Tribunal canadien des droits de la personne
Informations sur la décision
Le chef Gilbert Dominique, de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh, a déposé une plainte contre Sécurité publique Canada (SPC). Il y affirmait que sa communauté avait été défavorisée dans l’accès aux services policiers, ce qui va à l’encontre de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le Tribunal a déjà donné raison à M. Dominique, et cette décision a été confirmée par les tribunaux supérieurs. Le dossier en est maintenant à l’étape où le Tribunal doit décider des réparations à accorder.
Dans cette décision sur requête, le Tribunal répond à une demande de M. Dominique. Il souhaitait que SPC rembourse les frais pour un rapport d’expert commandé à la firme PricewaterhouseCoopers (PwC). Ce rapport devait servir à évaluer les besoins policiers spécifiques de la communauté.
Le Tribunal a rejeté la demande. Il a expliqué que ces frais sont considérés comme des dépens — c’est-à-dire des frais liés à la préparation d’une preuve pour l’audience sur les réparations — et non comme des mesures de réparation. Or, selon la loi et la jurisprudence, le Tribunal n’a pas le pouvoir de faire payer ces frais par SPC.
Même si le Tribunal avait considéré ces frais comme une forme de réparation, il aurait jugé qu’il était trop tôt pour décider. Il voudrait attendre d’avoir entendu toute la preuve et tous les arguments des parties avant de rendre une ordonnance sur les réparations.
Contenu de la décision
Tribunal canadien |
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Canadian Human |
Référence : 2025 TCDP
Date : Le
Numéro du dossier :
Entre :
le plaignant
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
l’intimée
Décision sur requête
Membre :
Table des matières
(i) Les honoraires d’expert sont des dépens
B. Question 2 : Est-ce qu’une telle ordonnance serait, en tout état de cause, prématurée?
I. APERÇU
[1] Dans la présente décision sur requête, j’expose les motifs justifiant le rejet de la requête par laquelle Gilbert Dominique, chef de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh, réclamait le remboursement des honoraires d’expert exigés pour l’évaluation des besoins de sa Première Nation en matière de sécurité publique.
[2] M. Dominique, le plaignant, a déposé une plainte en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP ») au nom de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh. Il prétend que Sécurité publique Canada, l’intimée, l’a défavorisé à l’occasion de la fourniture de services policiers, en contravention de la LCDP. Le Tribunal a accepté de scinder l’instance afin de séparer la question de la responsabilité de celle des réparations.
[3] Ultimement, le Tribunal a jugé la plainte de M. Dominique fondée (Dominique (de la part des Pekuakamiulnuatsh) c. Sécurité publique Canada, 2022 TCDP 4). La décision du Tribunal a été maintenue par la Cour fédérale (Canada (Procureur général) c. Première Nation des Pekuakamiulnuatsh, 2023 CF 267) et la Cour d’appel fédérale (Canada (Procureur général) c. Première Nation des Pekuakamiulnuatsh, 2025 CAF 24). Le Tribunal cherche maintenant à déterminer quelles réparations il convient d’accorder dans le présent dossier. C’est dans ce contexte que le plaignant sollicite le remboursement des honoraires exigés par les experts du cabinet PricewaterhouseCoopers (« PwC ») pour l’évaluation des besoins de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh en matière de sécurité publique.
II. DÉCISION
[4] J’ai déjà informé les parties de ma décision de rejeter la requête du plaignant. J’énonce en détail les motifs de cette décision dans les paragraphes qui suivent. Comme je le précise plus loin, bien que le plaignant ait cherché à présenter les honoraires d’expert comme une forme de réparation, ce sont en réalité des dépens. Il ressort clairement de la jurisprudence applicable que le Tribunal ne possède pas le pouvoir d’ordonner le remboursement de tels dépens.
III. QUESTIONS EN LITIGE
[5] Après avoir examiné les observations des parties, j’ai circonscrit les questions à trancher comme suit :
- Est-ce que le Tribunal possède le pouvoir d’ordonner le remboursement des honoraires d’expert exigés dans le cadre de l’évaluation des besoins?
- Est-ce qu’une telle ordonnance serait, en tout état de cause, prématurée?
IV. ANALYSE
A. Question 1 : Est-ce que le Tribunal possède le pouvoir d’ordonner le remboursement des honoraires d’expert exigés dans le cadre de l’évaluation des besoins?
[6] Non. Le Tribunal ne possède pas le pouvoir d’ordonner à l’intimée de rembourser au plaignant les honoraires d’expert qui ont été versés, ou qui le seront, dans le cadre de l’évaluation des besoins.
(i) Les honoraires d’expert sont des dépens
[7] Les parties ne s’entendent pas sur la façon de qualifier les honoraires d’expert. Le plaignant les définit comme étant une forme de réparation que le Tribunal devrait lui accorder en vertu de l’alinéa 53(2)b) de la LCDP. Or, l’intimée soutient que les honoraires d’expert appartiennent à la catégorie des dépens et que le Tribunal n’a donc pas le pouvoir de les adjuger. Je suis d’accord avec l’intimée pour dire que les honoraires d’expert doivent être considérés comme des dépens.
[8] L’argument principal avancé par le plaignant est que le Tribunal a indiqué dans sa décision sur la responsabilité qu’en vertu du Programme des Services policiers des Premières Nations, le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les Premières Nations doivent déterminer le niveau de financement des services policiers en se fondant sur l’évaluation des besoins de financement particuliers de chacune des Premières Nations. Cependant, le Tribunal a conclu que le gouvernement fédéral avait octroyé du financement aux Premières Nations sur la base d’une enveloppe budgétaire qu’il avait malmenée pendant des années jusqu’à ce qu’il n’injecte des sommes importantes dans le programme à partir de 2018. Le plaignant soutient que l’intimée n’a toujours pas évalué les besoins de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh en ce qui concerne les services policiers. Par conséquent, il est d’avis que le Tribunal doit ordonner à l’intimée de lui rembourser les honoraires d’expert que la Première Nation devra verser afin de procéder à sa propre évaluation des besoins en matière de services policiers.
[9] À l’opposé, l’intimée affirme que les honoraires d’expert sont en fait des dépens, car le plaignant a payé pour obtenir des éléments de preuve sur lesquels il compte s’appuyer à cette étape-ci de l’instance, soit celle des réparations.
[10] La Commission canadienne des droits de la personne semble avoir adopté la qualification des honoraires proposée par le plaignant. Elle fait valoir que ce dernier ne devrait pas avoir à attendre la fin de l’étape des réparations pour obtenir une réparation visant à mettre fin à la discrimination en cours.
[11] Je souscris à la position de l’intimée.
[12] Comme je l’ai mentionné plus haut, le Tribunal a scindé l’instance de manière à ne devoir décider des mesures de réparation appropriées que si la plainte était jugée fondée. Le Tribunal a statué qu’elle l’était. Ainsi, au début de 2024, le Tribunal a commencé la gestion de l’instance en ce qui concerne les réparations. En septembre 2024, le plaignant a reçu une lettre de mission de la part de PwC, dont il avait déjà retenu les services. Dans cette lettre, PwC exposait le rôle qu’il entendait jouer à la lumière des discussions menées avec le plaignant, à savoir fournir des services de consultation afin de produire un rapport devant être présenté au Tribunal à cette étape-ci (celle des réparations) et désigner un expert pour témoigner devant le Tribunal. De plus, le cabinet, à titre de consultant externe, apportera son support au plaignant dans ses négociations avec le gouvernement au sujet du renouvellement du financement des services policiers de sa Première Nation. Dans sa lettre de mission, PwC a indiqué que les honoraires exigés pour les services demandés par le plaignant s’élevaient à 208 430 $, majorés des autres frais, dépenses et taxes applicables. C’est d’ailleurs cette somme que le plaignant veut se faire rembourser par l’intimée, en vertu d’une ordonnance du Tribunal.
[13] À mon avis, il est clair dans la lettre de PwC que les honoraires d’expert dont le plaignant demande le remboursement couvrent la préparation d’un rapport qu’il entend présenter en preuve et la rémunération d’un représentant de PwC qui témoignera en tant qu’expert à l’audience sur les réparations. Il s’agit là d’exemples typiques de dépens adjugés par les cours (voir, par exemple, l’article 339 du Code de procédure civile du Québec et Bauer Hockey Ltd. c. Sport Maska Inc. (CCM Hockey), 2020 CF 862 appliquant le paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106). Aucune des parties ne conteste le fait que le Tribunal n’a pas le pouvoir d’ordonner le paiement des dépens (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53).
B. Question 2 : Est-ce qu’une telle ordonnance serait, en tout état de cause, prématurée?
[14] Même si j’étais d’accord avec le plaignant pour qualifier les honoraires d’expert de réparation au sens de l’alinéa 53(2)b) de la LCDP, je n’aurais pas accueilli la présente requête. Le Tribunal gère actuellement l’étape des réparations et tente d’amener les parties à se préparer à une audience sur la question le plus rapidement possible. J’estime qu’il serait prématuré d’émettre une ordonnance de réparation, quelle qu’elle soit, avant d’avoir entendu l’ensemble de la preuve et des arguments à l’appui d’une telle ordonnance.
V. ORDONNANCE
[15] Pour les motifs énoncés plus haut, la requête est rejetée.
Signée par
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéro du dossier du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Requête traitée par écrit sans comparution des parties
Observations écrites par :