantages que son poste au casino.
[33] M. Rehman a examiné les exigences du poste et a jugé qu’il avait les compétences requises.
[34] Je me pencherai maintenant sur le fonctionnement du processus de nomination.
B. Cadre de dotation de la fonction publique
[35] Le MDN est un ministère fédéral figurant à l’annexe I de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C., 1985, ch. F-11, qui a été mis sur pied en vertu de la Loi sur la défense nationale, L.R.C., 1985, ch. N-5. Il est l’un des ministères formant ce qui est communément appelé le noyau de la fonction publique fédérale.
[36] La Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C., 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la « LEFP ») prévoit les règles de nomination dans la fonction publique. Le paragraphe 30(1) de la LEFP dispose que « [l]es nominations — internes ou externes — à la fonction publique [...] sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique ».
Une nomination est fondée sur le mérite lorsque la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général de l’organisation pour le travail à accomplir.
[37] En outre, les facteurs suivants peuvent être pris en considération lorsqu’il s’agit de déterminer la personne à nommer (al. 30(2)b) de la LEFP) :
(i) toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,
(ii) toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,
(iii) tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.
[38] L’administrateur général d’un ministère tel que le MDN est le sous-ministre (art. 2 de la LEFP). Les administrateurs généraux peuvent déléguer à d’autres personnes l’exercice des attributions que leur confère la LEFP (art. 24 de la LEFP).
[39] Si un candidat possède toutes les qualifications essentielles d’un poste, il est placé dans un bassin de candidats qualifiés. L’organisation peut alors pourvoir le poste en nommant n’importe quel candidat issu de ce bassin de candidats présélectionnés. Les processus de sélection en vue d’une nomination dans la fonction publique sont appelés processus de sélection ou de nomination.
[40] L’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « TDFP ») a fait observer au paragraphe 63 de la décision Tibbs c. le sous-ministre de la Défense nationale et al., 2006 TDFP 8, que la LEFP accordait aux gestionnaires un pouvoir discrétionnaire considérable pour choisir la personne qui non seulement répond aux qualifications essentielles du poste, mais qui est aussi la « bonne personne » pour faire le travail, car elle possède des atouts supplémentaires, ou elle répond à des besoins actuels ou futurs ou à des exigences opérationnelles (voir aussi Visca c. le sous-ministre de la Justice et al., 2007 TDFP 24, au par. 42).
[41] Le paragraphe 30(4) de la LEFP prévoit que la direction n’est pas tenue de prendre en compte plus d’une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite. En d’autres termes, un directeur peut sélectionner une personne dans un bassin de candidats qualifiés sans tenir compte des autres candidats qualifiés de ce bassin.
[42] Dans ses dernières observations écrites, la Commission a fait valoir que je ne devais pas appliquer ces principes à la présente affaire parce que la plainte de M. Rehman ne porte pas sur une décision prise au titre de la LEFP, mais sur le refus du MDN de l’embaucher en violation de la LCDP. Je ne suis pas d’accord avec la Commission. Le législateur a adopté des dispositions législatives qui établissent les règles applicables à la nomination des fonctionnaires. Le MDN était tenu de se conformer à celles-ci lors de la sélection des personnes à nommer dans le cadre du processus de nomination auquel M. Rehman a postulé. Le Tribunal ne peut donc pas refuser de prendre en compte ces règles. Elles définissent le cadre dans lequel s’inscrit le processus de nomination visé en l’espèce. Dans le cadre de la présente plainte pour atteinte aux droits de la personne, le Tribunal est appelé à déterminer si des motifs de distinction illicite ont constitué des facteurs dans les décisions du MDN. Contrairement à ce que suggère la Commission, il n’y a pas confusion entre les critères. La Loi s’applique au cadre de dotation de la fonction publique fédérale établi par le législateur. Il n’y a aucune contradiction ou [traduction] « mélange disparate de divers principes juridiques »
.
[43] Il est également inexact de dire que les principes relatifs au droit de l’emploi dans la fonction publique fédérale sont en quelque sorte étrangers aux notions de droits de la personne. La plupart des principes de dotation applicables ont été établis dans des décisions de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « CRTESPF ») et de son prédécesseur, le TDFP, puis confirmés par la Cour fédérale (voir Abi-Mansour c. Canada (Procureur général), 2015 CF 882, au par. 67; Soucy c. Canada (Procureur général), 2019 CF 989 [Soucy], au par. 41. Sous le régime de la LEFP, ces tribunaux sont expressément habilités à interpréter ou à appliquer la Loi. En effet, la Commission a le droit de présenter ses observations à la CRTESPF dans les affaires de dotation qui soulèvent une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi (art. 65 de la LEFP). Le fait que la CRTESPF ne puisse pas traiter les plaintes relatives à des processus externes ouverts au grand public, comme celui-ci, n’a pas d’importance. Les règles de dotation pertinentes en l’espèce sont essentiellement les mêmes, que le processus de nomination soit externe ou interne (voir la décision Soucy dans laquelle les principes avaient été appliqués à l’égard d’un processus de nomination externe).
[44] Je vais maintenant traiter du déroulement du processus de nomination en cause dans la présente affaire.
C. Processus de nomination pour lequel M. Rehman a posé sa candidature
[45] La capitaine (« Capt ») Gail Sullivan était agente principale des finances à la BFC de Cold Lake. Elle a témoigné que le MDN avait des besoins récurrents en matière de dotation pour des postes de commis et des postes administratifs (du groupe « CR ») à la base, car il y avait régulièrement des postes vacants. Les gestionnaires d’embauche nommaient des personnes à ces postes à partir de bassins de candidats qualifiés. En 2016, comme il n’y avait plus de candidats dans le bassin existant, elle a reçu la consigne de coordonner la création d’un nouveau bassin avec l’appui d’un comité d’évaluation (le « comité ») composé de membres des Forces armées canadiennes (les « FAC »).
[46] Mme Rita St Amand, une agente de ressourcement du MDN responsable de fournir des services de dotation au ministère et à ses gestionnaires, a été chargée de fournir du soutien et des conseils en matière de ressources humaines dans le cadre du processus de sélection. Elle a élaboré la liste des critères de mérite, également connue sous le nom d’énoncé des critères de mérite (l’« ECM »), pour le processus en se basant sur des processus de nomination antérieurs pour des postes du groupe CR dans l’Ouest canadien. Elle a consulté des gestionnaires d’embauche clé de qui relevaient plusieurs postes CR sur les éléments à inclure dans l’ECM. Elle s’est efforcée de limiter les qualifications requises des candidats afin de pouvoir constituer un bassin aussi large que possible. Comme l’ont indiqué plusieurs témoins du MDN qui ont participé à ce processus de nomination, il est difficile de pourvoir des postes à la BFC de Cold Lake, en particulier aux salaires d’entrée des postes de niveaux CR-03 et CR-04, compte tenu de l’emplacement semi-isolé de la base, de son climat nordique, du coût élevé du logement et d’autres facteurs.
[47] Mme St Amand a expliqué que l’équipe responsable de ce processus de nomination s’est efforcée de répondre aux besoins variés des gestionnaires d’embauche. Les postes n’avaient pas tous les mêmes exigences en matière d’expérience. Ainsi, plutôt que de dresser plusieurs listes de qualifications, l’équipe les a regroupés en une seule liste. Les gestionnaires devaient déterminer l’expérience requise pour le poste à pourvoir et sélectionner les candidats qui répondaient aux qualifications données.
[48] Les qualifications essentielles pour le processus, énumérées dans les paragraphes suivants, étaient définies dans l’ECM. J’omets certains passages de l’ECM qui ne sont pas pertinents relativement aux questions en l’espèce. Certaines qualifications étaient requises à la fois pour les postes de niveaux CR-03 et CR-04, tandis que d’autres étaient seulement requises pour les postes de niveau CR-04.
[traduction]
Qualifications essentielles
1) Exigences linguistiques :
CR-03/04 : Anglais essentiel
2) Études :
CR-03/04 : Diplôme d’études secondaires ou combinaison acceptable d’études, de formation et d’expérience.
3) Expérience :
EX 1
CR-03/04 : Expérience récente de l’utilisation des logiciels Microsoft comme Outlook, Word et Excel dans un environnement de bureau.
EX 2
CR-03/04 : Expérience récente de la prestation de services généraux de soutien administratif dans un environnement de bureau, notamment la mise page de documents, les photocopies, le classement, la saisie ou le traitement de données.
EX 3
CR-04 : Les postes requièrent une expérience récente de la prestation de services de soutien administratif dans un environnement de bureau, dans un ou plusieurs des domaines suivants (selon le poste à pourvoir) :
-
Services de santé/médicaux;
-
Finances (p. ex., comptes créditeurs, comptes débiteurs ou rapprochements);
-
Ressources humaines;
-
Rémunération/paye ou avantages sociaux;
-
Coordination des déplacements et traitement des demandes de remboursement;
-
Approvisionnement/passation de marchés;
-
Gestion du matériel ou systèmes de contrôle des stocks; ou
-
Service à la clientèle
4) Aptitudes (CR-03/04) :
Capacité de communiquer efficacement.
Capacité à gérer de nombreuses priorités.
5) Qualités personnelles (CR-03/04) :
Capacité à entretenir de bonnes relations interpersonnelles
Souci du détail/rigueur
Esprit d’initiative
Souplesse
Fiabilité
Les candidats peuvent avoir à respecter l’un ou plusieurs des critères suivants pour certains postes (selon le poste à pourvoir) :
Discrétion
Souci du service à la clientèle
Autonomie
[49] L’ECM énumérait également une série de qualifications constituant un atout, qu’un gestionnaire pouvait prendre en compte pour déterminer qui nommer parmi les candidats qualifiés :
[traduction]
Qualifications constituant un atout
1) Études :
Études postsecondaires dans un domaine pertinent (administration des affaires, administration de bureau, etc.).
Possession d’un certificat en terminologie médicale.
2) Expérience :
Expérience de l’utilisation d’un ou plusieurs des systèmes informatiques/logiciels suivants :
-
des bases de données comptables de gestion financière (c.-à-d. Simple Comptable, AccPac, etc.); ou
-
les systèmes du MDN, comme PeopleSoft, le Système de gestion des ressources humaines (SGRH), le Système d’information de gestion des ressources de la Défense (SIGRD) ou ClaimsX.
-
Expérience de la supervision
[50] En outre, l’ECM indiquait que les personnes nommées auraient besoin d’une cote de fiabilité et de sécurité de niveau « Fiabilité » ou « Secret », selon le poste.
[51] L’ECM mentionnait également que des considérations relatives à l’équité en matière d’emploi pouvaient s’appliquer :
[traduction]
Besoins organisationnels
Pour répondre aux besoins de diversification de l’effectif, la préférence pourrait être accordée aux personnes indiquant leur appartenance à l’un des groupes visés par la politique d’équité en matière d’emploi : Autochtones, membres de minorités visibles, personnes handicapées, femmes.
[52] Les personnes qui consultaient l’annonce du processus de nomination pouvaient cliquer sur un lien et postuler en ligne. Les candidats devaient répondre à une série de questions et coller leur curriculum vitæ dans l’application.
D. Évaluation des candidats
[53] La première étape consistait à présélectionner les candidats en fonction des exigences liées aux qualifications essentielles en matière d’études et d’expérience ainsi qu’aux qualifications constituant un atout. Certains membres du comité, ou à l’occasion Mme St Amand, ont ainsi présélectionné les candidats qui répondaient aux exigences et écarté ceux qui n’y répondaient pas. S’agissant du troisième critère d’expérience (EX 3), il suffisait qu’un candidat ait une expérience dans l’une des huit catégories pour se qualifier. En revanche, même si un candidat ne possédait aucune des qualifications constituant un atout, il était tout de même présélectionné s’il satisfaisait aux qualifications essentielles en matière d’études et d’expérience (EX 1, EX 2 et EX 3).
[54] Une fois le candidat présélectionné, il était évalué en fonction des qualifications essentielles restantes, à savoir les aptitudes et les qualités personnelles. Ces qualifications étaient évaluées dans le cadre d’un entretien en personne ou téléphonique avec deux ou trois membres du comité. Les candidats étaient été invités à répondre à une série de questions; dans certains cas, ils devaient fournir des exemples de situations montrant comment ils avaient composé avec certains problèmes dans le passé, et dans d’autres cas, ils devaient réagir aux mises en situation (scénarios) qui leur étaient présentées. Certaines qualifications ont aussi été évaluées au moyen des références fournies. Les candidats ont également dû réaliser un exercice écrit. Les évaluateurs ont eu recours à un guide contenant les définitions des critères évaluées et les éléments à rechercher dans les réponses des candidats et lors de la vérification des références.
[55] L’échelle de notation à cette étape comportait trois notes : Dépasse les exigences, Répond aux exigences et Ne répond pas aux exigences (ou D, R et NRP). Certaines qualifications n’étaient évaluées que lors de l’entrevue (communication orale, discrétion et souci du service à la clientèle). D’autres n’étaient évalués qu’au moyen des références (fiabilité). L’exercice écrit permettait d’évaluer trois critères : 1) la capacité à communiquer efficacement par écrit, 2) la capacité à gérer plusieurs priorités et échéances à la fois, et 3) le souci du détail et la rigueur du candidat. Ce dernier critère était également évalué au moyen de la vérification des références.
[56] Parmi les qualifications énumérées, quatre d’entre-elles, soit la capacité à entretenir de bonnes relations interpersonnelles, l’initiative, la souplesse et l’autonomie, étaient évaluées lors de l’entrevue et de la vérification des références. Une note globale était ensuite attribuée au candidat. J’insiste sur ce point parce que M. Rehman conteste la note globale qui lui a été attribuée pour la première de ces qualifications, à savoir la capacité à entretenir de bonnes relations interpersonnelles. Je traite de ce point plus loin dans la présente décision.
[57] Selon les données figurant sur une feuille de calcul utilisée dans le cadre de ce processus de nomination, au moins 56 personnes ont posé leur candidature, mais il pourrait y en avoir eu davantage. De ce nombre, 30 candidats ont réussi toutes les évaluations et ont été jugés qualifiés, dont M. Rehman. Dix de ces personnes ont retiré leur candidature à divers moments dans le cadre du processus, ce qui a réduit à 20 le nombre de candidats qualifiés dans le bassin.
E. Candidature de M. Rehman et évaluation de ses qualifications
[58] M. Rehman a été présélectionné dès la première étape en fonction de son curriculum vitae. Ni sa demande d’emploi ni son curriculum vitæ ne mentionnaient son lieu de naissance, son origine nationale ou ethnique, sa race ou sa couleur. Aucune photo de M. Rehman n’était incluse. Son curriculum vitæ ne mentionnait que le nom de l’Université de Gomal, sans indication quant à l’emplacement de l’établissement d’enseignement. L’emplacement de la deuxième université était mentionné (îles Caïmans). Les seules expériences professionnelles étaient des emplois au Canada et dans les îles Caïmans.
[59] Selon l’évaluation qui a été faite, M. Rehman dépassait clairement les exigences en matière d’éducation, puisqu’il détenait deux diplômes universitaires. Les membres du comité ont également jugé qu’il satisfaisait aux deux premières qualifications essentielles en matière d’expérience récente [Microsoft Office (EX 1) et services généraux de soutien administratif (EX 2)]. Parmi les huit catégories d’expérience pour les postes CR-04 (EX 3), il possédait une expérience qui répondait à deux de ces catégories : i) la finance (comptes créditeurs, comptes débiteurs ou rapprochements des comptes) et ii) le service à la clientèle.
[60] Au cours de la deuxième étape d’évaluation (l’évaluation des capacités et des qualités personnelles), M. Rehman a d’abord été invité à effectuer l’exercice écrit, qu’il a fait et retourné par courriel le 20 septembre 2016. Son exercice écrit a été évalué par trois membres du comité comme en témoignent les signatures sur la feuille de notation : la Capt Sullivan, la majore (« Maj ») Heather Demchuk et l’adjudant (« Adj ») Yves Brosseau. Les membres du comité ont jugé que M. Rehman répondait (R) aux trois critères évalués. Il n’a reçu aucune note « Dépasse les exigences » (D).
[61] Après avoir réussi l’exercice écrit, M. Rehman a été invité à une entrevue. Il a choisi de la faire par téléphone plutôt qu’en personne, expliquant dans sa réponse à l’invitation qu’il [traduction] « [était] très difficile »
pour lui de se rendre à Cold Lake depuis Calgary.
[62] L’entrevue a été menée le 3 octobre 2016 par trois membres du comité (la Maj Demchuk, le Capt R.M. Finkle et le Capt B.D. Smith). La Maj Demchuk, qui était l’officière supérieure de la Capt Sullivan, était la seule des trois à témoigner à l’audience. La Maj Demchuk a expliqué que les mêmes questions ont été posées à tous les candidats. Les membres du comité prenaient des notes sur les formulaires qui leur avaient été fournis. Ils en discutaient ensuite et tentaient d’arriver à un consensus au sujet des notes à attribuer. Les notes étaient consignées dans un tableau appelé [traduction] « rapport de consensus ». La combinaison des membres du comité réalisant chaque entrevue de candidats était déterminée de manière aléatoire.
[63] Les membres du comité ont ensuite procédé à la vérification des références de M. Rehman et lui ont attribué une note par consensus. Selon le rapport de consensus définitif établi par les membres du comité, les résultats de M. Rehman étaient les suivants (des notes globales n’ont été attribuées que lorsque deux moyens d’évaluation avaient été utilisés pour évaluer un critère) :
[traduction]
|
Entrevue |
Références |
Note globale |
---|---|---|---|
Communication orale |
Répond |
|
|
Capacité à entretenir de bonnes relations interpersonnelles |
Dépasse |
Répond |
Répond |
Souci du détail/rigueur |
|
Répond |
|
Esprit d’initiative |
Répond |
Répond |
Répond |
Souplesse |
Dépasse |
Répond |
Répond |
Fiabilité |
|
Répond |
|
Discrétion |
Dépasse |
|
|
Souci du service à la clientèle |
Répond |
|
|
Autonomie |
Répond |
Répond |
Répond |
[64] La note obtenue était encerclée à la main (D/R/NRP).
[65] M. Rehman a fait part de deux préoccupations concernant les éléments de preuve relatifs à la notation; la première concerne une divergence entre deux versions de son rapport de consensus qui ont été produites en preuve et la deuxième concerne la notation en soi de l’un des critères.
[66] La première préoccupation de M. Rehman concerne la copie du rapport de consensus que le MDN a fourni à M. Rehman avec son exposé des faits dans la présente affaire, en août 2022. Aucune note globale n’avait été encerclée sur cette copie pour les critères [traduction] « Capacité à entretenir de bonnes relations interpersonnelles » et « Souplesse ». M. Rehman et la Commission ont inclus la version en question du rapport de consensus dans leur cahier conjoint des pièces proposées. De plus, cette même version du document a été produite en preuve à titre de pièce JB-10 lors de l’interrogatoire principal de M. Rehman.
[67] Le 5 janvier 2024, soit 10 jours avant le début de l’audience, le MDN a signifié son cahier des pièces proposées, conformément aux instructions du Tribunal. Plusieurs jours plus tard, soit le 9 janvier 2024, le MDN a déposé un cahier modifié des pièces proposées, lequel contenait des documents supplémentaires décrits comme des copies réorganisées de documents fournis par M. Rehman dans son cahier des pièces proposé. Cependant, l’un de ces documents était une version différente du rapport de consensus de M. Rehman. Cette nouvelle version du rapport de consensus a ensuite été présentée en preuve à l’audience à titre de pièce R-473.
[68] Dans la pièce R-473, la note globale pour les deux critères était encerclée alors qu’elle ne l’était pas dans la pièce JB-10. Durant son témoignage, M. Rehman n’a pas soulevé de préoccupations concernant les notes manquantes dans la pièce JB-10 et n’a pas non plus mentionné la pièce R-473.
[69] Dans ses observations finales, toutefois, M. Rehman a soutenu que le MDN avait [traduction] « secrètement inséré » la pièce R-473 dans ses pièces. Il a affirmé que le MDN ou son avocat avait modifié la pièce JB-10 dans le but de faire passer sa note globale pour le critère relatif à la capacité à entretenir de bonnes relations interpersonnelles de « Dépasse les exigences » à « Répond aux exigences ». S’il obtenait la note globale « Répond aux exigences », il ne pouvait pas être pris en considération pour certains postes, comme je l’explique plus loin dans la présente décision.
[70] Le MDN nie vigoureusement toute suggestion selon laquelle il aurait modifié le document. Son avocat a déclaré que les deux versions du rapport étaient incluses dans le lot de documents que le MDN avait extrait de ses dossiers aux fins de divulgation. Le MDN avait d’abord cru à tort qu’il s’agissait de copies superflues d’un même document. Ce n’est que lors de la préparation de la version définitive de son cahier modifié des pièces proposées qu’il s’est rendu compte que les documents n’étaient pas identiques.
[71] Je ne suis pas convaincu que le MDN ait modifié ou fabriqué la pièce R-473 comme le suggère M. Rehman. Certaines parties des deux documents sont identiques, d’autres sont différentes. L’explication la plus logique est que la pièce JB-10 était une version provisoire du rapport et que la pièce R-473 était une version ultérieure ou définitive du rapport, puisque la seule différence entre les tableaux de notation de l’un et de l’autre est que la note globale « R » est encerclée sur l’une d’elles. Le MDN a appelé la Maj Demchuk à témoigner. Dans son témoignage principal, elle a renvoyé à la pièce R-473 pour expliquer comment M. Rehman avait été évalué. Ni M. Rehman ni la Commission n’ont posé de questions à la Maj Demchuk au sujet de la pièce JB-10 ou de divergences quelconques entre les deux rapports. Elle a affirmé dans son témoignage que toutes les notes globales de M. Rehman étaient « Répond aux exigences ».
[72] Ces mêmes notes, à savoir « Répond aux exigences », se retrouvent dans d’autres documents, notamment les feuilles de calcul Excel qui ont été utilisées au cours du processus de nomination pour évaluer les candidatures. En outre, l’hypothèse selon laquelle les espaces vides dans la pièce JB-10 devaient être interprétés comme signifiant que la note de M. Rehman était en réalité « Dépasse les exigences » n’est pas nettement évidente. En fait, le contraire peut également être vrai. En contre-interrogatoire, M. Atiq a demandé au lieutenant-colonel (« Lcol ») Johnathan MacCormack, un des gestionnaires d’embauche qui ne faisait pas partie du comité et qui n’a pas participé à l’évaluation de M. Rehman, ce que signifiait une note manquante. Le Lcol MacCormack a estimé que l’absence de note pouvait signifier « Ne répond pas aux exigences ».
[73] Compte tenu de l’ensemble des circonstances, je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que M. Rehman a reçu la note globale « Répond aux exigences », comme il est indiqué dans la pièce R-473.
[74] La deuxième préoccupation de M. Rehman concernant le rapport de consensus était le fait qu’il avait reçu la note globale « Répond aux exigences » pour le critère de la capacité à entretenir de bonnes relations interpersonnelles alors qu’il avait obtenu la note « Dépasse les exigences » lors de son entrevue et la note « Répond aux exigences » suivant la vérification de ses références. Il précise que deux autres candidates, à savoir Jennifer Leclerc et Sylvie Sarrazin, avaient également obtenu des notes mixtes comme lui, mais qu’elles avaient reçu la note globale « Dépasse les exigences ». M. Rehman s’est appuyé sur une image tirée d’un site de médias sociaux montrant apparemment Mme Leclerc pour affirmer qu’elle était une femme blanche.
[75] Cependant, une autre candidate, Victoria Ark, qui avait également obtenu une note mixte pour cette qualification (« Répond aux exigences » lors de l’entrevue et « Dépasse les exigences » lors de la vérification des références) s’était vu attribuer une note globale « Répond aux exigences », comme M. Rehman. Mme Ark n’avait pas été évaluée par les mêmes membres du comité que M. Rehman.
[76] La Maj Demchuk a discuté de la note globale de M. Rehman dans son témoignage. Elle a expliqué que, selon son expérience, les candidats [traduction] « se mettent en valeur »
lors de leur entrevue, c’est-à-dire qu’ils embellissent leurs capacités. Dans le cas de M. Rehman, il avait fourni le nom de son employeur actuel à titre de référence et, en règle générale, dans le cadre de l’évaluation des candidats qui leur étaient assignés, la Maj Demchuk et les autres membres du comité s’en remettaient à l’opinion indépendante de cette référence plutôt qu’à celle du candidat lui-même. Le témoignage de la Maj Demchuk sur ce point n’a pas été contesté.
[77] Je souligne qu’une autre candidate, Cassandra Clouter, avait obtenu une note mixte, mais que sa note globale était différente de celle de M. Rehman. Elle avait obtenu la note « Répond aux exigences » lors de l’entrevue, mais « Dépasse les exigences » lors de la vérification des références, et s’était vu attribuer une note globale de « Dépasse les exigences ». Cette notation cadrait avec l’approche mentionnée par la Maj Demchuk, qui consistait à s’en remettre à l’avis des références. L’un des membres du comité qui avait évalué Mme Clouter avait également évalué M. Rehman avec la Maj Demchuk.
[78] Certains autres critères ont également été évalués au moyen de l’entrevue et de la vérification des références et, dans plusieurs cas, les notes globales des candidates (Mme Ark, Dianne Zevenbergen et Anita Kervin) avaient été réduites à « Répond aux exigences » alors qu’elles avaient obtenu la note « Dépasse les exigences » dans l’une des évaluations de ces critères essentiels.
[79] Je fait également remarquer que Mme Leclerc et Mme Sarrazin ont été évaluées par un groupe constitué d’évaluateurs entièrement différents de ceux qui composaient le groupe ayant évalué M. Rehman. Il se peut que ces évaluateurs aient eu une opinion différente de celle de la Maj Demchuk et de son groupe d’évaluateurs quant au poids à accorder aux références.
[80] Dans l’ensemble, la preuve ne démontre pas, selon la prépondérance des probabilités, que M. Rehman a été traité différemment des autres candidats à cette étape de l’évaluation, ni d’ailleurs qu’un motif de distinction illicite a joué un rôle dans l’évaluation de ses qualifications.
[81] En outre, deux autres candidats présentant des caractéristiques personnelles semblables à celles de M. Rehman (à savoir, Manesh Suman et Arun Pillai) ont obtenu la note « Dépasse les exigences » dans toutes les évaluations (DDD) de cette qualification. M. Rehman a produit une preuve abondante à l’audience pour démontrer que ces deux candidats, des immigrants membres d’une minorité visible, avaient, comme lui, fait l’objet de discrimination. Pourtant, ils ont reçu des notes plus élevées que lui pour ce critère.
[82] L’élément le plus important à retenir au sujet de cette étape de l’évaluation de M. Rehman est qu’il a démontré qu’il avait répondu aux exigences ou les avait dépassées pour tous les critères.
[83] En ce qui a trait au critère des qualifications constituant un atout, il a été déterminé que M. Rehman répondait à deux des critères : i) des études postsecondaires dans un domaine pertinent (par exemple, administration des affaires, administration de bureau, etc.) et ii) une expérience de l’utilisation de bases de données comptables de gestion financière (notamment Simple Comptable et AccPac).
[84] Le 26 octobre 2016, le MDN a envoyé un courriel à M. Rehman pour l’informer qu’il répondait aux qualifications essentielles et qu’il avait été placé dans le bassin des candidats qualifiés pouvant faire l’objet d’une [traduction] « offre d’emploi à une date ultérieure »
. Dans le courriel, il était aussi indiqué que, si sa candidature était retenue pour une nomination, quelqu’un communiquerait avec lui.
[85] Maintenant que j’ai décrit le processus de nomination et la manière dont M. Rehman a été évalué, je vais déterminer si M. Rehman a établi une preuve prima facie de discrimination en fonction des critères énoncés dans l’arrêt Moore.
V. ANALYSE
A. M. Rehman possède-t-il les caractéristiques protégées qu’il prétend avoir?
[86] Oui. Les motifs de distinction illicite allégués dans sa plainte sont la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique et la religion. M. Rehman s’identifie comme une personne de couleur originaire d’Asie du Sud, plus précisément du Pakistan, et de religion musulmane.
B. M. Rehman a-t-il subi un effet préjudiciable?
[87] Oui. M. Rehman a posé sa candidature dans le cadre du processus de nomination en cause, mais le MDN ne l'a nommé à aucun poste.
C. Est-ce que l’une ou l’autre des caractéristiques personnelles de M. Rehman a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable, si l’on considère chaque nomination séparément?
[88] Comme je l’ai mentionné précédemment, dans mon analyse de cette question, je chercherai d’abord à déterminer si les caractéristiques personnelles de M. Rehman ont joué un rôle dans la décision de ne pas le nommer, si l’on considère chaque nomination séparément. Je poursuivrai ensuite par une analyse globale des questions systémiques soulevées par M. Rehman et la Commission, afin d’examiner à nouveau si l’une ou l’autre des caractéristiques personnelles du plaignant a constitué un facteur dans le fait qu’il n’a été nommé à aucun poste.
[89] Mme St. Amand a expliqué les étapes qui étaient généralement suivies pour nommer des personnes dans le cadre de ce processus de nomination. Les gestionnaires d’embauche consultaient l’ECM et sélectionnaient les critères appropriés pour le poste qu’ils souhaitaient pourvoir. Mme St. Amand choisissait ensuite des candidats dans le bassin et générait un dossier à l’intention des gestionnaires d’embauche, qui contenait des détails sur les candidats répondant à ces critères. Les gestionnaires d’embauche ne connaissaient pas à l’avance l’identité des candidats qui seraient sélectionnés à partir du bassin, sauf dans certains cas que j’examinerai expressément dans ma décision.
[90] Je présenterai d’abord une série de nominations à des postes pour lesquels M. Rehman n’était manifestement pas qualifié. Ensuite, j’analyserai les nominations à des postes pour lesquels la candidature de M. Rehman aurait pu être étudiée.
(i) Nominations à des postes pour lesquels M. Rehman n’était pas qualifié
[91] En ce qui concerne les cinq nominations que je présenterai en premier lieu, ci-dessous, M. Rehman ne possédait pas les qualifications sélectionnées par les gestionnaires d’embauche pour ces postes. Par conséquent, il n’a pas été retenu à partir du bassin, et sa candidature n’a pas été examinée.
(a) Gestionnaire des comptes clients, rations — Cassandra Clouter
[92] Le 8 décembre 2016, Cassandra Clouter a reçu une lettre d’offre pour le poste de CR-04, Gestionnaire des comptes clients, rations. La gestionnaire d’embauche était la Maj Suzanne Kaprowski, qui supervisait l’une des composantes logistiques de la base, dont les services d’alimentation. Le poste à pourvoir comportait notamment les responsabilités suivantes : acheter des aliments; traiter avec les fournisseurs; payer et rapprocher les comptes.
[93] Après avoir discuté des qualifications requises pour le poste avec Mme St. Amand, la Maj Kaprowski a sélectionné les critères suivants : « Répond aux exigences » pour l’expérience essentielle en finances; « Dépasse les exigences » pour la capacité à entretenir de bonnes relations interpersonnelles; et « Répond aux exigences » pour l’expérience en gestion financière constituant un atout.
[94] Ces critères ont permis de sélectionner quatre noms dans le bassin des candidats qualifiés. M. Rehman n’en faisait pas partie, car il n’avait pas obtenu la cote « Dépasse les exigences » pour la capacité à entretenir de bonnes relations interpersonnelles.
[95] Les demandes et les évaluations des quatre candidats ont été envoyées à la Maj Kaprowski pour examen. Cette dernière a témoigné qu’elle ne connaissait aucun des candidats avant que cette liste lui soit transmise. Elle n’avait jamais entendu parler de M. Rehman avant d’être avisée de la tenue de la présente audience. De plus, elle n’a pas siégé au comité.
[96] La Maj Kaprowski a immédiatement éliminé une des quatre candidatures parce que la personne était mariée à l’employé responsable de la cuisine. Elle a donc contacté une autre candidate pour une entrevue, afin de déterminer s’il s’agissait de la bonne personne pour le poste. Toutefois, avant que l’entrevue n’ait lieu, la personne a retiré sa candidature.
[97] En conséquence, la Maj Kaprowski a contacté la personne qu’elle décrivait comme la deuxième candidate la plus qualifiée pour le poste, soit Mme Clouter. Cette candidate avait travaillé comme assistante des services d’alimentation à la base, de façon occasionnelle, six à sept ans auparavant, et connaissait bien le fonctionnement de la cuisine. En outre, elle résidait déjà à Cold Lake. La Maj Kaprowski a jugé que Mme Clouter était un bon choix.
[98] L’époux de Mme Clouter était un membre des FAC qui travaillait à l’unité d’alimentation où la candidate allait être nommée, mais il n’a pas participé au processus d’embauche. Des mesures ont été prises pour éviter que des renseignements ne lui parviennent. Mme Clouter a été embauchée, et elle et son mari ont finalement travaillé ensemble.
[99] M. Rehman conteste la décision du MDN d’avoir nommé Mme Clouter sans même avoir étudié la quatrième candidature que Mme St. Amand avait retenue à partir du bassin, soit celle de M. Suman, un immigrant membre d’une minorité visible. M. Rehman soutient que la façon dont le MDN a traité la candidature de M. Suman constitue une preuve circonstancielle étayant sa plainte.
[100] M. Rehman a appelé M. Suman à témoigner. M. Suman est né au Népal et s’identifie comme une personne originaire d’Asie du Sud et membre d’une minorité visible. Il est aussi hindou pratiquant. Après avoir terminé ses études secondaires au Népal, il a fait des études universitaires au Royaume-Uni, en France et aux États-Unis. M. Suman détient un baccalauréat ès arts, une maîtrise en administration des affaires et un diplôme en administration de cabinet médical. Il a déménagé au Canada en 2005 pour s’installer à Toronto, où il réside toujours. Depuis son arrivée, il a travaillé en tant qu’analyste de portefeuille et administrateur de fonds pour des institutions financières situées sur Bay Street, à Toronto, sauf de 2013 à 2015, période pendant laquelle il a travaillé comme responsable des investissements pour une banque au Népal.
[101] Comme M. Rehman, M. Suman a vu l’offre d’emploi du MDN sur le site Web du gouvernement et a posé sa candidature. Bien que ses revenus de l’époque dépassaient largement le salaire offert pour les postes de CR, et que les exigences en matière d’études pour ces postes étaient inférieures à son niveau d’études, il a postulé parce qu’il souhaitait intégrer la fonction publique fédérale. Il connaissait peu de choses sur l’administration publique et se disait qu’un emploi au MDN lui donnerait l’occasion d’apprendre et, ultimement, de se perfectionner. M. Suman n’avait jamais travaillé dans le secteur public, ce qui, selon lui, l’empêchait d’acquérir les qualifications nécessaires pour postuler à des emplois gouvernementaux de niveau supérieur. Il était donc prêt à accepter une baisse de salaire dans l’espoir que les gens reconnaissent son éthique professionnelle. Il s’attendait à être embauché à un poste d’un échelon beaucoup plus élevé dans la fonction publique, à Ottawa, après trois ou quatre ans.
[102] La Maj Kaprowski a confirmé que M. Suman n’avait jamais été invité à une entrevue pour déterminer s’il était la « bonne personne ». Mme Haynes, la conseillère en dotation du MDN, a expliqué qu’après avoir examiné les dossiers des candidats qualifiés (appelés dossiers de candidature) recommandés par les Ressources humaines (les « RH »), les gestionnaires d’embauche pouvaient convoquer un candidat qui les intéressait en entrevue. Comme les gestionnaires d’embauche ne rencontrent habituellement jamais la personne avant l’entrevue, celle-ci leur permet d’en apprendre plus sur l’expérience et le parcours de la personne, et d’évaluer si elle s’intégrerait bien dans leur organisation.
[103] La Maj Kaprowski a retenu la candidature de Mme Clouter pour les raisons susmentionnées, à savoir son expérience et sa familiarité avec la cuisine de la base, et parce qu’elle résidait déjà à Cold Lake. La Maj Kaprowski a toutefois précisé qu’elle était prête à embaucher une personne habitant à l’extérieur de Cold Lake. D’ailleurs, la candidate qu’elle préférait initialement, celle qui avait retiré sa candidature, résidait au Québec, et la Maj Kaprowski avait été informée que des fonds auraient été accordés pour son déménagement. Nommer une personne de Cold Lake n’était donc pas une obligation. C’était tout simplement plus pratique de choisir quelqu’un qui y vivait déjà.
[104] Par ailleurs, il n’y a aucune preuve démontrant que la Maj Kaprowski connaissait les caractéristiques personnelles de M. Suman. La demande de ce dernier indiquait qu’il parlait anglais, népalais et hindi, et qu’il avait travaillé temporairement dans une banque au Népal. Toutefois, son curriculum vitæ mentionnait surtout ses emplois au Canada. La demande n’indiquait pas son origine nationale ou ethnique, sa religion, sa couleur ou sa race.
[105] Aucune preuve ne permet d’établir que ces motifs ont joué un rôle dans la décision de la Maj Kaprowski de choisir essentiellement la personne qui possédait une expérience directement liée au lieu de travail en question et qui résidait déjà à Cold Lake.
[106] Dans ses observations finales, la Commission a fait part de ses inquiétudes quant à l’effet préjudiciable systémique que pourrait avoir sur les immigrants le fait de ne pas étudier les candidatures des personnes résidant à l’extérieur de Cold Lake. J’examinerai ces arguments plus loin dans la présente décision, dans le cadre de l’analyse globale.
[107] Pour revenir aux allégations de M. Rehman selon lesquelles il a fait l’objet de discrimination durant le processus de dotation du poste, je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucun des motifs de distinction illicite mentionnés dans sa plainte n’a constitué un facteur dans la décision de ne pas le nommer. Il ne répondait manifestement pas aux critères sélectionnés par la Maj Kaprowski, et aucune preuve ne démontre que cette dernière avait déjà entendu parler de lui, encore moins qu’elle connaissait ses caractéristiques personnelles.
(b) Commis en santé mentale — Connie Wilson
[108] Le 24 février 2017, Connie Wilson a reçu une lettre d’offre pour le poste de CR-04, commis en santé mentale. La lettre était signée par la Maj Valerie MacEachern (capitaine à l’époque), qui était alors commandante par intérim. De 2016 à 2018, la Maj MacEachern était gestionnaire des services de soutien au Centre des services de santé de la base, l’unité responsable de la prestation des soins de santé aux membres des FAC. Elle exerçait le métier d’administratrice, soins de santé. La Maj MacEachern a participé à l’embauche de candidats à partir du bassin de candidats qualifiés. Elle a aussi été membre du comité et a participé à l’évaluation des qualifications de certains candidats.
[109] Le rôle de commis en santé mentale consiste à accueillir les patients en santé mentale à leur arrivée à l’unité. Il comprend également plusieurs autres tâches, comme répondre aux appels téléphoniques, planifier les rendez‑vous des patients, utiliser le système d’information sur la santé, planifier les activités, coordonner l’impartition des services aux patients, rappeler les patients, et fournir au chef de l’équipe de santé mentale tout le soutien dont il a besoin pour effectuer les tâches administratives.
[110] La Maj MacEachern a collaboré avec Mme St. Amand pour choisir les critères de sélection appropriés pour le poste. Ensemble, elles ont opté pour les qualifications essentielles suivantes : expérience des services de santé/médicaux; expérience du service à la clientèle; avoir été évalué comme répondant aux critères de discrétion et de souci du service à la clientèle.
[111] Parmi les qualifications essentielles ci-dessus, M. Rehman ne répondait pas au premier critère, à savoir qu’il n’avait pas d’expérience dans le domaine des services de santé/médicaux. La Maj MacEachern a expliqué qu’il était courant, dans son unité, d’exiger pareille expérience, car elle facilitait « l’intégration ».
[112] Pour sa part, Mme Wilson occupait déjà un poste de niveau CR-03 au sein de l’unité. Lorsque le poste de CR-04 s’est libéré en raison de circonstances imprévues, elle a été nommée à ce poste à titre intérimaire pour une période de moins de quatre mois.
[113] Le comité a évalué la candidature de Mme Wilson et a déterminé qu’elle répondait à tous les critères de l’ECM sélectionnés. La Maj MacEachern ne faisait pas partie des membres qui ont évalué Mme Wilson. La maj MacEachern a expliqué que lorsqu’un candidat possédait déjà la cote de sécurité requise pour le poste à pourvoir, le processus de dotation s’en trouvait accéléré. Le délai minimal pour obtenir la cote de fiabilité est généralement de 21 jours, sans compter le temps nécessaire pour préparer la demande.
[114] Mme St. Amand a fourni une copie de la demande d’emploi de Mme Wilson à la Maj MacEachern. Mme Wilson se démarquait par le fait qu’elle possédait 15 années d’expérience en tant qu’aide-soignante et commis dans un hôpital, des fonctions qu’elle a exercées jusqu’en 2015. Elle avait donc une expérience du travail de bureau dans le domaine des soins de santé.
[115] La Maj MacEachern a témoigné qu’elle avait choisi Mme Wilson non seulement parce qu’elle répondait aux critères de mérite essentiels sélectionnés, mais aussi parce qu’elle travaillait déjà dans l’unité, un avantage qui permettait à la Maj MacEachern de confirmer que Mme Wilson était une bonne candidate pour le poste, notamment qu’elle répondait aux critères de discrétion et d’expérience connexe. Selon la Maj MacEachern, la décision était très facile à prendre. Par ailleurs, les gestionnaires de la fonction publique sont invités à offrir, autant que possible, aux fonctionnaires des occasions visant à favoriser leur promotion au titre de leur perfectionnement et avancement professionnels dans la fonction publique. La promotion de Mme Wilson au poste de CR-04 répondait à cet objectif.
[116] En contre-interrogatoire, on a fait remarquer à la Maj MacEachern que M. Pillai, qui était toujours dans le bassin des candidats qualifiés à ce moment-là, possédait toutes les qualifications essentielles. La Maj MacEachern a nommé M. Pillai à un autre poste un peu plus tard. Elle a témoigné que M. Pillai était membre d’une minorité visible. M. Rehman a déposé en preuve la correspondance que le MDN avait envoyée à la Commission après le dépôt de sa plainte, dans laquelle le MDN confirmait que M. Pillai avait quitté l’Inde pour émigrer au Canada.
[117] Bien que M. Pillai était qualifié, il n’a pas été invité à une entrevue pour déterminer s’il était la « bonne personne », contrairement à Mme Wilson. La Maj MacEachern a reconnu qu’elle n’avait possiblement retenu que la candidature de Mme Wilson pour le poste, étant donné que cette dernière était dans le bassin des candidats qualifiés et qu’elle possédait les qualifications requises. La Maj MacEachern ne se souvient pas si les demandes des autres candidats qualifiés répondant aux critères de sélection choisis lui avaient été présentées, mais normalement, plusieurs dossiers de candidature lui étaient envoyés. Cependant, aux termes du paragraphe 30(4) de la LEFP, elle n’était pas tenue de prendre en compte plus d’une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite. Son principal objectif était d’offrir une possibilité d’avancement à la personne qui travaillait déjà dans l’unité et qui occupait déjà, sur une base intérimaire, le poste à pourvoir : Mme Wilson.
[118] Pour revenir aux allégations de M. Rehman selon lesquelles il a fait l’objet de discrimination en ce qui concerne la dotation de ce poste, je suis plus que convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucun des motifs de distinction illicite allégués dans sa plainte n’a influencé la décision de nommer une autre personne que lui à ce poste. Il ne répondait clairement pas aux critères sélectionnés par la Maj MacEachern.
[119] La Maj MacEachern a affirmé qu’elle ne connaissait pas l’origine nationale, ethnique ou religieuse du nom de M. Rehman. Elle s’est décrite comme Canadienne française et a déclaré qu’elle ne savait même pas à quel sexe le nom « Zia » était associé. Il n’y a certainement aucune preuve indiquant que, lorsqu’elle a procédé à cette nomination, la Maj MacEachern était au courant des caractéristiques personnelles de M. Rehman ou du fait que ce dernier s’était identifié comme membre d’une minorité visible. Qui plus est, la candidature de M. Rehman ne lui avait pas été présentée
[120] M. Rehman n’a donc pas démontré que ses caractéristiques personnelles avaient joué un rôle dans la décision de nommer une autre personne que lui à ce poste.
(c) Commis à la gestion de l’information sur la santé et des dossiers médicaux — Sylvie Sarrazin
[121] Le 30 mars 2017, Mme Sarrazin a reçu une lettre d’offre pour le poste de CR-04, commis à la gestion de l’information sur la santé et des dossiers médicaux. La Maj MacEachern était l’agente de dotation pour cette nomination. Cette dernière a témoigné que les responsabilités associées à ce poste de commis étaient les suivantes : numérisation et organisation des renseignements reçus dans le système d’information sur la santé des FAC; saisie, dans le système informatique, des rapports de tiers reçus par télécopieur; traitement des demandes de dossiers médicaux présentées par des patients. La ou le commis était aussi chargé de communiquer les renseignements à Anciens Combattants Canada.
[122] La Maj MacEachern a collaboré avec Mme St. Amand pour choisir, à partir de l’EMC, les critères de sélection appropriés pour le poste. Dans la catégorie de l’expérience, elles ont d’abord envisagé une expérience dans le domaine des services de santé, mais cette recherche a été « infructueuse ». Elles ont donc remplacé le critère d’expérience essentielle par une expérience de la prestation de services de soutien administratif dans un environnement de service à la clientèle. En ce qui concerne la catégorie des qualités personnelles, la Maj MacEachern a expliqué qu’il y avait eu des conflits dans le milieu de travail et que, pour cette raison, elle cherchait une personne dotée d’excellentes compétences interpersonnelles. Une directive avait aussi été mise en place pour donner la priorité au service à la clientèle. Mme St. Amand et la Maj MacEachern ont donc choisi de sélectionner uniquement les candidats qualifiés qui avaient obtenu la note « Dépasse les exigences » pour la capacité à entretenir de bonnes relations interpersonnelles et le souci du service à la clientèle.
[123] Parmi les qualifications essentielles susmentionnées, M. Rehman possédait une expérience du service à la clientèle, mais il n’avait pas obtenu la note « Dépasse les exigences » pour les deux qualités personnelles. Il n’était donc pas qualifié, et sa candidature n’a pas été transmise à la Maj MacEachern pour examen.
[124] La Maj MacEachern a expliqué que, parmi les candidatures sélectionnées à l’aide des critères choisis, elle avait retenu celle de Mme Sarrazin en raison de plusieurs facteurs, mais surtout pour son expérience professionnelle récente en tant que commis aux dossiers pour un organisme de services sociaux, une expérience directement liée à celle requise pour le poste.
[125] La Maj MacEachern, qui avait fait partie du comité ayant évalué les qualités personnelles de Mme Sarrazin, se rappelait avoir été très impressionnée par ses réponses et son amabilité. La candidate avait donné des réponses détaillées qui reflétaient bien les réponses attendues dans le guide de notation. La Maj MacEachern a souligné qu’à l’époque, Mme Sarrazin avait démontré qu’elle pouvait communiquer oralement de façon claire et concise.
[126] La Maj MacEachern a également considéré que la maîtrise du français de Mme Sarrazin était un atout à « valeur ajoutée ». Même si la maîtrise de l’anglais était essentielle au poste, et donc que la connaissance du français n’était pas une exigence, cette compétence est devenue un atout en raison du nombre élevé de personnes francophones à la base et dans ses environs.
[127] De plus, l’époux de Mme Sarrazin était membre des FAC à la BFC de Cold Lake. La Maj MacEachern a témoigné qu’à l’époque, il y avait des rumeurs à propos de l’élaboration d’une nouvelle initiative militaire en faveur des époux pour encourager l’embauche des couples, mais que cela n’avait pas vraiment constitué un facteur dans la nomination de Mme Sarrazin.
[128] La Maj MacEachern a fait remarquer que même si M. Rehman avait obtenu la note requise « Dépasse les exigences » pour les qualités personnelles, il n’aurait pas été la bonne personne pour le poste. En effet, si son expérience était plus « exhaustive » que celle de Mme Sarrazin et qu’elle comprenait la gestion de dossiers, elle était essentiellement financière et ne correspondait pas aux besoins de l’équipe.
[129] Dans tous les cas, les évaluations des qualités personnelles de M. Rehman n’étaient pas suffisantes pour répondre aux critères sélectionnés par la Maj MacEachern et Mme St. Amand. Par conséquent, sa candidature n’a pas été sélectionnée à partir du bassin en vue de cette nomination.
[130] Comme il n’est pas qualifié pour le poste, M. Rehman n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que ses caractéristiques personnelles ont joué un rôle dans la décision de nommer M. Sarrazin et de ne pas examiner sa candidature pour cette nomination.
(d) Commis en santé mentale — Brooke Lattik
[131] Le 18 juillet 2017, Mme Lattik a reçu une lettre d’offre pour le poste de CR-04, commis en santé mentale. La Maj MacEachern était l’agente de dotation pour cette nomination. C’est elle qui a signé la lettre d’offre. Elle a mentionné qu’il s’agissait d’un poste de soutien administratif au service de santé mentale. Ce poste ressemble à celui de Mme Wilson. Les responsabilités étaient les suivantes : répondre au téléphone; accueillir les patients; enregistrer les patients dans le système d’information sur la santé; aider à élaborer les modèles et à planifier les activités de l’équipe; aider le chef d’équipe dans toutes les tâches administratives liées à son rôle; coordonner l’impartition des soins aux patients.
[132] La Maj MacEachern a témoigné qu’après en avoir discuté avec Mme St. Amand, elle avait décidé de considérer les candidats du bassin qui répondaient aux critères suivants : expérience de la prestation de services de soutien administratif dans un environnement de service à la clientèle; note « Dépasse les exigences » pour le critère de la capacité à entretenir de bonnes relations interpersonnelles. En ce qui concerne ce critère, la Maj MacEachern a mentionné qu’il était important que la personne nommée dispose des outils nécessaires pour pouvoir s’occuper de patients en santé mentale, qui sont souvent désemparés et en crise. Une personne qui démontre une excellente capacité à entretenir des relations interpersonnelles est susceptible d’être à même de gérer des situations stressantes et des patients difficiles.
[133] Les deux mêmes critères ont été employés pour sélectionner des candidats pour un autre poste que la maj MacEachern voulait pourvoir, à savoir celui de commis de l’unité de prestation de soins de santé (« UPSS »). Mme St. Amand a donc ressorti la même liste de sept candidats, sur laquelle figurait Mme Lattik. J’examinerai la nomination au poste de commis de l’UPSS plus loin dans la présente décision. Quelques candidats n’étaient plus disponibles, mais il restait un nombre suffisant de candidatures à examiner pour la nomination.
[134] Étant donné que M. Rehman n’avait pas obtenu la note « Dépasse les exigences » pour la capacité à entretenir de bonnes relations interpersonnelles, sa candidature n’a pas été sélectionnée à partir du bassin et n’a donc pas été étudiée. Son nom ne figurait pas sur la liste présentée à la Maj MacEachern.
[135] La Maj MacEachern a expliqué qu’elle avait examiné les documents contenus dans le dossier de Mme Lattik et les notes que cette dernière avait obtenues. Mme Lattik avait obtenu la note « Dépasse les exigences » pour les sept qualités personnelles recherchées. La Maj MacEachern l’a invitée à une entrevue visant à déterminer si elle était « la bonne personne ». Mme Lattik a fait bonne impression et a bien répondu aux questions.
[136] En outre, la Maj MacEachern a souligné que Mme Lattik était déjà fonctionnaire et occupait déjà un poste temporaire de « secrétaire » pour un commandant de la base. À ce titre, elle était une « employée actuelle » et détenait déjà l’habilitation de sécurité requise. Ce facteur a beaucoup joué dans la décision de nommer Mme Lattik, car il signifiait que la Maj MacEachern n’aurait pas à obtenir une habilitation de sécurité d’abord. Mme Lattik pouvait commencer à travailler au moins un mois plus tôt qu’une personne pour qui il aurait fallu obtenir une habilitation. La Maj MacEachern devait pourvoir le poste rapidement, car il n’y a que deux postes de commis dans l’équipe de santé mentale, et tout poste vacant doit être pourvu rapidement. Tout manque de personnel peut être préjudiciable aux patients et peut diminuer le niveau de satisfaction des employés au travail.
[137] En outre, la nomination de Mme Lattik a favorisé son avancement professionnel, ce qui, comme je l’ai mentionné pour la nomination de Mme Wilson, est encouragé à des fins de perfectionnement et d’avancement professionnels dans la fonction publique.
[138] En résumé, la décision de la Maj MacEachern de choisir Mme Lattik plutôt que les autres candidats sélectionnés reposait essentiellement sur la rapidité avec laquelle elle pourrait commencer à s’acquitter des fonctions relatives au poste. La Maj MacEachern n’a même pas considéré M. Rehman pour le poste parce qu’il ne répondait pas aux critères essentiels sélectionnés.
[139] M. Rehman n’a donc pas établi que l’un ou l’autre des motifs de distinction allégués a joué un rôle dans la décision de nommer une autre personne que lui à ce poste.
[140] M. Rehman a fait remarquer que M. Pillai et M. Suman figuraient sur la liste des candidats répondant aux critères sélectionnés par la Maj MacEachern pour ce poste. La Maj MacEachern se souvenait qu’on lui avait présenté le dossier de M. Pillai. Elle a toutefois expliqué que sa priorité était de nommer quelqu’un rapidement. M. Pillai n’avait pas encore d’habilitation de sécurité et vivait à l’extérieur de Cold Lake. Il aurait donc fallu du temps avant qu’il puisse commencer à s’acquitter des fonctions relatives au poste, alors que la majore devait pourvoir le poste rapidement.
[141] La Maj MacEachern était tout de même intéressée par la candidature de M. Pillai. Elle envisageait de pourvoir un autre poste dans un avenir proche, à savoir celui d’adjoint administratif/adjointe administrative. Elle estimait que M. Pillai serait un bon candidat pour le poste, spécialement en raison de son expérience en technologie de l’information et dans une clinique de santé. Finalement, la Maj MacEachern a effectivement embauché M. Pillai pour ce poste, comme nous le verrons plus loin.
[142] En contre-interrogatoire, on a demandé à la Maj MacEachern pourquoi elle et Mme St. Amand n’avaient pas sélectionné l’expérience des services de santé comme filtre supplémentaire, alors qu’elles l’avaient fait pour le poste de Mme Wilson. Dans ces circonstances, M. Pillai aurait peut-être été le seul candidat à posséder toutes les qualifications recherchées. La Maj MacEachern a expliqué qu’en ajoutant l’expérience des services de santé comme critère, le nombre de candidats sélectionnés à partir du bassin était considéré comme insuffisant.
[143] En outre, rien n’indique que les caractéristiques personnelles de M. Pillai ont joué un rôle dans la décision de la maj MacEachern de nommer Mme Lattik, une personne qui travaillait déjà à la base, qui détenait une habilitation de sécurité et qui pouvait commencer à travailler immédiatement. Je ne suis pas convaincu qu’on puisse conclure que M. Pillai a subi de la discrimination fondée sur ses caractéristiques personnelles du fait que la maj MacEachern a décidé de prioriser ces considérations.
[144] Par ailleurs, la Maj MacEachern n’a pas été interrogée au sujet de M. Suman relativement à cette nomination. Cependant, en ce qui concerne la nomination d’une autre personne (Mme Wilson) à un poste similaire de commis en santé mentale, la Maj MacEachern a souligné que M. Suman était moins susceptible d’être considéré, car d’après son curriculum vitæ, son expérience était centrée sur les finances.
(e) Adjoint administratif — Arun Pillai
[145] Le 19 septembre 2018, M. Pillai a reçu une lettre d’offre pour le poste de CR-04, adjoint administratif/adjointe administrative. La Maj MacEachern était l’agente de dotation pour cette nomination. Son superviseur a signé la lettre d’offre.
[146] La Maj MacEachern a affirmé qu’il s’agissait du seul poste d’adjoint administratif/adjointe administrative dans son équipe. Cet emploi consistait principalement à fournir du soutien de l’équipe de commandement composée du commandant, du médecin-chef de l’escadre et de l’adjudant de la clinique. Les fonctions quotidiennes liées au poste comprenaient la planification, la gestion des livrables, la rédaction de lettres et l’appui à des projets d’amélioration de la qualité.
[147] La Maj MacEachern essayait de pourvoir ce poste vacant depuis août 2017. Le 15 août 2017, elle a envoyé un courriel à un employé étudiant des RH, dans lequel elle indiquait expressément avoir vu passer la candidature de M. Pillai lorsqu’elle avait procédé à la nomination de Mme Lattik. Les RH ont vérifié et confirmé à la Maj MacEachern qu’il restait 16 candidats qualifiés dans le bassin. La Maj MacEachern a demandé qu’on lui présente les candidats du bassin ayant une expérience des services de santé/médicaux soient. Le 18 septembre 2017, elle a été informée que ce critère avait permis de sélectionner un candidat : M. Pillai.
[148] La Maj MacEachern a témoigné qu’elle avait décidé de nommer immédiatement M. Pillai. Il était parfait pour le poste. Dans son curriculum vitæ, elle avait relevé qu’il possédait une maîtrise en informatique, ce qui l’avait intéressée étant donné les responsabilités administratives liées au poste. Elle avait aussi été impressionnée par son expérience dans les domaines de l’administration de bureau, des services à la clientèle et du soutien administratif, de même que par son expérience dans une clinique de santé. La Maj MacEachern a témoigné que M. Pillai s’était très bien débrouillé lors de l’entrevue visant à déterminer s’il était la « bonne personne » et qu’il était très enthousiaste. Il avait tous les outils pour réussir.
[149] Le rapport de consensus du comité établissant les notes obtenues par M. Pillai pour les qualités personnelles a été déposé en preuve. La Maj MacEachern ne faisait pas partie des évaluateurs. Comme je l’ai déjà mentionné, le rapport indiquait que M. Pillai avait obtenu la note « Dépasse les exigences » dans toutes les catégories. Un commentaire avait été rédigé au bas du rapport :
[traduction]
Commentaire : L’entrevue de M. Pillai s’est bien déroulée, même s’il était difficile de tout comprendre du fait que c’était par téléphone et qu’il avait un fort accent. Ses réponses étaient logiques et pertinentes pour chaque question posée. M. Pillai pourrait aussi être un bon choix pour le poste d’[adjoint administratif/adjointe administrative].
[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise]
[150] La Maj MacEachern a témoigné qu’elle n’aurait pas lu le rapport lui-même ni le commentaire puisqu’elle avait seulement consulté une feuille de calcul Excel dans laquelle étaient consignées les notes « Dépasse les exigences ». Toutefois, elle a dit que Mme St. Amand lui avait peut-être parlé de la recommandation des évaluateurs de nommer M. Pillai au poste d’adjoint administratif. Durant son témoignage, aucune question ne lui a été posée à propos de la remarque au sujet de l’accent de M. Pillai.
[151] Néanmoins, il a fallu plus d’un an pour que M. Pillai reçoive sa lettre d’offre. M. Rehman affirme que M. Pillai est donc la dernière personne à avoir été nommée dans le cadre de ce processus de nomination. Il prétend que le fait que M. Pillai soit un immigrant indien racisé a joué un rôle dans ce long délai, ce qui appuierait son allégation de discrimination. D’autres candidats qui n’avaient pas d’études universitaires comme M. Pillai ont été nommés avant lui.
[152] La Maj MacEachern a expliqué le long délai. En 2017, elle a dû assumer le poste de son superviseur à titre intérimaire, tout en exerçant les fonctions de son poste d’attache. Au cours de cette période, quatre de ses employés ont quitté leur poste, ce qui a davantage alourdi sa charge de travail. Lorsque son superviseur est revenu en octobre 2017, la Maj MacEachern était débordée et incapable de bien s’occuper de ses dossiers. Elle a dit qu’elle souffrait d’épuisement professionnel. Pour toutes ces raisons, elle a mis du temps à faire suite à sa décision de nommer M. Pillai.
[153] Pour compliquer davantage les choses, le traitement de l’habilitation de sécurité de M. Pillai a été excessivement long. La qualité du travail de la personne chargée de cette tâche a posé problème à la Maj MacEachern. Des erreurs de saisie ont été commises et des documents contenant des renseignements inexacts ont été versés dans le portail pour la cote de fiabilité, ce qui a ralenti le traitement de l’habilitation de M. Pillai.
[154] Le 27 août 2018, la Maj MacEachern a finalement reçu un courriel confirmant que la cote de sécurité « Fiabilité » de M. Pillai avait été approuvée et qu’elle prendrait effet le 23 août 2018. La Maj MacEachern a immédiatement demandé que la nomination de M. Pillai soit annoncée. La lettre d’offre lui a été envoyée trois semaines plus tard.
[155] Je ne suis pas convaincu par l’observation de M. Rehman selon laquelle les caractéristiques personnelles de M. Pillai ont joué un rôle dans la décision de le nommer officiellement en dernier. La Maj MacEachern a dit clairement dans son témoignage qu’elle avait l’intention de le nommer immédiatement en août 2017, ce qui est étayé par les courriels de l’époque. Elle a expressément proposé M. Pillai pour le poste dans son premier courriel aux RH. De plus, elle a confirmé dans son témoignage que M. Pillai était un candidat exceptionnel qui s’était révélé être un excellent employé, comme elle l’avait prévu. M. Pillai a finalement quitté cet emploi en 2020 pour se réinstaller à Toronto.
[156] La Maj MacEachern avait mentionné, dans son premier courriel aux RH, le 15 août 2017, qu’elle avait envisagé de nommer M. Pillai à un autre poste, mais qu’elle avait nommé quelqu’un d’autre à ce poste en utilisant un processus de sélection différent. La Commission prétend que la Maj MacEachern a délibérément retardé la nomination de M. Pillai et affirme que je devrais conclure que des motifs de distinction ont joué un rôle dans cette décision. Je ne suis pas convaincu par cet argument. Il est incompatible avec les faits et le contexte des échanges entre la Maj MacEachern et les RH. La Maj MacEachern a proposé M. Pillai comme candidat potentiel, et les mesures qu’elle a prises ultérieurement pour qu’il soit nommé dès que possible après l’obtention de son habilitation de sécurité, combinées à son évaluation globale positive des compétences et de l’expérience du candidat, indiquent exactement le contraire d’une intention de refuser ou de retarder son embauche.
[157] Pour revenir à la candidature de M. Rehman, ses caractéristiques protégées n’ont manifestement pas constitué un facteur dans la décision de nommer M. Pillai. M. Rehman ne possédait pas la qualification essentielle liée à l’expérience des services de santé/médicaux. Sa candidature et celles des 14 autres candidats restants ont donc été écartées. Seul le nom de M. Pillai a été proposé, et la Maj MacEachern a décidé de le nommer. M. Rehman ne répondait pas aux critères essentiels établis pour cet emploi.
[158] J’examinerai maintenant les nominations pour lesquelles les critères de sélection n’excluaient pas la candidature de M. Rehman.
(ii) Autres nominations, par ordre chronologique
(a) Commis aux services financiers/à la gestion financière (nomination pour une durée indéterminée) – Dianne Zevenbergen
[159] Le 28 octobre 2016, Dianne Zevenbergen a reçu une lettre d’offre concernant le poste CR-04 de commis aux services financiers/à la gestion financière. La Capt Sullivan a signé la lettre. Elle a témoigné qu’il s’agissait d’un poste de commis de premier échelon, dont les tâches comprenaient la gestion des budgets des clients, des cartes de crédit et des comptes créditeurs et débiteurs.
[160] Mme Zevenbergen avait été nommée en octobre 2015 à ce poste à durée déterminée d’un an, lequel arrivait à terme. La lettre d’offre indiquait qu’elle était nommée au même poste pour une durée indéterminée et qu’elle conservait les mêmes fonctions.
[161] Mme St. Amand a témoigné que la nomination à un poste pour une durée indéterminée d’une personne qui occupait déjà ce poste pour une période déterminée est une méthode de dotation courante et efficace. Mme Zevenbergen était une candidate qualifiée dans le bassin. Selon l’évaluation du comité, elle respectait ou dépassait toutes les exigences en matière de qualités personnelles.
[162] La Capt Sullivan a indiqué que cette nomination visait essentiellement à convertir la nomination pour une durée déterminée de Mme Zevenbergen en une nomination pour une durée indéterminée. Cette nomination assurait la continuité du poste que Mme Zevenbergen occupait déjà depuis un an. Mme Zevenbergen avait pris sa retraite des FAC après une carrière de plus de 20 ans, au cours de laquelle elle a occupé un poste semblable de commis aux finances. Elle résidait déjà à Cold Lake. Elle était la bonne personne pour le poste.
[163] La Capt Sullivan n’a pris en compte aucun des autres candidats à ce poste, y compris M. Rehman. Comme je l’ai mentionné dans la présente décision, le paragraphe 30(4) de la LEFP prévoit que la direction n’est pas tenue de prendre en compte plus d’une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite.
[164] La Capt Sullivan soutient que les caractéristiques protégées de M. Rehman n’avaient rien à voir avec la décision de nommer Mme Zevenbergen pour une durée indéterminée. La candidature de M. Rehman n’a même pas été prise en compte, car Mme Zevenbergen était déjà la bonne personne pour le poste. En outre, la lettre d’offre de Mme Zevenbergen n’a été envoyée que deux jours après que M. Rehman a été informé du fait que le comité avait déterminé qu’il possédait les qualifications essentielles du processus de sélection (le 26 octobre 2016), de sorte qu’il n’était effectivement pas encore qualifié au moment où la décision concernant la nomination à ce poste a été prise.
[165] M. Rehman a fait remarquer que la Capt Sullivan avait été l’une des références de Mme Zevenbergen aux fins de son évaluation des qualités personnelles. Elle n’a toutefois joué aucun rôle dans cette évaluation. Mme Haynes a déclaré qu’il n’était pas rare qu’un gestionnaire d’embauche serve de référence pour un candidat, en particulier lorsque l’organisation ou le lieu de travail n’est pas très grand. Mme Haynes a ajouté que tous les gestionnaires d’embauche sont formés pour faire preuve d’équité et d’impartialité dans l’exercice de leurs fonctions.
[166] Je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que les caractéristiques personnelles de M. Rehman n’ont joué aucun rôle dans la décision de nommer à ce poste Mme Zevenbergen plutôt que lui ou l’un des autres candidats du bassin. La direction a simplement décidé de garder la personne qui occupait déjà le poste et qui figurait dans le bassin de candidats qualifiés.
(b) Secrétaire de direction (nomination pour une durée indéterminée) – Brooke Lattik
[167] Le 25 novembre 2016, Mme Lattik a reçu une lettre d’offre concernant la nomination pour une période indéterminée au poste de secrétaire de direction. Le poste était initialement classé au niveau ST-SCY-2, avant d’être renommé « adjoint de direction » et reclassé au niveau CR. Mme Lattik a occupé ce poste jusqu’à sa nomination au poste de commis à la santé mentale en juillet 2017, comme je l’ai expliqué précédemment.
[168] Le Lcol J.L.K. Armstrong, alors commandant du 1er Escadron de maintenance (Air), a signé la lettre d’offre. La Maj Sara Emond était une officière de la logistique pour cette unité et d’autres unités et détenait à l’époque le grade de capitaine. Le Lcol Armstrong était son superviseur. La Maj Emond a témoigné au sujet de cette nomination. Elle a expliqué qu’il s’agissait du seul poste civil au sein de l’escadron de 400 personnes. Le poste servait de relais central pour tous les échanges entre la direction et les 13 ateliers de la base. Il exigeait donc de solides compétences en matière de communication et de relations interpersonnelles, ainsi que la capacité de trouver des solutions sans l’aide d’autrui.
[169] Au cours du processus de dotation du poste, les dossiers de présélection de tous les candidats qualifiés ont été transmis aux responsables. Le Maj E. North, un collègue de la Maj Emond, et l’Adj Chantal Racine, qui relevait de la Maj Emond, ont examiné les dossiers et sélectionné trois candidats en vue d’un examen plus approfondi. La Maj Emond était alors en congé. Ils ont classé les candidats par ordre de préférence : Mme Lattik était le premier choix, suivie de M. Pillai, puis d’un autre candidat, que je me contenterai d’appeler JR.
[170] La Maj Emond a décrit Mme Lattik comme une excellente candidate. Elle a obtenu la note « Dépasse les exigences » dans l’exercice écrit et dans toutes les catégories de qualités personnelles. Le Lcol Armstrong, le Maj North et l’Adj Racine sont les membres du comité qui ont évalué Mme Lattik. Le maj North a indiqué dans un courriel que Mme Lattik s’est exprimée aisément et efficacement en anglais tout au long de son entrevue. Elle a parlé avec assurance et a su répondre de manière directe aux questions. Selon la Maj Emond, le Lcol Armstrong a quant à lui été impressionné par les compétences technologiques et l’esprit d’initiative de Mme Lattik. Ils ont tous conclu que ses réponses, sa formation et ses connaissances convenaient parfaitement à un poste administratif.
[171] Mme Lattik dépassait toutes les exigences en matière de qualifications, son conjoint était employé comme technicien sur la base et elle résidait à proximité, autant de raisons de la considérer comme la candidate principale pour le poste. Ses qualifications lui permettaient également de s’intégrer rapidement à ses nouvelles fonctions, un élément important étant donné que ce poste essentiel était vacant depuis plus de trois mois et que l’on cherchait « désespérément » à embaucher quelqu’un rapidement.
[172] À l’inverse, interrogée sur les raisons pour lesquelles M. Rehman n’avait pas été retenu parmi les candidats préférés pour le poste, la Maj Emond a expliqué que la plupart de ses qualifications étaient liées au domaine financier plutôt qu’à l’administration.
[173] La Maj Emond a déclaré qu’elle n’avait aucune connaissance de la race, de la couleur, de l’origine nationale ou ethnique ou de la religion de M. Rehman.
[174] Quant à la candidature de M. Pillai, la Maj Emond a fait remarquer que, en plus d’être une excellente candidate, Mme Lattik était la bonne personne, car elle habitait à proximité et pouvait donc rapidement être nommée à ce poste qui était resté vacant trop longtemps. Parmi les candidats que le comité a examinés, Mme Lattik s’est classée première, juste devant M. Pillai. Mme Lattik était une candidate véritablement excellente, ce qui a grandement contribué à en faire la personne idéale pour le poste.
[175] Dans ses observations finales, la Commission a fait remarquer que Mme Lattik avait acquis son expérience professionnelle la plus récente chez des détaillants tels que Walmart (associée à la caisse et gérante du service à la clientèle) et Pharmaprix (gérante du magasin). La Commission a indiqué que le niveau d’études et l’expérience professionnelle de M. Pillai étaient supérieurs à ceux de Mme Lattik. Il avait été coordonnateur du recensement en 2016 et coordonnateur et administrateur clinique de 2012 à 2015. M. Pillai était titulaire de diplômes universitaires. Mme Lattik était titulaire d’un diplôme d’études secondaires. Bien que la Commission n’ait jamais posé la question directement à la Maj Emond, il ressort clairement du témoignage de cette dernière qu’elle reconnaissait que M. Pillai aurait été un bon candidat pour ce poste de premier échelon décrit comme étant de nature administrative, mais que Mme Lattik était légèrement préférable en raison d’autres facteurs, notamment le fait qu’elle habitait proche du lieu de travail et qu’elle était disponible immédiatement, et que son conjoint était membre des FAC. À première vue, il est difficile de déterminer si l’expérience professionnelle récente de Mme Lattik était plus pertinente que celle de M. Pillai pour ce poste administratif de premier échelon. Concernant les études, on ne demandait que le minimum. Il n’a pas été demandé à la Maj Emond si des études universitaires auraient été un atout dans l’exercice de ces fonctions, et rien ne prouve qu’elles auraient été avantageuses pour le poste en question.
[176] Lors du contre-interrogatoire de la Maj Emond, on a souligné que le rapport de consensus du comité au sujet de l’évaluation des aptitudes et des qualités personnelles de M. Pillai contenait un commentaire selon lequel l’entretien s’était bien déroulé, mais qu’il avait été difficile de tout comprendre en raison de la ligne téléphonique et du fort accent de M. Pillai. La Maj Emond a déclaré qu’elle n’en avait pas déduit que M. Pillai était un immigrant ou qu’il appartenait à une minorité visible. Dans ce commentaire, elle indiquait également que les réponses de M. Pillai étaient logiques et pertinentes et que ce dernier serait un bon choix pour le poste d’adjoint administratif, auquel il a ensuite été nommé, comme je l’ai mentionné précédemment. La Maj Emond n’a jamais rencontré M. Pillai et affirme qu’elle ne connaissait même pas son sexe. En effet, dans son rapport d’évaluation de l’examen écrit de M. Pillai préalable à l’entretien téléphonique, le comité avait désigné ce dernier en tant que Mme Pillai.
[177] La Maj Emond a fait valoir que, dans l’hypothèse où l’entrevue s’était déroulée en anglais, l’accent en question aurait pu provenir de l’autre langue officielle, soit le français. Cette hypothèse me semble toutefois peu probable, puisque les candidats sont censés avoir le droit de passer leur entrevue dans la langue officielle de leur choix et que, selon la Maj Emond, le Maj North est francophone. Je suis d’accord pour dire que les personnes qui ont mené l’entrevue ont probablement compris que l’accent n’était pas celui d’un francophone. Ce fait, à lui seul, ne permet pas de conclure que la Maj Emond ou les autres membres de l’équipe se sont fait des idées précises sur l’origine nationale ou ethnique, la race, la couleur ou la religion de M. Pillai, ou que ces caractéristiques ont joué un rôle dans la décision de le classer immédiatement derrière Mme Lattik, bien que devant de nombreux autres candidats en vue de la nomination au poste en question. La Maj Emond a souligné que le Lcol Armstrong s’identifie comme membre d’une minorité visible et que l’Adj Racine est autochtone, quoique ces faits à eux seuls n’excluent pas nécessairement la possibilité que des motifs de distinction illicite aient joué un rôle dans la décision qu’ils ont prise.
[178] En outre, je rappelle que M. Pillai a été nommé à un poste à l’issue du processus de nomination. Il n’a pas témoigné dans la présente affaire et ne semble pas avoir déposé de plainte pour atteinte aux droits de la personne en lien avec l’une ou l’autre des nominations résultant de ce processus.
[179] Les faits concernant M. Pillai ne me permettent pas de conclure que des motifs de distinction illicite ont constitué un facteur dans la décision de ne pas nommer M. Rehman au poste en question. Je suis convaincu que Mme Lattik s’est classée au premier rang parce qu’on a jugé qu’elle convenait mieux au poste que tous les autres candidats qualifiés, y compris M. Rehman.
(c) Série de nominations d’un an au sein du service du contrôleur de l’escadre
[180] La Maj Demchuk était la contrôleuse de l’escadre, ou agente financière principale, pour la base. Le service de contrôleur de l’escadre (le « Contr Ere ») qu’elle dirigeait est le bureau financier chargé de gérer l’ensemble des fonds publics de la base. Toutes les transactions de la base passent par ce service. La Maj Demchuk devait pourvoir plusieurs postes de commis aux comptes créditeurs pour une période d’un an moins un jour, que j’appellerai « nominations d’un an » par souci de simplicité. Elle a expliqué que l’une des raisons pour lesquelles elle avait pris en main l’élaboration du processus de nomination en cause tenait au fait qu’elle avait beaucoup de difficultés à pourvoir ces postes temporaires depuis son arrivée en 2015.
[181] Sachant que bon nombre d’employés finiraient par accepter des postes permanents ailleurs, elle s’est efforcée de constituer un bassin de candidats qualifiés à partir duquel elle pourrait pourvoir les postes temporaires du Contr Ere. Malgré la diversité des qualifications essentielles que les candidats du bassin pouvaient posséder, elle ne s’intéressait qu’à ceux qui avaient de l’expérience en matière de comptes créditeurs. La Maj Demchuk a fini par choisir quatre personnes du bassin pour des nominations d’un an.
(d) Coordonnatrice administrative du Contr Ere (nomination pour une durée déterminée) – Victoria Ark
[182] La première nomination de la Maj Demchuk a été celle de Victoria Ark. Le 28 novembre 2016, Mme Ark a reçu une lettre d’offre concernant le poste CR-04 de coordonnatrice administrative du Contr Ere, pour une durée déterminée d’un an (du 12 décembre 2016 au 11 décembre 2017). La Maj Demchuk a signé la lettre. Le ou la titulaire du poste était responsable des comptes créditeurs du service et, occasionnellement, d’autres comptes créditeurs généraux. La personne qui occupait précédemment le poste était en congé de maladie de longue durée depuis 2015. La Maj Demchuk avait demandé aux RH de pourvoir rapidement le poste vacant.
[183] La Maj Demchuk exigeait que les candidats à ce poste aient de l’expérience en finances et, de préférence, de l’expérience des systèmes comptables de gestion financière. Elle a choisi ces critères vers le milieu ou la fin du mois d’octobre 2016. La Maj Demchuk avait d’abord tenté de ne pas précipiter cette nomination. Elle savait que d’autres gestionnaires cherchaient à embaucher des personnes issues du bassin de candidats qualifiés pour des postes permanents. Elle ne voulait pas [traduction] « retirer un candidat du marché » en le nommant à un poste temporaire et ainsi compromettre ses chances d’obtenir un poste permanent.
[184] Cependant, Mme St. Amand avait assuré à la Maj Demchuk qu’il serait acceptable de procéder sans délai à une nomination. Par conséquent, le 27 octobre 2016, la Maj Demchuk a informé Mme St. Amand que, parmi les candidats qui répondaient aux critères, ses « trois meilleurs » choix étaient, par ordre de préférence, une candidate que je nommerai simplement RS, puisqu’elle n’a finalement pas été nommée, Mme Ark et Mme Clouter.
[185] Il convient de souligner que M. Rehman n’a été informé que la veille, soit le 26 octobre 2016, qu’il s’était qualifié. Rien n’indique que la Maj Demchuk était en possession de son dossier au moment où elle a dû décider qui sélectionner parmi les candidats qualifiés dans le cadre de cette première nomination.
[186] Bien que RS se soit classée première, il y a eu un problème concernant l’obtention de la cote de sécurité qu’il lui fallait. La Maj Demchuk a donc offert le poste à la candidate suivante, Mme Ark.
[187] Selon la Maj Demchuk, Mme Ark était une « candidate idéale ». Elle travaillait à la base depuis mars 2016 pour Brookfield GRS, l’entrepreneur qui fournit des services de réinstallation aux membres des FAC partout dans le monde. La Maj Demchuk estimait cette expérience très utile, car elle signifiait que Mme Ark connaissait déjà la culture et les installations de la base, ainsi que les rouages des forces armées. Il était facile pour Mme Ark de « passer » à l’équipe de la Maj Demchuk. Dans ses emplois antérieurs, Mme Ark avait acquis de l’expérience dans le domaine des comptes créditeurs, notamment concernant le traitement des factures et la saisie de données dans le système comptable en vue du paiement des factures.
[188] En outre, Mme Ark possédait déjà une cote de sécurité du fait qu’elle travaillait à la base. De plus, elle vivait dans la région de Cold Lake.
[189] La Maj Demchuk a témoigné que, comme elle s’y attendait, Mme Ark s’est avérée être une très bonne employée. Cette dernière travaillait efficacement et accomplissait ses tâches rapidement, souvent avant midi. Puis, elle s’empressait de trouver d’autres tâches à effectuer. Il n’est donc pas surprenant qu’un autre gestionnaire ait embauché Mme Ark pour un poste permanent au bout de quelques mois.
[190] En ce qui concerne M. Rehman, outre le fait qu’elle ne disposait pas de son dossier, la Maj Demchuk a déclaré qu’elle n’avait pas connaissance de sa race, de sa couleur, de sa religion ou de son origine nationale ou ethnique au moment de décider qui sélectionner parmi les candidats qualifiés dans le cadre de cette première nomination. Les caractéristiques personnelles de M. Rehman n’ont donc pas influencé la décision de nommer Mme Ark plutôt que lui.
[191] Il est possible que la Maj Demchuk ait ignoré les particularités des caractéristiques personnelles de M. Rehman, mais je fais remarquer qu’elle a participé à sa première entrevue téléphonique avec le comité, laquelle a eu lieu avant qu’il ne soit jugé qualifié, et qu’elle a déclaré qu’il parlait l’anglais avec un accent. Elle a ajouté qu’elle avait trouvé ses réponses claires et concises, mais il est probable qu’elle savait que l’anglais n’était pas sa langue maternelle.
[192] Le fait que la Maj Demchuk ait pu être au courant des caractéristiques personnelles de M. Rehman pourrait être pertinent à l’égard des nominations ultérieures auxquelles elle a participé et pour lesquelles M. Rehman était manifestement un candidat qualifié. Néanmoins, en ce qui concerne le poste auquel Mme Ark a été nommée, il semble que la Maj Demchuk avait déjà sélectionné les trois meilleurs candidats avant même que M. Rehman ne soit jugé qualifié. Par conséquent, sa candidature n’a jamais été prise en compte pour ce poste.
[193] Je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucun des motifs de distinction illicite invoqués dans la plainte de M. Rehman n’a constitué un facteur dans la décision de nommer Mme Ark au poste pour une durée déterminée. Rien n’indique que M. Rehman était qualifié pour ce poste au moment où la décision quant à la personne à nommer a été effectivement prise. Par ailleurs, il existe de nombreuses raisons justifiant la nomination de Mme Ark, mais aucune n’est liée à M. Rehman ou à ses caractéristiques personnelles.
(e) Traitement de la candidature de M. Rehman en amont des trois autres nominations pour une durée déterminée au Contr Ere
[194] Au moment où la Maj Demchuk a procédé aux trois autres nominations d’un an, M. Rehman avait été jugé qualifié. Dans la présente affaire, une grande partie des allégations de discrimination formulées par M. Rehman découlent de sa perception de la manière dont la Maj Demchuk et son équipe ont traité sa candidature après qu’il a été informé, le 26 octobre 2016, de son placement dans le bassin de candidats qualifiés.
[195] Dans sa plainte, M. Rehman a affirmé que le MDN avait délibérément omis de le contacter lors de la préparation des nominations pour une durée déterminée au Contr Ere et avait faussement déclaré l’avoir fait.
[196] M. Rehman a fondé cette affirmation sur un courriel du MDN qu’il a reçu le 6 décembre 2016. Selon ce courriel, la direction l’avait récemment contacté en vue de savoir s’il était intéressé par l’un de ces postes temporaires, ou, au contraire, s’il ne recherchait qu’un poste permanent. Il devait répondre au plus tard le 13 décembre 2016.
[197] M. Rehman a immédiatement confirmé son intérêt pour ces postes et pour tout autre poste temporaire ou permanent. Il a fait remarquer qu’il n’avait reçu aucun courriel du MDN depuis que celui-ci l’avait informé de son inscription dans le bassin de candidats. Le MDN a répondu qu’il l’avait contacté par téléphone et lui avait demandé de confirmer ses numéros de téléphone, ce que M. Rehman avait fait. Cet échange de courriels a eu lieu le 6 décembre 2016.
[198] M. Rehman était le premier à témoigner à l’audience. Il a fermement soutenu que personne au MDN ne l’avait jamais appelé. À l’approche de l’audience, le MDN a déclaré qu’il n’avait pas accès aux registres des appels et n’a donc pas pu confirmer que l’appel avait effectivement eu lieu. Dans son exposé des précisions, M. Rehman a soutenu qu’il s’agissait là de la preuve que l’appel téléphonique était « fictif », ce qui montrait que le MDN entendait lui refuser une carrière au sein de l’organisation.
[199] Afin d’étayer son affirmation, M. Rehman a appelé une représentante de Telus, le fournisseur des services téléphoniques du MDN, à comparaître à l’audience. Cette représentante, Rebecca O’Grady, a témoigné que, selon les dossiers de Telus, la Capt Sullivan avait bel et bien appelé M. Rehman sur son téléphone cellulaire le mercredi 23 novembre 2016 à 12 h 40. L’appel a duré une minute et demie. Selon Mme O’Grady, si l’appel a été consigné, c’est qu’une personne y a répondu ou que la messagerie vocale automatique du téléphone de M. Rehman l’a reçu.
[200] D’autres éléments de preuve présentés ultérieurement dans la présente affaire ont montré que la Maj Demchuk avait demandé à son personnel (en l’occurrence la Capt Sullivan) de contacter toutes les personnes dans le bassin pour savoir si elles étaient intéressées par un poste temporaire. Dans l’affirmative, il convenait d’organiser une entrevue pour l’obtention d’une cote de sécurité, sauf pour les candidats ayant déjà l’habilitation requise. La Maj Demchuk a témoigné que la direction se devait de confirmer l’intérêt réel des candidats à l’égard des postes. En ce qui concerne les postes temporaires, les candidats étaient informés qu’ils ne recevraient aucune indemnité de déménagement et qu’il se pouvait même que les fonds nécessaires pour les postes en question ne soient finalement pas octroyés, autant d’éléments susceptibles d’influencer leur décision. D’après l’expérience de la Maj Demchuk, de nombreuses personnes participent aux processus de nomination et se retrouvent dans les bassins de candidats uniquement dans le but de s’entraîner à passer des évaluations, mais n’ont aucun intérêt réel pour le poste.
[201] Suivant les instructions de la Maj Demchuk, la Capt Sullivan a appelé tous les candidats, et non pas seulement M. Rehman. Elle a consigné les réponses de chacun dans un courriel, qu’elle a envoyé à Mme St. Amand le 28 novembre 2016. À propos de M. Rehman, la Capt Sullivan a précisé qu’elle avait [traduction] « laissé [un message] le 23 novembre, sans réponse ».
La copie du courriel déposée en preuve contient des annotations manuscrites accompagnées des initiales de Mme St. Amand. Selon les notes figurant à côté des noms de M. Rehman et de plusieurs autres candidats, des courriels de suivi ont été envoyés le 6 décembre 2016. Comme je l’ai mentionné, M. Rehman a effectivement reçu un courriel de suivi à cette date.
[202] En résumé, la preuve établit que M. Rehman avait bel et bien été contacté par téléphone et que, pour une raison ou une autre, il n’avait pas répondu immédiatement. Le MDN avait néanmoins relancé M. Rehman, qui avait confirmé son intérêt pour un poste temporaire. L’allégation de M. Rehman selon laquelle l’appel téléphonique du MDN était fictif est dénuée de tout fondement.
[203] M. Rehman a critiqué la décision du MDN de le contacter par téléphone plutôt que par courriel. L’offre d’emploi précisait que les candidats seraient contactés par courriel. Cependant, le MDN fait remarquer que l’offre indiquait en réalité qu’il avait [traduction] « l’intention de communiquer avec les candidats par courriel ».
Cet énoncé n’excluait pas le recours à d’autres moyens de communication. La Capt Sullivan a déclaré qu’à l’époque, elle n’avait pas vu l’offre d’emploi ou la mention relative à la communication par courriel. La Maj Demchuk a expliqué que, compte tenu de l’urgence de pourvoir ces postes, la direction devait déterminer le plus rapidement possible quels candidats seraient intéressés par une nomination d’un an pour laquelle aucune indemnité de réinstallation ne serait versée. C’est pourquoi la direction a décidé de communiquer directement avec les candidats par téléphone. En outre, tous les candidats ont été contactés de cette façon, et non pas seulement M. Rehman.
[204] La preuve a montré que 11 des candidats contactés par la Capt Sullivan s’étaient dits intéressés par une nomination pour une durée déterminée. Il convient de souligner que M. Suman a décliné l’invitation, déclarant qu’il recherchait plutôt un poste permanent. Cinq personnes parmi les candidats résidaient déjà à Cold Lake et une autre, que je me contenterai de nommer WR, était sur le point de déménager à Cold Lake et y serait dans les semaines à venir. La Capt Sullivan et la Maj Demchuk ont décidé d’amorcer le processus de vérification des autorisations de sécurité pour les personnes qui résidaient à Cold Lake ou qui y résideraient sous peu.
[205] La Capt Sullivan et Mme St. Amand ont discuté de la possibilité de procéder également aux vérifications de sécurité des autres candidats intéressés qui n’habitaient pas dans la région, dont M. Rehman, qui vivait à Calgary, et d’autres candidats qui résidaient entre autres à Saskatoon, en Saskatchewan, et à Colbolt, en Ontario. Mme St. Amand a informé le Tribunal que le fait que les autres candidats n’habitaient pas dans la région ne l’empêchait pas de les prendre en compte ni de procéder à la vérification de leur cote de sécurité. Il aurait cependant fallu faire appel à des agents de sécurité d’autres organisations.
[206] La Capt Sullivan a répondu à Mme St. Amand que la Maj Demchuk avait décidé de ne pas donner suite aux candidatures des personnes résidant hors de la région qui n’avaient pas déjà une cote de sécurité. Elle a fait remarquer qu’il n’y avait que trois postes à pourvoir et que sept candidatures étaient déjà en cours de vérification en vue de l’obtention d’une cote de sécurité. Compte tenu du manque de personnel, la direction n’avait pas le temps de consacrer des ressources supplémentaires à ce processus. Une candidate n’habitant pas dans la région a indiqué qu’elle prévoyait de déménager à Cold Lake en janvier 2017, et la Capt Sullivan a mentionné que la direction pourrait examiner sa candidature et procéder à l’obtention de sa cote de sécurité une fois qu’elle serait établie à Cold Lake. La Capt Sullivan a également informé Mme St. Amand du fait que les candidats de Cold Lake seraient sélectionnés pour une nomination dans l’ordre d’obtention de leur cote de sécurité. La première personne à obtenir sa cote de sécurité serait la première à recevoir une offre.
[207] La Maj Demchuk a déclaré que le processus d’embauche pour une personne vivant hors de la région pouvait prendre cinq mois. Elle a également mentionné qu’il s’agissait de nominations d’un an moins un jour, de sorte que les personnes nommées ne toucheraient pas d’indemnité de déménagement. Cette réalité, combinée au coût de la vie élevé à Cold Lake, faisait en sorte qu’il était peu probable que les personnes n’habitant pas dans la région soient intéressées par une telle nomination.
[208] M. Rehman ne comprend pas pourquoi il n’a pas été invité à se rendre à Cold Lake pour une entrevue de sécurité. Il fait valoir qu’il aurait pu faire le trajet de cinq heures en voiture depuis Calgary, passer son entrevue, puis rentrer chez lui dans l’après-midi. Il affirme que c’était une option « évidente » qui s’offrait à la Capt Sullivan et à la Maj Demchuk et qu’il a plutôt été exclu en raison de ses caractéristiques personnelles. Toutefois, même si cette option était envisageable, il était tout simplement inutile d’inviter qui que ce soit provenant de l’extérieur de la région. La preuve montre de manière convaincante que la direction disposait d’un nombre plus que suffisant de candidats qualifiés pour pourvoir les trois postes restants.
[209] La Maj Demchuk a déclaré qu’il arrivait souvent que les candidats n’habitant pas dans la région se disent d’abord intéressés par un poste à Cold Lake, puis changent d’avis lorsqu’ils découvrent à quel point il est difficile et coûteux d’y vivre. La Maj Demchuk a cité l’exemple d’une candidate, WR, qui avait exprimé son intérêt pour le poste au motif que sa fille vivait à Cold Lake. Néanmoins, WR avait par la suite changé d’avis et retiré sa candidature. Par conséquent, il ne vaut généralement pas la peine d’investir des ressources afin de procéder aux vérifications de sécurité des personnes n’habitant pas dans la région, compte tenu de la probabilité qu’elles refusent l’offre d’emploi pour un poste temporaire de moins d’un an.
[210] Qui plus est, l’argument de M. Rehman est quelque peu fallacieux, en ce sens que, lorsqu’il a été invité en octobre 2016 à une entrevue visant à évaluer ses qualités personnelles et ses aptitudes, il a répondu par courriel qu’il lui était très difficile de se rendre à Cold Lake et a demandé à passer l’entrevue par téléphone.
[211] Je juge donc non fondée son affirmation selon laquelle la décision de ne pas l’inviter à Cold Lake témoignait d’un traitement défavorable fondé sur ses caractéristiques personnelles.
[212] M. Rehman a également fait valoir que, comme les autres candidats provenant de l’extérieur de la région n’avaient aucun intérêt pour les postes temporaires, cette situation faisait non seulement de lui le seul candidat issu d’une minorité visible, mais également la seule personne habitant hors de la région à ne pas avoir été prise en considération pour ces postes. Cependant, M. Rehman déforme les faits. Le document qui, selon lui, montre que ces candidats n’avaient aucun intérêt a été créé un an plus tard, par un autre gestionnaire, à propos d’autres nominations. Il ressort sans contredit de la preuve que les autres candidats n’habitant pas la région étaient toujours intéressés à l’automne 2016 et que M. Rehman n’était pas le seul d’entre eux à ne pas avoir été retenu pour les postes au Contr Ere. M. Rehman déforme encore une fois les faits, comme lorsqu’il a affirmé ne jamais avoir été appelé.
(f) Coordonnatrice administrative du Contr Ere (nomination pour une durée déterminée) – Caryn Czernick
[213] Caryn Czernick faisait partie des candidats qui résidaient déjà à Cold Lake. Le 1er février 2017, Mme Czernick a reçu une lettre d’offre concernant le poste CR-04 de coordonnatrice administrative du Contr Ere, pour une durée d’un an (du 20 février 2017 au 19 février 2018). La Maj Demchuk a signé la lettre. La Capt Sullivan a expliqué qu’il s’agissait en fait d’un poste au sein des services financiers, mais qu’il a fallu un certain temps pour en changer la désignation. Celle-ci a finalement été mise à jour.
[214] D’après les témoignages de la Maj Demchuk et de la Capt Sullivan, après examen de la courte liste de candidats locaux, le poste a été offert à Mme Czernick, car elle habitait à proximité et avait obtenu sa cote de sécurité. Elle possédait l’expérience essentielle requise ainsi que l’expérience de l’utilisation de bases de données comptables de gestion financière qui constituait un atout. Mme Czernick respectait toutes les exigences en matière de qualifications, quoique, selon son rapport de consensus, elle n’en dépassait aucune. Son expérience approfondie des finances, des comptes créditeurs et de la tenue de livres a également contribué à la sélection de sa candidature.
[215] Je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que les caractéristiques personnelles de M. Rehman n’ont joué aucun rôle dans la décision de nommer Mme Czernick à ce poste plutôt que lui. Sa candidature, comme celle de plusieurs autres candidats, n’a pas été retenue parce qu’il ne vivait pas dans la région. Rien n’indique que des motifs de distinction illicite aient constitué un facteur dans l’exclusion de sa candidature ou de celle de toute autre personne n’habitant pas dans la région.
[216] M. Rehman et la Commission soutiennent que la décision des gestionnaires du MDN de ne pas prendre en compte les candidats n’habitant pas dans la région, en particulier ceux qui résidaient dans de grands centres urbains, portait systématiquement préjudice aux immigrants et aux personnes racisées qui, selon eux, étaient concentrés dans ces endroits. Je reviendrai sur cet argument dans mon analyse globale présentée plus loin dans la présente décision.
(g) Commis aux services financiers du Contr Ere (nomination pour une durée déterminée) – Anita Kervin
[217] Anita Kervin faisait également partie des candidats qualifiés qui résidaient déjà à Cold Lake. Le 8 février 2017, elle a reçu une lettre d’offre concernant le poste CR-04 de commis aux services financiers, pour une durée déterminée d’un an (du 13 février 2017 au 12 février 2018). La Maj Demchuk a signé la lettre. Ce poste était semblable à celui de Mme Zevenbergen. Les tâches comprenaient la gestion des budgets des clients, des cartes de crédit et des comptes créditeurs et débiteurs.
[218] La Maj Demchuk a déclaré que Mme Kervin avait un [traduction] « excellent dossier ». Le titulaire du poste devait posséder de l’expérience en finances et, de préférence, de l’expérience des systèmes de bases de données de gestion financière. Mme Kervin a été présélectionnée dans le cadre du processus, car elle respectait chacun des huit critères d’expérience essentielle, y compris celui relatif aux finances. Elle satisfaisait également à presque tous les critères d’expérience constituant un atout, y compris celui relatif à l’utilisation des systèmes de bases de données de gestion financière. Le rapport de consensus du comité à son sujet montre qu’elle a obtenu la note « Dépasse les exigences » pour cinq des neuf critères relatifs aux qualités personnelles et aux aptitudes. Mme Kervin avait travaillé dans le domaine des comptes créditeurs en lien avec la facturation pendant 10 ans et avait occupé un poste de superviseur, ce que la Maj Demchuk considérait comme un atout supplémentaire. Qui plus est, Mme Kervin pouvait commencer à travailler immédiatement.
[219] M. Rehman a tenté de remettre en question le fait que Mme Kervin vivait à Cold Lake. Il a fait remarquer qu’un superviseur d’Halifax, en Nouvelle-Écosse, avait fourni la vérification des références de Mme Kervin en septembre 2016. Le dossier de candidature de cette dernière, dont la date de présentation initiale était le 23 juillet 2016, indiquait une adresse en Nouvelle-Écosse. D’après la partie de son dossier de candidature réservée au curriculum vitæ, elle était employée en Nouvelle-Écosse en 2016. M. Rehman a affirmé que le numéro de téléphone qu’elle avait donné avait un indicatif régional de la Nouvelle-Écosse. Le comité a réalisé l’entrevue de Mme Kervin le 3 octobre 2016 par téléphone, et non en personne. M. Rehman a affirmé dans ses observations finales que le MDN avait nommé Mme Kervin, en dépit du fait qu’elle n’habitait pas dans la région, pour [traduction] « l’accommoder » parce qu’elle était « caucasienne ».
[220] La Maj Demchuk a toutefois fait remarquer que l’adresse permanente inscrite au dossier de candidature était à Cold Lake. Elle a expliqué lors de son témoignage que Mme Kervin vivait en Nouvelle-Écosse au moment où elle a posé sa candidature en juillet 2016. Au moment où sa candidature a été examinée dans le cadre des nominations pour une durée déterminée au Contr Ere, vers la fin novembre 2016, Mme Kervin avait déjà emménagé à son adresse à Cold Lake. La Maj Demchuk a fait remarquer que Mme Kervin avait obtenu sa cote de sécurité en décembre 2016. Pour qu’il en soit ainsi, l’adresse figurant sur le permis de conduire provincial de Mme Kervin devait correspondre à l’adresse à Cold Lake dont le MDN disposait. S’il y avait eu divergence, l’équipe de sécurité ne lui aurait pas accordé sa cote. La Maj Demchuk a déclaré que c’est ce qui était arrivé à une autre candidate qui avait tardé à faire modifier les renseignements figurant sur son permis de conduire. L’habilitation de sécurité de cette dernière avait été retardée en conséquence.
[221] La Maj Demchuk a également fait remarquer que Mme Kervin avait commencé à travailler à Cold Lake quelques semaines après avoir été sélectionnée et moins d’une semaine après avoir reçu sa lettre d’offre. Mme Kervin n’aurait pas été en mesure de le faire si elle avait résidé en Nouvelle-Écosse à cette époque.
[222] Pour sa part, la Capt Sullivan a déclaré qu’elle s’était toujours servie de l’adresse permanente à Cold Lake pour traiter la candidature de Mme Kervin. Par conséquent, la lettre d’offre avait été envoyée à l’adresse située à Cold Lake. Je souligne que, dans le courriel qu’elle avait envoyé à Mme St. Amand le 28 novembre 2016 afin de lui communiquer les résultats de ses appels aux candidats, la Capt Sullivan a mentionné que Mme Kervin avait pris rendez-vous pour son habilitation de sécurité le 2 décembre 2016. La preuve montre que les rendez-vous pour les habilitations de sécurité avaient lieu à Cold Lake et étaient réservés aux candidats locaux disponibles. Dans son courriel, la Capt Sullivan a clairement indiqué qui, parmi les personnes ayant répondu à son appel, résidait hors de la région, en précisant où elles se trouvaient. Il n’y a pas de telle annotation à côté du nom de Mme Kervin. La Capt Sullivan a déclaré qu’elle était certaine que Mme Kervin résidait à Cold Lake lorsqu’elle a traité son dossier.
[223] Quant au numéro de téléphone, la Capt Sullivan a fait remarquer qu’on ne change pas nécessairement de numéro de téléphone cellulaire lorsqu’on déménage, quoique la preuve ne permette pas de déterminer s’il s’agissait d’un numéro de téléphone cellulaire. À mon avis, ce n’est pas parce que Mme Kervin a passé son entrevue par téléphone au début d’octobre qu’elle n’habitait pas à Cold Lake à la fin de novembre, au moment de l’examen de sa candidature aux fins de la nomination pour une durée déterminée.
[224] Pour les motifs qui précèdent, je suis convaincu, selon la prépondérance de la preuve, que Mme Kervin habitait bien à Cold Lake au moment de l’examen de sa candidature aux fins de la nomination pour une durée déterminée au Contr Ere.
[225] Comme dans le cas de la nomination de Mme Czernick, les caractéristiques personnelles de M. Rehman n’ont en rien influencé la décision de nommer Mme Kervin à ce poste plutôt que lui. Sa candidature, comme celle de plusieurs autres candidats, n’a pas été retenue parce qu’il ne vivait pas dans la région. M. Rehman n’a pas prouvé que des motifs de distinction illicite ont constitué un facteur dans la décision d’écarter sa candidature ou celle des autres candidats n’habitant pas dans la région.
[226] Comme je l’ai mentionné, je reviendrai plus loin dans la présente décision sur l’allégation de discrimination systémique.
(h) Commis aux services financiers du Contr Ere (nomination pour une durée déterminée) – Jody Hawkridge
[227] Le 8 juin 2017, Jody Hawkridge a reçu une lettre d’offre concernant le poste CR-04 de commis aux services financiers du Contr Ere, pour une durée déterminée d’un an (du 26 juin 2017 au 25 juin 2018). La Capt Sullivan a signé la lettre. Les fonctions du poste étaient semblables à celles des autres commis aux services financiers mentionnés précédemment.
[228] Lorsque la direction a cherché à pourvoir ce poste en avril 2017, la plupart des autres candidats qualifiés de Cold Lake avaient déjà accepté un poste ou retiré leur candidature. Il restait deux candidates : Mme Hawkridge et RS. Leur habilitation de sécurité était toutefois toujours en cours de traitement.
[229] Comme je l’ai mentionné, la Capt Sullivan avait dit à Mme St. Amand le 13 décembre 2016 que les candidats de Cold Lake seraient sélectionnés dans l’ordre d’obtention de leur cote de sécurité. Parmi les deux candidates restantes, Mme Hawkridge a été la première à obtenir sa cote de sécurité, vers la fin du mois de mai 2017. Le 30 mai 2017, la Maj Demchuk a demandé à Mme St. Amand d’officialiser la nomination. Les problèmes liés à la cote de sécurité de RS n’ont jamais été résolus, de sorte qu’elle a fini par se retirer du processus de nomination.
[230] La Capt Sullivan a expliqué pourquoi Mme Hawkridge était la bonne personne pour le poste. Elle avait de l’expérience dans la tenue de livres et les comptes créditeurs, ce qui concordait directement avec les responsabilités de ce poste, en plus d’être disponible pour une embauche immédiate. Son embauche se ferait sans problème. La Maj Demchuk a également témoigné que l’expérience de Mme Hawkridge relativement à la tenue de livres, à la paie et aux logiciels avait joué un rôle important dans le choix de sa candidature, de même que sa cote de sécurité et le fait qu’elle résidait déjà à Cold Lake.
[231] M. Rehman a fait remarquer que Mme Hawkridge n’avait pas de diplôme d’études secondaires, alors que lui possédait des diplômes universitaires. La Maj Demchuk a expliqué que l’ECM exigeait comme qualification essentielle en matière d’études un diplôme d’études secondaires ou une combinaison acceptable d’études, de formation ou d’expérience. Sur la liste de contrôle utilisée pour la présélection de Mme Hawkridge, il est indiqué qu’elle respectait les exigences en matière d’études en raison de son expérience.
[232] Lors du contre-interrogatoire de la Capt Sullivan, la Commission a indiqué que M. Rehman, en raison de son niveau de scolarité plus élevé, était plus qualifié et aurait dû être embauché pour ce poste. Cependant, la Capt Sullivan a expliqué que Mme Hawkridge n’était tenue de satisfaire qu’aux exigences en matière d’études définies dans l’EMC. Ce poste n’exigeait pas d’études postsecondaires et, par conséquent, M. Rehman n’était pas [traduction] « plus qualifié » que Mme Hawkridge sur le plan des études.
[233] La Maj Demchuk a ajouté que le diplôme d’études postsecondaires de M. Rehman n’avait eu aucune incidence sur les décisions en matière de dotation. Il s’agissait de postes de premier échelon. La Maj Demchuk a reconnu que, dans l’hypothèse où M. Rehman se serait distingué comme un candidat exceptionnel pour ces postes, elle aurait peut-être envisagé de redoubler d’efforts pour lui faire obtenir sa cote de sécurité à Calgary. Or, il n’était qu’un candidat dans la moyenne. Son expérience et ses autres qualifications n’étaient pas supérieures à celles des sept candidats qui se trouvaient déjà à Cold Lake. Les autres candidats possédaient déjà l’expérience et les connaissances requises pour occuper certains des postes temporaires du Contr Ere. M. Rehman, en revanche, aurait nécessité une formation particulière « partant de zéro » pour ce type de postes, ce qui aurait ajouté à la complexité de la tâche. Ses qualifications ne justifiaient tout simplement pas qu’on lui accorde plus d’attention qu’aux candidats qui vivaient déjà à Cold Lake.
[234] J’estime que les arguments du MDN sont convaincants. Rien n’indique que la candidature de M. Rehman a été rejetée pour une raison autre que le fait qu’il ne résidait pas à Cold Lake.
[235] Comme pour les autres nominations semblables au Contr Ere, M. Rehman n’a pas prouvé que ses caractéristiques personnelles avaient joué un rôle dans la décision de nommer Mme Hawkridge à ce poste plutôt que lui. Sa candidature, comme celle des autres candidats n’habitant pas dans la région, n’a pas été retenue parce qu’il ne résidait pas à Cold Lake.
(i) Agente d’approvisionnement/de service à la clientèle (nomination pour une durée indéterminée) – Danielle Brown
[236] Le 15 juin 2017, Danielle Brown a reçu une lettre d’offre concernant une nomination pour une durée indéterminée au poste CR-04 d’agent d’approvisionnement et de service à la clientèle. La Lcol Lydia Evequoz était la gestionnaire d’embauche responsable de cette nomination. Elle a témoigné qu’il s’agissait du poste administratif dont l’échelon était le moins élevé au sein de l’Unité des opérations immobilières, laquelle est chargée de gérer l’infrastructure des opérations d’entretien de la base. Le poste était lié à l’approvisionnement et avait comme tâches l’achat et la comptabilisation de matériel comme des fournitures et des outils de plomberie.
[237] Le titulaire du poste permanent a pris sa retraite en janvier 2017. Deux employés CR-04 s’occupaient normalement de ces tâches. Comme ces derniers traitaient 3 000 demandes par an, la Lcol Evequoz ne pouvait pas se permettre de laisser le poste vacant. L’employé en poste n’était pas en mesure de gérer un tel volume. Mme Brown a donc été embauchée en janvier 2017 à titre d’employée occasionnelle. Selon la Lcol Evequoz, il est assez courant d’embaucher des employés occasionnels dans la fonction publique fédérale. Il s’agit essentiellement d’un court contrat de travail d’une durée maximale de 90 jours par an. Le processus d’embauche pour les employés occasionnels exige simplement que le candidat remplisse un formulaire en ligne.
[238] La Lcol Evequoz avait néanmoins besoin d’un employé à temps plein à ce poste. En avril 2017, elle a entrepris les démarches pour pourvoir le poste pour une durée indéterminée. Elle a passé en revue l’EMC et sélectionné les critères d’expérience recherchés pour le poste, à savoir de l’expérience dans les domaines des finances et du service à la clientèle. Elle savait que Mme Brown était dans le bassin de candidats qualifiés pour un poste CR-04. La liste de contrôle utilisée pour la présélection de Mme Brown montrait qu’elle répondait aux deux critères d’expérience.
[239] La Lcol Evequoz a déclaré qu’une fois qu’il a été confirmé que Mme Brown était dans le bassin et possédait l’expérience essentielle recherchée, et étant donné qu’elle effectuait déjà le travail depuis plusieurs mois, sa nomination était un choix évident. La conversion de son poste occasionnel en poste permanent apporterait stabilité et prévisibilité à l’équipe, sans compter que des fonds étaient disponibles pour permettre cette conversion. La Lcol Evequoz a fait remarquer que Mme Brown avait non seulement l’expérience de ce poste, mais que l’année précédente, elle avait également effectué des tâches comptables semblables de façon occasionnelle ailleurs dans la même unité, à l’aide du même système financier.
[240] La Lcol Evequoz n’a pris en compte aucun autre candidat pour ce poste, pas même M. Rehman. Après avoir appris que Mme Brown, qui occupait déjà le poste en tant qu’employée occasionnelle, figurait également dans le bassin de candidats qualifiés, elle l’a choisie pour le poste. Il importait peu que les autres candidats du bassin puissent avoir ou non des qualifications supplémentaires. Comme Mme Brown répondait aux critères et occupait déjà le poste, il était facile de la nommer pour une durée indéterminée.
[241] La Lcol Evequoz a déclaré qu’elle ignorait tout de M. Rehman ou de tout autre candidat. Si Mme Brown avait décliné l’offre d’emploi, elle se serait tournée vers les autres candidats du bassin. Toutefois, Mme Brown a accepté l’offre.
[242] Rien n’indique que les caractéristiques protégées de M. Rehman ont constitué un facteur dans la décision de ne pas le choisir pour ce poste. Comme tous les autres candidats qualifiés restants, il n’a même pas été pris en compte. Mme Brown étant un choix évident, car elle s’était qualifiée dans le cadre du processus et occupait déjà le poste. Comme je l’ai mentionné, le paragraphe 30(4) de la LEFP prévoit que la direction n’est pas tenue de prendre en compte plus d’une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite. En outre, aucune preuve ne montre que les caractéristiques protégées de M. Rehman ont joué un rôle dans la décision de ne pas prendre en compte les autres candidats qualifiés.
[243] La Commission a laissé entendre que la Lcol Evequoz, en ne prenant en compte qu’une seule candidate, avait peut-être exclu d’autres personnes, y compris celles qui occupaient d’autres postes au MDN. Si tel a pu être le cas, il ne s’ensuit pas nécessairement que des motifs de distinction illicite ont joué un rôle dans la nomination.
(j) Commis aux services financiers du Contr Ere (nomination pour une durée indéterminée) – Anita Kervin
[244] Précédemment dans la présente décision, j’ai expliqué que Mme Kervin avait été nommée à ce poste pour une durée déterminée d’un an à compter du 13 février 2017. Le 19 juillet 2017, elle a reçu une lettre d’offre de la Capt Sullivan qui lui offrait le même poste, pour une durée indéterminée.
[245] Un document expliquant la décision de sélection, signé par Mme St. Amand le 14 juillet 2017, a été déposé en preuve. On y explique qu’il avait été décidé de sélectionner une personne parmi les employés CR-04 temporaires alors en poste. Selon le document, la sélection de Mme Kervin tient au fait qu’elle répondait déjà aux critères de mérite essentiels et aux critères de sélection supplémentaires que la direction avait établis pour ce poste (expérience en finances et, de préférence, expérience des systèmes de gestion financière).
[246] La Capt Sullivan a témoigné que Mme Kervin avait été choisie parce qu’elle occupait déjà ce poste et qu’elle se trouvait toujours à Cold Lake. Il s’agissait essentiellement de la conversion interne d’un poste temporaire en poste permanent, de sorte que les autres candidats, dont M. Rehman, n’ont pas été pris en compte pour cette nomination.
[247] Selon M. Rehman, M. Suman et lui ont été victimes de discrimination parce que, en tant que diplômés universitaires, ils n’ont pas été pris en compte pour cette nomination pour une durée indéterminée, même si Mme Kervin, une [traduction] « candidate plus faible », l’a été. Pour étayer son argument, M. Rehman a affirmé sans fondement que Mme Kervin ne possédait pas de diplôme d’études secondaires (employant malheureusement à plusieurs reprises l’expression [traduction] « décrocheuse de l’école secondaire »). En fait, il ressort de la liste de contrôle utilisée pour la présélection de Mme Kervin qu’elle possédait bel et bien les qualifications requises en matière d’études, et son curriculum vitæ indique qu’elle était titulaire de diplômes et d’un certificat d’études postsecondaires dans le domaine des affaires, comme l’a également relevé la Commission dans ses observations finales. Le MDN a souligné que Mme Kervin avait fait ses études postsecondaires dans des domaines liés à ce poste.
[248] En outre, le MDN a soutenu que Mme Kervin était la bonne personne pour ce poste, non seulement parce qu’elle avait démontré ses aptitudes à remplir ces fonctions pendant six mois en tant qu’employée nommée pour une durée déterminée, mais aussi parce qu’elle possédait de l’expérience dans les huit domaines d’expérience essentielle et dans quatre des domaines d’expérience constituant un atout. Elle a obtenu la note « Dépasse les exigences » pour cinq des critères essentiels relatifs aux qualités personnelles et avait de bonnes références.
[249] Plus important encore, comme je viens de le mentionner relativement à la nomination de Mme Brown, la Capt Sullivan n’était pas tenue de prendre en compte plus d’un candidat qualifié pour cette nomination. Mme Kervin occupait déjà le poste, avait déjà été jugée qualifiée pour celui-ci et s’acquittait de ses fonctions de manière satisfaisante. La Capt Sullivan estimait qu’elle était la bonne personne pour passer du statut d’employée temporaire à celui d’employée permanente. Rien ne permet de penser, et encore moins de prouver, que les caractéristiques personnelles de M. Rehman ont influencé cette décision.
(k) Commis aux finances (poste à durée indéterminée) — Victoria Ark
[250] Comme il est mentionné plus haut dans la présente décision, la Maj Demchuk a nommé Mme Ark au poste de commis aux finances (CR-04) pour une durée d’un an moins un jour à compter du 12 décembre 2016. Le 25 juillet 2017, Mme Ark a reçu une lettre d’offre d’une autre direction générale de la base (administration de l’escadre), pour un poste à durée indéterminée en tant que commis aux finances. Cette lettre a été signée par la Lcol Dianne Godfrey-White, qui détenait le grade de majore à l’époque.
[251] La Lcol Godfrey-White a témoigné que la Direction de l’administration de l’escadre gérait toutes les questions relatives au personnel, aux dossiers, aux baux, à la formation en langue seconde et aux locaux. Elle avait besoin de pourvoir le poste de commis aux finances pour une période indéterminée et cherchait à le faire à partir du bassin existant de candidats qualifiés. Elle s’est entretenue avec Mme St. Amand pour choisir les critères à utiliser, et elles ont choisi l’expérience des finances et du service à la clientèle. Elle ne connaissait aucun des candidats dans le bassin lorsque les critères ont été sélectionnés. La liste générée comprenait des personnes qui occupaient déjà des postes à durée déterminée.
[252] Mme Ark était l’une des personnes inscrites sur la liste fournie par Mme St. Amand. La Lcol Godfrey-White a décidé que c’était à elle qu’elle voulait offrir le poste. Comme Mme Ark travaillait déjà à la base, elle avait déjà la cote de sécurité nécessaire, ce qui accélérerait considérablement son embauche. Puisqu’elle occupait déjà un emploi sur la base et qu’elle avait déjà travaillé pour Brookfield GRS, l’entreprise qui s’occupait du service de réinstallation des FAC, elle connaissait également bien la culture militaire et la structure des Forces.
[253] La Lcol Godfrey-White a ensuite passé Mme Ark en entrevue pour confirmer si elle était réellement une bonne candidate et s’est immédiatement rendu compte qu’elle avait pris la bonne décision. Elle a décrit Mme Ark comme étant la candidate parfaite. La Lcol Godfrey-White s’est également entretenue avec la Maj Demchuk, qui n’avait que de bonnes choses à dire sur Mme Ark et a dit en plaisantant que la Lcol Godfrey-White la lui [traduction] « volait ».
[254] La Lcol Godfrey-White a déclaré qu’elle avait embauché Mme Ark parce qu’elle était très respectée, jouissait d’une excellente réputation, demeurait dans la région, connaissait la culture et la structure des Forces armées, était intelligente et communicative, et avait une attitude agréable. De toute évidence, elle était la bonne personne pour le poste.
[255] La Lcol Godfrey-White a indiqué qu’après avoir sélectionné Mme Ark à partir de la liste, elle n’a pas examiné le dossier des autres candidats, pas même celui de M. Rehman. Le fait qu’il n’a pas été nommé n’a rien à voir avec ses caractéristiques protégées. La Lcol Godfrey-White n’a pas examiné sa candidature ni même celle des autres.
[256] Rien n’indique que les caractéristiques protégées de M. Rehman aient constitué un facteur dans la décision de ne pas le choisir pour ce poste. La Lcol Godfrey-White a reconnu qu’elle ne se souvenait pas d’avoir nommé quelqu’un qui appartiendrait à une minorité visible au cours de sa carrière. Or, cela ne suffit pas à modifier ma conclusion. Après avoir sélectionné Mme Ark, la Lcol Godfrey-White n’a pas pris en considération la candidature de M. Rehman ni celle des autres personnes figurant sur la liste préparée par Mme St. Amand. Selon la lieutenante-colonelle, Mme Ark était de toute évidence la bonne personne pour le poste. Je le répète, le paragraphe 30(4) de la LEFP prévoit que la direction n’est pas tenue de prendre en compte plus d’une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite. Rien n’indique que les caractéristiques personnelles de M. Rehman ont constitué un facteur dans la décision de ne pas examiner le dossier des autres candidats sur la liste après avoir choisi Mme Ark.
(l) Commis de la salle des rapports du service de logistique de l’escadre (poste à durée indéterminée) — Mandy Grove
[257] Le 28 septembre 2017, Mandy Grove a reçu une lettre d’offre pour un poste CR-03 à durée indéterminée en tant que commis de la salle des rapports de l’escadron de logistique et d’ingénierie de l’escadre. Cette lettre a été signée par la Lcol Andrea MacRae, qui était alors la commandante.
[258] Mme Colleen Aitken et Mme Haynes ont témoigné au sujet de cette nomination. Mme Aitken est une cadette-maître de 1re classe à la retraite et elle était gestionnaire des RH au sein des FAC au moment de la nomination. C’est elle qui a fourni des recommandations à la Lcol MacRae. Mme Haynes était conseillère en dotation pour le MDN au moment de la nomination.
[259] Le ou la commis de la salle des rapports devait s’acquitter de tâches administratives de base, comme classer le courrier et d’autres documents, envoyer les commandes, préparer les laissez-passer et saisir des données dans l’application PeopleSoft. Les responsabilités étaient moins nombreuses que pour un poste de niveau CR-04.
[260] Le poste était vacant depuis peu et devait être pourvu. Au moment de la nomination, Mme Grove effectuait déjà ces tâches à titre d’employée occasionnelle.
[261] Selon le document expliquant la décision de sélection que Mme Aitken avait préparé, les RH avaient envoyé à la direction les dossiers de plusieurs candidats afin qu’elle les examine. Trois d’entre eux ont été jugés [traduction] « potentiellement intéressants », dont celui de
Mme Grove. Mme Aitken ne se souvient pas du nom des autres candidats. En général, Mme Aitken ne se souvenait pas très bien des événements étant donné qu’il s’était écoulé plus de six ans. Au cours de ses 32 années au sein des FAC, il s’agit du seul processus de nomination civile auquel elle a participé.
[262] Mme Aitken se souvenait que Mme Grove et une autre candidate avaient été invitées à participer à une entrevue visant à déterminer si elles étaient la « bonne personne » pour le poste. Dans le document expliquant la décision de sélection, il est indiqué que les personnes ayant recommandé Mme Grove, qui étaient toutes membres des FAC, ont été contactées et ont parlé de ses aptitudes et de son éthique de travail en des termes très élogieux. Selon son curriculum vitæ, Mme Grove avait déjà été administratrice des services aux clients et commandante adjointe à l’École de pilotage des FAC au Manitoba, de 2011 à 2014. Le sergent qui la supervisait dans ce poste était l’une des personnes contactées l’ayant recommandée.
[263] Mme Aitken a affirmé que Mme Grove avait été sélectionnée parce qu’elle résidait déjà à Cold Lake, qu’elle effectuait déjà les tâches à titre d’employée occasionnelle et qu’elle avait de l’expérience au niveau CR‑03. Elle était parfaite pour le poste et possédait toutes les qualités requises. Mme Haynes a témoigné que la nomination d’un employé occasionnel à un poste d’une durée indéterminée est une mesure de dotation qui est de plus en plus courante.
[264] Mme Aitken a confirmé que l’époux de Mme Grove était un membre actif des FAC affecté à la BFC de Cold Lake, mais elle a soutenu que cela n’avait eu aucune incidence sur sa décision de lui offrir le poste.
[265] Mme Aitken a également affirmé que Mme Grove appartenait à une minorité visible. Je tiens toutefois à souligner que, selon la liste des candidats figurant dans le Système de ressourcement de la fonction publique, Mme Grove n’avait pas officiellement indiqué appartenir à une minorité visible dans sa demande, tout comme M. Pillai et M. Suman d’ailleurs.
[266] M. Rehman a fait remarquer que le rapport de consensus de Mme Grove montre qu’elle satisfaisait simplement à toutes les exigences évaluées; elle ne les dépassait pas. Mme Aitken a répondu que cet élément n’avait joué aucun rôle dans sa décision. Tant qu’elle satisfaisait à toutes les qualifications, Mme Grove était considérée comme qualifiée pour la nomination. Elle faisait partie du bassin de candidats qualifiés, ce qui permettait à la direction de la nommer.
[267] Un seul autre candidat a été appelé en entrevue. La plupart des autres candidats, y compris M. Rehman, n’ont même pas été pris en considération pour cette nomination. Rien n’indique que les caractéristiques personnelles de M. Rehman ont joué un rôle dans la décision de ne pas le nommer, lui ou tout autre candidat qualifié; en fait, sa candidature n’a même pas été prise en compte, car il est évident que l’intention de la direction était simplement de faire en sorte que l’employée occasionnelle soit nommée pour une durée indéterminée.
(m) Commis aux achats/opératrice (poste à durée indéterminée) — Megan Trainor
[268] Megan Trainor a reçu une lettre d’offre le 6 octobre 2017 pour un poste CR-03 à durée indéterminée en tant que commis aux achats/opérateur au sein de l’escadron qui appuie les services de télécommunications de la base, soit les Services d’information et de télécommunication (SIT), lesquels font partie de l’escadron de logistique et d’ingénierie de l’escadre. La lettre a été signée par la Lcol MacRae, qui était la commandante.
[269] Le Lcol MacCormack était l’officier responsable des SIT. Le poste était sur le point de devenir vacant, et il fallait le pourvoir rapidement. Il a entamé les démarches pour trouver un remplaçant en s’assurant d’abord que les fonds nécessaires étaient disponibles pour nommer quelqu’un. Cependant, peu de temps après, il a été déployé à l’extérieur de la base pendant quelques mois. Mme Trainor a été nommée alors que le Lcol MacCormack était absent, mais ce dernier a pu témoigner à propos des circonstances de sa nomination.
[270] Mme Trainor avait travaillé plusieurs étés comme standardiste au sein de l’escadron, soit de 2007 à 2010. Même si son emploi n’était pas récent, tous ceux qui avaient travaillé avec Mme Trainor ont dit énormément de bien de son travail et ont recommandé sa nomination. Les RH ont confirmé à la direction qu’elle faisait partie du bassin de candidats qualifiés et qu’elle pouvait être sélectionnée pour une nomination.
[271] Le Lcol MacCormack a expliqué qu’il ne s’agissait pas d’un poste [traduction] « de rang élevé ». Le titulaire devait simplement avoir un niveau de scolarité de base et être en mesure d’assurer la coordination avec le personnel de l’escadron et de s’occuper des achats. Le fait que Mme Trainor comprenait déjà les opérations et les activités des SIT était un atout.
[272] Selon le document expliquant la décision de sélection concernant la nomination de Mme Trainor, cette dernière a également été nommée parce qu’il avait toujours été difficile de recruter des candidats qualifiés pour ces types d’emplois à la BFC de Cold Lake. Le Lcol MacCormack a expliqué que la base était située dans un endroit semi‑isolé où le climat était aride. Le prix des logements y est élevé, surtout considérant les salaires relativement bas pour les postes de niveau CR-03, ce qui fait qu’il est difficile pour une famille de subvenir à ses besoins.
[273] La nomination de Mme Trainor tombait donc à point. Elle avait un logement à Cold Lake et était au courant des conditions de vie et de travail dans cette ville. Le Lcol MacCormack a également fait remarquer que le fait de ne pas avoir à assumer les coûts du déménagement d’un autre candidat dans cet endroit semi-isolé permettait de réaliser des économies.
[274] En somme, le Lcol MacCormack a dit que Mme Trainor avait été choisie parce qu’elle avait impressionné beaucoup de gens par son travail durant les périodes estivales, qu’elle avait été chaudement recommandée et qu’elle était bien aimée. Elle était donc déjà bien connue. Les risques liés à sa nomination étaient faibles.
[275] À la connaissance du Lcol MacCormack et selon les discussions qu’il avait eues avec ses collègues avant son déploiement, aucune autre candidature que celle de Mme Trainor n’avait été prise en considération pour ce poste.
[276] M. Rehman souligne que Mme Trainor n’était pas la meilleure candidate du bassin. En fait, selon le rapport de consensus du 6 février 2017, le comité a conclu à l’étape de l’entrevue qu’elle ne satisfaisait pas aux critères liés à l’esprit d’initiative et à la souplesse. Cependant, après avoir vérifié ses références, le comité a décidé qu’elle satisfaisait aux deux qualifications. La Maj MacEachern était l’une des trois membres du comité qui ont évalué Mme Trainor. Elle a expliqué que la vérification des références avait été suffisante pour lui donner une note globale de « Respecte les exigences ». Les membres du comité ont conclu que le manque d’expérience de Mme Trainor en entrevue pouvait expliquer pourquoi elle n’avait pas fourni d’exemples précis à l’appui de ses réponses. La vérification des références a permis d’atténuer cet inconvénient.
[277] Quelle que soit la façon dont cette évaluation a été effectuée, le fait est qu’au moment où l’équipe du Lcol MacCormack aux SIT envisageait de nommer Mme Trainor huit mois plus tard, celle-ci était considérée comme étant qualifiée, puisqu’elle satisfaisait à tous les critères.
[278] M. Rehman soutient néanmoins que lui et M. Suman, qui étaient titulaires de diplômes universitaires et avaient obtenu plusieurs notes « Dépasse les exigences » dans leurs rapports de consensus, étaient de meilleurs candidats que Mme Trainor, qui avait un diplôme d’études secondaires et n’avait pas fait d’études universitaires. À l’audience, on a présenté au Lcol MacCormack les rapports de consensus de M. Rehman et de M. Suman, qu’il semblait ne jamais avoir vus auparavant, et il a reconnu que, si l’on se fondait sur [traduction] « ces mesures limitées »,
ils étaient de meilleurs candidats que Mme Trainor.
[279] Par contre, le Lcol MacCormack a rappelé que seul le dossier de Mme Trainor avait été pris en considération. Il n’a jamais été comparé à un autre dossier de candidature.
[280] Comme c’est le cas pour plusieurs des nominations en cause, le Lcol MacCormack et son équipe n’ont envisagé aucun autre candidat que Mme Trainor pour ce poste. Une fois que les RH ont confirmé qu’elle était une candidate qualifiée dans le bassin et qu’elle pouvait être nommée, ils l’ont sélectionnée. Il importait peu que les autres candidats du bassin aient fait plus d’études ou possèdent une plus grande expérience de travail. Comme Mme Trainor était qualifiée, chaudement recommandée, qu’elle demeurait dans les environs et qu’elle connaissait bien le milieu de travail et les opérations, il était logique de la nommer.
[281] La Commission soutient que la nomination de personnes ayant un profil comme celui de Mme Trainor est la preuve qu’il existe des préjugés systémiques envers les personnes ayant des caractéristiques personnelles semblables à celles de M. Rehman. Comme je l’ai déjà mentionné, j’examinerai cet argument plus loin dans la présente décision.
[282] En somme, toutefois, la preuve n’établit pas que les caractéristiques personnelles de M. Rehman ont constitué un facteur dans la décision de nommer Mme Trainor. Elle était qualifiée et a été la seule candidate prise en considération.
(n) Secrétaire de direction (poste d’une durée indéterminée) — Jennifer Leclerc
[283] Le 3 janvier 2018, Mme Leclerc a reçu une lettre d’offre du Lcol Armstrong pour un emploi à durée indéterminée, soit le même poste de secrétaire de direction auquel Mme Lattik avait été nommée en novembre 2016. Mme Lattik a quitté ce poste en juillet 2017 lorsqu’elle a été nommée commis à la santé mentale, comme il est mentionné plus haut.
[284] La Maj Emond a conseillé le Lcol Armstrong sur le processus à suivre pour pourvoir le poste à partir du bassin existant de candidats qualifiés CR-03/CR-04.
[285] On a demandé à Mme Haynes de fournir à la Maj Emond le nom des personnes qui restaient dans le bassin. Dans leurs échanges, la Maj Emond a mentionné que le temps passait et que le poste demeurait vacant, ce qui créait des problèmes; le poste devait être pourvu le plus tôt possible.
[286] Mme Haynes a envoyé à la Maj Emond les dossiers de candidatures contenant les curriculum vitæ et les évaluations des 15 candidats restants dans le bassin. Elle a également communiqué avec les candidats restants pour voir s’ils souhaitaient toujours que leur candidature soit prise en considération pour ce poste. Cinq d’entre eux ont confirmé leur intérêt, et leur nom a été transmis à la Maj Emond : Mme Leclerc, M. Pillai, M. Rehman, M. Suman et une cinquième personne que je nommerai simplement DT.
[287] La Maj Emond a déclaré que la direction avait examiné attentivement les dossiers de candidature des personnes intéressées. Mme Leclerc se démarquait des autres. Elle résidait à Cold Lake et avait plus de neuf ans d’expérience comme superviseure chez Brookfield GRS. Elle coordonnait la réinstallation mondiale du personnel militaire à partir de la BFC de Cold Lake ainsi qu’à distance pour le personnel de la base des FAC à Shilo, au Manitoba. Selon la Maj Emond, il était probable que, dans ce rôle, Mme Leclerc supervisait de trois à cinq personnes dans ce rôle et bénéficiait de pouvoirs financiers correspondants. La Maj Emond savait que le poste exigeait une capacité de travailler en autonomie et de composer avec le stress, surtout compte tenu du fait qu’il fallait gérer deux emplacements. Mme Leclerc devait donc savoir comment bien gérer son temps et devait avoir de bonnes aptitudes en matière de relations interpersonnelles.
[288] La Maj Emond et le Lcol Armstrong ont donc invité Mme Leclerc à une entrevue et ont pu vérifier si elle était effectivement la bonne personne pour le poste. Ils ont informé Mme Haynes qu’ils avaient choisi Mme Leclerc pour le poste et qu’elle commencerait en janvier 2018.
[289] Dans son témoignage, la Maj Emond a expliqué pourquoi Mme Leclerc avait été choisie. Ses qualifications démontraient qu’elle possédait de vastes compétences en coordination administrative et qu’elle avait un bon sens de l’initiative ainsi que de la capacité à entretenir de bonnes relations interpersonnelles. Il s’agit des compétences que la direction recherchait. Le poste était vacant depuis longtemps à ce moment-là, et le travail s’accumulait. Mme Leclerc résidait à Cold Lake et avait déjà fait l’objet d’une vérification de sécurité pour un autre poste pour lequel elle avait posé sa candidature. Sa nomination permettait donc d’éviter un long délai pouvant aller jusqu’à trois mois et de la faire entrer en fonction rapidement.
[290] De plus, Mme Emond a déclaré que l’époux de Mme Leclerc était un membre des FAC employé à la base et qu’à l’époque, le MDN s’efforçait d’embaucher les conjoints de militaires. Il s’agissait d’un facteur supplémentaire à prendre en considération, bien qu’il n’ait pas été mentionné dans le document expliquant la décision de sélection.
[291] La Commission remet en question l’authenticité du témoignage de la Maj Emond sur ce point. Elle a soutenu, dans ses observations finales, que le MDN n’avait mis en place l’initiative d’emploi pour les conjoints qu’en 2018, soit après presque toutes les nominations en cause en l’espèce. Elle a fait valoir que le témoignage de la Maj Emond était inexact et qu’il s’agissait d’un [traduction] « prétexte et d’une tentative » pour justifier, après les faits, la décision d’embaucher Mme Leclerc au lieu de MM. Rehman, Suman et Pillai.
[292] La Commission a contre-interrogé la Maj Emond au sujet de l’initiative, et celle-ci a expliqué où l’information se trouvait sur Internet. Le MDN a entrepris d’obtenir et de transmettre l’adresse Web, qui a été envoyée aux parties et au greffe du Tribunal deux jours plus tard, juste au moment où le dernier témoin avait commencé à faire sa déposition au dernier jour d’audience. Il y a eu une certaine confusion entre les avocats à la fin de l’audience quant à la façon traiter cette information. La Commission a suggéré de renvoyer à la page Web dans ses observations finales. Je ne lui ai pas refusé cette option.
[293] J’ai donc consulté la page Web mentionnée dans les observations écrites finales de la Commission. Il semble s’agir d’une annonce datée du 18 février 2022, selon laquelle le MDN a lancé l’initiative d’emploi pour les conjoints de militaires en 2018. La page Web semble provenir d’un site Web du gouvernement du Canada, et on aurait vraisemblablement pu la trouver en faisant une simple recherche sur un navigateur. Les observations écrites finales de la Commission comprenaient également des liens vers deux autres pages Web qui, semble-t-il, renvoient à des articles ou à des communiqués de presse indiquant que l’initiative n’a pas été mise en œuvre avant la fin de 2018 et que ce n’est qu’en 2020 que les conjoints ont pu être officiellement bénéficier d’un statut prioritaire. J’ai cliqué sur ces liens, mais les pages sont indisponibles, peut-être parce qu’on ne peut les consulter qu’à partir de certains ordinateurs du gouvernement.
[294] Quoi qu’il en soit, je suis conscient du fait que les autres parties n’ont jamais vraiment eu l’occasion de traiter du contenu de la première page Web à l’audience ni celui des deux autres pages Web qui ont été mentionnées pour la première fois dans les observations de la Commission. Les documents n’ont jamais été officiellement déposés en preuve, même si, au moment où la Maj Emond a témoigné, plusieurs témoins de l’intimé avaient déjà fait mention des efforts du MDN pour soutenir les conjoints de militaires des jours plus tôt. Cette question n’a pas été soulevée pour la première fois lors du témoignage de la Maj Emond.
[295] Pour ces raisons, je ne rejetterai pas les déclarations de la Maj Emond sur cette question. Elle a affirmé que l’initiative était [traduction] « en chantier » à l’époque. D’autres témoins, comme la Maj MacEachern, ont témoigné qu’à l’époque, il y avait des rumeurs au sujet du fait que le ministère aiderait les conjoints de militaires à trouver un emploi même si aucune politique officielle n’était en place. La Maj Emond a mentionné que ce point avait été un facteur supplémentaire qui avait joué en faveur de la nomination de Mme Leclerc. Le fait que l’initiative avait été officiellement mise en œuvre ou non à ce moment‑là n’a pas d’incidence importante sur l’issue de l’affaire. En outre, dans son témoignage, la Maj Emond a indiqué de manière claire, convaincante et cohérente que l’expérience et les compétences de Mme Leclerc étaient idéales pour le poste qu’elle tentait de pourvoir et qu’il s’agissait de la principale raison pour laquelle elle l’avait choisie.
[296] M. Rehman se demande pourquoi lui et les deux autres candidats membres d’une minorité visible (M. Suman et M. Pillai) n’ont pas été invités à une entrevue visant à déterminer s’ils étaient la « bonne personne » pour le poste et, ultimement, pourquoi aucun d’entre eux n’a été choisi étant donné qu’ils avaient tous un diplôme universitaire. M. Atiq a laissé entendre dans son contre-interrogatoire de la Maj Emond que Mme Leclerc n’avait pas fait d’études postsecondaires. En fait, selon son curriculum vitae, elle détient un baccalauréat ès arts de l’Université McGill dans le domaine des langues, mais ce domaine d’études n’était pas considéré comme étant pertinent dans le cadre de ce processus de nomination. Pour ce qui est des autres candidats, la Maj Emond a fait remarquer que leurs études postsecondaires étaient surtout dans le domaine des affaires, ce qui n’était pas une qualification obligatoire pour le poste et, par conséquent, n’était pas pertinent. La direction cherchait un candidat qui avait une expérience de travail pertinente et plus « globale », ainsi que des qualités personnelles comme de l’entregent et un sens de l’initiative.
[297] Après avoir examiné le dossier de candidature de Mme Leclerc et constaté qu’elle possédait ces qualités, la direction a choisi de l’inviter à une entrevue pour déterminer si elle était la « bonne personne » pour le poste. Si, après l’entrevue, elle avait jugé que Mme Leclerc ne convenait pas, elle aurait invité un autre candidat en entrevue. Selon la Maj Emond, il est plus efficace de passer en entrevue un seul candidat qualifié pour commencer. Si on procède à des entrevues avec plus d’un candidat dès le départ, la paperasse augmente puisqu’il faut ensuite envoyer une explication du résultat à tous les candidats. De plus, étant donné l’urgence de nommer quelqu’un, il était logique d’organiser une seule entrevue.
[298] La Maj Emond a expliqué que M. Rehman n’avait pas été le premier candidat invité à une entrevue parce que, contrairement à Mme Leclerc, son dossier de candidature indiquait qu’il avait surtout de l’expérience en finances. La direction était à la recherche d’une personne ayant des compétences de nature plus administratives, comme Mme Leclerc.
[299] La Maj Emond a affirmé sans détour qu’elle ne savait rien des caractéristiques personnelles de M. Rehman lorsqu’elle a examiné son dossier de candidature, notamment au sujet de sa religion et de son origine nationale ou ethnique. En fait, le dossier ne précisait même pas son sexe, et la Maj Emond a pensé que M. Rehman était une femme. Comme je l’ai mentionné plus haut, la Maj Emond n’est pas la seule à avoir pensé la même chose dans cette affaire. Elle soutient qu’aucun motif de distinction illicite n’a influencé la décision de choisir Mme Leclerc et de ne pas nommer les autres candidats intéressés.
[300] En contre-interrogatoire, la Maj Emond a admis qu’à l’évaluation de présélection, M. Pillai semblait un meilleur candidat que Mme Leclerc. Par exemple, il détenait un diplôme universitaire dans le domaine des affaires, ce qui était considéré comme un atout dans le processus de nomination global. Il avait également de l’expérience dans la gestion de bases de données comptables. Toutefois, aucune de ces qualifications constituant un atout n’a été prise en considération pour la nomination à ce poste.
[301] Lors de la présélection, M. Pillai a également été jugé qualifié pour assurer la coordination des déplacements ou traiter les demandes de remboursement. Mme Leclerc avait initialement indiqué dans sa demande qu’elle avait elle aussi une telle expérience, mais il semble que Mme St. Amand ait rayé cette information du formulaire parce qu’il n’y avait pas suffisamment de détails dans le curriculum vitae que Mme Leclerc avait joint à sa demande. Je fais observer que, dans le curriculum vitae de Mme Leclerc, à côté de la mention de son expérience en réinstallation mondiale, Mme St. Amand avait explicitement noté que les tâches s’y rapportant n’étaient pas inscrites, ce qui expliquerait pourquoi elle a conclu que la candidate ne possédait pas l’expérience requise. La Maj Emond a toutefois témoigné qu’elle savait quelles tâches Mme Leclerc avait vraisemblablement effectuées dans le cadre de son emploi aux services de réinstallation mondiale puisqu’elle avait été superviseure à la section des services au personnel, de laquelle ce poste relevait. Elle a ajouté que, lorsque l’on choisit un candidat dans un bassin de candidats qualifiés, il convient de s’appuyer sur ses propres connaissances au sujet de l’expérience de travail du candidat.
[302] En fin de compte, le fait est que la Maj Emond savait quel type de travail Mme Leclerc effectuait depuis les dix dernières années et qu’elle s’est appuyée sur cette connaissance pour tirer ses conclusions quant au type d’expérience qu’avait Mme Leclerc. Ainsi, on ne peut pas dire que Mme Leclerc n’aurait pas dû être la première candidate invitée à une entrevue pour déterminer si elle était la « bonne personne » pour le poste.
[303] La Commission a affirmé que la Maj Emond devait savoir que M. Pillai était un immigrant et qu'il appartenait probablement à une minorité visible étant donné qu’il était indiqué dans son curriculum vitae qu’il avait acquis une partie de son expérience de travail et fait une partie de ses études à l’extérieur du pays. Le comité avait inscrit au bas de son rapport de consensus que, lors de l’entrevue, il était difficile de comprendre tout ce qu’il disait en raison de la connexion téléphonique et du fort accent de M. Pillai. La Maj Emond a témoigné qu’elle n’avait tiré aucune conclusion de ce genre lorsqu’elle a examiné son dossier. Elle ne l’a jamais entendu parler ni rencontré. L’accent dont il était question concernait peut-être l’autre langue officielle, soit le français, et plusieurs choses pouvaient expliquer ses études et son expérience à l’étranger. Elle n’avait pas non plus tiré de conclusion au sujet de son nom. La Maj Emond a fait remarquer qu’elle est elle-même une enfant d’immigrants. Je note également, comme je le mentionne plus haut, que le gestionnaire d’embauche pour cette nomination, le Lcol Armstrong, est membre d’une minorité visible. Même si la Maj Emond savait que M. Pillai était un immigrant, rien n’indique qu’il s’agit d’un facteur ayant joué un rôle dans la décision de choisir Mme Leclerc pour la première entrevue visant à trouver la « bonne personne » pour le poste.
[304] Tout compte fait, cette preuve ne me convainc pas que les caractéristiques personnelles de M. Pillai ont constitué un facteur dans la décision de choisir Mme Leclerc pour la première entrevue visant à trouver la « bonne personne » pour le poste.
[305] De plus, la question fondamentale dans cette partie de l’analyse est celle de savoir si M. Rehman n’a pas été embauché en raison de ses caractéristiques personnelles et non de celles de M. Pillai. M. Rehman n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que ses caractéristiques personnelles ont constitué un facteur dans la décision de ne pas le nommer à ce poste.
(o) Commis de l’UPSS (poste à durée indéterminée) — Simone Nunes-Jonczyk
[306] Le 16 janvier 2018, Simone Nunes-Jonczyk a reçu une lettre d’offre pour un poste CR‑04 à durée indéterminée en tant que commis à l’unité de prestation de soins de santé (UPSS) dans la clinique sans rendez-vous du Centre des services de santé de la base. La lettre a été signée par le Maj Luc Dionne, mais la Maj MacEachern a témoigné que c’est elle qui avait pris la décision de nommer Mme Nunes-Jonczyk et qu’elle avait présenté sa candidature au Maj Dionne pour approbation.
[307] La Maj MacEachern a témoigné au sujet des raisons pour lesquelles Mme Nunes‑Jonczyk avait été choisie, et ces raisons sont également énoncées dans le document expliquant la décision de sélection que Mme St. Amand avait préparé en consultation avec la Maj MacEachern. Les tâches à effectuer étaient pratiquement celles d’une réceptionniste de bureau. Au départ, le critère de l’expérience dans les services de santé avait été sélectionné afin de filtrer les candidats. Ce filtrage n’a pas été [traduction] « productif », car il n’a pas permis d’obtenir un nombre suffisant de candidats intéressés par le poste. Le critère essentiel en matière d’expérience qui avait été utilisé pour filtrer les candidats a donc été supprimé et remplacé par une expérience de la prestation de services de soutien au service à la clientèle. La Maj MacEachern a expliqué que ce type d’expérience est souvent choisi pour les commis qui interagissent avec les patients.
[308] Ce filtre a permis d’obtenir un plus grand nombre de candidats qualifiés (14), dont les dossiers de candidatures ont été envoyés à la Maj MacEachern. M. Rehman faisait partie de ces candidats. La Maj MacEachern a passé en revue les documents fournis et s’est concentrée sur l’expérience et les curriculum vitæ des candidats. Elle se souvenait que le dossier de M. Rehman montrait qu’il avait des compétences et une expérience principalement dans le domaine financier, ce qui n’était pas ce qu’elle cherchait pour ce poste. La Maj MacEachern a dit qu’elle n’avait jamais rencontré M. Rehman ni parlé avec lui et qu’elle n’avait jamais vu de photo de lui. Elle se souvient qu’il ne résidait pas à Cold Lake, mais elle n’est pas certaine si elle a tiré cette information de son dossier de candidature ou si c’est Mme St. Amand qui le lui avait dit.
[309] Dans son témoignage, la Maj MacEachern a expliqué pourquoi Mme Nunes-Jonczyk avait été choisie. Lorsqu’elle a examiné les dossiers de candidature, la Maj MacEachern a remarqué que Mme Nunes-Jonczyk travaillait comme réceptionniste aux Services de bien-être et moral des FAC depuis 2016, qui sont gérés par le Centre de ressources pour les familles situé sur la base. Il s’agit d’une organisation qui exerce ses activités au sein des FAC (personnel des fonds non publics) et qui soutient les familles de militaires, notamment en les aidant à faire face aux difficultés liées au fait d’être fréquemment déracinés lorsque des membres des FAC sont déployés ailleurs. L’organisation aide les familles à s’intégrer lorsqu’elles arrivent dans un nouveau lieu. Selon la Maj MacEachern, vu cette expérience de travail, Mme Nunes‑Jonczyk connaissait bien les préoccupations des militaires et de leur famille ainsi que les systèmes de soutien à leur disposition.
[310] La Maj MacEachern est l’une des deux membres du comité qui ont évalué les aptitudes et les qualités personnelles de Mme Nunes-Jonczyk, qui l’ont passée en entrevue et qui ont préparé un rapport de consensus en février 2017. La Maj MacEachern se souvenait que les membres du comité avaient trouvé que la candidate était charismatique et polie, qu’elle s’exprimait clairement et qu’elle avait répondu aux questions en fournissant de bons exemples. Ils lui ont donné la note « Dépasse les exigences » pour la catégorie du jugement. Compte tenu de la nature du travail d’un commis à l’UPSS au sein d’une unité des services de santé, il s’agissait d’un facteur important pour la Maj MacEachern. Je remarque toutefois que M. Rehman avait reçu la même note dans cette catégorie.
[311] La Maj MacEachern a également fait remarquer que Mme Nunes-Jonczyk parle couramment le français, ce qu’elle considérait comme un atout. Bien que le poste de commis à l’UPSS ait été désigné « anglais essentiel », ce qui signifie qu’il n’y avait pas d’exigence en matière de bilinguisme, la Maj MacEachern a indiqué qu’un grand nombre de membres des FAC et de leur famille étaient francophones et que le fait que Mme Nunes-Jonczyk était bilingue serait utile. De plus, comme plusieurs autres postes dans l’unité de la Maj MacEachern étaient désignés bilingues, l’embauche de Mme Nunes-Jonczyk donnerait à la direction la possibilité de l’affecter à l’un de ces postes dans l’avenir.
[312] La Commission souligne que, pour les postes désignés « anglais essentiel », on ne peut préférer les candidats qui ont une connaissance du français. Jayson Lavergne est un conseiller ministériel en apprentissage pour le MDN qui a déjà occupé le poste de conseiller en dotation. Il a témoigné que, dans le cadre des processus de dotation de la fonction publique fédérale, un gestionnaire ne peut pas préférer un candidat par rapport à un autre parce qu’il maîtrise l’autre langue officielle. Mme St. Amand est d’accord avec lui et a confirmé dans son témoignage qu’un gestionnaire ne peut pas fonder sa décision sur le fait qu’un candidat maîtrise une des langues officielles qui n’est pas requise pour un poste. La maîtrise d’une langue seconde ne peut pas être considérée comme un « atout » officiel dans le contexte de la dotation. Cependant, elle soutient qu’il est bon d’être au courant de cette information au sujet d’un candidat, comme il est bon de connaître tout autre talent qu’il peut avoir.
[313] De même, le fait que Mme Nunes-Jonczyk résidait à Cold Lake était un avantage à prendre en considération. Comme elle résidait dans la région, elle pourrait entrer en poste plus rapidement, bien que la Maj MacEachern ait reconnu que ce n’était pas le facteur le plus important dans sa décision. L’époux de Mme Nunes-Jonczyk était un membre des FAC, mais la Maj MacEachern a déclaré qu’elle n’avait pas tenu compte de ce facteur pour prendre sa décision.
[314] Compte tenu de l’ensemble de la preuve concernant la nomination de Mme Nunes-Jonczyk, je ne suis pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que les caractéristiques personnelles de M. Rehman ont joué un rôle dans la décision de ne pas le nommer à ce poste. Selon la direction, Mme Nunes-Jonczyk était manifestement la bonne personne pour occuper ce poste de réceptionniste. Elle avait une expérience récente en tant que réceptionniste sur la base auprès des membres des FAC et de leur famille dans le domaine de la santé et des services sociaux. Ce sont là des facteurs déterminants qui correspondent tout à fait à ce qu’un gestionnaire prendrait en considération pour pourvoir un poste. Le fait que Mme Nunes-Jonczyk résidait à Cold Lake et qu’elle était bilingue ont constitué des facteurs supplémentaires utiles, mais ne permettent pas d’établir que M. Rehman n’a pas été pris en considération pour des motifs discriminatoires. Comme je l’ai mentionné plus haut, j’analyserai les répercussions globales de ces considérations plus loin dans la décision.
[315] Contrairement à Mme Nunes-Jonczyk, M. Rehman n’avait pas une expérience qui correspondait aussi bien au poste. Son expérience semblait provenir davantage du domaine financier, et son expérience récente était loin d’être aussi pertinente pour ce poste que celle de Mme Nunes-Jonczyk.
[316] Le dernier point à souligner est que Mme Nunes-Jonczyk possède certaines des caractéristiques personnelles que M. Rehman invoque. Elle est née au Brésil, et sa langue maternelle est le portugais. La Maj MacEachern a déclaré que Mme Nunes-Jonczyk était membre d’une minorité visible, bien qu’elle ne l’ait pas indiqué officiellement dans sa demande. Lorsqu’il a été mentionné en contre-interrogatoire qu’on pourrait croire qu’elle n’est pas une personne racisée, la Maj MacEachern a répondu que Mme Nunes-Jonczyk avait [traduction] « manifestement l’air sud-américaine ».
[317] Bien que le fait que Mme Nunes-Jonczyk soit une personne racisée d’origine nationale ou ethnique non canadienne n’écarte pas la possibilité qu’un motif discriminatoire ait joué de rôle dans la décision de ne pas nommer M. Rehman à ce poste, le contraire semble plus plausible.
(p) Correspondance au sujet de nominations possibles en 2018
[318] M. Rehman a allégué dans sa plainte pour atteinte aux droits de la personne que, lors du [traduction] « dernier cycle d’embauche »
du processus de nomination, huit postes étaient disponibles. Il prétend que le MDN n’a pas envisagé de le nommer à l’un ou l’autre de ces postes. Cette allégation est fondée sur une série d’échanges de courriels avec M. Lavergne, qui était conseiller en dotation au MDN entre juin 2018 et mars 2019. Selon la preuve présentée à l’audience, après que M. Lavergne a commencé à communiquer avec M. Rehman, la seule nomination qui a eu lieu est celle de M. Pillai. Il n’y a pas eu d’autres nominations dans le cadre de ce processus.
[319] M. Lavergne a témoigné qu’il avait été en détachement dans un autre ministère fédéral avant de revenir à son poste de conseiller en dotation au MDN en juin 2018. À son retour, il a dû traiter divers dossiers de mesures de dotation qui lui avaient été attribués. Il traitait habituellement de 30 à 40 mesures de dotation à la fois. L’une d’elles était le processus de nomination des CR-03/04 en cause dans la présente affaire. Il a jeté un premier coup d’œil au dossier et ne savait pas si les candidats qualifiés étaient toujours disponibles et intéressés par le processus. Il a donc décidé d’envoyer un courriel standard à toutes les personnes du bassin, y compris à M. Rehman, pour confirmer leur intérêt.
[320] Ce courriel, qui a été envoyé le 18 juin 2018, mentionnait ce qui suit :
[traduction]
Objet : Confirmation de disponibilité et d’intérêt - Cold Lake (Alberta) - Postes administratifs/de commis (16-DND-EA-CLDLK-405389)
Bonjour,
Je coordonne actuellement un processus de dotation pour environ huit postes administratifs et de commis au sein de la 4e Escadre de Cold Lake pour 2018.
Vous vous étiez qualifié(e) dans le cadre d’un processus de dotation (16-DND-EA-CLDLK-405389) et, selon mes dossiers, vous n’avez pas été embauché(e) pour un poste correspondant à vos qualifications; soit vous n’avez pas été embauché du tout, soit vous avez été embauché(e) à un poste d’une durée limitée, soit vous avez été embauché(e) à un poste CR-03 et êtes admissible à un poste CR-04.
Veuillez répondre OUI au présent courriel si vous êtes intéressé(e) et disponible pour occuper un poste administratif/de commis CR-03 ou CR-04 à Cold Lake, en Alberta, au ministère de la Défense nationale pour l’été/automne 2018. Vous devez être en mesure et prêt(e) à déménager à Cold Lake et à suivre les procédures d’autorisation de sécurité, au besoin.
Comme vous avez présenté une demande à l’été 2016, l’« utilité » du bassin diminue et celui-ci ne sera probablement plus utilisé activement par la suite.
Merci.
Jayson Lavergne, CRHA
Conseiller en dotation
Opérations nationales de dotation / SMA(RH-Civ)
Défense nationale / Gouvernement du Canada
(En gras dans l’original.)
[321] M. Lavergne a expliqué dans son témoignage le concept de diminution de l’« utilité » d’un bassin. Selon son expérience, les gestionnaires sont généralement moins susceptibles d’embaucher des employés à partir d’un bassin de candidats qualifiés lorsqu’il s’est écoulé beaucoup de temps depuis que les candidats ont présenté leur candidature ou ont été évalués. Bien que, techniquement, un bassin ne soit jamais officiellement « fermé », les gestionnaires perdent en fait tout intérêt à nommer des personnes provenant d’un ancien bassin et cessent de l’utiliser activement.
[322] M. Rehman a répondu le jour même où il a reçu le courriel de M. Lavergne. Il a confirmé qu’il était très intéressé et prêt à déménager à Cold Lake et à suivre les procédures d’autorisation de sécurité. Il était disposé à fournir des renseignements supplémentaires. M. Lavergne a accusé réception de la réponse de M. Rehman le lendemain.
[323] Le 25 juillet 2018, M. Rehman a répondu à M. Lavergne en lui demandant si une décision avait été prise et s’il était toujours pris en considération pour les postes disponibles. M. Lavergne a répondu le 3 août 2018 qu’aucune décision n’avait encore été prise, car les choses avaient ralenti en raison des affectations d’été et de la période des vacances.
[324] Le 26 septembre 2018, M. Rehman a écrit de nouveau à M. Lavergne pour savoir si une décision d’embauche avait été prise et si le bassin était fermé. M. Lavergne a répondu le lendemain qu’aucune décision n’avait encore été prise et qu’il informerait M. Rehman si un gestionnaire le choisissait dans le bassin.
[325] Le 3 décembre 2018, M. Rehman a encore écrit à M. Lavergne pour lui demander s’il y avait du nouveau et si le bassin était encore sous examen ou s’il était fermé. M. Lavergne n’a apparemment pas répondu. Alors, le 2 janvier 2019, M. Rehman a de nouveau envoyé un courriel à M. Lavergne pour lui demander si une décision avait été prise et si le bassin était toujours actif.
[326] Le 11 janvier 2019, M. Lavergne a répondu à M. Rehman par un bref courriel, dans lequel il a remercié M. Rehman, puis a ajouté : [traduction] « Nous ne manquerons pas d’étudier votre candidature. »
M. Lavergne a témoigné qu’il n’était pas tenu de dire à un candidat si le processus était toujours considéré comme « ouvert », à savoir si les gestionnaires souhaitaient toujours faire des nominations à partir du bassin. Il a reconnu que sa réponse brève pourrait avoir donné l’impression à M. Rehman qu’il était toujours ouvert, et il croit en fait qu’à ce moment-là, le processus était toujours considéré comme ouvert.
[327] M. Lavergne n’a pas envoyé d’autres réponses à M. Rehman. M. Rehman a déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne auprès de la Commission le 27 février 2019. Comme je l’ai mentionné, M. Rehman alléguait dans sa plainte qu’il restait huit postes à combler, et qu’il n’avait été choisi pour aucun d’entre eux.
[328] M. Lavergne a témoigné que ce n’est pas ce qui s’était produit. Une seule autre nomination a eu lieu dans le cadre de ce processus, soit celle de M. Pillai, qui a reçu sa lettre d’offre le 19 septembre 2018, comme il en est question plus haut dans la présente décision.
[329] À l’audience, on a montré à M. Lavergne une lettre datée du 22 février 2021 que Peter Hooey, ancien directeur général de la gestion du milieu de travail du MDN, avait envoyée à l’un des agents des droits de la personne de la Commission. Cette lettre est une réponse du MDN à la plainte. M. Hooey a témoigné que son personnel avait préparé la lettre pour lui, puis qu’il l’avait signée. Celle-ci explique que, bien qu’il y ait eu huit autres postes qui auraient pu être pourvus à la BFC de Cold Lake au début de 2018, un seul candidat a finalement été nommé à partir du bassin, soit M. Pillai.
[330] En ce qui concerne les autres postes, ils ont soit été annulés faute de financement ou d’approbation, soit été offerts à des personnes qui avaient un statut prioritaire en vertu de la LEFP et du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, DORS/2005-334. Les modifications législatives apportées à la LEFP en 2015 ont permis aux anciens combattants des FAC de bénéficier de meilleures possibilités d’emploi. M. Lavergne n’a pas pu confirmer ce qui s’était passé au sujet des nominations prioritaires ou des nominations d’anciens combattants après mars 2019, étant donné qu’il avait quitté son poste de conseiller en dotation, mais il se souvenait que le processus de nomination était toujours considéré comme ouvert lorsqu’il est parti. Lors d’une conférence téléphonique de gestion d’instance que j’ai tenue le 7 octobre 2022, le MDN a confirmé dans un document de suivi, en réponse à une question précise de M. Rehman, qu’il n’y avait pas eu [traduction] « d’embauche pertinente ou prioritaire »
entre octobre 2016 et octobre 2018. Je n’ai aucune preuve de ce qui pourrait s’être passé après cette période. Dans sa lettre, M. Hooey a indiqué qu’après la nomination de M. Pillai, il restait sept personnes dans le bassin de candidats qualifiés.
[331] Donc, si l’on résume cette preuve, même si M. Rehman soupçonnait et a allégué qu’il y avait eu huit nominations après l’envoi du courriel de M. Lavergne, en réalité, une seule personne a été nommée à partir du bassin de candidats qualifiés pour ce processus et il s’agit de M. Pillai. Toute nomination possible n’a jamais eu lieu ou sinon, les postes visés ont été pourvus par d’autres moyens, en conformité avec les exigences de priorité prévues par la loi pour des personnes comme les anciens combattants. L’allégation du plaignant ne repose sur aucun fondement.
[332] Dans l’ensemble, lorsqu’on examine chaque nomination individuellement, M. Rehman n’a pas prouvé que ses caractéristiques personnelles ont constitué un facteur dans les décisions de nommer d’autres personnes que lui.
D. Analyse globale — problèmes systémiques
[333] La Commission soutient que, malgré les explications du MDN quant aux raisons pour lesquelles M. Rehman n’a été nommé à aucun des postes, la preuve dans son ensemble laisse transparaître une subtile odeur de discrimination qui a entaché la façon dont les gestionnaires d’embauche du MDN ont globalement traité la candidature de M. Rehman. La Commission soutient que M. Rehman n’avait pas la moindre chance de voir sa candidature retenue, compte tenu des obstacles insurmontables et artificiels que les gestionnaires d’embauche avaient dressés devant lui, notamment les suivants :
- sa surqualification;
- le fait qu’il n’habitait pas sur place;
- le profil du candidat idéal prédéterminé par le MDN;
- le fait que le MDN supposait qu’il ne réussirait pas à s’adapter à une petite ville où les possibilités de logement sont limitées;
- son incapacité à parler français, dans un contexte où le poste affiché était désigné « anglais essentiel ».
[334] La Commission soutient que les explications fournies par le MDN constituent un prétexte et que ce même prétexte a également empêché ou retardé l’embauche de MM. Suman et Pillai, deux immigrants racisés d’Asie du Sud, comme M. Rehman.
[335] Selon la Commission, la preuve démontre que les gestionnaires d’embauche du MDN ont refusé d’embaucher des candidats qui ne correspondaient pas à leur profil du candidat idéal, en se fondant sur une conception étroite des compétences requises pour le poste et des candidats qui seraient en mesure d’effectuer le travail. MM. Rehman, Suman et Pillai ont ainsi été désavantagés, puisque leur candidature n’a pas été prise en considération de façon juste et équitable pour des possibilités d’emploi. Lors de leur déposition, les témoins du MDN ont affiché une attitude discriminatoire bien ancrée à l’égard de M. Rehman, ce qui est corroboré par la façon dont le MDN a traité les candidatures de MM. Suman et Pillai pendant le processus de dotation.
[336] La Commission fait remarquer que, des 15 personnes embauchées, 14 étaient des femmes et 1 était un homme. Parmi les 15 candidats retenus, 3 faisaient partie de minorités visibles, même s’ils ne s’étaient pas officiellement identifiés comme tels lorsqu’ils avaient présenté leur candidature.
[337] La Commission fait observer que les tribunaux judiciaires et administratifs ont reconnu que la discrimination fondée sur la race peut être particulièrement difficile à prouver, étant donné qu’elle se manifeste souvent de façon subtile, sans que des préjugés raciaux soient ouvertement exprimés sous la forme de qualificatifs ou d’insultes à caractère racial, par exemple. Dans ces cas, on doit souvent se fonder sur une preuve circonstancielle. De plus, l’application de stéréotypes raciaux est généralement le résultat de croyances, de partis pris et de préjugés subtils inconscients.
[338] Par conséquent, le Tribunal ne peut pas se contenter de s’en remettre au pouvoir discrétionnaire conféré aux gestionnaires sous le régime de la LEFP. Son analyse de la « bonne personne » et du « mérite » doit plutôt être balisée par les considérations relatives aux droits de la personne, qui sont contraignantes.
[339] Selon la Commission, il ne s’agissait pas tant de trouver la « bonne personne », comme l’ont laissé entendre bon nombre des témoins de l’intimé, que de se fonder sur des stéréotypes positifs d’employés pouvant occuper un poste CR-03 ou CR-04 dans le cadre du processus de nomination, ce qui a donné lieu à l’exclusion d’immigrants qui sont membres de minorités visibles. Les gestionnaires d’embauche ont répété à plusieurs reprises qu’ils ne connaissaient pas le statut de membre de minorité visible ou le statut possible d’immigrant de MM. Rehman, Suman et Pillai, mais rien dans la loi n’exige que les gestionnaires d’embauche du MDN aient eu l’intention d’exclure des candidats ni qu’ils aient consciemment écarté leur candidature. Le Tribunal doit plutôt tenir compte de l’effet préjudiciable dans le contexte des droits de la personne.
[340] Le profil type du candidat idéal a été utilisé pour la nomination de candidats à des postes vacants, par exemple une femme ayant peu d’instruction qui pouvait être rapidement embauchée parce qu’elle habitait déjà à Cold Lake ou qui pourrait s’adapter à cette localité isolée et y rester. La direction s’est fondée sur des facteurs comme l’emplacement géographique, les compétences en français, le statut de conjoint de militaire et le statut d’emploi au sein du MDN, même s’ils ne figuraient pas parmi les qualifications essentielles ni les qualifications constituant un atout.
[341] De plus, la Commission soutient qu’un stéréotype négatif a également été observé tout au long du processus. La direction ne cherchait pas à recruter une personne très instruite ayant une vaste expérience de travail de haut niveau et venant d’une grande région métropolitaine, car une telle personne n’aurait pas été en mesure de s’adapter à une petite localité. La direction a tenu pour acquis que toute personne ayant ce profil ne resterait pas au poste auquel elle aurait été nommée et utiliserait le MDN comme tremplin pour obtenir un poste ailleurs.
[342] La Commission fait valoir que des préjugés, tant positifs que négatifs, ont contribué à restreindre le bassin de candidats, non pas selon le principe de la recherche de la bonne personne, mais bien selon une idée préconçue du candidat idéal et du candidat qui ne convenait pas, ce qui a créé des obstacles pour les immigrants, dont la plupart appartiennent à des minorités visibles qui vivent dans de grandes régions métropolitaines. Ainsi, la race, l’origine nationale ou ethnique et la couleur sont des facteurs qui ont influé sur le processus de sélection.
[343] Je ne suis pas convaincu par les arguments de la Commission.
[344] Tout d’abord, les faits sur lesquels sont fondés les arguments de la Commission ne sont pas nécessairement tels qu’elle les présente. De plus, la Commission et M. Rehman n’ont présenté aucune preuve étayant les prémisses de base de leurs allégations, particulièrement le fait que les immigrants membres de minorités visibles sont concentrés dans les grandes zones métropolitaines dans une proportion qui diffère de celle qu’on observe à Cold Lake, et que les immigrants sont plus instruits que les autres Canadiens et subissent donc un effet préjudiciable accru en raison de la décision qu’aurait prise le MDN de ne pas nommer aux postes les personnes ayant un niveau d’instruction élevé. Rien ne prouve non plus que des motifs de distinction illicite aient influé sur les autres critères que le MDN a utilisés, comme les compétences linguistiques en français ou le statut d’emploi antérieur.
[345] Je traiterai tour à tour de chaque aspect des observations de la Commission.
(i) Études
[346] MM. Rehman, Suman et Pillai possédaient des diplômes ou des certificats d’études postsecondaires dans des domaines liés aux postes à pourvoir. En revanche, pratiquement toutes les personnes nommées, à l’exception de M. Pillai, avaient une formation de niveau secondaire ou l’équivalent. L’une des personnes nommées avait un grade universitaire, mais pas dans un domaine pertinent. Deux autres avaient fait des études de niveau postsecondaire, mais ne possédaient pas de grade universitaire.
[347] Il était clairement indiqué dans l’affichage d’emploi et dans l’ECM correspondant que la seule exigence pour les postes de commis de niveau d’entrée était un diplôme d’études secondaires ou une combinaison acceptable d’études, de formation et/ou d’expérience. Les études postsecondaires dans un domaine pertinent ou la détention d’un certificat en terminologie médicale étaient considérées comme des qualifications constituant un atout, mais non comme des qualifications essentielles.
[348] Mme St. Amand a affirmé dans son témoignage que les gestionnaires d’embauche n’avaient pas éliminé de candidatures en raison d’un niveau d’instruction supérieur. Elle avait été conseillère dans le cadre d’autres processus de nomination où les études étaient davantage valorisées et influaient sur la sélection de la personne nommée. Toutefois, dans le processus en cause, le fait qu’un candidat possédait un baccalauréat ou une maîtrise n’était pas pertinent quant aux postes de commis et aux postes administratifs à pourvoir. Il était plus important de posséder des compétences et de l’expérience en matière de soutien administratif, de même que les qualités personnelles et les autres habiletés demandées. Le fait qu’un candidat possédait une instruction supérieure ne témoignait pas nécessairement de sa capacité à accomplir des tâches de niveau inférieur.
[349] La Maj MacEachern a abondé dans le même sens lorsque M. Atiq lui a demandé, en contre‑interrogatoire, si elle [traduction] « préférait » les candidats possédant une formation de niveau postsecondaire. Elle a répondu qu’elle [traduction] « préférait généralement » les personnes moins instruites, mais elle a toutefois ajouté qu’elle n’accordait du poids aux études postsecondaires que si celles-ci étaient liées au poste à pourvoir. En fait, pour ce qui est des personnes qui relevaient d’elle au Centre des services de santé de la base, elle accordait plus de poids au certificat en terminologie médicale qu’à un diplôme universitaire. Les candidats possédant un baccalauréat ou une maîtrise étaient considérés comme surqualifiés. La Maj MacEachern a fait remarquer que, s’il était bien qu’un candidat ait fait des études postsecondaires dans un domaine lié au poste à pourvoir, elle accordait parfois plus d’importance à la rapidité avec laquelle un candidat pouvait être embauché, même s’il n’avait pas cette formation.
[350] Dans ses observations finales, la Commission a mentionné le témoignage de deux gestionnaires, en particulier celui de la Capt Sullivan et de la Maj Demchuk, qui avaient été appelées à donner leur point de vue sur l’importance des études dans la prise de décisions de dotation. La Capt Sullivan a convenu qu’une personne ayant un haut niveau d’instruction serait surqualifiée pour occuper un poste de niveau d’entrée, mais elle a expliqué qu’elle n’avait jamais éliminé de candidature pour ce motif. Le poids à accorder aux études dépendait du type de poste à pourvoir.
[351] La Maj Demchuk a convenu que, pour les postes qu’elle avait à pourvoir, les études postsecondaires n’avaient aucune importance. Il ne s’agissait pas d’un emploi destiné à une personne de niveau universitaire. Le but était de nommer des personnes à des postes de niveau CR-04 qui avaient démontré qu’elles étaient consciencieuses et qu’elles connaissaient les applications informatiques qu’elles auraient à utiliser.
[352] La Commission a souligné que la Maj Demchuk avait ensuite ajouté qu’elle cherchait des candidats ayant fait moins d’études parce que, selon son expérience, il était [traduction] « problématique » d’embaucher des personnes surqualifiées, étant donné qu’elles finissaient par utiliser le poste comme un tremplin pour passer rapidement à un autre poste. De fait, M. Suman a expliqué dans son témoignage qu’il s’agissait là de son plan de carrière.
[353] Toutefois, il importe de tenir compte du contexte dans lequel les déclarations susmentionnées ont été formulées. En ce qui concerne M. Rehman, les questions ayant mené à ces réponses étaient fondées sur des hypothèses. Comme je l’explique plus haut, dans les faits, la candidature de M. Rehman n’a été prise en considération pour aucune des nominations effectuées par la Capt Sullivan et la Maj Demchuk, soit parce qu’il ne résidait pas à Cold Lake, soit parce qu’il n’avait pas encore été jugé qualifié. En ce qui concerne la deuxième nomination de Mme Kervin, la Capt Sullivan avait simplement converti le poste qu’occupait Mme Kervin pour une durée déterminée en poste permanent. La Capt Sullivan n’avait donc pris aucune autre candidature en considération pour ce poste.
[354] À l’audience, la Maj Demchuk a essentiellement été invitée à examiner le profil de M. Rehman, et elle a constaté non seulement que ses études n’étaient pas liées aux postes à pourvoir, mais que son expérience dans l’industrie hôtelière et les casinos ne correspondait pas à ce qu’elle recherchait, pas plus que son expérience liée aux comptes créditeurs. Il aurait fallu du temps pour le former. Dans l’ensemble, elle estimait que, comme il ne satisfaisait qu’à deux des qualifications liées à l’expérience, il ne s’agissait pas d’un candidat de choix.
[355] Bien que les remarques de la Maj Demchuk puissent témoigner d’une certaine partialité à l’encontre de la nomination de personnes possédant une instruction de niveau postsecondaire, son opinion n’a eu aucune incidence sur M. Rehman, puisque sa candidature n’avait été prise en considération pour aucun des postes qu’elle cherchait à pouvoir: il ne vivait pas à Cold Lake ou ne faisait pas encore officiellement partie du bassin.
[356] La Commission a également interrogé la Capt Sullivan au sujet de la candidature de M. Suman, toujours de façon hypothétique, puisque M. Suman avait affirmé qu’il n’était intéressé par aucun des postes d’une durée déterminée que la Capt Sullivan devait pourvoir et qu’il ne vivait pas à Cold Lake. Sa candidature, à l’instar de celle de M. Rehman et d’autres candidats, n’a pas non plus été prise en considération lorsque le poste temporaire de Mme Kervin a simplement été converti en poste permanent.
[357] La Capt Sullivan a fait remarquer qu’elle avait embauché des personnes possédant un grade universitaire par le passé pour leur permettre d’acquérir l’expérience de travail qui leur faisait défaut. Elle a reconnu que M. Suman avait effectué des études de niveau postsecondaire et qu’il serait donc considéré comme surqualifié. Il cherchait probablement un emploi lui permettant de se placer ensuite ailleurs dans la fonction publique fédérale. Elle a toutefois fait remarquer que M. Suman avait obtenu beaucoup de notes « Dépasse les exigences » dans son rapport de consensus et qu’elle aurait donc pu envisager de prendre le risque de le nommer. Cependant, mis à part le fait qu’il n’était intéressé par aucune nomination pour une durée déterminée, la Capt Sullivan estimait que son expérience de travail dans le domaine bancaire ne concordait pas avec les tâches liées aux comptes créditeurs associées au poste de niveau d’entrée qu’elle cherchait à pourvoir. Par conséquent, elle ne l’aurait probablement pas sélectionné.
[358] Comme je l’ai mentionné, les commentaires formulés sont théoriques et, de plus, ils ne constituent pas une preuve de la moindre trace de discrimination que M. Rehman soutient avoir subie, étant donné que sa candidature a été écartée pour des raisons autres que sa surqualification.
[359] M. Rehman se demandait comment il était possible que le MDN soutienne que les études postsecondaires n’étaient pas pertinentes pour les nominations en question, alors que ce critère figurait parmi les qualifications constituant un atout dans l’ECM. Cette question a toutefois déjà été examinée par le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « TDFP ») dans la décision Steeves et Sveinson c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 9 [Steeves], à laquelle la Commission a renvoyé dans ses observations écrites finales. Dans cette décision, le TDFP a examiné en détail le libellé du paragraphe 30(2) de la LEFP, notamment la définition du « mérite ». Aux paragraphes 57 et 58, il a conclu que, au sens de cette disposition, le gestionnaire dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire et n’est pas tenu de choisir une personne en vue d’une nomination en fonction des qualifications constituant un atout figurant dans l’ECM.
[360] Dans ses observations finales, la Commission a mentionné les conclusions tirées dans la décision Sangha c. Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie, 2006 TCDP 9 [Sangha]. L’ordonnance de réparation rendue par le Tribunal dans cette décision a été annulée par la Cour fédérale (Sangha c. Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie, 2007 CF 856), mais la décision du Tribunal sur le fond n’a pas été contestée. La formation du Tribunal qui a rendu la décision Sangha avait entendu le témoignage de deux experts pendant l’audience, tenue en 2005. Le Tribunal a privilégié la preuve de l’expert appelé par le plaignant et la Commission, car il a jugé que celle-ci était plus précise que la preuve d’expert présentée par l’intimé.
[361] L’expert appelé par le plaignant et la Commission dans la décision Sangha avait affirmé que la plupart des immigrants arrivés dans les dernières décennies étaient des personnes très instruites appartenant à des minorités visibles, mais qu’ils étaient exclus de façon disproportionnée des échelons les plus élevés du marché de l’emploi en raison d’obstacles comme des difficultés à faire reconnaître leurs compétences et l’expérience de travail qu’ils avaient acquise à l’étranger. Ces personnes avaient donc tendance à chercher un emploi de niveau inférieur pour lequel elles étaient grandement surqualifiées. Compte tenu de cette opinion d’expert, le Tribunal a conclu que le fait de postuler un emploi pour lequel on est surqualifié est une situation à laquelle les immigrants sont davantage confrontés. Il s’ensuit que, lorsqu’un employeur adopte une règle contre l’embauche de candidats surqualifiés, cette règle a une incidence plus grande sur les candidats immigrants qui sont membres de minorités visibles.
[362] La Commission soutient que je devrais tirer une conclusion semblable à l’égard de M. Rehman, en me fondant sur les commentaires formulés par la Maj Demchuk et la Capt Sullivan au sujet des candidats surqualifiés.
[363] Je ne suis pas d’accord. Les conclusions tirées par le Tribunal dans la décision Sangha étaient fondées entièrement sur la preuve d’experts, qui avaient présenté des rapports, avaient témoigné et avaient été contre-interrogés. Ni la Commission ni M. Rehman n’ont présenté de preuve d’expert dans la présente affaire. La Commission me demande de me fonder sur des conclusions formulées par une formation du Tribunal il y a près de 20 ans en fonction de données qui datent peut-être d’encore plus longtemps pour tirer des conclusions semblables au sujet d’une période comprise entre 2016 et 2018. Je commettrais une grave erreur si j’acquiesçais à la demande la Commission et si je me fondais sur de telles données possiblement dépassées et inexactes pour tirer mes conclusions.
[364] Au soutien de son argument, la Commission a tenté de présenter de nouveaux éléments de preuve dans ses observations écrites finales. Dans une note en bas de page, elle a inséré un hyperlien vers un rapport de 2019 censé indiquer que les niveaux d’instruction des immigrants n’ont pas changé. Je ne tiendrai pas compte de ce rapport. Celui-ci n’a pas été déposé en preuve à l’audience, de sorte que les autres parties n’ont pas eu l’occasion de l’examiner, de contre-interroger les auteurs ou de présenter leur propre preuve, ce qui diffère grandement de la façon dont la preuve d’expert avait été présentée dans l’affaire Sangha. Si je devais seulement envisager d’examiner le rapport de 2019 susmentionné à cette étape-ci, je commettrais un grave manquement à l’équité procédurale à l’égard du MDN.
[365] De plus, il y a de nombreuses différences importantes entre les faits dont il est question dans la décision Sangha et la présente affaire concernant M. Rehman. Dans l’affaire Sangha, l’intimé avait admis qu’il avait mis en place une règle officielle empêchant l’embauche de candidats surqualifiés. L’intimé dans cette affaire avait donc délibérément refusé d’employer le plaignant pour ce motif. Or, il n’y a aucune preuve de l’existence d’une telle règle en l’espèce. Au contraire, Mme St. Amand et la Maj MacEachern ont affirmé dans leur témoignage qu’une personne surqualifiée pouvait tout de même être nommée, dans la mesure où elle possédait les compétences requises pour le poste. M. Pillai, par exemple, a effectivement été nommé au poste de niveau CR-04 et, comme je le mentionne plus haut, je ne suis pas convaincu par l’allégation de M. Rehman et de la Commission selon laquelle M. Pillai a été le dernier à être nommé ou que sa nomination a été retardée pour des motifs fondés sur la discrimination.
[366] Dans leur témoignage, la Maj Demchuk et la Capt Sullivan ont exprimé leur réticence à l’idée de nommer des candidats surqualifiés, mais n’ont pas dit qu’il existait une règle comme celle dont il était question dans l’affaire Sangha. Plus important encore, dans les faits, elles n’ont jamais pris en considération la candidature de MM. Rehman ou Suman, non pas parce qu’ils étaient surqualifiés, mais bien pour les autres motifs que je mentionne plus haut, comme le fait qu’ils ne résidaient pas à Cold Lake.
[367] Bref, il n’y a aucune preuve démontrant l’existence d’une règle quelconque visant à exclure la candidature des personnes surqualifiées et il n’y a certainement aucune preuve indiquant qu’une telle règle, si tant est qu’elle ait existé, a eu une incidence sur la candidature de M. Rehman.
[368] La Commission n’a pas réussi à prouver cette partie de son argumentation.
(ii) Exclusion de la candidature des personnes ne résidant pas à Cold Lake
[369] Lorsqu’il lance un processus de nomination à la fonction publique fédérale, le gestionnaire, dans l’exercice des pouvoirs que lui a délégués la Commission de la fonction publique, définit une zone de sélection. Cette zone détermine les personnes qui peuvent postuler en fonction de critères géographiques et d’autres critères (par. 34(1) de la LEFP). Selon l’annonce du processus CR-03 et CR-04, les personnes résidant au Canada et les citoyens canadiens résidant à l’étranger pouvaient présenter leur candidature. Ainsi, des candidats de l’ensemble du pays ont postulé, notamment M. Rehman, qui était à Calgary, et MM. Suman et Pillai, qui vivaient à Toronto.
[370] Or, lorsqu’est venu le temps de sélectionner des personnes à nommer ou de réduire le nombre de candidats à prendre en considération pour une nomination, la Maj Demchuk et la Capt Sullivan ont décidé d’effectuer des vérifications de sécurité uniquement pour les candidats qualifiés qui résidaient déjà à Cold Lake, et ce, malgré le fait que Mme St. Amand les avait informées qu’il était possible de faire appel à des ressources externes pour les vérifications de sécurité des candidats venant de l’extérieur. D’autres gestionnaires ont aussi utilisé comme critère le lieu de résidence ou encore un autre critère connexe, soit le statut de conjoint de militaire résidant sur place, pour sélectionner la bonne personne à nommer.
[371] La Commission et M. Rehman soutiennent que cette pratique consistant à établir un [traduction] « profil type » était contraire aux règles et aux politiques de dotation et, ce qui est plus important encore, a eu un effet préjudiciable sur les immigrants comme MM. Rehman, Suman et Pillai, qui vivaient dans de grandes régions métropolitaines, comme Calgary et Toronto, où les immigrants nouvellement arrivés sont plus susceptibles de s’installer.
[372] M. Lavergne, qui a travaillé comme conseiller en dotation jusqu’en 2019, a affirmé dans son témoignage que, à un certain moment (il ne se souvenait pas de la date exacte), une politique avait été instaurée pour faire en sorte qu’il y ait une zone nationale de sélection pour tous les processus de nomination externes (c’est-à-dire les processus dans le cadre desquels des personnes qui n’étaient pas déjà employées dans la fonction publique pouvaient postuler).
[373] En contre-interrogatoire, la Commission a demandé à M. Lavergne si un processus [traduction] « ouvert au public »
pouvait ensuite faire l’objet de restrictions. Il a répondu par la négative et a ajouté que, dès qu’une zone nationale de sélection avait été définie pour un processus annoncé, il fallait examiner équitablement la candidature de toutes les personnes faisant partie de la zone de sélection, et non ajouter de nouvelles restrictions. Il a affirmé qu’on ne pouvait pas [traduction] « exclure des candidatures en raison du lieu géographique ».
[374] La Commission fait valoir que c’est exactement ce qu’a fait le MDN en décidant d’exclure les candidatures des personnes venant de l’extérieur ou en utilisant le lieu de résidence comme critère pour sélectionner des personnes.
[375] Toutefois, comme le fait remarquer le MDN, il est difficile de savoir si, dans son témoignage, M. Lavergne faisait référence au processus d’évaluation des candidats visant à déterminer s’ils sont qualifiés ou à l’étape suivante, au cours de laquelle le gestionnaire d’embauche examine toutes les qualifications constituant un atout, de même que les exigences opérationnelles, pour choisir qui nommer à partir d’un bassin de candidats qualifiés. Il ne fait aucun doute que la candidature de tous les postulants ne résidant pas à Cold Lake a été prise en considération à toutes les étapes visant à déterminer s’ils étaient qualifiés. Le fait de résider sur place est devenu un critère utilisé par la direction seulement lorsqu’elle en était à l’étape de choisir qui nommer à partir du bassin de candidats qualifiés.
[376] Le MDN souligne en outre que M. Rehman et la Commission n’ont présenté aucune source juridique (qu’il s’agisse d’une loi, d’un règlement ou de jurisprudence) pour étayer leur allégation selon laquelle le gestionnaire d’embauche responsable d’un processus externe ouvert à tous les Canadiens ne pouvait pas utiliser, comme critère de sélection, la proximité entre le lieu de résidence d’un candidat et le poste à pourvoir. Ils se sont seulement appuyés sur la réponse plutôt ambiguë de M. Lavergne à la question qui lui avait été posée en contre-interrogatoire. Aucune question semblable n’a été posée aux autres personnes occupant actuellement un poste de conseiller en dotation qui ont témoigné dans la présente affaire. Le témoignage de M. Lavergne ne règle donc pas la question de façon définitive.
[377] Fait plus important encore, M. Rehman et la Commission n’ont pas prouvé leur prémisse de base, soit le fait qu’il est discriminatoire en soi de choisir une personne résidant à Cold Lake plutôt qu’une personne vivant dans une grande ville. Aucune preuve, qu’il s’agisse d’une preuve d’expert ou de tout autre type de preuve, n’a été présentée à l’appui de cette allégation. Une fois de plus, dans ses observations écrites finales, la Commission renvoie à une page Web dans une note en bas de page. Cette page Web semble mener à un document archivé publié en 2011 par Statistique Canada qui présente des données sur la population. Tout comme pour les pages Web portant sur les études, ce document n’a jamais été présenté en preuve, de sorte que les autres parties n’ont pas pu l’examiner ni contre-interroger de témoins à ce sujet. Pour des motifs d’équité procédurale et pour la simple raison qu’elle n’a pas été produite en preuve, je ne prendrai donc pas non plus en considération cette page Web.
[378] Par ailleurs, la seule preuve à ma disposition au sujet de la composition de la population de la région de Cold Lake ne concorde pas avec l’allégation de M. Rehman et de la Commission. En contre-interrogatoire, la Capt Sullivan et le Lcol MacCormack ont affirmé que la population de Cold Lake était [traduction] « diversifiée ». Mme Nunes-Jonczyk, qui est une immigrante appartenant à une minorité visible selon la Maj MacEachern, avait une adresse permanente à Cold Lake lorsqu’elle a postulé.
[379] Pour les motifs qui précèdent, le fait que la direction ait tenu compte de la proximité entre le lieu de résidence des candidats et Cold Lake ne me permet pas de déduire que des motifs de distinction illicite ont joué un rôle dans la décision de ne pas nommer M. Rehman.
(iii) Non-respect des règles de dotation
[380] La Commission et M. Rehman soutiennent que le MDN a enfreint de nombreuses règles de dotation en vigueur à la fonction publique fédérale et que ces manquements étayent également l’allégation selon laquelle M. Rehman a fait l’objet de discrimination.
[381] Parmi les manquements allégés, mentionnons la préférence accordée aux personnes qui parlent français, alors que le poste était désigné « anglais essentiel »; la préférence accordée aux personnes qui étaient déjà employées à titre occasionnel; la préférence accordée aux conjoints de militaires, même avant l’entrée en vigueur d’une politique officielle à cet égard; la prise en considération d’une seule personne en vue d’une nomination; la prise en compte des références fournies par un des évaluateurs et, comme il vient d’être mentionné, la préférence accordée aux employés résidant à Cold Lake.
[382] Je commencerai par détailler chacun des manquements allégués, puis je les analyserai globalement.
(a) Compétences linguistiques en français
[383] Mme St. Amand a expliqué dans son témoignage que, pour les postes désignés « anglais essentiel », la connaissance du français ne pouvait pas être utilisée comme une qualification constituant un atout pour choisir la personne à nommer, puisque ce serait contraire à la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985), ch. 31 (4e suppl.). M. Lavergne a convenu que la connaissance de l’autre langue officielle ne pouvait pas constituer un facteur justifiant que la préférence soit accordée à un candidat donné. Mme St. Amand a ajouté qu’il était [traduction] « intéressant » de savoir qu’une personne nommée était bilingue, mais qu’on ne pouvait pas se fonder sur ce facteur pour déterminer le mérite au sens de la LEFP.
[384] La Maj MacEachern est la seule gestionnaire d’embauche qui a affirmé que la compétence en français avait influé sur sa décision de nomination. Elle a expliqué que la base de Cold Lake est bilingue et que certains membres des FAC qui y travaillent sont francophones. De plus, il y a une communauté francophone tout près. Elle s’efforce donc toujours de [traduction] « renforcer les capacités », puisque d’autres postes de son unité ont été désignés bilingues et que le fait d’embaucher des employés bilingues lui donne des possibilités pour combler les besoins futurs en matière de dotation.
[385] Par conséquent, le fait que Mme Sarrazin maîtrise le français était considéré comme un atout qui apportait une [traduction] « valeur ajoutée ». Les compétences de M. Pillai en français ont également été considérées comme un atout, mais peu de poids a été accordé au fait qu’il était bilingue. La Maj MacEachern a également affirmé que Mme Nunes-Jonczyk avait des compétences avancées en français, mais elle a ajouté que son bilinguisme n’avait pas été [traduction] « déterminant » pour sa nomination.
[386] Je fait observer que sur les trois nominations pour lesquelles il a été démontré que la maîtrise de la deuxième langue officielle avait été prise en considération, M. Rehman n’était pas qualifié pour deux de ces postes (le poste de Mme Sarrazin et celui de M. Pillai). La candidature de M. Rehman a été prise en considération seulement pour le poste auquel Mme Nunes-Jonczyk a été nommée. De plus, aucune preuve au dossier ne permet d’affirmer que les Canadiens issus de l’immigration sont moins susceptibles de parler français que les autres Canadiens.
(b) Personnes nommées qui occupaient déjà un poste à titre occasionnel
[387] Plusieurs des personnes nommées à l’issue du processus dont il est question en l’espèce avaient déjà travaillé à la base à titre occasionnel.
[388] Mme Clouter, qui avait reçu une lettre d’offre en décembre 2016 pour un poste dans le domaine de l’achat de produits alimentaires, avait travaillé à titre occasionnel comme assistante des services d’alimentation six ou sept ans auparavant.
[389] Mme Brown travaillait à titre occasionnel en tant qu’agente d’approvisionnement et du service à la clientèle depuis janvier 2017. La Lcol Evequoz a affirmé dans son témoignage que la nomination en juin 2017 de Mme Brown au poste qu’elle occupait déjà constituait un choix évident, puisqu’elle assumait déjà les fonctions associées au poste. Mme Brown avait également effectué des tâches semblables à titre occasionnel ailleurs à la base au cours de l’année précédente.
[390] Enfin, Mme Grove travaillait déjà à titre occasionnel en tant que commis de la salle des rapports lorsqu’elle a reçu une lettre d’offre, en septembre 2017, pour sa nomination au même poste pour une période indéterminée.
[391] La Commission soutient qu’il était inapproprié de se fonder sur le statut d’emploi antérieur, étant donné que, dans son témoignage, M. Lavergne a affirmé qu’un candidat ne pouvait pas être traité de manière préférentielle du fait qu’il avait déjà été embauché à titre occasionnel. M. Lavergne a toutefois reconnu que le fait qu’une personne ait occupé un poste donné à titre occasionnel pouvait influer sur l’évaluation visant à déterminer si la personne possédait les qualifications requises affichées, notamment l’expérience, les études et les habiletés, puisqu’elle avait pu acquérir ces compétences lorsqu’elle travaillait à titre occasionnel.
[392] La Commission n’a présenté aucune source législative, réglementaire ou jurisprudentielle confirmant qu’il n’était pas permis de prendre en considération, au moment de l’embauche, le travail qu’une personne avait effectué antérieurement en tant qu’employée occasionnelle. Les autres témoins travaillant actuellement comme conseillers en dotation n’ont rien dit de tel. Au contraire, la Maj Emond a affirmé dans son témoignage que la pratique en matière de dotation consistant à nommer des employés occasionnels à des postes permanents était de plus en plus fréquente.
[393] Je fais également remarquer que M. Rehman n’était pas qualifié pour le poste auquel Mme Clouter a été nommée.
(c) Vérification des références de Mme Grove
[394] M. Rehman déplorait également que, selon le dossier d’évaluation de Mme Grove pour le processus en question, ce n’était pas un gestionnaire ni un superviseur qui avait fourni des rétroactions dans le cadre de la vérification des références au comité chargé d’évaluer ses qualités personnelles, contrairement aux instructions que le comité avait reçues. Comme l’ancien superviseur de Mme Grove n’était plus en poste, l’employeur avait fourni ses recommandations en se fondant uniquement sur les évaluations de rendement de cette dernière. M. Rehman affirme que la candidature de Mme Grove aurait donc dû être rejetée.
[395] Dans son témoignage, Mme Aitken a affirmé qu’elle aurait agi de la même manière que le comité dans les circonstances. C’est tout de même un superviseur qui avait fourni les rétroactions. Dans les forces armées, il arrive souvent que les membres du personnel soient affectés ailleurs et déménagent, de sorte que les évaluations de rendement sont alors utilisées pour la vérification des références.
[396] M. Rehman n’a présenté aucune source législative, réglementaire ou jurisprudentielle confirmant qu’il était interdit de procéder comme le comité l’avait fait et qu’une candidature devait être rejetée en pareille situation.
(d) Préférence accordée aux personnes résidant sur place et aux conjoints de militaires, et prise en considération d’une seule candidature
[397] J’ai traité plus haut de ces questions.
[398] S’appuyant sur le témoignage de M. Lavergne, la Commission et M. Rehman soutiennent que le MDN a enfreint les règles de dotation en utilisant le lieu de résidence à Cold Lake comme facteur pour sélectionner des personnes à nommer. Comme je l’ai également fait remarquer, M. Rehman et la Commission n’ont pas démontré le fondement juridique de leur allégation selon laquelle le gestionnaire d’embauche responsable de processus externes ouverts à tous les Canadiens ne pouvait pas utiliser comme critère de sélection la proximité entre le lieu de résidence d’un candidat et le poste à pourvoir.
[399] Quant à la préférence accordée aux conjoints de militaires, j’ai déjà conclu précédemment que, même en l’absence d’une politique officielle, il s’agissait là d’un facteur supplémentaire acceptable sur lequel la direction s’était fondée pour certaines nominations. Encore une fois, l’allégation selon laquelle l’utilisation de ce facteur constituait un manquement aux règles de dotation ne repose sur aucun fondement juridique.
[400] Comme je l’ai précisé plusieurs fois dans la présente décision, le paragraphe 30(4) de la LEFP prévoit que la direction n’est pas tenue de prendre en compte plus d’une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite. Il est loisible au gestionnaire de sélectionner une personne à partir du bassin de candidats qualifiés sans examiner la candidature des autres candidats qualifiés du bassin.
(e) Effet discriminatoire de tout manquement allégué aux règles de dotation
[401] Comme je viens de le préciser, la plupart des allégations de non-respect des règles de dotation ne sont pas fondées ou ne reposent sur aucun fondement juridique. Une seule des allégations est peut-être fondée, soit celle qui porte sur la prise en considération des compétences linguistiques en français pour la sélection d’un employé à un poste désigné « anglais essentiel ».
[402] Toutefois, même s’il y avait eu des manquements comme il a été soutenu, la Cour fédérale a jugé dans la décision Canadian Human Rights Commission v. Attorney General (Canada), 2024 FC 1404 [Nipa], au paragraphe 23, que le simple fait que le processus de dotation ait été inadéquat ne signifie pas nécessairement, en soi, qu’il y a eu discrimination. Il doit y avoir suffisamment de circonstances, au-delà des irrégularités mentionnées, qui, évaluées dans leur ensemble, peuvent amener à conclure à la présence d’une subtile odeur de discrimination.
[403] Or, je n’ai pas relevé de telles circonstances dans la présente affaire. J’ai examiné chaque nomination et j’ai jugé que le MDN avait fourni des explications raisonnables et non discriminatoires pour chacune d’entre elles. Comme je l’explique dans les sections suivantes de la présente décision, il n’y a aucune preuve démontrant que quiconque connaissait la race, la religion ou l’origine nationale ou ethnique de M. Rehman, ni rien qui indique qu’il y avait une sous-représentation systémique de membres de minorités visibles dans le secteur de la MDN visé par les 18 nominations en l’espèce. Au moins trois des personnes nommées appartenaient à des minorités visibles, et deux étaient issues de l’immigration. Je ne peux inférer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu discrimination en raison des manquements allégués aux règles de dotation étant donné que la preuve présentée ne rend pas une telle inférence plus probable que toute autre inférence possible (Nipa, au par. 24).
[404] Toutefois, et surtout, je dois répéter que M. Rehman et la Commission n’ont pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que les situations décrites enfreignaient quelque règle de dotation que ce soit, à l’exception peut-être de la prise en considération par la Maj MacEachern des compétences linguistiques de Mme Sarrazin dans la deuxième langue officielle.
(iv) Discrimination fondée sur le nom et les attestations d’études des candidats
[405] Dans sa plainte, M. Rehman a soutenu qu’il n’avait pas été nommé parce que les gestionnaires du MDN n’embauchaient [traduction] « que des Blancs » et « excluaient délibérément des processus d’embauche les immigrants et ceux qui n’étaient pas Blancs »
. Il a ajouté que les immigrants étaient faciles à repérer par leur nom et les attestations d’études provenant de l’étranger qui figuraient dans leur curriculum vitæ, même si leur demande d’emploi ne comportait pas de photo. M. Rehman a affirmé que les gestionnaires [traduction] « jettent les curriculum vitæ des candidats dont le nom est facilement assimilable à celui d’un immigrant ».
[406] La Commission est d’avis que les immigrants peuvent subir des répercussions en raison de la préférence des employeurs pour des [traduction] « noms à consonance canadienne ». Dans ses observations finales, la Commission a renvoyé à une étude qui, encore une fois, n’avait pas été communiquée au MDN. Comme cette étude n’a pas été produite en preuve, je ne la prendrai pas en considération. Néanmoins, je suis prêt à reconnaître que, si le nom d’une personne a une consonance qui est clairement associée à une religion ou à un groupe ethnique donné, cette preuve pourrait permettre de conclure que cette caractéristique personnelle a joué un rôle dans le traitement défavorable que la personne a pu subir.
[407] Toutefois, la preuve dans la présente affaire indique que, au moment où les gestionnaires d’embauche ont établi les critères de présélection pour le poste à pourvoir, ils n’avaient normalement pas connaissance du nom des candidats ou des autres renseignements figurant à leur dossier, ou n’y avaient pas accès. Ce n’est qu’une fois que les gestionnaires d’embauche avaient établi les critères pour filtrer les candidatures que les conseillers en dotation constituaient les dossiers de candidature qu’ils transmettaient ensuite aux gestionnaires d’embauche. Ceux-ci étaient alors en mesure de connaître le nom des candidats et de voir leur curriculum vitæ. Ainsi, pour au moins six des nominations du processus de sélection en question (les cinq postes pour lesquels M. Rehman n’était pas qualifié et le poste de Mme Zevenbergen), le gestionnaire d’embauche n’a même jamais vu le nom et le curriculum vitæ de M. Rehman. De plus, comme l’a expliqué Mme St. Amand dans son témoignage, il n’y avait aucune indication dans les dossiers de candidature permettant de savoir si le candidat avait coché la case pour s’identifier comme membre d’un groupe visé par l’équité en emploi, dont font partie les minorités visibles.
[408] Les seuls gestionnaires d’embauche qui auraient pu avoir accès au dossier de M. Rehman aux étapes préliminaires du processus étaient ceux qui faisaient partie du comité et qui avaient participé à son évaluation, soit la Capt Sullivan et la Maj Demchuk. Ces dernières ont toutes deux affirmé qu’elles ignoraient totalement sa race, sa couleur, sa religion ou son origine nationale ou ethnique. Toutefois, je rappelle qu’elles lui avaient toutes deux parlé une fois au téléphone. La Capt Sullivan avait téléphoné à M. Rehman pour confirmer qu’il était toujours intéressé et la Maj Demchuk l’avait passé en entrevue pour évaluer ses qualifications et préparer son rapport de consensus. Elles devaient avoir remarqué qu’il avait un accent lorsqu’il s’exprimait en anglais, ce qui, toutefois, ne prouve pas qu’elles connaissaient sa religion, sa race ou sa couleur.
[409] Cependant, je souligne que la candidature de M. Rehman n’a été prise en considération pour aucune des cinq nominations auxquelles ont participé la Capt Sullivan et la Maj Demchuk parce qu’il ne résidait pas à Cold Lake, à l’instar de plusieurs autres candidats, ou parce qu’il avait été jugé qualifié trop tard pour la nomination en question (celle de Mme Zevenbergen). Par conséquent, les deux gestionnaires susmentionnées, qui étaient les seules personnes à avoir discuté avec M. Rehman, n’ont jamais réellement été dans une situation où elles auraient pu le nommer ni, à vrai dire, [traduction] « jeter son curriculum vitæ » en raison de son statut d’immigrant.
[410] Il reste toutefois les autres gestionnaires d’embauche qui ont reçu le dossier de candidature de M. Rehman. Ces gestionnaires ont nécessairement eu connaissance de son nom et accès à son curriculum vitæ.
[411] M. Atiq a contre-interrogé pratiquement tous les témoins du MDN au sujet de leur compréhension quant à l’origine du nom de différentes personnes. Les premières questions qu’il a posées à cet égard étaient déstabilisantes, notamment lorsqu’il a demandé à un témoin si un nom donné semblait être d’origine chinoise ou semblait appartenir à un [traduction] « Canadien de race blanche ». Je l’ai alors informé de la mise en garde formulée au paragraphe 60 de la décision Premakumar c. Air Canada, 2002 CanLII 23561 (TCDP). Dans cette affaire, le Tribunal a conclu qu’il faut s’abstenir de faire des hypothèses et des conclusions au sujet de l’origine ethnique des candidats retenus en examinant leurs noms, car ces hypothèses ne seraient pas fiables et cette pratique constituerait un manquement d’éthique par rapport à la philosophie qui sous-tend la législation sur les droits de la personne.
[412] M. Atiq a modifié légèrement ses questions par la suite et a essentiellement demandé aux témoins à quelle [traduction] « région » ils associaient les noms proposés. Aucun des témoins du MDN n’a réussi à associer les noms de MM. Rehman, Suman et Pillai à un endroit précis, et encore moins à leur pays d’origine réel ou à leur religion.
[413] M. Atiq a alors varié ses questions et a demandé aux témoins d’associer les noms Mohammed, Mahmood ou Fahad à une religion ou à une origine ethnique. Certains ont répondu qu’ils n’étaient pas en mesure de le faire, d’autres ont fait un lien avec l’islam. La Commission est d’avis que l’absence de réponse de la part de certains témoins témoigne d’un manque d’honnêteté, ce qui devrait avoir une incidence sur leur crédibilité. Je ne suis pas convaincu par cet argument. Compte tenu du contexte et du ton quelque peu accusateur sur lequel M. Atiq a posé ses questions, il est évident que certains des témoins étaient sur la défensive lorsqu’ils ont répondu. Par ailleurs, le véritable problème que posent ces questions tient au fait qu’aucun des candidats faisant partie du bassin de candidats qualifiés ne portait l’un des noms mentionnés par M. Atiq. Il s’agissait de noms de candidats qui avaient retiré leur candidature ou dont la candidature avait été rejetée à l’étape de la présélection, soit avant la participation des gestionnaires d’embauche au processus.
[414] La seule question ayant un lien avec l’allégation de M. Rehman est celle qui consiste à déterminer si les gestionnaires d’embauche pouvaient raisonnablement savoir que M. Rehman était d’origine pakistanaise ou qu’il était immigrant. Pendant qu’il posait ses questions, M. Atiq a insisté sur le fait que les gestionnaires auraient dû reconnaître les origines musulmanes du nom de M. Rehman, étant donné qu’un des fondateurs du Bangladesh porte le même nom. En tout respect, je ne crois pas qu’il soit déraisonnable que des gestionnaires et fonctionnaires travaillant dans le domaine de la dotation au Canada ne connaissent pas les chefs fondateurs des autres pays.
[415] En outre, je ne suis pas persuadé que, dans le cas de M. Rehman, les origines musulmanes ou étrangères du nom en tant que tel soient aussi manifestes que pour les autres noms que M. Atiq a soumis aux témoins. Le suffixe « man » se retrouve dans le nom de famille de personnes originaires de divers pays. Personne n’a fait de lien non plus entre le prénom de M. Rehman, Zia, et une origine nationale ou une religion donnée et, comme je l’ai mentionné à plusieurs reprises, il était en fait désigné comme une femme dans plusieurs documents. Fait intéressant, même M. Suman, qui est né au Népal et qui a été appelé à comparaître comme témoin par M. Rehman, a affirmé qu’il n’avait jamais entendu son nom auparavant. Il a dit qu’il l’aurait probablement associé à une origine sud-asiatique et qu’il aurait seulement pu deviner qu’il s’agissait du Bangladesh.
[416] M. Rehman soutient que, même si son nom n’était pas reconnu comme un nom « musulman » provenant d’Asie, son curriculum vitæ indiquait clairement ses origines. Pourtant, il n’y a aucune mention de son pays d’origine dans son curriculum vitæ ni d’ailleurs dans l’ensemble des documents de sa demande d’emploi. La seule mention indirecte qui y figure est son baccalauréat ès arts de l’Université de Gomal dans la section relative aux études. Le lieu où est située l’université n’est pas précisé. Le collège où il a étudié aux Îles Caïmans est également mentionné. Toute l’expérience de travail figurant dans son curriculum vitæ a été acquise au Canada et aux Îles Caïmans.
[417] Aucun des témoins ne savait où est située l’Université de Gomal, et plusieurs ont affirmé que cela n’avait aucune importance. La Capt Sullivan, par exemple, a expliqué dans son témoignage que les renseignements figurant dans le curriculum vitæ des candidats étaient considérés comme véridiques. Si les candidats disaient qu’ils possédaient un grade universitaire, ce fait n’était pas vérifié dans le cadre du processus d’évaluation.
[418] M. Rehman soutient qu’il aurait été facile pour les membres de la direction du MDN de faire une recherche sur Google pour trouver son nom et le nom de l’université et ainsi déduire son origine pakistanaise. Toutefois, il n’y a aucune preuve indiquant que quiconque ayant participé au processus ait fait des recherches sur Google pour trouver le nom d’un candidat ou d’une université. De fait, M. Lavergne et la Capt Sullivan ont affirmé catégoriquement qu’ils ne font jamais de recherches sur Google concernant des candidats lorsqu’ils prennent part à un processus de dotation, car, selon la Capt Sullivan, il y a tellement de candidats que ce serait une perte de temps.
[419] M. Rehman a fait observer que, dans une lettre envoyée par M. Hooey à l’agent des droits de la personne de la Commission le 22 février 2021, pendant l’enquête initiale de la Commission au sujet de la plainte, M. Hooey mentionnait la nomination de M. Pillai et précisait qu’il était né en Inde et avait obtenu ses diplômes dans des universités situées en Inde. Selon M. Rehman, le MDN devait donc connaître les origines des candidats.
[420] Je ne suis pas d’accord. Le document en question a été préparé bien après le processus de nomination et après le dépôt de la plainte par M. Rehman. M. Hooey a expliqué dans son témoignage que son équipe avait préparé la lettre susmentionnée après avoir effectué des recherches. Plusieurs témoins ayant joué un rôle dans le processus se souvenaient d’avoir reçu un appel de personnes qui faisaient probablement partie de l’équipe de M. Hooey. À ce moment-là, M. Pillai avait travaillé à la base pendant des années avant de retourner à Toronto, de sorte qu’il est évident qu’on le connaissait personnellement à Cold Lake. En outre, la preuve indiquait entre autres que, dans le cadre de la vérification finale de sécurité devant être faite avant l’embauche des personnes nommées, celles-ci devaient remplir un questionnaire détaillé et fournir des pièces d’identité, comme un passeport, ce qui fournissait des renseignements sur leur lieu de naissance. Il s’agit là de différentes hypothèses pouvant expliquer l’origine de la déclaration de M. Hooey. Pour les motifs que je viens d’exposer, je ne suis pas persuadé que la lettre de M. Hooey démontre que les personnes ayant participé au processus de nomination des années auparavant avaient quelque connaissance que ce soit au sujet des origines de MM. Rehman ou Pillai lorsque ceux-ci étaient toujours candidats.
[421] M. Rehman a aussi fait remarquer que, dans une autre lettre envoyée à la Commission le 8 juillet 2021, M. Hooey affirme que M. Suman s’était identifié comme membre d’une minorité visible. Or, selon la preuve présentée à l’audience, M. Suman n’a jamais coché la case indiquant qu’il appartenait à une minorité visible lorsqu’il a postulé. M. Rehman soutient que la seule raison pour laquelle M. Hooey aurait fait cette affirmation est qu’il supposait qu’une personne du nom de M. Suman appartenait à une minorité visible, ce qui vient renforcer l’allégation de M. Rehman selon laquelle le MDN établit le profil des personnes en fonction de leur nom.
[422] Cet argument ne me convainc pas non plus. Il est difficile de savoir pourquoi M. Hooey a affirmé dans sa lettre que M. Suman était membre d’une minorité visible. M. Rehman a appelé M. Hooey à témoigner, mais ne l’a jamais interrogé à ce sujet. Comme je l’ai mentionné, M. Hooey n’a pas pris part au processus de nomination. Pratiquement tous les témoins qui ont participé au processus de nomination ont dit qu’ils n’avaient jamais entendu parler de M. Hooey lorsqu’ils ont été interrogés à son sujet. M. Hooey s’est fondé sur les recherches effectuées par son équipe pour répondre à l’agent des droits de la personne de la Commission. Au vu de la preuve limitée dont je dispose, je ne suis pas prêt à conclure que les gestionnaires d’embauche ayant pris part au processus de nomination qui s’est déroulé des années auparavant ont fait des suppositions en fonction du nom de M. Rehman ou de celui de tout autre candidat.
[423] En résumé, M. Rehman n’a pas prouvé que quiconque parmi les gestionnaires d’embauche ou les conseillers en dotation connaissait sa religion, sa couleur, sa race ou son origine nationale ou ethnique, en raison de son nom ou des renseignements figurant dans son curriculum vitæ.
(v) Mépris des considérations d’équité en emploi comme autre preuve de discrimination
[424] La Loi sur l’équité en matière d’emploi (L.C. (1995), ch. 44) (la « LEE ») a pour objet de réaliser l’égalité en milieu de travail pour quatre groupes désignés, soit les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les personnes qui font partie des minorités visibles (les « groupes visés par l’équité en emploi »). Selon la LEE, les employeurs sous réglementation fédérale doivent déterminer et supprimer les obstacles à la carrière et instaurent des règles et des usages pour que le nombre de membres des groupes visés par l’équité en emploi reflète leur représentation au sein de la population. Comme il appartient à l’administration publique centrale fédérale, le MDN est assujetti à la LEE.
[425] Pendant la période en cause, soit de 2016 à 2018, la Politique sur l’équité en emploi du Conseil du Trésor du Canada, créée en vue de donner suite aux obligations découlant de la LEE, était en vigueur. Elle a depuis été remplacée par la Directive sur l’équité en matière d’emploi, la diversité et l’inclusion, entrée en vigueur en 2020. La Commission soutient que les conseillers en dotation et les gestionnaires d’embauche du MDN ne connaissaient pas les principes d’équité en matière d’emploi ou en faisaient abstraction. Aucun effort n’a été déployé pour favoriser une main-d’œuvre diversifiée à Cold Lake, ce qui, selon la Commission, prouve qu’il s’agit d’un milieu plus propice à des comportements discriminatoires.
[426] L’annonce du processus de dotation en question mentionnait l’équité en matière d’emploi. Il y était indiqué, à la rubrique « Besoins organisationnels », que pour répondre aux besoins de diversification de l’effectif, la préférence pourrait être accordée aux personnes indiquant leur appartenance à l’un des groupes visés par la politique d’équité en matière d’emploi. Il était précisé que, si ce critère était utilisé, seuls les candidats qui avaient mentionné dans leur demande qu’ils sont membres de pareil groupe seraient considérés.
[427] Selon la preuve présentée, l’équité en emploi n’a été utilisée comme critère pour aucune des nominations effectuées.
[428] Les postulants pouvaient s’identifier comme membres d’un groupe visé par l’équité en emploi lorsqu’ils présentaient leur candidature dans le Système de ressourcement de la fonction publique. Des vingt personnes qui ont finalement été placées dans le bassin de candidats qualifiés, sept personnes s’étaient identifiées comme femmes et une personne (M. Rehman) avait indiqué appartenir à une minorité visible. En réalité, la preuve indique manifestement qu’il y avait beaucoup plus de femmes dans le bassin ainsi qu’au moins quatre autres membres de minorités visibles. Toutefois, l’auto-identification est volontaire et ce ne sont pas tous les candidats qui ont décidé de s’auto-identifier.
[429] Mme St. Amand a expliqué que, au cours de ses discussions initiales avec les gestionnaires d’embauche, elle leur présentait la possibilité de cibler les candidats qualifiés membres des groupes visés par l’équité en emploi. Des données étaient ensuite produites au moyen d’un [traduction] « calculateur relatif à l’équité en matière d’emploi »
, ce qui permettait de voir quels groupes visés par l’équité en emploi étaient sous-représentés, le cas échéant. Des résultats du calculateur pour les postes des niveaux CR-03 et CR-04, visant la période de 2016 et 2017, ont été produits en preuve. Ils montraient tous que, dans le secteur du MDN dont faisait partie la BFC de Cold Lake, aucun des groupes visés par l’équité en emploi n’était sous-représenté. À l’échelle nationale, il y avait une sous-représentation des personnes membres de minorités visibles aux postes de niveau CR-04, mais non aux postes de niveau CR-03.
[430] Sylvie Beaulne est une ancienne gestionnaire des RH qui est maintenant responsable à l’échelle nationale de l’équipe de dotation du MDN qui s’occupe des nominations externes. Dans son témoignage, elle a expliqué que, qu’il y ait ou non une sous-représentation ou un [traduction] « écart » en matière de représentation chez les membres d’un groupe visé par l’équité en emploi, l’employeur n’a aucune obligation de tenir compte des considérations relatives à l’équité en emploi. L’existence d’un écart ne constitue qu’un indicateur. Les membres du personnel des RH chargés de conseiller la direction au sujet du processus de nomination sont censés discuter avec le gestionnaire d’embauche de la possibilité de tenter de combler tout écart existant.
[431] Aucun des gestionnaires avec qui Mme St. Amand a collaboré ne souhaitait cibler uniquement des personnes appartenant aux groupes d’équité en emploi. Elle a expliqué que les gestionnaires dans des endroits éloignés et de petite taille comme la BFC de Cold Lake étaient réticents à le faire de crainte de ne pas pouvoir recruter suffisamment de candidats qualifiés pour pouvoir créer un bassin adéquat pour les postes à pourvoir. La difficulté à recruter des candidats dans un endroit aussi éloigné est l’une des raisons pour lesquelles il avait été décidé de choisir des exigences peu élevées pour les qualifications essentielles liées aux études et à l’expérience pour ce processus et de le rendre accessible même aux Canadiens résidant à l’étranger.
[432] La Maj Demchuk a confirmé que, comme elle avait vu dans les résultats du calculateur qu’il n’y avait aucun écart dans sa région, elle avait choisi de ne pas tenir compte des considérations relatives à l’équité en emploi. Elle devait embaucher des personnes à un poste pour une durée déterminée de moins de un an, ce qui limitait déjà les candidats intéressés. Elle ne souhaitait pas appliquer de filtres supplémentaires, de crainte de n’obtenir qu’une ou deux candidatures.
[433] Mme Haynes a affirmé dans son témoignage qu’elle ne se souvenait même pas d’avoir soulevé la question de l’équité en emploi avec les gestionnaires avec qui elle avait collaboré dans le cadre du processus. Elle avait constaté que les résultats du calculateur n’indiquaient aucune sous-représentation pour les groupes d’équité en emploi dans la région et elle estimait qu’il n’y avait aucune obligation de tenir compte des considérations liées à l’équité en emploi. Cependant, comme Mme Beaulne l’a fait remarquer dans son témoignage, même lorsqu’aucun écart n’est observé, l’employeur peut malgré tout tenir compte de l’équité en emploi.
[434] La Commission est d’avis que les maigres efforts de l’équipe de dotation et de la direction sur le plan de l’équité en emploi témoignent d’une indifférence à l’égard de l’équité en emploi et de la diversité au sein du MDN. Plus de la moitié des gestionnaires qui ont témoigné ont affirmé qu’ils ne se souvenaient pas d’avoir jamais suivi de formation sur l’équité en emploi.
[435] Pendant l’audience, la Commission a renvoyé à un rapport de 2022 du bureau de l’Ombudsman intitulé L’équité en matière d’emploi et la diversité au sein du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes (le « rapport »). Un tableau contenu dans ce rapport montre que, vers la période au cours de laquelle les nominations ont été faites, le pourcentage de personnes appartenant à des minorités visibles à l’échelle de tout le MDN était inférieur aux « objectifs » du MDN, le manque à gagner variant entre 0,9 % et 1,6 %. La Commission soutient donc que le rapport met en lumière la présence de lacunes liées à l’équité en emploi dans la culture du milieu de travail au MDN. Cette culture donne lieu à des pratiques d’embauche discriminatoires qui contreviennent à la Loi, comme le démontre la présente affaire concernant M. Rehman.
[436] Il est toutefois intéressant de constater que, dans le rapport, il y a un autre tableau auquel la Commission n’a pas renvoyé et qui semble montrer que, pour la catégorie « Soutien administratif », qui engloberait les postes CR-03 et CR-04, aucun écart n’a été observé pour les groupes de minorités visibles et que leur représentation au sein de cette catégorie est en fait supérieure au nombre de personnes qualifiées et disponibles sur le marché du travail canadien.
[437] Je formule toutefois cette observation avec prudence, car, si le rapport a été versé en preuve, aucun des auteurs du rapport n’a été appelé à témoigner à son sujet. Par conséquent, le MDN s’oppose fortement à ce que des conclusions soient tirées à partir de ce rapport. La Commission avait indiqué dans son exposé des précisions qu’elle mentionnerait le rapport pour fournir un contexte et appuyer la plainte individuelle de M. Rehman. Le MDN soutient que la Commission ne peut pas considérer le rapport comme une preuve de discrimination, à plus forte raison qu’il n’a pas eu la possibilité de contre-interroger de témoin à ce sujet, contrairement à ce qu’exigerait l’équité procédurale.
[438] Aux pages 22 et 23 du rapport, il est question de plusieurs études et examens datant de 2001 à 2019, dans lesquels on mentionnait des obstacles qui entraînaient des « problèmes de recrutement pour certains groupes désignés ». Dans l’une de ces études, il aurait été constaté que le manque de connaissances des gestionnaires en matière d’équité en emploi donnait l’impression que les gestionnaires du MDN étaient réticents aux efforts d’équité en matière d’emploi, notamment qu’ils étaient réticents à se concentrer sur les membres qualifiés appartenant aux groupes désignés dans les pratiques de recrutement. Selon un autre examen effectué en 2019, les mêmes obstacles existaient toujours. Ces études n’ont pas été produites en preuve. Le rapport mentionnait également comme difficulté le manque de représentation des groupes désignés au sein des comités de sélection et de nomination. Dans le processus de nomination en cause dans la présente affaire, il semble que deux des membres du comité aient été des personnes racisées et que de nombreuses femmes y aient participé.
[439] Je suis d’accord pour dire que peu de poids peut être accordé aux conclusions du rapport, étant donné qu’il s’agit essentiellement de ouï‑dire et qu’il n’y a personne ayant participé à sa préparation qui a témoigné ou qui a été contre-interrogé.
[440] Par ailleurs, les faits relatifs à l’équité en emploi en l’espèce sont clairs. Les RH et la direction n’ont pas tenu compte des considérations d’équité en emploi principalement parce qu’il n’y avait pas d’écart en matière de représentation dans le secteur visé du ministère ou qu’elles craignaient que le bassin ne contienne pas suffisamment de candidatures. La plupart des gestionnaires d’embauche, qui n’étaient pas des employés du MDN, mais bien des officiers militaires des FAC, connaissaient peu les principes d’équité en matière d’emploi, voire pas du tout.
[441] Quoi qu’il en soit, il n’appartient pas au Tribunal de déterminer si le MDN s’est entièrement acquitté des obligations qui lui incombent sous le régime de la LEE. C’est à la Commission que revient ce rôle, puisqu’elle est chargée, en procédant à des vérifications de la conformité, de déterminer si les employeurs ont respecté leurs obligations (art. 22 de la LEE; voir Emmett, aux par. 176 et 179).
[442] Est-ce que les renseignements susmentionnés, compte tenu de l’ensemble de la preuve et des autres conclusions dans la présente affaire, permettent de conclure que M. Rehman a fait l’objet de discrimination du fait qu’il n’a pas été nommé? Non. Le MDN a justifié de manière raisonnable chaque nomination dans le cadre du processus de sélection en cause et le fait que M. Rehman n’a pas été sélectionné. M. Rehman et la Commission n’ont pas prouvé que ces explications constituaient un prétexte.
[443] Pour appuyer son argument, la Commission a indiqué qu’il existait des divergences entre les explications mentionnées plus haut et le contenu de l’exposé des précisions du MDN et a affirmé qu’il s’agissait là d’une preuve que les explications du MDN constituaient un prétexte visant à justifier la discrimination. Par exemple, le MDN avait écrit dans son exposé des précisions que six des postes pourvus relevaient du [traduction] « domaine de la santé » et que la candidature de M. Rehman n’avait pas été prise en considération pour ces postes parce qu’il ne possédait pas d’expérience dans ce domaine. Or, selon la preuve présentée, l’expérience dans le domaine de la santé ne constituait pas une exigence requise pour ces postes. D’autres divergences ont été relevées, comme l’information dans l’exposé des précisions selon laquelle des anciens combattants avaient été nommés à certains postes, ce qui est faux, et le fait qu’il n’avait pas été mentionné que les gestionnaires privilégiaient les candidats qui vivaient à Cold Lake.
[444] Je ne suis pas convaincu par l’argument de la Commission. L’exposé des précisions de M. Rehman contenait lui aussi certaines allégations dont le bien-fondé n’a pas été prouvé à l’audience, comme le fait que le MDN ne l’aurait jamais appelé. Il s’agit là de la raison d’être des audiences : avoir accès à la véritable preuve. Il serait toutefois problématique qu’une partie soit privée de son droit à l’équité procédurale en raison d’une fausse déclaration figurant dans l’exposé des précisions. Je ne crois pas que ce soit le cas dans la présente affaire, et ce, malgré le fait qu’il n’avait pas été précisé que les gestionnaires avaient une préférence pour les candidats vivant à Cold Lake. Cette information était clairement indiquée dans les échanges de courriel communiqués avant l’audience et par la suite déposés en preuve.
[445] Je suis toujours conscient qu’il faut tenir compte de toutes les circonstances pour voir s’il se dégage tout de même une subtile odeur de discrimination malgré les explications fournies. Je juge que ce n’est pas le cas en l’espèce, malgré le mépris ou le manque de considération qu’aurait affiché la direction à l’égard des principes d’équité en emploi en vigueur à l’époque.
VI. CONCLUSION
[446] Lorsque M. Rehman a présenté sa plainte, il était au courant de certains faits. Il avait postulé dans le cadre du processus de nomination en cause et avait été jugé qualifié. Il avait été informé que plusieurs postes devaient être pourvus et il avait dit aux responsables du MDN qu’il était intéressé par tous ces postes. Toutefois, il n’a pas été sélectionné en vue d’une nomination. Il a supposé que sa candidature avait été exclue parce que ses caractéristiques personnelles (race, couleur, origine nationale ou ethnique et religion) étaient faciles à déduire à la vue de son nom et de ses attestations d’études. En se fondant peut-être en partie sur son expérience préalable, c’est-à-dire sur le fait qu’il n’avait pu obtenir d’emploi satisfaisant, il a supposé que tous les candidats nommés étaient « Blancs » et n’étaient pas issus de l’immigration. Il a donc déposé sa plainte.
[447] L’audience relative à la plainte a permis de mettre au jour tous les faits relatifs au processus de nomination, à la candidature de M. Rehman et aux raisons pour lesquelles il n’avait pas été nommé. Nous avons ainsi appris que M. Rehman n’avait pas les qualifications requises pour cinq des nominations, de sorte que sa candidature a dû être écartée pour ces postes. Pour les autres nominations, soit il n’avait pas encore été jugé qualifié, soit sa candidature n’avait simplement pas été prise en considération pour de nombreuses raisons, comme le fait qu’il ne vivait pas à Cold Lake ou qu’un autre candidat possédait une expérience plus appropriée pour le poste.
[448] M. Rehman n’a pas prouvé que des motifs de distinction illicite ont constitué un facteur dans l’une ou l’autre des décisions de nommer d’autres personnes que lui. La Commission n’a pas prouvé non plus que l’application de ces critères par ailleurs non discriminatoires avait eu pour effet d’exclure M. Rehman ou des personnes possédant les mêmes caractéristiques personnelles que lui.
[449] Il n’y avait pas qu’une seule personne qui n’était « pas Blanche » parmi les personnes nommées, contrairement à ce qu’avait supposé M. Rehman. En réalité, 3 des 13 personnes nommées appartenaient à des minorités visibles. Par ailleurs, comme le fait observer le Tribunal aux paragraphes 75 et 77 de la décision Emmett, renvoyant à la décision Canada (Procureur général) c. Walden, 2010 CF 490, aux paragraphes 109 à 112, le plaignant ne peut pas établir sa preuve en se fondant seulement sur des données statistiques. Pour que des données statistiques constituent une preuve circonstancielle de discrimination, il faut qu’elles aient un lien direct avec la décision qui constitue l’objet de la plainte.
[450] La présence d’un tel lien n’a pas été prouvée en l’espèce. Au contraire, la preuve montre clairement que M. Rehman n’a pas été nommé pour des raisons qui n’avaient pas le moindre lien avec ses caractéristiques personnelles. Les motifs de distinction illicite n’ont pas constitué un facteur dans les décisions de ne pas le nommer.
[451] Pour les motifs qui précèdent, la plainte est rejetée.
Signée par
Membre du tribunal
Ottawa (Ontario)
Le 5 mars 2025
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéro du dossier du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Dates et lieu de l’audience :
Par vidéoconférence
Observations écrites finales, les 18 et 19 mars 2024,
et les 2 et 9 avril 2024.
Comparutions :
Barry Benkendorf et Alexandra Warkentin, pour