Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Madame Annie Kebede (la « plaignante »), une femme noire d’origine africaine, a travaillé pour la Banque Toronto-Dominion (l’« intimée ») de 2005 à 2016.

La plaignante soutient avoir été victime de discrimination et de harcèlement fondés sur des motifs protégés par la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP). Elle affirme que la discrimination a pris différentes formes, notamment des commentaires racistes, de l’isolement, des évaluations de rendement injustes, des refus de possibilités de promotion et un manque de formation.

Après avoir examiné ces allégations, le Tribunal a reconnu que certains incidents préoccupants avaient effectivement eu lieu, mais a conclu que l’intimée y avait répondu rapidement et de manière appropriée. Le Tribunal n’a pas trouvé de preuves pour appuyer les allégations d’isolement sur le lieu de travail ou de discrimination dans les évaluations de rendement de la plaignante.

Il n’a pas non plus trouvé suffisamment de preuves pour étayer les allégations de discrimination concernant les possibilités de promotion, mais a noté que la plaignante n’avait pas postulé aux postes offerts, dont celui de gestionnaire d’équipe bilingue.

Concernant les problèmes de formation, le Tribunal a déterminé qu’ils concernaient tous les spécialistes, sans distinction discriminatoire, et qu’ils étaient attribuables aux périodes de pointe et aux périodes de transition entre systèmes.

De plus, la preuve n’a pas démontré que l’intimée avait omis de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la déficience de la plaignante.

Le Tribunal a donc estimé que, bien que la plaignante ait éprouvé un sentiment sincère de discrimination et ait été mécontente au travail, la preuve n’avait pas permis de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle avait effectivement été traitée différemment de ses collègues, qu’elle avait été harcelée ou qu’elle avait été victime de discrimination en raison de l’un des motifs protégés par la LCDP.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2025 TCDP 10

Date : Le 5 février 2025

Numéro du dossier : T2763/13921

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Annie Kebede

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Banque Toronto-Dominion

la partie intimée

Décision

Membre : Edward P. Lustig



I. APERÇU

[1] La plaignante, Mme Annie Kebede, est âgée de 65 ans et s’identifie comme une femme noire d’ascendance africaine. Elle a travaillé pour l’intimée, la Banque Toronto-Dominion (la « TD »), du 30 mai 2005 au 20 septembre 2016, date à laquelle elle a fait l’objet d’un congédiement sans motif. Mme Kebede soutient que, pendant sa période d’emploi, la TD a fait preuve à son égard de discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, l’âge et la déficience, en lui faisant subir un traitement défavorable, en ne lui fournissant pas d’environnement de travail exempt de harcèlement et en la congédiant, actes qui contreviennent aux articles 7 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP »).

[2] Les allégations faisant l’objet de la plainte que la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a renvoyée au Tribunal aux fins d’instruction portaient sur des événements survenus entre le 25 mars 2015 et le 20 septembre 2016 (la « période visée ») et qui, selon Mme Kebede, étaient discriminatoires et constituaient du harcèlement.

[3] L’intimée conteste les allégations formulées et affirme qu’elle n’a pas fait preuve de discrimination ni de harcèlement envers Mme Kebede, que la plainte n’est pas fondée, compte tenu de la preuve présentée, et qu’elle devrait être rejetée.

II. DÉCISION

[4] Il ne fait aucun doute que Mme Kebede était contrariée que la TD n’ait pas répondu d’une façon qu’elle jugeait satisfaisante à ses préoccupations et qu’elle estimait avoir subi de la discrimination pendant son emploi, mais la plainte n’a pas été étayée par les éléments de preuve qui m’ont été présentés et est donc rejetée.

III. QUESTION EN LITIGE

[5] Dans la présente affaire, la seule question en litige est de savoir si la TD a fait preuve de discrimination à l’égard de Mme Kebede durant la période visée.

IV. CONTEXTE

[6] Mme Kebede est née en 1959 à Djibouti, en Afrique, et y a grandi. Elle a affirmé qu’il s’agissait d’un pays pauvre et que, à titre de membre de la minorité catholique, elle avait été exposée à de la persécution et avait également été victime de mauvais traitements. Djibouti ayant autrefois été sous domination française, Mme Kebede parlait français ainsi que d’autres langues locales.

[7] Mme Kebede a quitté Djibouti pour venir au Canada en 1991 afin de commencer une nouvelle vie. Elle a deux enfants, qu’elle a élevés seule et qui ont tous deux témoigné pour elle à l’audience. Au Canada, elle a étudié l’anglais langue seconde et a obtenu un diplôme collégial.

[8] Mme Kebede a commencé à travailler pour la TD au service des fraudes en mai 2005, à titre d’agente de détection des fraudes, puis elle est devenue analyste principale en fraude en 2006. En 2008, elle s’est jointe à la division des services aux commerçants du centre d’appels de la TD situé à Markham, en Ontario, à titre de spécialiste bilingue des services aux commerçants, puis, en 2013, elle est devenue spécialiste bilingue principale des services aux commerçants.

[9] Le travail qu’exerçait Mme Kebede au centre d’appels consistait principalement à recevoir des appels provenant de commerçants de l’ensemble du Canada et à tenter de régler les problèmes qu’ils avaient quant aux appareils qu’ils utilisaient dans leurs points de vente afin d’exercer leurs activités commerciales. Au fil des ans, son rôle de spécialiste des services aux commerçants a continué de consister à répondre à des appels, mais il a évolué au fur et à mesure que de nouvelles responsabilités lui étaient confiées et que de nouvelles applications informatiques différentes, exigeant une formation supplémentaire, étaient utilisées au centre d’appels.

[10] Mme Kebede travaillait par quarts avec d’autres spécialistes des services aux commerçants au sein d’équipes chargées de répondre au téléphone. La majorité des spécialistes parlaient seulement anglais. Mme Kebede, à l’instar d’autres collègues francophones, avait été embauchée pour répondre aux appels en français et en anglais, et les appels en français leur étaient directement acheminés. Lorsqu’ils étaient disponibles, ils répondaient également à des appels en anglais. Les spécialistes bilingues touchaient une rémunération supplémentaire.

[11] Le centre d’appels où travaillait Mme Kebede à titre de spécialiste bilingue principale des services aux commerçants disposait de tables où s’installaient les spécialistes pour répondre aux appels des commerçants qui éprouvaient des problèmes. Les spécialistes avaient accès à des programmes informatiques pour les aider à effectuer leur travail. Leurs principaux objectifs étaient de tenter de résoudre par eux-mêmes les problèmes des commerçants, le plus rapidement et efficacement possible, pour satisfaire les clients, en évitant d’avoir à demander une assistance technique supplémentaire à d’autres employés pour régler les problèmes d’appareils ou de systèmes, afin de garder les appels les plus brefs possible.

[12] Les évaluations de rendement annuelles des spécialistes étaient fondées sur l’atteinte des objectifs et des paramètres établis pour chaque spécialiste et chaque équipe dans un guide publié chaque exercice. Les objectifs opérationnels se traduisaient par des objectifs individuels fixés pour chaque employé pour un exercice donné. Le rendement des spécialistes faisait l’objet d’un suivi en fonction de l’atteinte de ces objectifs et était consigné sur une fiche de rendement. L’une des grandes priorités opérationnelles du centre d’appels était la qualité de l’expérience des clients (c’est-à-dire les commerçants) durant les appels.

[13] Au cours de l’exercice 2015, la division des services aux commerçants a lancé l’indice d’expérience légendaire (« IEL »), un nouvel indicateur permettant d’évaluer l’expérience des clients. L’IEL était évalué par une tierce partie indépendante en fonction des évaluations des appels et de la rétroaction des clients. C’est la tierce partie indépendante qui assurait la surveillance et qui transmettait les résultats à la direction. Tous les spécialistes avaient les mêmes objectifs de rendement, lesquels figuraient dans leur évaluation de rendement. Il s’agissait des objectifs suivants : IEL (30 %), absence d’erreurs (25 %), productivité (20 %), création de billets MFOCUS (15 %) et respect du Code de conduite et d’éthique (le « Code ») (10 %).

[14] En novembre 2015, le centre d’appels a décidé d’éliminer le rôle d’agent des ressources, qui consistait à traiter les demandes et les plaintes des clients qui étaient acheminées au niveau supérieur et à accomplir des tâches plus complexes pour aider les spécialistes. Par suite de ce changement, tous les spécialistes ont dû suivre une formation supplémentaire et se sont vu fournir un nouvel accès aux systèmes pour pouvoir accomplir ces nouvelles tâches et responsabilités.

[15] Les spécialistes des services aux commerçants du centre d’appels travaillaient en équipe, chacune étant composée de huit spécialistes. Pendant la période visée, il y avait cinq équipes. Les membres de chaque équipe relevaient d’un gestionnaire d’équipe, qui supervisait les membres de son équipe et leur offrait du soutien, et qui relevait lui-même d’un gestionnaire de groupe. Les gestionnaires de groupe qui supervisaient et géraient les groupes formés de diverses équipes relevaient d’un vice-président associé chargé de superviser et de gérer toutes les équipes et tous les gestionnaires du centre d’appels. De plus, des services de technologies de l’information (« TI ») et de ressources humaines (« RH ») pouvaient offrir un soutien aux spécialistes des services aux commerçants.

[16] Pendant la période visée, Mme Kebede était l’une des dix spécialistes bilingues travaillant au centre d’appels. Karen Fink était la vice-présidente associée, Victoria Carter, la gestionnaire de groupe, et Marie-Josee Saudino, l’une des gestionnaires d’équipe qui supervisait Mme Kebede, l’appuyait et interagissait avec elle. Ces trois personnes faisaient partie des témoins à l’audience.

[17] Après son embauche, chaque spécialiste suivait une formation initiale pour pouvoir commencer à travailler, puis, à intervalles réguliers (c’est-à-dire chaque mois), il faisait l’objet d’une évaluation au travail. Chaque spécialiste continuait de suivre des séances de formation, tant de façon individuelle qu’en tant que membre du groupe des spécialistes.

[18] Pendant la période visée, la TD avait instauré diverses politiques visant à s’assurer que tous les employés pouvaient bénéficier d’un milieu de travail empreint de respect et exempt de harcèlement et de discrimination, notamment le Code, la Politique sur le respect en milieu de travail (la « Politique ») et la Norme sur le respect en milieu de travail.

[19] Les employés étaient tenus de suivre une formation annuelle obligatoire sur le Code, notamment sur la discrimination et le harcèlement, et d’effectuer et de réussir une évaluation, après quoi ils devaient signer une attestation annuelle pour confirmer qu’ils avaient lu et compris le Code et qu’ils s’engageaient à le respecter.

[20] Suivant le Code et la Politique, les employés devaient signaler tout manquement au Code, notamment les cas de discrimination et de harcèlement. Les employés qui ne se conformaient pas au Code risquaient de se voir imposer des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement.

[21] Pendant la période visée, il y avait également à la TD un processus de résolution des plaintes des employés qui prévoyait divers mécanismes pour acheminer les plaintes des employés aux niveaux supérieurs, notamment à leur gestionnaire du personnel, à leur supérieur immédiat, au partenaire intermédiaire de services-conseils en ressources humaines (« RH »), au cadre supérieur de l’équipe de direction ou au président et chef de la direction, ainsi qu’à l’ombudsman. Il existait aussi des programmes en ligne pour l’acheminement des plaintes, comme Ethicspoint ou Entre nous. Les employés pouvaient ainsi choisir le mécanisme par lequel ils souhaitaient présenter leur plainte et ils pouvaient en tout temps s’adresser aux RH.

[22] Les employés de la TD bénéficient d’une assurance de soins de santé fournie par Manuvie, qui est responsable du fonctionnement et de la gestion des programmes d’assurance, soit de la réception, de l’évaluation et du règlement des demandes de prestations. La TD dispose aussi d’une politique sur les mesures d’adaptation pour les employés souffrant d’une déficience. Manuvie est responsable du règlement des demandes de prestations d’invalidité de courte durée et de longue durée et des plans de mesures d’adaptation en raison de problèmes médicaux. La TD est quant à elle chargée de verser les prestations.

[23] L’adoption des divers codes, politiques, normes et processus mentionnés aux paragraphes 18 à 22 ne garantit toutefois pas que le milieu de travail sera exempt d’actes de discrimination et de harcèlement, que ces politiques ne seront pas enfreintes et que l’employeur répondra de façon appropriée et juste aux plaintes qui lui seront présentées. La participation des employés et de l’employeur est nécessaire pour prévenir la discrimination et le harcèlement en milieu de travail.

[24] En résumé, dans son témoignage à l’audience, Mme Kebede a affirmé que, malgré l’existence des diverses politiques susmentionnées, elle avait l’impression que ses nombreuses plaintes n’avaient pas été traitées de façon appropriée et juste dans la plupart des cas, ce qui l’avait finalement amenée à s’adresser à la haute direction de la TD pour obtenir de l’aide. Une enquête interne avait alors été lancée, au terme de laquelle ses plaintes avaient été rejetées. Mme Kebede soutient que l’enquête n’a pas été menée de façon appropriée ni juste. Immédiatement après avoir pris connaissance de l’issue de l’enquête, Mme Kebede a cessé de travailler, est partie en congé de maladie payé et a présenté une demande de prestations de maladie de courte durée auprès de Manuvie en mars 2016. Sa demande n’a pas été approuvée. Par la suite, elle n’est pas retournée travailler et a finalement été congédiée sans motif par la TD en septembre 2016, alors que, selon ses dires, elle souffrait d’une déficience pour laquelle la TD ne lui avait pas offert de mesures d’adaptation. La TD conteste les allégations de Mme Kebede. Comme il sera expliqué davantage plus loin, il y a des divergences d’opinions manifestes entre les parties concernant les événements survenus dans la présente affaire pendant la période visée.

[25] Mme Kebede a expliqué dans son témoignage que, lorsqu’elle travaillait à la division des fraudes au début de sa carrière à la TD, elle n’avait pas les problèmes qu’elle a commencé à éprouver lorsqu’elle s’est jointe à la division des services aux commerçants. Elle avait l’impression que, à la division des fraudes, toutes les préoccupations qu’elle pouvait avoir étaient réglées en temps opportun et de façon efficace et appropriée. Elle soutient avoir vécu, après son arrivée à la division des services aux commerçants, des événements assimilables à de la discrimination fondée sur ses caractéristiques protégées qui ont eu un effet préjudiciable sur elle. Par conséquent, elle a déposé à la TD des plaintes concernant ces événements, lesquelles n’ont pas, à son avis, fait l’objet d’un traitement, d’une enquête ou d’un règlement appropriés, efficaces ou justes par la TD. Par la suite, Mme Kebede a commencé à souffrir d’une déficience causée par un trouble de santé mentale qui, selon elle, n’a pas fait l’objet de mesures d’adaptation par la TD et qui l’a empêchée de retourner au travail, ce qui a donné lieu à son congédiement injustifié.

[26] À l’audience, Mme Kebede a témoigné au sujet de ses diverses préoccupations et plaintes concernant des événements survenus à la division des services aux commerçants avant la période visée par la présente affaire et qui, à son avis, n’avaient pas été traitées ou réglées de façon appropriée, efficace ou juste par la TD. Ces renseignements fournissent un certain contexte, mais ne permettent pas de trancher la question en litige dans la présente affaire, puisque les événements en question sont survenus en dehors de la période visée par la plainte qui a été renvoyée au Tribunal par la Commission pour instruction. C’est plutôt la preuve relative aux événements s’étant produits pendant la période visée et ayant fait l’objet de plaintes de la part de Mme Kebede qui est déterminante quant à la question de la responsabilité dans la présente affaire, comme il sera expliqué plus en détail ci-après. Les événements en question ont donné lieu aux allégations suivantes : des commentaires racistes auraient été formulés en milieu de travail; il y aurait eu une évaluation de rendement annuelle inappropriée en 2015; Mme Kebede se serait vu refuser des promotions; elle se serait vu refuser des séances d’encadrement et de formation; l’accès au système informatique lui aurait été refusé et elle aurait eu des problèmes de mots de passe; le droit de porter plainte aux RH lui aurait été refusé; il y aurait eu des atteintes à la sécurité et à la protection de la vie privée dans le système informatique; les plaintes formulées n’auraient pas fait l’objet d’une enquête et d’un traitement appropriés; aucune mesure d’adaptation n’aurait été prise à l’égard de sa déficience; et elle aurait fait l’objet d’un congédiement injustifié.

A. ALLÉGATION LIÉE À DES COMMENTAIRES RACISTES

[27] Dans son témoignage, Mme Kebede a expliqué que, le 25 mars 2015, une de ses collègues, MG, avait fait le commentaire suivant après un appel difficile avec un commerçant : [traduction] « maudit Africain ». Mme Kebede a affirmé que ce commentaire, formulé devant elle et d’autres collègues, lui aurait porté préjudice. Le commentaire ne lui était pas destiné, mais Mme Kebede a affirmé que MG l’avait formulé en la regardant. Mme Kebede a signalé cet incident à sa gestionnaire de groupe, Mme Carter, qui lui a fait savoir peu après qu’elle avait [traduction] « pris les mesures nécessaires ». Mme Carter a transmis le dossier à sa supérieure, Mme Fink, la vice-présidente associée, et en a également informé Mme Saudino, la gestionnaire d’équipe. Par courriel, Mme Kebede a remercié Mme Carter de s’être occupée de la situation, mais, dans son témoignage, elle a affirmé qu’elle n’avait jamais su exactement de quelle manière la TD avait géré la situation ni si elle avait imposé des mesures disciplinaires à MG. Mme Kebede a affirmé que, plus tard dans la journée au cours de laquelle le commentaire qui précède avait été formulé, MG recevait des félicitations en présence des membres de l’équipe pour un appel bien coté (c’est-à-dire un appel ayant donné lieu à une rétroaction positive) auquel elle avait répondu.

[28] Mme Carter a expliqué dans son témoignage qu’elle était certaine que des mesures disciplinaires avaient été prises contre MG, mais elle n’a pas été en mesure de fournir de document pour attester leur nature. Elle avait signalé l’incident à Mme Fink, qui a affirmé dans son témoignage qu’elle avait été informée que Mme Carter avait discuté de l’incident avec MG. Il n’y a eu aucune autre interaction négative entre MG et Mme Kebede.

[29] Mme Kebede soutient que, en juin 2014 (c’est-à-dire en dehors de la période visée par la plainte en l’espèce), SP, une de ses collègues, a adressé le commentaire suivant à un de leurs collègues au sujet de sa perte de poids : [traduction] « Tu ressembles tellement aux gens du Biafra ou de la Somalie qu’on voit à la télévision ». SP se serait alors retournée vers Mme Kebede et lui aurait dit : [traduction] « C’est vrai, n’est-ce pas, qu’on crève de faim dans ton pays? ». Mme Kebede a signalé cet incident à Mme Fink, qui a acheminé le dossier aux RH et qui a également sollicité l’intervention de Mme Carter. Cette dernière a donné une réprimande écrite à SP, ce qui l’a empêchée d’être admissible aux primes pour le trimestre en question. Mme Fink a également envoyé un message aux employés de la division des services aux commerçants pour leur rappeler la nécessité de faire preuve de respect en milieu de travail. Mme Kebede n’a pas reçu d’excuses de la part de SP, mais elle n’a présenté aucune autre plainte à son sujet.

[30] Mme Kebede a affirmé que, en juin 2015, alors qu’elle était en train de manger une banane entre deux appels, un de ses collègues, Khang Le, a dit [traduction] « Saviez-vous qu’il y a un singe parmi nous? » en présence de Mme Kebede et d’autres collègues. Mme Kebede affirme avoir signalé l’incident à sa gestionnaire d’équipe, Mme Saudino, mais ne sait pas de quelle façon la TD est intervenue ni si elle a imposé des mesures disciplinaires à M. Le. Aucune preuve corroborante n’a été présentée pour attester que ce commentaire avait été formulé, et des témoins qui étaient présents à ce moment-là ont affirmé qu’ils ne l’avaient pas entendu.

[31] M. Le a témoigné pour le compte de la TD et a dit qu’il n’avait aucun souvenir d’avoir fait un tel commentaire ni de l’avoir entendu de la part de quiconque. Mme Saudino a affirmé qu’elle n’avait pas eu connaissance de ce commentaire.

[32] Mme Kebede a expliqué que, à l’Halloween, en octobre 2015, quelqu’un avait fait un compliment à Mme Saudino au sujet d’un collier qu’elle portait. Selon Mme Kebede, M. Le a ensuite dit devant elle, Mme Saudino et d’autres personnes : [traduction] « Wow, tu as décidé de porter un nœud coulant en guise de collier aujourd’hui ». Pour Mme Kebede, le nœud coulant est un symbole du racisme envers les Noirs.

[33] M. Le a témoigné pour le compte de la TD et a dit qu’il n’avait aucun souvenir d’avoir fait un tel commentaire ni de l’avoir entendu de la part de quiconque. Mme Saudino a nié que cet incident ait eu lieu. Aucune preuve corroborante ne démontre que ce commentaire a été formulé; en revanche, il y a une preuve contraire concernant le déroulement de l’incident.

[34] Le 3 novembre 2015, Mme Kebede a été informée par son gestionnaire d’équipe de l’époque, M. Sagi Rathakrishnan, qu’elle ne pourrait pas assister à la réunion des employés qui devait avoir lieu ce jour-là en raison du nombre élevé d’appels de service auxquels elle devait être en mesure de répondre. Elle a affirmé que, lorsqu’elle avait posé des questions à ce sujet, son gestionnaire lui avait répondu ce qui suit : [traduction] « Tu es une femme forte. Tu t’occupes des appels qui doivent être transmis au niveau supérieur, et nous avons besoin de toi […] vous, avec l’ADN que vous avez, vous êtes très forts, c’est pourquoi j’ai annulé la réunion et je te confie ces appels ». Mme Kebede a affirmé que Mme Saudino, qui était là, avait dit : [traduction] « Vous avez de quoi être fiers de votre grande force; nous, nous sommes paresseux! Au XVIIe siècle, il n’y avait que des gens comme vous qui travaillaient dans les champs de coton et tout ça ». Mme Kebede a ajouté que Mme Carter, qui était aussi présente, avait dit : [traduction] « C’est juste un compliment ».

[35] Dans leur témoignage, M. Rathakrishnan et Mmes Saudino et Carter ont nié avoir entendu ou formulé les commentaires mentionnés au paragraphe 34. Mme Kebede a affirmé qu’elle n’avait signalé ces commentaires à personne. Elle a déclaré ce qui suit : [traduction] « Je n’ai pas besoin d’aller plus loin parce que je ne suis même pas autorisée à le faire. Je ne peux pas m’adresser aux employés des ressources humaines parce qu’ils ne me croiront pas ». Mme Kebede a exprimé son intention de participer à la réunion des employés. La TD a accepté de prolonger son quart de travail de 30 minutes pour lui permettre d’y assister, et elle a été rémunérée pour les heures supplémentaires effectuées.

B. ALLÉGATION RELATIVE À L’ISOLEMENT ET À L’HUMILIATION EN MILIEU DE TRAVAIL

[36] Mme Kebede a expliqué dans son témoignage que, lorsqu’elle effectuait ses quarts de travail, il lui arrivait souvent d’être seule à son poste de travail parce qu’il y avait des affiches sur les autres ordinateurs de sa table indiquant qu’ils étaient hors service, de sorte que personne d’autre ne pouvait s’asseoir à la même table qu’elle. Elle soutient que les affiches étaient rapidement enlevées à la fin de son quart de travail. Mme Kebede a aussi affirmé que, en mars 2013 (c’est-à-dire en dehors de la période visée par la présente affaire), elle avait été désignée personnellement par la direction de la TD comme étant [traduction] « non admissible » au programme incitatif pour les primes d’excellence en vigueur cette année-là dans un courriel envoyé à tous les employés de la division des services aux commerçants pour les informer des résultats obtenus dans le cadre du programme depuis le début de l’année. À la lecture du courriel, elle s’est sentie humiliée, s’est mise à pleurer et est retournée chez elle.

[37] Des témoins qui étaient des collègues de Mme Kebede à l’époque ont affirmé dans leur témoignage qu’ils ne se souvenaient pas qu’elle ait été isolée à son poste de travail de la façon décrite au paragraphe 36. Les témoins ont expliqué qu’il n’y avait pas de places attribuées et que les employés pouvaient s’asseoir où ils le souhaitaient. Mme Kebede disposait d’un poste de travail assigné où l’équipement ergonomique qu’elle avait demandé avait été installé, tout près du bureau de Mme Fink, qu’elle pouvait facilement aller voir, ce qu’elle faisait souvent.

[38] Mme Fink a présenté ses excuses à Mme Kebede et a convenu que le courriel concernant son inadmissibilité au programme de primes d’excellence n’aurait pas dû être envoyé. Mme Fink a affirmé que, le lendemain de l’envoi du courriel sur le programme dont il est question au paragraphe 36, elle avait envoyé un courriel à tous pour leur expliquer que le courriel au sujet de l’inadmissibilité de Mme Kebede au programme était inexact et qu’il avait été envoyé par erreur.

[39] Mme Kebede a également déploré que, le 17 mai 2013 (c’est-à-dire en dehors de la période visée par la plainte en l’espèce), M. Rathakrishnan ait dit devant tous ses collègues qu’elle était responsable d’un appel mal coté (une plainte formulée par un commerçant au sujet du service obtenu lors d’un appel) qui avait eu une incidence négative sur le rendement de son équipe. Elle a soutenu qu’elle avait demandé une preuve, mais qu’elle n’avait obtenu aucun renseignement lui permettant de confirmer qu’elle était bel et bien responsable de l’appel mal coté, et qu’elle n’avait pas non plus reçu de formation au sujet de l’incident en question.

[40] M. Rathakrishnan a affirmé dans son témoignage qu’il n’avait pas publiquement dévoilé que Mme Kebede était responsable d’un appel mal coté, car ce n’était pas la façon dont il procédait lorsque le groupe chargé de la surveillance de la qualité des appels déterminait le spécialiste qui était à l’origine d’un appel mal coté. Il a affirmé qu’il n’aurait jamais publiquement identifié Mme Kebede comme la spécialiste responsable de l’appel mal coté et qu’il n’avait pas agi ainsi dans la présente affaire.

C. ALLÉGATION RELATIVE À L’ÉVALUATION DE RENDEMENT ANNUELLE INAPPROPRIÉE DE 2015

[41] Tous les employés de la TD faisaient l’objet d’évaluations de rendement annuelles chaque exercice (ainsi que d’évaluations de mi-exercice). Les résultats des évaluations de rendement avaient une incidence sur la rémunération des employés et leurs possibilités d’avancement professionnel. Les évaluations de rendement étaient fondées sur un guide où étaient définies les différentes cotes de rendement et leur application. À la fin de l’exercice 2014, Mme Kebede avait reçu la cote [traduction] « excellente qualité », qui était la cote arrivant au deuxième rang après [traduction] « qualité exceptionnelle », la cote la plus élevée. Habituellement, la plupart des employés ne reçoivent aucune de ces deux cotes. La majorité se voit attribuer la cote [traduction] « bonne qualité », qui constitue un résultat adéquat, sans toutefois être exceptionnel. La cote exceptionnelle était réservée aux rares cas remarquables, tandis que la cote excellente était attribuée aux employés dont le rendement dépassait les objectifs la majorité du temps. Les cotes étaient fondées sur l’évaluation et le guide.

[42] À son examen de mi-exercice de 2015, Mme Kebede a été informée par Mme Saudino qu’elle était sur la bonne voie pour obtenir la cote « excellente qualité ». Elle a eu un choc et elle a été vexée lorsqu’elle a constaté qu’elle avait plutôt obtenu la cote « bonne qualité » à son évaluation de rendement de 2015. Mme Kebede estimait qu’elle avait dépassé les attentes quant aux objectifs fixés pour son poste et qu’elle avait été reconnue pour son travail remarquable. Elle s’est plainte à sa gestionnaire d’équipe et à sa gestionnaire de groupe, en vain, puis elle a porté plainte au niveau supérieur, soit à la direction de la TD. Finalement, Mme Fink a décidé de changer la cote que Mme Kebede avait reçue et de lui attribuer la cote « excellente qualité », puis elle lui a présenté ses excuses. Bien que son taux de rémunération ait été ajusté rétroactivement en fonction de la cote « excellente qualité », Mme Kebede était toujours contrariée d’avoir eu à faire des démarches auprès de trois niveaux de direction pour que le changement soit fait. Elle n’était pas non plus convaincue que ses préoccupations au sujet du processus et les erreurs qu’elle avait relevées dans son évaluation de rendement avaient été reconnues.

[43] Mmes Fink, Carter et Saudino ont toutes affirmé dans leur témoignage que, selon sa fiche de rendement, qui était fondée sur des données objectives exposées dans le guide d’évaluation de rendement, Mme Kebede méritait la cote « bonne qualité », soit la cote qu’elle avait obtenue au départ. Les trois témoins ont affirmé que Mme Kebede avait atteint ses objectifs de rendement au moins 90 p. 100 du temps, mais elles ont toutes trois convenu que Mme Kebede n’avait pas dépassé ses objectifs au moins 50 p. 100 du temps, ce qui constituait un critère pour obtenir une cote « excellente qualité ».

[44] Mme Saudino a admis qu’elle avait indiqué que Mme Kebede était sur la bonne voie pour obtenir une cote « excellente qualité » à l’examen de mi-exercice, mais elle n’était pas d’accord pour dire que Mme Kebede avait dépassé quatre de ses cinq objectifs de rendement, ce que soutient Mme Kebede. Mme Saudino avait également fait remarquer à l’examen de mi-exercice que Mme Kebede devait se concentrer sur la qualité de ses appels et sur l’IEL pour pouvoir conserver la cote « excellente qualité ». Mme Fink a affirmé qu’elle avait décidé de modifier la cote de Mme Kebede pour lui attribuer la cote « excellente qualité » non pas parce que son rendement le justifiait, comme en faisait foi sa fiche de rendement, mais bien parce que les commentaires de Mme Saudino à l’examen de mi-exercice l’avaient faussement amenée à croire qu’elle obtiendrait cette cote. Mme Fink a déclaré qu’elle était d’avis que Mme Kebede aurait dû se voir attribuer la cote « bonne qualité » tant à l’examen de mi-exercice qu’à l’évaluation annuelle, selon son rendement et sa fiche de rendement. Mmes Carter et Saudino partageaient son avis.

D. ALLÉGATION CONCERNANT LE REFUS DE PROMOTIONS

[45] Mme Kebede a soutenu que d’autres collègues avaient été promus pendant la période où elle travaillait à la division des services aux commerçants, alors qu’elle-même n’avait obtenu aucune promotion, à l’exception de sa nomination au poste de spécialiste bilingue principale en 2013. Elle a expliqué qu’elle n’avait pas présenté sa candidature pour le poste de gestionnaire d’équipe bilingue qui était devenu vacant à l’automne ou au début de l’hiver 2015 parce qu’il n’avait pas été affiché et que ce poste avait été pourvu par un candidat embauché à l’extérieur de la TD. Mme Kebede a aussi laissé entendre que le temps nécessaire pour faire modifier sa cote « bonne qualité » en cote « excellente qualité » l’avait également empêchée d’avoir accès à ce poste, puisqu’il n’était plus vacant lorsque le changement avait été fait. Mme Kebede n’a fourni aucun détail sur d’autres possibilités d’emploi ou d’autres occasions où elle aurait présenté sa candidature à la TD.

[46] Mmes Fink et Carter ont déclaré dans leur témoignage que Mme Kebede ne les avait jamais informées de son intérêt pour le poste de gestionnaire d’équipe bilingue et qu’une cote « excellente qualité » n’aurait pas constitué une exigence pour le poste. Aucune preuve indiquant que le poste n’avait pas été affiché avant qu’un candidat externe y soit nommé n’a été présentée.

E. ALLÉGATION CONCERNANT LE REFUS DE PARTICIPATION AUX SÉANCES D’ENCADREMENT ET DE FORMATION

[47] Dans son témoignage, Mme Kebede a soutenu que, tout au long de son emploi à la division des services aux commerçants, les séances de formation ou d’encadrement auxquelles elle devait participer étaient souvent annulées ou reportées, ou alors étaient nettement insuffisantes, et que l’accès à des possibilités de formation officielle et non officielle lui était refusé, ce qui avait nui à sa progression de carrière.

[48] Mme Saudino a affirmé dans son témoignage que Mme Kebede s’était vu offrir toutes les séances mensuelles d’encadrement personnalisé en 2015, à l’exception de deux séances auxquelles elle avait refusé de participer en janvier 2015 (c’est-à-dire en dehors de la période visée par la présente affaire). Mme Saudino a expliqué que les séances d’encadrement qui avaient dû être annulées en raison d’un conflit d’horaire entre elle et Mme Kebede, de vacances ou de quarts de travail, ou encore en raison d’une forte demande imprévue, avaient été reprises.

[49] Des séances de formation officielle prévues à l’horaire ainsi que des séances de formation ponctuelles en petits groupes, qui portaient notamment sur les nouveaux programmes informatiques, applications et outils technologiques, étaient également offertes aux spécialistes. Les témoins de la TD ont expliqué que la formation était offerte de la même manière à tous les spécialistes, tant les séances ponctuelles en petits groupes que les séances de formation officielles prévues à l’horaire. Selon les témoins de la TD, Mme Kebede était traitée comme tous les autres à cet égard.

[50] Selon le témoignage des témoins de la TD, lorsqu’il y avait une période de pointe dans le volume d’appels, la formation de tous les employés chargés de répondre au téléphone était souvent annulée afin d’éviter un temps d’attente inacceptable pour les commerçants, qui devaient voir leurs problèmes réglés de façon satisfaisante à l’intérieur d’un délai raisonnable. Ainsi, la formation de Mme Kebede a été annulée au même titre que celle de ses collègues, mais, chaque fois que c’était le cas, la formation était offerte de nouveau à tous les employés touchés. Les spécialistes francophones utilisaient un système téléphonique différent de celui des spécialistes unilingues anglophones. Par conséquent, il arrivait plus souvent qu’il y ait une période de pointe sur les lignes téléphoniques des spécialistes francophones parce que ceux-ci étaient moins nombreux et, en 2015, le volume des appels était globalement plus élevé que d’habitude.

[51] Irvin Tingley, qui était à l’époque technicien en TI à la division des services aux commerçants de la TD, a expliqué dans son témoignage qu’il assurait la formation et le perfectionnement de tous les spécialistes et qu’il leur fournissait du soutien, de façon égale et régulière. Cette formation était offerte à la fois en petits groupes et au cours de séances officielles, et également au besoin, lorsque des spécialistes devaient apprendre à utiliser de nouveaux systèmes, outils technologiques et applications ou s’y adapter, ou lorsqu’il y avait des problèmes immédiats à régler. M. Tingley a affirmé avoir offert des séances de formation et de perfectionnement à Mme Kebede après 2014. Ce n’était pas M. Tingley ni la gestionnaire d’équipe qui préparait l’horaire de formation, puisque la formation était offerte en fonction des niveaux de service.

[52] La TD a reconnu que, à la suite de l’élimination à l’automne 2015 du rôle d’agent des ressources dont il a été question au paragraphe 14, il a fallu offrir beaucoup de nouvelles séances de formation aux spécialistes pour leur permettre d’assumer leurs nouvelles responsabilités, plus complexes. Mme Carter a expliqué qu’il avait fallu du temps pour tout mettre en place et que, durant la période de transition, plusieurs spécialistes, et non seulement Mme Kebede, n’avaient pas encore reçu la formation sur les nouvelles responsabilités accrues. En novembre 2015, les spécialistes s’étaient plaints aux RH du manque de formation et d’outils de soutien, ce qui, selon ce qu’a reconnu la TD, était vrai pour l’ensemble du groupe.

F. ALLÉGATION CONCERNANT L’ACCÈS REFUSÉ AU SYSTÈME INFORMATIQUE ET LES PROBLÈMES DE MOT DE PASSE

[53] Mme Kebede a soutenu que, en 2015 et en 2016, elle avait constamment eu des problèmes d’accès au système informatique et devait sans cesse réinitialiser son mot de passe, ce qui l’empêchait d’accéder au système en ligne et de pouvoir accomplir son travail correctement. La tour de son ordinateur a dû être remplacée deux fois et, malgré ses demandes pour obtenir de l’aide, la situation n’a pas été réglée pendant des mois.

[54] Mme Carter a affirmé dans son témoignage que plusieurs spécialistes, et non seulement Mme Kebede, avaient eu des problèmes d’accès pendant la période de transition évoquée aux paragraphes 14 et 52, au cours de laquelle ils devaient recevoir une formation sur les nouveaux systèmes et applications en raison de l’élimination du rôle d’agent des ressources et de l’attribution de responsabilités supplémentaires aux spécialistes. À l’instar de 20 autres spécialistes, Mme Kebede n’avait pas reçu l’accès au portail des cartes-cadeaux pour les commerçants de la TD au début de 2016. Toutefois, le 16 janvier 2016, Mme Kebede avait confirmé à M. Tingley qu’elle était désormais en mesure d’y accéder.

[55] En ce qui a trait à la réinitialisation des mots de passe, M. Le a expliqué que les spécialistes utilisaient plusieurs systèmes et que chacun des systèmes nécessitait un mot de passe distinct. Il arrivait parfois que des spécialistes comme Mme Kebede oublient leur mot de passe et qu’il faille ensuite le réinitialiser. Il arrivait aussi que des mots de passe soient conçus de façon à expirer après un certain temps d’inactivité et doivent alors être réinitialisés. Mme Carter a précisé qu’il y avait des mécanismes en place pour éviter que les spécialistes soient pénalisés sur leur fiche de rendement pour les périodes où ils n’avaient pas accès au système.

G. ALLÉGATION CONCERNANT LE DÉNI DU DROIT DE PORTER PLAINTE AUX RESSOURCES HUMAINES

[56] Mme Kebede a expliqué dans son témoignage qu’elle ne pouvait pas discuter de ses préoccupations avec les employés des RH ni s’adresser directement à eux pour porter plainte sans avoir obtenu la permission de le faire, malgré le processus de résolution des plaintes des employés mentionné au paragraphe 21. Par conséquent, Mme Kebede est d’avis que ses préoccupations n’ont pas été traitées de manière appropriée. Elle a relaté une situation au cours de laquelle elle avait reçu par écrit la permission de Mme Fink pour discuter avec M. Zareyan, des RH, d’un problème qu’elle avait eu le 10 juin 2014 (en dehors de la période visée par la présente affaire).

[57] La TD a produit un courriel envoyé par Mme Kebede directement à M. Zareyan le 6 juin 2014, dans lequel elle sollicite une rencontre avec lui. Mme Fink a expliqué qu’elle avait dit à Mme Kebede le 10 juin 2014 de poursuivre ses rencontres avec M. Zareyan, car elle avait constaté que Mme Kebede s’était d’abord adressée à lui avant de discuter avec elle.

[58] Tous les gestionnaires de Mme Kebede, notamment Mmes Fink et Carter et M. Rathakrishnan, ont déclaré qu’ils faisaient souvent appel aux RH lorsque Mme Kebede présentait des plaintes, sauf lorsqu’il s’agissait de plaintes qu’ils pouvaient facilement régler eux-mêmes. Betty Vettese, gestionnaire des relations à la division des RH, a déclaré que les employés pouvaient venir la consulter directement à son bureau des RH de Markham pour lui faire part de leurs préoccupations, sans avoir à obtenir de permission.

H. ALLÉGATION D’ATTEINTES À LA SÉCURITÉ ET À LA CONFIDENTIALITÉ DANS LES SYSTÈMES

[59] Mme Kebede a soutenu que quelqu’un s’était connecté à son système informatique alors qu’elle avait déjà ouvert une session. Elle a également affirmé que les gestionnaires d’équipe de la TD qui étaient en mesure d’écouter ses appels en temps réel risquaient de porter atteinte à la sécurité et à la confidentialité, puisque, comme les autres spécialistes, elle discutait de mots de passe temporaires et de changement de mots de passe dans des plateformes informatiques précises lorsqu’elle était au téléphone avec les membres des services de TI. Elle a aussi soutenu que, le 19 décembre 2015, alors qu’elle utilisait l’ordinateur à son poste de travail, elle a eu l’impression que le curseur de la souris se déplaçait tout seul, comme lorsqu’un employé des TI se connecte à distance à son ordinateur pour faire du dépannage. Elle estimait qu’il s’agissait peut-être d’un autre problème lié aux systèmes qui, à son avis, devait faire l’objet d’une enquête, étant donné la nature délicate et confidentielle des renseignements bancaires auxquels elle avait accès et l’importance qu’elle accordait à la confidentialité des renseignements.

[60] Les témoins de la TD ont affirmé qu’il n’y avait eu aucune atteinte à la confidentialité ou à la sécurité, contrairement à ce qu’avait affirmé Mme Kebede, et qu’il était impossible que quelqu’un se soit connecté au système de Mme Kebede et ait déplacé le curseur alors qu’elle avait déjà ouvert une session.

I. ALLÉGATION CONCERNANT LE DÉFAUT DE TRAITER LES PLAINTES ET DE FAIRE ENQUÊTE DE FAÇON APPROPRIÉE

[61] Comme il a été mentionné ci-dessus, Mme Kebede a formulé des plaintes sur divers sujets pendant qu’elle travaillait à la division des services aux commerçants de la TD, tant avant et pendant la période visée par la présente affaire. De manière générale, elle a affirmé dans son témoignage que ses plaintes n’étaient pas traitées de façon appropriée, qu’elle ne pouvait pas directement s’adresser aux employés des RH pour qu’ils interviennent dans le dossier, que le suivi était insuffisant et qu’elle n’était pas informée des mesures que la TD prenait, le cas échéant, et des raisons pour lesquelles elle les prenait. Mme Kebede estime que l’objet des plaintes qu’elle a présentées et la manière dont celles-ci ont été traitées par la TD illustrent la discrimination qu’elle a subie dans la présente affaire, puisque ces plaintes avaient trait à ses caractéristiques protégées par la LCDP.

[62] Mme Fink a expliqué dans son témoignage qu’elle rencontrait régulièrement Mme Kebede pour discuter de ses plaintes, soit plus souvent que d’autres employés qui, eux, formulaient moins de plaintes que Mme Kebede. Elle a affirmé que, bien que Mme Kebede ait présenté plus de plaintes que d’autres employés, elle a toujours pris ses plaintes au sérieux. Plusieurs autres témoins, dont Mmes Saudino et Carter et M. Rathakrishnan, ont confirmé que Mme Kebede exprimait très ouvertement ses préoccupations et qu’ils examinaient et traitaient ses plaintes de façon juste et appropriée. Ils ont affirmé qu’il arrivait parfois que Mme Kebede leur témoigne de la reconnaissance pour les efforts qu’ils avaient déployés afin de répondre à ses préoccupations. Ils semblaient réellement apprécier Mme Kebede, tout comme les collègues de cette dernière qui ont témoigné. Ils n’avaient pas l’impression que ses préoccupations n’avaient pas été prises en considération ni qu’elle avait fait l’objet de discrimination fondée sur l’une ou l’autre de ses caractéristiques protégées. Ils ne croyaient pas non plus qu’elle avait été harcelée ni qu’elle avait été défavorisée par les mesures prises par la TD.

[63] Comme il a été expliqué ci-dessus, les témoins de la TD estiment que les plaintes de Mme Kebede ont toujours été prises au sérieux, qu’un suivi adéquat était fait et qu’elles étaient traitées et réglées de façon appropriée. La preuve qu’ils ont présentée va également en ce sens. Les témoins de la TD ont affirmé que, dans certains cas, la situation qui faisait l’objet d’une plainte n’avait pas eu lieu en réalité, comme sa plainte au sujet du curseur de son ordinateur qui se déplaçait sans qu’elle y touche.

[64] Julie Toms, une spécialiste des RH expérimentée travaillant pour la TD, a mené une enquête interne (l’« enquête ») sur les plaintes qui, selon Mme Kebede, n’avaient pas été traitées vers la fin de sa période d’emploi. Mme Toms a affirmé dans son témoignage que, dans ses interactions avec elle pendant l’enquête menée en janvier et en février 2016, Mme Kebede affichait un [traduction] « comportement imprévisible » et semblait être [traduction] « paranoïaque » et [traduction] « désorganisée ».

[65] L’enquête avait été lancée après l’envoi par Mme Kebede d’un courriel à Bahrat Masrani, le chef de la direction de la TD, ainsi qu’à d’autres membres de la direction de la banque en décembre 2015. Ce courriel avait pour objet [traduction] « Ultime appel à l’aide » et faisait suite à un autre courriel de Mme Kebede envoyé le 30 novembre 2015. Dans ses courriels du 30 novembre et du 21 décembre, Mme Kebede formulait plusieurs plaintes qui, à son avis, n’avaient pas été prises en considération et devaient faire l’objet d’un examen, notamment les plaintes décrites aux paragraphes 41 à 44, 59 et 60. Elle soutenait que ses plaintes en suspens témoignaient de problèmes sous-jacents qui étaient omniprésents dans le milieu de travail depuis plusieurs années et du refus constant de la TD de tenir compte des préoccupations de ses employés. Elle exprimait sa frustration à l’égard du manque de transparence et de l’inaction de la TD en réponse aux préoccupations soulevées et concluait son courriel en demandant à travailler dans un environnement exempt de harcèlement. Aucun autre élément de preuve n’a été présenté à l’audience par d’autres employés pour confirmer les préoccupations qu’avait Mme Kebede au sujet du milieu de travail à l’époque.

[66] Mme Toms a mené une enquête, dont les résultats ont été consignés dans un rapport d’enquête, au sujet des allégations suivantes formulées par Mme Kebede :

1) Est-ce que les gestionnaires d’équipe modifient et falsifient les résultats figurant sur les fiches de rendement?

2) Est-ce que quelqu’un a accédé à l’ordinateur de Mme Kebede sans son autorisation?

3) Est-ce qu’on a volontairement empêché Mme Kebede d’accéder aux systèmes requis afin de nuire à ses résultats?

4) Est-ce que les gestionnaires d’équipe ont accordé un traitement préférentiel à certains agents et les ont favorisés par rapport à d’autres?

5) Les agents se voient-ils refuser les outils et la formation dont ils ont besoin pour accomplir efficacement leur travail?

6) Est-ce que des membres de l’équipe de Mme Kebede ont vu les renseignements personnels d’un ancien gestionnaire d’équipe?

7) Mme Kebede a-t-elle fait l’objet de mauvais traitements et de harcèlement par la TD?

[67] L’enquête de Mme Tom s’est déroulée du mois de janvier à la fin de février 2016 et a donné lieu à une longue entrevue avec Mme Kebede le 12 janvier 2016 ainsi qu’à des consultations avec d’autres employés, notamment des gestionnaires.

[68] Le 3 mars 2016, Mme Toms a communiqué ses conclusions à Mme Kebede au sujet des sept allégations dont il a été question au paragraphe 66. Elle a conclu que toutes les allégations étaient non fondées, sauf la cinquième. Concernant la cinquième allégation, Mme Toms a conclu qu’il serait avantageux de fournir à toute l’équipe une formation et un soutien supplémentaires et qu’il y avait des mesures permanentes en place pour faire en sorte que les agents disposent des outils et aient accès à la formation dont ils ont besoin pour accomplir leur travail. Concernant la septième allégation, Mme Toms a conclu que Mme Kebede n’avait pas été en mesure de donner un exemple précis de mauvais traitements. Quant à la mention du harcèlement dans son courriel, il a été précisé que Mme Kebede avait formulé une plainte par le passé au sujet d’autres agents, mais que ces préoccupations avaient été prises en considération par les RH et réglées.

[69] Le rapport en tant que tel se présentait sous la forme d’un résumé et ne précisait pas de motifs ni n’expliquait la façon dont l’enquête avait été menée ou les raisons pour lesquelles les conclusions avaient été tirées. Le rapport ne fournissait pas non plus de renseignements à Mme Kebede au sujet d’un processus permettant de faire appel des conclusions. Toutefois, Mme Toms avait rencontré Mme Kebede en présence de sa secrétaire des RH, Caroline Tawell, pour passer en revue avec elle les conclusions.

[70] Mme Toms a expliqué dans son témoignage qu’elle était très expérimentée dans le domaine, puisqu’elle avait mené des centaines d’enquêtes au cours de sa carrière. Elle a aussi expliqué qu’elle travaillait pour la TD, mais que ses enquêtes étaient entièrement neutres et qu’elle n’avait aucun intérêt direct quant à l’issue des enquêtes. Elle a affirmé qu’elle avait tenu compte de tous les commentaires de Mme Kebede et qu’elle avait examiné tous les documents que celle-ci avait présentés pour formuler ses conclusions. Lors de son enquête, elle avait également discuté avec d’autres employés, dont certains membres de la direction et des RH.

[71] Selon Mme Toms, Mme Kebede n’avait soulevé dans le cadre de l’enquête aucune allégation de discrimination ou de harcèlement reposant sur des motifs protégés par la LCDP, contrairement à ce qu’avait affirmé Mme Kebede. Le témoignage de Mme Toms au sujet de sa rencontre avec Mme Kebede a été corroboré par Mme Tawell. Lorsque Mme Toms a présenté les conclusions de l’enquête à Mme Kebede, cette dernière est devenue très émotive et contrariée, selon Mmes Toms et Tawell.

J. ALLÉGATION CONCERNANT LE DÉFAUT DE PRENDRE DES MESURES D’ADAPTATION RELATIVEMENT À UNE DÉFICIENCE

[72] Après avoir pris connaissance des conclusions du rapport, Mme Kebede a quitté le travail le 3 mars 2016 et n’y est jamais retournée. Elle se sentait déprimée et stressée. Elle a demandé un congé de maladie et a fourni à Mme Carter un certificat médical de son infirmier praticien, Jason Posnansky, pour justifier son absence de deux semaines, soit du 9 au 23 mars 2016. Elle a ensuite présenté à Manuvie une demande de prestations d’invalidité de courte durée, qui a été rejetée. Manuvie n’a pas conclu qu’elle ne pouvait pas retourner au travail. Mme Kebede n’a pas interjeté appel du rejet de sa demande de prestations.

[73] De la fin du mois de mars 2016 à la mi-août 2016, Mme Kebede n’était pas physiquement au travail, mais elle avait toujours le statut d’employée active dans les systèmes de la TD. Elle a touché son salaire habituel du 3 mars au 5 juin 2016, même si, dans les faits, elle ne travaillait pas à la TD. Par la suite, étant donné son statut dans les systèmes, Mme Kebede a continué de recevoir certains éléments de sa rémunération, sans toutefois toucher son salaire habituel, jusqu’à son congédiement en septembre 2016.

[74] Avant le 3 mars 2016, Mme Kebede n’avait pas soulevé la question de sa santé mentale auprès de la TD, selon la preuve présentée. Cela dit, comme il a été mentionné, Mmes Toms et Tawell ont affirmé dans leur témoignage que, dans le cadre de l’enquête, elles avaient constaté que Mme Kebede était émotive et très contrariée, et Mme Toms avait suggéré à Mme Kebede de s’adresser au programme d’aide aux employés.

[75] Des témoins ont décrit Mme Kebede comme imprévisible et paranoïaque. Aucun de ces témoins n’était un expert du domaine médical, et leur témoignage concernait des observations faites dans un contexte où Mme Kebede avait formulé des plaintes qui ne leur semblaient pas réalistes, comme lorsqu’elle avait allégué que quelqu’un avait déplacé le curseur de son ordinateur à distance sans son consentement. De plus, Mme Kebede avait affiché un taux élevé d’absentéisme au travail avant que les conclusions de l’enquête lui soient communiquées, mais il n’y avait aucune preuve d’ordre médical attestant qu’elle souffrait d’une déficience l’empêchant de travailler régulièrement à cette époque-là. Elle n’avait pas divulgué le motif de ses absences à la TD.

[76] Mmes Fink et Carter avaient communiqué avec Mme Kebede à quelques reprises pour prendre de ses nouvelles. Lorsque Mme Kebede est partie en congé de maladie le 9 mars 2016, la TD lui a fourni les renseignements nécessaires pour qu’elle puisse présenter une demande de prestations de courte durée. Cette demande a été évaluée par Manuvie, qui a conclu qu’elle souffrait d’un problème de santé. Toutefois, Manuvie a déterminé que ce problème ne nuisait pas à sa capacité de travailler. La TD a déployé des efforts pour faire en sorte que Mme Kebede puisse retourner au travail, en organisant une rencontre dirigée en milieu de travail en présence de Manuvie, de Mmes Kebede et Carter et des responsables des RH.

[77] Pendant l’audience, Mme Kebede a convenu qu’elle ne donnerait pas suite à certaines allégations qu’elle avait soulevées dans son exposé des précisions, car elle ne voulait pas renoncer au privilège relatif au règlement découlant des discussions entre la TD et l’avocat de Mme Kebede tenues entre le 30 mars et le mois d’août 2016. Plus précisément, Mme Kebede a convenu qu’elle n’invoquerait pas l’allégation relative à l’annulation de ses prestations d’invalidité de courte durée ni l’allégation portant sur l’annulation de la rencontre dirigée en milieu de travail. La preuve présentée devait plutôt se limiter à son statut d’emploi à la TD et à la question de savoir si elle avait été rémunérée ou non de mars à août 2016.

[78] Le fils de Mme Kebede, David Habte, a présenté un témoignage au cours duquel il a affirmé que, avant 2015, sa mère était extravertie et active au sein de la collectivité, mais qu’il avait constaté un changement graduel dans son comportement en 2015 et en 2016. Certains jours, après sa journée de travail, elle restait seule dans sa chambre, sans avoir de contacts sociaux. La fille de Mme Kebede, Gabriella Kebede, a fourni un témoignage semblable au sujet de la détérioration de l’état de sa mère, qui était passée d’une personne active, pétillante, drôle et dynamique qui avait des amis et une vie sociale et qui était très engagée dans sa collectivité à une personne renfermée qui s’isolait dans sa chambre vers la fin de sa période d’emploi à la TD. Ces deux témoins n’avaient pas de compétences médicales et ne pouvaient pas témoigner au sujet de ce qui contrariait leur mère à son travail. Ils n’étaient pas non plus en mesure de fournir de preuve au sujet de son état de santé ni de la nature de ses discussions avec M. Posnansky, son infirmier praticien.

[79] M. Posnansky a expliqué qu’il avait pris des notes au moment des examens effectués pendant les rendez-vous de Mme Kebede, auxquelles il a fait référence pendant son témoignage à l’audience. M. Posnansky a été ajouté à la liste des témoins après le début de l’audience, car le Tribunal souhaitait recueillir son témoignage en personne au sujet des notes et des dossiers qu’il avait produits à l’audience. Il semblait y avoir une différence inexpliquée d’environ 14 pages entre les dossiers médicaux envoyés à l’avocat de Mme Kebede (736 pages) et les dossiers de M. Posnansky (750 pages).

[80] M. Posnansky a déclaré dans son témoignage que c’était le 9 mars 2016 que Mme Kebede lui avait mentionné pour la première fois qu’elle souffrait d’anxiété et de dépression, et qu’il lui avait alors fourni un certificat médical pour qu’elle puisse prendre congé. Il se rappelait qu’elle était contrariée en raison des difficultés qu’elle vivait au travail. Il n’a pas soumis Mme Kebede à des tests cliniques objectifs ni ne lui a prescrit de médicaments contre l’anxiété et la dépression à ce moment-là.

[81] M. Posnansky a noté, pendant un rendez-vous ayant eu lieu le 16 août 2016, que Mme Kebede lui avait dit qu’elle devait commencer à travailler pour AMEX en septembre 2016 et qu’elle semblait heureuse et optimiste. Mme Kebede a accepté cet emploi chez un concurrent de la TD, dans un environnement de travail semblable à celui de l’emploi qu’elle occupait à la TD. Ce n’est qu’à l’audience que la TD en a été informée. Mme Kebede a expliqué qu’elle avait accepté cet emploi parce qu’elle ne touchait aucun salaire à l’époque et qu’elle avait besoin d’avoir un revenu. Elle n’a pas travaillé très longtemps pour AMEX parce qu’elle ne se sentait pas bien pendant qu’elle occupait cet emploi. Elle a affirmé qu’elle serait retournée à la TD si celle-ci lui avait offert cette possibilité, car son revenu à AMEX était beaucoup moins élevé que celui qu’elle touchait à la TD.

[82] Dans les notes de M. Posnansky, l’anxiété ou la dépression étaient ensuite mentionnées le 5 février 2018, soit longtemps après le départ de Mme Kebede de la TD. Dans les notes, il n’était pas indiqué que la TD constituait un facteur d’anxiété ou de dépression. À ce moment-là, M. Posnansky a soumis Mme Kebede à des tests cliniques et a diagnostiqué chez elle de l’anxiété et une dépression. Il lui a prescrit pour la première fois des médicaments pour traiter son trouble de santé mentale et lui a recommandé de suivre des séances de counseling.

[83] En 2019, M. Posnansky a remarqué une aggravation de l’état de santé de Mme Kebede, qui souffrait d’un trouble anxieux, d’agoraphobie, d’attaques de panique et d’un trouble de stress post-traumatique accompagné de flashbacks liés à son expérience de travail à la TD. Il lui a prescrit des antidépresseurs, ce qu’elle refusait depuis un certain temps.

K. ALLÉGATION DE CONGÉDIEMENT INJUSTIFIÉ

[84] Mme Kebede a fourni un deuxième certificat médical à Mme Carter et à Penny Reid, gestionnaire principale des RH, le 22 mars 2016, pour justifier une deuxième période d’absence de deux semaines, du 23 mars au 6 avril 2016. Comme il a été mentionné au paragraphe 73, Mme Kebede a continué de toucher son revenu habituel jusqu’au 5 juin 2016, même si elle ne travaillait pas et que sa demande de prestations d’invalidité de courte durée n’avait pas été approuvée.

[85] Mme Kebede a soutenu qu’elle avait appelé le Centre de contact des RH à plusieurs reprises en juillet et en août 2016, alors qu’elle était toujours une employée de la TD et qu’elle recevait certains éléments de sa rémunération, pour obtenir une confirmation écrite de son statut d’emploi et connaître le type de congé qui lui était accordé, afin de savoir si elle devait présenter une demande de prestations d’invalidité de courte ou de longue durée.

[86] Kristine Garbutt, employée des RH, a affirmé dans son témoignage qu’elle avait tenté à plusieurs reprises de joindre Mme Kebede pour l’informer de son statut et de l’incidence qu’il avait sur ses avantages sociaux et sur sa pension. Mme Kebede refusait de parler à Mme Garbutt au téléphone, de sorte que celle-ci a adopté une démarche progressive pour avertir Mme Kebede des conséquences liées à l’emploi qui découlaient de son défaut de retourner au travail sans motif médical valable. Dans sa dernière communication, Mme Garbutt invitait Mme Kebede à soulever toute allégation supplémentaire à l’appui de son affirmation selon laquelle le milieu de travail était malsain, étant donné les conclusions du rapport d’enquête selon lesquelles le milieu de travail était sûr. Mme Kebede a répondu qu’elle n’avait rien à ajouter et qu’elle attendait [traduction] « impatiemment » la décision finale de la TD.

[87] La TD a décidé de procéder au congédiement sans motif de Mme Kebede et de lui verser l’indemnité minimale prévue par le Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2. Mme Kebede a confirmé qu’elle travaillait pour AMEX au moment de son congédiement. Mme Garbutt a confirmé qu’elle ignorait que Mme Kebede travaillait pour AMEX lorsqu’elle a été congédiée.

V. CADRE JURIDIQUE

[88] Selon l’alinéa 7b) de la LCDP, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects, de défavoriser un individu en cours d’emploi.

[89] Aux termes de l’alinéa 7a) de la LCDP, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu.

[90] Aux termes de l’alinéa 14(1)c) de la LCDP, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu en matière d’emploi.

[91] Le paragraphe 3(1) de la LCDP prévoit notamment que, pour l’application de la LCDP, les motifs de distinction illicite comprennent ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, l’âge et la déficience.

[92] Le plaignant qui allègue l’existence d’une conduite contraire aux dispositions de la LCDP a le fardeau d’établir une preuve prima facie de discrimination. La norme de preuve applicable à cet égard est la norme civile de la prépondérance des probabilités. Pour s’acquitter de son fardeau, le plaignant doit démontrer l’existence non pas d’un « lien causal » mais plutôt d’un simple « lien » ou « facteur » entre la conduite reprochée et un motif de distinction illicite prévu par la LCDP (voir Miller c. Banque Toronto-Dominion, 2024 TCDP 94 [Miller], au par. 67).

[93] La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant, en l’absence de réplique de l’employeur intimé (voir Miller, au par. 68).

[94] Pour établir une preuve prima facie, le plaignant doit démontrer que, selon toute vraisemblance : 1) il présente une ou plusieurs caractéristiques que la LCDP protège contre la discrimination; 2) il a subi un traitement qui lui a causé un effet préjudiciable relativement à son emploi; et 3) la ou les caractéristiques protégées ont constitué un facteur – mais pas forcément le seul – qui a joué dans le traitement défavorable ou l’effet préjudiciable subi (voir Miller, au par. 69).

[95] Le point de savoir si une caractéristique protégée est ou non un facteur de l’effet préjudiciable dépend des faits et doit être évalué au cas par cas (voir Steward c. Elk Valley Coal Corp., 2017 CSC 30, au par. 39).

[96] Pour satisfaire au deuxième volet du critère à trois volets, le plaignant doit prouver que le traitement qu’il a subi était différent par rapport au traitement réservé à d’autres qui ne partageaient pas les mêmes caractéristiques protégées que la personne qui soutient avoir subi un traitement défavorable (voir Alizadeh-Ebadi c. Manitoba Telecom Services Inc., 2017 TCDP 36 [Manitoba Telecom], au par. 156).

[97] Une injustice générale découlant d’un effet préjudiciable ne correspond pas à une preuve prima facie de discrimination, à moins que le plaignant puisse prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est possible de conclure à l’existence d’un lien entre les caractéristiques protégées et l’effet préjudiciable (voir Nipa c. Transports Canada, 2023 TCDP 33, aux par. 86 et 87).

[98] Le plaignant qui cherche à établir une preuve prima facie de discrimination n’est pas tenu de prouver l’intention discriminatoire de l’employeur intimé, puisque certains actes discriminatoires sont multifactoriels et inconscients. En fait, on dit souvent qu’un acte discriminatoire n’est pas une pratique qui, habituellement, se manifeste ouvertement ni même ne s’exerce intentionnellement. Ainsi, le Tribunal se doit d’examiner l’ensemble des circonstances de l’affaire – ce qui, bien souvent, suppose une preuve circonstancielle, plutôt que directe, qui tantôt étaye, tantôt mine l’allégation de discrimination – pour pouvoir décider s’il existe ce que le Tribunal a déjà qualifié de « subtile odeur de discrimination » (voir Miller, au par. 70).

[99] Une fois qu’une preuve prima facie a été établie, il incombe à l’intimé de réfuter les allégations de discrimination ou de démontrer que la conduite était justifiée suivant le régime d’exemptions prévu par la LCDP. Si la conduite ne peut être ni réfutée ni justifiée, le Tribunal conclura qu’il y a eu discrimination (voir Miller, au par. 71).

[100] Si la plainte n’est liée à aucun des motifs de distinction illicite énoncés dans la LCDP, elle est vouée à l’échec (voir Miller, au par. 72).

[101] Le harcèlement, prohibé par la LCDP, a été défini de façon générale comme une conduite non sollicitée liée à l’un des motifs de distinction illicite qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour la victime. Pour établir une preuve prima facie de harcèlement discriminatoire, le plaignant doit prouver, selon la norme de la personne raisonnable, que le comportement ou la conduite était i) lié à un motif de distinction illicite, invoqué dans la plainte, ii) importun et iii) persistant ou répété, ou suffisamment grave pour créer un milieu de travail hostile ou négatif qui a porté atteinte à sa dignité (voir Morin c. Canada (Procureur général), 2005 TCDP 41 [Morin], au par. 246; St-Jean c. Agence du revenu du Canada, 2024 TCDP 100, au par. 40).

[102] Moins la conduite et ses conséquences sont graves, plus la conduite devra être persistante pour correspondre à la définition de harcèlement. Par conséquent, il est possible que la conduite soit jugée offensante et fondée sur une caractéristique personnelle, mais qu’elle ne soit pas suffisamment répétitive ou grave pour constituer du harcèlement au sens de la LCDP (voir Manitoba Telecom, au par. 163).

[103] Bien que la LCDP n’exige pas que l’employeur maintienne un milieu de travail irréprochable, elle demande toutefois qu’il prenne des mesures promptes et efficaces lorsqu’il sait, ou qu’il devrait savoir, que la conduite de certains employés dans le milieu de travail constitue du harcèlement raciste. Pour se soustraire à la responsabilité, l’employeur doit prendre des mesures raisonnables pour atténuer, autant qu’il le peut, le malaise qui règne dans le milieu de travail et pour donner aux personnes intéressées l’assurance qu’il a la ferme volonté de maintenir un milieu de travail exempt de harcèlement fondé sur la race. La réaction appropriée est donc à la fois prompte et efficace et sa force doit être fonction des circonstances du harcèlement, dans chaque cas (voir Stanger c. Société canadienne des postes, 2017 TCDP 8, au par. 214).

[104] Si l’employeur fait l’objet d’une plainte ayant trait à la conduite d’un ou de plusieurs de ses employés, l’équité exige que la victime du harcèlement avise, si possible, l’employeur de la présumée conduite offensante. Cette exigence existe lorsqu’il y a chez l’employeur un service du personnel ainsi qu’une politique générale et véritable en matière de harcèlement, y compris des mécanismes de redressement appropriés (voir Morin, au par. 246).

[105] Suivant l’article 65 de la LCDP, l’employeur est réputé responsable de la conduite discriminatoire de ses employés en milieu de travail, à moins qu’il réussisse à s’acquitter du fardeau de prouver ce qui suit : 1) il n’a pas consenti à la conduite de l’employé; 2) il a pris toutes les mesures nécessaires pour l’en empêcher; et 3) il a par la suite pris toutes les mesures nécessaires pour atténuer ou annuler les effets néfastes de cette conduite.

[106] L’article 65 de la LCDP établit l’obligation de mener sans délai une enquête approfondie et équitable au sujet de la conduite discriminatoire. L’obligation de l’employeur de faire enquête s’apprécie suivant la norme de la décision raisonnable, et non suivant celles de la décision correcte ou de la perfection (voir Young c. VIA Rail Canada Inc., 2023 TCDP 25 [Young], aux par. 231 et 242).

[107] Les critères suivants s’appliquent à l’évaluation des efforts de l’employeur pour mener l’enquête :

1) Avant la plainte : Était-on sensibilisé au problème de discrimination et de harcèlement dans le milieu de travail lors de l’incident? Existait-il une politique anti-discrimination/harcèlement appropriée? Existait-il un mécanisme de plainte proprement dit en place? La direction et les employés ont-ils bénéficié d’une formation adéquate?

2) Après la plainte : Après qu’une plainte interne a été formulée, l’employeur a-t-il traité le dossier sérieusement? A-t-il réglé la question rapidement et avec doigté? A-t-il mené une enquête et agi de manière raisonnable?

3) Règlement de la plainte : L’employeur a-t-il proposé une solution raisonnable dans les circonstances? Si le plaignant a choisi de retourner au travail, l’employeur pouvait-il lui assurer un environnement de travail sain, exempt de discrimination? A-t-il communiqué ses conclusions et interventions au plaignant? (voir Young, aux par. 287 et 288).

[108] L’article 25 de la LCDP définit la « déficience » comme une déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée. Le terme « déficience » a été interprété comme « un handicap physique ou mental, qui occasionne une limitation fonctionnelle ou qui est associé à la perception d’un handicap » (voir Desormeaux c. Ottawa (Ville), 2005 CAF 311, au par. 15).

[109] C’est à l’employé qu’il incombe de porter à l’attention de l’employeur les faits relatifs à la discrimination et de faciliter la recherche d’un compromis, bien que la solution ne doive pas nécessairement provenir de l’employé (voir Marcovecchio c. Air Canada, 2023 TCDP 56, au par. 67).

[110] La LCDP ne prévoit pas de droit distinct à des mesures d’adaptation. Le défaut de prendre une mesure d’adaptation à l’égard d’une déficience n’est ni un motif de distinction illicite ni une pratique discriminatoire aux termes de la LCDP (voir Todd c. La Ville d’Ottawa, 2020 TCDP 26, aux par. 203 et 204).

[111] L’employé qui soutient avoir été congédié en raison d’une déficience doit établir, sur le fondement d’une preuve prima facie, qu’il souffrait d’une déficience, que l’employeur savait ou aurait dû savoir qu’il souffrait d’une déficience, mais qu’il ne lui a pas offert de mesure d’adaptation sans qu’il en résulte une contrainte excessive, et que sa déficience a joué un rôle dans la décision de l’intimé de mettre fin à son emploi (voir Zeiger c. Osborne Trucking Ltd., 2014 TCDP 27, aux par. 35 à 39).

VI. ANALYSE

[112] Comme il a été mentionné plus haut, la discrimination ne se manifeste généralement pas ouvertement ni même ne s’exerce intentionnellement. Elle est habituellement beaucoup plus subtile. Pour déterminer s’il y a eu discrimination dans une affaire comme celle qui nous occupe, c’est-à-dire une affaire où il n’y a pas eu d’actes discriminatoires apparents ou intentionnels et où les faits entourant les allégations sont contestés, il faut examiner attentivement la preuve circonstancielle et apprécier la crédibilité des témoins qui ont témoigné au sujet de leurs observations, de leur perception et de leurs impressions quant aux événements survenus.

[113] Mme Kebede a témoigné pour son propre compte les cinq premiers jours de l’audience. Elle participait activement et s’est montrée avenante et alerte durant son témoignage. Sa perception et ses impressions au sujet des événements survenus lorsqu’elle travaillait à la division des services aux commerçants de la TD semblaient sincères, mais il y avait des omissions et des contradictions dans son témoignage. Par exemple, pendant la même période durant laquelle elle affirmait ne pas pouvoir retourner travailler à la TD en raison de sa déficience et qui a pris fin au moment de son congédiement, elle travaillait à AMEX, un fait qu’elle n’a divulgué qu’au moment de l’audience. Ce n’est également qu’à l’audience qu’elle a fourni l’intégralité de ses dossiers médicaux. Au départ, elle avait soutenu que les RH n’avaient pas traité ses plaintes, mais, lorsqu’on lui a présenté une preuve documentaire indiquant clairement le contraire, elle a modifié son témoignage pour affirmer que ses plaintes n’avaient pas été traitées au palier auquel elle se serait attendue. Elle a expliqué que ses plaintes n’avaient pas fait l’objet d’un suivi par des employés des niveaux supérieurs avec qui elle aurait pu communiquer, mais elle a contacté directement les membres les plus haut placés de l’équipe de direction de la TD, dont le chef de la direction, ainsi que le personnel des RH. Elle a affirmé avoir fait l’objet d’un traitement défavorable en ce qui concerne les possibilités d’avancement et de promotion ainsi que la formation et l’accès aux systèmes, et elle a soutenu qu’il y avait eu atteinte à la protection de la vie privée par la TD, le tout sans fournir de preuve réelle.

[114] Il ne faut pas en conclure pour autant que Mme Kebede ait fait preuve de malhonnêteté ou usé de subterfuges. Au contraire, elle m’a donné l’impression d’être une personne vive, aimable et aussi très sensible. Elle a vécu un passé difficile en Afrique, puis a dû élever deux enfants seule dans un nouveau pays, tout en continuant d’offrir un soutien à ses proches demeurés en Afrique. Il ne fait aucun doute que ces expériences ont contribué à façonner sa façon de voir les choses. Elle est devenue de plus en plus sensible à l’égard de la situation et très préoccupée par les incidents survenus au travail, qu’elle percevait comme des injustices dirigées vers elle en raison de ses caractéristiques protégées. Je suis d’avis que sa perception des événements qu’elle jugeait inacceptables au travail était globalement erronée et que les incidents en question n’étaient pas liés à des motifs de distinction, bien que Mme Kebede ait pu les trouver injustes et blessants. Je pense qu’elle croyait véritablement qu’elle était prise pour cible en raison de ses caractéristiques protégées.

[115] Mme Kebede semble avoir accompli un travail formidable pour élever ses deux enfants, M. Habte et Mme Gabriella Kebede. Ils sont tous deux instruits et ont réussi dans la vie, et ils ont été des témoins très impressionnants. Ils sont manifestement dévoués à leur mère en reconnaissance de tout ce qu’elle a fait pour eux et ont renoncé à des engagements personnels pour venir l’aider. Je ne remets pas en doute leurs préoccupations légitimes quant au changement de comportement négatif qu’ils ont constaté chez leur mère, qui, autrefois sociable et positive, est devenue renfermée et triste. Cela dit, les enfants de Mme Kebede ont tous deux pris soin de dire clairement qu’ils ignoraient ce qui s’était réellement passé dans le milieu de travail de leur mère et qui avait contrarié celle-ci, et qu’ils ne connaissaient pas la nature de ses problèmes de santé. Ainsi, leur témoignage n’est pas particulièrement utile pour déterminer la responsabilité de l’intimée dans la présente affaire.

[116] L’autre témoin appelé à comparaître par Mme Kebede était M. Posnansky. Ce dernier ne figurait pas sur la liste des témoins établie avant l’audience et n’a été appelé à comparaître qu’après que l’avocat de Mme Kebede eut tenté de présenter à l’audience l’ensemble des dossiers médicaux, qui n’avaient pas été communiqués auparavant. M. Posnansky n’était pas en mesure de témoigner personnellement concernant les plaintes formulées en milieu de travail par Mme Kebede et a plutôt évoqué le stress et l’anxiété qu’elle disait ressentir et dont elle lui avait parlé pour la première fois lorsqu’elle l’avait consulté pour un examen en mars 2016, après avoir quitté définitivement son emploi. N’étant pas un spécialiste des troubles de santé mentale, M. Posnansky n’était pas en mesure de se prononcer sur la capacité de Mme Kebede de retourner au travail malgré sa déficience, avec ou sans mesures d’adaptation.

[117] Il ne s’ensuit pas pour autant que M. Posnansky était un piètre témoin. Il s’agissait au contraire d’un témoin très compétent, crédible et franc, qui s’est retrouvé dans la position délicate de devoir soudainement témoigner en faveur d’une patiente dans des conditions difficiles. Il s’est principalement appuyé sur les notes qu’il avait prises il y a plusieurs années et qui fournissaient un historique assez limité de l’évolution de l’état de santé de Mme Kebede quant au stress, à l’anxiété et à la dépression dont elle avait souffert, tel qu’il a été mentionné aux paragraphes 81 à 84. Aucune preuve médicale d’expert n’a été fournie pour étayer l’existence d’une déficience empêchant Mme Kebede de retourner travailler, que des mesures d’adaptation particulières aient été prises ou non.

[118] En tout, 12 témoins, toutes des personnes ayant travaillé pour la TD, ont été appelés à témoigner par la TD. Bon nombre de ces témoins étaient des personnes de couleur ou des membres de minorités visibles. L’un des témoins était un homme noir originaire du même pays que Mme Kebede et qui avait travaillé avec elle comme spécialiste. Les témoins comprenaient des collègues, des gestionnaires et la vice-présidente associée de Mme Kebede à l’époque où elle travaillait à la TD, ainsi que Ziska Truss, qui était chargée de donner des instructions pour la TD. Parmi ces témoins figuraient des employés qui avaient interagi avec Mme Kebede pendant la période visée par la plainte dans la présente affaire.

[119] Les témoins de la TD semblaient tous bien informés, francs et crédibles. La plupart d’entre eux avaient travaillé directement avec Mme Kebede pendant sa période d’emploi à la TD. Ils semblaient tous réellement l’apprécier et se soucier d’elle. En particulier, Mme Fink, la vice-présidente associée chargée des opérations, avait passé beaucoup de temps avec Mme Kebede et entretenait une relation de travail étroite et personnelle avec elle, notamment en raison du fait que son bureau était proche du poste de travail de Mme Kebede au centre d’appels. Elles avaient très souvent discuté des préoccupations de Mme Kebede. Je suis convaincu que Mme Fink n’aurait jamais eu l’intention de causer du tort à Mme Kebede et n’aurait pas non plus permis que du tort lui soit causé de quelque façon que ce soit et qu’elle l’aurait soutenue et protégée de son mieux contre tout préjudice causé par d’autres. Certes, des erreurs ont été commises, mais, selon mon appréciation de la crédibilité des employés de la TD à l’audience, je juge qu’ils ont tenté de collaborer avec Mme Kebede pour régler ses plaintes et qu’aucun d’entre eux n’avait l’intention de la harceler, ou de la soumettre à un traitement défavorable ou à de la discrimination sur le fondement de l’une ou l’autre de ses caractéristiques protégées. Je n’ai pas non plus décelé d’actes de discrimination involontaires ou inconscients contre Mme Kebede de la part de ses collègues ni d’employés de la TD.

[120] Concernant l’allégation sur les commentaires racistes, le commentaire formulé par MG dont il est question aux paragraphes 27 et 28 était certainement indésirable, inapproprié et blessant pour Mme Kebede, même s’il n’était pas dirigé contre elle. Toutefois, j’accepte le témoignage de Mmes Fink et Carter, qui ont affirmé que, dès qu’elles avaient eu connaissance de l’incident, elles avaient immédiatement pris des mesures correctives à l’égard de MG pour le régler. Il est troublant qu’aucune preuve des mesures prises n’ait été fournie, mais leur témoignage à ce sujet n’a pas été contredit et me semble raisonnable, compte tenu des circonstances relatives aux commentaires formulés par SP dont il est question au paragraphe 29. De plus, Mme Kebede a remercié Mme Carter par écrit d’avoir réglé la situation concernant MG. Mme Kebede n’a fait mention d’aucun autre problème avec SP ou MG. Il ne semble donc pas y avoir eu de conduite répétée équivalant à du harcèlement. En outre, pour des raisons valables de respect de la vie privée, Mme Kebede ne pouvait pas être informée des mesures disciplinaires prises contre d’autres employés.

[121] Je suis convaincu que la TD avait mis en place des politiques, évoquées aux paragraphes 18 à 21, visant à assurer le respect en milieu de travail et à lutter contre le harcèlement et la discrimination, lesquelles ont été décrites de façon détaillée par Mme Truss, une témoin très crédible et expérimentée. Les politiques en question étaient bien conçues et les employés, y compris Mme Kebede, devaient s’engager annuellement à les respecter. Ces politiques prévoyaient une formation sur le harcèlement et la discrimination en milieu de travail offerte régulièrement aux employés et le signalement obligatoire des incidents par les victimes et les témoins, de même que des enquêtes approfondies par la TD sur les plaintes et la prise de mesures appropriées à cet égard.

[122] Les politiques ne prévoyaient toutefois pas que les plaintes devaient être acheminées aux gestionnaires des échelons supérieurs ou aux RH, et les employés disposaient de divers mécanismes pour porter plainte à l’interne, tel qu’il a été expliqué plus haut, notamment la tenue d’une enquête neutre et objective, comme celle qui a eu lieu dans la présente affaire. Les résultats avaient alors été fournis à Mme Kebede par Mme Toms, même si Mme Kebede n’avait soulevé aucune des allégations relatives aux commentaires racistes dans le cadre de cette enquête.

[123] Par la mise en place des politiques mentionnées ci-dessus et par les mesures qu’elle a prises relativement aux deux plaintes formulées au sujet de commentaires racistes, la TD a démontré qu’elle avait fait preuve de diligence raisonnable et pris les mesures qui s’imposaient quant à la question du harcèlement et aux plaintes qui avaient été formulées.

[124] Les commentaires racistes qui auraient été formulés et qui sont mentionnés aux paragraphes 30, 32 et 34 sont contestés par la TD, et Mme Kebede ne semble pas les avoir signalés à l’époque. MM. Le et Rathakrishnan, et Mmes Saudino et Carter semblaient tous être des témoins très crédibles, et je ne saurais faire abstraction de leur témoignage contraire à l’égard de ces commentaires, puisque, outre le fait qu’ils ont nié que les événements se soient déroulés de la façon décrite, ces témoins semblaient tous réellement apprécier Mme Kebede et n’auraient pas voulu que du tort lui soit causé. De plus, je juge que ces commentaires, même s’ils avaient été formulés, ne seraient pas graves au point de créer l’environnement de travail hostile déploré par Mme Kebede.

[125] Pour ce qui est des allégations concernant l’isolement et l’humiliation mentionnées aux paragraphes 36 à 40, les éléments de preuve présentés par Mme Kebede ne sont pas suffisants pour établir une preuve prima facie de discrimination. L’allégation de Mme Kebede selon laquelle son poste de travail aurait été isolé des autres est contredite par le fait qu’il était situé tout près du bureau de Mme Fink, avec qui Mme Kebede discutait régulièrement de ses plaintes. De plus, Mme Kebede s’était vu offrir à titre gracieux l’équipement ergonomique qu’elle avait expressément demandé. Aucun des témoins n’était d’accord pour dire qu’il y avait des places officielles attribuées aux spécialistes du centre d’appels ou que des affiches étaient placées pour empêcher quiconque de s’asseoir à côté de Mme Kebede. De plus, le commentaire sur l’inadmissibilité de Mme Kebede au programme incitatif pour les primes d’excellence avait été fait par erreur et rectifié par Mme Fink, qui avait rapidement présenté ses excuses à Mme Kebede et envoyé un message au personnel pour corriger son erreur. Enfin, j’accepte le témoignage de M. Rathakrishnan dans lequel il a affirmé qu’il n’aurait pas informé publiquement les autres employés que Mme Kebede, ou que quiconque, était responsable d’un appel mal coté.

[126] En ce qui concerne l’allégation selon laquelle Mme Kebede aurait fait l’objet d’une évaluation de rendement annuelle inappropriée en 2015, comme il est exposé aux paragraphes 41 à 44, je ne suis pas convaincu que l’évaluation de rendement initiale ait été inadéquate ou qu’elle ait été discriminatoire ou liée de quelque façon que ce soit aux caractéristiques protégées de Mme Kebede. J’accepte le témoignage de Mme Fink, qui a été corroboré par Mmes Carter et Saudino, selon lequel la cote qui avait été donnée initialement à Mme Kebede, « bonne qualité », était exacte compte tenu de son rendement, de sa fiche de rendement et du fait qu’elle n’avait pas dépassé ses objectifs au moins 50 p. 100 du temps, ce qui constituait une exigence requise dans le guide de cotation pour l’obtention d’une cote « excellente qualité ». J’accepte le témoignage de Mme Fink, qui a affirmé que la cote de Mme Kebede avait été changée pour la cote « excellente qualité » et que sa paye lui avait été versée rétroactivement parce qu’elle estimait qu’il était injuste que Mme Kebede se soit fait dire pendant son évaluation de mi-exercice qu’elle était sur la bonne voie pour obtenir la cote « excellente qualité ». Dans les circonstances, ce changement a fait en sorte que Mme Kebede a bénéficié d’un traitement favorable par rapport à ses collègues, plutôt que d’un traitement défavorable comme elle l’a affirmé.

[127] En ce qui a trait à l’allégation selon laquelle Mme Kebede s’est vu refuser des possibilités de promotion, comme il est expliqué aux paragraphes 45 et 46, je juge qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour en établir le bien-fondé. Mme Kebede n’a pas posé sa candidature au poste de gestionnaire d’équipe bilingue qui était vacant à l’automne ou à l’hiver de 2015, et elle n’a pas non plus exprimé son intérêt pour le poste, selon le témoignage de Mmes Fink et Carter, que j’accepte. De plus, sa cote temporaire « bonne qualité » ne l’aurait pas empêchée d’obtenir le poste si elle avait été intéressée ou si elle avait présenté sa candidature, selon Mme Fink. Aucun élément de preuve crédible ne démontre que le poste n’avait pas été annoncé avant qu’un candidat provenant de l’extérieur soit choisi, comme l’a affirmé Mme Kebede. Rien n’indique non plus que Mme Kebede a postulé pour obtenir des promotions ni qu’aucune promotion ne lui a été offerte.

[128] Quant à l’allégation selon laquelle Mme Kebede n’avait pas pu bénéficier de possibilités d’encadrement et de formation, comme il est expliqué aux paragraphes 47 à 52, Mme Kebede n’a pas réussi à prouver, selon la prépondérance des probabilités, que ses séances d’encadrement et de formation avaient été annulées pour des raisons liées de quelque manière que ce soit à ses caractéristiques protégées. M. Rathakrishnan et Mmes Fink, Saudino et Carter ont tous affirmé dans leur témoignage que les séances de formation et les séances en petits groupes devaient être annulées pour tous les spécialistes pendant les périodes de pointe, ce qui était arrivé souvent en 2014 et en 2015, puisque de nouvelles fonctions et de nouveaux systèmes avaient été mise en place et que la TD cherchait à éviter que les commerçants demeurent en attente pendant une période excessive. La situation touchait particulièrement les spécialistes bilingues, qui étaient moins nombreux pour répondre aux appels des commerçants. Il arrivait que la formation soit annulée pour les spécialistes en cas de conflits d’horaire, mais elle était toujours reprise dans ces cas-là, et Mme Kebede n’était pas traitée différemment des autres spécialistes à cet égard. La TD a reconnu qu’il y avait eu des problèmes relatifs à la formation, surtout pendant la période de transition en 2015, lorsque les spécialistes avaient dû apprendre à utiliser de nouveaux systèmes et applications, mais qu’elle s’était efforcée de trouver des solutions pour tous les spécialistes touchés.

[129] L’allégation de Mme Kebede selon laquelle l’accès au système informatique lui avait été refusé et selon laquelle elle avait eu des problèmes de mot de passe, exposée aux paragraphes 53 à 55, n’a pas été étayée par une preuve suffisante qui justifierait une conclusion de discrimination ou de traitement défavorable à son égard. Les problèmes d’accès informatique qu’éprouvaient tous les spécialistes étaient attribuables aux nouvelles tâches qui leur étaient confiées et au recyclage nécessaire par suite de l’élimination du poste d’agent des ressources en 2015 et en 2016. Je suis convaincu que la TD a pris des mesures raisonnables pour régler les problèmes à cet égard qui touchaient à l’époque la plupart des spécialistes, voire l’ensemble d’entre eux. De plus, je suis convaincu que la réinitialisation des mots de passe était courante à ce moment-là pour tous les spécialistes, pour les motifs exposés au paragraphe 55, et qu’elle n’avait aucun lien avec les caractéristiques protégées de Mme Kebede.

[130] Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle Mme Kebede se serait vu refuser le droit de porter plainte aux RH, évoquée aux paragraphes 56 à 58, je juge, selon la preuve présentée, que Mme Kebede avait bel et bien le droit de s’adresser aux RH pour porter plainte et qu’elle l’a d’ailleurs fait. Les politiques et procédures relatives à la transmission des plaintes au niveau supérieur incluaient l’intervention des RH, comme il est expliqué au paragraphe 21, et Mme Kebede a reconnu qu’elle connaissait l’existence de ces politiques. Mme Fink et les différents gestionnaires qui ont traité avec Mme Kebede ont affirmé dans leur témoignage qu’ils faisaient appel aux RH pour obtenir de l’aide quand Mme Kebede formulait des plaintes. Mme Kebede a elle-même acheminé certaines de ses plaintes directement au plus haut niveau de la direction de la TD, notamment aux membres de la direction des RH, ce qui a donné lieu à l’enquête interne sur ses plaintes qui a été menée vers la fin de sa période d’emploi à la TD.

[131] En ce qui concerne l’allégation selon laquelle le système de Mme Kebede aurait fait l’objet d’atteintes à la sécurité et à la confidentialité par la TD, comme il a été expliqué aux paragraphes 59 et 60, je juge qu’il n’y a aucune preuve crédible confirmant que cet incident se soit produit ou que, si l’incident s’est bel et bien produit, il ait été lié aux caractéristiques protégées de Mme Kebede de quelque façon que ce soit.

[132] Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle la TD n’aurait pas traité de façon adéquate les plaintes présentées par Mme Kebede ni mené l’enquête nécessaire à ce sujet, comme il est expliqué aux paragraphes 61 à 71, il y a bien des éléments de preuve indiquant que des erreurs ont été commises, comme lorsque Mme Kebede a été informée qu’elle n’était pas admissible au programme incitatif de primes d’excellence et éventuellement lorsqu’elle a obtenu au départ la cote « bonne qualité » à son évaluation de rendement annuelle de 2015, mais, selon moi, ces questions ont fait l’objet d’une enquête par la TD, qui a pris les mesures qui s’imposaient. De plus, selon la preuve présentée, ces incidents ne témoignent pas de l’existence de discrimination ni de traitement défavorable fondé sur les caractéristiques protégées de Mme Kebede. Comme il a été déterminé ci-dessus, les commentaires formulés par MG étaient sans aucun doute de nature raciste, mais je suis convaincu, compte tenu de la preuve fournie, que la TD a fait enquête de façon appropriée sur la question et assuré le suivi qui s’imposait auprès de MG à cet égard.

[133] Il aurait certes été préférable que l’enquête donne lieu à un rapport plus complet, comprenant notamment les motifs des conclusions et la méthodologie adoptée, mais Mmes Toms et Tawell ont bel et bien rencontré Mme Kebede pour passer en revue le rapport avec elle et lui expliquer les conclusions. En outre, le rapport portait sur de nombreux incidents qui, selon mon examen de la preuve présentée, n’étaient pas attribuables à la discrimination, au harcèlement ni à un traitement préjudiciable fondé sur une caractéristique protégée que Mme Kebede disait avoir. J’accepte également le témoignage de Mme Toms selon lequel, dans le cadre de l’enquête, Mme Kebede n’avait pas soulevé d’allégations précises de discrimination ou de harcèlement fondé sur l’une ou l’autre de ses caractéristiques protégées par la LCDP. Après avoir évalué les efforts déployés par la TD pour faire enquête dans la présente affaire, je conclus que les mesures prises n’étaient pas parfaites, mais qu’elles satisfont aux critères établis au paragraphe 107.

[134] Pour ce qui est des allégations selon lesquelles la TD n’aurait pas offert de mesures d’adaptation à Mme Kebede à l’égard de sa déficience et l’aurait congédiée de façon injustifiée, comme il est exposé aux paragraphes 72 à 87, dans la présente affaire, Mme Kebede n’a pas établi de preuve prima facie démontrant qu’elle avait fait l’objet de discrimination de la part de la TD pour un motif de distinction illicite énoncé dans la LCDP.

[135] Comme il a été précisé au paragraphe 110, la LCDP ne prévoit pas de droit distinct à des mesures d’adaptation. Le défaut de prendre une mesure d’adaptation à l’égard d’une déficience n’est ni un motif de distinction illicite ni une pratique discriminatoire au sens de la LCDP.

[136] La preuve relative à la déficience mentale de Mme Kebede et au défaut de la TD de prendre des mesures d’adaptation à cet égard était très limitée, peut-être en raison de l’entente intervenue entre les parties visant l’exclusion de certains renseignements à des fins de privilège relatif au règlement, comme il a été mentionné au paragraphe 77. Néanmoins, je ne suis pas en mesure de formuler d’hypothèses relativement à des éléments de preuve qui n’ont pas été mis à ma disposition et je dois statuer en fonction de la preuve qui a été présentée à l’audience.

[137] Au départ, l’avocat de Mme Kebede a tenté de présenter des dossiers médicaux pour la première fois à l’audience, sans qu’aucun témoin ne soit appelé à témoigner à ce sujet. Il a ensuite décidé, seulement après le début de l’audience, d’ajouter comme témoin M. Posnansky, qui n’est pas un expert des troubles mentaux, pour qu’il témoigne au sujet des dossiers médicaux. La preuve qu’a présentée M. Posnansky était peut-être incomplète, puisqu’il semblait manquer des pages de ses notes et qu’aucune explication satisfaisante n’a été fournie à cet égard, mais il a été très franc à ce sujet et a présenté son témoignage de façon directe. La preuve fournie était insuffisante pour me permettre de conclure que Mme Kebede souffrait d’une déficience qui l’empêchait de retourner au travail, soit une déficience dont l’employeur avait ou aurait dû avoir connaissance pendant la période visée, et que la TD aurait dû prendre des mesures pour l’aider, et non procéder à son congédiement sans motif.

[138] M. Posnansky n’a pas pu fournir d’exemples démontrant que Mme Kebede avait souffert de stress, d’anxiété et de dépression avant le 3 mars 2016, date à laquelle elle avait quitté le travail pour ne plus y retourner. Elle était alors contrariée par l’enquête, qui n’avait permis de confirmer aucune de ses plaintes, lesquelles portaient sur des incidents qui n’étaient pas liés à une déficience. Pendant qu’elle était en congé payé, au départ, elle avait présenté à Manuvie une demande de prestations d’invalidité de courte durée, sans succès, et n’avait pas interjeté appel de la décision défavorable. Des mois plus tard, en août 2016, lors du rendez-vous suivant qu’elle avait eu avec M. Posnansky, elle ne semblait plus éprouver ces symptômes et avait hâte de commencer à travailler pour AMEX, alors qu’elle était toujours une employée de la TD. Pendant cette même période, elle ne répondait pas à Mme Garbutt, qui lui demandait d’informer la TD de son statut, sans quoi elle serait congédiée. Au contraire, elle [traduction] « attendait impatiemment » que la TD lui communique sa décision. Ces actes ne semblent pas concorder avec ceux d’une personne qui souhaite retourner au travail. Par conséquent, selon mon interprétation de la preuve, je ne crois pas que Mme Kebede ait réellement donné à la TD l’occasion de prendre des mesures d’adaptation à son égard en l’informant de la déficience dont elle disait souffrir. Par conséquent, la preuve ne satisfait pas au critère énoncé au paragraphe 111.

[139] Au moment du congédiement de Mme Kebede, la TD avait tenté de communiquer avec elle pour discuter de son statut à plusieurs reprises, sans succès. Mme Kebede était en congé et ne fournissait à la TD aucun renseignement qui aurait pu lui permettre de favoriser son retour au travail. La TD a admis avoir procédé au congédiement sans motif de Mme Kebede, mais ne savait pas qu’elle travaillait déjà pour AMEX à l’époque. Enfin, quoi qu’il en soit, j’estime que la preuve n’a pas établi clairement que Mme Kebede avait souffert d’une déficience l’ayant empêché de retourner travailler à l’époque.

VII. CONCLUSIONS

[140] Dans la présente affaire, la plaignante a présenté des allégations selon lesquelles elle aurait fait l’objet de discrimination, de harcèlement et d’un traitement défavorable au travail, ainsi que d’un congédiement injustifié par la TD sur le fondement de ses caractéristiques personnelles qui sont protégées par la LCDP. Elle affirme avoir subi ces difficultés en raison d’événements survenus dans son milieu de travail au cours de la période visée qui, selon elle, lui ont causé un effet préjudiciable et dont elle tient la TD responsable.

[141] Mme Kebede soutient en outre que le défaut de la TD de mener une enquête appropriée et de régler les questions soulevées a nui à sa santé mentale de telle sorte qu’elle n’était pas en mesure de continuer de travailler. Elle affirme donc que son congédiement était discriminatoire, car la TD ne lui a pas offert de mesures d’adaptation pour son trouble de santé mentale et l’a congédiée injustement et sans motif alors qu’elle souffrait d’une déficience.

[142] Le témoignage de Mme Kebede n’a pas été corroboré par qui que ce soit, à part ses enfants, mais le témoignage de ces derniers ne portait pas sur la question de la responsabilité. En ce qui concerne les questions en litige, j’accepte le témoignage cohérent et crédible des 12 témoins de la TD, qui étaient tous des collègues de Mme Kebede et qui semblaient réellement l’apprécier, mais qui n’étaient pas d’accord pour dire qu’elle avait fait l’objet de la part de la TD de discrimination, de harcèlement ou d’un traitement défavorable fondé sur l’une ou l’autre de ses caractéristiques protégées.

[143] Même pour ce qui est des incidents qui se sont bel et bien produits pendant la période visée et qui ont heurté Mme Kebede, qui les a perçus comme discriminatoires, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve probants pour établir un lien entre les incidents et un motif de distinction illicite énoncé dans la LCDP, selon la prépondérance des probabilités. Les commentaires de nature raciste qui ont été formulés pendant la période visée et qui ont été corroborés ont fait l’objet de mesures rapides et justes, à mon avis, selon la preuve la plus crédible présentée à l’audience.

[144] La preuve fournie à l’audience n’était pas suffisante non plus pour attester que la TD savait ou aurait dû savoir que Mme Kebede souffrait, pendant la période visée, d’une déficience qui faisait en sorte qu’elle aurait pu demeurer en congé sans autorisation après avoir été contrariée au sujet de l’issue de l’enquête menée par une enquêteuse neutre à l’interne concernant des plaintes sans lien avec sa déficience, et après avoir vu sa demande de prestations d’invalidité de courte durée rejetée par Manuvie.

[145] Mme Kebede a elle-même décidé de ne pas retourner travailler à la TD après avoir pris connaissance des résultats de l’enquête et avoir vu sa demande de prestations d’invalidité de courte durée rejetée, décision qu’elle n’a pas portée en appel. Elle n’a pas répondu aux messages ni aux appels du personnel des RH de la TD, qui voulait s’informer de son statut, pendant qu’elle était absente, malgré le fait qu’elle touchait une rémunération pendant une partie de cette période, tout en ne travaillant pas et en ne recevant pas de prestations d’invalidité. Rien n’indique qu’elle ait réellement donné l’occasion à la TD de prendre des mesures tenant compte de son état de santé ni qu’elle ait réellement eu l’intention de retourner travailler à la TD avant de se faire congédier, malgré les efforts déployés par la TD pour la joindre. Par ailleurs, elle n’a pas informé la TD qu’elle travaillait chez un concurrent pendant qu’elle était absente et qu’elle était toujours considérée comme une employée de la TD.

[146] Enfin, j’estime que l’existence d’une déficience mentale qui aurait empêché Mme Kebede de retourner au travail n’a pas été établie clairement à partir des éléments de preuve médicaux peu étoffés et éventuellement incomplets qui ont été présentés à l’audience.

[147] Il n’est pas contesté que Mme Kebede possède des caractéristiques qui sont protégées par la LCDP. Il n’est pas non plus contesté que Mme Kebede était réellement malheureuse au travail en raison d’incidents décrits ci-dessus qu’elle percevait comme de la discrimination à son endroit. Elle a donc subi un effet préjudiciable en raison de ces incidents. Toutefois, après examen des éléments de preuve présentés à l’audience, je juge que la perception de Mme Kebede des incidents survenus ne prouve pas raisonnablement, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a réellement été traitée différemment de ses collègues ou qu’elle a été victime de harcèlement ou de discrimination de la part de la TD sur le fondement de l’une ou l’autre de ses caractéristiques protégées par la LCDP.

VIII. ORDONNANCE

[148] Compte tenu des éléments de preuve dont je dispose, je conclus que la plainte n’est pas fondée, et elle est donc rejetée.

Signée par

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 5 février 2025

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : T2763/13921

Intitulé de la cause : Annie Kebede c. Banque Toronto-Dominion

Date de la décision du Tribunal : Le 5 février 2025

Dates et lieu de l’audience : Du 16 au 20 septembre 2024

Du 23 au 27 septembre 2024

Du 12 au 15 novembre 2024

Le 18 novembre 2024

Audience tenue par vidéoconférence

Comparutions :

Aaron Rosenberg, pour la plaignante

Tala Khoury et Shakila Salem, pour la partie intimée

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