Tribunal canadien des droits de la personne
Informations sur la décision
Cette décision sur requête porte sur les renseignements que M. Richards (le « plaignant ») et la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») doivent fournir à Service correctionnel Canada (l’« intimé ») concernant les témoignages de leurs témoins.
L’intimé s’est opposé à deux témoins proposés par le plaignant. Le Tribunal a refusé d’exclure ces témoins, mais a exigé que le plaignant fournisse plus de détails sur leurs témoignages. Il ne suffit pas d’indiquer qu’un témoin parlera de racisme et de discrimination systémique; il faut donner des détails précis sur son témoignage. L’intimé a besoin de bien comprendre avant l’audience ce que les témoins prévoient d'y dire.
Le Tribunal a également souligné que la Commission n’avait fourni aucune information sur les questions qu’elle prévoit de poser à ces témoins. Si elle compte aborder des sujets différents de ceux du plaignant, elle doit le dire.
Contenu de la décision
Tribunal canadien |
|
Canadian Human |
Référence : 2025 TCDP
Date : Le
Numéro des dossiers :
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Entre :
le plaignant
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
l’intimé
Décision sur requête
Membre :
I. APERÇU
[1] Ryan Richards, le plaignant, est un détenu purgeant une peine de ressort fédéral qui s’identifie comme un musulman soufi noir. Il est incarcéré à l’Établissement de Warkworth, un établissement à sécurité moyenne. En termes généraux, M. Richards allègue que le Service correctionnel du Canada (le « SCC »), l’intimé, lui a fait subir de la violence physique excessive, du harcèlement sexuel, des représailles et diverses formes de discrimination et de harcèlement fondées sur des motifs de distinction interreliés, soit le sexe, la religion, la race, la couleur et la déficience. Les nombreux incidents de discrimination individuelle et systémique allégués s’étendent sur plus d’une décennie et auraient eu lieu dans divers établissements correctionnels fédéraux.
[2] M. Richards a déposé quatre plaintes que le Tribunal a regroupées afin de les instruire ensemble, avec le consentement des parties.
[3] M. Richards a déjà témoigné dans le cadre de la présente instance. L’audience doit reprendre le 16 juin 2025, et c’est au cours de celle-ci que les autres témoins de M. Richards seront entendus. La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a également l’intention d’interroger les témoins de M. Richards, selon un tableau qu’elle a fourni à la suite d’une directive du Tribunal exigeant que les parties établissent le temps dont elles estiment avoir besoin pour l’interrogatoire principal de M. Richards, l’interrogatoire de la Commission, le cas échéant, et le contre-interrogatoire du SCC.
[4] M. Richards a fourni une liste de ses témoins et un résumé du témoignage que ceux-ci prévoient donner, mais le SCC s’oppose à deux des témoins, soit Redford Ferrier et Nathaniel Williams. L’article 18 des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137, exige que le plaignant signifie et dépose une liste de tous les témoins, sauf les témoins experts, qu’il a l’intention de citer, ainsi qu’un résumé du témoignage prévu de chacun. Le SCC soutient que les résumés des témoignages fournis par M. Richards ne contiennent pas de faits précis, notamment des détails sur les incidents dont les témoins parleront, les dates des incidents, l’établissement où ils ont eu lieu ou les personnes concernées. Il affirme également que les incidents allégués devraient être limités à la période de 10 ans qui couvre les quatre plaintes de M. Richards.
[5] M. Richards et la Commission ne sont pas d’accord et font valoir que les résumés des témoignages ne sont pas des affidavits, que les témoignages sont manifestement pertinents compte tenu du fait qu’il s’agit d’allégations et de plaintes générales de discrimination systémique et que le SCC a reçu, dès 2022, ces documents ainsi qu’un avis de l’intention de M. Richards de citer ces témoins.
[6] Dans la présente décision, je donne des directives à l’intention de M. Richards et de la Commission exigeant que M. Richards dépose à nouveau les résumés des témoignages que M. Williams et M. Ferrier vont livrer. Comme la Commission ne représente pas M. Richards et qu’elle est une partie distincte représentant l’intérêt public, si elle a l’intention de présenter des éléments de preuve à l’appui de ses allégations, elle doit également détailler ses éléments de preuve, conformément aux directives qui suivent.
II. OBLIGATION DE DÉPOSER DES RÉSUMÉS DES TÉMOIGNAGES PLUS DÉTAILLÉS
[7] J’ai examiné les résumés que M. Richards a fournis des témoignages que M. Williams et M. Ferrier comptent livrer et je trouve qu’ils manquent de détails. À l’heure actuelle, les résumés des témoignages de M. Ferrier et de M. Williams sont insuffisants pour permettre au SCC de préparer équitablement son contre-interrogatoire. Ils contiennent des énoncés généraux sur les allégations de discrimination, mais n’expliquent pas ce que les témoins proposés diront au sujet des incidents précis et n’indiquent pas l’endroit où ces incidents ont eu lieu ni le nom des personnes qui auraient été impliquées.
[8] La présente instance est déjà longue, difficile et porte sur de vastes catégories d’allégations faites dans le cadre de quatre plaintes, qui concernent plusieurs institutions et s’échelonnent sur une décennie. Non seulement les résumés détaillés des témoignages de M. Ferrier et de M. Williams doivent permettre au SCC de se préparer équitablement pour l’audience, mais ils doivent aussi favoriser un processus d’audience efficace. Les déclarations détaillées des témoins permettent au Tribunal de structurer l’audience et, dans les cas appropriés, leur adoption peut remplacer l’interrogatoire principal du témoin. Les déclarations des témoins ne doivent pas se limiter à des sujets généraux, à moins que les parties aient reçu une directive contraire.
[9] De plus, le fait d’alléguer qu’un intimé a fait preuve de discrimination systémique ne libère pas une partie de l’obligation de fournir des détails sur le témoignage qu’elle prévoit rendre. Par exemple, si M. Richards et la Commission allèguent que le SCC a fait preuve de discrimination à l’égard d’autres détenus noirs, ils sont tenus d’indiquer les éléments de preuve qu’ils ont l’intention de présenter à l’appui de ces allégations, y compris les incidents particuliers dont parleront les témoins dans leur témoignage.
[10] Toute partie devrait également savoir ce que son témoin dira à l’audience, et ne pas l’apprendre pour la première fois lors de l’interrogatoire principal. Il ne suffit pas d’énoncer simplement les sujets qui seront abordés, par exemple : « M. X parlera de son expérience du racisme et de la discrimination systémique en tant que détenu »
. Si une partie veut citer un témoin, elle doit savoir ce qu’il a l’intention de dire, et le Tribunal ainsi que les autres parties ne devraient pas le découvrir pour la première fois à l’audience.
[11] M. Richards doit fournir des déclarations de témoins qui exposent les détails importants de ce que le témoin va raconter. Pour ce faire, il devra préciser les incidents particuliers dont ses témoins parleront, y compris le nom des personnes concernées, l’endroit, la date et tout autre fait important.
[12] Il ne s’agit pas d’un examen des allégations de discrimination de M. Ferrier ou de M. Williams. Même si leurs témoignages au sujet de la discrimination alléguée peuvent être pertinents quant aux allégations plus vastes de discrimination systémique soulevée dans la présente affaire, selon les estimations de M. Richards et la Commission, il leur faudrait au total trois heures pour interroger chaque personne. J’examinerai ces estimations après avoir reçu les résumés détaillés des témoignages et j’évaluerai si elles sont raisonnables et si les témoignages prévus s’inscrivent dans la portée des plaintes.
[13] Enfin, bien que M. Ferrier et M. Williams soient des témoins qui seront cités par M. Richards, la Commission a indiqué qu’elle avait l’intention de les interroger elle aussi, pendant une heure chacun. Si la Commission a l’intention d’obtenir de M. Ferrier et de M. Williams des éléments de preuve qui diffèrent de ce que M. Richards a énoncé dans ses résumés, elle doit également fournir son propre résumé de la preuve afin qu’il n’y ait pas de surprises à l’audience et afin d’éviter les retards.
[14] Bien que cette question ait été soulevée parce que le SCC a contesté le caractère suffisant des résumés des témoignages de deux des témoins de M. Richards, le Tribunal examinera la liste des autres témoins ainsi que les estimations lors de la prochaine conférence de gestion préparatoire en vue de déterminer le caractère raisonnable des estimations de temps à la lumière de la généralité de certains des résumés fournis. Il est difficile de justifier l’octroi, à la Commission, d’un nombre d’heures considérable ou équivalant à celui de M. Richard pour interroger les témoins de ce dernier dans le cadre d’un interrogatoire principal sans savoir le type de questions qu’elle a l’intention de leur poser.
III. ORDONNANCE
[15] Au plus tard le 28 février 2025, M. Richards doit déposer des déclarations de témoins pour M. Ferrier et M. Williams, qui détaillent les témoignages que ceux-ci sont censés livrer. Au plus tard à la même date, la Commission doit également fournir un résumé de toute information qu’elle entend obtenir de M. Ferrier et de M. Williams et qui ne figure pas déjà dans le résumé des témoignages déposé par M. Richards.
[16] Si M. Richards et la Commission ne respectent pas ces directives, ils pourraient ne pas être autorisés à interroger ces témoins lors de l’audience.
Signée par
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéros des dossiers du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la