Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

M. Osiebe est un homme noir originaire du Nigéria. Il a porté plainte contre FedEx Ground Package System Limited (« FedEx Ground »). Il affirme avoir été victime de discrimination fondée sur sa couleur, sa race et son origine nationale ou ethnique.

La présente décision sur requête répond à une demande de FedEx Ground. Celle-ci voulait que certains paragraphes soient retirés de l’exposé des précisions de M. Osiebe. Elle voulait aussi que le Tribunal oblige M. Osiebe à fournir des renseignements et des documents sur ses emplois précédents et sur toute plainte de discrimination ou de harcèlement qu’il aurait pu faire par le passé.

Le Tribunal a refusé de retirer les paragraphes. Il a conclu que ces paragraphes sont suffisamment liés aux faits mentionnés dans la plainte. Ils permettent simplement de mieux expliquer ou préciser la plainte. Les garder dans l’exposé des précisions de M. Osiebe ne rendra pas la procédure plus longue, compliquée ou coûteuse. Aucun préjudice n’en résultera pour FedEx Ground.

Le Tribunal a accepté en partie la demande de renseignements. M. Osiebe doit fournir des informations et des documents sur les emplois qu’il a occupés après avoir quitté FedEx Ground. Cela aidera à voir s’il a essayé d’atténuer ses pertes financières. Il doit aussi donner plus de détails sur sa déclaration selon laquelle la perte de son emploi l’a obligé à déménager, ce qui aurait ensuite contribué largement à l’échec de son mariage. Ces informations pourraient être importantes pour décider s’il a droit à une indemnité pour préjudice moral.

Le Tribunal a cependant refusé la demande d’information sur les anciens emplois de M. Osiebe ou sur d’éventuelles plaintes de discrimination ou de harcèlement contre d’autres employeurs. Il a jugé que cette demande n’était pas raisonnable, ni juste ou proportionnée.

Le Tribunal a tenu compte du principe de la proportionnalité aux fins des deux volets de sa décision.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2025 TCDP 18

Date : Le 14 mars 2025

Numéro du dossier : HR-DP-2986-24

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Mudiaga John Osiebe

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

FedEx Ground Package System Limited

l’intimée

Décision sur requête

Membre : Anthony Morgan

 



I. APERÇU

[1] L’intimée, FedEx Ground Package System Limited (« FedEx Ground »), sollicite une ordonnance enjoignant au plaignant, M. Mudiaga John Osiebe, de radier certains paragraphes de son exposé des précisions et de divulguer certains documents et précisions.

II. DÉCISION

[2] La requête en radiation des paragraphes contestés de l’exposé des précisions du plaignant est rejetée et la requête en divulgation de certains documents et précisions est accueillie en partie.

III. PREMIÈRE QUESTION EN LITIGE : REQUÊTE EN RADIATION

A. L’intimée conteste l’inclusion de certains paragraphes

[3] M. Osiebe est un homme noir originaire du Nigéria. Il affirme que l’intimée a fait preuve à son égard de discrimination fondée sur la couleur, la race, l’origine nationale ou ethnique et le sexe, dans le cadre de son emploi contractuel à temps partiel d’une durée déterminée en tant que gestionnaire des opérations. M. Osiebe prétend avoir fait l’objet de discrimination de juin 2019 jusqu’à la fin de son emploi auprès de l’intimée en décembre 2019.

[4] Conformément aux articles 18 à 20 des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 (les « Règles de pratique »), chaque partie doit déposer un exposé des précisions contenant sa position quant aux faits sur lesquels la plainte est fondée et sa position sur les questions que celle-ci soulève.

[5] Dans son exposé des précisions, l’intimée s’oppose à l’introduction de trois allégations qui, selon elle, sont formulées pour la première fois dans l’exposé des précisions du plaignant. Elle fonde cette opposition sur quatre motifs.

[6] Le premier motif invoqué par l’intimée pour justifier son opposition à l’introduction des allégations, qu’elle qualifie de nouvelles, est que ces dernières ne figurent pas dans la plainte qui a été renvoyée au Tribunal pour instruction par la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission »). Ensuite, elle affirme que l’inclusion des nouvelles allégations fait que la plainte contourne le processus d’examen préalable de la Commission. Puis, l’intimée allègue que, si le plaignant est autorisé à ajouter ces allégations, un préjudice lui sera causé parce qu’elle ne sera pas en mesure de formuler une réponse adéquate et complète à l’égard de la plainte. Finalement, elle soutient que ces allégations supplémentaires n’ont pas été présentées dans les délais impartis étant donné que les incidents sont survenus il y a plusieurs années et qu’elles sont formulées maintenant, pour la première fois.

[7] En fin de compte, l’intimée demande au Tribunal de radier plusieurs paragraphes de l’exposé des précisions de M. Osiebe. Plus précisément, elle sollicite la radiation des paragraphes suivants (les « paragraphes contestés ») :

  • A)le paragraphe 34;

  • B)les paragraphes 36 à 44;

  • C)les paragraphes 54 à 63;

  • D)le paragraphe 149;

  • E)le paragraphe 151;

  • F)le paragraphe 153;

  • G)le paragraphe 154.

[8] Le plaignant et la Commission font tous deux valoir, de manière subséquente et indépendante, que les paragraphes contestés ne doivent pas être radiés parce qu’ils fournissent des détails au sujet d’allégations qui ne sont pas nouvelles.

[9] La Commission soutient également que les allégations détaillées aux paragraphes contestés doivent être interprétées comme servant à clarifier, à raffiner et à détailler le contenu de la plainte initiale de M. Osiebe et ne doivent donc pas être radiées de l’exposé des précisions de M. Osiebe.

B. Cadre juridique

[10] Qu’il soit appelé à déterminer la portée d’une plainte ou à trancher une requête en radiation, le Tribunal a statué que les principes juridiques applicables sont les mêmes (Levasseur c. Société canadienne des postes, 2021 TCDP 32, [Levasseur], au par. 7, AA c. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 33).

[11] Aux paragraphes 9 à 17 et 22 de la décision sur requête Levasseur, le Tribunal explique le parcours d’une plainte déposée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP »), de sa réception initiale par la Commission à son renvoie au Tribunal pour instruction. Si la Commission renvoie une plainte et qu’elle n’exprime aucune limitation ou exclusion, le Tribunal se déclare compétent pour instruire l’ensemble de la plainte (Levasseur, au par 12). La portée d’une plainte est déterminée par la plainte elle-même, par la décision de la Commission concernant cette plainte et par la lettre que la Commission adresse au président du Tribunal afin de lui demander de désigner un membre pour instruire la plainte (Mohamed c. Banque Royale du Canada, 2023 TCDP 20, [Mohamed], au par. 10). Cela étant dit, les exposés de précisions peuvent servir à clarifier, à raffiner et à détailler le contenu de la plainte initiale déposée auprès de la Commission (Levasseur, au par. 13, et Mohamed, au par. 11), et ce, afin d’expliquer de manière plus détaillée les faits et les circonstances de la plainte qui pourraient avoir émergé après son dépôt. Dans les exposés des précisions, le Tribunal autorise l’ajout de détails permettant de clarifier, de peaufiner et de mieux illustrer ceux figurant dans la plainte initiale, à condition que ces modifications ne causent pas de préjudice aux autres parties (Campos‑Ruiz c. Gendarmerie royale du Canada, 2023 TCDP 17, au par. 29).

[12] Bien que le Tribunal reconnaisse que l’exposé des précisions peut servir à fournir des détails supplémentaires à l’égard de la plainte, celui-ci ne doit pas renvoyer à des incidents ou inclure des allégations n’ayant aucun lien logique avec la plainte initialement déposée. En d’autres mots, l’exposé des précisions doit raisonnablement respecter les fondements factuels de la plainte initiale (Levasseur, au par. 15).

[13] La partie qui souhaite modifier, élargir ou amender la portée de sa plainte par son exposé des précisions doit convaincre le Tribunal qu’il existe une connexion ou un lien suffisant entre la plainte qu’elle a initialement déposée auprès de la Commission et ce qu’elle décrit et affirme dans l’exposé des précisions qu’elle présente au Tribunal. S’il estime qu’il n’existe pas de connexion raisonnable entre les questions et les faits soulevés dans l’exposé des précisions et les détails figurant dans la plainte initiale, le Tribunal peut statuer que la partie tente, de manière inappropriée, de présenter une toute nouvelle plainte (Levasseur, au par. 16).

[14] En outre, l’exposé des précisions n’est pas le seul élément que le Tribunal peut consulter pour déterminer la portée de la plainte dont il est saisi. Il peut notamment examiner le rapport d’enquête de la Commission, les lettres que celle-ci a envoyées au président et aux parties ainsi que la plainte initiale (Levasseur, au par. 17).

[15] Dans la décision sur requête Temate c. Agence de santé publique du Canada, 2022 TCDP 31 [Temate], le Tribunal énonce d’autres facteurs dont il doit tenir compte lorsqu’il est appelé à trancher une question en litige relative à la portée d’une plainte ou une requête en radiation (aux par. 8‑15). Les facteurs en question ont trait au principe de la proportionnalité. Dans cette décision, le Tribunal déclare que le principe de la proportionnalité doit le guider lorsqu’il traite les questions relatives à la portée d’une plainte et les requêtes en radiation (au par. 13). Le souci du maintien de la proportionnalité dans le traitement des dossiers est exprimé au paragraphe 48.9(1) de la LCDP, lequel exige que l’instruction des plaintes par le Tribunal se fasse sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des Règles de pratique.

[16] L’importance du principe de la proportionnalité est renforcée par l’article 5 des Règles de pratique, lequel précise que le Tribunal doit interpréter et appliquer les Règles de pratique de façon à permettre de trancher la plainte sur le fond de façon équitable, informelle et rapide.

[17] Il ressort d’une lecture conjointe du paragraphe 48.9(1) de la LCDP et de l’article 5 des Règles de pratique que ces dispositions obligent les parties et le Tribunal à veiller à ce que l’instruction de la plainte ne soit pas déraisonnablement ou inutilement complexe, longue et coûteuse. À mon avis, il ressort également de ces dispositions que le principe de la proportionnalité doit être abordé et appliqué de manière à respecter l’importance du maintien de l’accès à la justice pour toutes les parties dont le dossier a été renvoyé au Tribunal par la Commission.

[18] Finalement, le Tribunal a jugé qu’il ne doit exercer son pouvoir de radier des éléments de l’exposé des précisions d’une partie que dans les « cas les plus clairs » et qu’il est tenu de procéder avec prudence (Richards c. Service correctionnel Canada, 2020 TCDP 27, au par. 86).

C. Mes motifs

[19] Je ne suis pas convaincu par les arguments présentés par l’intimée pour justifier la radiation des paragraphes contestés de l’exposé des précisions du plaignant. Je conclus que ces paragraphes ne doivent pas être radiés.

[20] Aux paragraphes 34, 36 à 44, 149, 151 et 153 de son exposé des précisions, M. Osiebe allègue avoir fait l’objet de discrimination du fait qu’on lui a attribué du travail manuel ou qu’on s’attendait à ce qu’il fasse pareil travail. Cette allégation n’est pas nouvelle, car elle avait été formulée dans la plainte initiale déposée auprès de la Commission en décembre 2019. Cette dernière a d’ailleurs avancé cet argument pour s’opposer à la radiation des paragraphes contestés.

[21] Comme la Commission l’a mentionné dans ses observations, elle a produit deux lettres de décision en lien avec la plainte de M. Osiebe, lesquelles ont été transmises dans le cadre du renvoi de la plainte au Tribunal pour instruction. Dans la première lettre (décembre 2022), la Commission a décidé de renvoyer la présente affaire au Tribunal si le processus de conciliation auquel elle avait ordonné aux parties de participer s’avérait infructueux. Dans la deuxième lettre (janvier 2024), la Commission a jugé que la proposition de règlement de l’intimée n’était pas raisonnable, et a donc renvoyé l’affaire au Tribunal. Après examen de ces lettres de décision, par lesquelles la Commission a demandé au Tribunal d’instruire la plainte, j’estime que les allégations liées au travail manuel ne dépassent pas la portée de l’instruction que la Commission a jugé nécessaire. Pour les motifs qui précèdent, je conclus que ces allégations ne doivent pas être radiées de l’exposé des précisions de M. Osiebe.

[22] Aux paragraphes 54 à 59 de son exposé des précisions, M. Osiebe affirme qu’il a reçu tardivement ses identifiants de connexion dont il avait besoin pour envoyer un formulaire de FedEx essentiel à son travail, voire qu’on a refusé de les lui fournir. Aux paragraphes 60 à 63, M. Osiebe soutient que l’un de ses collègues s’est servi de son ordinateur sans sa permission et a altéré un tableau Excel qu’il était chargé de mettre à jour quotidiennement.

[23] Je juge qu’il est raisonnable d’interpréter les deux allégations formulées aux paragraphes 54 à 63 comme servant à clarifier, à raffiner et à détailler le contenu de la plainte initiale de M. Osiebe, dans laquelle il affirme avoir été victime de nombreux actes discriminatoires de la part de ses collègues. Ces allégations portent également sur la discrimination fondée sur la couleur, la race, l’origine nationale ou ethnique et le sexe de M. Osiebe. Les actes discriminatoires allégués sont survenus au cours de la période générale visée par la plainte initiale, se sont déroulés dans des conditions de travail similaires et visent au moins l’un des mêmes collègues nommés M. Osiebe dans d’autres allégations qui ne sont pas contestées au motif qu’elles dépassent la portée de la présente instruction. En outre, je juge que les paragraphes 54 à 63 fournissent des détails pertinents au sujet de l’ensemble de la plainte de M. Osiebe.

[24] Je juge que le paragraphe 154 ne doit pas non plus être radié de l’exposé des précisions du plaignant. Ce paragraphe est étroitement lié à l’allégation de traitement défavorable formulée par M. Osiebe quant à l’accès à certains types de formation. J’estime que le paragraphe 154 approfondit et reformule des allégations qui figuraient clairement dans la plainte initiale de M. Osiebe, que l’intimée n’a pas contesté par ailleurs.

[25] En résumé, je conclus que tous les paragraphes contestés ont un lien suffisant avec la chaîne d’évènements à l’origine de la plainte initiale de M. Osiebe. Après examen de cette plainte et des lettres par lesquelles la Commission a renvoyé l’affaire au Tribunal pour instruction, je juge que les paragraphes contestés raffinent, clarifient et détaillent la plainte initiale de diverses façons.

[26] Les paragraphes contestés ont un lien logique avec la plainte de M. Osiebe et en respectent les fondements factuels, et leur l’inclusion dans l’exposé des précisions de M. Osiebe ne rendent pas indûment la présente instance plus longue, plus complexe ou plus coûteuse. Pour les motifs qui précèdent, je ne suis pas convaincu que l’inclusion des paragraphes contestés dans l’exposé de précisions de M. Osiebe porte préjudice à l’intimée ou à la présente instance. De plus, je juge que les paragraphes contestés ne constituent pas l’un des « cas les plus clairs » justifiant la radiation de paragraphes d’un exposé des précisions.

IV. DEUXIÈME QUESTION EN LITIGE : REQUÊTE EN DIVULGATION ET PRÉCISIONS

A. Position de l’intimée concernant la divulgation et les précisions supplémentaires

[27] Dans son exposé des précisions, l’intimée formule plusieurs demandes de divulgation et de précisions. À la suite d’une conférence de gestion préparatoire tenue par le Tribunal en octobre 2024, il a été déterminé que l’intimée devait fournir des observations supplémentaires afin d’expliquer plus en profondeur ses demandes et que le plaignant et la Commission devaient avoir l’occasion de produire des observations additionnelles en réponse à ces demandes. Le Tribunal a choisi de recevoir les observations des parties à ce sujet de manière informelle, c’est-à-dire que chacune d’elles devait résumer sa position dans une lettre.

[28] Le Tribunal a reçu la lettre contenant les observations supplémentaires de l’intimée à la mi-novembre 2024. Il a reçu la lettre du plaignant en réponse à l’intimée à la fin novembre 2024 et celle de la Commission au début de décembre 2024. Lors d’une conférence de gestion préparatoire subséquente, à la fin décembre 2024, les parties ont demandé au Tribunal de rendre une décision sur la question non réglée de la divulgation.

[29] Dans sa demande de divulgation qu’elle a initialement formulée dans son exposé des précisions, l’intimée affirme que le plaignant n’a pas encore énuméré ni divulgué tous les documents dont il a la possession ou la responsabilité relativement aux faits, aux questions soulevées dans sa plainte ainsi qu’aux mesures de réparations qu’il souhaite obtenir.

[30] Par souci de commodité et d’exactitude, je reproduis ci-dessous le passage de l’exposé des précisions de l’intimée où figure sa requête en divulgation visant M. Osiebe :

[traduction]

  • ØUne divulgation complète et toutes les précisions concernant l’expérience de travail de M. Osiebe avant son embauche chez FedEx Ground, notamment, le nom de l’employeur, le poste qu’il occupait, la période au cours de laquelle il a occupé cet emploi, le type d’emploi (durée déterminée ou indéterminée) et la nature de la cessation de l’emploi en question.

  • ØPour chacun des employeurs identifiés plus haut au paragraphe 101a), de même que pour tous les employeurs pour lesquels il a travaillé pendant ou après son emploi chez FedEx Ground, M. Osiebe doit aussi indiquer s’il a déjà formulé des allégations de discrimination ou de harcèlement contre ces employeurs ou l’un des employés de ceux-ci. Dans l’affirmative, M. Osiebe est tenu de fournir toutes les précisions au sujet de la nature de ces allégations.

  • ØUne divulgation complète et toutes les précisions concernant les antécédents de travail de M. Osiebe auprès de tout autre employeur ou de toute autre entreprise alors qu’il était à l’emploi de FedEx Ground, c’est-à-dire du 10 juin 2019 au 27 décembre 2019, notamment, la date d’embauche, le poste qu’il occupait, sa rémunération, la date de cessation d’emploi ainsi que le type d’emploi (durée déterminée ou indéterminée).

  • ØUne divulgation complète et toutes les précisions concernant les antécédents professionnels de M. Osiebe après le 27 décembre 2019, notamment, la date d’embauche de l’autre emploi, le lieu du travail, le poste qu’il occupait, sa rémunération, la date de cessation de l’emploi ainsi que le type d’emploi (durée déterminée ou indéterminée).

[31] L’intimée soutient que les documents visés par la requête en divulgation sont potentiellement pertinents au regard des faits et des questions soulevées dans la présente plainte et du type de mesures de réparation invoquées ou demandées par M. Osiebe. Elle affirme que la divulgation demandée est nécessaire pour qu’elle puisse avoir une possibilité raisonnable de se préparer et de répondre de manière adéquate aux allégations formulées par M. Osiebe.

[32] De plus, l’intimée fait valoir que les documents et les renseignements qu’elle sollicite devraient être divulgués parce que leur communication ne porte préjudice ni à M. Osiebe ni à l’instance et que, si préjudice il y a, la valeur probante de ces documents et de ces renseignements l’emporte sur tout préjudice réel ou allégué.

[33] L’intimée affirme également que la divulgation qu’elle demande concernant les antécédents professionnels de M. Osiebe pourrait être pertinente au sujet de l’affirmation de ce dernier selon laquelle il se serait vu offrir un emploi permanent à FedEx Ground s’il n’avait pas été victime de discrimination. L’intimée conteste cette affirmation parce que, avant qu’elle ne l’embauche, M. Osiebe avait travaillé pour au moins neuf employeurs différents en l’espace de cinq ans. L’intimée se fonde aussi sur cette affirmation pour justifier la pertinence potentielle, quant à la présente plainte, des expériences de travail antérieures de M. Osiebe et des raisons qui sous-tendent la cessation de n’importe lequel de ses emplois précédents.

[34] En outre, l’intimée soutient que toute allégation de discrimination ou de harcèlement que M. Osiebe a pu formuler contre l’un de ses autres employeurs, actuels ou antérieurs, pourrait s’avérer pertinente. Elle affirme que ce type de renseignements et de documentation peut donner de l’information sur ce que M. Osiebe perçoit comme étant des actes discriminatoires dans les agissements de ses anciens collègues à FedEx Ground et les directives de travail qu’il recevait.

[35] L’intimée fait également valoir que sa requête en divulgation doit être accueillie, car M. Osiebe n’a fourni aucun renseignement à propos de certaines des mesures de réparation qu’il demande. Notamment, elle conteste le fait que M. Osiebe n’a rien divulgué à l’égard des autres emplois qu’il a occupés tout en travaillant pour FedEx Ground ni au sujet des efforts qu’il a déployés pour trouver un nouvel emploi après avoir cessé d’y travailler. L’intimée conteste aussi l’absence de divulgation au sujet de la prétention de M. Osiebe selon laquelle, après avoir cessé de travailler pour FedEx Ground, il n’a pas été en mesure d’obtenir un autre emploi dans la région de Victoria, en Colombie-Britannique, ce qui l’a forcé à quitter la région et a ainsi causé la dissolution de son mariage. Sans divulgation à ce propos, l’intimée soutient qu’elle est privée de la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter des éléments de preuve devant le Tribunal, possibilité à laquelle elle a droit aux termes du paragraphe 50(1) de la LCDP.

[36] Enfin, l’intimée renvoie à la demande d’indemnité pour perte de salaire et autres préjudices de M. Osiebe dans le but de souligner que celui-ci n’a fourni aucun document démontrant qu’il avait atténué, ou tenté d’atténuer, les pertes qu’elle lui a prétendument causées. En l’absence de tels renseignements, l’intimée affirme que le Tribunal court le risque d’accorder une indemnité à M. Osiebe pour des pertes qu’il n’a pas subies ou qu’il ne s’est pas raisonnablement efforcé d’atténuer.

[37] Dans son exposé des précisions en réponse à l’intimée, dans sa lettre contenant des observations subséquentes et dans le cadre des conférences de gestion préparatoires, M. Osiebe a présenté un certain nombre d’arguments en opposition aux demandes de divulgation. Il y a notamment soutenu que, par ces demandes, l’intimée cherche à s’immiscer dans sa vie privée, tant sur le plan personnel que professionnel, parce que les renseignements et les précisions demandés ne sont pas pertinents et que leur valeur probante ne l’emporte pas sur le préjudice que leur divulgation lui causerait.

[38] La Commission est d’avis que les documents relatifs aux autres emplois que M. Osiebe a occupés pendant qu’il travaillait chez FedEx Ground, et après qu’il a cessé d’y travailler, sont pertinents, tout comme les renseignements portant sur l’échec de son mariage. Elle juge ces informations utiles pour déterminer la capacité de M. Osiebe à démontrer qu’il a atténué ses pertes et qu’elles sont pertinentes à l’égard de l’indemnité pour préjudice moral qu’il sollicite.

[39] La Commission soutient également que la divulgation des antécédents de travail antérieurs à l’emploi de M. Osiebe à FedEx Ground que l’intimée demande est disproportionnée et vise à obtenir des renseignements non pertinents. De plus, la Commission estime que la valeur probante des renseignements concernant toute autre allégation de discrimination ou de harcèlement qu’aurait pu formuler M. Osiebe dans le cadre d’un emploi antérieur ne l’emporte pas sur leur caractère préjudiciable.

[40] La Commission soutient également que les demandes de divulgation de l’intimée au sujet des antécédents professionnels de M. Osiebe antérieurs à son emploi à FedEx Ground et de l’historique des plaintes qu’il a pu déposer en lien avec un emploi précédent sont trop larges. La Commission se dit préoccupée par le fait que cette demande pourrait servir à qualifier M. Osiebe de plaideur quérulent.

B. Cadre juridique

[41] Chaque partie à une instance devant le Tribunal a droit à ce que les éléments de preuve des autres parties lui soient divulgués avant l’audience. Il s’agit d’une question d’équité fondamentale. La LCDP confirme ce droit à la divulgation au paragraphe 50(1), lequel prévoit que le Tribunal est tenu de garantir à toutes les parties « la possibilité pleine et entière » de « présenter […] des éléments de preuve ainsi que leurs observations ». Ce droit ne peut être exercé si les parties n’ont pas accès à toute la documentation qui pourrait s’avérer pertinente à l’égard du fond de la plainte en litige. Ces éléments de preuve doivent être divulgués aux autres parties afin que chacune d’entre elles dispose d’un délai raisonnable pour examiner et déterminer les éléments qui pourraient être utilisés par une partie et préparer la réponse, la défense ou la position juridique qu’elle présentera à l’instance.

[42] En d’autres termes, la divulgation de documents potentiellement pertinents permet aux parties de connaître la preuve qu’elles doivent réfuter et, ainsi, de se préparer efficacement à l’audience (Egan c. Agence du revenu du Canada, 2019 TCDP 8 au par. 4).

[43] Les Règles de pratique du Tribunal consolident l’obligation de divulgation des parties. Plus particulièrement, elles enjoignent à chaque partie de divulguer tous les documents en sa possession « relativement à un fait ou à une question soulevée dans la plainte, ou à une ordonnance sollicitée par une partie », à l’égard duquel un privilège de non-divulgation n’est pas invoqué (voir les alinéas 18(1)f), 19(1)e), et 20(1)e), et le paragraphe 23(1)). Les Règles de pratique prévoient également que l’obligation de divulgation des parties est continue (voir le paragraphe 24(1)).

[44] Si les parties ne s’entendent pas sur la divulgation de certains documents, le Tribunal peut en ordonner la divulgation s’il juge que les renseignements qu’ils contiennent sont « potentiellement pertinents » quant à la plainte dont il est saisi (Brickner c. Gendarmerie royale du Canada, 2017 TCDP 28, au par. 5). La partie qui souhaite obtenir une ordonnance de divulgation doit établir l’existence d’un lien rationnel entre le document auquel elle demande d’avoir accès et les faits, les questions soulevées ou les mesures de réparation demandées dans le cadre de l’instance. La question de savoir si un document est potentiellement pertinent dépend du contenu des exposés des précisions des parties (Casler c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2017 TCDP 6, au par. 9).

[45] Comme pour toutes les questions relatives à la procédure du Tribunal, le critère de la pertinence potentielle utilisé pour déterminer les obligations de divulgation doit être mis en balance avec les considérations liées au principe de la proportionnalité.

[46] Afin de garantir une procédure de divulgation proportionnée, même si le critère de la pertinence potentielle est souple, le Tribunal doit se demander si la divulgation visée par la requête ne rend pas indûment la présente instance plus coûteuse, plus complexe ou plus longue. Le Tribunal est également tenu de soupeser d’autres considérations, par exemple, les moyens relatifs des parties et la nécessité de maintenir l’accessibilité du Tribunal, c’est-à-dire de réduire les obstacles inutiles à la participation pleine, juste et équitable des parties à l’instance devant le Tribunal.

[47] En outre, une procédure de divulgation proportionnée prend en considération la nature et la qualité de la documentation et des renseignements nécessaires afin que les faits, les questions et les mesures de réparation en cause dans la plainte puissent être déterminés de manière rapide et informelle et conformément aux principes de justice naturelle et aux Règles de pratique du Tribunal, surtout l’article 5 (Temate, aux par. 8‑12).

[48] En fin de compte, le principe de la proportionnalité aide le Tribunal à éviter de faire droit à une demande de divulgation spéculative, qui équivaut à une « partie de pêche » ou qui oblige la partie visée par la demande à se soumettre à une recherche onéreuse et fort étendue de documentation et de renseignements (Nwabuikwu c. Gendarmerie royale du Canada, 2020 TCDP 9 au par. 16).

[49] Il est aussi important de noter que tout document que le Tribunal ordonne de divulguer avant l’audience ne sera pas nécessairement considéré comme un élément de preuve. En effet, le document devra quand même être admis en preuve de manière formelle à l’audience et le Tribunal lui accordera le poids qu’il juge équitable, raisonnable et approprié (Cox c. Northwest Truck Lines Inc et autres, 2024 TCDP 135).

C. Mes motifs

[50] J’estime que seuls certains documents et renseignements parmi ceux que demande l’intimée doivent faire l’objet d’une ordonnance de divulgation.

[51] Plus précisément, M. Osiebe devra divulguer les documents qui suivent et modifier son exposé des précisions afin d’inclure les précisions ci-dessous dans son exposé des précisions modifié :

  • A)La divulgation des documents et les précisions concernant toute autre expérience de travail de M. Osiebe alors qu’il était employé par FedEx Ground (du 10 juin 2019 au 27 décembre 2019), y compris le nom de l’employeur, le poste qu’il occupait et les tâches qui lui étaient généralement assignées, les dates de début et de fin de l’emploi, la rémunération qui lui était versée, la nature de son contrat de travail (c.‑à‑d., un emploi à temps partiel, à temps plein, à durée déterminée, permanent, saisonnier, etc.) ainsi que les raisons pour lesquels la relation de travail a pris fin.

  • B)La divulgation des documents et les précisions concernant l’historique de travail de M. Osiebe après le 27 décembre 2019, y compris le nom de l’employeur, le poste qu’il occupait et les tâches qui lui étaient généralement assignées, les dates de début et de fin de l’emploi, la rémunération qui lui était versée, la nature de son contrat de travail (c.‑à‑d., à temps partiel, à temps plein, à durée déterminée, emploi permanent, emploi saisonnier, etc.) ainsi que les raisons pour lesquels la relation de travail a pris fin.

  • C)La divulgation des documents et les précisions concernant l’affirmation de M. Osiebe portant qu’il a été forcé de quitter la ville de Victoria, en Colombie‑Britannique, afin de se trouver un nouvel emploi et que ce facteur a contribué en grande partie à l’échec de son mariage.

[52] Je conclus que M. Osiebe doit divulguer les renseignements et les documents mentionnés ci-dessus afin de donner à l’intimée la possibilité pleine et entière de se préparer et de présenter ses observations en réponse aux questions soulevées par la plainte de M. Osiebe.

[53] Les éléments ci-dessus sont potentiellement pertinents à l’égard des faits, des questions et des mesures de réparation dont il est question dans les documents de M. Osiebe puisqu’ils ont un lien avec les allégations particulières de discrimination dans le cadre de son emploi qu’il a formulées. J’estime que l’ordonnance de divulgation de ces éléments ne constituerait pas, d’une manière ou d’une autre, une atteinte à la vie privée de M. Osiebe, que ce soit sur le plan personnel ou professionnel.

[54] Je suis d’accord avec la Commission qui affirme que les éléments ci-dessus concernent la question de l’atténuation du préjudice causé par la perte de salaire et qu’ils fournissent les précisions nécessaires afin de clarifier la demande d’indemnité pour préjudice moral causé par l’incapacité du plaignant à se trouver un emploi à Victoria, en Colombie-Britannique, et l’incidence que cette situation a prétendument eue sur son mariage. Par conséquent, je juge qu’il existe un lien logique entre les renseignements et les documents demandés et le contenu de l’exposé des précisions du plaignant.

[55] De plus, m’appuyant sur le principe de la proportionnalité, je conclus que les éléments ci-dessus doivent être divulgués parce que cette partie de la requête de l’intimée est proportionnelle aux faits, aux questions et mesures de réparation touchant directement le cœur du présent litige.

[56] En d’autres termes, je conclus que la divulgation de ces éléments ne rend pas indûment la présente instance plus coûteuse, plus complexe ou plus longue au point d’imposer un fardeau injuste à M. Osiebe. Elle ne compromet pas inutilement l’accessibilité générale au Tribunal, car elle ne crée d’obstacles de nature procédurale et n’occasionne pas de coûts ou de retards qui empêcheraient le Tribunal d’instruire les autres dossiers de manière rapide, équitable et efficace.

[57] Je ne suis pas disposé à ordonner la divulgation des documents et des renseignements suivants :

  • ØUne divulgation complète et toutes les précisions concernant l’expérience de travail de M. Osiebe avant l’emploi qu’il a occupé chez FedEx Ground, notamment, le nom de l’employeur, le poste qu’il occupait, la période à laquelle il l’occupait, le type d’emploi (durée déterminée ou indéterminée) et la nature de la cessation de l’emploi en question.

  • ØPour chacun des employeurs identifiés au paragraphe ci-dessus, de même que pour tous les employeurs pour lesquels il a travaillé pendant ou après son emploi chez FedEx Ground, les renseignements et toutes les précisions portant sur la question de savoir si M. Osiebe a déjà formulé des allégations de discrimination ou de harcèlement contre ces employeurs ou l’un des employés de ceux-ci et, dans l’affirmative, les précisions au sujet de la nature des allégations formulées.

[58] La présente plainte, telle qu’elle a été renvoyée pour instruction au Tribunal par la Commission, vise seulement les actes dont M. Osiebe affirme avoir été victime de la part de FedEx Ground et de ses employés. Aucun autre employeur n’est visé. Par conséquent, je juge que les documents traitant de l’historique complet des emplois qu’a occupé M. Osiebe avant d’être embauché par FedEx Ground ainsi que les précisions concernant toute autre allégation de discrimination ou de harcèlement que M. Osiebe aurait pu formuler par le passé contre un autre employeur, ne sont pas potentiellement pertinentes à l’égard des questions et des allégations en litige dans la présente plainte.

[59] Je suis d’avis que les documents et renseignements que M. Osiebe a déjà fournis et ceux dont j’ordonne la divulgation dans la présente décision sur requête permettront à l’intimée de se préparer adéquatement et de répondre aux allégations formulées contre elle.

[60] Pour se préparer à répondre aux allégations de M. Osiebe, l’intimée, en plus des documents et renseignements déjà fournis et de ceux dont j’ordonne la divulgation dans la présente décision sur requête, l’intimée a également accès au dossier de divulgation de la Commission, qui semble contenir une liste exhaustive de documents ainsi que des témoins que M. Osiebe a l’intention de citer. Il appert que, pris ensemble, ces éléments forment un assortiment de documents et de sources suffisamment solide dont l’intimée peut se servir pour se préparer et répondre aux allégations formulées par M. Osiebe. Autrement dit, le fait de ne pas accueillir le volet de la requête de l’intimée visant à enjoindre à M. Osiebe de divulguer de la documentation sur ses antécédents professionnels et de ses plaintes en lien avec d’autres emplois qu’il a occupés ne prive pas l’intimée de son droit de pouvoir contester pleinement et entièrement la perception qu’a M. Osiebe de la direction et de ses anciens collègues à FedEx Ground.

[61] Je ne suis pas convaincu par l’argument présenté par l’intimée selon lequel des renseignements à propos d’autres collègues avec qui a travaillé M. Osiebe par le passé, dans le cadre d’autres emplois, sont nécessaires ou utiles pour aider le Tribunal à formuler des conclusions en liens aux incidents qu’aurait vécu M. Osiebe à FedEx Ground et avec les employés de cette dernière.

[62] Je juge que d’ordonner la divulgation de renseignements et de documents additionnels sur les antécédents de travail de M. Osiebe et sur toute autre plainte pour discrimination qu’il aurait pu déposer, irait à l’encontre du principe de la proportionnalité et permettrait à l’intimée de se servir indûment de la procédure de divulgation comme une partie de pêche. Le fait d’obliger M. Osiebe à assembler et à produire la documentation demandée sur l’ensemble de ses antécédents de travail, alors qu’il n’en est pas question dans sa plainte, constituerait un fardeau indûment lourd. M. Osiebe serait alors tenu de se soumettre à une recherche de documentation fort étendue et déraisonnable, laquelle n’est pas, selon moi, nécessaire pour permettre au Tribunal de tirer des conclusions et de rendre une décision équitable sur le fond de la plainte et sur les mesures de réparation qui y sont sollicitées.

[63] En outre, l’intimée n’a pas présenté suffisamment de renseignements et d’arguments convaincants pour que j’enjoigne à M. Osiebe de produire les informations qu’elle demande à propos des antécédents professionnels de ce dernier. Je ne suis pas disposé à conclure que l’entièreté des antécédents professionnels de M. Osiebe est potentiellement pertinente à l’égard des faits de la présente plainte au seul motif que M. Osiebe a travaillé pour de nombreux employeurs différents sur une période relativement courte.

[64] Le fait d’ordonner la divulgation demandée, alors qu’aucun autre renseignement plus convaincant que ceux contenus dans les observations de l’intimée ne m’a été présenté, minerait l’équité de la présente instance du fait que pareille ordonnance réduirait de manière importante l’accessibilité au Tribunal pour M. Osiebe et presque assurément pour d’autres parties souhaitant déposer une plainte pour discrimination en matière d’emploi en vertu de la LCDP. Cela est d’autant plus vrai pour les plaignants non représentés comme M. Osiebe. En résumé, je conclus que, en l’absence de faits ou de renseignements plus convaincants, il n’est pas raisonnable pour le Tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à M. Osiebe de divulguer les documents et les précisions demandées au sujet de ses antécédents de travail et de plaintes pour discrimination ou harcèlement qu’il aurait pu déposer par le passé. Une telle ordonnance contreviendrait à l’obligation du Tribunal d’instruire les plaintes de façon équitable, rapide et informelle. J’estime que la pertinence des renseignements demandés ainsi que leur lien avec la présente plainte ne sont pas suffisants.

[65] Qui plus est, je juge qu’il serait préjudiciable à M. Osiebe de lui ordonner de divulguer les renseignements concernant toute autre plainte pour discrimination ou harcèlement qu’il aurait pu déposer. Je ne suis pas convaincu par l’affirmation de l’intimée selon laquelle la valeur probante de ces renseignements l’emporte sur le préjudice qui serait causé s’ils étaient présentés au Tribunal.

[66] Les renseignements qui m’ont été présentés ne sont pas suffisants ou assez convaincants pour que j’ordonne la divulgation de toute autre allégation de discrimination ou de harcèlement formulée par M. Osiebe à l’encontre d’un autre employeur. Une telle ordonnance aurait été plus raisonnable si des renseignements m’avaient été fournis à propos d’incidents survenus avec un autre employeur de M. Osiebe (antérieur ou actuel), qui comporteraient des faits et des questions étroitement liés aux allégations de discrimination en matière d’emploi formulées par M. Osiebe dans la présente instance.

[67] Essentiellement, je souscris à l’observation de la Commission selon laquelle la requête en divulgation de l’intimée est trop large et risque déraisonnablement de faire paraître, à tort, M. Osiebe comme un plaideur quérulent. Je n’ai aucune raison de croire que la plainte de M. Osiebe est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi puisque la Commission a statué sur la plainte et ne l’a pas jugé irrecevable suivant l’alinéa 41(1)d) de la LCDP, comme elle a le pouvoir de le faire. À ma connaissance, l’intimée n’a pas non plus déposé de demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la Commission de procéder à l’enquête sur la présente plainte ou celle de la renvoyer au Tribunal.

[68] En tout état de cause, le fait d’ordonner la divulgation de l’historique des plaintes déposées par M. Osiebe risquerait indûment d’indiquer aux plaignants, actuels et potentiels, que, même si leur plainte présentée au Tribunal ne porte que sur des actes discriminatoires bien définis contre un employeur précis, ils doivent être prêts à se soumettre à une recherche onéreuse de documentation au sujet d’allégations similaires qu’ils auraient formulées à l’encontre de tout autre employeur. Une telle ordonnance laisserait également entendre que les plaignants doivent être prêts à répondre, devant le Tribunal, à des questions quant à la nature, aux circonstances et à l’issue de ces autres plaintes, et ce, même si aucune de ces plaintes précédentes n’a été soumise à la Commission ou au Tribunal. En l’absence d’arguments autres que ceux qui m’ont été présentés, j’estime que, si le Tribunal rendait cette ordonnance, il transgresserait les limites de l’équité procédurale et de la justice naturelle. Une telle divulgation augmenterait sérieusement le risque de contourner la fonction d’examen préalable de la Commission, ce que l’intimée a justement affirmé que le Tribunal devait éviter de faire.

[69] Le fait de permettre un tel traitement démesuré des plaintes serait un gaspillage des ressources du Tribunal. En effet, il entraînerait vraisemblablement une augmentation excessive des coûts, de la complexité et des délais du processus d’instruction des plaintes, tant en ce qui concerne les étapes préalables aux audiences que les audiences en soi. Je suis aussi d’accord avec la Commission pour dire que la portée de la requête de l’intimée doit être limitée afin d’éviter de surcharger les plaignants de manière illégitime, particulièrement ceux qui agissent pour leur propre compte. Les requêtes en divulgation visant des allégations de discrimination en matière d’emploi non pertinentes et non liées pourraient causer un préjudice injustifié aux plaignants et détourner l’attention des véritables questions et faits en litige.

[70] En somme, à la lumière des éléments que m’ont présentés les parties, je conclus qu’il n’est ni raisonnable, ni proportionné, ni équitable d’ordonner à M. Osiebe de divulguer les documents ou les précisions demandés concernant tous ses antécédents de travail préalables à son emploi à FedEx Ground ou les autres plaintes pour discrimination ou harcèlement qu’il aurait pu déposer contre un autre employeur par le passé.

V. ORDONNANCES

[71] La requête de l’intimée visant à faire radier certains paragraphes de l’exposé des précisions du plaignant est rejetée.

[72] La requête de l’intimée visant à enjoindre au plaignant de fournir des précisions additionnelles est accueillie en partie.

[73] Dans les 45 jours suivant la date de la présente décision sur requête, M. Osiebe devra fournir les documents ci-dessous (dans la mesure où ils sont en sa possession ou lui sont accessibles et qu’un privilège de non-divulgation n’est pas invoqué à leur égard) aux autres parties et modifier son exposé des précisions en ajoutant les précisions additionnelles suivantes, s’il y a lieu :

  1. La divulgation des documents et les précisions concernant toute autre expérience de travail de M. Osiebe alors qu’il était employé par FedEx Ground (du 10 juin 2019 au 27 décembre 2019), y compris le nom de l’employeur, le poste qu’il occupait et les tâches qui lui étaient généralement assignées, les dates de début et de fin de l’emploi, la rémunération qui lui était versée, la nature de son contrat de travail (c.‑à‑d., un emploi à temps partiel, à temps plein, à durée déterminée, permanent, saisonnier, etc.) ainsi que les raisons pour lesquels la relation de travail a pris fin.

  2. La divulgation des documents et les précisions concernant l’historique de travail de M. Osiebe après le 27 décembre 2019, y compris le nom de l’employeur, le poste qu’il occupait et les tâches qui lui étaient généralement assignées, les dates de début et de fin de l’emploi, la rémunération qui lui était versée, la nature de son contrat de travail (c.‑à‑d., un emploi à temps partiel, à temps plein, à durée déterminée, permanent, saisonnier, etc.) ainsi que les raisons pour lesquels la relation de travail a pris fin.

  3. La divulgation des documents et les précisions concernant l’affirmation de M. Osiebe selon laquelle il a été forcé de quitter la ville de Victoria, en Colombie‑Britannique, afin de se trouver un nouvel emploi et selon laquelle ce facteur a contribué en grande partie à l’échec de son mariage.

[74] Par la présente décision sur requête, je rappelle aux parties que le paragraphe 24(1) des Règles de pratique du Tribunal prescrit des obligations de divulgation continues. C’est-à-dire qu’il est attendu et exigé que les parties divulguent tous les documents qui figurent sur la liste qu’elles ont fournie dans leur exposé des précisions, à l’égard desquels un privilège de non-divulgation n’est pas invoqué.

Signée par

Anthony Morgan

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 14 mars 2025

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : HR-DP-2986-24

Intitulé de la cause : Mudiaga John Osiebe c. FedEx Ground Package System Limited

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 14 mars 2025

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

Mudiaga John Osiebe , pour son propre compte

Laure Prévost , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Marco Fimiani and Tim Lawson , pour l’intimée

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