Tribunal canadien des droits de la personne
Informations sur la décision
Le Tribunal a rejeté une requête visant à obtenir la récusation du membre, c’est-à-dire son retrait de l’affaire. Le dossier concerne Allen McLearn (le « plaignant »), qui a déposé deux plaintes distinctes dans lesquelles il affirme que des employés fédéraux l’ont maltraité et n’ont pas tenu compte de sa déficience.
Le plaignant, qui ne sait ni lire ni écrire en raison d’une déficience, a demandé au membre du Tribunal de se récuser lors d’une conférence de gestion préparatoire en janvier 2025. Il a soutenu que le membre avait fait preuve de partialité et a appuyé son allégation sur deux décisions procédurales concernant une autre plainte. Ces décisions accordaient une courte prolongation de délais pour le dépôt de documents.
Le Tribunal a conclu qu’il n’y avait aucun motif raisonnable pour accorder la requête de récusation. Il a rappelé que des décisions antérieures défavorables à une certaine partie n’indiquent pas forcément l’existence d’un parti pris. Le membre avait suivi les procédures adéquates, géré les affaires de manière efficace et équitable et expliqué ses décisions de manière détaillée.
Le membre du Tribunal continuera donc d’instruire la deuxième plainte du plaignant.
Contenu de la décision
Tribunal canadien |
|
Canadian Human |
Référence : 2025 TCDP
Date : Le
Numéro du dossier :
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Entre :
le plaignant
- et -
l’intimé
Décision sur requête
Membre :
Table des matières
B. Question 2 : Le plaignant a-t-il démontré l’existence d’une crainte raisonnable de partialité?
E. Décision de reporter une échéance fixée pour le dépôt de documents par la partie intimée
F. Les décisions antérieures défavorables à une partie ne démontrent pas de partialité
G. Autres observations appuyant la requête en récusation
(i) Plainte auprès de la présidente du Tribunal
(ii) Requête en suspension de l’instruction de la première plainte
H. Conclusion : il n’existe aucune crainte raisonnable de partialité
I. APERÇU
[1] La présente décision sur requête porte sur la question de savoir si je dois me récuser pour partialité.
[2] Je suis chargé d’instruire deux plaintes pour atteinte aux droits de la personne déposées par Allen McLearn, le plaignant. Ce dernier ne peut ni lire ni écrire en raison d’une déficience. Dans ses plaintes, M. McLearn affirme avoir été maltraité par des fonctionnaires fédéraux et privé des mesures d’adaptation qu’il avait demandées.
[3] En mars 2024, la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a renvoyé la première plainte de M. McLearn (la « première plainte ») au Tribunal pour instruction. Le numéro de dossier du Tribunal qui lui est assigné est HR-DP-2997-24. Puis, en octobre 2024, la Commission a renvoyé la deuxième plainte de M. McLearn (la « deuxième plainte ») pour instruction. La partie intimée est différente dans chacune de ces plaintes.
[4] Les deux plaintes en sont actuellement à l’étape de la gestion de l’instance, étape à laquelle les parties mettent au point leurs dossiers en vue de l’audience. Le Tribunal tient des conférences de gestion préparatoires avec elles afin de les aider dans leurs préparations et, au besoin, pour résoudre les conflits de nature procédurale.
[5] Au cours de la première conférence de gestion préparatoire tenue le 27 janvier 2025 dans le cadre de l’instruction de la deuxième plainte, M. McLearn a demandé à ce que je me récuse pour partialité. Il a fondé ses allégations sur des décisions procédurales prises en ce qui concerne la première plainte ainsi que d’autres questions relatives à celle-ci.
[6] L’avocat de l’intimé à la deuxième plainte soutient que mon impartialité n’est pas mise en doute et que je ne devrais pas me récuser.
II. DÉCISION
[7] Il n’existe aucune crainte raisonnable de partialité. La requête en récusation de M. McLearn est rejetée.
III. QUESTIONS EN LITIGE
[8] Les questions en litige dans la présente décision sur requête sont les suivantes :
Question 2 : Le plaignant a-t-il démontré l’existence d’une crainte raisonnable de partialité?
IV. ANALYSE
A. Question 1 : Quels principes doivent être appliqués afin de déterminer si un membre du Tribunal doit se récuser pour partialité?
[9] La présomption d’impartialité de la part des membres d’un tribunal administratif demeure un fondement de notre système judiciaire. Les membres d’un tribunal administratif sont ainsi présumés exercer leurs fonctions quasi judiciaires de manière impartiale jusqu’à preuve du contraire (Constantinescu c. Service correctionnel Canada, 2020 TCDP 3 [Constantinescu], au par. 31, renvoyant à l’arrêt Association des employeurs maritimes c. Syndicat des débardeurs, section locale 375 (Syndicat canadien de la fonction publique), 2020 CAF 29, au par. 5).
[10] Une allégation de partialité portée à l’encontre d’un tribunal est sérieuse. Elle met en doute l’intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Elle ne peut être faite à la légère (Canada (Canadian Human Rights Commission) v. Canada (Attorney General), 2025 FC 18 [Canada (Commission canadienne des droits de la personne) CF], au par. 57, renvoyant à l’arrêt Arthur c. Canada (Canada (Procureur Général)), 2001 CAF 223, au par. 8).
[11] Une requête en récusation ne doit être présentée que lorsqu’il existe une réelle probabilité de partialité, véritable ou apparente, étayée par une preuve convaincante (Collins v. Canada (Attorney General), 2024 FCA 5 [Collins], au par. 13, renvoyant à l’arrêt Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, [2015] 2 RCS 282, au par. 25; Cojocaru c. British Columbia Women’s Hospital and Health Centre, 2013 CSC 30, [2013] 2 RCS 357, aux par. 22 et 27).
[12] Le critère applicable pour déterminer si un membre d’un tribunal doit se récuser repose sur la question de savoir s’il existe une crainte de partialité raisonnable. Ce critère consiste à se demander à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, le membre du tribunal, consciemment ou non, ne rendrait pas une décision juste? (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) CF, au par. 55, renvoyant à l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, 1976 CanLII 2 (CSC), [1978] 1 RCS 369, à la page 394).
[13] Il incombe à la partie qui allègue la crainte raisonnable de partialité d’en démontrer l’existence. Le fardeau de cette partie est élevé (Constantinescu, aux par. 39 et 40; Oleynik c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 5, au par. 57).
[14] Lorsqu’il traite une requête en récusation, le décideur doit tenir compte du contexte et des faits de chaque affaire. Il est aussi tenu de prendre en considération les exigences procédurales du tribunal en question (Constantinescu, au par. 45).
[15] Le seul fait qu’un membre d’un tribunal ait pu rendre une ou plusieurs décisions défavorables à l’une des parties ne peut objectivement suffire à étayer une crainte de partialité ou d’une partialité apparente. Une personne raisonnable et bien renseignée reconnaît qu’il est possible qu’un membre d’un tribunal rende à quelques reprises des décisions défavorables envers une partie. Cette même personne comprend également qu’une [traduction] « suite d’échecs » peut être justifiée au regard des faits et du droit des différents dossiers (Collins, au par. 19).
[16] En outre, la partie qui dépose une requête en récusation doit la formuler en temps opportun. Si elle omet de le faire à la première occasion possible, il pourrait être conclu qu’elle y a renoncé (Rothesay Residents Association Inc. c. Rothesay Heritage Preservation & Review Board et al. [Rothesay], 2006 NBCA 61, au par. 27).
[17] Passons à l’application des principes juridiques énoncés plus haut aux faits de la présente affaire.
B. Question 2 : Le plaignant a-t-il démontré l’existence d’une crainte raisonnable de partialité?
[18] La réponse à la question est négative. Aucun élément de preuve ne soutient l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. J’expose ci-après les motifs de ma décision.
C. Contexte
[19] Il est important de mentionner que M. McLearn ne peut ni lire ni écrire en raison d’une déficience et que le Tribunal a mis en place des mesures d’adaptation afin que celui-ci puisse participer pleinement à la présente instance.
[20] La première plainte m’a été assignée en avril 2024. Au cours des conférences de gestion préparatoires, j’ai posé à M. McLearn des questions relatives aux mesures d’adaptation nécessaires à sa participation à l’instance. Le Tribunal a notamment pris les mesures d’adaptation suivantes :
- la tenue des conférences de gestion préparatoires de manière à permettre à M. McLearn de fournir oralement des renseignements à propos de sa plainte, et des observations sur des demandes de nature procédurale, le cas échéant;
- la lecture à voix haute à M. McLearn, par un agent du greffe du Tribunal, des résumés des conférences de gestion préparatoires et autres communications du Tribunal;
- la prise en note, par un agent du greffe du Tribunal, des questions soulevées par M. McLearn entre les conférences, de sorte que les parties et moi-même soyons en mesure de les explorer lors des conférences de gestion préparatoires;
- la fourniture de ressources pour aider M. McLearn à retenir les services d’un avocat.
[21] J’ai rendu deux décisions de nature procédurale dans le dossier de la première plainte, que j’expose ci-après.
[22] Le 27 janvier 2025, le Tribunal a tenu la première conférence de gestion préparatoire dans le cadre de l’instruction de la deuxième plainte, laquelle m’avait également été assignée. M. McLearn a demandé à ce que je me récuse pour partialité. Il affirme que les décisions que j’ai prises relativement à la première plainte sont inéquitables envers lui et que j’ai fait preuve de partialité à d’autres occasions au cours de l’instance.
[23] En juillet 2024, M. McLearn a retenu les services d’un avocat qui le représente en ce qui concerne la première plainte. Il agit pour son propre compte par rapport à la deuxième plainte.
[24] J’ai demandé à M. McLearn s’il voulait avoir du temps afin d’obtenir des conseils juridiques en ce qui concerne sa requête en récusation. Cependant, celui-ci souhaite que sa requête soit instruite et que je rende ma décision sans délai. Par conséquent, à la demande de M. McLearn, je procède au l’instruction de la présente requête alors qu’il ne reçoit aucune aide juridique.
[25] En raison de l’incapacité à lire et à écrire de M. McLearn, je lui ai demandé de m’expliquer les renseignements à l’appui de sa requête en récusation. Il a présenté des observations orales à la conférence de gestion préparatoire du 27 janvier 2025. Ces observations sont exposées plus loin et sont suivies des motifs au regard de chacune des observations
[26] M. McLearn soutient que je suis partial, car j’ai accueilli deux requêtes en prorogation de délai déposées par l’avocat de la partie intimée dans la première plainte. Les renseignements détaillés à ce sujet figurent ci-après.
D. Décision de reporter les dates limites pour le dépôt de documents sans avoir préalablement demandé au plaignant de formuler des observations
[27] La première décision à laquelle renvoie M. McLearn porte sur une demande de prorogation d’une semaine du délai accordé aux parties pour soumettre leurs exposés des précisions.
[28] Le 9 mai 2024, l’avocat de la partie intimée dans le cadre de la première plainte a informé le Tribunal qu’il ne serait pas en mesure de respecter le délai fixé pour fournir les documents à M. McLearn en raison d’un retard de deux jours survenu dans l’envoi d’un ensemble de documents. Par conséquent, l’avocat avait demandé à ce que l’échéance pour le dépôt de l’exposé des précisions de M. McLearn soit reportée d’une semaine et que les délais fixés pour les obligations subséquentes des parties le soient également.
[29] Le 13 mai 2024, j’ai rendu une décision composée d’une seule phrase portant que, compte tenu des circonstances décrites par l’avocat de la partie intimée, il était raisonnable de procéder à la prorogation des délais telle qu’elle était proposée.
[30] Je n’ai pas demandé à M. McLearn de présenter des observations sur la question avant de rendre ma décision. Je possédais suffisamment de renseignements au sujet de la demande de nature procédurale et, à mon avis, l’issue était favorable à M. McLearn. Cependant, ce dernier s’est opposé à ma décision parce que je ne lui avais pas demandé de formuler des observations avant de trancher la question.
[31] Le 15 mai 2024, j’ai informé les parties de la procédure suivie par le Tribunal. Je leur ai expliqué que l’article 5 des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 (les « Règles ») exige que les Règles soient interprétées et appliquées de façon à permettre de trancher la plainte sur le fond de façon équitable, informelle et rapide. Puis, j’ai mentionné que l’article 8 me permet de modifier une disposition des Règles ou exempter une partie de son application si la modification ou l’exemption respecte le principe énoncé à l’article 5. J’ai indiqué aux parties que, compte tenu du retard de la partie intimée dans l’envoi de documents à M. McLearn, il était équitable d’accorder une semaine supplémentaire à ce dernier pour la formulation de sa réponse. Qui plus est, la prorogation d’une semaine des délais fixés pour les obligations subséquentes des parties favorisait une instruction rapide de la plainte. Or, en vue d’assurer l’équité procédurale, j’ai également annoncé aux parties que je réexaminerais ma décision dans le cadre d’une conférence de gestion préparatoire à laquelle les parties seraient invitées à formuler des observations orales au sujet de la requête en prorogation et je rendrais une nouvelle décision.
[32] Le 22 mai 2024, j’ai tenu la conférence de gestion préparatoire servant à réexaminer ma décision. M. McLearn était parmi les participants. Le résumé écrit de la conférence confirme que, selon les discussions qui ont eu lieu à l’occasion, le report d’une semaine des échéances fixées pour le dépôt de documents n’était plus nécessaire. La question était résolue et il n’était donc pas nécessaire de la trancher. J’ai expliqué cette issue lors de la conférence.
[33] J’applique le critère juridique de la crainte raisonnable de partialité aux évènements décrits ci-dessus. J’estime qu’une personne raisonnable et bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne conclurait pas que je ne suis pas en mesure de rendre une décision juste sur la deuxième plainte en raison de ma décision du 13 mai 2024 et des évènements subséquents. M. McLearn est d’avis que mon choix d’accorder la prorogation des délais fixés pour le dépôt de documents, sans d’abord lui avoir demandé ses observations, n’était pas équitable. Toutefois, les Règles du Tribunal permettent ce type d’approche. En outre, la requête portait sur une question administrative courante et mineure. Tenir une conférence de gestion préparatoire et ainsi entendre les parties était une approche équitable pour trancher la question. En fin de compte, la conférence a permis la résolution de la question sous-jacente.
E. Décision de reporter une échéance fixée pour le dépôt de documents par la partie intimée
[34] La deuxième décision à laquelle renvoie M. McLearn portait également sur une requête en prorogation de délai.
[35] Le 6 juin 2024, l’avocat de la partie intimée dans le cadre de la première plainte a écrit au Tribunal afin de demander huit semaines supplémentaires pour la remise de son exposé des précisions. Il expliquait les motifs de sa demande dans sa lettre.
[36] Le 7 juin 2024, le Tribunal a informé M. McLearn de la requête en prorogation de délai déposée par la partie intimée.
[37] Le 11 juin 2024, le Tribunal a tenu une conférence de gestion préparatoire et M. McLearn y a participé. Les parties ont présenté leurs observations sur la requête de la partie intimée.
[38] J’ai rendu ma décision le 14 juin 2024 après avoir considéré les commentaires des parties ainsi que leurs réponses à mes questions. J’ai estimé qu’il était équitable d’accorder une prorogation de six semaines et que cette prorogation satisfaisait à l’exigence de trancher la plainte de façon rapide. Dans ma décision, j’ai exposé les objections à la requête qu’avait formulées M. McLearn et j’ai expliqué pourquoi j’ai accueilli la requête en partie.
[39] Le 18 juin 2024, l’agent du greffe du Tribunal a fait la lecture de ma décision à M. McLearn.
[40] J’applique le critère juridique de la crainte raisonnable de partialité à la décision exposée dans les paragraphes précédents. J’estime qu’une personne raisonnable et bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne conclurait pas que je ne suis pas en mesure de rendre une décision juste sur la deuxième plainte en raison de ma décision de reporter l’échéance fixée pour le dépôt des documents de la partie adverse. M. McLearn avait connaissance de la requête déposée par la partie intimée. Il a formulé des observations et a répondu à mes questions sur la requête lors d’une conférence de gestion préparatoire. M. McLearn n’est pas d’accord avec la décision, mais elle a été rendue de manière équitable et rien dans le processus décisionnel du Tribunal ni dans la décision en soi ne suggère l’existence d’une partialité.
F. Les décisions antérieures défavorables à une partie ne démontrent pas de partialité
[41] Comme l’a statué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Collins, précité, le seul fait qu’un membre d’un tribunal ait pu rendre une ou plusieurs décisions défavorables à l’une des parties ne peut objectivement suffire à étayer l’existence d’une crainte de partialité ou d’une partialité apparente. Le raisonnement de la Cour s’applique à la présente requête en récusation.
G. Autres observations appuyant la requête en récusation
[42] M. McLearn renvoie à deux autres évènements pour appuyer sa requête en récusation.
(i) Plainte auprès de la présidente du Tribunal
[43] M. McLearn mentionne une rencontre qu’il a eue avec la présidente du Tribunal. Il avait demandé cette rencontre afin de se plaindre de ma décision, exposée plus haut dans la présente décision sur requête, de reporter d’une semaine l’échéance fixée pour le dépôt de documents. M. McLearn soutient que la rencontre n’a eu lieu qu’environ cinq semaines après qu’il en ait fait la demande.
[44] Selon le résumé de la conférence de gestion préparatoire du 22 mai 2024, M. McLearn avait sollicité des renseignements sur la procédure à suivre en vue de déposer une plainte contre moi. Je lui ai expliqué les options qui s’offraient à lui. Il pouvait demander à ce que je me récuse pour partialité ou il pouvait se plaindre auprès de la présidente du Tribunal. M. McLearn ne voulait pas présenter une requête en récusation. Il souhaitait se plaindre à la présidente en ce qui concerne mon pouvoir de trancher une question sans d’abord recueillir ses observations à ce sujet. Je l’ai avisé qu’une rencontre avec la présidente ne serait pas possible avant au moins la fin du mois de juin. M. McLearn l’a rencontrée le 3 juillet 2024. Seuls M. McLearn et la présidente connaissent l’issue de cette rencontre.
[45] L’évènement présenté ci-dessus ne renvoie pas à l’une de mes décisions ni à une quelconque intervention de ma part. Il n’est pas pertinent à l’égard de la présente requête en récusation.
[46] J’applique le critère juridique de la crainte raisonnable. J’estime qu’une personne raisonnable et bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne conclurait pas que je ne suis pas en mesure de rendre une décision juste sur la deuxième plainte parce que j’ai fourni à M. McLearn les renseignements qu’il avait demandés.
[47] Il importe également de mentionner qu’une partie qui souhaite formuler une objection fondée sur une potentielle partialité a l’obligation de la présenter en temps opportun, c’est-à-dire à la première occasion possible. Si elle omet de le faire, il pourrait être tenu pour acquis qu’elle a renoncé à son droit de contester ultérieurement la partialité du décideur (Rothesay, au par. 27). Dans la présente affaire, bien que M. McLearn ne soit pas représenté par un avocat, il est lié par les mêmes principes que les autres parties. Les allégations de partialité entraînent de sévères répercussions sur la réputation du Tribunal. Les parties ne peuvent pas garder en réserve ce type d’allégation au sujet de décisions antérieures dans le but de les contester plus tard. L’allégation de partialité doit être présentée à la première occasion possible. En outre, les questions qui ont déjà été tranchées lors de l’instruction d’une requête en récusation ne peuvent faire de nouveau l’objet d’allégations de partialité.
(ii) Requête en suspension de l’instruction de la première plainte
[48] À l’appui de sa requête en récusation, M. McLearn soulève de surcroît qu’il n’était pas d’accord avec la décision du Tribunal de refuser de suspendre l’instruction de la première plainte jusqu’à ce que d’autres plaintes qu’il avait déposées auprès de la Commission soient instruites. La Commission n’avait pas renvoyé ces plaintes au Tribunal pour instruction, mais M. McLearn espérait qu’elle le fasse.
[49] Cette question a été discutée lors des conférences de gestion préparatoires tenues les 22 mars, 22 mai et 14 juin 2024, dans le cadre de l’instruction de la première plainte.
[50] La présidente du Tribunal a tenu la conférence du 22 mars 2024 avec les parties. Selon le résumé de la conférence en question, M. McLearn avait dit à la présidente qu’il souhaitait que l’instruction de sa plainte se poursuive.
[51] D’après le résumé de la conférence du 22 mai 2024, M. McLearn souhaitait que la première plainte soit [traduction] « mise sur pause » pendant que la Commission procédait à l’enquête sur ses autres plaintes et qu’elle décidait si elle les renvoyait au Tribunal pour instruction. C’est seulement pour des raisons de santé que M. McLearn a consenti au début de l’instruction de la première plainte et il a mentionné au Tribunal qu’il était sous la contrainte lorsqu’il avait précédemment demandé à ce que l’instruction se poursuive. Je n’ai pris aucune décision à l’égard de cette demande.
[52] Selon le résumé de la conférence du 14 juin 2024, M. McLearn a exprimé son mécontentement relativement au fait que la première plainte allait être instruite avant les autres qu’il avait présentées à la Commission. Je lui ai expliqué que le Tribunal se penche seulement sur les plaintes qui lui sont renvoyées par la Commission pour instruction, que celle-ci a le pouvoir de décider quelles plaintes elle lui renvoie et qu’elle ne lui a renvoyé aucune des autres plaintes déposées par M. McLearn.
[53] À la conférence de gestion préparatoire du 14 juin 2024, M. McLearn a de nouveau demandé si l’instruction de la première plainte pouvait être mise sur pause. Je lui ai répondu que le Tribunal ne suspend généralement pas l’instruction d’une plainte. M. McLearn a alors confirmé qu’il consentait, pour des raisons de santé, à ce que l’instruction de la première plainte se poursuive.
[54] Aucune autre discussion sur la question n’a eu lieu.
[55] J’applique le critère juridique de la crainte raisonnable à cette question. J’estime qu’une personne raisonnable et bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne conclurait pas que je ne suis pas en mesure de rendre une décision juste sur la deuxième plainte en raison des évènements décrits plus haut. Si M. McLearn a perçu ma réponse lors de la conférence de gestion préparatoire comme étant une décision, le raisonnement adopté par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Collins, précité, est également applicable.
H. Conclusion : il n’existe aucune crainte raisonnable de partialité
[56] Comme je l’ai déjà indiqué, une requête en récusation doit être présentée en temps opportun et seulement lorsqu’il existe une réelle probabilité de partialité, véritable ou apparente, étayée par une preuve convaincante. En toute déférence, la probabilité de partialité n’est pas apparente dans la présente affaire.
[57] Le critère juridique applicable à la récusation repose sur l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. Les questions servant à établir son existence sont les suivantes :
A) Quelle conclusion tirerait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique?
La réponse est qu’une personne bien renseignée arriverait à la conclusion qu’aucun élément de preuve ne soutient l’allégation relative à ma partialité.
B) Est-ce qu’une personne bien renseignée croirait que, selon toute vraisemblance, le membre du tribunal, consciemment ou non, ne rendrait pas une décision juste?
La réponse à la question est négative.
V. ORDONNANCE
[58] Pour les motifs qui précèdent, j’estime qu’une personne bien renseignée n’arriverait pas à la conclusion que, selon toute vraisemblance, je ne rendrai pas une décision juste sur la deuxième plainte de M. McLearn, que ce soit consciemment ou non.
[59] La requête en récusation est rejetée. Je demeure le membre du Tribunal chargé du présent dossier.
Signée par
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéro du dossier du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Requête traitée par téléconférence.
Observations orales par :