Contenu de la décision
Tribunal canadien |
|
Canadian Human |
Référence : 2025 TCDP
Date : Le
Numéro du dossier :
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Entre :
la plaignante
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
la partie intimée
Décision sur requête
Membre :
I. APERÇU
[1] Voici les motifs qui m’ont amenée à accueillir la demande présentée par la plaignante en vue de rendre son identité anonyme dans le cadre de la présente instance.
[2] La plaignante est une femme transgenre qui a travaillé pour les Forces armées canadiennes, la partie intimée. Elle soutient que la partie intimée l’a harcelée et a fait preuve de discrimination à son égard, en violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « Loi »). Elle a demandé que son nom et son identité soient rendus anonymes dans le cadre de la présente instance, car elle craint sérieusement de subir des conséquences négatives si son nom devait être publiquement associé aux faits de l’affaire.
[3] La partie intimée et la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») consentent à la demande de la plaignante.
II. DÉCISION
[4] La requête est accueillie. Le nom de la plaignante sera rendu anonyme et le Tribunal utilisera les initiales aléatoires C.D. pour distinguer la présente affaire des autres affaires dans lesquelles il a utilisé des initiales aléatoires (A.B. ou E.F. notamment).
III. QUESTION EN LITIGE
[5] Je dois déterminer si la plaignante a satisfait aux conditions préalables au prononcé d’une ordonnance de confidentialité qui sont énoncées à l’article 52 de la Loi et dans la jurisprudence applicable.
IV. ANALYSE
A. Numéro 1. Le Tribunal devrait-il rendre une ordonnance visant à rendre anonyme l’identité de la plaignante?
[6] Oui. D’emblée, je note que le consentement des parties ne constitue pas un facteur déterminant en l’espèce. Je dois tout de même être convaincue que la demande d’anonymisation de la plaignante satisfait à l’un des critères énoncés à l’article 52 de la Loi (White c. Laboratoires Nucléaires Canadiens, 2020 TCDP 5, au par. 50).
[7] Toute instance en matière de droits de la personne est en principe publique. La présomption de publicité des débats devant le Tribunal n’est toutefois pas absolue. Le Tribunal peut, dans certaines circonstances, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance pour assurer la confidentialité de l’instruction, notamment s’il est convaincu qu’il y a un risque sérieux que la divulgation cause un préjudice injustifié aux personnes concernées. Le Tribunal doit également être convaincu que la nécessité d’empêcher la divulgation dans l’intérêt des personnes concernées ou dans l’intérêt public l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique (alinéa 52(1)c) de la Loi).
[8] Le Tribunal applique l’article 52 de la Loi tout en tenant compte des principes généralement cohérents énoncés dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25 [Sherman (Succession)].
[9] Pour les motifs qui suivent, à la lumière des principes exposés dans l’arrêt Sherman (Succession), je suis convaincue que la plaignante satisfait au critère énoncé à l’alinéa 52(1)c) de la Loi.
(i) Risque sérieux de préjudice injustifié pour C.D. si son identité est révélée
[10] Lorsque j’applique l’alinéa 52(1)c) de la Loi à la lumière de l’arrêt Sherman (Succession), je dois déterminer s’il y a un risque sérieux que la divulgation de l’identité de la plaignante lui cause un préjudice injustifié, ce qui représente également un risque sérieux pour un intérêt public important.
[11] Je suis convaincue que la plaignante a satisfait au premier volet de l’analyse. La plaignante a fait valoir que la révélation publique de son statut de personne transgenre risquait de lui causer un préjudice grave, voire de l’exposer à de la violence. Elle a ajouté que, compte tenu de l’évolution du climat politique, il est difficile de prédire si la situation s’améliorera de son vivant. Comme l’a souligné la Commission, le Tribunal a reconnu à maintes reprises que l’identité transgenre est fortement stigmatisée et que les personnes transgenres risquent davantage de subir des désavantages, des préjugés et de la violence (voir, par exemple, A.B. et al. c. Service correctionnel du Canada, 2022 TCDP 15 et E.F. c. Service correctionnel du Canada, 2023 TCDP 15).
[12] Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Sherman (Succession), il existe un intérêt public important en matière de vie privée qui vise à permettre aux personnes de garder un contrôle sur leur identité fondamentale dans la sphère publique dans la mesure nécessaire pour protéger leur dignité (au par. 85). Dans cet arrêt, la Cour suprême donne des exemples de renseignements personnels sensibles qui, s’ils étaient diffusés, pourraient entraîner un risque sérieux pour un intérêt public important. Elle a notamment cité l’orientation sexuelle d’une personne (au par. 77).
[13] À mon avis, l’identité transgenre de la plaignante représente le type de renseignements personnels sensibles dont la diffusion pourrait porter atteinte à sa dignité et à sa sécurité personnelle. Par conséquent, il y a, au sens de l’alinéa 52(1)c) de la Loi, un risque sérieux de préjudice injustifié pour la plaignante si de tels renseignements personnels sont révélés. Ce risque est essentiellement comparable à celui identifié par la Cour suprême dans l’arrêt Sherman (Succession).
[14] Pour les motifs qui précèdent, et à la lumière des principes énoncés dans l’arrêt Sherman (Succession), la plaignante a satisfait au premier volet du critère prévu à l’article 52 de la Loi.
(ii) La nécessité d’empêcher la divulgation l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique
[15] Le risque sérieux que court la plaignante, décrit ci-dessus, l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à connaître son identité. L’anonymisation à laquelle ont consenti les parties est la manière la moins intrusive possible de protéger la plaignante du préjudice que pourrait lui causer la divulgation de son identité transgenre. L’ordonnance de confidentialité n’entraînera que le retrait du nom de la plaignante de la version publique des documents déposés auprès du Tribunal, ainsi que des décisions sur requête et des décisions rendues par le Tribunal. La plaignante n’a pas demandé le caviardage des autres renseignements permettant de l’identifier. De ce fait, les autres renseignements contenus dans ces documents demeureront accessibles au public, tout comme l’audience.
[16] Pour les motifs qui précèdent, j’estime que les deux parties du critère applicable aux ordonnances de confidentialité qui est établi à l’alinéa 52(1)c) sont respectées. Par conséquent, j’accorde l’ordonnance de confidentialité énoncée ci-après.
V. ORDONNANCE
[17] Le Tribunal ordonne ce qui suit :
- La plaignante doit être désignée par les initiales C.D. tout au long de l’instance, que ce soit dans les documents écrits ou les observations orales des parties, ainsi que dans les décisions sur requête et les décisions du Tribunal;
- Dans les 30 jours suivant la date de la présente décision sur requête, chaque partie doit déposer à nouveau auprès du Tribunal des versions anonymisées de tout document précédemment déposé, y compris les exposés des précisions et les observations. Elles doivent remplacer le nom de la plaignante par les initiales aléatoires C.D.;
- Le greffe ajoutera les versions anonymisées de tous les documents au dossier officiel.Les versions non anonymisées seront scellées par le Tribunal et ne seront pas divulguées au public;
- Le greffe veillera à ce que toute information sollicitée provenant du dossier officiel du Tribunal soit conforme à la présente décision sur requête avant sa divulgation.
Signée par
Membre du Tribunal
Ottawa, Ontario
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéro du dossier du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Requête traitée par écrit sans comparution des parties
Observations écrites par :
Laure Prévost, pour la Commission canadienne des droits de la personne