Tribunal canadien des droits de la personne
Informations sur la décision
Mme Bayrock (la « plaignante ») a été embauchée comme employée occasionnelle pour occuper le poste de commis à l’information à l’Établissement d’Edmonton pour femmes de Service correctionnel Canada (l’« intimé »). Elle a informé l’intimé qu’elle souffrait d’une déficience nécessitant des mesures d’adaptation, soit une réduction de ses heures de travail et une heure de début flexible. Après son entrée en fonction, elle a eu du mal à accomplir ses tâches pendant ses heures de travail réduites et a donc proposé des ajustements. Cependant, l’intimé a plutôt remis en question sa capacité à faire le travail et l’a licenciée après six jours de travail seulement.
Le Tribunal a conclu que ce licenciement constituait une discrimination fondée sur la déficience.
L’intimé a justifié sa décision en invoquant le mauvais rendement de la plaignante. Toutefois, il n’a fourni aucun élément de preuve à l’appui, comme des avis officiels ou des discussions sur ses préoccupations au sujet du travail de la plaignante. En fait, les courriels de la direction ont révélé que les préoccupations portaient notamment sur l’horaire réduit de la plaignante, ce qui suggérait l’existence de partialité à l’égard de son besoin en matière d’adaptation. Le Tribunal a donc conclu que l’intimé n’avait pas fait d’efforts raisonnables pour collaborer avec elle en vue de trouver des solutions appropriées.
Toutefois, le Tribunal a rejeté les allégations de harcèlement et de discrimination systémique formulées par la plaignante, car il a estimé que les preuves étaient insuffisantes.
À titre de réparation, le Tribunal a accordé à la plaignante une indemnité pour le préjudice moral causé par la discrimination et une indemnité spéciale en raison du caractère précipité de son licenciement. Toutefois, comme elle a trouvé un autre emploi peu de temps après, elle n’a pas reçu d’indemnité pour perte de salaire. Enfin, le Tribunal a ordonné le versement d’intérêts sur le montant total accordé.
Contenu de la décision
Tribunal canadien |
|
Canadian Human |
Référence : 2025 TCDP
Date : Le
Numéro du dossier :
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Entre :
la plaignante
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
la partie intimée
Décision
Membre :
Table des matières
A. DISCRIMINATION AU SENS DE L’ARTICLE 7
(i) IL Y A DISCRIMINATION PRIMA FACIE
(ii) L’INTIMÉ N’A PAS ÉTÉ EN MESURE DE DÉMONTRER DES EXIGENCES PROFESSIONNELLES JUSTIFIÉES
I. CONTEXTE
[1] La plaignante, Mme Bayrock, allègue avoir été victime de discrimination en ce qui a trait à l’emploi qu’elle a occupé auprès de l’intimé, le Service correctionnel du Canada (le « SCC »), à l’Établissement d’Edmonton pour femmes. Elle a été engagée comme employée occasionnelle pour pourvoir le poste de commis à l’information devenu vacant à la suite d’un congé temporaire. Mme Bayrock a révélé lors d’une conversation avec M. Tuck, le gestionnaire, Évaluation et interventions de l’établissement, qu’elle souffrait d’une déficience exigeant des mesures d’adaptation. Elle lui a expliqué qu’elle n’était pas en mesure de travailler à temps plein en raison de sa déficience et qu’il était nécessaire de réduire ses heures de travail et de lui donner une heure de début flexible.
[2] Conformément à ses demandes, Mme Bayrock a été autorisée à ne travailler qu’à temps partiel (soit 22 heures), alors qu’elle devait normalement travailler 37,5 heures par semaine. En outre, elle a bénéficié d’une certaine flexibilité en ce qui concerne ses heures de début et ses jours de travail.
[3] Mme Bayrock a été embauchée le 22 février 2017 et a commencé à travailler le 1er mars 2017.
[4] Cependant, l’employée dont le poste était censé être occupé par Mme Bayrock (la « prédécesseure » de Mme Bayrock) a continué à occuper son poste plus longtemps que prévu pour des raisons qui ne sont pas pertinentes dans le cadre de la présente plainte. Ainsi, Mme Bayrock n’a assumé concrètement les fonctions de commis à l’information que le 31 mai 2017. Dans l’intervalle, Mme Bayrock a suivi une formation et accompli des tâches supplémentaires, comme la création d’un manuel de formation.
[5] Peu de temps après avoir assumé ses fonctions de commis à l’information, Mme Bayrock a commencé à communiquer avec son employeur pour lui faire part du fait qu’elle mettait plus de temps que prévu à accomplir toutes les tâches qui lui étaient demandées. Dans un certain nombre de courriels adressés à M. Tuck et à d’autres personnes, elle a fait des suggestions sur la manière dont elle pourrait accomplir davantage de choses pendant ses trois jours de travail, notamment en signalant des [traduction] « inefficacités » qui pourraient être rectifiées, et elle a demandé des précisions sur la possibilité de confier certaines tâches à d’autres personnes. M. Tuck a transmis l’un de ces courriels de Mme Bayrock à une autre gestionnaire, notant qu’il semblait que Mme Bayrock avait sous-estimé le travail qu’elle entreprenait. Il s’est dit préoccupé par le fait qu’elle ne convenait pas au poste.
[6] Après avoir assumé pendant six jours les fonctions de commis à l’information, Mme Bayrock a été licenciée le 16 juin 2017.
II. QUESTIONS EN LITIGE
[7] Mme Bayrock demande au Tribunal de déterminer :
1) si elle a été victime de discrimination dans son emploi, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H -6 (la « Loi » ou la « LCDP »);
2) si elle a été victime de harcèlement dans le cadre de son emploi, au sens de la Loi;
3) si l’intimé s’est livré à de la discrimination systémique fondée sur la déficience.
[8] Les questions susmentionnées étaient au cœur de l’audience et de la preuve présentée au Tribunal. Mme Bayrock demande également au Tribunal de se prononcer sur un certain nombre d’autres questions. Celles-ci seront évaluées sous la rubrique « Allégations connexes »
.
III. DÉCISION
[9] Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’allégation de Mme Bayrock selon laquelle elle a été victime de discrimination en matière d’emploi en raison de sa déficience est fondée. Toutefois, je rejette les autres allégations de Mme Bayrock.
IV. ANALYSE
[10] Mme Bayrock allègue avoir été victime de discrimination en matière d’emploi fondée sur la déficience au sens de l’article 7 de la Loi. Le critère permettant de déterminer l’existence de discrimination est bien établi. Tout d’abord, il incombe au plaignant de prouver l’existence de discrimination prima facie. L’intimé peut, s’il choisit de le faire, présenter des éléments de preuve réfutant l’allégation de discrimination prima facie. Si le plaignant établit qu’il y a discrimination prima facie, l’intimé a alors le fardeau de justifier sa décision ou sa conduite en invoquant les exemptions prévues par la Loi ou celles développées par la jurisprudence. Voir, par exemple, la décision Christoforou c. John Grant Haulage Ltd., 2020 TCDP 33 (CanLII) [Christoforou] aux paragraphes 60 à 66, pour un résumé de la jurisprudence principale.
A. DISCRIMINATION AU SENS DE L’ARTICLE 7
(i) IL Y A DISCRIMINATION PRIMA FACIE
[11] Une preuve prima facie de discrimination est « […] celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de [l’intimé] »
(Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, 1985 CanLII 18 (CSC), au par. 28).
[12] Mme Bayrock doit s’acquitter du fardeau qui lui incombe selon la norme de la prépondérance des probabilités (Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 [Bombardier], au par. 65).
[13] Pour établir s’il y a discrimination prima facie, la plaignante doit démontrer qu’il est plus probable que le contraire (c’est-à-dire selon la prépondérance des probabilités) qu’elle satisfait aux trois volets du critère suivant : qu’elle possède une caractéristique protégée par la Loi contre la discrimination, qu’elle a subi un effet préjudiciable relativement à l’emploi et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable (Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61).
[14] L’intimé reconnaît que Mme Bayrock souffrait d’une déficience et qu’elle a subi un effet préjudiciable relativement à son emploi lorsqu’elle a été licenciée. Le seul différend entre les parties en ce qui a trait au fardeau de preuve prima facie qui incombe à la plaignante est donc de savoir si la déficience de Mme Bayrock a constitué un facteur dans son licenciement.
[15] Il est important de noter qu’il n’est pas nécessaire que le licenciement soit uniquement motivé par des considérations discriminatoires. Il suffit à la plaignante de prouver l’existence d’un lien entre un motif de distinction illicite et l’effet préjudiciable subi, même si d’autres facteurs étaient en jeu (voir l’arrêt Bombardier, aux par. 44 à 52); voir aussi la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2, au par. 25, et l’arrêt Holden v. Canadian National Railway, (1991) 1990 CanLII 12529 (CAF), 14 CHRR D/12 (CAF), au par. 7).
[16] De même, il n’est pas nécessaire que Mme Bayrock démontre que l’intimé avait l’intention de commettre des actes discriminatoires.
[17] L’intimé soutient que le licenciement de Mme Bayrock n’était pas lié à sa déficience. Il soutient plutôt que c’est uniquement en raison du mauvais rendement de Mme Bayrock qu’elle a été licenciée, et souligne l’incapacité de cette dernière à remplir de manière satisfaisante la fonction essentielle de son emploi, à savoir la transmission d’information.
[18] La transmission d’information est le processus par lequel l’intimé communique au délinquant de l’information à son sujet qui est susceptible d’être utilisée pour prendre des décisions à son égard. Cette communication (ou transmission d’information) est une obligation légale de la part de l’intimé. Tout retard dans la communication des renseignements nécessaires à un détenu peut entraîner le report ou l’ajournement de son audience de libération conditionnelle. Les retards dans les audiences de libération conditionnelle empêchent l’intimé de s’acquitter de son obligation de veiller à ce que les délinquants soient libérés dès que possible.
[19] L’intimé a fait valoir qu’au moment où elle a été licenciée, Mme Bayrock n’était tenue que de transmettre de l’information et qu’elle a été licenciée parce qu’elle n’était pas en mesure de s’acquitter de cette tâche de manière satisfaisante. L’intimé soutient qu’étant donné que les lacunes dans la transmission d’information peuvent avoir des conséquences juridiques graves et directes, puisqu’elles peuvent entraîner la libération tardive d’un détenu, les erreurs de Mme Bayrock à cet égard ne sauraient être tolérées. Selon M. Tuck, aucun compromis ne peut être fait à l’égard de l’excellence.
[20] Interrogé quant à savoir s’il y avait eu des reports ou des ajournements d’audiences de libération conditionnelle en raison de lacunes sur le plan de la transmission d’information de la part de Mme Bayrock, M. Tuck a admis qu’il ne croyait pas qu’il y en ait eu. Il a déclaré que cette situation s’expliquait par le fait que les agents de libération conditionnelle étaient en fin de compte responsables de la transmission d’information et qu’ils supervisaient donc le processus, mais a ajouté qu’il avait entendu des agents de libération conditionnelle dire qu’ils devaient corriger des lacunes et des erreurs dans le travail de Mme Bayrock.
[21] Cependant, l’intimé n’a fourni aucun élément de preuve pour étayer son affirmation en dehors du témoignage de M. Tuck, comme des courriels faisant état de ces préoccupations, ou des témoignages d’agents de libération conditionnelle eux-mêmes. Si les lacunes en matière de transmission d’information avaient été la seule raison du licenciement, comme l’a déclaré l’intimé, je me serais attendue à ce que davantage d’éléments de preuve soient produits à cet égard.
[22] Il est également révélateur que dans la chaîne de courriels entre M. Tuck et Mme Tara Leipert (également gestionnaire à l’établissement), avec copie à Mme Willard, la superviseure de M. Tuck, le 8 juin 2017 (quelques jours avant le licenciement de Mme Bayrock), il ne soit pas fait mention du fait que Mme Bayrock n’effectuait pas correctement les tâches de transmission d’information. M. Tuck s’inquiète plutôt du fait que Mme Bayrock pourrait [traduction] « ne pas convenir »
au poste et — sur la base de son courriel (par opposition à son rendement réel) — qu’ils allaient [traduction] « souffrir en raison de sa (ses) proposition(s) »
. Interrogé au cours de l’audience sur ce qu’il entendait par là, M. Tuck a indiqué qu’il voulait dire que le travail en souffrirait. Selon moi, cette réponse indique qu’il n’y avait pas de préoccupation définitive concernant le travail le 8 juin 2017 ou avant, mais plutôt une préoccupation quant à l’éventualité de problèmes à l’avenir.
[23] Dans sa réponse, Mme Leipert écrit qu’elle n’apprécie pas le [traduction] « ton et le langage »
du courriel de Mme Bayrock, particulièrement en ce qui concerne les allégations selon lesquelles les pratiques de la prédécesseure de Mme Bayrock étaient inefficaces.
[24] Ni l’un ni l’autre gestionnaire n’a fait mention de problèmes de rendement précis, notamment en ce qui concerne les tâches de transmission d’information assumées par Mme Bayrock. Cette dernière affirme avoir été licenciée parce que l’intimé voulait un travailleur à temps plein, ou du moins un travailleur capable d’accomplir une charge de travail à temps plein, indépendamment des heures effectivement travaillées. Elle fait valoir que son rendement jugé médiocre est donc directement lié à son incapacité à travailler à temps plein ou à accomplir une charge de travail à temps plein, en raison de sa déficience. Elle soutient que sa charge de travail n’a jamais été modifiée de la manière indiquée par l’intimé, c’est-à-dire qu’elle était tenue d’accomplir seulement les tâches essentielles de transmission d’information. Pour les motifs précisés dans la section des présentes traitant de la question de savoir si l’intimé a été en mesure de démontrer l’existence d’exigences professionnelles justifiées, j’accepte le témoignage de Mme Bayrock à cet égard.
[25] Ma conclusion selon laquelle le licenciement était lié à la déficience de Mme Bayrock est également étayée par la manière dont le licenciement a eu lieu. Mme Bayrock a déclaré qu’on lui avait dit, lors de la réunion organisée pour lui annoncer son licenciement, que l’intimé devait trouver quelqu’un qui était en mesure de travailler à temps plein. Elle n’a pas été informée que son licenciement était dû à un mauvais rendement. J’estime que le témoignage de Mme Bayrock à cet égard est crédible et non contredit. Mme Willard était présente à ce moment-là, mais elle a admis en contre-interrogatoire qu’elle ne se souvenait pas de cette conversation. Mme Bayrock, cependant, se souvient parfaitement de l’événement.
[26] Mme Bayrock a également déclaré que personne ne lui avait mentionné les erreurs commises dans son travail dans les jours précédant son licenciement, et son témoignage à cet égard n’a pas été contredit par d’autres éléments de preuve au dossier. Par exemple, aucun compte rendu de réunion ou courriel adressé à Mme Bayrock pour lui signaler qu’elle commettait des erreurs dans le processus de transmission d’information n’a été présenté au Tribunal. J’estime que le témoignage de Mme Bayrock est crédible.
[27] L’argument de Mme Bayrock selon lequel son incapacité à travailler à temps plein a contribué à son licenciement est également conforme à l’attitude générale de l’intimé dans ses échanges avec elle. Un courriel entre M. Tuck et Mme Popiwchak, daté du 13 février 2017 (avant l’embauche), résume un appel téléphonique entre M. Tuck et Mme Bayrock. Dans ce courriel, M. Tuck écrit ceci [traduction] : « Il semble qu’elle va demander un horaire de travail plutôt réduit […] Maria, je m’en remets à toi pour savoir si ça répondra à nos besoins, puisque tu connais bien son travail et que tu peux donner ton avis sur ce à quoi nous pouvons nous attendre […] Elle a indiqué environ 22,5 heures par semaine […] Je suppose qu’un peu c’est mieux que rien du tout, si nous en arrivons là. Ça alors […] »
[28] Ce courriel illustre une première opposition à l’idée que Mme Bayrock puisse exercer ses fonctions de commis à l’information avec des heures réduites. Ce sentiment est repris dans un certain nombre d’autres correspondances, telles que la correspondance susmentionnée du 7 juin 2017 entre M. Tuck et Mme Leipert, dans laquelle M. Tuck écrit que Mme Bayrock pourrait ne pas convenir au poste et souligne qu’il semble que [traduction] « nous essayons de faire d’un litre un gallon […] et cela nous laisse bien en deçà du seuil de rendement dont nous avons besoin »
.
[29] Bien que je comprenne que l’intimé se soit senti justifié de licencier Mme Bayrock parce qu’il considérait que son rendement était insuffisant, je crois que la perception de l’intimé selon laquelle le rendement de Mme Bayrock était médiocre était partiellement liée au fait qu’elle n’était pas en mesure de travailler à temps plein et, par conséquent, d’accomplir le travail exigé d’un travailleur à temps plein. Ayant souligné que la déficience de Mme Bayrock n’a pas à être la seule raison du licenciement et conclu que celui-ci était lié (au moins en partie) à sa déficience, j’estime que cette dernière constituait au moins un facteur dans la décision de la licencier.
[30] Par conséquent, la plaignante a réussi à établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination. Je me tournerai maintenant vers la justification ou l’explication de l’intimé.
(ii) L’INTIMÉ N’A PAS ÉTÉ EN MESURE DE DÉMONTRER DES EXIGENCES PROFESSIONNELLES JUSTIFIÉES
[31] Comme Mme Bayrock a établi une preuve prima facie de discrimination, l’intimé doit maintenant démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que la norme ou la politique qu’il a établie était fondée sur une exigence professionnelle justifiée, conformément à l’article 15(1)a) de la Loi. Si l’intimé n’y parvient pas, le Tribunal conclura à l’existence de la discrimination.
[32] Selon la Cour suprême dans l’arrêt Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, 1999 CanLII 652 (CSC) [Meiorin], au paragraphe 54, pour établir une exigence professionnelle justifiée, l’intimé doit démontrer :
(1) [qu’il] a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;
(2) [qu’il] a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;
(3) que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. En l’espèce, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec l’employée sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.
[33] Dans la présente affaire, l’intimé a adopté une norme qui exige que la transmission d’information (ce qui est décrit comme la [traduction] « tâche essentielle »
du poste) soit effectuée avec une grande compétence, avec peu ou pas d’erreurs.
[34] Je reconnais que l’employeur a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause. L’intimé a démontré que la transmission d’information est essentielle pour assurer le bon fonctionnement des audiences de libération conditionnelle. Les erreurs ou les retards dans la transmission d’information peuvent avoir une incidence sur la programmation des audiences de libération conditionnelle, et donc sur l’obligation de l’intimé de veiller à ce que les délinquants soient libérés le plus tôt possible.
[35] L’importance de la transmission d’information et le caractère essentiel de cette tâche dans le poste que Mme Bayrock a assumé ne sont pas contestés. L’accomplissement de cette tâche avec compétence est rationnellement lié à l’exécution du travail.
[36] Je reconnais également que l’employeur a adopté la norme en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. L’intimé avait l’obligation légale de s’assurer qu’il respectait le droit d’un délinquant à une audience de libération conditionnelle, ce qui incluait le droit à la communication de renseignements susceptibles d’être utilisés pour prendre une décision lors de cette audience.
[37] La présente affaire porte sur le troisième des critères susmentionnés, à savoir si l’intimé a démontré qu’il ne pouvait pas répondre aux besoins de Mme Bayrock sans subir une contrainte excessive.
[38] Il n’est pas contesté que le premier jour complet de Mme Bayrock dans le poste pour lequel elle a été embauchée (commis à l’information) était le 31 mai 2017. Elle a été licenciée le 16 juin 2017, après seulement six jours d’exercice des fonctions de commis à l’information.
[39] Mme Bayrock admet qu’elle a d’abord cru qu’elle pouvait accomplir l’intégralité des tâches liées au poste de commis à l’information dans le cadre de son horaire de travail réduit. Mme Bayrock a ressenti cette impression alors qu’elle suivait une formation et accomplissait d’autres tâches avant d’assumer concrètement ses fonctions, sa prédécesseure étant restée plus longtemps que prévu dans ce poste. Compte tenu de son expérience en matière de formation et de son expérience antérieure dans un poste similaire au sein d’un autre établissement du SCC, Mme Bayrock croyait être en mesure d’accomplir l’ensemble des tâches liées à son poste, même si elle travaillait selon un horaire réduit.
[40] Selon M. Tuck, en raison de la confiance de Mme Bayrock dans sa capacité à assumer les fonctions du poste, il n’avait pas immédiatement abordé avec celle-ci la question de l’adaptation de la charge de travail ou des tâches en fonction de la réduction des heures de travail, car il estimait que cette démarche était inutile. Il a déclaré qu’étant donné que chaque personne travaillait différemment, il pensait que Mme Bayrock aurait pu être en mesure d’assumer la totalité de la charge de travail de sa prédécesseure, même en travaillant moins d’heures. Il a souligné que Mme Bayrock semblait être très compétente et qu’elle avait elle-même indiqué qu’elle pensait avoir besoin de plus de travail pour occuper son temps.
[41] Cependant, il n’est pas contesté que Mme Bayrock a eu des difficultés lorsqu’elle a réellement pris la place de la personne qu’elle était censée remplacer.
[42] Bien que l’intimé ait initialement pris des mesures d’adaptation à l’égard de Mme Bayrock sur le plan des heures de travail et de la flexibilité de son emploi du temps, il incombait à l’intimé d’ajuster et de réexaminer les besoins en matière d’adaptation au fur et à mesure qu’ils étaient cernés au cours de la relation d’emploi.
[43] J’estime que Mme Bayrock a fait part de son besoin de bénéficier de mesures d’adaptation supplémentaires dans son travail, au-delà des mesures proposées, en demandant spécifiquement que sa charge de travail soit ajustée pour correspondre à la réduction des heures de travail qui lui a été accordée.
[44] Le courriel envoyé par Mme Bayrock à M. Tuck le matin du 7 juin 2017 en est un indicateur clair. Elle a demandé que certaines tâches, telles que les mises à jour de l’affectation des cellules, soient supprimées de sa liste de tâches afin de [traduction] « libérer »
son temps et lui permettre d’accomplir [traduction] « les tâches les plus importantes requises pour ce poste »
.
[45] Mme Bayrock a de nouveau communiqué avec M. Tuck, après les heures de travail, le 7 juin 2017. Dans un courriel intitulé [traduction] « Demande d’aide concernant les attentes du poste »
, Mme Bayrock déclare que, dans son rôle précédent, l’accent était mis sur la transmission d’information, et qu’elle n’a pas d’expérience avec les autres tâches figurant sur la liste des fonctions de sa prédécesseure. Elle a noté que ces tâches prenaient plus de temps que prévu et qu’elle se sentait tiraillée dans plusieurs directions, car chaque tâche était prioritaire pour la personne qui en avait fait la demande. Elle a particulièrement reconnu se sentir [traduction] « dépassée » par les tâches et a déclaré qu’elle [traduction] « ne [pouvait] pas faire un temps plein en 3 jours »
. Le courriel contient les propositions de Mme Bayrock concernant des ajustements qui, selon elle, auraient pu lui permettre d’en faire plus pendant les heures où elle était au travail.
[46] Elle a transmis ce courriel à la supérieure hiérarchique de M. Tuck, Mme Debbie Willard, le 12 juin 2017. Là encore, elle écrit ceci : [traduction] « Je dois savoir à quel égard je peux le mieux aider (c’est-à-dire faire passer les demandes prioritaires d’abord) parce que si l’on attend de moi que je fasse tout ce que [ma prédécesseure] faisait sans aucun ajustement, certaines choses ne seront pas faites »
. Elle a ajouté que, si elle avait d’abord espéré faire tout le travail en trois jours, il s’agissait d’une hypothèse [traduction] « irréaliste »
.
[47] Les courriels de Mme Bayrock n’ont pas été bien reçus par l’intimé. Comme nous le verrons plus loin, les courriels de Mme Bayrock n’ont pas été perçus comme des tentatives d’engager des conversations sur les mesures d’adaptation en cours, mais plutôt comme le fait que Mme Bayrock imposait son point de vue sur la manière dont les choses devraient être faites sur le lieu de travail.
[48] M. Dale a résumé la situation en disant que la quantité de travail que Mme Bayrock devait accomplir était [traduction] « à négocier »
, mais que la manière dont elle devait le faire ne l’était pas. Il a souligné que l’on ne pouvait pas attendre de Mme Bayrock qu’elle soit en mesure de cerner les inefficacités du poste après seulement une courte période de travail, car elle aurait eu besoin de plus de temps pour comprendre pourquoi les choses étaient faites d’une certaine manière. M. Tuck a déclaré que les nouveaux employés ne devaient pas démanteler ou reconfigurer les tâches qui leur étaient assignées parce qu’ils n’en savaient peut-être pas assez pour le faire.
[49] En outre, les propos de M.Tuck s’apparentent à la manière dont Mme Leipert a répondu à ce dernier, après qu’il lui ait transmis le courriel de Mme Bayrock daté du 7 juin 2017. Comme indiqué plus haut dans les présents motifs, Mme Leipert écrit ceci : [traduction] « Je n’apprécie pas le ton et le langage qu’elle emploie dans le courriel pour affirmer que les pratiques [de sa prédécesseure] sont inefficaces et ainsi de suite. Étant donné qu’elle n’a pas encore compris la véritable nature de son travail, il n’est pas approprié de remettre en question ses méthodes ».
Mme Leipert a ensuite mentionné certaines des propositions faites par Mme Bayrock et les différentes raisons pour lesquelles elles ne pouvaient pas être mises en œuvre.
[50] Il est vrai qu’un employé ne peut pas dicter la forme précise que prendront les mesures d’adaptation. L’intimé souligne à juste titre que Mme Bayrock n’avait pas le droit d’insister sur les ajustements qu’elle suggérait d’apporter aux tâches qui lui étaient confiées. L’employé a le devoir d’accepter une mesure d’adaptation raisonnable et ne peut s’attendre à une solution parfaite (Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, 1992 CanLII 81 (CSC), [1992] 2 RCS 970, à la p. 995).
[51] Toutefois, dans la présente affaire, je ne crois pas que l’on puisse reprocher à Mme Bayrock d’avoir essayé de proposer des changements dans sa façon de travailler en l’absence de toute solution proposée par l’intimé à des courriels dans lesquels elle indiquait clairement ses difficultés à accomplir toutes les tâches d’un employé à temps plein, tout en bénéficiant de mesures d’adaptation en raison de sa déficience afin de travailler moins d’heures que celles correspondant à l’emploi à temps plein.
[52] Bien que Mme Bayrock n’ait pas eu le droit d’insister sur les changements qu’elle souhaitait voir apporter à la façon dont elle effectuait son travail, l’intimé avait l’obligation d’aménager, si cela ne lui causait pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail. (Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43).
[53] J’estime que la preuve ne montre pas que cette obligation a été respectée en l’espèce. L’intimé n’a pas participé activement aux conversations concernant d’éventuelles mesures d’adaptation supplémentaires pour la déficience de Mme Bayrock, laissant à cette dernière le soin d’élaborer des réponses à la réduction de ses heures de travail.
[54] Bien que l’intimé soutienne qu’il a pris des mesures d’adaptation à l’égard de Mme Bayrock en supprimant des tâches de ses fonctions, ne laissant que la tâche essentielle de transmission d’information, je suis d’avis qu’il ne l’a pas clairement communiqué à Mme Bayrock. Le témoignage de la plaignante à cet égard était clair lorsqu’elle a déclaré ceci : [traduction] « Je n’avais aucune idée de ce que j’avais le droit de ne pas faire. C’est pourquoi je posais toutes ces questions ».
[55] En effet, comme il est indiqué plus haut, la communication par courriel illustre les efforts continus de Mme Bayrock pour engager des discussions concernant sa charge de travail, sans aucune réponse concrète de la part de l’intimé.
[56] En réponse au courriel initial de Mme Bayrock daté du 7 juin 2017, que j’ai déjà mentionné, M. Tuck a répondu ceci : [traduction] « Je suis convaincu que toutes ces tâches sont nécessaires, sinon nous ne les ferions pas. »
M. Tuck lui a demandé de s’informer auprès de ses collègues sur [traduction] « le comment et le pourquoi »
des tâches, et de demander de l’aide à ces mêmes collègues, qui avaient proposé de donner un coup de main pendant que Mme Bayrock absorbait ses tâches du mieux qu’elle le pouvait.
[57] M. Tuck n’a pas ajusté la charge de travail de Mme Bayrock ni donné d’indications sur les tâches à classer par ordre de priorité. Les tâches n’ont pas été explicitement supprimées de sa description de poste, bien qu’il lui ait été demandé de solliciter l’aide d’autres collègues en cas de besoin.
[58] Après réception du deuxième courriel, le même jour, dans lequel Mme Bayrock exprimait à nouveau son inquiétude de ne pas pouvoir accomplir toutes les tâches qui lui étaient assignées, M. Tuck n’a pas répondu directement.
[59] Au lieu de répondre au courriel faisant état de ses inquiétudes de Mme Bayrock quant à son aptitude à accomplir toutes ses tâches, M. Tuck l’a transmis à sa supérieure hiérarchique, Mme Willard. Dans son courriel à Mme Willard, M. Tuck indique [traduction] « [qu’]il semble qu’elle ait complètement sous-estimé le travail qu’elle entreprenait »
et ajoute que [traduction] « si elle ne convient pas au poste et si nous avons besoin de quelque chose ou de quelqu’un de plus solide […] à en juger par ce courriel, nous allons souffrir en raison de sa (ses) proposition(s) […] Qu’en penses-tu? Je peux en parler au groupe CR pour voir s’il y a moyen de tout couvrir, mais il semble que nous essayons de faire d’un litre un gallon […] et cela nous laisse bien en deçà du seuil de rendement dont nous avons besoin ».
[60] À mon avis, selon le courriel susmentionné, si des mesures d’adaptation potentielles ont été recherchées (c’est-à-dire la répartition de certaines tâches à d’autres personnes pour assurer une couverture complète), elles n’ont jamais été sérieusement envisagées.
[61] Comme il est mentionné plus haut, Mme Bayrock a également écrit un courriel à la supérieure hiérarchique de M. Tuck, Mme Debbie Willard, le 12 juin 2017. Dans son courriel, Mme Bayrock demande de l’aide pour déterminer les priorités.
[62] M. Tuck a mentionné que les communications par courriel ne représentaient qu’une partie de la relation entre lui et Mme Bayrock et n’englobaient pas toutes les conversations qui ont eu lieu. J’accepte cet argument, mais je n’ai reçu aucun élément de preuve en particulier de la part de l’intimé qui me donnerait à penser que les demandes d’adaptation de Mme Bayrock ont été traitées comme telles et qu’elles ont été dûment prises en considération par l’employeur. Rien ne permet de croire que l’intimé ait engagé le dialogue avec la plaignante pour répondre à ses préoccupations, qu’il ait essayé d’élaborer un plan ou qu’il ait proposé des solutions de rechange.
[63] M. Tuck a déclaré que, selon lui, il appartenait à Mme Bayrock d’informer l’intimé de ce qu’elle voulait faire et de ce qu’elle estimait ne pas pouvoir faire pendant les heures où elle était disponible pour travailler. Il a affirmé à certains moments que l’adaptation devait se faire en [traduction] « collaboration »
, mais, en fin de compte, il a semblé imposer à Mme Bayrock le fardeau de déterminer les tâches qu’elle entreprendrait. Il a déclaré, par exemple, qu’il croyait que c’était à Mme Bayrock de dire [traduction] « ce sont des choses que je ferai et que je ferai de manière satisfaisante »
. Il a également déclaré qu’elle avait la [traduction] « plus grande latitude »
pour déterminer les parties de son travail qui seraient effectuées et lesquelles ne le seraient pas.
[64] M. Tuck a déclaré qu’il croyait que son approche, à savoir permettre à Mme Bayrock de diriger le processus d’adaptation, était [traduction] « plus bienveillante »
, car elle permettait à la personne qui demandait l’adaptation, et qui était donc la mieux placée pour parler de ses limitations, de prendre le contrôle du processus. Toutefois, cette approche ne tient pas compte du déséquilibre de pouvoir entre les parties. En fin de compte, Mme Bayrock s’est retrouvée dans l’obligation peu enviable de devoir proposer unilatéralement des mesures potentielles d’adaptation à son travail, sans aucune contribution de son employeur. Les solutions proposées par Mme Bayrock, mais jugées inappropriées par l’intimé, ont été accueillies avec hostilité et ont créé des tensions. L’intimé a abdiqué sa responsabilité de s’engager dans le processus d’adaptation en imposant le fardeau uniquement à Mme Bayrock.
[65] Par exemple, le point de vue de l’intimé selon lequel il s’est engagé dans le processus d’adaptation en demandant à Mme Bayrock de déléguer unilatéralement des tâches à d’autres collègues sans autre directive n’est pas réaliste. Comme l’a fait remarquer Mme Bayrock, ses collègues hésitaient à se charger de ses tâches, car ils avaient leur propre travail à accomplir, et elle n’avait pas l’autorité directe pour les obliger à le faire. De même, il n’est pas possible d’exiger de Mme Bayrock qu’elle détermine, en posant des questions à ses collègues, les parties les plus importantes de ses fonctions et les fonctions qu’elle peut ignorer. Je suis d’accord avec Mme Bayrock pour dire qu’il n’est pas de la responsabilité des collègues de déterminer pour elle les parties essentielles de ses fonctions ou de lui permettre de se décharger entièrement de certaines tâches.
[66] Selon M. Tuck, des mesures d’adaptation ont finalement été prises, c’est-à-dire que les tâches de Mme Bayrock ont été réduites au point de n’englober que la transmission d’information — considérée comme la tâche essentielle et celle qui devait être accomplie de manière satisfaisante.
[67] Pour sa part, Mme Bayrock a déclaré qu’elle n’avait pas compris que des tâches lui avaient été retirées au point qu’elle ne devait plus s’occuper que de la transmission d’information. Elle a souligné que, bien que sa charge de travail ait été allégée par d’autres collègues qui ont repris certaines tâches, elle ne croyait pas qu’il s’agissait d’un transfert général de fonctions. Elle pensait plutôt qu’elle dépendait de la bonne volonté d’autres collègues pour se débarrasser du travail qu’elle n’était pas en mesure d’accomplir. Elle ne croyait pas avoir le pouvoir de dire à son employeur quelles parties de son travail elle se sentait capable d’accomplir et lesquelles elle était autorisée à ignorer complètement. En raison de cette situation, Mme Bayrock s’est retrouvée dans une position où elle ne savait pas ce qu’elle devait faire et ce dont elle n’était pas responsable.
[68] Selon moi, Mme Bayrock n’a jamais été informée qu’elle pouvait simplement choisir les parties de son travail à effectuer, et qu’en fin de compte elle n’était tenue qu’à la transmission d’information. Si tel avait été le cas, je ne crois pas que Mme Bayrock aurait continué à suggérer des moyens d’adapter son rôle pour lui permettre d’accomplir davantage de tâches pendant ses heures de travail.
[69] Bien que le Tribunal soit conscient qu’il n’existe pas de droit procédural distinct à des mesures d’adaptation pouvant donner lieu à une réparation, la procédure utilisée par l’employeur est un élément important à prendre en considération. Le Tribunal s’appuie sur la décision Canada (Procureur général) c. Cruden (2013 CF 520), où la Cour fédérale indique ce qui suit au paragraphe 70 :
[70] [...] [S]i un employeur n’a effectué aucune analyse sur la prise de mesures d’accommodement possibles ou n’a pas cherché à accorder de telles mesures lors de la présentation d’une demande en ce sens par un employé, il lui sera probablement très difficile de convaincre un tribunal, éléments de preuve à l’appui, qu’il n’aurait pas pu fournir de mesures d’accommodement à l’employé sans subir une contrainte excessive. [...]
[70] En l’espèce, je ne suis pas d’avis que l’intimé se soit acquitté de son fardeau de prouver que Mme Bayrock n’aurait pas pu bénéficier de mesures d’adaptation sans qu’il subisse de contrainte excessive. Bien que le Tribunal soit conscient de l’importance des tâches confiées à Mme Bayrock pour le bon fonctionnement du système d’audience de libération conditionnelle, l’intimé n’est pas pour autant dispensé de son obligation de prendre au moins en considération les multiples demandes d’adaptation formulées par Mme Bayrock.
[71] J’accepte donc l’allégation de Mme Bayrock selon laquelle l’intimé a fait preuve de discrimination à son égard.
B. HARCÈLEMENT
[72] Suivant l’alinéa 14(1)c) de la Loi, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu en matière d’emploi. Dans son exposé des précisions et tout au long de l’audience, Mme Bayrock s’est dite victime de harcèlement de la part de sa prédécesseure.
[73] Si le harcèlement n’est pas défini dans la Loi, comme il est souligné dans la décision Duverger c. 2553-4330 Québec Inc.(Aéropro), 2019 TCDP 18 (CanLII) [Aéropro], le Tribunal a toutefois adopté souvent l’analyse élaborée dans la décision Morin c. Canada (Procureur général), 2005 TCDP 41 [Morin], au paragraphe 246. J’adopte également l’analyse suivante de la décision Morin :
[246] Le harcèlement jugé illicite aux termes de la Loi a été défini de façon générale comme une conduite non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour la victime (Janzen c. Platy Enterprises Ltd. [1989] 1 R.C.S. 1252, à la p. 1284; Rampersadsingh c. Wignall (no 2) (2002), 45 C.H.R.R. D/237, au par. 40 (T.C.D.P.)). Dans Canada (RHC) c. Canada (Forces armées) et Franke, [1999] 3 C.F. 653, aux par. 29 à 50 (C.F., 1re inst.) (« Franke »), la juge Tremblay-Lamer définit le critère servant à déterminer s’il y a harcèlement aux termes de la Loi. Pour établir le bien-fondé d’une plainte, il faut prouver ce qui suit :
-
Il faut montrer que la présumée conduite de la partie intimée est liée au motif de distinction illicite invoqué dans la plainte (en l’espèce, la couleur du plaignant). Cette démonstration doit être fondée sur la norme de la personne raisonnable dans les circonstances entourant l’affaire, en gardant à l’esprit les normes de la société.
-
Il faut prouver que les actes jugés répréhensibles étaient importuns. Afin de déterminer s’il s’agissait d’actes importuns, on tient compte de la réaction de la partie plaignante au moment où les présumés incidents de harcèlement se sont produits et on détermine si celle-ci a expressément montré, par son comportement, que la conduite reprochée était importune. Il n’est pas nécessaire dans tous les cas de déterminer si un refus verbal a été exprimé; le fait d’omettre à maintes reprises de répondre aux commentaires de l’auteur du harcèlement constitue pour ce dernier une indication que sa conduite était importune. La norme à appliquer en vue d’apprécier la conduite est celle de la personne raisonnable dans les mêmes circonstances.
-
Pour qu’il y ait harcèlement, il faut habituellement la présence d’un élément de persistance ou de répétition; toutefois, dans certaines circonstances, un seul incident peut suffire à créer un milieu de travail hostile. Ainsi, une seule agression physique peut être suffisamment grave pour constituer du harcèlement, mais une plaisanterie vulgaire, même si elle est de mauvais goût, ne suffira généralement pas pour constituer du harcèlement, étant donné qu’elle est moins susceptible, à elle seule, de créer un milieu de travail défavorable. On se fonde également sur le critère objectif de la personne raisonnable pour évaluer cet élément.
-
Enfin, si un employeur fait l’objet d’une plainte ayant trait à la conduite d’un ou de plusieurs de ses employés, comme c’est le cas en l’espèce, l’équité exige que la victime du harcèlement avise, si possible, l’employeur de la présumée conduite offensante. Cette exigence existe lorsqu’il y a chez l’employeur un service du personnel ainsi qu’une politique générale et véritable en matière de harcèlement sexuel, y compris des mécanismes de redressement appropriés.
[74] En résumé, il est nécessaire d’établir si le comportement ou la conduite dont se plaint Mme Bayrock était lié à un motif de distinction illicite, non sollicité et importun, et suffisamment persistant ou grave pour créer un environnement de travail hostile ou négatif portant atteinte à sa dignité. Mme Bayrock doit établir qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle ait été harcelée en raison de sa déficience. La preuve doit toujours être « claire et convaincante »
pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. (F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53 (CanLII), au par. 46).
[75] Mme Bayrock affirme que sa prédécesseure l’a harcelée en ne lui donnant pas suffisamment d’occasions d’apprendre à connaître les exigences du poste pendant la période de formation. Elle affirme également que sa prédécesseure lui a donné des instructions inappropriées et lui a confié des tâches qu’elle savait qu’elle ne pourrait pas accomplir, afin de mettre Mme Bayrock en situation d’échec. Elle affirme en outre que sa prédécesseure l’a dénigrée dans des courriels, en déclarant par exemple que Mme Bayrock ne prêtait pas attention aux instructions et en insinuant qu’elle n’accomplissait pas les tâches qu’elle devait assumer. Dans un courriel sur lequel Mme Bayrock s’appuie pour étayer son allégation de harcèlement, sa prédécesseure la qualifie sarcastiquement de [traduction] « vedette »
avant de critiquer son travail.
[76] Pour conclure à l’existence de harcèlement, je dois conclure que le traitement réservé à Mme Bayrock était lié d’une manière ou d’une autre à sa déficience.
[77] En l’espèce, je n’estime pas disposer de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le traitement subi par Mme Bayrock était lié à sa déficience. Au contraire, pour les motifs qui suivent, j’estime que le traitement s’inscrivait dans le cadre d’un conflit de travail, sans rapport avec la déficience.
[78] La prédécesseure de Mme Bayrock ne savait pas qu’elle souffrait d’une déficience. Bien que cette question ne soit pas déterminante, la déficience de Mme Bayrock n’a été mentionnée, même indirectement, dans aucune des communications.
[79] Dans son témoignage, M. Tuck a reconnu que la prédécesseure de Mme Bayrock avait [traduction] « un style direct »
de communication qui pouvait être mal interprété. Mme Bayrock a également admis que sa prédécesseure avait des difficultés en matière de relations interpersonnelles. Le dossier contient de nombreux éléments de preuve démontrant que le style de communication direct ou abrupt de la prédécesseure de Mme Bayrock était bien connu. Par exemple, dans son courriel à Mme Leipert, M. Tuck déclare ceci : [traduction] « Je comprends que Marlene soit une mauvaise formatrice et qu’elle n’ait probablement pas facilité les choses à cet égard »
. Dans sa réponse au courriel, Mme Leipert confirme que [traduction] « Marlene a des problèmes interpersonnels, sans aucun doute, mais elle a essayé de former Yaro […] »
. Au vu de ces éléments de preuve, il apparaît que la prédécesseure de Mme Bayrock était connue pour être brusque dans ses relations avec ses collègues. Il apparaît ainsi que la manière dont elle a abordé Mme Bayrock était conforme à son style général, ce qui porte à croire que le traitement n’était pas lié à la déficience de celle-ci.
[80] En outre, le traitement allégué (qualifier Mme Bayrock de « vedette »
de manière sarcastique, par exemple, et se plaindre d’un travail laissé inachevé) s’inscrivait dans le cadre d’un va-et-vient général entre Mme Bayrock et sa prédécesseure. Dans ce contexte, Mme Bayrock s’est plainte auprès de son supérieur hiérarchique de ses interactions avec sa prédécesseure et a également présenté ses doléances directement à sa prédécesseure. Les reproches formulés par Mme Bayrock à l’égard de sa prédécesseure dans ces courriels (par exemple, être quelqu’un qui se moque des personnes avec lesquelles elle travaille et qui a recours à des pratiques qui constituent une mauvaise utilisation des ressources) adoptent un ton similaire à celui utilisé par sa prédécesseure pour parler d’elle. Les deux femmes étaient frustrées l’une par l’autre et l’ont fait savoir. Je suis d’accord avec l’intimé pour dire que rien ne permet au Tribunal de penser qu’il s’agit d’autre chose que d’un conflit interpersonnel entre collègues, sans rapport avec la déficience de Mme Bayrock.
[81] Je rejette donc l’allégation de Mme Bayrock fondée sur l’alinéa 14(1)c) de la Loi.
C. DISCRIMINATION SYSTÉMIQUE
[82] Mme Bayrock affirme que l’intimé se livre à de la discrimination systémique à l’encontre des personnes handicapées qui ne peuvent pas travailler à temps plein en n’affichant pas d’offres d’emploi à temps partiel et en excluant plus généralement les personnes qui doivent travailler à temps partiel.
[83] L’article 10 de la Loi traite de la discrimination systémique (Emmett c. Agence du revenu du Canada, 2018 TCDP 23 [Emmett], aux par. 69 à 70). Aux termes de l’alinéa 10a) de la Loi, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite.
[84] Mme Bayrock doit donc établir, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé a appliqué des lignes de conduite qui étaient susceptibles d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement de personnes handicapées (Emmett, au par. 71).
[85] Comme dans tous les cas de discrimination, une preuve directe de discrimination n’est pas forcément nécessaire. Le Tribunal doit tenir compte de l’ensemble des circonstances de la plainte afin de déterminer s’il existe de subtiles odeurs de discrimination. Comme il a été mentionné dans la décision Aéropro, au paragraphe17 :
Le Tribunal peut ainsi tirer des inférences à partir d’une preuve circonstancielle lorsque la preuve présentée au soutien des allégations rend une telle inférence plus probable que les autres inférences ou hypothèses possibles (voir Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP)). Cela dit, la preuve circonstancielle doit demeurer tangiblement liée à la décision ou la conduite reprochée à l’intimée (voir Bombardier, au para. 88).
[86] Selon la preuve non contestée de l’intimé, la nature des heures de travail (temps plein ou temps partiel) n’est pas du tout publiée lorsqu’un emploi est affiché. Bien que l’intimé ait indiqué qu’il partait du principe que le poste nécessiterait des heures de travail à temps plein (car la plupart des employés recherchent le revenu d’un travail à temps plein, ce qui coïncide également avec les besoins de l’intimé), si un travailleur révèle, au cours du processus d’entrevue ou d’embauche, qu’il a besoin de travailler à temps partiel en raison d’une déficience, l’intimé envisagerait des mesures d’adaptation.
[87] Mme Bayrock laisse entendre que l’intimé prive d’occasions d’emploi les personnes qui doivent travailler à temps partiel en raison de leur déficience. Elle précise que dans les cas où de telles personnes indiquent qu’elles ont besoin d’un emploi à temps partiel, leur candidature n’est pas retenue.
[88] Mme Bayrock signale, à l’appui, le fait qu’on ne lui a pas proposé les emplois pour lesquels elle avait postulé dans le passé, ce qui, selon elle, était dû à sa déficience et à son besoin de travailler à temps partiel. À titre d’exemple, Mme Bayrock a fourni un courriel dans lequel elle était informée qu’on envisageait sa candidature pour un poste chez l’intimé en mai 2021. Mme Bayrock a indiqué qu’elle ne pouvait travailler qu’à temps partiel et s’est renseignée sur les mesures d’adaptation possibles, notamment le travail à temps partiel, la flexibilité de l’heure de début du travail et la possibilité de travailler à domicile. Le directeur intérimaire de l’établissement en question l’a informée qu’il avait épuisé toutes les possibilités de transférer des tâches à d’autres personnes, et qu’en raison de la nécessité d’interagir avec les délinquants sur place, il n’était pas possible de proposer un travail entièrement à distance.
[89] Cependant, Mme Bayrock a réussi à obtenir un emploi auprès de l’intimé au moins à trois occasions, y compris immédiatement après avoir été licenciée de son poste de commis à l’information, à un moment où ses limitations étaient bien connues de l’intimé. Elle a également refusé un poste qu’on envisageait de lui accorder, au motif qu’il nécessitait trop de marche.
[90] Mme Bayrock a également présenté les témoignages de Mme Letendre et de Mme Dubois à titre de personnes pouvant attester des pratiques d’embauche discriminatoires de l’intimé.
[91] Mme Dubois était employée par l’intimé dans le service d’archivage, un service différent de celui duquel Mme Bayrock a été licenciée. Elle a déclaré que la personne qui a remplacé Mme Bayrock a finalement été envoyée au service d’archivage parce qu’elle [traduction] « ne pouvait pas faire le travail »
. Cependant, elle a également admis qu’elle n’avait aucune connaissance directe de ce qui s’était passé avant que la personne ne soit transférée dans son service. Il semble qu’elle ait fait cette supposition en se basant sur son propre point de vue, à savoir que la personne n’était pas très performante dans le service d’archivage. Je n’accorde pas de poids au témoignage de Mme Dubois.
[92] Mme Letendre était également employée par l’intimé. Elle a été la superviseure de Mme Bayrock pendant un certain temps, après son licenciement de son poste de commis à l’information. Mme Letendre reconnaît que Mme Bayrock a bénéficié de mesures d’adaptation dans son poste lorsqu’elle travaillait sous sa supervision et qu’elle a été autorisée à travailler à temps partiel. Mme Letendre a fait remarquer que lorsqu’elle cherchait à pourvoir un poste ou qu’elle participait à des décisions d’embauche, aucune personne (à part Mme Bayrock) n’avait jamais indiqué sa préférence pour un emploi à temps partiel, car [traduction] « la plupart des gens veulent un travail à temps plein »
. J’estime que le témoignage de Mme Letendre ne permet pas à Mme Bayrock d’établir que l’intimé a créé des obstacles pour les personnes dont les déficiences nécessitaient des horaires de travail à temps partiel.
[93] Mme Bayrock a également affirmé que les personnes qui souhaitent travailler à temps partiel ne se voient pas proposer de postes à durée indéterminée, mais sont plutôt reléguées à des emplois occasionnels. Comme il est mentionné ci-après, Mme Bayrock souligne les différences entre les postes occasionnels et les postes à durée indéterminée qui rendent le travail occasionnel moins souhaitable.
[94] Lorsqu’on lui a demandé, au cours du contre-interrogatoire, de quels éléments de preuve elle disposait à l’appui de cette position, Mme Bayrock n’a pas été en mesure de répondre. En fait, Mme Bayrock a reconnu qu’elle avait été approchée au moins une fois pour un poste à durée déterminée, mais qu’elle avait décidé d’opter pour une affectation occasionnelle pour des raisons personnelles.
[95] Compte tenu de toutes les circonstances de la présente affaire, y compris de la preuve circonstancielle fournie par Mme Bayrock, je suis d’avis que les éléments de preuve n’établissent pas l’existence de subtiles odeurs de discrimination systémique, comme il est allégué.
[96] Mme Bayrock affirme que les employés occasionnels ne bénéficient pas des mêmes avantages que les employés à durée déterminée (tels que l’adhésion à un syndicat, l’accès à une pension, l’accumulation d’ancienneté et d’autres avantages) et qu’ils sont limités à 90 jours de travail par année civile (ce qui ne s’applique pas aux employés à durée déterminée). Mme Bayrock soutient qu’il s’agit d’une situation injuste, étant donné que les employés occasionnels et les employés à durée déterminée sont censés effectuer les mêmes tâches. Il n’appartient pas au Tribunal de se prononcer sur l’équité globale des différentes structures d’emploi proposées par l’intimé. J’ai déjà conclu que la preuve n’établissait pas que les employés atteints d’une déficience sont exclus des postes de durée indéterminée. Il n’y a pas de violation de l’article 10 de la Loi s’il n’y a pas de lien entre le comportement contesté et un motif de distinction illicite prévu dans cette même Loi.
[97] Je rejette l’allégation de Mme Bayrock selon laquelle l’intimé aurait contrevenu à l’article 10 de la Loi.
V. ALLÉGATIONS CONNEXES
[98] La plaignante demande également au Tribunal de déterminer si l’intimé a manqué à ses obligations prévues par le Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2) (en la licenciant sans fournir de préavis suffisant ou d’indemnité de départ), et si l’intimé l’a congédiée de façon injustifiée. Dans le même ordre d’idées, Mme Bayrock allègue que des problèmes liés au système de paie Phénix pendant son emploi auprès de l’intimé ont entraîné des retards de paiement et de la souffrance morale. Cependant, le rôle du Tribunal se limite à déterminer s’il y a eu des violations de la Loi. Le Tribunal n’a pas compétence pour trancher ces questions. Toutefois, comme nous l’avons vu plus haut, le Tribunal a largement pris en compte les circonstances du licenciement pour déterminer si Mme Bayrock a subi de la discrimination en matière d’emploi et pour évaluer les dommages-intérêts potentiels qui en découlent.
[99] La plaignante demande au Tribunal de déterminer si l’intimé a manqué à son obligation de prendre des mesures d’adaptation à son égard. Il n’existe pas d’obligation distincte de prendre des mesures d’adaptation. J’ai déjà abordé la question des mesures d’adaptation dans mon analyse visant à évaluer si Mme Bayrock a subi de la discrimination au sens de la Loi.
[100] Mme Bayrock demande également au Tribunal de déterminer si l’intimé l’a diffamée dans sa défense contre ses allégations de discrimination auprès de la Commission canadienne des droits de la personne et du Tribunal même, et pendant la relation d’emploi, y compris au moment de la cessation d’emploi. Je n’ai pas la compétence voulue pour déterminer si Mme Bayrock a été diffamée de manière générale par l’intimé, comme il est indiqué ci‑dessus, mais j’ai examiné les circonstances de la relation d’emploi et de la cessation d’emploi en général dans la mesure où elles sont liées à l’allégation de Mme Bayrock selon laquelle elle a subi de la discrimination en matière d’emploi et à l’évaluation des dommages-intérêts.
[101] En ce qui concerne les déclarations faites devant la Commission et le Tribunal en réponse à la plainte déposée par Mme Bayrock, l’intimé a le droit de présenter une défense complète dans le cadre des procédures en matière de droits de la personne. À mon avis, aucune des déclarations faites par l’intimé ne dépasse le cadre d’une défense complète.
[102] Enfin, Mme Bayrock demande au Tribunal de déterminer si l’intimé l’a humiliée au cours de la procédure de licenciement. Le Tribunal a pris en compte la nature du licenciement pour déterminer s’il y a eu discrimination et pour évaluer les dommages-intérêts.
VI. DOMMAGES-INTÉRÊTS
[103] Mme Bayrock demande des dommages-intérêts au titre de l’alinéa 53(2)e) de la Loi. En vertu de cette disposition, le Tribunal peut ordonner à l’intimé d’indemniser la plaignante jusqu’à concurrence de 20 000 $ pour le préjudice moral subi du fait de la discrimination. Ce type d’ordonnance vise à indemniser la plaignante, dans la mesure du possible, pour le préjudice moral qu’elle a souffert, y compris pour l’atteinte à son droit à la dignité de sa personne. Les considérations principales pour évaluer les dommages-intérêts sont la gravité objective du comportement et l’effet sur la personne en particulier (Christoforou , au par. 16).
[104] En ce qui concerne l’effet sur Mme Bayrock, je reconnais que la discrimination a eu des conséquences importantes pour elle sur le plan émotif. Lors de l’audience, elle était visiblement ébranlée lorsqu’elle s’est souvenue de ce traitement et a déclaré qu’on lui avait donné l’impression qu’elle n’était pas capable d’effectuer le travail. Je reconnais que la discrimination a eu un effet préjudiciable sur son estime de soi.
[105] En ce qui concerne la gravité objective de la conduite, je reconnais que Mme Bayrock n’était pas en poste depuis longtemps chez l’intimé au moment de la discrimination dont elle a été victime. Je reconnais également que Mme Bayrock a bénéficié dans un premier temps de mesures d’adaptation dans le cadre de ses fonctions.
[106] J’estime que la présente affaire s’apparente à l’affaire Closs c. Fulton Forwarders Incorporated and Stephen Fulton, 2012 TCDP 30, que l’intimé a invoquée. Dans cette affaire, un employé à temps partiel depuis un peu moins de deux ans a été victime de discrimination et le Tribunal a reconnu qu’il a par conséquent subi un choc émotionnel. Il s’est vu adjuger 5 000 $ pour préjudice moral.
[107] Je crois que ce montant s’applique en l’espèce. J’adjuge également 5 000 $ à Mme Bayrock pour préjudice moral en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la Loi.
[108] Mme Bayrock demande des dommages-intérêts au titre du paragraphe 53(3) de la Loi. Cette indemnisation est destinée à décourager ceux qui se livrent à de la discrimination inconsidérée ou délibérée. On entend par « acte inconsidéré »
celui qui témoigne d’un mépris ou d’une indifférence quant aux conséquences et d’une manière d’agir téméraire ou insouciante (voir Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2013 CF 113, au par. 155, confirmé par 2014 CAF 110). Il n’est pas nécessaire de conclure que la discrimination a été intentionnelle, et je ne tire pas une telle conclusion. J’estime que l’intimé s’est livré à de la discrimination inconsidérée, car il a agi avec une précipitation excessive et sans tenir compte des conséquences de son acte. Au lieu de tenir compte des suggestions de Mme Bayrock concernant les modifications à apporter à son travail sous l’angle de l’adaptation, on l’a très rapidement considérée comme une personne incapable d’effectuer le travail requis et comme une personne ayant des exigences inappropriées. J’accorde à la plaignante la somme de 2 000 $ en vertu du paragraphe 53(3) de la Loi.
[109] Mme Bayrock a trouvé un emploi auprès de l’intimé presque immédiatement après son licenciement. Elle a travaillé durant la totalité de la période à laquelle un travailleur occasionnel a le droit au cours de cette année civile. Elle n’a donc pas subi de perte de salaire.
[110] Les autres demandes de dommages-intérêts de Mme Bayrock sont rejetées, car elles portent sur des allégations qui n’ont pas été étayées.
[111] Mme Bayrock demande également des intérêts au titre de la Loi. Aux termes du paragraphe 53(4) de la Loi, le Tribunal peut accorder des intérêts dans une ordonnance de paiement d’une indemnité financière :
53…
Intérêts
(4) Sous réserve des règles visées à l’article 48.9, le membre instructeur peut accorder des intérêts sur l’indemnité au taux et pour la période qu’il estime justifiés.
[112] Suivant l’article 46 des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021) (DORS/2021-137), les intérêts accordés au titre du paragraphe 53(4) sont calculés à taux simple équivalent au taux officiel d’escompte fixé par la Banque du Canada.
[113] J’accorde des intérêts calculés à taux simple sur l’indemnité totale accordée à Mme Bayrock, soit 7 000 $, au taux officiel d’escompte applicable fixé par la Banque du Canada, qui courent à compter du 31 mai 2017, soit le premier jour complet où Mme Bayrock a occupé le poste de commis à l’information, jusqu’à la date du paiement.
Signée par
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéro du dossier du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Date et lieu de l’audience :
Vidéoconférence Zoom
Comparutions :
Yaroslava Bayrock, pour
William Kuchapski, pour