Tribunal canadien des droits de la personne
Informations sur la décision
En 2016 et en 2017, Brook McCargar (le « plaignant ») a déposé deux plaintes pour atteinte aux droits de la personne contre Service correctionnel Canada (l’« intimé »). Cependant, au cours de la procédure, il n’a pas respecté les étapes obligatoires à plusieurs reprises. Même si le Tribunal lui a donné la chance de corriger ses erreurs, il a présenté des listes de témoins et de réparations très longues et non pertinentes. L’intimé a donc demandé au Tribunal de rejeter les plaintes du plaignant pour abus de procédure et pour avoir causé des retards déraisonnables. Le Tribunal a accueilli cette demande, car il a jugé que le comportement du plaignant était abusif. Pour préserver l’équité de la procédure, il a décidé de rejeter les deux plaintes.
Contenu de la décision
Tribunal canadien |
|
Canadian Human |
Référence : 2025 TCDP
Date : Le
Numéros des dossiers :
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Entre :
le plaignant
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
l’intimé
Décision
Membre :
Table des matières
V. REQUÊTE EN REJET DE L’INTIMÉ
A. Comportements vexatoires et abus de procédure
B. Argument subsidiaire concernant le non-respect des délais
C. Observations de la Commission
A. M. McCargar a adopté des comportements vexatoires, qui constituent un abus de procédure
I. APERÇU
[1] En 2016 et en 2017, Brook McCargar (le « plaignant ») a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») une plainte pour atteinte aux droits de la personne contre l’intimé, Service correctionnel Canada (« SCC »). En janvier 2019, la Commission a renvoyé les deux plaintes au Tribunal pour qu’il les instruise. Les parties ont eu recours à la médiation présidée par le Tribunal pendant une certaine période, mais sans succès. Depuis, le dossier en est à l’étape de la gestion de l’instance par le Tribunal.
[2] Le processus de gestion de l’instance vise à s’assurer que toutes les parties sont préparées en vue de l’audience. À ce titre, les Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 (les « Règles »), exigent que les parties déposent un exposé des précisions énonçant les faits invoqués, les questions soulevées et les réparations demandées, ainsi que les témoins qu’elles ont l’intention de faire entendre à l’audience (articles 18 à 21 des Règles). Chaque partie fournit aux autres tous les documents en sa possession qui pourraient être pertinents (articles 23 et 24 des Règles). L’objectif est de veiller à ce que les parties comprennent les arguments à réfuter, conformément aux principes de l’équité procédurale.
[3] Tout au long du processus de gestion de l’instance, M. McCargar ne s’est pas conformé aux Règles ni aux directives du Tribunal. Il n’a respecté aucune des échéances fixées par le Tribunal pour le dépôt de son exposé des précisions. Après avoir décidé d’adopter l’exposé des précisions de la Commission et de s’appuyer sur les allégations formulées dans ses deux plaintes pour atteinte aux droits de la personne, M. McCargar devait informer les autres parties et le Tribunal des témoins qu’il entendait citer, ainsi que des réparations demandées si la discrimination était établie. Lorsqu’il l’a finalement fournie, sa liste de témoins comptait près de 400 noms. La liste des réparations demandées faisait plus de 200 pages et comprenait des mesures qui n’étaient pas liées à ses plaintes et qui outrepassaient la compétence du Tribunal.
[4] M. McCargar a eu la possibilité de présenter une version révisée de chacune des deux listes; il avait reçu à ce sujet des instructions claires pour s’assurer que les listes auraient un lien avec ses plaintes et comporteraient un nombre de pages raisonnable. Cependant, la liste de témoins révisée présentée par M. McCargar contenait plus de 800 noms et la version révisée de sa liste de réparations demandées comprenait près de 600 mesures. Encore une fois, la plupart des réparations demandées n’avaient rien à voir avec les plaintes de M. McCargar.
[5] SCC a maintenant déposé une requête dans laquelle il demande au Tribunal de rejeter les plaintes de M. McCargar. SCC affirme que les plaintes en cause devraient être rejetées au motif que les actes de M. McCargar constituent un abus de la procédure du Tribunal ou, à titre subsidiaire, ont retardé déraisonnablement l’instance.
[6] SCC fait valoir que M. McCargar n’a [traduction] « absolument pas tenu compte »
des Règles ni des directives et ordonnances que le Tribunal a prononcées dans le cadre de la gestion de l’instance. Il soutient en outre que M. McCargar a laissé traîner son dossier pendant une période déraisonnable et n’a nullement l’intention de mener ses plaintes à terme. Selon SCC, la conduite de M. McCargar [traduction] « est vexatoire et oppressive à un point tel qu’elle contrevient aux notions fondamentales de justice, mine l’intégrité du processus judiciaire et constitue un abus de procédure »
.
[7] M. McCargar n’a déposé aucune réponse à la requête par laquelle SCC demande le rejet des plaintes. La Commission ne se prononce pas sur la question de savoir si les plaintes devraient être rejetées, mais elle a présenté de brèves observations dans lesquelles elle énonce des principes émanant de la jurisprudence du Tribunal qui, à son avis, pourraient être utiles pour décider si les plaintes doivent être rejetées.
II. DÉCISION
[8] La requête de SCC est fondée. M. McCargar a omis à maintes reprises de respecter les directives et les Règles du Tribunal, ainsi que les échéances fixées par celui-ci. Les comportements vexatoires du plaignant constituent un abus de procédure et ont nui à la capacité du Tribunal de procéder à une instruction équitable. Je suis convaincue que le seul moyen de mettre fin à l’abus de procédure de la part de M. McCargar devant le Tribunal est de rejeter ses plaintes.
III. QUESTION EN LITIGE
[9] La seule question qu’il y a lieu de trancher en l’espèce est celle de savoir si le Tribunal doit rejeter les plaintes dans leur intégralité, comme le demande SCC, parce que la conduite de M. McCargar dans la présente instance est vexatoire au point de constituer un abus de procédure, ou, à titre subsidiaire, parce qu'il a cherché indûment à retarder l'instance.
IV. FAITS
[10] SCC a déposé un long affidavit décrivant l’historique des deux plaintes pour atteinte aux droits de la personne déposées par M. McCargar, depuis leur dépôt auprès de la Commission jusqu’à la date de la requête dans laquelle il sollicite leur rejet. La plupart des allégations formulées par SCC dans son affidavit cadrent avec le dossier dont nous disposons, mais le Tribunal n’a aucune connaissance directe des événements qui se sont produits avant que la Commission lui demande d’instruire les plaintes. Toutefois, ces allégations sont étayées en grande partie par une preuve documentaire, et elles ne sont contestées ni par M. McCargar ni par la Commission. Par conséquent, je me fonderai sur les faits ainsi allégués, et les renseignements supplémentaires tirés du dossier du Tribunal, aux fins de l’audition de la présente requête visant à faire rejeter les plaintes.
[11] M. McCargar a déposé sa première plainte auprès de la Commission en avril 2016. Dans cette plainte, il alléguait que SCC avait fait preuve de discrimination à son égard pour des motifs fondés sur son orientation sexuelle perçue et son âge, du fait qu’il lui avait réservé un traitement défavorable et ne lui avait pas procuré un environnement exempt de harcèlement pendant son incarcération dans un établissement correctionnel de SCC en Alberta. En février 2017, il a déposé sa deuxième plainte, dans laquelle il alléguait que SCC avait exercé des représailles à son endroit en raison du dépôt de la première plainte.
[12] En janvier 2019, la Commission a demandé au Tribunal d’instruire les deux plaintes. Pendant plus de trois ans, les parties ont participé à des séances de médiation présidée par le Tribunal, mais, la moitié du temps, M. McCargar n’a pas répondu aux parties et au Tribunal lorsqu’ils ont tenté de communiquer avec lui. Pendant au moins une partie de cette période, M. McCargar n’était pas incarcéré.
[13] Lorsque tous les efforts de médiation se sont avérés vains, le Tribunal a écrit aux parties pour les informer qu’il passerait à l’étape de la gestion de l’instance.
[14] Dans une lettre du 18 novembre 2022, le Tribunal a ordonné à M. McCargar de déposer un exposé des précisions conforme à l’article 18 des Règles au plus tard le 9 janvier 2023. Le 17 janvier 2023, le Tribunal a envoyé aux parties un courriel dans lequel il indiquait que M. McCargar n’avait pas déposé son exposé des précisions comme demandé, bien que ce dernier avait informé le greffier du retard.
[15] Le 18 janvier 2023, le président du Tribunal a suspendu indéfiniment le dépôt des exposés des précisions, jusqu’à ce qu’il soit possible de communiquer avec M. McCargar, car celui-ci avait apparemment été transféré à un autre établissement correctionnel.
[16] En juillet 2023, le Tribunal a envoyé aux parties un courriel pour les informer qu’il avait retrouvé M. McCargar et que j’avais été désignée par le président pour gérer ces plaintes dans le but de faire progresser l’instance. Le Tribunal a enjoint à M. McCargar de déposer son exposé des précisions au plus tard le 14 août 2023. Or, le 15 août 2023, M. McCargar a demandé que la date d’échéance soit reportée au 31 août 2023. Malgré l’objection de SCC, la demande de report a été accordée. M. McCargar n’a pas respecté la nouvelle échéance fixée au 31 août 2023.
[17] Le Tribunal a convoqué toutes les parties à une conférence de gestion préparatoire le 12 septembre 2023, lors de laquelle il a demandé à la Commission de déposer son exposé des précisions en premier afin que M. McCargar dispose d’un exemple pour rédiger son propre exposé des précisions. Le Tribunal a informé M. McCargar qu’il avait le choix de souscrire à certaines parties ou à l’ensemble de l’exposé des précisions de la Commission, puis d’ajouter tout élément important qu’il jugeait manquant, y compris les réparations demandées et les témoins qu’il avait l’intention de citer, pour tenter de prouver qu’il avait été victime de discrimination. La nouvelle échéance pour le dépôt de l’exposé des précisions du plaignant a été fixée au 7 novembre 2023.
[18] Le résumé écrit de la conférence de gestion préparatoire du 12 septembre 2023 contient le texte intégral de l’article 53 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C (1985), ch. H-6 (la « LCDP »), à titre d’information pour M. McCargar. Ce sommaire met en outre l’accent sur l’article 18 des Règles, qui prévoit l’obligation de fournir un résumé du témoignage prévu de chacun des témoins.
[19] De plus, lors de la conférence de gestion préparatoire du 12 septembre 2023, SCC a indiqué qu’il songeait à présenter une requête afin d’obtenir le rejet des plaintes, au motif que M. McCargar n’avait pas respecté les échéances dans le passé. Bien que j’ai mentionné qu’il serait plus judicieux pour tout le monde de travailler à faire avancer les plaintes, j’ai insisté auprès de M. McCargar sur le fait que, compte tenu de l’intention de SCC de déposer une requête en vue de faire rejeter les plaintes en cas de non-respect des échéances, il devait prendre ses plaintes au sérieux et faire tout son possible pour respecter les dates limites s’y rapportant. M. McCargar a dit qu’il se montrerait coopératif.
[20] Le 2 novembre 2023, M. McCargar a écrit au Tribunal que les conditions de son incarcération dans un établissement provincial au Manitoba l’empêchaient de terminer son exposé des précisions. Une autre conférence de gestion préparatoire a eu lieu le 10 novembre 2023. Lors de celle-ci, la nouvelle date de dépôt de l’exposé des précisions de M. McCargar a été fixée au 23 novembre 2023. M. McCargar n’a pas respecté cette échéance.
[21] Le 30 novembre 2023, le Tribunal a informé les parties que, le 28 novembre 2023, M. McCargar avait avisé le greffier qu’il s’était blessé à la main et avait demandé qu’on lui donne un mois de plus pour présenter son exposé des précisions. Avec l’accord de SCC, le Tribunal a reporté l’échéance au 5 janvier 2024. À cette date, M. McCargar n’avait pas déposé son exposé des précisions. Le 11 janvier 2024, le Tribunal a écrit aux parties pour les informer que M. McCargar avait été transféré à un autre établissement correctionnel provincial et que l’échéance pour le dépôt de son exposé des précisions avait été reportée au 17 janvier 2024. En réponse, SCC a écrit au Tribunal et aux parties pour demander que, à tout le moins, M. McCargar soit tenu de confirmer qu’il adopterait l’exposé des précisions de la Commission, qu’il ne présenterait pas d’allégations supplémentaires et qu’il fournirait aussi sa liste de témoins et de réparations demandées avant le 17 janvier.
[22] Le 12 janvier 2024, le Tribunal a écrit aux parties pour indiquer qu’il acceptait la demande de SCC et que M. McCargar devait fournir sa liste de témoins et de réparations demandées d’ici le 17 janvier 2024. À la date fixée, M. McCargar n’avait pas déposé son exposé des précisions, n’avait pas dit qu’il adopterait celui de la Commission et n’avait pas fourni sa liste de témoins ni sa liste de réparations demandées.
[23] Une autre conférence de gestion préparatoire a eu lieu le 20 février 2024. Lors de celle-ci, M. McCargar a confirmé qu’au lieu de présenter un exposé des précisions, il s’appuierait sur ses plaintes pour atteinte aux droits de la personne, et ferait sien l’exposé des précisions de la Commission. Dans son exposé des précisions, la Commission a résumé les plaintes de M. McCargar de la manière suivante : lorsqu’il était incarcéré à l’établissement d’Edmonton, les employés de SCC ont fait des commentaires dégradants sur son âge et son orientation sexuelle perçue, ont eu recours à une force excessive, ont effectué des fouilles non courantes de sa cellule, lui ont refusé l’autorisation de faire des appels en vue d’obtenir des conseils juridiques et ont coupé l’électricité dans sa cellule. Dans sa première plainte pour atteinte aux droits de la personne, M. McCargar allègue qu’un agent particulier des services correctionnels de l’établissement d’Edmonton l’avait insulté verbalement, harcelé et menacé en raison de son âge et de son orientation sexuelle perçue. Dans sa deuxième plainte, il allègue que, à l’établissement d’Edmonton, plusieurs agents des services correctionnels lui ont réservé un traitement défavorable en guise de représailles.
[24] Lors de la conférence de gestion préparatoire du 20 février 2024, M. McCargar a indiqué qu’il avait envoyé par la poste au Tribunal une clé USB qui contenait sa liste de témoins et la liste de réparations demandées. Le Tribunal a reçu la clé USB après la conférence, et il a fourni une copie de son contenu à SCC et à la Commission le 23 février 2024.
[25] La liste de témoins de M. McCargar comptait 72 pages et contenait plus de 370 noms. Elle comprenait non seulement les noms des personnes qu’il accusait dans ses plaintes d’avoir fait preuve de discrimination ou d’avoir exercé des représailles à son égard, mais elle contenait aussi les noms de centaines d’autres personnes dont le lien avec les plaintes n’était pas clair. Figuraient notamment sur cette liste des membres du personnel judiciaire, des avocats du Service des poursuites de la Couronne de l’Alberta, des avocats de la défense, plusieurs détenus qui avaient apparemment leurs propres griefs contre SCC, du personnel médical, des journalistes, des ministres, le vérificateur général, le premier ministre du Canada, les deux membres du Tribunal qui avaient agi en tant que médiateurs dans la présente affaire, et beaucoup d’autres personnes. Par ailleurs, la liste n’était accompagnée d’aucun résumé du témoignage prévu des divers témoins, contrairement à ce qu’exige l’article 18 des Règles.
[26] La liste des réparations demandées par M. McCargar consistait en deux documents PDF totalisant plus de deux cents pages. Dans l’un des documents, outre le montant maximal des dommages-intérêts pouvant être accordés en vertu de l’alinéa 53(2)(e) et du paragraphe 53(3) de la LCDP, M. McCargar demandait des réparations très générales que l’on pourrait qualifier de systémiques, bien que plusieurs étaient vagues ou difficiles à comprendre, en particulier en lien avec les allégations formulées dans ses deux plaintes pour atteinte aux droits de la personne. Par exemple, il a demandé au Tribunal d’ordonner à SCC [traduction] « d’éliminer les aspects de son fonctionnement et de son organisation qui incitent les membres de son personnel/employés à faire de la discrimination »
, notamment en ce qui concerne son budget et la « formule de son financement »
, la « structure organisationnelle »
, les « droits des détenus »
et les « pratiques découlant de ce qu’on appelle couramment la culture organisationnelle corrompue de SCC »
, de réaliser une « analyse des coûts des besoins réels quant aux postes des employés »
et de protéger la « propriété intellectuelle des détenus »
. M. McCargar a également demandé au Tribunal d’ordonner que certains articles de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la « LSCMLC ») ne s’appliquent pas à lui et de déclarer ces articles incompatibles avec la LCDP et la Charte canadienne des droits et libertés. Il a aussi sollicité une ordonnance enjoignant à SCC de ne pas appliquer à son endroit toute loi ou politique ainsi que tout règlement, de mettre en œuvre les recommandations découlant d’une enquête du coroner sur le décès d’une détenue sous la garde de SCC, et de créer un organisme de surveillance. M. McCargar a aussi demandé ce qu’il appelle une [traduction] « ordonnance de réparation intégrale »
, en précisant que la seule mesure qui pourrait lui permettre de « commencer à
penser à retrouver sa plénitude, si une telle chose est possible, est l’abolition du système carcéral dans son ensemble au Canada (et
à l’étranger) »
[tel que rédigé].
[27] Le deuxième document concernant la liste des réparations demandées comptait 190 pages, chacune présentant plusieurs mesures. Trop nombreuses pour qu’on les énumère, les réparations demandées comprenaient notamment des ordonnances du Tribunal enjoignant respectivement à un employé particulier de SCC de présenter des excuses publiques à un autre détenu concernant des commentaires et à SCC de cesser d’organiser des [traduction] « bagarres »
et d’arrêter de refuser de réchauffer les repas de M. McCargar. Le plaignant réclamait aussi des modalités précises pour l’accès des détenus aux appels téléphoniques. Je tiens à souligner que la plupart des réparations demandées s’appliqueraient à SCC dans son ensemble, et pas seulement à l’établissement d’Edmonton où M. McCargar était détenu.
[28] Une autre conférence de gestion préparatoire a eu lieu le 6 mars 2024 pour discuter des longues listes de témoins et de réparations demandées. Lors de cette conférence, le Tribunal a expliqué à M. McCargar que bon nombre des réparations demandées outrepassaient sa compétence et la portée des deux plaintes qu’il devait instruire. Le Tribunal a rappelé à M. McCargar qu’il devait s’en tenir aux faits exposés dans les plaintes et dans l’exposé des précisions de la Commission, et il a remis en question la pertinence des témoins énumérés par rapport aux plaintes en cause.
[29] Le Tribunal a en outre ordonné à M. McCargar de déposer de nouvelles versions de sa liste de témoins et de sa liste de réparations demandées au plus tard le 1er mai 2024. Il a également imposé une limite de dix pages et de deux pages respectivement pour les versions révisées de la liste de réparations demandées et de la liste de témoins. Le Tribunal a enjoint à M. McCargar de se référer à l’article 53 de la LCDP et de s’assurer que les réparations demandées relèvent directement de sa compétence aux termes de cette loi et ont un lien avec les plaintes en cause pour harcèlement et discrimination fondée sur l’âge et l’orientation sexuelle, ainsi que relativement aux représailles alléguées. Il a insisté sur le fait que M. McCargar devait s’assurer que ses témoins soient en mesure de témoigner sur des faits en lien avec ses plaintes et qu’il devait fournir des détails sur la teneur des témoignages, conformément à l’article 18 des Règles.
[30] En outre, lors de la conférence de gestion préparatoire du 6 mars 2024, SCC a déclaré qu’il déposerait une requête visant à faire rejeter les plaintes, ou à réduire considérablement la portée de celles-ci, si M. McCargar ne se conformait pas aux directives du Tribunal concernant le dépôt de versions révisées de sa liste de témoins et de sa liste de réparations demandées. La Commission a approuvé cette approche.
[31] Le 1er mai 2024, le Tribunal n’avait pas reçu les versions révisées de la liste de témoins et de la liste de réparations demandées de M. McCargar. Il a plutôt reçu une autre clé USB de M. McCargar le 9 mai 2024, et il en a partagé le contenu avec les parties. La liste de témoins révisée comptait seulement deux pages, mais elle contenait les noms de 808 témoins dans un tableau à cinq colonnes. Elle ne contenait aucun résumé du témoignage prévu de chacun des témoins, malgré la directive du Tribunal à ce sujet.
[32] La liste de réparations demandées révisée contenait 596 mesures regroupées en 70 catégories. Pour respecter le nombre de pages maximal fixé par le Tribunal lors de la conférence de gestion préparatoire, M. McCargar a réduit de beaucoup la taille de la police et a supprimé toutes les espaces entre les lignes.
[33] Comme les versions antérieures, les versions révisées de la liste de témoins et de la liste de réparations demandées renvoyaient à des faits, à des personnes et à des questions qui ne sont mentionnés ni dans les plaintes de M. McCargar ni dans l’exposé des précisions de la Commission, et elles comprenaient des mesures qui ne relèvent pas de la compétence du Tribunal.
[34] Le 16 mai 2024, SCC a écrit au Tribunal et aux parties pour indiquer que, comme il considérait les versions révisées de la liste de témoins et de la liste de réparations demandées de M. McCargar comme étant vexatoires et abusives en soi, il avait l’intention de déposer une requête afin de faire rejeter les plaintes. Le Tribunal a fixé des délais pour la présentation des observations des parties concernant la requête. M. McCargar devait répondre à la requête au plus tard le 30 juillet 2024. Avant cette date, M. McCargar a appelé le greffier pour l’informer qu’il lui était difficile de répondre à la requête en rejet de SCC, en raison de certaines circonstances dans l’établissement correctionnel provincial où il était détenu, et pour demander la tenue d’une autre conférence de gestion préparatoire. Celle-ci a été fixée au 23 juillet 2024.
[35] Au cours de la conférence de gestion préparatoire du 23 juillet 2024, M. McCargar a indiqué qu’il rédigeait une lettre exposant ce qu’il avait vécu dans divers établissements correctionnels du Manitoba au cours des trois dernières années, lettre qui, selon lui, appuierait une poursuite fondée sur les articles 59 et 60 de la LCDP. Le Tribunal a insisté auprès de M. McCargar sur l’importance de la requête en rejet et sur le fait qu’il devait consacrer son temps et son attention à y répondre plutôt qu’à préparer des documents pour introduire une action relevant de la compétence d’un autre tribunal. La date limite pour le dépôt de la réponse de M. McCargar à la requête a été reportée au 30 août 2024.
[36] En août 2024, M. McCargar a fait savoir qu’il n’avait pas reçu le long affidavit joint à la requête en rejet de SCC, car il avait été transféré, encore une fois, à un autre établissement correctionnel du Manitoba. Afin de s’assurer qu’il reçoive l’affidavit, puis qu’il ait le temps de l’examiner et de répondre à la requête, le Tribunal a reporté l’échéance de dépôt de sa réponse au 30 septembre 2024. À cette date, M. McCargar n’avait pas répondu à la requête.
[37] Le 8 octobre 2024, le Tribunal a informé les parties que M. McCargar n’avait pas respecté la date limite pour répondre à la requête et que, pour favoriser la progression de l’instance, la Commission devait déposer ses observations comme prévu, suivies des observations en réplique de SCC, le cas échéant, après quoi il rendrait sa décision.
[38] La Commission a présenté de brèves observations comme on le lui avait demandé, et l’intimé n’a pas déposé d’observations en réplique.
[39] Le 8 novembre 2024, M. McCargar a transmis par télécopieur un message au Tribunal pour l’informer qu’il lui envoyait par la poste des documents relatifs à la requête. Il était expressément indiqué que ces documents (qui totalisaient 254 pages, dont plusieurs avaient été rédigées à la main) ne constituaient pas une réponse à la requête de SCC visant à faire rejeter ses plaintes. Ces documents étaient en fait liés à la poursuite que M. McCargar disait vouloir intenter contre les Services correctionnels du Manitoba au titre des articles 59 et 60 de la LCDP. Le Tribunal a communiqué ces documents aux parties à titre informatif.
[40] Dans son affidavit, SCC indique que, en date du 30 mai 2024, selon le système de gestion des dossiers et de comptabilisation du temps du ministère de la Justice, plus de 580 heures avaient été consacrées aux plaintes de M. McCargar.
V. REQUÊTE EN REJET DE L’INTIMÉ
A. Comportements vexatoires et abus de procédure
[41] SCC soutient que le refus de M. McCargar de se conformer aux directives et aux échéances du Tribunal constitue un comportement vexatoire qui mine l’intégrité du processus décisionnel et qui équivaut à un abus de procédure.
[42] SCC fait valoir que le Tribunal peut rendre une ordonnance rejetant la plainte pour cause de non-conformité aux Règles, en cas de comportements vexatoires ou d’abus de procédure en vertu des articles 9 et 10 :
9 Si une partie omet de se conformer aux présentes règles, à une ordonnance de la formation ou à un délai fixé sous le régime des présentes règles, la formation peut, eu égard aux circonstances, de sa propre initiative ou sur requête d’une autre partie, ordonner à la partie de remédier à l’omission, continuer l’instruction de la plainte, rejeter la plainte ou rendre toute autre ordonnance qui respecte le principe énoncé à la règle 5.
10 La formation peut, de sa propre initiative ou sur requête d’une partie, rendre l’ordonnance qu’elle estime nécessaire en cas de comportements vexatoires ou d’abus de procédure.
[43] L’article 5 des Règles dispose que les règles du Tribunal « sont interprétées et appliquées de façon à permettre de trancher la plainte sur le fond de façon équitable, informelle et rapide »
.
(i) Comportements vexatoires
[44] SCC affirme qu’un plaideur peut être considéré comme étant quérulent s’il refuse ou omet de se conformer aux règles ou aux ordonnances, ou s’il omet d’agir avec diligence (Constantinescu c. Service correctionnel Canada, 2019 TCDP 49 [Constantinescu 2019], au par. 136; Canada c. Nourhaghighi, 2014 CF 254 [Nourhaghighi], au par. 47). Il fait observer que la Cour fédérale a rejeté des actions et des requêtes dans des affaires où les parties n’avaient pas respecté les ordonnances de tribunaux (Canada c. Zbarsky, 2023 CF 161, au par. 22).
[45] SCC fait valoir que la longue liste de témoins déposée par M. McCargar (qu’il s’agisse de la première version ou de la version révisée) est vexatoire. Il souligne que, comme il n’a pas fourni un résumé du témoignage prévu des témoins, M. McCargar n’a pas respecté les Règles du Tribunal. Il soutient en outre que le fait de nommer à titre de témoins des personnes qui n’ont rien à voir avec les plaintes soumises au Tribunal, comme le premier ministre, le personnel administratif des tribunaux, les avocats des parties adverses et les juges dans d’autres instances, et ce, sans aucun fondement probatoire, est un comportement vexatoire qui est assimilable à une tentative d’intimidation ou de harcèlement (Nourhaghighi, au par. 52; McCargar v. Canada, 2017 ABQB 729 [McCargar 2017], au par. 25). Selon SCC, le fait que la plupart des personnes figurant sur la liste de témoins n’ont rien à voir avec les plaintes de M. McCargar indique que ce dernier cherche à [traduction] « procéder à un examen à grande échelle des branches législatives, judiciaires et exécutives du gouvernement au sujet de centaines de torts perçus »
.
[46] De plus, SCC soutient que la présentation de demandes de réparations qu’un décideur n’a pas le pouvoir d’ordonner est vexatoire (Constantinescu 2019, au par. 136; Nourhaghighi, au par. 47). Il souligne que la première liste de réparations demandées déposée par M. McCargar, qui comptait plus de 200 pages, contenait de nombreuses allégations qui ne sont pas détaillées dans les plaintes de M. McCargar, le rapport d’enquête de la Commission, la décision du 1er février 2019 par laquelle la Commission a renvoyé l’affaire au Tribunal pour instruction ou l’exposé des précisions de la Commission (ainsi que de nombreuses mesures sans lien avec ces derniers). SCC soutient que plusieurs des mesures demandées visent à obtenir réparation pour des personnes qui ne sont pas parties à la présente instance et qui n’ont jamais été mentionnées en lien avec les plaintes de M. McCargar.
[47] SCC est d’avis que certaines réparations demandées sont vexatoires, notamment la contestation de lois, dont la LSCMLC, l’abolition du système carcéral dans son ensemble au Canada et à l’étranger, le dépôt d’accusations criminelles contre diverses personnes, et l’idée que les employés de SCC devraient [traduction] « se couper avec une lame de rasoir »
. SCC fait valoir que le Tribunal n’a pas compétence pour statuer sur des plaintes se rapportant à la contestation de dispositions législatives (Nacey c. Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, 2024 TCDP 24 au par. 20) ou qui interfèrent avec le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites (Wood c. Canada, 2024 FC 182 aux par. 32 et 34) ni d’agir comme une commission royale ou une commission d’enquête (Moore c. Colombie-Britannique, 2012 CSC 61 au par. 64) ou d’accorder des réparations qui sont manifestement inconstitutionnelles et obscènes.
[48] SCC souligne en outre que le Tribunal et la Cour fédérale ont reconnu que le terme « vexatoire »
est, de manière générale, un synonyme de la notion d’abus de procédures (Constantinescu 2019, au par. 135; Nourhaghighi, aux par. 44 et 45).
(ii) Abus de procédure
[49] SCC affirme que la doctrine de l’abus de procédure est une notion vaste, qui se caractérise par sa souplesse et ne s’encombre pas d’exigences particulières. Elle vise à prévenir l’injustice en empêchant les abus pendant le processus décisionnel (Alberta v. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2024 FC 292, au par. 246). Il affirme que l’abus de procédure consiste en des procédures injustes au point d’être contraires à l’intérêt de la justice et en un traitement abusif (Holmen c. Agence du revenu du Canada, 2023 TCDP 36 [Holmen], au par. 32). SCC soutient que, dans l’analyse de l’abus de procédure, le Tribunal doit tenir compte des principes de l’économie des ressources judiciaires, de la cohérence, du caractère définitif des instances et de l’intégrité de l’administration de la justice (Paton c. Spearing Service L.P., 2022 TCDP 37, au par. 37, citant l’arrêt Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52, au par. 33).
[50] SCC fait valoir que M. McCargar a refusé ou omis de se conformer aux Règles et aux directives du Tribunal, notamment en ne respectant pas les échéances, et ce, à plusieurs reprises et de manière constante. SCC souligne que M. McCargar a pratiquement raté toutes les échéances fixées par le Tribunal. De plus, il était difficile à joindre et, la plupart du temps, il ne participait pas activement au processus d’instruction de ses propres plaintes devant le Tribunal. SCC décrit le comportement de M. McCargar en réponse aux directives du Tribunal concernant le dépôt des versions révisées de la liste de témoins et de la liste de réparations demandées comme étant était délibéré et provocateur, et affirme qu’il remettait directement en question l’autorité du Tribunal.
[51] SCC souligne qu’il est nécessaire que les décideurs administratifs rendent leurs décisions promptement et efficacement, et que les délais excessifs dans des procédures administratives vont à l’encontre des intérêts de la société et compromettent la réalisation d’un objectif fondamental des tribunaux administratifs, soit un processus décisionnel rapide et efficient (Letnes c. Gendarmerie royale du Canada, 2022 TCDP 32, au par. 20, citant Law Society of Saskatchewan c Abrametz, 2022 CSC 29 [Abrametz], au par. 46).
[52] SCC soutient que la conduite de M. McCargar justifie l’arrêt des procédures, parce qu’il a systématiquement agi de manière vexatoire et qu’il a refusé de changer d’attitude malgré les tentatives du Tribunal visant à l’accommoder. Il affirme que le non-respect des Règles et des directives du Tribunal nuit à la capacité de ce dernier à prendre des décisions rapidement et efficacement, et a pour effet de monopoliser injustement le temps du Tribunal et de l’intimé au détriment d’autres instances. À titre d’exemple, SCC souligne que le Tribunal a convoqué quatre conférences de gestion préparatoire sur une période de sept mois, uniquement sur la question de l’exposé des précisions de M. McCargar, et que ce dernier a refusé de se conformer aux directives du Tribunal concernant la présentation des versions révisées de la liste de témoins et de la liste de réparations demandées.
[53] SCC soutient que rien ne laisse croire que le comportement de M. McCargar changera et qu’il est très probable qu’il continuera d'abuser de la procédure tout au long de l’instance.
B. Argument subsidiaire concernant le non-respect des délais
[54] Étant donné que j’ai décidé de rejeter les plaintes en vertu des articles 9 et 10 des Règles, au motif que M. McCargar a eu des comportements vexatoires et que ceux-ci constituent un abus de la procédure du Tribunal, je juge que je n'ai pas à examiner l’autre argument de SCC selon lequel les plaintes de M. McCargar devraient être rejetées parce qu'il a cherché indûment à retarder l'instance. Par conséquent, je n’examinerai pas cet argument dans les présents motifs.
C. Observations de la Commission
[55] Sans prendre position quant à la question de savoir si les plaintes de M. McCargar devraient être rejetées, la Commission souligne qu’il incombe au plaignant de faire avancer son dossier (Mohamed c. Banque Royale du Canada, 2024 TCDP 84 [Mohamed], au par. 11); Vandermeulen c. Première Nation Carry the Kettle, 2024 TCDP 9 [Vandermeulen], au par. 10).
[56] La Commission fournit en outre une liste de facteurs que le Tribunal pourrait prendre en considération pour trancher la présente affaire. Ces facteurs comprennent l’incidence sur l’accès à la justice pour les autres parties et les justiciables, y compris en ce qui concerne la question de savoir si le fait de donner suite à la plainte empêcherait l’intimé d’obtenir le traitement de la plainte en temps opportun (Rivard c. Première Nation Nak’azdli Whut’en, 2021 TCDP 21 [Rivard], aux par. 39 et 40); l’existence de difficultés ou de circonstances personnelles pouvant expliquer pourquoi le plaignant n’a pas participé au processus, de sorte qu’il serait inéquitable de rejeter la plainte (Rivard, au par. 38; Mohamed, aux par. 26 à 34); la question de savoir si le plaignant a été informé des mesures qu’il devait prendre pour poursuivre sa plainte ainsi que des conséquences auxquelles il s’exposait s’il ne le faisait pas (Rivard, aux par. 3 et 25).
[57] Pour dresser cette liste de facteurs, la Commission s’est inspirée d’affaires dans lesquelles le Tribunal devait décider s’il y avait lieu de rejeter la plainte pour cause d’abandon par le plaignant concerné, alors que la situation de M. McCargar est différente. La Commission fait toutefois valoir que le Tribunal, qui est maître de sa propre procédure et qui est à même de prémunir sa procédure contre les abus, pourra juger utile d’examiner ces facteurs dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de rejeter la plainte.
VI. ANALYSE
[58] Je conviens que, dans les observations relatives à sa requête, SCC a exposé avec précision le droit applicable en ce qui concerne les comportements vexatoires et l’abus de procédure. Je conviens également que les facteurs relevés par la Commission sont pertinents dans le cadre de mon analyse, car ils ont trait à l’équité, dont le Tribunal doit tenir compte lorsqu’il statue sur une requête en rejet.
[59] Selon le paragraphe 48.9(1) de la LCDP, le Tribunal doit instruire les plaintes sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle. Il est bien établi que le Tribunal a le pouvoir discrétionnaire de contrôler sa procédure et que, dans un souci de gestion responsable de ses ressources, il doit empêcher les abus et s’assurer que les parties respectent ses Règles, ses directives et les délais fixés (Chisholm c. Halifax Employers Association, 2019 TCDP 38 au par. 15; Nienhuis c. Service correctionnel Canada, 2023 TCDP 7 [Nienhuis], au par. 20).
[60] Les articles 9 et 10 des Règles confirment la compétence du Tribunal de juger si le comportement d’une partie est vexatoire ou constitue un abus de procédure et, dans l’affirmative, de déterminer la réparation appropriée à l’égard de ce comportement, qui pourrait inclure le rejet de la plainte. Le Tribunal reconnaît que le rejet d’une plainte est une mesure sérieuse qui commande la prudence et qui ne doit être ordonnée qu’« après avoir pleinement évalué les facteurs pertinents et pris en compte à la fois les impératifs d’équité et de célérité »
(Nienhuis, au par. 20).
A. M. McCargar a adopté des comportements vexatoires, qui constituent un abus de procédure
[61] Je suis d’accord avec SCC pour dire que les faits dans la présente affaire permettent de conclure que M. McCargar a adopté des comportements vexatoires dans le cadre de l’instance devant le Tribunal, dont les suivants :
il n’a pas fait avancer son dossier de façon diligente, car il n’a respecté pratiquement aucun des délais le concernant fixés par le Tribunal;
il a nommé, à titre de témoins dans la présente affaire, des juges, des avocats et des membres du personnel judiciaire dans d’autres instances;
il a nommé à titre de témoins des médiateurs du Tribunal, et ce, après avoir signé une entente stipulant qu’il ne le ferait pas;
il a nommé à titre de témoins des centaines de personnes qui n’ont rien à voir avec les plaintes qu’il a déposées;
il a refusé de se conformer à l’article 18 des Règles du Tribunal, car il n’a pas fourni un résumé du témoignage prévu de ses témoins;
il n’a pas tenu compte des directives claires du Tribunal lui enjoignant de veiller à ce que sa liste de témoins et sa liste de réparations demandées soient conformes à la LCDP et aux Règles, et à ce que ses listes s’en tiennent uniquement à ce qui concerne ses plaintes déposées devant le Tribunal;
il a demandé des réparations que le Tribunal n’a pas le pouvoir d’accorder;
il a tenu des
« propos scandaleux »
dans sa liste de réparations demandées, lorsqu’il a demandé au Tribunal d’ordonner que les employés de SCC [traduction]« se coupe[nt] avec une lame de rasoir »
;il a demandé des réparations qu’aucune personne raisonnable ne pourrait s’attendre à obtenir, notamment l’abolition du système carcéral au Canada et à l’étranger;
il a fait fi du nombre de pages maximal fixé par le Tribunal, car il a inclus plus d’éléments dans les versions révisées de sa liste de témoins et de sa liste de réparations demandées que dans les versions initiales en utilisant une police de taille inhabituellement petite et une mise en page atypique.
(Voir Nourhaghighi, au par. 47; Wilson c. Canada (Agence du revenu), 2006 CF 1535, au para 31; Gao v Ontario WSIB, 2014 ONSC 6497 [Gao], aux par. 14 et 15.)
[62] Le comportement de M. McCargar constitue un abus de la procédure du Tribunal, car il a mené à des procédures oppressives et vexatoires qui violaient les principes d’équité, de décence et de décorum (voir l’arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 SCC 63 au par. 35).
[63] SCC affirme à juste titre que le Tribunal peut invoquer la doctrine de l’abus de procédure pour rejeter une plainte lorsque les procédures sont oppressives ou vexatoires et qu’elles violent les principes fondamentaux de justice sous-jacents au sens de l’équité et de la décence de la société (Holmen, au par. 32).
B. Il y a lieu de rejeter les plaintes en raison des comportements vexatoires de M. McCargar et de l’abus de la procédure du Tribunal
[64] Selon l’article 9 des Règles, le Tribunal peut déterminer la réparation appropriée dans une situation telle que celle qui nous occupe, lorsqu’une partie n’a pas respecté les Règles, les directives du Tribunal et les délais fixés par ce dernier. Il peut ordonner à la partie de remédier à l’omission, continuer l’instruction de la plainte, rejeter la plainte ou rendre toute autre ordonnance de façon à permettre de trancher la plainte sur le fond de façon équitable, informelle et rapide. Aux termes de l’article 10 des Règles, le Tribunal peut rendre l’ordonnance qu’il estime nécessaire en cas de comportements vexatoires ou d’abus de procédure.
[65] Dans l’arrêt Abrametz, la Cour suprême du Canada a établi que, pour déterminer si l’arrêt des procédures est une mesure appropriée pour remédier à un abus de procédure, il faut examiner si le fait de continuer les procédures serait plus préjudiciable à l’intérêt public que les arrêter de façon permanente (au par. 102). Il convient notamment de déterminer si le préjudice causé par l’abus en question sera révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement de l’instance, et si aucune autre réparation ne peut raisonnablement faire disparaître ce préjudice (R. c. O’Connor, [1995] 4 RCS 411, au par. 75). Compte tenu du caractère prospectif de la mesure, il importe de déterminer si l’abus risque de se poursuivre ou de se produire subséquemment (Constantinescu c. Service Correctionnel Canada, 2022 TCDP 13, aux par. 27 et 28).
[66] À mon avis, il est inutile d’ordonner à M. McCargar de remédier à ses omissions, car je lui ai déjà donné l’occasion de le faire en ce qui concerne la liste des témoins et la liste des réparations demandées. Lorsqu’il a eu la possibilité de présenter des versions révisées de ces listes, M. McCargar a répondu en fournissant des versions encore plus inconvenantes et vexatoires que les versions initiales. La version révisée de sa liste de témoins contenait plus que le double de témoins que ceux initialement prévus, soit plus de 800 personnes, dont la plupart n’avaient rien à voir avec ses plaintes pour atteinte aux droits de la personne. Il n’a fourni aucun résumé du témoignage prévu de chacun des témoins comme on le lui avait demandé, conformément aux Règles. De plus, pour respecter la limite de deux pages fixée pour sa liste de témoins, il a utilisé une police de caractères extrêmement petite dans un tableau à cinq colonnes, et avait inscrit plus de 80 noms dans chaque colonne.
[67] La version révisée de la liste de réparations demandées n’est pas mieux. La plupart des réparations demandées n’avaient rien à voir avec les plaintes soumises au Tribunal et n’avaient jamais été mentionnées en lien avec ces dernières. SCC affirme à juste titre que, comme la compétence du Tribunal à l’égard des plaintes résulte du processus de renvoi par la Commission, le Tribunal ne peut se prononcer sur les allégations et les réparations qui n’ont aucun lien factuel avec les plaintes renvoyées (Garnier c. Service correctionnel du Canada, 2023 TCDP 32, au par. 10).
[68] Afin de se conformer à la limite de dix pages imposée par le Tribunal, M. McCargar a adopté ce que la Cour supérieure de justice de l’Ontario a appelé, au paragraphe 15 de la décision Gao, [traduction] « certaines des caractéristiques distinctives du comportement d’un plaideur quérulent »
, telles que le choix d’une « mise en page étrange »
qui, dans la présente affaire, permettait d’énumérer des centaines de réparations demandées en dix pages, ainsi que l’utilisation de « moyens de mise en relief multiples »
, comme le surlignement, le soulignement et l’emploi des majuscules.
[69] Je suis d’accord avec SCC pour dire que la conduite de M. McCargar n’est pas accidentelle ni fondée sur l’ignorance. En effet, ce n’est pas la première fois que M. McCargar se comporte de cette manière dans le cadre d’une instance judiciaire, puisqu’il a été déclaré plaideur quérulent par une cour de l’Alberta en 2017. Dans cette affaire, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta avait averti M. McCargar que ses pratiques dans le cadre du litige étaient vexatoires, notamment le fait de nommer des personnes qui n’avaient rien à voir avec le litige, et qu’il devait respecter les échéances fixées par la cour et l’autorité judiciaire (McCargar 2017, aux par. 25, 48 et 62). SCC fait valoir qu’il est évident, au vu de la conduite de M. McCargar devant le Tribunal, que ce dernier n’a pas tenu compte de l’avertissement de la cour.
[70] Je fais observer que pour en arriver à le déclarer plaideur quérulent et à restreindre son accès aux tribunaux, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta avait jugé que le dossier dont elle disposait sur M. McCargar établissait l’existence d’une grave propension de sa part à adopter un comportement répréhensible devant les tribunaux (McCargar 2017, au par. 48), et qu’elle avait conclu que le plaignant [traduction] « avait intenté une action pour laquelle il n’existait aucune issue favorable possible et qui prenait une ampleur exponentielle »
(au par. 49). La cour a restreint l’accès du plaignant aux tribunaux de façon permanente, car elle considérait qu’il fallait [traduction] « s’attendre à ce que M. McCargar abuse de nouveau [...] des procédures du système judiciaire de l’Alberta »
(au par. 56). La cour a fait remarquer que, [traduction] « bien que la plupart de ses actions étaient intentées par voie d’
habeas corpus, il a[vait] également déposé des plaintes semblables dans un contexte civil. Il a[vait] nommé des employés de SCC et des procureurs de la Couronne qui, à son avis, avaient agi illégalement. Il [était] donc justifié d’imposer des mesures à grande échelle »
(au par. 56).
[71] La cour a en outre relevé que, dans des observations datées du 1er novembre 2017, M. McCargar avait reconnu s’être livré à des [traduction] « actes inappropriés et contraires à la loi devant la cour »
(au par. 62). La cour a estimé qu’il s’agissait d’une [traduction] « première étape importante vers l’adoption d’un comportement approprié au sein du système judiciaire canadien »
, et a vivement encouragé M. McCargar à « poursuivre les mesures positives qu’il avait prises, comme effectuer des recherches juridiques avant de s’adresser aux tribunaux, établir des délais raisonnables et respecter l’autorité judiciaire »
(au par. 62). Elle a invité M. McCargar à [traduction] « se conduire de manière appropriée devant les tribunaux »
(au par. 63).
[72] M. McCargar ne semble pas avoir tenu compte des sages conseils de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta en ce qui concerne les plaintes en matière de droits de la personne devant le Tribunal. En déposant les versions révisées de sa liste de témoins et sa liste de réparations demandées, il reproduit le comportement que la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta lui avait ordonné de cesser, soit celui d’intenter une action pour laquelle il n’existe aucune issue favorable possible et qui prend une ampleur exponentielle.
[73] Je tiens à préciser que pour conclure à la nature vexatoire des comportements de M. McCargar devant le Tribunal, je ne m’appuie pas sur sa conduite dans une autre instance ni sur le fait qu’une cour l’avait déclaré plaideur quérulent dans une autre affaire. J’ai jugé que les actes de M. McCargar devant le Tribunal sont vexatoires indépendamment de la décision de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. Je fais simplement remarquer que M. McCargar avait reçu des directives très claires d’un juge d’une instance supérieure concernant son comportement devant les tribunaux, à la même période où il avait déposé auprès de la Commission ses plaintes pour atteinte aux droits de la personne, et que, dans le cadre de la présente affaire, il ne semble pas avoir suivi les conseils ni appliqué toutes les directives reçues.
[74] Je conclus en outre qu’il n’est pas raisonnable d’ordonner à M. McCargar de remédier à ses omissions, étant donné son comportement devant le Tribunal jusqu’à présent. M. McCargar a été informé à plusieurs reprises des mesures qu’il devait prendre pour faire avancer sa plainte devant le Tribunal et il a été avisé plus d’une fois des conséquences auxquelles il s’exposait s’il ne le faisait pas (voir Rivard, aux par. 3 et 25).
[75] Il pouvait communiquer avec le greffier du Tribunal et l’avocat de la Commission pour obtenir des renseignements et de l’aide pour participer à l’instance; il pouvait aussi communiquer avec le Tribunal en lui écrivant et en participant aux multiples conférences de gestion préparatoire.
[76] Malgré tout, M. McCargar n’a respecté aucune des échéances fixées par le Tribunal, et il a fait abstraction des directives et des Règles du Tribunal. De plus, il a fait fi du conseil du Tribunal, qui lui recommandait de se concentrer sur la requête en rejet, compte tenu des conséquences graves pouvant découler de celle-ci. Au lieu de répondre à la requête en rejet de SCC, M. McCargar semble avoir passé son temps à préparer la très longue demande qu’il avait mentionnée lors de la plus récente conférence de gestion préparatoire. Cette demande concernait une poursuite au titre des articles 59 et 60 de la LCDP, dans laquelle il alléguait que les Services correctionnels du Manitoba avaient entravé sa capacité à répondre à ses plaintes pour atteinte aux droits de la personne. Pareil comportement est à l’image de la conduite de M. McCargar tout au long du processus de gestion de l’instance.
[77] Dans les observations relatives à sa requête, SCC fait remarquer que M. McCargar avait fourni plusieurs excuses pour ne pas avoir respecté les délais dans le cadre de l’instance; il avait allégué des raisons médicales, le manque d’accès aux documents et à un ordinateur, des difficultés à formater les documents, l’absence de représentation juridique, le transfert d’un établissement à l’autre, les diverses restrictions qui lui sont imposées en détention et l’impossibilité de communiquer avec l’avocat de la Commission. SCC fait valoir que plusieurs des excuses de M. McCargar ne concordent pas avec le fait qu’il avait apparemment été parfaitement capable de gérer son dossier dans le cadre d’autres instances pendant sa détention, y compris devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta alors qu’il était détenu dans un établissement fédéral (voir McCargar 2017). Je suis d’accord avec SCC à ce sujet.
[78] Le Tribunal a reçu de nombreux appels téléphoniques et documents de la part de M. McCargar en attendant que ce dernier se conforme aux directives du Tribunal et contribue au traitement de ses plaintes pour atteinte aux droits de la personne dans les délais impartis. Il a transmis au Tribunal les plaintes qu’il avait déposées auprès de l’ombudsman et de la Commission des droits de la personne du Manitoba concernant son incarcération dans un établissement des Services correctionnels du Manitoba, ainsi qu’une plainte soumise à la Cour du Banc du Roi du Manitoba visant un juge de la cour provinciale.
[79] Je tiens également à souligner que le Tribunal avait pris des dispositions avec l’administration des Services correctionnels du Manitoba pour s’assurer que M. McCargar puisse recevoir et envoyer des documents relatifs à ses plaintes pour atteinte aux droits de la personne, allant même jusqu’à acheter et envoyer des clés USB pour le plaignant qui n’était pas autorisé à utiliser les imprimantes. Le Tribunal et les autres parties ont veillé à ce que leurs documents soient envoyés par service de messagerie à M. McCargar pour qu’il obtienne les copies papier demandées. De plus, le greffe a assuré le suivi auprès des établissements correctionnels lorsque M. McCargar n’a pas respecté les échéances fixées par le Tribunal, et le personnel de ces établissements s’informait auprès de M. McCargar de l’état d’avancement de ses documents. Le personnel des établissements correctionnels a plusieurs fois informé le Tribunal que M. McCargar disait travailler sur d’autres questions juridiques plutôt que sur son dossier en matière de droits de la personne. Cette situation est d’autant plus évidente compte tenu du nombre de pages, manuscrites pour la plupart, que M. McCargar a transmises au Tribunal en lien avec diverses autres plaintes et poursuites.
[80] Les difficultés ou les circonstances propres à M. McCargar ne me permettent pas de conclure qu’il serait inéquitable de rejeter ses plaintes. Même si je reconnais que le fait d’être incarcéré entraîne des difficultés particulières en ce qui a trait à la participation à une instance devant le Tribunal, j’estime que ces difficultés ne sont pas insurmontables. Le Tribunal est régulièrement saisi de plaintes de personnes incarcérées qui arrivent à respecter ses directives et les Règles, et qui parviennent ainsi à faire instruire leur cause. M. McCargar a pu participer à l’instance équitablement et a bénéficié de nombreuses prorogations de délai et possiblement d’une plus grande latitude que celle donnée à la plupart des plaignants compte tenu de sa situation.
[81] Le Tribunal ne peut permettre que l’instruction d’une plainte se poursuive indéfiniment simplement parce que le plaignant agit pour son propre compte ou est incarcéré. Il n’est pas tenu d’attendre qu’un délai particulier s’écoule avant de se pencher sur les comportements abusifs d’un plaignant ou sur le défaut de ce dernier de participer utilement à la procédure du Tribunal. Comme l’a souligné le Tribunal au paragraphe 38 de la décision Rivard :
[L]’obligation du Tribunal de traiter les plaintes de façon équitable et expéditive ne favorise pas l’idée de laisser traîner les plaintes pendant des années. De plus, [...] ne pas tenir compte du manquement d’une partie ne favorise pas le respect du processus du Tribunal, de ses délais, des autres parties ou de l’intérêt public.
[82] La poursuite de l’instruction n’est pas une option viable dans la présente affaire, parce qu’il serait inéquitable de le faire pour les autres parties et pour le Tribunal. Il est possible de tenir une audience lorsque l’exposé des précisions du plaignant n’est pas parfait ou, comme il a été proposé dans le dossier de M. McCargar, lorsque le plaignant ne dépose aucun exposé des précisions et se fonde sur sa plainte pour atteinte aux droits de la personne. Toutefois, non seulement pareille démarche n’est pas possible dans la présente affaire, mais aucune des parties ne le demande. M. McCargar a démontré qu’il ne participerait pas au processus d’audience de manière raisonnable. Le plaignant doit être en mesure de nommer les témoins qu’il a l’intention de citer, le cas échéant, et d’indiquer les réparations qu’il sollicite si sa plainte est fondée. M. McCargar a démontré à maintes reprises qu’il ne le ferait pas.
[83] Les plaintes pour atteinte aux droits de la personne déposées par M. McCargar portent sur les mauvais traitements et les représailles dont il aurait fait l’objet dans un établissement correctionnel fédéral. Dans ses plaintes, il a nommé certains employés de cet établissement qui seraient les auteurs des actes discriminatoires. Cependant, M. McCargar a inscrit sur sa liste de témoins des centaines d’employés de SCC appartenant à de nombreux secteurs de cette organisation nationale d’envergure, et, lorsqu’il a révisé sa liste de témoins et sa liste de réparations, il a élargi la portée de sa plainte jusqu’à demander l’abolition du système carcéral au Canada et à l’étranger. Sans diminuer la nature des plaintes pour atteinte aux droits de la personne déposées par M. Mccargar, j’estime que celles-ci n’appuient tout simplement pas les types de réparations très vastes et systémiques qu’il sollicite, pas plus qu’elles ne permettent de mettre en cause les centaines de personnes figurant sur la liste de témoins, parmi lesquelles des employés du gouvernement provincial, le premier ministre, des ministres et des sénateurs, ainsi que des avocats, des juges et des greffiers.
[84] L’équité procédurale repose entre autres sur le principe fondamental selon lequel l’intimé doit connaître la preuve à réfuter. Sans connaître la preuve qui sera présentée et les réparations demandées, SCC ne peut pas se préparer adéquatement en vue de l’audience. SCC a le droit d’obtenir le traitement de la plainte à son égard en temps opportun (Rivard, au par. 39). Rien n’indique que cela se produira maintenant, si l’on se fie à la conduite de M. McCargar jusqu’à présent.
[85] M. McCargar n’a pas pris au sérieux le processus de gestion de l’instance ni la requête en rejet de ses plaintes. Compte tenu de son comportement dans le cadre du processus du Tribunal, je n’ai aucune raison de croire qu’il tiendra compte des directives ou des ordonnances de manière à ce qu’il soit possible d’instruire la plainte de façon équitable et rapide. Rien dans le dossier ne démontre que ce serait le cas. Le Tribunal ne pourrait rendre aucune ordonnance qui lui permettrait de trancher la plainte sur le fond de façon équitable, informelle et rapide.
[86] Ayant examiné la question de savoir si le fait de continuer les procédures serait plus préjudiciable à l’intérêt public que de les arrêter de façon permanente, le Tribunal est d’avis que le rejet des plaintes est la seule réparation appropriée en ce qui concerne l’abus de la procédure du Tribunal par M. McCargar. La présente instance est devenue inéquitable au point d’être contraire à l’intérêt de la justice et de constituer un traitement abusif des autres parties et du Tribunal (Holmen, au par. 32). Il est dans l’intérêt public que les plaintes pour atteinte aux droits de la personne soumises au Tribunal, un organisme décisionnel administratif, soient tranchées et que leur instruction ne se poursuive pas indéfiniment. Je suis d’accord avec SCC pour dire que M. McCargar monopolise injustement le temps du Tribunal, de l’intimé et de la Commission au détriment d’autres instances. Il serait inéquitable de poursuivre la plainte en cause, puisque cela aurait des conséquences pour les autres plaignants et intimés qui attendent que le Tribunal instruise leur cause (Rivard, au par. 40).
[87] Rien ne laisse croire que, si on lui donnait une autre chance, M. McCargar cesserait d’abuser de la procédure du Tribunal et donnerait suite à sa plainte efficacement et rapidement tout en respectant les Règles et l’autorité du Tribunal. Au contraire, la preuve révèle que les comportements continus de M. McCargar perpétuent et aggravent le préjudice causé aux autres parties, au Tribunal et à l’administration de la justice. Le Tribunal ne peut ordonner aucune autre réparation raisonnable, outre le rejet des plaintes, qui pourrait faire disparaître le préjudice causé par la conduite vexatoire et abusive de M. McCargar.
VII. ORDONNANCE
[88] Le Tribunal ordonne le rejet des deux plaintes pour atteinte aux droits de la personne déposées par M. McCargar, avec effet immédiat.
Signée par
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéros des dossiers du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Requête traitée par écrit sans comparution des parties
Observations écrites par :