Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Le Conseil des Canadiens avec déficiences (le « Conseil ») a demandé l’autorisation de participer à cette affaire et le Tribunal lui a permis de présenter des observations écrites et orales lors de l’audience.

M. Zawilski (le « plaignant ») a une déficience visuelle. Il affirme que les films et les émissions disponibles sur Cogeco Sur Demande ne lui sont pas accessibles en raison de sa déficience.

Les parties étaient d’accord avec la participation du Conseil. Le Tribunal devait donc l’autoriser à participer. Le Tribunal a conclu que l’expertise du Conseil l’aiderait à mieux comprendre les expériences des personnes en situation de handicap. En tant qu’organisme national, le Conseil peut offrir une perspective pouvant enrichir les positions des parties. De plus, il a un intérêt dans l’issue de l’affaire en raison de l’effet que cela pourrait avoir sur les personnes handicapées qu’il représente.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Tribunal's coat of arms

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2025 TCDP 4

Date : Le 27 janvier 2025

Numéro du dossier : HR-DP-2975-23

Entre :

Jan Zawilski

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Cogeco Connexion Inc.

l’intimée

- et -

Le Conseil des Canadiens avec déficiences

l’intervenant

Décision sur requête

Membre : Sarah Churchill-Joly



I. APERÇU

[1] La présente décision porte sur une requête pour agir en qualité d’intervenant.

[2] Le plaignant, Jan Zawilski, a déposé une plainte contre l’intimée, Cogeco Connexion Inc., une société de communications qui offre à ses clients au Québec et en Ontario des services Internet, de vidéo et de téléphonie au moyen de ses réseaux de câbles coaxiaux et de fibre optique à large bande.

[3] M. Zawilski a une déficience visuelle. Il soutient que Cogeco n’a pas adapté l’offre de service de vidéo sur la plateforme Cogeco Sur Demande à sa déficience. Cette plateforme permet à ses clients, comme M. Zawilski, de profiter d’un accès instantané à une vaste sélection de films et d’émissions sur demande. Toutefois, la vidéodescription, à savoir une description orale des principaux éléments visuels de l’émission qui permet à M. Zawilski de suivre le déroulement de celle-ci, y demeure indisponible. M. Zawilski soutient que ce manque le prive, lui et les autres clients de Cogeco Connexion Inc. ayant une déficience visuelle, d’un plein accès aux vidéos sur la plateforme.

[4] Le dossier soulève ainsi des questions quant à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation dans le contexte des services de télécommunication et télédiffusion. Le 16 août 2021, M. Zawilski dépose une plainte de discrimination à l’encontre de l’intimé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission »). Le 14 novembre 2023, la Commission renvoie la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») pour instruction.

[5] Le Conseil des Canadiens avec déficiences (CCD) a demandé au Tribunal de lui accorder la qualité d’intervenant lors de l’instruction.

II. DÉCISION

[6] Le Tribunal accorde la qualité d’intervenant au CCD, conformément aux conditions limitant l’étendue de sa participation qui sont précisées dans la présente décision.

III. QUESTIONS EN LITIGE

[7] Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La qualité d’intervenant devrait-elle être accordée au CCD?
  2. Dans l’affirmative, quelle serait l’étendue de sa participation à l’instruction?

IV. ANALYSE

A. La qualité d’intervenant est accordée au CCD

[8] L’alinéa 48.9(2)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (LCDP) prévoit que : « Le président du Tribunal peut établir des règles de pratique régissant, notamment : […] b) l’adjonction de parties ou d’intervenants à l’affaire ». Les Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021‑137 (les « Règles de pratique ») sont entrées en vigueur le 11 juin 2021.

[9] L’article 27 des Règles de pratique explique la procédure qu’une personne désirant obtenir la qualité d’intervenant auprès du Tribunal doit suivre. Aux termes du paragraphe 27(2), l’avis de requête doit préciser l’assistance que la personne désire apporter à l’instruction et l’étendue de sa participation. Si le Tribunal fait droit à la requête, il précisera l’étendue de la participation de l’intervenant lors de l’instruction (au par. 27(3)). Les Règles de pratique précisent également dans leur définition du mot « personne » que le terme y assimile « l’organisation patronale, l’organisation syndicale et l’entité sans personnalité morale ».

[10] Le plaignant, la Commission et l’intimée ont tous consenti à la requête du CCD visant à obtenir la qualité d’intervenant selon les conditions qu’il propose. L’intimée s’est toutefois réservé le droit de présenter des observations au Tribunal pour circonscrire les interventions du CCD si elle le juge nécessaire.

[11] Lorsqu’il est appelé à trancher une requête faite par une personne cherchant à obtenir la qualité d’intervenant, le Tribunal prend en compte trois critères (Letnes c. Gendarmerie Royale du Canada, 2021 TCDP 30, aux par. 8 à 13 [Letnes]; Liu c. Sécurité publique Canada, 2024 TCDP 14, aux par. 8 et 9), à savoir si :

A) l’expertise de l’éventuel intervenant aiderait le Tribunal;

B) sa participation ajouterait à la position juridique des parties;

C) l’instance pourrait avoir des répercussions sur les intérêts de la partie requérante.

[12] L’analyse ne doit pas être réalisée de manière stricte et automatique; il convient plutôt de procéder au cas par cas, de façon souple et globale (Letnes, aux par. 13 et 18). Dans l’affaire A.B. c. C.D., 2022 CF 1500, au paragraphe 35, la Cour fédérale a confirmé l’emploi de ces critères et de cette approche lors de son contrôle de la décision du Tribunal concernant la qualité d’intervenant du demandeur A.B. au titre de l’article 27 des Règles de pratique.

[13] Par ailleurs, conformément au paragraphe 48.9(1) de la LCDP, pour décider de l’étendue de la participation d’un intervenant, le Tribunal doit tenir compte de sa responsabilité de mener les instances de manière informelle et expéditive tout en respectant les principes de justice naturelle et les règles de pratique (Letnes, au par. 20).

[14] Le Tribunal a statué de manière constante que le fardeau de la preuve repose sur le requérant.

[15] Il a récemment examiné l’application des critères de l’affaire Letnes au CCD dans le cadre d’une autre requête du CCD pour agir en qualité d’intervenant dans l’affaire Lidkea c. Service correctionnel du Canada, 2024 TCDP 91 [Lidkea]. Pour des motifs similaires à ceux de mon collègue, le membre Hadjis, je suis d’avis que le CCD répond aussi à ces trois critères dans ce cas-ci.

[16] Le CCD a déposé un affidavit à l’appui de sa requête. La présidente nationale du CCD l’a signé et y décrit les activités de son organisation.

[17] Le CCD a été fondé en 1976 dans le but de représenter les intérêts des personnes en situation de handicap. Son mandat englobe divers efforts de défense de la justice pour ces personnes afin d’améliorer leurs conditions. En outre, le CCD est composé de plusieurs organisations provinciales et nationales dirigées par des personnes handicapées. Il participe à des travaux d’élaboration de politiques publiques, notamment en soutenant la conception de protections réglementaires assurant un accès à des mesures d’adaptation, en prenant part à des litiges d’intérêt public et en militant pour l’élimination des obstacles discriminatoires. Le CCD a participé à l’adoption de la Loi canadienne sur l’accessibilité, une loi fédérale visant à éliminer les obstacles systémiques à l’accessibilité.

[14] Cette expertise aidera le Tribunal à mieux comprendre les allégations de discrimination et les effets que peuvent subir les personnes en situation de handicap, notamment celles ayant une déficience visuelle, lorsqu’elles n’ont pas un accès égal aux services de télécommunication et télédiffusion, ainsi que les mesures d’adaptation dont elles peuvent avoir besoin.

[18] Le CCD peut contribuer au travail du Tribunal en apportant sa vaste perspective nationale sur les questions d’accessibilité et son expertise sur les réalités historiques et continues vécues par les personnes en situation de handicap, notamment celles ayant une déficience visuelle, en ce qui concerne l’accès aux services de télécommunication et de télédiffusion au Canada. Cette expertise peut s’avérer précieuse pour trancher des questions liées aux mesures d’adaptation et, le cas échéant, aux réparations.

[19] Si le Tribunal devait conclure qu’il y a eu discrimination dans cette affaire, l’expérience du CCD à titre de représentant national sur les questions d’accessibilité lui permettrait d’offrir un apport de valeur et de contribuer aux positions du plaignant et de la Commission quant à leur demande de réparations d’ordre systémique.

[20] Finalement, cette instance pourrait entraîner des répercussions sur les intérêts des personnes qui utilisent les services du CCD. En effet, elle pourrait avoir une incidence sur la jurisprudence touchant les Canadiens en situation de handicap, représentés par le CCD, qui font usage des services de l’intimée. Dans un sens plus large, l’instance pourrait avoir une incidence sur les droits des personnes handicapées aux mesures d’adaptation offertes dans la prestation de services de télécommunication et télédiffusion.

[21] Compte tenu de cette analyse et de l’expertise et de la perspective uniques du CCD, qui ne seraient autrement pas accessibles au Tribunal, je lui accorde la qualité d’intervenant dans cette instance.

B. Conditions de participation du CCD

[22] Le CCD cherche à obtenir l’autorisation, à titre d’intervenant, de soumettre des observations écrites et orales lors de l’audience. Il s’est engagé à travailler avec les parties et le Tribunal afin d’assurer l’efficacité de cette instance. Il veillera à ne pas répéter les arguments déjà avancés et à ne pas causer de retard ni de changement à l’horaire prévu par le Tribunal pour l’audience sur le fond en février. Le CCD se concentrera sur les aspects à l’égard desquels il pourra apporter un point de vue différent et s’engage à respecter tout délai fixé par le Tribunal.

[23] J’estime que ces engagements sont raisonnables.

[24] J’autorise le CCD à soumettre des observations écrites et orales lors de l’audience. Je tiens à préciser que le CCD, bien qu’il n’en ait pas fait la demande, ne pourra pas en revanche interroger ou contre-interroger les témoins ou présenter de preuves lors de l’instance. De plus, similairement aux conditions d’intervention du CCD ordonnées par ce Tribunal dans l’affaire Lidkea, les observations du CCD en l’espèce doivent être limitées aux questions en litige et ne doivent pas aller au-delà des mesures de réparation demandées par les parties.

[25] Le CCD cherche également à obtenir une copie des exposés des précisions des parties ainsi que toutes les informations divulguées dans le cadre de la plainte.

[26] Étant donné que le CCD n’aura pas l’occasion d’interroger ou de contre-interroger les témoins ou de soumettre de preuves lors de l’audience, il ne me semble pas justifié qu’il obtienne une copie de toutes les informations divulguées par les parties en préparation à l’audience, d’autant plus que les parties ont déjà déterminé la preuve qu’elles prévoient d’y présenter.

[27] J’accorde toutefois au CCD l’accès à cette preuve anticipée, ce qui lui permettra de suivre et de participer pleinement au déroulement de l’instruction, selon les conditions prévues dans cette ordonnance.

V. ORDONNANCE

[28] J’ordonne que le CCD soit doté de la qualité d’intervenant, conformément aux conditions suivantes :

  1. Le CCD est autorisé à présenter des observations finales écrites et orales lors de l’audience.
  2. Le plaignant, la Commission et l’intimée sont tenus de fournir au CCD les documents suivants, au plus tard le 29 janvier 2025 :

a. une copie de leur exposé des précisions respectif;

b. une copie de leur preuve anticipée respective.

  1. Les représentants du CCD peuvent observer l’audience, mais ne seront pas autorisés à présenter de preuves, ni à interroger ou contre-interroger les témoins.
  2. Le CCD devra prendre connaissance de toute ordonnance de confidentialité relative à cette plainte et s’y conformer.
  3. Le CCD sera contraint de respecter toute ordonnance du Tribunal applicable aux preuves présentées lors de l’instruction.
  4. Le CCD ne participera à aucune conférence de gestion préparatoire.

Signée par

Sarah Churchill-Joly

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 27 janvier 2025

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier : HR-DP-2975-23

Intitulé de la cause : Jan Zawilski c. Cogeco Connexion Inc.

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 27 janvier 2025

Requête traitée par écrit sans comparution des parties.

Observations écrites par :

Sarah-Claude L’Ecuyer , pour l’intervenant (CCD)

David Taylor, pour le plaignant

Sarah Chênevert-Beaudoin, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Josée Gervais , pour l’intimée

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