Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Tribunal's coat of arms

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2025 TCDP 7

Date : Le 31 janvier 2025

Numéro du dossier : T2201/2317

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Tesha Peters

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

United Parcel Service Canada Ltd. et Linden Gordon

les intimés

Décision sur requête concernant l’adjudication de dommages-intérêts distincts contre l’employeur intimé

Membre : Kathryn A. Raymond, c.r.


Table des matières

I. APERÇU DE LA QUESTION 1

II. DÉCISION 2

III. CONTEXTE 6

IV. QUESTIONS EN LITIGE 8

V. POSITIONS DES PARTIES 10

A. Position de Mme Peters 10

B. Position de la Commission 13

C. La position d’UPS 14

D. Position de M. Gordon 15

VI. ANALYSE : DOMMAGES-INTÉRÊTS GÉNÉRAUX 15

A. Interprétation et application de la Loi 15

(i) Approche permettant de déterminer la compétence relative aux mesures de réparation 15

(ii) Le paragraphe 65(2) de la LCDP ne confère pas au Tribunal le pouvoir de rendre une deuxième ordonnance de dommages-intérêts contre UPS en vertu de l’alinéa 53(2)e) pour le harcèlement sexuel subi par Mme Peters. 17

(a) Interprétation du paragraphe 65(2) 17

(b) Application du paragraphe 65(2) 21

(iii) Comment le paragraphe 65(1) de la LCDP devrait-il être interprété et appliqué aux fins de la compétence? 22

(a) Interprétation du paragraphe 65(1) 22

(b) Application du paragraphe 65(1) 26

(iv) Le Tribunal ne peut s’appuyer sur le paragraphe 65(1) de la LCDP pour condamner UPS à verser des dommages-intérêts distincts en réparation du harcèlement sexuel sur le fondement de l’alinéa 53(2)e) 31

(v) L’alinéa 14(1)c) de la LCDP ne confère pas au Tribunal le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts distincts au titre de l’alinéa 53(2)e) contre UPS, en réparation du harcèlement sexuel 34

(vi) Le défaut d’UPS de fournir un environnement de travail sûr et exempt de harcèlement à Mme Peters ne confère pas au Tribunal le pouvoir d’ordonner à UPS de verser des dommages-intérêts distincts en réparation du harcèlement sexuel sur le fondement des alinéas 14(1)c) et 53(2)e) 37

(a) Introduction 37

(b) Analyse de la décision Willcott 38

(c) Analyse de la décision Laskowska 39

(d) Analyse de la décision N.A. 41

(e) Divergences dans les décisions de notre Tribunal 47

(f) Conclusion 49

B. Application de la décision relative à la décision sur requête concernant le plafond prévu par la Loi : UPS et M. Gordon ne sont pas des intimés distincts sur le plan juridique 50

VII. ANALYSE : DOMMAGESINTÉRÊTS SPÉCIAUX 53

VIII. CONCLUSION 57

IX. APPLICATION DES CONCLUSIONS DE DROIT 59

X. ORDONNANCE 61

 

 


I. APERÇU DE LA QUESTION

[1] Dans la décision Peters c. United Parcel Service Canada Ltd. et Gordon, 2022 TCDP 25 (CanLII) (la « décision concernant la responsabilité »), le Tribunal a conclu que Linden Gordon avait harcelé sexuellement la plaignante. L’employeur de M. Gordon, United Parcel Service of Canada Ltd. (« UPS »), s’était fondé sur le moyen de défense prévu au paragraphe 65(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP » ou la « Loi »), dans le but de se soustraire à sa responsabilité relative aux actes posés par M. Gordon. Cependant, UPS n’a pas établi qu’elle satisfaisait au critère énoncé au paragraphe 65(2) et le Tribunal a conclu qu’elle était responsable de la conduite de M. Gordon, au titre du paragraphe 65(1) de la LCDP.

[2] Mme Peters demande au Tribunal de conclure que M. Gordon et UPS, les intimés, sont responsables, conjointement et solidairement, du harcèlement sexuel commis par M. Gordon. Pour ce motif, elle demande aussi au Tribunal de lui accorder divers dommages-intérêts en raison du harcèlement sexuel commis par M. Gordon. Lorsqu’elle demande au Tribunal d’ordonner aux intimés de lui verser des dommages-intérêts [traduction] « conjointement et solidairement », Mme Peters demande à celui-ci d’ordonner qu’UPS et M. Gordon se partagent la responsabilité du paiement de tous dommages-intérêts accordés du fait de la conduite de M. Gordon, et, en même temps, qu’ils soient tenus individuellement responsables du paiement de tous dommages-intérêts adjugés par le Tribunal.

[3] Dans le cadre de sa requête visant à obtenir des dommages-intérêts, Mme Peters demande qu’UPS et M. Gordon lui versent, conjointement et solidairement, des dommages-intérêts généraux et spéciaux pour le harcèlement sexuel que M. Gordon lui a fait subir. Le Tribunal examinera, dans une décision distincte, la question de savoir s’il devrait accorder des dommages-intérêts pour le harcèlement sexuel commis par M. Gordon, et, dans l’affirmative, le montant de ces dommages-intérêts, ainsi que la question de savoir si les deux intimés devraient être tenus responsables, conjointement et solidairement.

[4] La présente décision sur requête porte sur la demande de Mme Peters en vue d’obtenir une réparation distincte de 20 000 $ en dommages-intérêts généraux contre UPS pour le harcèlement sexuel qu’elle a subi, au titre du paragraphe 65(2). Mme Peters fait valoir que cette réparation est justifiée compte tenu du défaut d’UPS de signifier son non-consentement aux actes de harcèlement de M. Gordon, ainsi que d’empêcher et d’atténuer le harcèlement sexuel dont elle a été victime au travail du fait de la conduite de M. Gordon. Mme Peters soutient en outre que le Tribunal devrait accorder 20 000 $ en dommages-intérêts spéciaux contre UPS pour sa conduite délibérée ou inconsidérée ayant exacerbé les actes de M. Gordon, ainsi que son défaut d’examiner sa plainte avant septembre 2015. De la même façon, elle demande au Tribunal de conclure qu’UPS et M. Gordon sont responsables, conjointement et solidairement, des adjudications distinctes contre UPS pour son rôle dans le harcèlement sexuel.

[5] La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») soutient que le paragraphe 53 de la LCDP autorise le Tribunal à rendre une ordonnance accordant des dommages-intérêts jusqu’à concurrence de 20 000 $ contre chaque intimé pour tout préjudice moral subi en raison d’un acte discriminatoire. Elle adopte également la position selon laquelle la LCDP permet l’adjudication de 20 000 $ supplémentaires en dommages-intérêts spéciaux contre tout intimé ayant commis un acte discriminatoire délibéré ou inconsidéré. Les positions de chacune des parties sont expliquées ci-après.

[6] La présente décision sur requête traite de la manière dont le Tribunal doit interpréter et appliquer le paragraphe 65 de la LCDP aux fins du régime de réparation de cette même loi. En particulier, elle répond à la question de savoir si la LCDP confère au Tribunal le pouvoir de rendre une deuxième ordonnance accordant des dommages-intérêts généraux et spéciaux contre UPS, à titre d’employeur de M. Gordon, compte tenu des arguments qui ont été présentés à l’appui d’une telle ordonnance.

II. DÉCISION

[7] Le paragraphe 65(2) de la LCDP ne confère pas au Tribunal le pouvoir d’ordonner des dommages-intérêts distincts contre UPS, comme le soutient Mme Peters. Il ne porte pas sur un « acte discriminatoire » au sens du régime législatif de la LCDP. Le moyen de défense prévu au paragraphe 65(2) est seulement accessible aux employeurs ou aux fournisseurs de services intimés qui sont en mesure d’établir qu’ils devraient être exonérés de leur responsabilité dans les actes et omissions commis par un employé, un mandataire, un administrateur ou un dirigeant ayant fait preuve de discrimination.

[8] De la même façon, le paragraphe 65(1) de la LCDP ne porte pas sur un acte discriminatoire. Cette disposition impose une responsabilité à l’employeur intimé; elle ne confère pas expressément le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts contre M. Gordon en raison du harcèlement sexuel qu’il a fait subir à Mme Peters, et n’autorise pas une seconde adjudication de dommages-intérêts contre UPS pour harcèlement sexuel ou d’autres réparations en tant que telles. Ce paragraphe doit être interprété conjointement avec les paragraphes 53(2) et 53(3) de la LCDP, qui autorisent l’adjudication de dommages-intérêts par le Tribunal. Le paragraphe 65(1), l’alinéa 53(2)e) et le paragraphe 53(3) doivent faire l’objet d’une interprétation contextuelle qui soit conforme aux dispositions de la LCDP, y compris celles qui définissent les actes discriminatoires, comme l’article 14, qui prévoit que le harcèlement sexuel constitue un acte discriminatoire.

[9] L’alinéa 53(2)e) et le paragraphe 53(3) confèrent au Tribunal le pouvoir de rendre une ordonnance réparatrice, notamment d’adjuger des dommages-intérêts généraux et spéciaux pour l’acte discriminatoire qu’est le harcèlement sexuel au sens de l’article 14 de la LCDP. Conformément à ces dispositions, le Tribunal doit conclure que la personne qui est présumée avoir commis le harcèlement sexuel constituant un acte discriminatoire est coupable avant d’adjuger des dommages-intérêts. Dans la présente plainte, M. Gordon est « la personne » qui a été trouvée coupable de l’« acte discriminatoire » de harcèlement sexuel au titre de l’article 14 de la LCDP. En théorie, le Tribunal peut rendre une ordonnance contre M. Gordon, lui enjoignant notamment de verser des dommages-intérêts en vertu de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) de la LCDP.

[10] Suivant le paragraphe 65(1) de la LCDP, UPS est réputée avoir commis les mêmes actes que M. Gordon. Le paragraphe 65(1) fait en sorte qu’UPS est réputée avoir commis les mêmes actes que « la personne » (à savoir M. Gordon) trouvée coupable du harcèlement sexuel qui constitue l’« acte discriminatoire » au titre de l’article 14 de la LCDP. Le paragraphe 65(1) fait en sorte qu’une ordonnance accordant des dommages-intérêts, que le Tribunal peut théoriquement rendre contre M. Gordon à titre de particulier intimé, peut également porter sur la responsabilité d’UPS et être rendue contre celle-ci. La manière dont le paragraphe 65(1) devrait être interprété et appliqué en ce qui concerne la relation entre UPS et M. Gordon, pour la conduite de ce dernier, sera expliquée dans une autre décision sur requête.

[11] Les paragraphes 65(1), 53(2) et 53(3) de la LCDP ne confèrent pas au Tribunal le pouvoir de rendre deux ordonnances distinctes accordant à Mme Peters des dommages-intérêts généraux et spéciaux en lien avec la conduite de M. Gordon, soit une ordonnance contre M. Gordon à l’égard de laquelle UPS est réputée légalement responsable, et une autre contre UPS. Le fait qu’UPS est réputée avoir adopté la même conduite que M. Gordon, au titre du paragraphe 65(1) de la LCDP, ne signifie pas que Mme Peters a été harcelée sexuellement à deux reprises. Rendre deux ordonnances accordant des dommages-intérêts pour le même préjudice entraînerait, de façon générale, une double indemnisation. La double indemnisation entraîne un enrichissement injustifié du plaignant et n’est pas autorisée par la législation.

[12] Le fait de nommer, en plus de l’employeur intimé, l’employé harceleur à titre d’intimé dans une procédure engagée devant le Tribunal concernant une plainte de harcèlement sexuel au titre de l’article 14 de la LCDP n’accroît pas le nombre d’actes discriminatoires qui sont réputés avoir été commis par l’employé harceleur dans le cadre de son emploi. Comme je l’ai expliqué, le paragraphe 65(1) de la LCDP prévoit que les actes discriminatoires du harceleur sont réputés avoir été commis par l’employeur. Cette disposition ne saurait raisonnablement être interprétée comme ayant pour effet d’accroître le nombre d’actes discriminatoires qui sont survenus; elle élargit plutôt la portée de la responsabilité pour les événements qui sont survenus de sorte qu’elle s’applique aussi à l’employeur. Par conséquent, désigner l’employé harceleur en tant qu’intimé n’a pas pour effet d’accroître le nombre d’ordonnances accordant des dommages-intérêts que le Tribunal peut rendre.

[13] Le Tribunal ne peut pas rendre deux ordonnances distinctes accordant des dommages-intérêts contre UPS et M. Gordon pour le harcèlement sexuel commis par ce dernier au motif qu’ils sont des intimés distincts sur le plan juridique. Selon le paragraphe 65(1) de la LCDP, l’employeur est réputé avoir commis les actes posés par l’employé trouvé coupable de harcèlement. Suivant le paragraphe 65(1), l’employeur et le harceleur ne sont pas des intimés distincts sur le plan juridique une fois que le Tribunal a conclu à l’application de ce même paragraphe. Le Tribunal peut rendre des ordonnances distinctes accordant des dommages-intérêts contre des intimés distincts sur le plan juridique (voir Peters c. United Parcel Service Canada Ltd. et Gordon, 2024 TCDP 140 (CanLII) (la « décision sur requête concernant le plafond prévu par la Loi »)). Cependant, étant donné qu’UPS est réputée avoir commis les mêmes actes que M. Gordon, conformément au paragraphe 65(1) de la LCDP, elle est réputée avoir commis l’acte discriminatoire de M. Gordon. M. Gordon et UPS ne sont pas des intimés distincts sur le plan juridique aux fins de l’adjudication de dommages-intérêts pour harcèlement sexuel, au titre des paragraphes 53(2) et 53(3) de la LCDP, contre « la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire » par application du paragraphe 65(1) de la LCDP.

[14] Pour déterminer le bien-fondé d’une allégation selon laquelle UPS a commis un acte discriminatoire de harcèlement sexuel distinct de celui de M. Gordon, le Tribunal doit conclure qu’UPS a elle-même adopté un comportement importun envers Mme Peters. Cette dernière s’appuie sur les actes distincts commis par UPS pour solliciter une ordonnance distincte accordant des dommages-intérêts relativement à l’acte discriminatoire qu’est le harcèlement sexuel. Cependant, la conduite sur laquelle Mme Peters se fonde est celle adoptée par UPS lorsqu’elle a omis d’empêcher le harcèlement sexuel et de le combattre, comme il a été conclu dans la décision concernant la responsabilité. La conduite d’UPS ne satisfait pas au critère juridique en matière de harcèlement sexuel au sens de l’article 14 de la LCDP, tel qu’il est défini dans la jurisprudence.

[15] En outre, compte tenu du libellé de la LCDP concernant l’acte discriminatoire de harcèlement sexuel, le Tribunal n’est pas autorisé à accorder des dommages-intérêts pour harcèlement sexuel contre UPS au motif qu’elle a omis de faire échec au harcèlement ainsi que d’en atténuer ou d’en annuler les effets. Dans d’autres ressorts, des dommages-intérêts peuvent être accordés contre un employeur intimé n’ayant pas maintenu un environnement de travail exempt de harcèlement sexuel compte tenu de son défaut de signifier son non-consentement au harcèlement, de l’empêcher ou d’en atténuer les effets. Cependant, le libellé de la LCDP ne dit rien à cet égard. Le défaut d’un employeur de maintenir un environnement de travail exempt de harcèlement et de discrimination aux termes de la LCDP prive celui-ci de la possibilité d’être exonéré, par le Tribunal, de sa responsabilité dans les actions commises par son employé, au titre du paragraphe 65(2) de la LCDP.

[16] Compte tenu des arguments présentés, l’article 65 de la LCDP, interprété individuellement ou conjointement avec l’article 14 et les paragraphes 53(2) et 53(3) de la LCDP, n’autorise pas le Tribunal à rendre essentiellement deux ordonnances accordant des dommages-intérêts généraux et spéciaux contre UPS pour le harcèlement sexuel constituant un acte discriminatoire que Mme Peters a subi.

III. CONTEXTE

[17] Le contexte entourant la plainte présentée par Mme Peters contre UPS et M. Gordon, ainsi que les conclusions du Tribunal, sont énoncés dans la décision concernant la responsabilité. En outre, Mme Peters a déposé une requête au sujet de la manière dont le Tribunal devrait interpréter et appliquer le plafond de 20 000 $ prévu à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la LCDP, qui s’applique à l’adjudication de dommages-intérêts. Cette requête a donné lieu à la décision sur requête concernant le plafond prévu par la Loi ainsi qu’à la décision Peters c. United Parcel Service Canada Ltée et Gordon, 2025 TCDP 2 (CanLII) (la « décision sur requête concernant l’application du plafond prévu par la Loi aux intérêts »). Dans le contexte de la requête et des observations finales en vue de l’audience, le Tribunal a été invité à déterminer le nombre d’actes discriminatoires découlant des circonstances factuelles établies à partir de la plainte de Mme Peters, ainsi que le nombre d’ordonnances accordant des dommages-intérêts que le Tribunal pourrait théoriquement rendre contre l’un ou l’autre des intimés. Les présents motifs visent à englober les motifs des décisions susmentionnées, car la présente décision sur requête est largement fondée sur ceux-ci.

[18] Aux fins de déterminer si la plainte de Mme Peters était fondée et si sa requête concernant le plafond prévu par la Loi devait être tranchée, j’ai conclu, dans la décision concernant la responsabilité, que M. Gordon avait harcelé sexuellement Mme Gordon au sens de l’article 14 de la LCDP. Le Tribunal a aussi conclu qu’UPS était responsable d’avoir fait preuve de discrimination envers Mme Peters pour le motif de la déficience, au sens de l’article 7 de la LCDP. Cette dernière conclusion est fondée sur les actes et les omissions d’autres membres du personnel d’UPS qui, contrairement à M. Gordon, ne sont pas nommés à titre d’intimés dans la présente plainte. Compte tenu de la nécessité de statuer sur la manière d’interpréter et d’appliquer le plafond prévu par la Loi, le Tribunal n’a pas rendu de décision définitive, dans la décision concernant la responsabilité, quant au nombre d’actes discriminatoires distincts dont chaque intimé a été trouvé coupable aux fins de l’adjudication des dommages-intérêts.

[19] Comme il est expliqué dans la décision concernant la responsabilité, UPS a tenté de se fonder sur le moyen de défense prévu au paragraphe 65(2) de la LCDP relativement au harcèlement sexuel que M. Gordon a fait subir à Mme Peters. Cependant, le Tribunal a conclu qu’UPS ne pouvait pas être exonérée de sa responsabilité dans le harcèlement commis par M. Gordon envers Mme Peters, au titre du paragraphe 65(2) de la LCDP. À cet égard, le Tribunal a tiré des conclusions de fait qui peuvent être résumées de la façon suivante : UPS a omis de signifier son non-consentement au harcèlement, de mettre en place une politique efficace pour contrer le harcèlement sexuel sur le lieu de travail, de former efficacement sa main-d’œuvre sur le sujet du harcèlement, d’enquêter en temps opportun la plainte de harcèlement sexuel de Mme Peters, ainsi que de prendre des mesures afin d’atténuer les répercussions de la discrimination sur Mme Peters. Les conclusions du Tribunal relatives à la conduite d’UPS sont pertinentes en l’espèce.

[20] Dans sa requête concernant l’interprétation et l’application du plafond prévu par la Loi ainsi que ses observations finales, Mme Peters a demandé au Tribunal de conclure que, compte tenu des faits de la présente affaire, elle avait subi cinq actes discriminatoires de harcèlement sexuel, et que chacun des intimés avait commis les cinq actes discriminatoires pour des « motifs [...] différents ». Ces « motifs [...] différents » renvoient au fait que M. Gordon a harcelé Mme Peters et qu’UPS a omis de signifier son non-consentement à l’égard de ce harcèlement, de l’empêcher ou d’en atténuer les effets.

[21] Dans la décision sur requête concernant le plafond prévu par la Loi, le Tribunal a conclu qu’il lui était uniquement loisible de rendre une ordonnance de dommages-intérêts généraux et une ordonnance de dommages-intérêts spéciaux pour l’acte discriminatoire que constitue le harcèlement sexuel par intimé distinct sur le plan juridique, en vertu de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) de la LCDP. Il a conclu que M. Gordon avait commis un acte discriminatoire en se livrant à du harcèlement sexuel au sens de l’article 14 de la LCDP, et non à cinq actes discriminatoires, comme le soutenait Mme Peters. Le Tribunal a confirmé qu’UPS avait commis un acte discriminatoire pour le motif de la déficience, au sens de l’article 7 de la LCDP. Cependant, il a indiqué qu’il trancherait la question de savoir si UPS avait également fait preuve de l’acte discriminatoire qu’est le harcèlement sexuel, en plus de porter la responsabilité des comportements de harcèlement sexuel de M. Gordon envers Mme Peters conformément au paragraphe 65(1) de la LCDP, dans une autre décision sur requête. Cette question sera tranchée dans la présente décision sur requête. Il s’agit également d’établir si M. Gordon et UPS sont des intimés distincts sur le plan juridique aux fins de l’adjudication des dommages-intérêts. Comme il a été expliqué plus haut, le Tribunal statuera sur la manière dont il interprétera et appliquera le paragraphe 65(1) de la LCDP en ce qui concerne les deux intimés au moment de rendre une ordonnance accordant des dommages-intérêts dans une autre décision sur requête.

IV. QUESTIONS EN LITIGE

[22] Les membres du personnel ont un droit implicite à un environnement de travail exempt de harcèlement, y compris de harcèlement sexuel, au titre de l’effet opérationnel de la LCDP. Ce fait n’est pas contesté. La LCDP oblige les employeurs à garantir un milieu de travail exempt de harcèlement sexuel. Cette obligation a été établie par des précédents tels que l’arrêt Janzen c. Platy Enterprises Ltd. [Janzen], [1989] 1 RCS 1252, à la page 1284, 1989 CanLII 97 (CSC) , à la page 33, où la Cour suprême du Canada a tiré la conclusion suivante :

Sans chercher à fournir une définition exhaustive de cette expression, j’estime que le harcèlement sexuel en milieu de travail peut se définir de façon générale comme étant une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour les victimes du harcèlement. C’est un abus de pouvoir, comme l’a souligné l’arbitre Shime dans la décision Bell v. Ladas, précitée, et comme cela a été largement reconnu par d’autres arbitres et commentateurs.

[23] Dans la décision Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées) (1re inst.), 1999 CanLII 7907 (CF), [1999] 3 CF 653, 1999 CanLII 18902 (FC) [Franke], la Cour fédérale a affirmé qu’« [a]u cours des dernières années, les cours de justice et les tribunaux administratifs ont insisté pour qu’un certain degré de vigilance soit exercé dans le milieu de travail, les employeurs devant assurer un milieu de travail libre de harcèlement », et elle a indiqué que les employeurs sont tenus de donner suite aux cas de harcèlement signalés. Ce fait n’est pas non plus contesté. La question à trancher est celle de savoir si la LCDP confère au Tribunal le pouvoir de rendre une ordonnance distincte accordant des dommages-intérêts contre un employeur qui enfreint ce droit implicite, en plus du pouvoir d’accorder des dommages-intérêts relatifs au harcèlement en tant que tel. Le Tribunal doit s’assurer qu’il a la compétence et le pouvoir nécessaires afin de rendre toute ordonnance proposée en vertu de la LCDP.

[24] Mme Peters a présenté des observations restreintes à l’appui de sa requête visant à obtenir des dommages-intérêts généraux et spéciaux, distincts et additionnels, de la part d’UPS pour le harcèlement sexuel qu’elle a subi. La Commission a soutenu que le Tribunal a bel et bien le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts distincts contre M. Gordon et UPS pour harcèlement sexuel. UPS n’a pas présenté d’observations sur ce point et semble avoir présumé que le Tribunal a le pouvoir de rendre deux ordonnances pour chaque type de dommages-intérêts contre les intimés relativement au harcèlement sexuel.

[25] Je trancherai les questions suivantes dans la présente décision sur requête :

i) Le paragraphe 65 de la LCDP confère-t-il au Tribunal le pouvoir de rendre deux ordonnances distinctes accordant des dommages-intérêts généraux à Mme Peters au titre de l’alinéa 53(2)e) relativement à l’acte discriminatoire qu’est le harcèlement sexuel? En particulier, le Tribunal peut-il rendre les ordonnances suivantes :

a. une ordonnance de dommages-intérêts généraux pour les comportements de harcèlement sexuel de M. Gordon, dont UPS porte la responsabilité;

b. une deuxième ordonnance distincte de dommages-intérêts généraux contre UPS pour sa propre conduite lorsqu’elle a omis de ne pas consentir au harcèlement sexuel commis par M. Gordon, de l’empêcher ainsi que d’en atténuer les effets?

ii) Dans le même ordre d’idées, le paragraphe 65(2) de la LCDP confère-t-il au Tribunal le pouvoir de rendre deux ordonnances accordant des dommages-intérêts spéciaux à Mme Peters en vertu du paragraphe 53(3) relativement à l’acte discriminatoire qu’est le harcèlement sexuel? En particulier, le Tribunal peut-il rendre les ordonnances suivantes :

a. une ordonnance dans le cas où le Tribunal conclut que M. Gordon a commis un acte délibéré ou inconsidéré dont UPS est responsable;

b. une deuxième ordonnance supplémentaire de dommages-intérêts spéciaux contre UPS dans le cas où le Tribunal conclut que cette dernière a adopté un comportement délibéré ou inconsidéré relativement à son défaut de signifier son non-consentement, d’empêcher le harcèlement sexuel commis par son employé, M. Gordon, contre Mme Peters, ou d’en atténuer les effets?

iii) Quelle est l’incidence de la présente décision sur requête sur la demande de réparations personnelles de Mme Peters?

[26] Les questions qui précèdent ont été organisées en fonction des arguments présentés par Mme Peters et la Commission.

V. POSITIONS DES PARTIES

A. Position de Mme Peters

[27] Comme je l’ai mentionné, Mme Peters a présenté des observations limitées à l’appui de sa requête visant à ce que le Tribunal ordonne aux deux intimés de lui verser des dommages-intérêts. Dans ses observations, Mme Peters a présenté une liste définitive des ordonnances qu’elle avait sollicitées auprès du Tribunal à la suite de la partie de l’audience consacrée à la preuve. (La requête par laquelle elle a demandé au Tribunal de lui accorder des dommages-intérêts généraux pour chacun des cinq actes discriminatoires résultant de la conduite de M. Gordon peut être écartée compte tenu de la décision sur requête concernant le plafond prévu par la Loi.) Comme il est expliqué plus haut, le Tribunal a conclu, dans la décision concernant la responsabilité, que M. Gordon avait commis l’acte discriminatoire qu’est le harcèlement sexuel, et qu’UPS en était responsable au titre du paragraphe 65(1) de la LCDP. Les motifs présentés par Mme Peters à l’appui de sa requête visant à d’obtenir des dommages-intérêts distincts de la part d’UPS pour le harcèlement sexuel qu’elle a subi, en plus des dommages-intérêts liés à la conduite de M. Gordon, sont incorporés dans la liste des ordonnances qu’elle sollicite :

[traduction]

Une indemnité de 20 000 $ en dommages-intérêts généraux de la part d’UPS pour chacun des cinq actes par lesquels cette dernière, à titre d’employeur, a consenti au harcèlement sexuel commis par M. Gordon envers Mme Peters, et pour avoir omis d’adopter les mesures nécessaires afin d’empêcher le harcèlement sexuel et d’en atténuer les effets conformément au paragraphe 65(2) de la LCDP, pour un montant total de 100 000 $ en dommages-intérêts généraux.

Une indemnité de 20 000 $ en dommages-intérêts spéciaux de la part d’UPS pour sa conduite délibérée et inconsidérée ayant exacerbé les actes de M. Gordon, ainsi que son défaut d’examiner la plainte de Mme Peters avant septembre 2015 en ce qui concerne chacun des cinq actes de harcèlement sexuel perpétrés par M. Gordon, pour un montant total de 100 000 $ en dommages-intérêts spéciaux pour harcèlement sexuel. [Non souligné dans l’original.]

[28] Mme Peters énonce expressément qu’elle sollicite des dommages-intérêts généraux de la part d’UPS au titre du paragraphe 65(2) de la LCDP. Le fondement juridique qui sous-tend sa requête visant à obtenir des dommages-intérêts spéciaux de la part d’UPS est moins évident. Elle ne fait pas expressément référence au paragraphe 65(2) ou à d’autres articles de la LCDP en lien avec sa demande visant à obtenir des dommages-intérêts spéciaux de la part d’UPS. Comme je l’ai mentionné, par la présente requête, Mme Peters sollicite une [traduction] « indemnité de 20 000 $ en dommages-intérêts spéciaux de la part d’UPS pour sa conduite délibérée et inconsidérée ayant exacerbé les actes de M. Gordon, ainsi que son défaut d’examiner la plainte de Mme Peters avant septembre 2015 en ce qui concerne chacun des cinq actes de harcèlement sexuel perpétrés par M. Gordon ». Elle n’a pas directement expliqué la nature de l’indemnité relative à la conduite ayant [traduction] « exacerbé les actes de M. Gordon », mais celle-ci semble liée au défaut d’UPS de signifier son [traduction] « non-consentement » au harcèlement sexuel, ainsi que d’en [traduction] « atténuer les effets ». Le témoignage de Mme Peters donne à penser qu’elle ne se sentait pas protégée par UPS, son employeur, et que le défaut de ce dernier d’atténuer les effets de la discrimination a exacerbé les répercussions de la conduite de M. Gordon. Le [traduction] « défaut d’examiner la plainte de Mme Peters avant septembre 2015 » est un exemple d’une situation où UPS a omis d’atténuer les effets du harcèlement sexuel; UPS n’était pas en position de prendre une décision quant à savoir comment atténuer les effets du harcèlement, puisqu’elle n’avait pas examiné la plainte de harcèlement sexuel déposée par Mme Peters. Le terme « atténuer » figure dans le libellé du paragraphe 65(2) de la LCDP. Par conséquent, il semble que Mme Peters sollicite des dommages-intérêts généraux et spéciaux additionnels contre UPS dans sa liste des mesures de réparation qu’elle cherche à obtenir, laquelle est consignée dans ses observations fondées sur le paragraphe 65(2) de la LCDP.

[29] La majorité des comportements adoptés par UPS sur lesquels s’appuie Mme Peters ont été examinés dans la décision concernant la responsabilité. Cependant, dans cette décision, le Tribunal n’a pas expressément tranché la question de savoir si la conduite d’UPS avait exacerbé les comportements de M. Gordon. Le Tribunal n’est pas tenu de trancher cette question aux fins de la réparation. Mme Peters semble se fonder sur l’article 65 de la LCDP pour demander que les conclusions factuelles tirées par le Tribunal au moment de déterminer si UPS pouvait s’appuyer sur le paragraphe 65(2) entraînent une ordonnance supplémentaire accordant des dommages-intérêts contre UPS pour les actes discriminatoires qu’elle a posés. J’ai reformulé les propos de Mme Peters concernant sa demande visant à obtenir une seconde adjudication de dommages-intérêts spéciaux contre UPS en reprenant les termes qu’elle avait utilisés en lien avec les dommages-intérêts généraux, lesquels traduisent plus exactement ses allégations et les conclusions du Tribunal.

[30] Mme Peters a aussi mentionné brièvement la décision Willcott c. Freeway Transportation Inc., 2019 TCDP 29 (CanLII) [Willcott], dans ses observations. Elle fait remarquer que les allégations présentées dans cette affaire comprenaient le défaut de l’employeur d’offrir un milieu de travail exempt de harcèlement sexuel.

B. Position de la Commission

[31] Comme il a déjà été expliqué, la Commission soutient que l’article 53 de la LCDP autorise le tribunal à accorder jusqu’à 20 000 $ contre chaque intimé pour indemniser la victime qui a souffert un préjudice moral en raison d’un acte discriminatoire, ainsi que 20 000 $ supplémentaires en dommages-intérêts spéciaux contre chacun des intimés pour leurs actes discriminatoires délibérés et inconsidérés. À cet égard, la Commission se fonde sur les paragraphes 349 et 353 de la décision N.A. c. 1416992 Ontario Ltd. et L.C., 2018 TCDP 33 (CanLII) [N.A.], dans laquelle le Tribunal a ordonné à la société et au particulier intimés de verser des dommages-intérêts. Elle se fonde également sur la décision rendue par le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario dans l’affaire Laskowska v. Marineland of Canada Inc., 2005 HRTO 30 (CanLII) [Laskowska], ainsi que sur d’autres décisions dans lesquelles notre Tribunal a adopté cette même approche, pour faire valoir qu’il a le pouvoir d’ordonner à UPS de payer des dommages-intérêts distincts compte tenu de son défaut de faire de la prévention et de traiter de la plainte. La Commission soutient que des dommages-intérêts devraient être accordés contre UPS au motif que cette dernière n’a pas pris de mesures pour empêcher le harcèlement sexuel et le combattre (p. ex., élaborer une politique sur la prévention du harcèlement, dispenser de la formation adéquate, mener une enquête appropriée, ainsi que faire part à Mme Peters et aux gestionnaires compétents de ses conclusions et des mesures adoptées).

[32] La Commission a présenté un argument semblable dans ses observations relatives à la requête ayant mené à la décision sur requête concernant le plafond prévu par la Loi. Elle a fait valoir qu’au moins trois actes discriminatoires distincts pourraient donner lieu à une indemnité, y compris [traduction] « les allégations relatives au défaut d’UPS de garantir un milieu de travail exempt de harcèlement ainsi que de combattre de façon appropriée le harcèlement sexuel, en application de l’article 14 et du paragraphe 65(2) de la LCDP ». Par conséquent, la Commission est d’accord avec Mme Peters pour dire que le Tribunal peut rendre des ordonnances distinctes accordant des dommages-intérêts contre UPS pour ses actes de harcèlement sexuel, en application de l’article 14 et du paragraphe 65(2) de la LCDP.

[33] La Commission soutient en outre qu’UPS a agi de façon délibérée et inconsidérée dans sa prévention du harcèlement sexuel et sa réponse à l’allégation de harcèlement sexuel. La Commission a présenté les arguments suivants dans ses observations écrites finales :

[traduction]

UPS avait une responsabilité accrue de répondre rapidement et adéquatement à toute allégation de harcèlement concernant ces deux employés. Elle a failli à sa tâche. De plus, elle n’a pas adopté des mesures de prévention adéquates, comme une politique pertinente de lutte contre le harcèlement, ni dispensé de formation à M. Gordon sur ces questions durant les quelques 11 années au cours desquelles il a travaillé comme superviseur à temps partiel. En outre, elle a omis de dispenser à la majorité des autres membres de son personnel de la formation sur la prévention du harcèlement. Par conséquent, UPS a manifesté un degré important d’insouciance à cet égard.

[34] La Commission a par ailleurs limité ses observations aux réparations d’intérêt public en ce qui concerne ces allégations.

C. La position d’UPS

[35] UPS n’a pas présenté d’observations en ce qui concerne les questions précises soulevées dans la présente décision sur requête. Elle n’a pas contesté les motifs énoncés dans la liste des dommages-intérêts sollicités par Mme Peters, dans laquelle cette dernière demande au Tribunal de conclure qu’UPS a commis l’acte discriminatoire que constitue le harcèlement sexuel, et qu’elle est également responsable des actions de M. Gordon compte tenu du paragraphe 65(1) de la LCDP. UPS ne s’est pas opposée à la proposition de Mme Peters et de la Commission selon laquelle la Loi conférait au Tribunal le pouvoir de rendre deux ordonnances accordant 20 000 $ en dommages-intérêts généraux ou deux ordonnances de dommages-intérêts spéciaux pour l’acte discriminatoire que constitue le harcèlement sexuel au motif qu’il y a deux intimés.

D. Position de M. Gordon

[36] Comme je l’ai mentionné dans la décision sur requête concernant le plafond prévu par la Loi, M. Gordon n’a pas directement pris position en ce qui concerne la requête de Mme Peters et les dommages-intérêts qu’elle sollicite contre UPS. Ses observations en ce qui concerne la réparation se limitent à l’argument selon lequel il ne possède que peu de moyens, voire aucun, pour payer les dommages-intérêts adjugés contre lui à titre personnel. M. Gordon a fait remarquer qu’il avait perdu son emploi chez UPS, était au chômage et avait des problèmes de santé.

VI. ANALYSE : DOMMAGES-INTÉRÊTS GÉNÉRAUX

Première question : L’alinéa 53(2)e) et l’article 65 de la LCDP confèrent-ils au Tribunal le pouvoir de rendre deux ordonnances enjoignant à UPS de verser des dommages-intérêts généraux à Mme Peters pour harcèlement sexuel, à savoir une ordonnance concernant la conduite de M. Gordon et une autre ordonnance concernant l’omission d’UPS de faire échec au harcèlement, ainsi que son défaut d’établir que l’acte a eu lieu sans son consentement, qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher, et qu’elle a tenté d’en atténuer ou d’en annuler les effets?

A. Interprétation et application de la Loi

(i) Approche permettant de déterminer la compétence relative aux mesures de réparation

[37] L’approche du Tribunal en ce qui concerne l’évaluation du pouvoir de réparation qui lui est conféré par la Loi a fait l’objet d’un examen dans la décision sur requête concernant le plafond prévu par la Loi sous la rubrique « Décisions clés concernant la compétence du Tribunal » (à partir du paragraphe 56). Le Tribunal a également adopté une approche contextuelle en matière d’interprétation législative afin de résoudre les questions de compétence relatives à la question de savoir si le plafond prévu par la Loi s’applique aux intérêts dans la décision sur requête concernant l’application du plafond prévu par la Loi aux intérêts. Le Tribunal s’appuie sur l’analyse des principes applicables d’interprétation législative, qui ont été examinés et appliqués dans ces décisions sur requête antérieures.

[38] Le Tribunal a notamment conclu ce qui suit au paragraphe 57 de la décision sur requête concernant le plafond prévu par la Loi :

Le Tribunal doit suivre le libellé clair de la Loi. Il n’a aucun pouvoir discrétionnaire d’agir autrement. Ainsi, le Tribunal ne peut pas réinterpréter la LCDP d’une manière qui reviendrait à y apporter une modification.

Je ne peux pas accorder une réparation qui n’est pas expressément prévue dans la Loi ou qui ne peut pas en être implicitement déduite.

[39] Comme il a été souligné dans la décision sur requête concernant l’application du plafond prévu par la Loi aux intérêts, de façon générale, la LCDP doit comprendre un libellé explicite accordant au Tribunal le pouvoir d’octroyer une réparation : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53 (CanLII), [2011] 3 RCS 471 [Mowat CSC]. L’arrêt Mowat CSC porte sur l’alinéa 53(2)c) de la LCDP, qui autorise le Tribunal à ordonner à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire d’indemniser la victime de la totalité des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte discriminatoire. (L’alinéa 53(2)d) permet également le remboursement des dépenses, un facteur qui n’est pas pertinent en l’espèce). Dans l’arrêt Mowat CSC, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la question de savoir si le libellé de l’alinéa 53(2)c), qui autorise le Tribunal à ordonner à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire d’indemniser la victime pour les « dépenses entraînées par l’acte », confère le pouvoir d’adjuger des dépens. Selon l’interprétation de la Cour suprême, le terme « dépenses » tel qu’il est utilisé dans la LCDP n’englobe pas les dépens engagés par le plaignant pour lutter contre la discrimination qu’il a subi. Elle a conclu que le terme « dépens » a un caractère différent et unique, et donc qu’il a une signification différente de celle du terme « dépenses ». Les juges LeBel et Cromwell ont écrit ce qui suit au nom de la Cour suprême, au paragraphe 33 de l’arrêt :

Il nous faut interpréter le texte législatif et discerner l’intention du législateur à partir des termes employés, compte tenu du contexte global et du sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la Loi, son objet et l’intention du législateur (E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87, cité dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21). Dans le cas d’une loi relative aux droits de la personne, il faut se rappeler qu’elle exprime des valeurs essentielles et vise la réalisation d’objectifs fondamentaux. Il convient donc de l’interpréter libéralement et téléologiquement de manière à reconnaître sans réserve les droits qui y sont énoncés et à leur donner pleinement effet (voir, p. ex., R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. 2008), p. 497-500). On doit tout de même retenir une interprétation de la loi qui respecte le libellé choisi par le législateur.

Les questions du caractère distinct des dépens et de l’absence de référence directe aux dépens dans la LCDP se sont avérées déterminantes dans l’arrêt Mowat CSC.

[40] Conformément à l’arrêt Mowat CSC, les termes choisis par le législateur à l’article 65 et ailleurs dans la LCDP doivent être respectés. Le Tribunal ne peut pas ajouter à la LCDP des termes qui n’y figurent pas ou qui ne sont pas nécessairement implicites.

(ii) Le paragraphe 65(2) de la LCDP ne confère pas au Tribunal le pouvoir de rendre une deuxième ordonnance de dommages-intérêts contre UPS en vertu de l’alinéa 53(2)e) pour le harcèlement sexuel subi par Mme Peters.

(a) Interprétation du paragraphe 65(2)

[41] L’article 65 est ainsi libellé :

Présomption

65 (1) Sous réserve du paragraphe (2), les actes ou omissions commis par un employé, un mandataire, un administrateur ou un dirigeant dans le cadre de son emploi sont réputés, pour l’application de la présente loi, avoir été commis par la personne, l’organisme ou l’association qui l’emploie.

Réserve

(2) La personne, l’organisme ou l’association visé au paragraphe (1) peut se soustraire à son application s’il établit que l’acte ou l’omission a eu lieu sans son consentement, qu’il avait pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher et que, par la suite, il a tenté d’en atténuer ou d’en annuler les effets. [Non souligné dans l’original.]

[42] Le paragraphe 65(2) de la LCDP n’autorise pas directement l’accès à une réparation. Le libellé de cette disposition ne confère pas au Tribunal le pouvoir de rendre une ordonnance accordant des dommages-intérêts. Les termes [traduction] « ordonnance » et « dommages-intérêts » n’apparaissent pas dans le paragraphe 65(2). En l’absence de libellé autorisant l’adjudication de dommages-intérêts, le paragraphe 65(2) de la LCDP, en tant que disposition autonome, n’autorise pas le Tribunal à ordonner à UPS de verser des dommages-intérêts.

[43] Comme il a été mentionné, le pouvoir du Tribunal de rendre une ordonnance réparatrice accordant des dommages-intérêts pour harcèlement sexuel repose sur l’alinéa 53(2)e) et le paragraphe 53(3) de la LCDP. Ces dispositions autorisent le Tribunal à rendre une ordonnance portant notamment sur l’adjudication de dommages-intérêts, dans le cas où la plainte est fondée. (Dans la présente partie des motifs, j’examine l’alinéa 53(2)e) de la LCDP, qui autorise l’adjudication de dommages-intérêts généraux. La question des dommages-intérêts spéciaux au titre du paragraphe 53(3) est examinée ci-après.)

[44] L’alinéa 53(2)e) de la LCDP confère au Tribunal le pouvoir d’accorder des [traduction] « dommages-intérêts généraux » afin d’indemniser une victime ayant souffert un préjudice moral du fait de l’acte discriminatoire que constitue le harcèlement sexuel. L’objet de l’alinéa 52(2)e) est d’offrir une indemnisation, assujettie au plafond prévu par la loi, pour le préjudice moral subi en raison d’un acte discriminatoire : Grant c. Manitoba Telecom Services Inc., 2012 TCDP 10 (CanLII), au par. 115.

[45] L’alinéa 53(2)e) énonce ce qui suit :

Plainte jugée fondée

53(2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

[...]

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral. [Non souligné dans l’original.]

[46] Le Tribunal a compétence pour rendre des ordonnances, en vertu du paragraphe 53(2) de la LCDP, contre la « personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire ». L’exigence législative selon laquelle une ordonnance doit être rendue contre la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire est une disposition essentielle de la LCDP. Tout au long de la LCDP, il est énoncé que c’est une « personne » qui fait preuve de discrimination et qui est sujette aux dispositions de la loi, y compris au paragraphe 53(2), qui utilise ce terme aux fins d’une ordonnance du Tribunal.

[47] Le deuxième critère énoncé au paragraphe 53(2) de la LCDP requiert que « la personne » ait été « trouvée coupable d’un acte discriminatoire ». Mme Peters soutient qu’UPS a commis un acte discriminatoire au titre du paragraphe 65(2) de la LCDP. Dans la décision sur requête concernant le plafond prévu par la Loi, le Tribunal a expliqué que l’article 39 requiert que les définitions des actes discriminatoires, qui se trouvent dans la partie I de la LCDP (aux articles 5 à 14.1), soient appliquées aux fins des dispositions réparatrices de la LCDP, qui relèvent de la partie III, y compris l’alinéa 53(2)e) et le paragraphe 53(3). L’article 39 exige que l’« acte discriminatoire » dont il est question à l’article 53 soit l’un des actes discriminatoires reconnus par la Loi et définis aux articles 5 à 14.1.

[48] L’article 65 n’est pas mentionné dans la définition de l’expression « acte discriminatoire » énoncée à l’article 39. L’article 39, qui définit ce qui constitue un acte discriminatoire aux fins d’une réparation sous le régime de la LCDP, précise clairement ce qui ne constitue pas un acte discriminatoire susceptible d’entraîner une réparation. Le législateur a exclu l’article 65 de la liste des dispositions, figurant dans la partie I de la LCDP, qui définissent les actes discriminatoires. Le paragraphe 65(2) de la LCDP ne définit pas un acte discriminatoire au sein du régime législatif.

[49] Par conséquent, le libellé du paragraphe 65(2), qui décrit les obligations de diligence raisonnable de l’employeur aux fins d’être exonéré de toute responsabilité, ne saurait être raisonnablement interprété comme créant un acte discriminatoire qui n’est pas déjà défini aux articles 5 à 14.1; autrement, le paragraphe 65(2) aurait figuré à l’article 39 en tant qu’acte discriminatoire ou aurait été désigné comme tel ailleurs dans la LCDP.

[50] La LCDP n’indique pas expressément que le paragraphe 65(2) vise à créer un acte discriminatoire distinct, de la part d’un employeur, qui n’est pas visé aux articles 5 à 14.1. Le défaut d’un employeur de faire preuve de diligence raisonnable au motif que « l’acte ou l’omission a eu lieu sans son consentement, qu’il [n’avait pas] pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher et que, par la suite, il [n’a pas] tenté d’en atténuer ou d’en annuler les effets », peut contribuer à causer un préjudice à un employé ou entraîner un tel préjudice ainsi que constituer un comportement moralement répréhensible, mais il ne s’agit pas d’un acte discriminatoire susceptible de faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal accordant des dommages-intérêts en vertu du paragraphe 53(2) de la LCDP.

[51] Comme il a été expliqué, le paragraphe 65(2) est un moyen de défense. Ce moyen de défense donne la possibilité à un employeur de se soustraire à l’application du paragraphe 65(1), qui, en l’absence d’une défense fructueuse au titre du paragraphe 65(2), prévoit que l’employeur est réputé avoir commis le harcèlement sexuel commis par la personne qu’il emploie. Les critères d’application de ce moyen de défense sont examinés dans la décision concernant la responsabilité : si l’employeur intimé est en mesure de prouver qu’il n’a pas omis de signifier son non-consentement au harcèlement (la double négation est intentionnelle), qu’il a pris des mesures de prévention adéquates et qu’il a fait preuve de diligence raisonnable dans le but d’atténuer les effets de la discrimination sur la victime, y compris mener une enquête en bonne et due forme concernant la plainte, il sera exonéré de l’application du paragraphe 65(1) de la LCDP. Il ne sera pas réputé avoir commis les mêmes actes et omissions que l’employé harceleur.

[52] Un employeur est libre de se prévaloir ou non d’un moyen de défense prévu par la Loi; son défaut de saisir la possibilité d’être exonéré pour les actes et omissions des membres de son personnel au titre du paragraphe 65(2) ne constitue pas un manquement à ce même paragraphe. Il faut plutôt comprendre que le paragraphe 65(2) est peu susceptible d’être soulevé par l’employeur ou que le Tribunal conclura que cette disposition ne s’applique pas.

[53] Le paragraphe 53(2) n’appuie pas l’observation de Mme Peters selon laquelle UPS a commis un acte discriminatoire au titre du paragraphe 65(2) de la LCDP. M. Gordon est une personne physique et UPS, une personne morale, définie comme étant une personne juridique : Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21. Cependant, pour l’application du paragraphe 53(2), M. Gordon est désigné comme étant « la personne » que le Tribunal a jugée coupable, dans la décision concernant la responsabilité, d’avoir commis l’« acte discriminatoire » qu’est le harcèlement sexuel, au sens de l’article 14; l’expression « la personne » est définie par son usage dans la LCDP et la Loi d’interprétation. Dans le contexte de l’interprétation et de l’application du paragraphe 65(2) de la LCDP, UPS n’est pas la personne trouvée coupable de l’acte discriminatoire que constitue le harcèlement sexuel.

[54] En résumé, le paragraphe 65(2) de la LCDP ne confère pas au Tribunal le pouvoir de conclure qu’UPS a commis l’acte discriminatoire que constitue le harcèlement sexuel de par ses propres actes et omissions en raison d’un manque de diligence raisonnable à titre d’employeur, indépendamment des actions du harceleur, au motif que le paragraphe 65(2) ne définit pas un acte discriminatoire. Dans la décision concernant la responsabilité, le Tribunal n’a pas conclu qu’UPS avait commis un acte discriminatoire au titre du paragraphe 65(2) de la LCDP au motif que le libellé de cette disposition n’autorise pas le Tribunal à tirer une telle conclusion. Il n’y a rien dans le paragraphe 65(2) qui constitue un acte discriminatoire. Au contraire, conformément à l’article 39, le paragraphe 65(2) ne peut en aucun cas être interprété comme constituant un acte discriminatoire. Le critère relatif à l’adjudication de dommages-intérêts énoncé au paragraphe 53(2), selon lequel UPS doit être « la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire », n’est pas rempli comme l’exige le paragraphe 65(2).

[55] Le régime législatif établi par le législateur exclut clairement l’existence d’un acte discriminatoire au paragraphe 65(2). Comme il a été expliqué, le Tribunal ne peut pas ajouter au paragraphe 65(2) des termes qui n’y figurent pas ou conclure qu’un acte discriminatoire découle nécessairement de cette disposition, compte tenu du libellé explicite de l’article 49, qui exclut l’article 65.

(b) Application du paragraphe 65(2)

[56] Le paragraphe 65(2) est conforme à l’un des objets de la LCDP, qui est d’encourager les employeurs du secteur fédéral à lutter de manière proactive contre la discrimination sur leurs lieux de travail, y compris contre le harcèlement sexuel, en vue de prévenir la discrimination. Dans le cas où la discrimination est attribuable aux actes et omissions d’un employé fautif et que l’employeur a fait preuve de diligence raisonnable afin d’empêcher la discrimination, le paragraphe 65(2) vise à encourager les employeurs à atténuer les effets préjudiciables de la discrimination. Pour ce faire, l’employeur doit enquêter sur les événements survenus. Il doit notamment déployer des efforts raisonnables pour communiquer avec la victime afin d’établir la nature des effets préjudiciables et la manière de les atténuer pour cette personne.

[57] Le libellé choisi par le législateur établit clairement que le particulier intimé assume l’entière responsabilité dans le cas où l’employeur intimé parvient à établir un moyen de défense au titre du paragraphe 65(2). Le paragraphe 65(2) de la LCDP récompense les employeurs qui favorisent des pratiques acceptables en matière de droits de la personne au travail; il ne constitue pas un acte discriminatoire distinct. Pour conclure en ce qui concerne la présente décision sur requête, le paragraphe 65(2) n’a aucune incidence sur le nombre d’actes discriminatoires dans la présente plainte.

[58] L’interprétation des paragraphes 65(2) et 53(2) considérés de pair montre que la LCDP ne confère pas au Tribunal le pouvoir de rendre deux ordonnances accordant des dommages-intérêts généraux pour l’acte discriminatoire qu’est le harcèlement sexuel : une pour la conduite de M. Gordon et une autre pour la conduite d’UPS relativement à son échec à établir le moyen de défense prévu au paragraphe 65(2).

(iii) Comment le paragraphe 65(1) de la LCDP devrait-il être interprété et appliqué aux fins de la compétence?

(a) Interprétation du paragraphe 65(1)

[59] Le paragraphe 65(1) de la LCDP attribue aux employeurs intimés une responsabilité en ce qui concerne les actes et omissions de leurs employés qui font preuve de discrimination, à moins que l’employeur n’établisse qu’il satisfait au critère permettant d’invoquer le moyen de défense prévu au paragraphe 65(2). Le paragraphe 65(1) crée une présomption relative à la responsabilité de l’employeur : Bouvier c. Metro Express, 1992 CanLII 1429 (TCDP), conf. par Canada (Commission canadienne des droits de la personne) et Bouvier c. Canada (Tribunal canadien des droits de la personne), 1993 CanLII 16518 (CF) [Bouvier]. Le paragraphe 65(1) créé une présomption, car il s’applique tant que le Tribunal n’a pas conclu que l’employeur intimé peut être exonéré de sa responsabilité dans les actions commises par l’employé harceleur, au titre du paragraphe 65(2).

[60] Lorsque le paragraphe 65(1) s’applique, il s’agit d’une version législative de la responsabilité stricte du fait d’autrui : décision concernant la responsabilité, aux par. 333 et 336. D’un point de vue conceptuel, la responsabilité créée par le paragraphe 65(1) est assez semblable au principe de responsabilité stricte en matière délictuelle en common law. Le paragraphe 65(1) est une forme de responsabilité stricte compte tenu de son application présumée, de l’utilisation de l’expression « sont réputés », qui semble revêtir un caractère obligatoire dans ce contexte, et du fait qu’il ne crée aucune distinction qui pourrait constituer une exception. En outre, à l’instar de la responsabilité stricte en matière délictuelle, l’application du paragraphe 65(1) est assujettie au principe qui correspond globalement à la défense de diligence raisonnable, que le législateur a essentiellement incluse dans la LCDP lorsqu’il y a ajouté l’ancien paragraphe 48(6), qui est maintenant le paragraphe 65(2).

[61] Cette responsabilité créée par la loi n’est pas identique à la responsabilité du fait d’autrui. Dans l’arrêt Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), 1987 CanLII 73 (CSC), [1987] 2 RCS 84 [Robichaud], la Cour suprême du Canada a conclu que la LCDP, en tant que loi, envisage de rendre les employeurs responsables de tous les actes commis par leurs employés même si elle ne contient pas de disposition précise à cet égard. Je fais remarquer que la Cour suprême n’a pas tranché cette affaire en se fondant sur la disposition qui constitue aujourd’hui le paragraphe 65(1) de la LCDP. Cependant, elle a conclu que la responsabilité imposée par la LCDP est propre aux dispositions de cette même loi et doit être interprétée comme telle. Elle a notamment conclu que les responsabilités imposées par la LCDP ne sont pas « axées sur la faute » (au paragraphe 11), et qu’elles diffèrent de la responsabilité du fait d’autrui en matière délictuelle, qui se limite aux actes commis par l’employé dans le cadre de son emploi (au paragraphe 12). La responsabilité de l’employeur repose plutôt sur les objets de la LCDP (au paragraphe 13). Au paragraphe 17, la Cour suprême a indiqué qu’« [i]l s’agit là d’un type de responsabilité qui se passe de tout qualificatif et qui découle purement et simplement de la loi ». Elle a toutefois reconnu que la responsabilité créée par la LCDP était semblable à la responsabilité du fait d’autrui.

[62] De même, l’article 65 est une version purement législative de la responsabilité de l’employeur en vertu de la LCDP et devrait être interprété comme tel. Bien qu’il ne corresponde pas exactement à la responsabilité du fait d’autrui en matière délictuelle, de façon générale, en tant que disposition emportant responsabilité, l’article 65 est semblable dans la mesure où il impose aux employeurs une responsabilité relative aux actes commis par leurs employés lorsque le paragraphe 65(2) ne s’applique pas. Compte tenu des exigences auxquelles un employeur doit satisfaire pour se fonder sur le moyen de défense prévu au paragraphe 65(2), le paragraphe 65(1) peut lui imposer une responsabilité dans le cas où il n’a pas commis de faute directe, et ce, peu importe ses intentions (une conclusion semblable a été tirée au paragraphe 15 de l’arrêt Robichaud). Par exemple, c’est notamment le cas lorsqu’un employé commet involontairement de la discrimination en raison d’un manque de connaissances et de compréhension attribuables à l’absence de diligence raisonnable, de la part de l’employeur, afin d’empêcher la discrimination dans le milieu de travail. Cette analyse du paragraphe 65(1) est compatible avec la conclusion tirée par la Cour suprême du Canada selon laquelle l’intention d’établir une distinction n’est pas une condition préalable à la conclusion de discrimination : Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, 1985 CanLII 18 (CSC), [1985] 2 RCS 536, au para. 14.

[63] La question de savoir si un employeur peut être tenu responsable des actes non autorisés commis par son employé, comme du harcèlement sexuel, était en cause dans des affaires de harcèlement sexuel antérieures à l’ajout à la LCDP en 1983 du paragraphe 48(5) (qui est maintenant le paragraphe 65(1)). Le législateur semble avoir réglé cette question par l’intermédiaire du libellé de l’ancien paragraphe 48(5) de la LCDP, maintenant le paragraphe 65(1), qui établit la responsabilité d’un employeur en ce qui concerne les actes commis par un employé « dans le cadre de son emploi ». Dans l’arrêt Robichaud, rendu après que LCDP a été modifiée, la Cour suprême du Canada a interprété cette idée, dans le contexte de l’alinéa 7b) de la LCDP, comme signifiant « relié aux fonctions ou à l’emploi » au paragraphe 12, lorsqu’elle a conclu que la LCDP faisait porter à l’employeur la responsabilité des actes commis par ses employés, qu’ils soient autorisés ou non.

[64] De la même façon, l’expression « dans le cadre de son emploi » figure dans le paragraphe 65(1) de la LCDP. Compte tenu de l’interprétation proposée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Robichaud ainsi que de la jurisprudence subséquente sur cette question, je conclus que le paragraphe 65(1) englobe, dans la portée de la responsabilité de l’employeur, les actes non autorisés commis en cours d’emploi.

[65] Le paragraphe 65(1) s’applique également sur toute la ligne aux fins de l’ensemble des actes discriminatoires énoncés dans la LCDP lorsqu’un employé est trouvé coupable de discrimination, y compris de harcèlement sexuel, et une approche cohérente est adoptée dans tous les cas.

[66] À titre de rappel, voici le libellé du paragraphe 65(1) de la LCDP :

Présomption

65 (1) Sous réserve du paragraphe (2), les actes ou omissions commis par un employé, un mandataire, un administrateur ou un dirigeant dans le cadre de son emploi sont réputés, pour l’application de la présente loi, avoir été commis par la personne, l’organisme ou l’association qui l’emploie.

[67] Conformément au paragraphe 65(1) de la LCDP, les actes de harcèlement sexuel commis par M. Gordon sont réputés avoir été commis par UPS, sauf si le paragraphe 65(2) s’applique. D’un point de vue conceptuel, UPS est réputée être la « personne » ayant harcelé sexuellement Mme Peters, et elle est réputée avoir commis le même acte discriminatoire que son employé. Le paragraphe 65(1) prévoit explicitement et clairement que l’employeur intimé est responsable de ses employés lorsque cette disposition s’applique.

[68] Cependant, le paragraphe 65(1) ne traite pas directement de la question de la réparation. Son libellé ne confère pas expressément au Tribunal le pouvoir de rendre une ordonnance accordant des dommages-intérêts contre UPS comme s’il s’agissait de l’employé harceleur. Le paragraphe 65(1) ne fait pas référence au pouvoir du Tribunal de rendre une ordonnance accordant des dommages-intérêts. Il ne prévoit pas qu’une adjudication distincte peut être accordée contre l’employeur pour les actes et omissions commis par le harceleur, ou que la réparation accordée contre le harceleur peut également être accordée contre l’employeur. Le paragraphe 65(1) de la LCDP n’indique pas comment il devrait être appliqué aux fins de l’octroi d’une réparation. Il établit une responsabilité et non une réparation.

(b) Application du paragraphe 65(1)

[69] Le fait que le paragraphe 65(1) de la LCDP ne prévoit pas comment il devrait être appliqué aux fins de l’octroi d’une réparation soulève une question quant à savoir comment il devrait s’appliquer dans le contexte d’une plainte. Cette question pourrait être exacerbée dans les affaires où il y a plus d’un intimé. À mon avis, il faut commencer par lire le paragraphe 65(1), l’alinéa 53(2)e) et le paragraphe 53(3) conjointement, ainsi que les interpréter et les appliquer dans le contexte du régime législatif de la LCDP.

[70] De plus, il apparaît clairement que, bien que le paragraphe 65(1) impose une responsabilité à l’employeur, cette disposition ne contient pas l’expression « acte discriminatoire ». Comme il a été expliqué plus haut dans le contexte du paragraphe 65(2) de la LCDP, le paragraphe 65(1) n’est pas désigné comme étant un acte discriminatoire au sens de l’article 39 de la LCDP. Conformément à l’article 39, le paragraphe 65(1) ne constitue pas un acte discriminatoire distinct de la part de l’employeur aux fins de la LCDP, pour lequel le Tribunal pourrait accorder des dommages-intérêts distincts contre l’employeur en vertu de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3).

[71] Le paragraphe 65(1) ne prévoit pas expressément que « la personne » mentionnée à l’alinéa 53(2)e), laquelle a commis l’acte discriminatoire, devient l’employeur aux fins de la réparation. Le paragraphe 53(2) ne prévoit pas non plus que l’employeur est responsable de la réparation lorsque le paragraphe 65(1) s’applique. Le paragraphe 65(1) n’indique pas non plus ce qu’il advient de la responsabilité initiale de l’employé harceleur. Il n’est pas clair, d’après une simple lecture du paragraphe 65(1), si l’employeur devient également responsable, en plus de l’employé, ou s’il devient responsable à la place de ce dernier. Comme il a été expliqué, cette dernière question sera examinée séparément. Je laisse de côté pour l’instant la question de l’incidence de l’application du paragraphe 65(1) sur la responsabilité du harceleur ainsi que la responsabilité de ce dernier de payer des dommages-intérêts.

[72] Il est indéniable que l’employeur devient responsable aux fins d’une ordonnance réparatrice rendue par le Tribunal en vertu de l’alinéa 53(2)e) par l’intermédiaire du mécanisme selon lequel il est réputé être « la personne » ayant commis un « acte discriminatoire ». Lorsque le paragraphe 65(1) s’applique, l’employeur intimé est réputé avoir commis les actes discriminatoires de son employé (en l’espèce, le harcèlement sexuel) en cours d’emploi. Je conclus que les dommages-intérêts accordés en vertu du paragraphe 53(2) de la LCDP contre « la personne » sont effectivement réputés relever de la responsabilité de l’employeur intimé de « la personne ». J’arrive à cette conclusion même si le libellé de la LCDP n’indique pas explicitement et clairement que, lorsque le paragraphe 65(1) s’applique, l’employeur peut être tenu de verser une réparation à titre de la « personne » mentionnée au paragraphe 53(2). Cette conclusion repose sur le fait que la LCDP est une loi réparatrice, ainsi que sur l’arrêt Robichaud, rendu par la Cour suprême du Canada et la jurisprudence postérieure à celui-ci.

[73] Tout d’abord, les objectifs de la LCDP perdraient tout leur sens s’il s’avérait impossible d’ordonner à l’employeur de verser une réparation lorsque sa responsabilité est établie. Il serait déraisonnable, voire absurde, que la LCDP tienne UPS légalement responsable de l’acte discriminatoire commis par M. Gordon, en vertu du paragraphe 65(1), mais qu’elle ne lui impose pas la responsabilité de verser les dommages-intérêts ordonnés par le Tribunal en vue de remédier au préjudice causé par les actes discriminatoires de M. Gordon.

[74] Pour arriver à cette conclusion, j’adopte le raisonnement énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Robichaud. Comme il a déjà été expliqué (en partie), l’arrêt Robichaud concerne une plainte de harcèlement sexuel déposée contre un employeur et un surveillant en 1980 au titre de l’article 7 de la LCDP (avant que l’article 14 ne soit ajouté à la LCDP), lequel établissait que le harcèlement constitue un acte discriminatoire distinct. La plainte dans cette affaire était également antérieure à l’ajout d’un libellé explicite dans la LCDP, comme le paragraphe 65(1), énonçant expressément qu’un employeur est réputé avoir commis les mêmes actes ou omissions que son employé.

[75] Je rappelle que la LCDP a été modifiée en 1983 par l’ajout des paragraphes 48(5) et 48(5) (qui sont devenus les paragraphes 65(1) et 65(1) par la suite). Cependant, la Cour suprême a conclu que les modifications ne s’appliquaient pas à la plainte de Mme Robichaud. Par ailleurs, le juge La Forest, qui a rédigé le jugement au nom de la Cour suprême, a formulé le commentaire suivant concernant l’ajout des dispositions qui sont devenues l’article 65 (au par. 20) :

[L]e législateur était libre d’imputer la responsabilité comme bon lui semblait en imposant à l’employeur une responsabilité plus ou moins lourde que ce n’aurait été le cas avant les modifications. Il ne m’est pas nécessaire d’examiner la nature précise de l’équilibre établi par ces nouvelles dispositions. Elles ne s’appliquent pas rétroactivement et tout ce qui nous intéresse ici c’est la Loi telle qu’elle se présentait lorsque les actes reprochés ont été accomplis.

La Cour suprême du Canada n’a pas fait d’autres commentaires quant au sens et à l’effet des anciens paragraphes 48(5) et 48(6) si ce n’est pour faire remarquer qu’ils « rendent expressément un organisme responsable de la conduite de ses employés, sous réserve de la possibilité d’invoquer comme moyen de défense qu’il avait pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher cette conduite ».

[76] Quoi qu’il en soit, dans l’arrêt Robichaud, la Cour suprême du Canada a conclu qu’un redressement peut être obtenu contre l’employeur en l’absence d’un libellé comme celui du paragraphe 65(1). Au paragraphe 17, le juge La Forest a précisé son commentaire susmentionné relatif à la responsabilité de l’employeur au titre de la LCDP :

Il s’agit là d’un type de responsabilité qui se passe de tout qualificatif et qui découle purement et simplement de la loi. Toutefois, cette responsabilité répond à un objectif quelque peu semblable à celui de la responsabilité du fait d’autrui en matière délictuelle, du fait qu’elle impose la responsabilité d’un organisme à ceux qui en ont le contrôle et qui peuvent prendre des mesures réparatrices efficaces en vue d’éliminer les conditions peu souhaitables qui peuvent exister.

[77] La Cour suprême du Canada a conclu que le régime législatif de la LCDP permettait que l’employeur soit tenu responsable, et contribuait ainsi à la réalisation de l’objectif législatif que constituait la mise en place d’un milieu de travail sain. Elle est arrivée à cette conclusion en raison des mesures de réparation prévues dans la Loi.

[78] Aux paragraphes 13 et 14 de l’arrêt Robichaud, la Cour suprême a conclu que ce pouvoir reposait sur le libellé des dispositions réparatrices de la LCDP, qui sont maintenant les paragraphes 53(2) et 53(3). Elle a notamment conclu que les paragraphes 41(2) et 41(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976‑77, chap. 33 (maintenant les paragraphes 53(2) et 53(3) de la LCDP), autorisaient le Tribunal à rendre une ordonnance contre l’employeur de la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire au motif que les paragraphes 41(2) et 41(3) prévoyaient des réparations que seul un employeur pouvait mettre en œuvre ou faire respecter dans le milieu de travail. Il était notamment question, par exemple, de « prendre des mesures destinées à prévenir les actes semblables », y compris « [d’adopter] une proposition relative à des programmes, des plans ou des arrangements spéciaux », d’accorder à l’employé victime de harcèlement des « droits, chances ou avantages » dans le milieu de travail, ou « d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction [que le tribunal] juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte ». Au paragraphe 15 de l’arrêt Robichaud, le juge La Forest a résumé ainsi la portée de l’article 41 aux fins des questions de compétences soulevées dans cette affaire : « Il me paraît évident que les objectifs réparateurs de la Loi perdraient toute leur valeur si les redressements énumérés cidessus ne pouvaient pas être obtenus contre lemployeur ».

[79] Dans le même paragraphe, le juge La Forest a poursuivi en indiquant ce qui suit :

Qui d’autre que l’employeur pouvait ordonner la réintégration? Il en va de même de l’al. c) qui prescrit l’indemnisation pour les pertes de salaire et les dépenses. En fait, si la Loi s’intéresse aux effets de la discrimination plutôt qu’à ses causes (ou motifs qui la sous‑ tendent), force est de reconnaître que seul l’employeur peut remédier à des effets peu souhaitables; seul l’employeur est en mesure de fournir le redressement le plus important, celui d’un milieu de travail sain.

[80] Les paragraphes 53(2) et 53(3) comprennent les mêmes « redressements soigneusement conçus » que ceux décrits dans l’arrêt Robichaud, et qui étaient prévus par les anciens paragraphes 41(2) et 41(3) de la LCDP. Conformément au paragraphe 65(1), UPS est réputée avoir adopté la même conduite que M. Gordon. Sans aucun doute, lorsqu’il a ajouté à la LCDP le libellé qui est éventuellement devenu le paragraphe 65(1), le législateur avait l’intention de préciser clairement qu’une organisation est responsable du comportement de ses employés, peu importe que leurs actions aient été autorisées ou non.

[81] La conclusion tirée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Robichaud, selon laquelle les réparations prévues par la Loi ne peuvent pas être annulées, amènent le Tribunal à conclure qu’il doit donner effet aux réparations prévues aux paragraphes 53(2) et 53(3) lorsqu’il s’agit de déterminer l’intention sous-jacente au paragraphe 65(1). Les paragraphes 65(1) et 53(2) doivent être interprétés et appliqués conjointement. Si l’employeur est réputé avoir commis les mêmes actes et omissions que le harceleur, il est clair que la possibilité d’accorder des mesures de réparation adéquates devrait s’appliquer.

[82] La nature réparatrice globale de la LCDP, ainsi que le principe selon lequel les réparations applicables aux plaintes ne devraient pas être vidées de leur sens, permettent d’établir une distinction entre la présente affaire et l’arrêt Mowat CSC, dans lequel l’absence de disposition réparatrice explicite autorisant l’adjudication de dépens a empêché le Tribunal d’accorder une telle réparation. Dans l’arrêt Robichaud et en l’espèce, la question est celle de savoir si le Tribunal peut ordonner relativement à l’employeur des mesures de réparation en vertu des paragraphes 53(2) et 53(3) de la LCDP. Je conclus que le Tribunal peut ordonner contre UPS, l’employeur intimé, des mesures de réparation pour les actes et omissions de ses employés au motif que le paragraphe 65(1) s’applique.

[83] En résumé, le pouvoir conféré par la Loi d’accorder des dommages-intérêts généraux contre un employeur intimé relativement à la conduite de son employé ne réside pas dans le paragraphe 65(1) à lui seul, mais découle d’une interprétation du paragraphe 65(1) et de l’alinéa 53(2)e) au regard de la nature réparatrice de la LCDP. Une fois que le Tribunal a conclu que le paragraphe 65(1) s’applique et que l’employeur est responsable, il peut rendre une ordonnance réparatrice contre l’employeur, puisque celui-ci est réputé se substituer à l’employé conformément à la Loi. Toutes les réparations prévues au paragraphe 53(2) de la LCDP peuvent faire l’objet d’une ordonnance visant l’employeur intimé; le pouvoir du Tribunal à cet égard est nécessairement implicite afin de garantir que la disponibilité de ces réparations ne soit pas annulée. Même si le paragraphe 65(1) n’énonce pas expressément que le Tribunal doit tenir l’employeur responsable de la conduite du harceleur, et ne mentionne pas que son objet est de permettre au Tribunal d’ordonner à l’employeur d’accorder des réparations, il s’agit du seul résultat raisonnable auquel cette disposition peut conduire.

[84] Le Tribunal a conclu ce qui suit, aux pages 38 et 39 de la décision Bouvier :

Toutes les dispositions de la Loi en matière de redressements traitent de la responsabilité de l’employeur. L’art. 65 notamment qui élargit cette responsabilité par la création d’une présomption, stipule bien que les actes discriminatoires faits par un employé sont réputés avoir été commis par la personne, l’organisme ou l’association qui l’emploie. [Non souligné dans l’original.]

Il ne fait aucun doute que cette conclusion porte également sur le pouvoir du Tribunal de rendre une ordonnance de dommages-intérêts généraux contre un employeur intimé en raison de la conduite de son employé, en vertu du paragraphe 65(1) et de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP.

(iv) Le Tribunal ne peut s’appuyer sur le paragraphe 65(1) de la LCDP pour condamner UPS à verser des dommages-intérêts distincts en réparation du harcèlement sexuel sur le fondement de l’alinéa 53(2)e)

[85] À ce stade de l’analyse, il est clair que, dès lors que le paragraphe 65(1) s’applique, le Tribunal peut rendre une ordonnance de nature réparatrice contre l’employeur. Le Tribunal rend régulièrement ce type d’ordonnance. Par exemple, dans la présente affaire, le Tribunal a conclu qu’aux fins de la réparation, UPS était la personne qui a commis un acte discriminatoire au sens de l’article 7 de la LCDP. Cet acte discriminatoire impliquait des actes et des omissions de la part d’employés autres que M. Gordon. UPS a été jugée responsable des actes et omissions de ces employés par l’application du paragraphe 65(1) de la LCDP, comme notre Tribunal l’a conclu dans la décision concernant la responsabilité (aux par. 769 à 772). En théorie, le Tribunal peut condamner UPS à verser des dommages-intérêts au titre de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) de la LCDP pour un acte discriminatoire commis au sens de l’article 7 de la LCDP. Aucun des employés impliqués dans cet autre acte discriminatoire n’a été désigné comme intimé, et aucune partie n’allègue qu’UPS devrait verser des dommages-intérêts distincts en plus de ceux que le Tribunal peut ordonner en réparation des actes et omissions des employés qui ont commis l’acte discriminatoire prévu à l’article 7. Mme Peters et la Commission n’ont pas mentionné cette incongruité apparente dans leurs observations concernant les deux actes discriminatoires établis au titre des articles 14 et 7 de la LCDP.

[86] Quoi qu’il en soit, aux fins de la présente décision sur requête, le Tribunal peut condamner UPS à verser des dommages-intérêts généraux au titre du paragraphe 65(1) et de l’alinéa 53(2)e), en réparation de la conduite de M. Gordon. Comme je l’explique plus haut, la question est celle de savoir si le Tribunal peut rendre une seconde ordonnance de dommages-intérêts, cette fois contre UPS en tant qu’employeur.

[87] Les paragraphes 65(1) et 53(2) de la LCDP ne permettent pas au Tribunal de rendre deux ordonnances distinctes octroyant des dommages-intérêts généraux à Mme Peters en réparation de l’acte commis par M. Gordon, une contre M. Gordon et l’autre contre UPS. La conclusion du Tribunal selon laquelle M. Gordon a commis un acte discriminatoire de harcèlement sexuel au sens de l’article 14 de la LCDP et qu’UPS est réputée avoir commis le même acte selon le paragraphe 65(1) de la LCDP ne signifie pas que Mme Peters a été victime de deux actes de harcèlement sexuel.

[88] Le fait de rendre deux ordonnances octroyant des dommages-intérêts en réparation du même préjudice constituerait une double indemnisation, ce qui n’est pas permis : Hughes c. Canada (Procureur général), 2019 CF 1026 (CanLII) [Hughes], au par. 46, et voir Ratych c. Bloomer, 1990 CanLII 97 (CSC), [1990] 1 RCS 940 [Ratych], pour une analyse fondée sur la common law. Le Tribunal ne devrait pas accorder de double indemnisation (voir les décisions Hughes, précitée, et Willcott, aux par. 244 et 245). Il est raisonnable de conclure que le législateur s’attendait à ce que le Tribunal connaisse et applique les principes juridiques adoptés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Robichaud et Ratych; en d’autres termes, le législateur s’attendait à ce que le Tribunal rende une ordonnance assortie d’éventuelles conditions contre l’employeur, sur le fondement du paragraphe 65(1), et ce faisant, à ce que les dispositions de la LCDP ne servent pas à octroyer une double indemnisation à la partie plaignante.

[89] Selon la Commission, le Tribunal peut rendre une ordonnance contre chaque intimé, et elle allègue donc que l’acte discriminatoire prévu à l’article 14 pourrait s’appliquer à deux reprises par l’effet du paragraphe 65(1), une première fois en interprétant « la personne » comme étant le harceleur et une deuxième fois en interprétant « la personne » comme étant l’employeur, ce qui se traduirait par l’émission de deux ordonnances de dommages-intérêts. L’absence de disposition prévoyant une telle ordonnance dans la LCDP et l’existence d’une présomption contre la double indemnisation font obstacle à cette approche. La Commission n’a pas présenté d’observations concernant ces difficultés. En tout respect, il serait déraisonnable d’élargir le sens du libellé du paragraphe 65(1), une disposition qui met en jeu la responsabilité de l’employeur, en concluant qu’il permet de rendre une ordonnance distincte et additionnelle contre l’employeur.

[90] Comme je l’ai expliqué, le fait de désigner l’employé harceleur comme intimé au titre de la LCDP n’augmente pas le nombre d’actes discriminatoires à l’égard desquels le Tribunal peut ordonner le versement de dommages-intérêts. Dans les affaires où le plaignant désigne l’employé harceleur comme intimé distinct, l’employeur intimé est presque toujours également désigné. Par ailleurs, si deux plaintes sont déposées à l’égard du même acte d’harcèlement, l’une désignant le harceleur présumé et l’autre l’employeur, elles sont instruites conjointement.

[91] Lorsque le paragraphe 65(1) de la LCDP s’applique à une telle situation, le harceleur et l’employeur sont considérés comme des intimés liés conformément au droit établi, car le paragraphe 65(1) prévoit que l’employeur est réputé avoir commis l’acte discriminatoire commis par son employé. Le mécanisme prévu au paragraphe 65(1) met en jeu la responsabilité de l’employeur, mais n’augmente pas le nombre d’actes discriminatoires qui ont été commis en cours d’emploi. Rien dans le libellé de la LCDP n’autorise une telle conclusion. Par conséquent, le fait de désigner l’employé harceleur comme intimé n’augmente pas le nombre d’ordonnances de dommages-intérêts généraux que le Tribunal peut rendre.

[92] Pour ces motifs, je suis d’avis que la disposition prévoyant que les actes et omissions commis par le harceleur sont réputés avoir été commis par l’employeur ne crée pas de deuxième acte discriminatoire, et j’estime que le plaignant dont l’employeur n’a pas réussi à invoquer le moyen de défense prévu au paragraphe 65(2) de la LCDP n’a pas été victime de deux actes de harcèlement. Les paragraphes 65(1) et 53(2) ne donnent pas au Tribunal le pouvoir de rendre deux ordonnances accordant des dommages-intérêts à Mme Peters en réparation de la conduite de M. Gordon, une contre M. Gordon en réparation de sa conduite et une autre contre UPS en réparation de la même conduite. Mme Peters ne peut prétendre qu’à une seule ordonnance de dommages-intérêts généraux en réparation du harcèlement sexuel commis par M. Gordon.

(v) L’alinéa 14(1)c) de la LCDP ne confère pas au Tribunal le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts distincts au titre de l’alinéa 53(2)e) contre UPS, en réparation du harcèlement sexuel

[93] Comme j’en ai fait état précédemment, Mme Peters a allégué dans sa demande de dommages-intérêts généraux que l’omission par UPS de prendre toutes les mesures nécessaire constituait un acte de harcèlement sexuel. Toutefois, elle n’a pas laissé entendre que d’autres gestionnaires ou employés, à l’exception de M. Gordon, l’avaient harcelée sexuellement sur son lieu de travail. En ce qui concerne les réparations, la Commission a fait valoir que le Tribunal pourrait condamner M. Gordon et UPS à verser des dommages-intérêts au titre de l’article 14 de la LCDP en réparation du harcèlement sexuel. Mme Peters et la Commission n’ont pas expliqué comment UPS avait commis des actes distincts de ceux de M. Gordon qui satisfaisaient au critère juridique applicable au harcèlement sexuel.

[94] L’article 14 de la LCDP prévoit dans quelles conditions le harcèlement sexuel constitue un acte discriminatoire :

Harcèlement

14(1) Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

[...]

c) en matière d’emploi.

Harcèlement sexuel

(2) Pour l’application du paragraphe (1) et sans qu’en soit limitée la portée générale, le harcèlement sexuel est réputé être un harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite.

[95] Dans la décision concernant la responsabilité, le Tribunal a expliqué que l’article 14 n’énonce pas les critères juridiques permettant d’établir qu’un harcèlement sexuel a été commis. Le harcèlement sexuel est défini par la jurisprudence, et non par la LCDP. Comme je l’ai expliqué, le critère juridique applicable au harcèlement sexuel est « une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour les victimes de harcèlement » comme il a été établi dans l’arrêt Janzen. [non souligné dans l’original] Le harcèlement sexuel consiste en un ensemble de comportements persistants ou en un seul incident grave : Franke, au paragraphe 43.

[96] Pour être clair, Mme Peters allègue qu’UPS a commis des actes de harcèlement sexuel distincts de ceux de M. Gordon. Elle renvoie au fait qu’UPS n’a pas fait échec au harcèlement qu’elle a subi, que l’entreprise n’a pas de politique ou de politique efficace, qu’elle n’a pas formé ses employés en matière de harcèlement sexuel et qu’elle n’a pas examiné sa plainte en temps opportun et de manière appropriée. Le Tribunal convient qu’UPS a commis des actes différents de ceux de M. Gordon. Mme Peters soutient que le Tribunal devrait conclure qu’UPS a commis les « actes ou les omissions » mentionnés précédemment à cinq reprises, une pour chacun des cinq actes discriminatoires qu’elle allègue avoir subis de la part de M. Gordon. Le Tribunal a examiné cette question dans la décision sur requête concernant le plafond prévu par la Loi.

[97] Le critère juridique permettant d’établir le harcèlement sexuel porte sur les actes et les omissions du harceleur, et non ceux de l’employeur du harceleur, à moins que l’employeur ne soit le harceleur (c’est-à-dire la personne qui se livre directement au harcèlement), ce qui peut être le cas lorsque le harceleur est le propriétaire ou le gérant d’une petite entreprise.

[98] Abstraction faite de cette dernière situation, l’employeur qui omet de faire échec au harcèlement d’une autre personne ne se livre pas à « une conduite de nature sexuelle non sollicitée ». L’acte ou l’omission commis par l’employeur découle de son consentement implicite au harcèlement compte tenu du fait qu’il n’a pas clairement fait échec au harcèlement sexuel. Le comportement de l’employeur peut avoir « un effet défavorable sur le milieu de travail ou [avoir] des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour les victimes de harcèlement », mais il doit également s’agir d’une conduite de nature sexuelle non sollicitée pour satisfaire au critère juridique applicable au harcèlement sexuel. Le défaut de l’employeur de faire échec au harcèlement sexuel peut être répréhensible, mais il ne constitue pas en soi un acte de harcèlement sexuel au sens de la jurisprudence.

[99] De la même manière, le défaut par l’employeur de mettre en place une politique servant à prévenir, éliminer ou atténuer efficacement le harcèlement sexuel ne constitue pas un « acte discriminatoire de harcèlement sexuel » devant notre Tribunal. Le défaut pour l’employeur de mettre en place une politique ou une formation en milieu de travail ne constitue pas une « conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour les victimes de harcèlement ». L’omission de mener une enquête est une erreur, mais ne constitue pas « une conduite de nature sexuelle non sollicitée ».

[100] Le défaut pour l’employeur de mettre en place une politique ou une formation ou de tenir une enquête est directement lié au moyen de défense prévu au paragraphe 65(2), dans le cas où l’intimé invoque ce moyen de défense pour éviter toute responsabilité. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada au paragraphe 19 de l’arrêt Robichaud, lorsqu’un employé commet un acte de harcèlement sexuel, « la conduite de l’employeur n’a théoriquement rien à voir avec l’imputation de la responsabilité ». L’affirmation de la Cour suprême du Canada selon laquelle la conduite de l’employeur n’a rien à voir avec la conclusion concernant la responsabilité de l’employé s’applique à la LCDP, y compris au paragraphe 65(1); toutefois, la conduite de l’employeur est pertinente au regard du paragraphe 65(2).

[101] Dans la présente affaire, les faits sur lesquels Mme Peters s’est appuyée pour obtenir des dommages-intérêts généraux en raison de la conduite d’UPS sont pertinents pour expliquer la conclusion du Tribunal selon laquelle UPS est responsable de la conduite de M. Gordon, dans la décision concernant la responsabilité. En théorie, le Tribunal doit conclure qu’UPS a adopté une conduite de nature sexuelle non sollicitée distincte de celle de M. Gordon contre Mme Peters pour satisfaire au critère juridique permettant d’appuyer l’allégation voulant qu’UPS ait commis un acte discriminatoire de harcèlement sexuel au sens de l’article 14. Or, le Tribunal ne peut rendre une deuxième ordonnance de dommages-intérêts contre UPS en réparation du harcèlement sexuel, car la conduite d’UPS n’était pas de nature sexuelle et non sollicitée et ne satisfait donc pas au critère juridique applicable au harcèlement sexuel prévu à l’article 14 de la LCDP, lequel est défini par la jurisprudence. UPS n’a pas commis un acte de harcèlement sexuel au sens de l’article 14 de la LCDP du simple fait de sa conduite.

[102] Le raisonnement qui précède n’est que théorique. UPS est une personne morale, et de ce fait, elle ne peut commettre un acte de harcèlement sexuel que par les actes ou omissions de ses employés, mandataires, administrateurs ou dirigeants selon le paragraphe 65(1) de la LCDP, lequel précise la mesure dans laquelle le législateur voulait attribuer la responsabilité à l’employeur intimé pour les actes et omissions de ses employés.

[103] Dans la décision sur requête concernant le plafond prévu par la Loi, j’ai conclu que le Tribunal peut accorder des dommages-intérêts pour chaque acte discriminatoire distinct et avéré prévu aux articles 5 à 14.1 de la LCDP, mais pas pour chaque incident relevant du même acte discriminatoire. De plus, j’ai conclu qu’un seul acte discriminatoire de harcèlement sexuel peut être établi pour chaque plainte, quel que soit le nombre d’incidents ou de cas de harcèlement qui ont été commis sur le lieu de travail par des intimés liés sur le plan juridique. Je mets de côté la question de savoir si, à supposer qu’un autre employé d’UPS ait commis un acte de harcèlement sexuel, UPS serait un intimé lié à M. Gordon ou distinct de celui-ci dans le présent contexte, ou si UPS, M. Gordon et tout autre employé ayant fait preuve de harcèlement sexuel seraient des intimés liés sur le plan juridique. Compte tenu des faits de la présente affaire, il n’est pas nécessaire de trancher ces questions. J’examine plus loin la question de savoir si UPS et M. Gordon sont des intimés liés ou distincts dans le cadre de la présente plainte.

(vi) Le défaut d’UPS de fournir un environnement de travail sûr et exempt de harcèlement à Mme Peters ne confère pas au Tribunal le pouvoir d’ordonner à UPS de verser des dommages-intérêts distincts en réparation du harcèlement sexuel sur le fondement des alinéas 14(1)c) et 53(2)e)

(a) Introduction

[104] Comme je l’ai mentionné plus haut, personne ne conteste que l’employeur a l’obligation de maintenir un lieu de travail exempt de harcèlement sexuel. Comme je l’ai également mentionné précédemment, cette obligation a été reconnue dans la décision Franke, selon laquelle, « [a]u cours des dernières années, les cours de justice et les tribunaux administratifs ont insisté pour qu’un certain degré de vigilance soit exercé dans le milieu de travail, les employeurs devant assurer un milieu de travail libre de harcèlement ». Toutefois, dans la décision Franke, la Cour fédérale n’a pas examiné la manière dont l’article 65 de la LCDP devrait être interprété et appliqué pour ce qui est de condamner l’employeur à verser des dommages-intérêts. Dans la décision Franke, la Cour fédérale a contrôlé la décision du Tribunal de rejeter la plainte dans cette affaire. La question de savoir si le Tribunal peut accorder des dommages-intérêts distincts sur le fondement du paragraphe 65(1) et des alinéas 14(1)c) et 53(2)e) de la LCDP dans le cas où l’employeur ne maintient pas un milieu de travail exempt de harcèlement pour les employés ne semble pas avoir été examinée par la Cour fédérale ou la Cour suprême du Canada.

(b) Analyse de la décision Willcott

[105] Mme Peters renvoie à la décision du Tribunal dans l’affaire Willcott et à l’allégation selon laquelle l’employeur n’a pas maintenu un environnement exempt de harcèlement. Mme Peters n’a pas expliqué comment la décision Willcott, ou toute autre décision sur laquelle elle s’est appuyée pour sa requête ou sa plainte, soutient sa thèse selon laquelle UPS devrait être condamnée à verser des dommages et intérêts distincts en réparation de sa conduite concernant le harcèlement sexuel commis par M. Gordon. La question soulevée dans la décision Willcott n’est pas la même que celle qui est soulevée dans la présente décision sur requête, car seul l’employeur a été désigné comme intimé dans cette affaire. La question de savoir si des dommages-intérêts pouvaient être accordés à la fois contre le gestionnaire et contre l’employeur intimé pour la même conduite ou pour une conduite différente n’a pas été soulevée. Plus important encore, dans la décision Willcott, le Tribunal n’a fait qu’affirmer de manière générale que la responsabilité de l’employeur peut être mise en jeu s’il omet de faire échec au harcèlement sur les lieux de travail. Le Tribunal a fait cette affirmation sans avoir analysé la LCDP et interprété son libelé. La décision Willcott n’est donc pas convaincante concernant la question de savoir si le Tribunal peut ordonner à l’employeur intimé de verser des dommages-intérêts distincts en réparation de son incapacité à maintenir un environnement de travail exempt de harcèlement.

(c) Analyse de la décision Laskowska

[106] La Commission s’appuie sur la décision du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario dans l’affaire Laskowska pour alléguer que le Tribunal peut condamner UPS à payer des dommages-intérêts en réparation du harcèlement sexuel en raison de son défaut de faire échec au harcèlement, d’empêcher le harcèlement ou d’en atténuer ses effets.

[107] La décision Laskowska a été rendue sur le fondement du Code des droits de la personne de l’Ontario, L.R.O. 1990, chap. H. 19 (le « Code des droits de la personne de l’Ontario »), lequel permet de conclure que l’employeur a commis un acte discriminatoire s’il omet de faire échec au harcèlement sexuel sur le lieu de travail, et d’ordonner à l’employeur de verser des dommages-intérêts distincts. Les paragraphes 5(2) et 7(2) du Code des droits de la personne de l’Ontario prévoient expressément que tout employé a le droit d’être à l’abri de tout harcèlement au travail. Selon le paragraphe 5(2), « [t]out employé a le droit d’être à l’abri de tout harcèlement au travail par son employeur ou le mandataire de celui-ci ou un autre employé pour des raisons fondées sur la race, l’ascendance, le lieu d’origine, la couleur, l’origine ethnique, la citoyenneté, la croyance, l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle, l’expression de l’identité sexuelle, l’âge, l’existence d’un casier judiciaire, l’état matrimonial, l’état familial ou un handicap ». Aux termes du paragraphe 7(2), « [t]out employé a le droit d’être à l’abri de tout harcèlement au travail par son employeur ou le mandataire de celui-ci ou un autre employé pour des raisons fondées sur le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle ou l’expression de l’identité sexuelle. »

[108] Suivant l’ajout des articles 5 et 7 au Code des droits de la personne de l’Ontario, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a statué sur la manière d’interpréter et d’appliquer ces nouveaux articles, dans la décision Dhillon v. F.W. Woolworth Co., 1982 CanLII 4884 (ON HRT) [Dhillon]. Dans la décision Dhillon, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a conclu qu’il existe un droit à un environnement de travail exempt de harcèlement, sur le fondement des articles 5 et 7 du Code des droits de la personne de l’Ontario. Conformément au Code des droits de la personne de l’Ontario, l’employeur peut être directement condamné à verser des dommages-intérêts pour avoir violé le droit du plaignant à un environnement de travail exempt de harcèlement. Pour que la responsabilité de l’employeur soit mise en jeu, il faut prouver que le milieu de travail est empoisonné, ce qui constitue une forme de discrimination (par exemple, si l’employé subit un préjudice, y compris un harcèlement sexuel, compte tenu du caractère empoisonné du milieu de travail, le défaut par la direction de prendre des mesures pour résoudre le problème peut constituer un acte de discrimination au sens du paragraphe 5(1) du Code des droits de la personne de l’Ontario). Dans des affaires ultérieures, comme la décision Laskowska, jugées sous le régime du Code des droits de la personne de l’Ontario, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a conclu à la responsabilité de l’employeur, car il n’avait pas pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher la discrimination ou en atténuer les effets, par exemple, en menant une enquête ou en adoptant des mesures d’atténuation.

[109] Le Code des droits de la personne de l’Ontario ne s’applique pas dans la présente affaire. Le libellé de la LCDP n’est pas le même que celui du Code des droits de la personne de l’Ontario. Dans les décisions Dhillon et Laskowska, la LCDP n’a été ni interprétée ni appliquée. L’approche adoptée dans la LCDP est différente. Selon la LCDP,« s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu » en matière d’emploi constitue un acte discriminatoire. L’employeur est alors tenu responsable des actes et omissions de la personne qui a commis le harcèlement (au sens du terme « harceler » à l’alinéa 14(1)c)), selon le paragraphe 65(1), à moins que le paragraphe 65(2) de la LCDP ne s’applique.

[110] Aucune disposition de la LCDP ne prévoit expressément que le défaut pour l’employeur de maintenir un lieu de travail exempt de harcèlement sexuel constitue un acte discriminatoire; et il n’en est aucunement fait mention aux articles 5 à 14.1. Aucune disposition de la LCDP ne prévoit que l’employeur est réputé devoir maintenir un lieu de travail exempt de harcèlement sexuel. Au contraire, la présomption créée au paragraphe 65(1) a pour effet de rendre l’employeur responsable du comportement de son employé lorsqu’il est établi que ce dernier a commis un acte discriminatoire. L’article 65 vise à obliger l’employeur à maintenir un lieu de travail exempt de harcèlement. Toutefois, le défaut de le faire ne constitue pas un acte discriminatoire distinct; l’employeur sera plutôt présumé responsable de l’acte discriminatoire du harceleur.

(d) Analyse de la décision N.A.

[111] La Commission soutient que le Tribunal peut s’appuyer sur sa décision dans l’affaire N.A. pour condamner UPS à payer des dommages-intérêts distincts, en plus des dommages-intérêts que M. Gordon a été condamné à verser. Dans l’affaire N.A., le harceleur et l’employeur ont été désignés comme intimés dans deux plaintes qui ont été réunies. Au paragraphe 12 de la décision N.A., le Tribunal a jugé que les plaintes portées pour des motifs de harcèlement sexuel en tant qu’acte discriminatoire au sens de l’article 14 de la LCDP, étaient fondées à la fois contre le particulier intimé et contre la société intimée. Au paragraphe 349, le Tribunal a condamné le harceleur à verser des dommages-intérêts en réparation du préjudice moral découlant du harcèlement sexuel. Au même paragraphe, le Tribunal a également ordonné à l’employeur de verser des dommages-intérêts généraux distincts. [Au paragraphe 353, le Tribunal a adopté la même approche pour les dommages-intérêts spéciaux].

[112] Au paragraphe 348, le Tribunal a présenté une analyse sommaire de ses conclusions à cet égard :

Le Tribunal souligne sa conclusion selon laquelle, aux termes de l’art. 65 de la LCDP, le harcèlement sexuel de la plaignante par le particulier intimé est réputé avoir été commis par la société intimée. Cela dit, le Tribunal conclut que les actes de la société intimée ont également causé un préjudice moral à la plaignante. De plus, la plaignante a été publiquement humiliée, rabaissée et traumatisée par la façon dont le propriétaire de la société intimée a géré cette affaire, en particulier par la réunion du 25 janvier 2012.

[113] Le Tribunal n’a pas motivé sa décision (au paragraphe 354) de condamner le harceleur à verser des dommages-intérêts généraux et d’exonérer l’employeur. En outre, dans la décision N.A., le Tribunal semble avoir condamné l’employeur à verser des dommages-intérêts généraux distincts pour sa responsabilité dans le harcèlement commis par l’employé et d’autres raisons liées à la manière dont il a examiné la plainte de harcèlement sexuel de la plaignante. Toutefois, dans cette affaire, l’analyse du Tribunal sur cette question est limitée au paragraphe 348, cité ci-dessus. Davantage de conclusions ont été tirées contre l’employeur que contre le harceleur. Toutefois l’employeur a été condamné à verser le même montant que le harceleur en dommages-intérêts généraux (au paragraphe 349). Le Tribunal n’a pas justifié cette décision. Au paragraphe 327 de la décision N.A., le Tribunal a conclu subsidiairement que l’employeur intimé avait commis un acte discriminatoire de harcèlement contre la plaignante en mettant fin à son emploi, au sens de l’alinéa 7a) de la LCDP. Toutefois, le Tribunal n’a pas précisé quels actes discriminatoires étaient visés par les dommages-intérêts généraux octroyés contre l’employeur (au paragraphe 354).

[114] Aux paragraphes 42 à 45 de la décision N.A., le Tribunal a reconnu à juste titre que la conduite de l’employeur est pertinente pour l’application potentielle du moyen de défense prévu au paragraphe 65(2) de la LCDP. Toutefois, dans la décision N.A., le Tribunal semble avoir conclu que la présomption de responsabilité de l’employeur prévue au paragraphe 65(1) équivaut à la commission d’un acte discriminatoire distinct sur le fondement des critères énoncés au paragraphe 65(2). Le Tribunal n’a pas renvoyé au libellé de la LCDP pour motiver sa décision de condamner l’employeur à verser des dommages-intérêts distincts. Dans la décision N.A., le Tribunal n’a pas expliqué pourquoi l’employeur était réputé avoir commis un acte discriminatoire à moins d’avoir établi une défense fondée sur le paragraphe 65(2), et il n’a pas examiné les questions de la double indemnisation et du nombre d’actes discriminatoires qui peuvent être visés par une ordonnance de dommages-intérêts. Il est difficile de dire quels dommages-intérêts généraux a octroyé le Tribunal contre l’employeur au titre de l’article 65 et quel montant a été accordé pour d’autres raisons (au paragraphe 354). La décision N.A. n’est par conséquent pas convaincante.

[115] Dans la décision N.A., le Tribunal s’est appuyé sur la jurisprudence pour ordonner à l’employeur de verser des dommages-intérêts distincts. Cependant, cette analyse de la jurisprudence ne modifie pas ma conclusion selon laquelle la décision N.A. n’est pas convaincante concernant la manière dont les dommages-intérêts devraient être accordés au titre de la LCDP.

[116] Dans la décision N.A, le Tribunal a conclu qu’il pouvait ordonner à l’employeur de verser des dommages-intérêts distincts, en s’appuyant notamment sur l’analyse qu’il a faite de l’arrêt Robichaud au paragraphe 46. Le Tribunal a pris note du fait que la Cour suprême du Canada a interprété l’article 65 dans l’arrêt Robichaud et qu’elle a conclu qu’il s’agissait d’une disposition « de nature réparatrice ». Il a également souligné que dans l’arrêt Robichaud, le juge La Forest avait précisé que la LCDP et la « disposition sur la responsabilité de l’employeur » sont de nature réparatrice. Il semble que par disposition de « nature réparatrice », le Tribunal faisait référence au paragraphe 65(1), voire au paragraphe 65(2) et à son libellé sur la nécessité pour l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires. En tout respect, il semble que dans la décision N.A., le Tribunal ait mal compris la nature et la portée de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Robichaud. Dans l’arrêt Robichaud, la Cour suprême du Canada a conclu que la LCDP avait des objectifs réparateurs. La Cour a conclu que la Loi permettait de condamner l’employeur à verser des dommages-intérêts en réparation des actes commis par son employé. Cependant, la Cour suprême du Canada a tiré cette conclusion pour des raisons qui n’incluaient pas de dispositions « de nature réparatrice », comme les paragraphes 65(1) et 65(2), ou qui ne s’appuyaient pas sur elles. Comme je l’ai expliqué plus haut, dans l’arrêt Robichaud, la Cour suprême a examiné la manière d’interpréter la LCDP lorsque l’ancien paragraphe 48(6), devenu le paragraphe 65(2), ne s’appliquait pas. Dans l’arrêt Robichaud, la Cour suprême du Canada n’a pas statué sur la manière dont l’article 65 devait être interprété et appliqué. L’arrêt Robichaud ne confère pas le pouvoir de rendre une deuxième ordonnance de dommages-intérêts distincts contre un employeur intimé au titre des paragraphes 65(1) ou 65(2) de la LCDP.

[117] Dans la décision N.A., le Tribunal semble également s’appuyer sur la décision Hinds c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), 1988 CanLII 109 (TCDP), 10 CHRR 5683 (« Hinds »), où le paragraphe 48(6) de la LCDP, devenu le paragraphe 65(2), a été appliqué. Dans la décision Hinds, l’identité de l’employé qui a commis un acte discriminatoire contre M. Hinds n’a jamais été déterminée. L’ordonnance de dommages-intérêts a été rendue contre l’employeur en partie parce qu’il était le seul intimé désigné. Il faut établir une distinction entre l’affaire Hinds et celle dont je suis saisie, car il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle le Tribunal a condamné le harceleur et l’employeur à verser des dommages-intérêts distincts en réparation du même acte discriminatoire.

[118] Cependant, la principale raison pour laquelle il faut établir une distinction entre l’affaire Hinds et celle dont je suis saisie est que dans les faits, le Tribunal n’a examiné que ce qui est aujourd’hui le paragraphe 65(2) et n’a pas examiné la manière d’interpréter et d’appliquer le paragraphe 65(1) et l’alinéa 53(2)e). Le Tribunal a tenu compte de l’indifférence de l’employeur concernant l’incident survenu sur le lieu de travail, et il a donc tenu compte des actes de l’employeur qui étaient distincts du harcèlement initial, au moment d’adjuger les dommages-intérêts en se fondant sur l’obligation de l’employeur de prendre « toutes les mesures nécessaires pour [...]. empêcher [ou] atténuer [...] les effets » du harcèlement (à la p. 9). Cependant, le Tribunal n’a pas examiné la question de savoir si la LCDP lui permettait d’ordonner à l’employeur de verser des dommages-intérêts généraux pour avoir manqué à cette obligation, ou d’accorder des dommages-intérêts sur le fondement de la conduite du harceleur et de l’employeur. À cet égard, dans la décision Hinds, le Tribunal n’a présenté aucune analyse du libellé de la LCDP ou de la compétence du Tribunal pour conclure que la conduite de l’employeur était liée à l’acte discriminatoire du harceleur. Ce n’est pas convaincant.

[119] Dans la décision N.A, les motifs du Tribunal ne tenaient pas compte des questions examinées dans la décision Hinds. La plupart des décisions invoquées par le Tribunal dans la décision N.A. pour justifier l’octroi de dommages-intérêts distincts contre l’employeur reposent sur le défaut de ce dernier de maintenir un milieu de travail exempt de harcèlement sexuel, ce qui renvoie au libellé du Code des droits de la personne de l’Ontario. Il est évident que ce principe a influencé la conclusion du Tribunal, selon laquelle il était approprié de condamner l’employeur à verser des dommages-intérêts distincts dans cette affaire. Au paragraphe 326 de la décision N.A., et ailleurs, le Tribunal renvoie à l’obligation de l’employeur d’offrir aux employés un lieu de travail sûr et exempt de harcèlement. Comme je l’explique plus loin, le Tribunal s’appuie également sur l’approche adoptée dans la jurisprudence ontarienne, qui repose sur le libellé du Code des droits de la personne de l’Ontario, lequel ne figure pas dans la LCDP. Dans la décision N.A., le Tribunal semble avoir conclu, en se fondant principalement sur les affaires qu’il a mentionnées, que le défaut pour l’employeur d’établir une défense au titre du paragraphe 65(2) sert de fondement à l’établissement de la responsabilité distincte de l’employeur et, par conséquent, à l’octroi de dommages-intérêts distincts.

[120] Il faut ajouter que dans la décision N.A., le Tribunal s’est appuyé sur le raisonnement exposé dans la décision Laskowska pour affirmer au paragraphe 49 que « [l]e raisonnement qui sous-tend le devoir d’enquêter sur une plainte de discrimination est de veiller à ce que les droits en vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario (le « Code ») soient efficaces ». Je suis du même avis. Toutefois, les droits prévus par la LCDP sont significatifs, car ils créent une responsabilité pour l’employeur au titre du paragraphe 65(1), et non un acte discriminatoire distinct. Le Tribunal n’a pas analysé la portée du pouvoir qui lui était conféré selon le libellé de la LCDP.

[121] Au paragraphe 48 de la décision N.A., le Tribunal s’est également appuyé sur la décision du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario Sutton v. Jarvis Ryan Associates et al, 2010 HRTO 2421 (CanLII) [Sutton], aux par. 130 à 133. Dans la décision Sutton, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a confirmé qu’une entreprise intimée a le devoir d’examiner les plaintes de discrimination ou de harcèlement, au paragraphe 130, en affirmant [traduction] « [qu’i]l est bien établi dans la jurisprudence du Tribunal que la responsabilité de l’employeur peut être mise en jeu en fonction de la manière dont il examine la plainte de discrimination ». Dans la décision N.A., le Tribunal n’a pas souligné le fait que le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario faisait référence à lui-même en utilisant le mot « Tribunal ».

[122] L’étendue de la différence entre la LCDP et le Code des droits de la personne de l’Ontario est illustrée par les critères énoncés au paragraphe 134 de la décision Sutton du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario pour établir la responsabilité distincte de l’employeur :

[traduction]

La responsabilité de l’employeur peut être mise en jeu s’il omet de tenir une enquête, même si aucune violation du Code n’a été établie. Voir la décision Nelson v. Lakehead University, 2008 HRTO 41 (CanLII).

[123] Le régime du Code des droits de la personne de l’Ontario est différent de celui de la LCDP. La LCDP ne compte pas d’obligation indépendante forçant l’employeur à tenir une enquête ou à fournir un environnement exempt de harcèlement à défaut de quoi il peut être condamné à verser des dommages-intérêts, que le harcèlement ait été établi ou non. La LCDP exige qu’il soit établi que le harceleur présumé a commis l’acte de harcèlement sexuel avant que la responsabilité de l’employeur puisse être mise en jeu.

[124] Dans la décision N.A., le Tribunal a également expliqué qu’il s’était appuyé sur ses propres décisions dans les affaires Bushey c. Sharma (No. 2) 2003 TCDP 21 (CanLII) [Bushey] et Naistus, Roxanne c. Philip L. Chief, 2009 TDCP 4 (CanLII) [Naistus], pour ordonner à l’employeur intimé et à l’employé harceleur de verser des dommages-intérêts généraux et spéciaux distincts. Dans l’affaire Bushey, le harceleur était la seule partie intimée et le Tribunal l’a condamné à verser des dommages-intérêts. On ne peut raisonnablement considérer que cette décision autorise le Tribunal à rendre deux ordonnances de dommages-intérêts distinctes.

[125] Dans la décision Naistus, le Tribunal a conclu que l’intervention de l’employeur intimé concernant le harcèlement sexuel subi par la plaignante « ne représentait pas toutes les mesures nécessaires pour empêcher que soit commis le harcèlement sexuel et, par la suite, pour en atténuer ou en annuler les effets, conformément au paragraphe 65(2) » de la LCDP. Dans la décision Naistus, le Tribunal a interprété le paragraphe 65(2) comme créant une pratique discriminatoire, mais il est arrivé à cette conclusion sans livrer son analyse et sans s’appuyer sur le libellé de la LCDP. Le Tribunal a condamné l’employeur intimé à verser des dommages-intérêts généraux (mais pas l’employé harceleur) et a condamné l’employé harceleur à verser des dommages-intérêts spéciaux (au paragraphe 106, le Tribunal a conclu que l’employeur intimé « ne peut pas invoquer le paragraphe 65(2) de la LCDP pour se disculper », mais il a jugé que l’employeur intimé n’était pas responsable de payer ces dommages-intérêts). Le Tribunal n’a pas motivé ses décisions sur ces questions. La décision Naistus a été rendue par notre Tribunal, mais elle n’établit pas de manière convaincante que le Tribunal peut condamner l’employeur intimé et l’employé harceleur à verser des dommages-intérêts distincts pour le même acte discriminatoire.

[126] Notre Tribunal a rendu deux ordonnances distinctes de dommages-intérêts dans la décision N.A. contre le harceleur et contre l’employeur, en réparation de la conduite du harceleur, mais je ne souscris pas à sa décision compte tenu de l’analyse du libellé de la LCDP formulée dans la présente décision sur requête et du principe de la double indemnisation. Dans la décision N.A., le Tribunal a conclu que le harceleur avait commis un acte discriminatoire, à savoir le harcèlement sexuel. Selon le paragraphe 65(1) de la LCDP, l’employeur est considéré comme responsable des actes du harceleur sur le plan juridique. Pour les raisons que j’ai expliquées plus haut, le paragraphe 65(1) et l’alinéa 53(2)e) n’autorisent pas le Tribunal à rendre deux ordonnances accordant des dommages-intérêts généraux à la plaignante pour un seul acte discriminatoire – une ordonnance contre le harceleur et une autre contre l’employeur intimé pour la même conduite. Le paragraphe 65(1) et l’alinéa 53(2)e) de la LCDP n’autorisent pas le Tribunal à rendre une ordonnance condamnant l’employeur à verser des dommages-intérêts distincts.

[127] Il est important de souligner que les arguments soulevés par les parties concernant la compétence du Tribunal, et qui ont conduit à la décision sur requête concernant le plafond prévu par la Loi, à la décision sur requête concernant l’application du plafond prévu par la Loi aux intérêts et à la présente décision sur requête, n’ont pas été soulevés dans la décision N.A. ou examinés par le Tribunal. Par conséquent, les questions dont je suis saisie n’ont pas été examinées dans les décisions antérieures. C’est également pour cette raison que la décision N.A. n’est pas convaincante aux fins de mon analyse dans la présente décision sur requête.

(e) Divergences dans les décisions de notre Tribunal

[128] L’approche adoptée dans la décision N.A. concernant l’octroi de dommages-intérêts a également été adoptée dans d’autres décisions de notre Tribunal, outre celles mentionnées précédemment, y compris dans des décisions que les parties ont citées dans leurs observations pour d’autres raisons. Voir, par exemple, les décisions Cassidy c. Société canadienne des postes et Raj Thambirajah, 2012 TCDP 29 (CanLII) et Bilac c. Abbey, Currie et NC Tractor Services Inc. 2023 TCDP 43 (CanLII) [Bilac], bien que la comparaison avec la décision Bilac ne soit peut-être pas tout à fait appropriée, car dans cette affaire, le harceleur principal était l’âme dirigeante de la société intimée. Les décisions comme N.A., et d’autres décisions où le Tribunal a conclu que l’employeur intimé devrait verser des dommages-intérêts généraux distincts, semblent reposer sur l’obligation indépendante de l’employeur de maintenir un milieu de travail exempt de harcèlement. Toutefois, dans les autres affaires où le Tribunal a ordonné à l’employeur de verser des dommages-intérêts distincts, il n’a pas eu à trancher la question de l’application du plafond prévu à l’article 53 de la LCDP. La question du nombre d’ordonnances de dommages-intérêts qui peuvent être rendues en réparation de chaque acte discriminatoire n’a pas été soumise au Tribunal. Les questions en matière de réparation soulevées dans la présente affaire n’ont pas été soulevées par les parties dans ces autres affaires. Les questions soulevées dans ces affaires n’ont pas amené le Tribunal à interpréter la LCDP pour décider s’il peut condamner l’employeur à verser des dommages-intérêts distincts et, dans l’affirmative, à quel titre. Dans ces autres affaires, le libellé de la LCDP n’a pas été interprété en vue de trancher la question dont je suis saisie dans la présente décision sur requête. Les affaires dans lesquelles le Tribunal n’a pas statué directement sur ces questions ne sont pas convaincantes aux fins de ma décision dans la présente décision sur requête.

[129] Dans de nombreuses affaires dont le Tribunal est saisi, y compris les plaintes de harcèlement sexuel, seul l’employeur intimé est désigné comme partie, et lui seul est condamné à payer des dommages-intérêts.

[130] Bien qu’il s’agisse d’une affaire ontarienne, dans la décision Ibrahim v. Hilton Toronto, 2010 HRTO 1671 (CanLII), l’employeur constitué en personne morale a été adjoint à l’instance et le directeur général, qui avait été désigné comme intimé, a été retiré. Le directeur général a agi en sa qualité d’employé pour tous les actes discriminatoires allégués dans la plainte. L’employeur constitué en personne morale a accepté d’assumer la responsabilité de tout acte discriminatoire avéré de ses employés. Le plaignant a consenti à l’adjonction de l’employeur et au retrait de l’employé. En raison de ce changement, le directeur général ne pouvait plus être condamné à verser des dommages-intérêts. Comme il s’agit d’une décision ontarienne, elle ne lie pas notre Tribunal. J’y fais référence uniquement pour illustrer la mesure dans laquelle les parties peuvent adopter une approche différente dans d’autres juridictions.

[131] De même, dans l’affaire Guay c. Canada (Gendarmerie royale), 2004 TCDP 34 (CanLII) [Guay], la plainte a été déposée contre l’employeur intimé uniquement. Le Tribunal a refusé que certains employés qui auraient commis des actes de harcèlement soient adjoints comme intimés. Cette affaire ne lie pas non plus notre Tribunal. Il faut établir une distinction entre l’affaire Guay et la présente affaire, car dans la décision Guay, le litige portait sur l’adjonction de nouvelles parties à la plainte et la plaignante ne sollicitait aucune réparation contre les harceleurs, contrairement à la situation dans la présente décision sur requête. Toutefois, je mentionne cette affaire pour illustrer une fois de plus les divergences qui existent à l’égard de la pratique de notre Tribunal.

[132] La décision du Tribunal, dans certaines affaires, d’ordonner à l’employeur intimé et au harceleur de verser des dommages-intérêts distincts peut refléter le fait que plus d’un intimé a été désigné. De plus, il peut y avoir des raisons particulières de désigner le harceleur comme intimé, par exemple lorsqu’il est nécessaire de régler la plainte ou lorsqu’une réparation est demandée contre l’auteur de l’acte. Il appartient au Tribunal de décider s’il est approprié d’ordonner une réparation, et le cas échéant, laquelle, contre un intimé en particulier. Quoi qu’il en soit, dans les affaires où plus d’une ordonnance de dommages-intérêts a été rendue, le décideur ne justifie pas pourquoi la désignation du harceleur présumé devrait faire augmenter le nombre d’actes discriminatoires visés ou d’ordonnances de dommages-intérêts au titre de la LCDP, et ces affaires ne sont donc pas convaincantes.

(f) Conclusion

[133] La LCDP et le Code des droits de la personne de l’Ontario partagent le même objectif à l’égard de leurs dispositions respectives, à savoir que les lieux de travail soient exempts de harcèlement sexuel. La différence entre les deux régimes réside dans l’approche adoptée pour y parvenir. En Ontario, les manquements de l’employeur à cet égard peuvent entraîner une condamnation à verser des dommages-intérêts, car selon le Code des droits de la personne de l’Ontario, cette conduite constitue de la « discrimination », alors que le libellé des articles 5 à 14.1 de la LCDP ne prévoit pas expressément que le défaut de l’employeur de faire échec au harcèlement, de l’empêcher ou d’en atténuer les effets constitue un acte discriminatoire. Selon la LCDP, le défaut, pour un employeur, de faire échec au harcèlement et de prendre des mesures suffisantes pour empêcher le harcèlement sexuel sur les lieux de travail ou en atténuer les effets ne constitue pas un « acte discriminatoire »; ces critères constituent plutôt un fondement juridique permettant de mettre en jeu la responsabilité de l’employeur concernant l’acte discriminatoire de l’employé harceleur au titre de l’article 65. Lorsque l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires prévue par la LCDP n’est pas respectée, l’employeur ne sera pas tenu de payer des dommages-intérêts distincts supplémentaires. Toutefois, l’employeur devra verser les dommages-intérêts auxquels il a été condamné en réparation des actes de ses employés. Pour reprendre une analogie courante, dans le cadre du régime législatif de l’Ontario, le défaut de l’employeur de protéger le lieu de travail contre la discrimination a l’effet du bâton, alors que dans le cadre de la LCDP, l’occasion pour l’employeur de protéger le lieu de travail a l’effet de la carotte.

[134] Des dommages-intérêts ne peuvent être accordés au titre de l’alinéa 53(2)e) que pour réparer le préjudice résultant d’un acte discriminatoire. Le fondement de la plainte de Mme Peters concernant l’acte discriminatoire de harcèlement sexuel est prévu à l’article 14, et peut entraîner l’octroi de dommages-intérêts généraux. Toutefois, la LCDP ne contient aucune disposition permettant expressément au Tribunal d’ordonner à l’employeur de verser des dommages-intérêts supplémentaires pour avoir omis de maintenir un lieu de travail exempt de harcèlement, en plus des dommages-intérêts accordés en réparation de l’acte discriminatoire du harceleur au titre de l’article 14, sur la foi des arguments présentés par la plaignante et par la Commission.

B. Application de la décision relative à la décision sur requête concernant le plafond prévu par la Loi : UPS et M. Gordon ne sont pas des intimés distincts sur le plan juridique

[135] La décision sur requête concernant le plafond prévu par la Loi est pertinente parce que Mme Peters et la Commission soutiennent qu’étant donné qu’il y a deux intimés, plus d’un acte discriminatoire de harcèlement sexuel devrait être établi aux fins de la présente plainte. En fait, Mme Peters demande au Tribunal de considérer tous les faits liés au harcèlement qu’elle a subi et de conclure qu’ils constituent deux actes discriminatoires de harcèlement sexuel distincts : un commis par M. Gordon, l’auteur de l’acte de harcèlement, et l’autre commis par UPS, l’employeur, pour n’avoir pas donné adéquatement suite à la plainte. J’ai expliqué plus haut pourquoi la réponse déficiente d’UPS à la plainte de Mme Peters ne constitue pas un acte discriminatoire au sens de la LCDP et ne peut donc pas servir à condamner UPS à verser des dommages-intérêts distincts.

[136] Comme je l’ai expliqué précédemment, dans les faits, Mme Peters a allégué que chaque intimé avait commis cinq actes discriminatoires de harcèlement sexuel différents. Dans la décision sur requête concernant le plafond prévu par la Loi, le Tribunal a conclu ce qui suit :

1) Des dommages-intérêts peuvent être octroyés pour chaque acte discriminatoire distinct et avéré visé aux articles 5 à 14.1 de la LCDP, mais pas pour chaque incident relevant du même acte discriminatoire;

2) Un seul acte discriminatoire de harcèlement sexuel peut être établi pour chaque plainte, quel que soit le nombre d’incidents de harcèlement sur le lieu de travail impliquant des intimés liés sur le plan juridique;

3) Chaque intimé distinct sur le plan juridique peut être condamné à verser des dommages-intérêts.

[137] Dans la décision sur requête concernant le plafond prévu par la Loi, le Tribunal a conclu qu’il n’avait pas le pouvoir de scinder les actes discriminatoires en incidents distincts dans le cadre d’une même plainte et d’accorder des dommages-intérêts sur ce fondement. Un seul acte discriminatoire de harcèlement sexuel peut être établi pour chaque plainte, quel que soit le nombre d’incidents de harcèlement sur le lieu de travail impliquant des intimés liés sur le plan juridique. Des dommages-intérêts peuvent toutefois être accordés contre plus d’un intimé distinct sur le plan juridique.

[138] Mme Peters ne l’a pas formulé de cette manière, mais elle demande implicitement au Tribunal de conclure que M. Gordon et UPS sont deux intimés distincts sur le plan juridique aux fins du harcèlement qu’elle a subi, ce qui permettrait théoriquement de condamner chacun d’eux à verser des dommages-intérêts en réparation du harcèlement sexuel. Comme je l’ai expliqué précédemment, M. Gordon et UPS ont été désignés comme des parties distinctes; M. Gordon est une personne physique, et UPS, une personne morale, est considérée comme une personne selon la Loi d’interprétation. Aux fins des allégations formulées dans la plainte, il s’agit d’intimés distincts à l’égard des faits.

[139] Cependant, M. Gordon et UPS ne sont plus des intimés distincts sur le plan juridique. Le Tribunal a conclu à l’application du paragraphe 65(1) de la LIPR. Le paragraphe 65(1) modifie la manière dont la responsabilité est normalement liée aux actes et omissions commis par la personne, lesquels constituent l’acte discriminatoire. Selon le paragraphe 65(1), UPS est réputée avoir commis les mêmes actes que M. Gordon. Il s’agit là d’un point essentiel concernant le paragraphe 65(1) : s’il s’applique, UPS est réputée avoir commis l’acte discriminatoire commis par M. Gordon. Une fois que le Tribunal a conclu que le paragraphe 65(1) s’applique à l’employeur à l’égard des actions qui constituent l’acte discriminatoire, l’employeur et le salarié harceleur ne sont plus des intimés distincts sur le plan juridique aux fins des actions et de l’acte discriminatoire en question. Ils sont des intimés liés sur le plan juridique à l’égard de ces actes et omissions. L’employeur est réputé avoir commis l’acte discriminatoire commis par son employé. Aux fins de la présente plainte, UPS et M. Gordon sont des intimés liés, vu l’application du paragraphe 65(1) de la LCDP.

[140] Dans l’éventualité où j’aurais tort de conclure qu’UPS et M. Gordon deviennent des intimés liés sur le plan juridique lorsque le paragraphe 65(1) s’applique, l’application du paragraphe 65(1) n’a pas pour effet de créer deux actes discriminatoires à partir d’un seul. Le paragraphe 65(1) n’augmente ni le nombre d’actes discriminatoires commis ni le nombre d’ordonnances que le Tribunal peut rendre pour accorder des dommages-intérêts généraux.

[141] Conformément à ce qui a été conclu dans la décision sur requête concernant le plafond prévu par la Loi, le Tribunal ne peut établir qu’un seul acte discriminatoire de harcèlement sexuel pour l’ensemble de la plainte visant les intimés du même lieu de travail qui sont liés sur le plan juridique, et ce, quel que soit le nombre d’incidents ou de situations de harcèlement en cause.

[142] La LCDP ne confère pas au Tribunal le pouvoir de rendre deux ordonnances de dommages-intérêts généraux distinctes en réparation d’un acte de harcèlement sexuel, l’une contre l’employé harceleur et l’autre contre l’employeur intimé. Le Tribunal ne peut rendre qu’une seule ordonnance de dommages-intérêts pour un acte discriminatoire commis par les intimés liés; le paragraphe 65(1) de la LCDP n’augmente ni le nombre d’actes discriminatoires ni le nombre d’ordonnances de dommages-intérêts que le Tribunal peut rendre pour chaque acte discriminatoire.

VII. ANALYSE : DOMMAGES‑INTÉRÊTS SPÉCIAUX

Deuxième question : Est-il possible de rendre deux ordonnances octroyant des dommages-intérêts spéciaux contre UPS en tant qu’employeur, une première si le Tribunal conclut que la conduite de M. Gordon était délibérée ou inconsidérée, et une seconde contre UPS en tant qu’employeur, si la conduite de M. Gordon était délibérée ou inconsidérée? Le Tribunal devrait-il plutôt conclure que la conduite d’UPS était délibérée ou inconsidérée à la lumière de son incapacité à faire échec au harcèlement sexuel commis par M. Gordon, à l’empêcher ou à en atténuer les effets?

[143] Les mêmes principes d’interprétation et d’analyse législative expliqués plus haut qui s’appliquent à l’article 65 et au paragraphe 53(2) s’appliquent à l’article 65 et au paragraphe 53(3) de la LCDP. Ces dispositions doivent être interprétées conjointement dans leur contexte, sous réserve de toute modification de l’analyse présentée plus haut dans les présents motifs et qui serait rendue nécessaire par le libellé du paragraphe 53(3) de la LCDP. Le fait est que le paragraphe 53(3) doit être interprété conformément à son libellé et au contexte des autres dispositions de la LCDP. D’une manière générale, j’arrive aux mêmes conclusions concernant le pouvoir du Tribunal d’ordonner à l’employeur de verser des dommages-intérêts spéciaux distincts que celles que j’ai tirées concernant les dommages-intérêts généraux.

[144] Le paragraphe 53(3) prévoit ce qui suit :

Indemnité spéciale

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré. [Non souligné dans l’original.]

[145] Le paragraphe 53(3) est une disposition hybride, car elle encadre à la fois la question de la responsabilité pour le versement de dommages spéciaux et la possibilité d’obtenir réparation en elle-même. Il s’agit d’une disposition relative à la responsabilité, car elle exige que le Tribunal conclue au caractère délibéré ou inconsidéré de la conduite de l’employé lorsqu’il a commis l’acte discriminatoire pour que les dommages-intérêts spéciaux prévus au paragraphe 53(3) puissent être octroyés dans le cadre d’une ordonnance. Compte tenu des circonstances, je commence mon analyse en soulignant que l’acte discriminatoire de harcèlement sexuel a été commis par l’employé harceleur, et non par l’employeur intimé. Selon le paragraphe 53(3) de la LCDP, le Tribunal doit conclure que l’acte de « l’auteur d’un acte discriminatoire » a été délibéré ou inconsidéré. Pour évaluer la question de la responsabilité au sens du paragraphe 53(3), il faut trancher la question de savoir si l’employé a commis l’acte discriminatoire de manière délibérée ou inconsidérée. Si le Tribunal conclut en ce sens, la question de la réparation prévue au paragraphe 53(3) se pose effectivement. Le Tribunal décide ensuite s’il y a lieu d’accorder des dommages-intérêts spéciaux et, dans l’affirmative, il en détermine le montant. En fin de compte, le paragraphe 65(1) s’applique et prévoit que l’employeur intimé est réputé avoir commis les mêmes actes que l’employé harceleur et qu’il est donc responsable des dommages-intérêts.

[146] Le Tribunal a conclu que M. Gordon est l’auteur de l’acte discriminatoire de harcèlement sexuel. À ce stade de l’analyse, il s’agit de déterminer si « l’auteur » a commis un acte de harcèlement sexuel délibéré ou inconsidéré. L’octroi de dommages-intérêts spéciaux dépend de la question de savoir si les commentaires harcelants de nature sexuelle de M. Gordon ou les incidents de contact physique de nature sexuelle avec Mme Peters étaient délibérés ou inconsidérés. Lors de l’examen par le Tribunal, sur le fondement du paragraphe 53(3) de la LCDP, de la question de savoir si l’acte discriminatoire commis par l’employé était délibéré ou inconsidéré, la conduite de l’employeur intimé n’est pas directement en cause. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Robichaud au paragraphe 18, lorsqu’un employé commet un acte de harcèlement sexuel, « la conduite de l’employeur n’a théoriquement rien à voir avec l’imputation de la responsabilité ».

[147] La question de savoir si UPS sera tenue responsable de la conduite délibérée ou inconsidérée de M. Gordon a été effectivement tranchée par le Tribunal lorsqu’il a conclu, dans la décision concernant la responsabilité, qu’UPS ne pouvait pas invoquer le moyen de défense prévu au paragraphe 65(2). Selon le paragraphe 65(1), UPS est réputée avoir commis les mêmes actes de harcèlement que M. Gordon et a donc été jugée responsable du harcèlement sexuel commis par M. Gordon contre Mme Peters. Si la conduite de M. Gordon à l’égard de Mme Peters était délibérée ou inconsidérée, UPS est réputée avoir commis ces actes délibérés ou inconsidérés.

[148] Si le Tribunal conclut que la conduite de M. Gordon était délibérée ou inconsidérée et qu’UPS est réputée avoir agi de la même manière en faisant la même chose que M. Gordon, il ne s’ensuit pas pour autant qu’il y a eu deux actes ou séries d’actes délibérés et inconsidérés et que le Tribunal peut rendre deux ordonnances de dommages-intérêts spéciaux.

[149] Mme Peters allègue que le défaut d’UPS de faire échec au harcèlement, de ne pas avoir examiné la plainte en temps opportun et de manière appropriée et de ne pas avoir atténué les effets de la discrimination justifie l’octroi de dommages-intérêts spéciaux distincts contre UPS. Toutefois, la responsabilité d’UPS pour ces actes doit d’abord être établie sur le fondement de la LCDP. Ces actes et omissions d’UPS ne constituent pas un acte discriminatoire au sens de la LCDP.

[150] Dans la présente affaire, le Tribunal a conclu que M. Gordon a commis un acte discriminatoire de harcèlement sexuel. Le paragraphe 53(3) n’autorise pas le Tribunal à condamner l’employeur à verser des dommages-intérêts spéciaux en réparation d’une conduite qui n’est pas considérée comme un acte discriminatoire au sens des articles 5 à 14.1. Les paragraphes 53(3) et 65(1), interprétés conjointement, ne permettent pas de condamner l’employeur à verser des dommages-intérêts spéciaux distincts supplémentaires si ce dernier n’a commis aucun acte discriminatoire distinct à l’égard duquel une autre réparation prévue à l’article 53 pourrait s’appliquer. Comme je l’explique plus haut, le défaut de faire échec au harcèlement sexuel ou d’y répondre ne constitue pas un acte de harcèlement sexuel au regard de la jurisprudence et n’est donc pas un acte discriminatoire de harcèlement sexuel au sens de l’article 14 de la LCDP. Comme je l’ai également expliqué, l’employeur et l’employé sont considérés comme des intimés liés à l’égard de l’acte discriminatoire commis par M. Gordon compte tenu de l’application du paragraphe 65(1), ce qui confirme à nouveau qu’un seul acte discriminatoire de harcèlement sexuel a été commis dans la présente affaire.

[151] Je prends acte du fait que Mme Peters est fermement convaincue que la conduite d’UPS justifie l’octroi de dommages-intérêts spéciaux distincts. En outre, dans la décision sur la responsabilité, le Tribunal a tiré des conclusions factuelles sur le fait qu’UPS a attendu jusqu’à septembre 2015 avant d’examiner les plaintes de Mme Peters, et il a livré d’autres conclusions sur la conduite d’UPS, selon lesquelles elle pourrait avoir été délibérée ou inconsidérée sur le plan moral. Cependant, selon la LCDP, ces conclusions factuelles sont pertinentes pour trancher la question de savoir si UPS peut s’appuyer sur le paragraphe 65(2) de la LCDP pour être exonérée de toute responsabilité pour la conduite de M. Gordon.

[152] Pour les raisons que j’ai expliquées précédemment dans la présente décision sur requête et dans la décision sur requête concernant le plafond prévu par la Loi, une seule ordonnance de dommages-intérêts spéciaux peut être rendue en réparation d’un acte discriminatoire découlant d’une conduite délibérée ou inconsidérée, ce qui s’explique en partie par le fait que le paragraphe 53(3) de la LCDP permet de rendre une ordonnance condamnant l’auteur de cet acte discriminatoire à verser des dommages-intérêts spéciaux. Le fait de désigner l’employé harceleur présumé et l’employeur intimé comme parties à une plainte de harcèlement sexuel n’augmente pas le nombre d’actes discriminatoires commis ou le nombre d’ordonnances de dommages-intérêts spéciaux que le Tribunal peut rendre.

[153] Avant de conclure mon raisonnement sur cette question, je reviens sur le fait que dans de nombreuses affaires instruites devant notre Tribunal, l’employeur est l’unique intimé à être désigné. Dans certaines de ces affaires, l’analyse du Tribunal des termes « délibérée ou inconsidérée » se concentre soit sur la conduite de l’employeur intimé dans son ensemble, y compris les actes de son employé harceleur, soit sur le fait que l’employeur intimé n’a pas tenu d’enquête concernant les plaintes de harcèlement : André c. Matimekush-Lac John Nation Innu, 2021 TCDP 8 (CanLII), Young c. VIA Rail Canada Inc., 2023 TCDP 25 (CanLII), R. L. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2021 TCDP 33 (CanLII). Dans ces affaires, les parties n’ont pas contesté l’examen, par le Tribunal, de la manière dont l’employeur intimé s’est conduit après le harcèlement aux fins de l’adjudication de dommages-intérêts spéciaux en réparation du harcèlement sexuel. Dans certaines affaires, plusieurs employés étaient impliqués, ce qui faisait intervenir un ensemble de circonstances plus large que dans la présente affaire, où la question se limitait à savoir si M. Gordon avait harcelé sexuellement Mme Peters. Dans ces autres affaires, le Tribunal n’a pas été appelé à rendre plus d’une ordonnance de dommages-intérêts spéciaux à l’égard du même acte discriminatoire de harcèlement sexuel ou à examiner la question, soulevée dans la présente décision sur requête, de l’interprétation de la LCDP concernant l’octroi de dommages-intérêts généraux et spéciaux.

[154] Comme le libellé de la LCDP prévoit l’octroi de dommages-intérêts spéciaux en réparation d’un acte discriminatoire de harcèlement sexuel découlant d’une conduite délibérée ou inconsidérée, je demeure convaincue que l’élément pertinent dans la présente affaire est la conduite de M. Gordon, plutôt que les critères applicables à UPS prévus au paragraphe 65(2). Mme Peters et la Commission n’ont pas présenté d’argument ou de jurisprudence permettant de convaincre le Tribunal qu’il a compétence pour condamner le harceleur à verser des dommages-intérêts spéciaux en réparation du harcèlement sexuel qu’il a commis et pour condamner l’employeur à verser des dommages-intérêts spéciaux distincts en réparation de sa conduite fautive, laquelle ne constitue pas un acte discriminatoire de harcèlement sexuel selon le Tribunal. Si la conduite de M. Gordon n’était pas délibérée ou inconsidérée, je n’aurais pas compétence pour accorder des dommages-intérêts spéciaux sur le seul fondement de la conduite d’UPS dans ces circonstances compte tenu du libellé de la LCDP, et ce, malgré les conclusions négatives que j’ai tirées concernant la conduite d’UPS dans la décision concernant la responsabilité.

VIII. CONCLUSION

[155] Le Tribunal n’étant pas une cour de justice, il n’a pas compétence pour s’appuyer sur la common law pour conclure qu’un acte discriminatoire a été commis. La présente décision doit être conforme à l’article 39 de la LCDP, c’est-à-dire qu’elle doit s’appuyer sur les actes discriminatoires prévus aux articles 5 à 14.1 et sur les ordonnances et leurs modalités prévues aux 53(2) et 53(3) de la LCDP.

[156] Le paragraphe 65(2) n’autorise pas le Tribunal à conclure qu’UPS a commis un acte discriminatoire distinct de celui de M. Gordon au motif que l’employeur, UPS, n’a pas pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher la discrimination et en atténuer les effets. Selon le paragraphe 65(2), le défaut pour l’employeur de faire échec au harcèlement sexuel, ou l’absence de politique ou de politique efficace, de formation pour les employés ou d’examen en temps opportun des plaintes de harcèlement met en jeu la responsabilité de l’employeur concernant le harcèlement commis par l’employé harceleur, en application du paragraphe 65(1). Compte tenu du libellé du paragraphe 65(2) et des autres dispositions de la LCDP, je commettrais une erreur en concluant qu’UPS a commis un acte discriminatoire de harcèlement sexuel distinct au titre d’une disposition de la LCDP, alors que cet acte n’est pas reconnu par l’article 14, ou sur le fondement de faits dont la pertinence à l’égard du critère juridique applicable au harcèlement sexuel énoncé à l’article 14 n’a pas été démontrée, ou si je m’appuyais sur des raisonnements tirés de la jurisprudence qui découle de l’interprétation du libellé du Code des droits de la personne de l’Ontario plutôt que de la LCDP.

[157] Comme l’acte discriminatoire dont il est question à l’article 65 ne peut être considéré comme distinct au sens de la LCDP, cette disposition ne peut servir de fondement pour condamner UPS à verser des dommages-intérêts distincts au titre des paragraphes 53(2) et 53(3) de la LCDP. La compétence du Tribunal en matière de réparation prévue à l’article 53, sur le fondement de laquelle des dommages-intérêts peuvent être octroyés, n’entre pas en jeu du seul fait que l’employeur intimé n’a pas établi de défense fondée sur le paragraphe 65(2), comme c’est le cas dans la présente affaire.

[158] L’article 65, les paragraphes 53(2) et 53(3), et les articles 39 et 14 de la LCDP ne confèrent pas au Tribunal le pouvoir de prononcer deux ordonnances distinctes en vue d’accorder des dommages-intérêts généraux ou spéciaux à Mme Peters en réparation du harcèlement sexuel commis par M. Gordon, l’une contre M. Gordon, qui est sous la responsabilité d’UPS, et l’autre contre UPS en réparation de son incapacité à empêcher l’acte discriminatoire commis par son employé sur le lieu de travail ou à en atténuer les effets au titre du paragraphe 65(2) de la LCDP.

[159] L’article 65 de la LCDP vise à informer les employeurs, tels qu’UPS, que la Loi les oblige à maintenir un lieu de travail exempt de harcèlement sexuel pour leurs employés s’ils veulent éviter que leur responsabilité soit mise en jeu concernant les actes discriminatoires commis par leurs employés. Toutefois, le défaut de respecter l’obligation prévue par la LCDP ne constitue pas un acte discriminatoire distinct aux fins de l’exercice du pouvoir de réparation du Tribunal, en vertu duquel il peut ordonner le versement de dommages-intérêts au titre de l’article 53 ou d’autres dispositions de la partie III de la LCDP.

[160] En conséquence, bien que les actes et omissions d’UPS n’étaient pas raisonnables, appropriés ou équitables, ils ne constituent pas, suivant le libellé de la LCDP, un acte discriminatoire distinct commis par l’employeur, en plus du harcèlement commis par M. Gordon. Sous le régime de la LCDP, l’employeur est plutôt considéré comme responsable des actes et omissions de son employé du fait qu’il est réputé avoir commis ces actes et omissions. La LCDP ne va pas plus loin.

[161] J’ajouterai qu’étant donné que le Tribunal n’a pas compétence pour condamner UPS à verser des dommages-intérêts distincts, je n’ai a pas à trancher la question de savoir si UPS et M. Gordon sont conjointement et solidairement responsables à l’égard d’une ordonnance distincte condamnant UPS à verser des dommages-intérêts en réparation du harcèlement sexuel qu’elle a commis.

[162] En application de la décision sur requête concernant le plafond prévu par la Loi, le montant total des dommages-intérêts qui peut être accordé à Mme Peters en réparation de l’acte discriminatoire de harcèlement sexuel ne peut dépasser le plafond de 40 000 $ prévu par la Loi. Il est donc question d’un maximum possible de 20 000 $ de dommages-intérêts pour préjudice moral et de 20 000 $ de dommages-intérêts pour une conduite délibérée ou inconsidérée, compte tenu des faits et de la Loi. Conformément au paragraphe 65(1) de la LCDP, UPS et M. Gordon ne sont pas des intimés distincts sur le plan juridique, car dans la décision concernant la responsabilité, le Tribunal a conclu que M. Gordon a commis l’acte discriminatoire de harcèlement sexuel en tant qu’employé d’UPS. UPS est réputée avoir commis le même acte discriminatoire que M. Gordon en tant qu’employeur selon le paragraphe 65(1) de la LCDP.

IX. APPLICATION DES CONCLUSIONS DE DROIT

Troisième question : Quelle est l’incidence de la présente décision sur requête sur la demande de réparations personnelles de Mme Peters?

[163] Rien dans la présente décision sur requête n’a pour effet de laisser entendre que le pouvoir de réparation du Tribunal prévu aux paragraphes 53(2) et 53(3) était limité de quelque manière que ce soit, à l’exception du pouvoir de rendre une deuxième ordonnance en vue de condamner l’employeur intimé à verser des dommages-intérêts en réparation du harcèlement sexuel, au titre du paragraphe 65(1) de la LCDP. La décision sur requête concernant le plafond prévu par la Loi et la présente décision sur requête, interprétées conjointement, règlent la question du nombre d’ordonnances qui peuvent être rendues selon la LCDP pour accorder des dommages-intérêts en réparation du harcèlement sexuel, sur le fondement des arguments présentés dans la présente affaire et des conclusions factuelles et juridiques tirées dans la décision concernant la responsabilité.

[164] En résumé, dans la présente décision sur requête, le Tribunal a compétence pour accorder les dommages-intérêts potentiels qui suivent, conformément à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la LCDP :

1. L’octroi de dommages-intérêts généraux contre M. Gordon et/ou UPS, d’un montant maximal de 20 000 dollars, en réparation du harcèlement sexuel commis par M. Gordon au sens de l’article 14 de la LCDP;

2. L’octroi de dommages-intérêts spéciaux contre M. Gordon et/ou UPS, jusqu’à concurrence de 20 000 dollars, en réparation du harcèlement sexuel commis par M. Gordon au sens de l’article 14 de la LCDP;

3. L’octroi de dommages-intérêts généraux contre UPS et/ou M. Gordon, d’un montant maximal de 20 000 dollars, en réparation d’un acte de discrimination en cours d’emploi fondé sur la déficience, au sens de l’article 7 de la LCDP.

4. L’octroi de dommages-intérêts spéciaux contre UPS et/ou M. Gordon, d’un montant maximal de 20 000 dollars, en réparation d’un acte de discrimination en cours d’emploi fondé sur la déficience, au sens de l’article 7 de la LCDP. *

[165] Je souligne que la question de savoir comment le Tribunal doit interpréter le paragraphe 65(1) et l’appliquer aux deux intimés en vue d’accorder des dommages-intérêts sera examinée dans une décision sur requête connexe. L’utilisation des termes « M. Gordon et/ou UPS » et « UPS et/ou M. Gordon » ci-dessus s’inscrit dans l’examen en cours par le Tribunal de la question de savoir si chaque intimé doit être condamné conjointement et solidairement à verser des dommages-intérêts, conformément à la demande de Mme Peters.

[166] *Le pouvoir du Tribunal de rendre cette ordonnance de dommages-intérêts est souligné en l’espèce. Toutefois, MmePeters, qui était représentée par un avocat expérimenté, n’a pas sollicité d’ordonnance en vue de condamner UPS à verser des dommages-intérêts spéciaux en réparation de cet acte discriminatoire. Cette demande hypothétique ne sera donc pas examinée.

X. ORDONNANCE

[167] Pour les motifs qui précèdent, l’ordonnance déclaratoire provisoire rendue par le Tribunal dans la décision sur requête concernant le plafond prévu par la Loi est modifiée de manière à la rendre conforme au paragraphe 164 des présentes, jusqu’à ce que toutes les autres questions portant sur les mesures de réparation soient tranchées. Compte tenu des arguments avancés par la plaignante et par la Commission, le Tribunal conclut en outre que la LCDP ne lui permet pas de condamner UPS à verser des dommages-intérêts à Mme Peters en réparation du harcèlement sexuel qu’elle a subi, indépendamment de toute ordonnance rendue par le Tribunal concernant le harcèlement sexuel commis par M. Gordon et dont UPS est responsable.

Signée par

Kathryn A. Raymond, c.r.

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 31 janvier 2025

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : T2201/2317

Intitulé de la cause : Tesha Peters c. United Parcel Service Canada Ltd. et Linden Gordon

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 31 janvier 2025

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

David Baker, Daniel Mulroy, Laura Lepine et Clare Budziak , pour la plaignante

Aby Diagne , Sasha Hart et Ikram Warsame pour la Commission canadienne des droits de la personne

Nafisah Chowdhury et Seann D. McAleese , pour l’intimée , United Parcel Service Canada Ltd.

Linden Gordon , pour son propre compte

 

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