Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Les plaignants, trois policiers d’origine sud-asiatique au service de la Gendarmerie royale du Canada (GRC ou l’« intimée »), soutiennent que celle-ci a fait preuve de discrimination à leur égard dans les processus de promotion entre 2016 et 2019. La GRC ne les aurait pas promus en raison de préjugés raciaux. Le Tribunal a toutefois rejeté leurs plaintes.

Bien que le Tribunal ait reconnu que les plaignants faisaient partie d’un groupe protégé et qu’ils avaient subi un traitement défavorable, il a jugé qu’ils n’avaient pas présenté suffisamment d’éléments de preuves pour prouver que la race avait influencé les décisions en matière de promotion. La preuve reposait en grande partie sur des éléments circonstanciels, mais, selon le Tribunal, une telle preuve devait démontrer que la discrimination était plus probable que toute autre explication. Or, ce critère n’a pas été pas satisfait en l’espèce.

Dans le cadre du processus de promotion de la GRC, les candidats devaient satisfaire à des critères d’emploi précis, réussir un examen et présenter un dossier de candidature. Le Groupe national des promotions a fait une vérification des dossiers de candidature et les officiers hiérarchiques ont ensuite évalué les candidats qui ont réussi cette étape. Après avoir examiné les justifications pour chaque promotion, le Tribunal a conclu que la sélection faite par les officiers hiérarchiques avait été fondée sur des critères raisonnables et non discriminatoires. Parmi ces critères, il y avait le niveau de qualification plus élevé des candidats, leur expérience pertinente et leurs compétences qui correspondaient aux besoins opérationnels d’une unité spécialisée en opérations secrètes à risque élevé. Le Tribunal a précisé que son rôle n’était pas de réévaluer les compétences des candidats, mais de déterminer si le processus était discriminatoire. Il a donc conclu, en se fondant sur la preuve, que la discrimination raciale n’avait pas influencé les décisions de promotion.

Les plaignants ont également soutenu, en citant la sous-représentation d’agents racialisés dans les postes supérieurs de leur unité, que le racisme systémique avait joué un rôle dans le fait qu’ils n’avaient pas été promus. Cependant, le Tribunal n’a relevé aucune preuve établissant un lien entre cette réalité et les décisions des officiers hiérarchiques. Bien que les plaignants aient mentionné avoir fait l’objet de remarques racistes au cours de leur carrière à la GRC, rien n’a permis de conclure que les décideurs avaient agi selon un parti pris ou toléré de tels comportements. Le Tribunal a aussi reconnu les efforts déployés par la GRC pour lutter contre le racisme systémique et promouvoir l’inclusion.

Le Tribunal a examiné la preuve d’expert sur le racisme systémique dans les organismes policiers, mais a jugé qu’elle était peu pertinente à l’égard des promotions en question. En fait, le rapport d’expert ne portait pas directement sur les processus de promotion de la GRC ni sur l’unité en question. Les plaignants ont soutenu que la subjectivité du processus de promotion avait entaché les décisions de préjugés et avait permis aux officiers hiérarchiques d’adapter rétroactivement les critères de sélection en faveur des candidats blancs. Toutefois, le Tribunal a estimé que la subjectivité ne constituait pas en soi une preuve de discrimination. Il a conclu que les officiers hiérarchiques avaient respecté les procédures établies, fourni des justifications raisonnables et utilisé des grilles d’évaluation basées sur le mérite et les besoins opérationnels. Des mesures de protection avaient également été mises en place pour limiter les préjugés potentiels.

De plus, les plaignants ont affirmé que les officiers hiérarchiques n’avaient pas respecté les lignes directrices sur l’équité en matière d’emploi figurant dans une note de service de 2016. Le Tribunal a déterminé qu’il n’était pas obligatoire de suivre ces lignes directrices et qu’il avait été raisonnable de prendre les décisions en fonction des critères de mérite.

En conclusion, bien que les plaignants aient cru sincèrement que leur race avait influencé leur progression de carrière, le Tribunal a jugé que la preuve était insuffisante pour appuyer leurs allégations. Il a aussi estimé que le processus de promotion de la GRC était équitable et intégrait des mesures de protection adéquates pour éviter les préjugés. Il a donc rejeté les plaintes.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2024 TCDP 113

Date : Le 22 octobre 2024

Numéros des dossiers : T2635/1121; T2636/1221; T2637/1321

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

SM, SV et JR

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Gendarmerie royale du Canada

l’intimée

Décision

Membre : Paul Singh



I. INTRODUCTION

[1] Les plaignants, SM, SV et JR, qui sont d’origine sudasiatique et déclarent appartenir à une minorité visible, sont des policiers au service de lintimée, la Gendarmerie royale du Canada (la « GRC »). Chacune de leurs plaintes (les « plaintes ») porte sur le défaut de la GRC de les promouvoir lorsquils travaillaient au sein dune unité de la GRC en Ontario (l’« unité »), ainsi que sur le racisme systémique dont lintimée aurait fait preuve dans les processus de promotion en général au sein de lunité. Les actes en cause, soutiennent-ils, constituent de la discrimination fondée sur la couleur, l’origine nationale ou ethnique ou la race (ensemble, la « race »), en contravention de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP »).

[2] La GRC, qui nie avoir fait preuve de discrimination à l’égard des plaignants dans le cadre des concours de promotion (les « concours ») en cause, ou à tout autre moment, demande le rejet des plaintes.

[3] En février 2021, les plaintes ont été renvoyées au Tribunal pour instruction. Elles ont plus tard été jointes.

[4] L’unité se consacre à des opérations secrètes. En octobre 2021, sur consentement des plaignants, j’ai accueilli la requête de la GRC qui visait à obtenir une vaste ordonnance de confidentialité au motif que la divulgation de renseignements relatifs à l’unité porterait atteinte à la sécurité des policiers, à la sécurité nationale et aux enquêtes de nature délicate (SM, SV et JR c. Gendarmerie royale du Canada, 2021 TCDP 35). L’ordonnance prévoyait l’anonymisation des plaignants et des autres policiers de l’unité ainsi que la non‑divulgation de renseignements relatifs aux opérations de l’unité (les « opérations »), c’est‑à‑dire toute description des opérations ou tout renseignement sur les enquêtes ou les techniques.

[5] En mai 2022, sur consentement des plaignants, j’ai accueilli la requête de la GRC qui visait à disjoindre la question de la responsabilité de celle de la réparation. Le Tribunal allait d’abord se prononcer sur la responsabilité de la GRC, puis sur les mesures de réparation lors d’une audience ultérieure, à supposer que la responsabilité soit reconnue.

[6] En octobre 2023, sur consentement des plaignants, j’ai accueilli la requête déposée par la GRC pour que l’audience se déroule à huis clos (SM, SV et JR c. Gendarmerie royale du Canada, 2023 TCDP 46). J’ai conclu qu’il serait raisonnablement impossible à la fois d’atténuer les risques pour la sécurité des policiers, la sécurité nationale et les enquêtes de nature délicate de la GRC, et de tenir une audience efficace devant le public.

[7] L’audience de 15 jours sur la responsabilité eu égard aux plaintes a pris fin en décembre 2023, et les observations finales ont été présentées en mars 2024. La Commission canadienne des droits de la personne n’a pas pris part à l’audience.

[8] Douze témoins ont été entendus. Je désigne les policiers par leur grade au moment de l’audience. Six personnes ont témoigné pour la partie plaignante : les plaignants, c’est‑à‑dire le caporal JR, le gendarme SM et le sergent SV; deux témoins ordinaires, le sergent d’état-major GS, qui était le superviseur du sergent SV en 2019, et le gendarme TL, membre actuel de l’unité; une témoin experte, Mme Kanika Samuels-Wortley.

[9] Six personnes ont témoigné pour la GRC : l’actuel officier responsable de l’unité, l’inspecteur VM; l’actuelle officière responsable (une civile) du Groupe national des promotions (le « GNP ») de la GRC, Mme Jamie Kenny; les trois précédents officiers responsables de l’unité dont les décisions de promotion sont visées par les plaintes, soit le commissaire adjoint MP, l’inspecteur CM et le surintendant JC; la dirigeante principale des ressources humaines de la GRC, Mme Nadine Huggins.

II. DÉCISION

[10] Les plaintes sont toutes rejetées au motif que les plaignants n’ont pas réussi à prouver que la race avait été un facteur dans les concours en cause.

III. FAITS

[11] Les plaignants affirment tous avoir subi de la discrimination raciale. Le caporal JR affirme qu’il en a été victime en 2016 dans le cadre d’un concours pour le poste de formateur-réviseur au grade de caporal. Le caporal JR et le gendarme SM avancent qu’ils en ont subi en 2018 dans le cadre d’un concours pour le poste de superviseur-enquêteur au grade de caporal. Pour sa part, le sergent SV dit en avoir été victime en 2019 dans un concours pour le grade de sergent d’état-major.

[12] Afin de mettre les plaintes en contexte, voici des informations générales sur l’unité, sur le processus de promotion des sous-officiers de la GRC et sur les témoignages pertinents.

A. L’unité

[13] L’unité se consacre à temps plein à des opérations secrètes et collabore, au besoin, avec d’autres unités secrètes (les « unités connexes ») de la GRC ainsi qu’avec des unités et des organismes non secrets de la GRC.

[14] En majorité, les opérations de l’unité ont trait à des enquêtes sur la sécurité nationale et à des enquêtes internationales de nature délicate. L’unité se compose, par ordre hiérarchique, d’un inspecteur, d’un sergent d’état-major, de trois sergents, de dix caporaux et de quelque 74 gendarmes. Hormis l’inspecteur, qui est un officier breveté, les autres membres de l’unité sont des sous-officiers.

[15] Les gendarmes de l’unité sont surtout chargés des opérations sur le terrain. Ils relèvent de caporaux, qui servent de chefs d’équipe. Les sergents supervisent les caporaux et les opérations de l’unité.

B. Processus de promotion des sous-officiers de la GRC

[16] Les membres réguliers (sous-officiers) de la GRC sont nommés en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10. Le Manuel de la gestion des carrières de la GRC régit le processus de promotion des sous-officiers.

[17] Les bulletins de possibilité de promotion sont affichés sur l’Infoweb de la GRC. Ils contiennent les informations importantes sur le poste, notamment les compétences et la formation requises pour postuler, les noms des experts en la matière qui valideront les compétences et le nom de l’officier hiérarchique ou de la personne déléguée qui sélectionnera le candidat retenu.

[18] Pour poser sa candidature à un grade de sous-officier, il est nécessaire d’obtenir la note de passage à l’exercice de simulation relatif à l’emploi (l’« exercice de simulation ») et de compter le minimum requis d’années de service, c’est-à-dire sept ans pour la promotion de gendarme à caporal, au moins deux ans pour la promotion de caporal à sergent et au moins deux ans pour la promotion de sergent à sergent d’état-major.

[19] Tout candidat doit présenter un dossier de candidature qui contient trois documents : le formulaire qui comprend les renseignements généraux du candidat et une confirmation du soutien du superviseur du candidat; un résumé des compétences donnant deux exemples par compétence fonctionnelle nécessaire; une lettre d’accompagnement expliquant en quoi l’expérience et les compétences s’appliquent au grade visé.

[20] Le candidat doit donc transmettre son dossier de candidature au GNP, qui, après avoir vérifié qu’il est complet, l’achemine à un comité de validation des compétences.

[21] Les deux experts en la matière qui forment le comité de validation étudient les exemples liés aux compétences pour déterminer s’ils satisfont aux exigences minimales énoncées dans le bulletin de possibilité d’emploi.

[22] Les experts en la matière valident les candidatures qui satisfont aux exigences relatives aux compétences. Le candidat n’aura pas à refaire valider ces compétences à ce niveau dans le cadre d’autres concours, même s’il fournit alors de nouveaux exemples dans un autre dossier de candidature.

[23] Lorsqu’ils déterminent que le candidat ne répond pas aux exigences minimales pour une compétence nécessaire, les experts ne valident pas la candidature. Le candidat se voit donner une explication à cet effet, puis sa candidature est retirée.

[24] Si les exemples permettent aux experts en la matière de valider ses compétences, la personne passe à la dernière étape, où l’officier hiérarchique procède à la sélection finale. Au plus sept candidats peuvent se rendre à cette étape. S’il y en a davantage, ce sont ceux dont les résultats à l’exercice de simulation sont les plus élevés qui sont retenus.

[25] L’officier hiérarchique procède à la sélection sur la foi des dossiers de candidature uniquement. Pour ce faire, il peut utiliser sa propre grille de pointage. Il n’y a pas d’entrevue. Puisque le dossier ne contient pas de documents relatifs au rendement (p. ex. des évaluations), ce facteur n’entre donc pas en ligne de compte dans la sélection que fait l’officier hiérarchique.

[26] L’officier hiérarchique a le pouvoir discrétionnaire de choisir le candidat « tout indiqué » pour le poste après examen des candidatures. L’analyse menant à ce choix repose sur différents facteurs, notamment les besoins opérationnels actuels et futurs de l’unité ainsi que les compétences qui manquent au sein de l’unité. Une fois son choix arrêté, l’officier hiérarchique prépare à l’attention des candidats non retenus le formulaire « Justification de la recommandation de l’officier hiérarchique » (la « justification ») dans lequel il explique son choix.

[27] Avant de mettre fin au processus, le GNP prend connaissance de la justification et de toute grille de pointage ou notes préparées par l’officier hiérarchique en appui à sa démarche et vérifie si la justification est suffisamment étoffée pour expliquer son choix. Le GNP vérifie également si les renseignements qui se trouvent dans la justification figurent expressément dans les dossiers de candidature, et ce, pour assurer que l’officier hiérarchique a fondé sa décision uniquement sur les renseignements contenus dans les dossiers, et non sur des renseignements qu’il aurait pu avoir du fait qu’il connaissait personnellement un candidat en dehors du processus de promotion.

[28] Tout candidat peut s’opposer à la participation d’un expert en la matière ou d’un officier hiérarchique nommé dans le bulletin de possibilité d’emploi. Toute opposition doit être notifiée par écrit au GNP, lequel est chargé de déterminer si elle est fondée, et ce, au cas par cas et en fonction de sa nature. Si l’opposition est maintenue, l’expert en la matière ou l’officier hiérarchique visé est remplacé.

C. Éléments de preuve des plaignants

(i) Le caporal JR

[29] Âgé de 48 ans, le caporal JR se déclare indo-canadien; ses parents sont nés au Bangladesh. Après avoir obtenu son diplôme de premier cycle à l’Université Western Ontario, il a décidé de faire carrière à la GRC.

[30] Le caporal JR a terminé sa formation à la Division Dépôt de la GRC en 2000 et commencé sa carrière comme gendarme offrant des services généraux et des services aux Premières Nations en Saskatchewan. Il est ensuite passé à la Sécurité routière. Dans son témoignage, le caporal JR a affirmé qu’à cette époque, il a vécu du racisme et a été l’objet de propos racistes par des personnes du public.

[31] En 2006, le caporal JR a été muté en Ontario et s’est joint à l’unité. Au cours de la décennie suivante, il y a acquis de l’expérience dans divers domaines. Il a obtenu sa certification comme moniteur de formation pratique chargé d’encadrer les recrues de l’unité. En outre, à titre d’instructeur, il a donné plusieurs cours avancés ayant trait aux opérations de l’unité, cours qu’il est allé donner plusieurs fois à l’étranger à des organismes partenaires de la GRC.

[32] Le caporal JR a affirmé avoir manifesté son intérêt à obtenir une promotion au grade de caporal pendant de nombreuses années. Il a déclaré avoir observé, au sein de l’unité, une sous-représentation des personnes visiblement racialisées dans les grades supérieurs et un manque de sensibilité aux questions culturelles dans les opérations de l’unité.

[33] Les évaluations de rendement du caporal JR ont toujours été positives et elles témoignaient de son intérêt à obtenir une promotion au grade de caporal.

[34] Le caporal JR a affirmé que les opérations de l’unité ciblaient principalement les communautés racialisées et que les membres de l’unité travaillaient souvent dans ces communautés. Il a ajouté que les membres blancs tenaient des propos dérogatoires et faisaient des blagues désobligeantes à propos de ces communautés, notamment à propos de leurs pratiques religieuses, de leurs vêtements traditionnels et de leur cuisine. Il a affirmé qu’il lui était également arrivé de faire des blagues inappropriées et d’utiliser des termes désobligeants. Il a fini par reconnaître que ce genre de comportement était déplacé et a donc cessé de se comporter de la sorte.

[35] En 2016, le caporal JR a posé sa candidature au poste de coordonnateur de la formation des caporaux. Il n’a pas été retenu. Le poste a plutôt été offert au caporal MW, un gendarme blanc qui occupait le poste par intérim au moment du concours. Dans la justification que le caporal JR a reçue de la commissaire adjointe MP (l’officier hiérarchique responsable de la sélection dans le cadre de ce processus), il était expliqué que le caporal MW était le candidat tout indiqué notamment parce qu’il avait de l’expérience en matière d’instruction dans les domaines de la lutte contre les incendies, du secourisme et des armes à feu, ainsi que de l’expérience acquise à titre de coordonnateur de la formation par intérim.

[36] Le caporal JR a affirmé qu’il ne comprenait pas comment l’expérience qu’avait le caporal MW en matière d’instruction pouvait l’emporter sur les exemples qu’il avait lui-même fournis, lesquels étaient essentiellement tirés de son expérience au sein de l’unité. Le caporal JR a également déclaré qu’il avait demandé à occuper le poste de coordonnateur de la formation par intérim avant le début du concours, mais que sa demande avait été rejetée parce qu’il n’avait pas encore passé l’exercice de simulation relatif à l’emploi. Or, selon lui, il n’avait jamais été nécessaire de réussir l’exercice de simulation relatif à l’emploi pour occuper un poste par intérim.

[37] En 2017, un an après sa nomination au poste de coordonnateur de la formation, le caporal MW est parti en congé de maladie et le caporal JR a été nommé pour assurer l’intérim. En 2018, alors qu’il exerçait toujours les fonctions par intérim, le caporal JR a décidé de demander une promotion au poste de caporal-chef d’équipe.

[38] Le caporal JR et le gendarme SM ont tous deux posé leur candidature au poste de caporal-chef d’équipe en 2018, mais ils n’ont pas été retenus. C’est plutôt SS, un gendarme blanc, qui a été retenu. Le caporal JR a dit qu’il avait plusieurs années d’ancienneté de plus que le caporal SS et qu’il avait été le moniteur de formation pratique et le mentor du caporal SS lorsque ce dernier en était à ses débuts. Le caporal JR était également le responsable en second de l’équipe du caporal SS, qui lui ne jouait pas un rôle de leader.

[39] Le caporal JR a lu la justification de l’inspecteur CM (l’officier hiérarchique responsable de la sélection dans le cadre de ce processus) et s’est dit étonné de voir que ce dernier s’était surtout intéressé aux compétences du caporal SS en matière d’intervention tactique. Le caporal JR a déclaré que l’unité ne faisait pas d’interventions tactiques puisqu’elle était une unité secrète. Il ne voyait pas en quoi ces compétences rendaient le dossier du caporal SS plus intéressant que le sien, d’autant plus qu’il avait expressément décrit dans son dossier les tâches dont doit s’acquitter quotidiennement le caporal-chef d’équipe.

[40] En novembre 2019, après s’être entretenu avec le gendarme SM et le sergent SV, il a décidé de déposer une plainte pour atteinte aux droits de la personne. Selon son témoignage, lorsqu’il a été promu au poste de caporal-chef d’équipe en 2021, il aurait dû, compte tenu de son expérience et de son ancienneté, se voir décerner un grade bien plus élevé.

(i) Le gendarme SM

[41] Âgé de 59 ans, le gendarme SM se dit d’origine indienne orientale. Il est né au Royaume-Uni et a grandi dans une petite ville de la Colombie-Britannique. Il s’est joint à la GRC après deux ans au sein de la Police provinciale de l’Ontario. Il s’est inscrit à la formation de la Division Dépôt en 1990, s’est joint à l’unité à titre de gendarme en 1991 et détient ce grade depuis 33 ans.

[42] Le gendarme SM a dit avoir passé l’exercice de simulation relatif à l’emploi des caporaux à maintes reprises entre 2000 et 2016 et avoir mené plusieurs enquêtes longues et complexes pour l’unité. Il a agi à titre de moniteur de formation pratique pour les nouveaux membres de l’unité et a été responsable en second de plusieurs caporaux.

[43] Les évaluations de rendement du gendarme SM ont toujours été positives et elles témoignaient de son intérêt soutenu pour une promotion au grade de caporal. Il a déclaré avoir brigué, en vain, une promotion au grade de caporal à plusieurs reprises par le passé.

[44] Le gendarme SM a décrit le racisme qu’il a subi dans l’unité au cours des trente dernières années. Il a notamment été traité de « Paki » dès son premier jour dans l’unité et a entendu des membres blancs faire des commentaires racistes sur les communautés racialisées dans lesquelles ils travaillaient.

[45] Le gendarme SM a affirmé qu’il agissait généralement à titre de responsable en second quand il n’y avait aucune promotion prévue au sein de l’unité. Toutefois, dès qu’un poste de caporal-chef d’équipe était à pourvoir, un gendarme blanc était nommé responsable en second afin qu’il puisse faire valoir l’expérience ainsi acquise dans son dossier de candidature.

[46] Il a déclaré avoir observé, au sein de l’unité, une sous-représentation des personnes visiblement racialisées dans les grades supérieurs et un manque de sensibilité aux questions culturelles dans les opérations de l’unité. Il a fait remarquer qu’encore tout récemment, en 2020, lorsqu’il est parti en congé, des membres visiblement racialisés se faisaient traiter de noms dénigrants dans l’unité.

[47] Le gendarme SM a parlé du dossier de candidature qu’il a présenté en 2018 pour le poste de caporal-chef d’équipe. Il a expliqué en quoi ses exemples de compétence et sa lettre d’accompagnement démontraient qu’il avait les compétences requises pour le poste et qu’il répondait aux critères de promotion. Il a déclaré avoir été convoqué à une réunion dans le bureau de l’inspecteur CM pour discuter du fait qu’il n’avait pas été retenu et que le caporal SS avait été promu. Il a dit s’être senti désemparé et frustré après la réunion et, en juillet 2018, il a décidé de déposer une plainte pour atteinte aux droits de la personne.

[48] Plus tard cette année-là, le gendarme SM a affirmé que la commissaire adjointe de l’époque, Mme Jodie Boudreau, l’avait contacté pour qu’il lui fasse part de ses préoccupations au sujet de l’unité, ce qu’il a fait. Il a précisé avoir également fait part de ses préoccupations en matière de discrimination lors de l’examen de la gestion de l’unité réalisé en 2019, mais que personne n’avait fait un suivi avec lui à ce sujet.

(ii) Le sergent SV

[49] Âgé de 47 ans, le sergent SV se dit d’origine indienne orientale. Il est né à l’Île-du-Prince-Édouard, a obtenu un diplôme de premier cycle en sciences et a par la suite suivi des études de doctorat en chimie avant de quitter le programme pour rejoindre la GRC.

[50] Le sergent SV s’est joint à la GRC en 1999 et a suivi la formation à la Division Dépôt en 2000. De 2000 à 2003, il a offert des services de police généraux au Nouveau-Brunswick avant de se joindre au Carrousel, lequel est chargé de promouvoir l’image de la GRC dans les communautés au Canada et est composé de policiers qui effectuent des figures sur des chevaux. Le sergent SV a suivi une formation en équitation de plusieurs mois avant d’être affecté au Carrousel.

[51] En 2006, après trois années de tournée, le sergent SV a été transféré à l’unité, où il a agi à titre de gendarme jusqu’en 2009. Il a ensuite travaillé dans plusieurs unités connexes, où il a mené des activités secrètes. En 2012, il a été promu au grade de caporal. Puis, en 2016, il a obtenu une promotion, c’est-à-dire qu’il a obtenu le poste de sergent au sein de l’unité, après avoir travaillé dans une unité connexe externe. Il n’a toutefois pas occupé ce poste de manière exclusive, car il était toujours tenu de s’acquitter de toutes les tâches liées à son ancien poste. Le sergent SV a donc été sergent de l’unité pendant six mois avant que son superviseur n’organise son retour dans l’unité connexe.

[52] Le sergent SV a affirmé avoir entendu des commentaires et des blagues racistes au sein de l’unité, notamment des commentaires sur les vêtements, les pratiques religieuses et la cuisine des communautés racialisées. Selon lui, les policiers blancs étaient privilégiés lorsqu’il y avait des possibilités de promotion au sein de l’unité.

[53] Les évaluations de rendement du sergent SV ont toujours été positives et elles témoignaient de son intérêt à obtenir une promotion. En novembre 2019, le sergent SV a cherché à retourner travailler au sein de l’unité, de manière exclusive et à temps plein, et il a posé sa candidature pour le poste de sergent d’état-major de l’unité. Il a parlé en détail du dossier de candidature qu’il a fourni et du fait qu’il pensait être exceptionnellement qualifié pour le poste.

[54] Or, le sergent SV n’a pas été retenu. Le candidat retenu, PL, était un sergent blanc qui avait passé les 17 dernières années au sein de l’unité, où il avait commencé à titre de gendarme. Dans la justification que le sergent SV a reçue du surintendant JC (l’officier hiérarchique responsable de la sélection dans le cadre de ce processus), il était expliqué que le sergent d’état-major devait participer activement aux opérations de l’unité et que le sergent d’état-major PL avait été retenu parce qu’il avait de l’expérience dans ce domaine en plus d’avoir de l’expérience dans ce poste, qu’il avait acquise dans le cadre d’un intérim.

[55] Le sergent SV a affirmé avoir rencontré le surintendant JC pour discuter des résultats du concours et que ce dernier l’avait informé que le dossier de candidature du sergent d’état-major PL était davantage axé sur l’expérience acquise au sein de l’unité alors que le sien témoignait d’une expérience acquise à l’échelle nationale et internationale. Le sergent SV a dit s’être senti perplexe face à la justification et à l’explication du surintendant JC. Il croyait que le poste de sergent d’état-major était un poste de gestionnaire qui ne nécessitait pas de participer activement aux opérations de l’unité. Il pensait aussi avoir bien démontré dans son dossier qu’il avait les compétences et l’expérience nécessaires à la gestion de l’unité. Le sergent SV a fini qu’à déposer une plainte pour atteinte aux droits de la personne en novembre 2019 puisqu’il était d’avis que sa race était une des raisons pour lesquelles il n’avait pas obtenu la promotion.

D. Les témoins des plaignants

[56] Non seulement les plaignants ont témoigné, mais ils ont aussi fait entendre deux autres membres de la GRC (le gendarme TL et le sergent d’état-major GS) et un témoin expert (Mme Kanika Samuels-Wortley).

(i) Le gendarme TL

[57] Le gendarme TL s’est joint à l’unité en septembre 2019. Il a affirmé avoir déposé une plainte pour harcèlement contre un membre de l’unité qui avait fait un commentaire offensant sur les ondes radio. Or, cette plainte a fait l’objet d’un règlement informel grâce au Centre indépendant de résolution du harcèlement. Le gendarme TL a dit que, selon lui, les possibilités de nominations intérimaires n’étaient pas équitablement réparties au sein de l’unité et qu’il y avait du favoritisme.

(ii) Le sergent d’état-major GS

[58] Le sergent d’état-major GS est membre de la GRC depuis 1995. Il était le superviseur du sergent SV dans une unité connexe quand ce dernier a posé sa candidature au poste de sergent d’état-major de l’unité en 2019. Il a précisé que le poste de sergent d’état-major était généralement [traduction] « de nature administrative ». Il a ajouté qu’il n’était pas surpris que le sergent SV n’ait pas obtenu le poste et que le candidat retenu, le sergent d’état-major PL, avait occupé ce poste par intérim et avait acquis les compétences nécessaires.

(iii) Mme Kanika Samuels-Wortley

[59] Mme Samuels-Wortley est une professeure agrégée au département de criminologie et de justice de l’Institut universitaire de technologie de l’Ontario. Elle a déposé un rapport d’expert intitulé « Systemic and Implicit Bias within Police Institutions » (Biais systémiques et implicites dans la police) et a témoigné lors de l’audience. Dans son rapport, elle a passé en revue la littérature sur la police, la race, le racisme et les biais organisationnels afin de cerner les difficultés que rencontrent les policiers racialisés qui souhaitent faire avancer leur carrière. D’après les travaux de recherche qu’elle a consultés, le racisme systémique et les biais implicites peuvent limiter les possibilités de promotion des policiers racialisés.

E. Les témoins de la GRC

[60] En réponse à la preuve des plaignants, la GRC a fait entendre six témoins.

(i) L’inspecteur VM

[61] L’inspecteur VM s’identifie comme un policier racialisé d’origine guyanienne. Il était l’officier responsable de l’unité depuis novembre 2020. En fait, l’inspecteur VM s’est joint à la GRC en 2000, en même temps que le caporal JR, et il faisait partie de la même cohorte de formation à la Division Dépôt que le sergent SV. Il a raconté avoir obtenu des promotions en passant par les grades de sous-officier, puis d’officier breveté et enfin d’inspecteur. En 2021, il a promu le caporal JR du grade de gendarme à celui de caporal.

(ii) Mme Jamie Kenny

[62] Mme Kenny était l’officière responsable par intérim du GNP, lequel est chargé de superviser les processus de promotion des sous-officiers. Elle travaillait alors au sein du GNP depuis une dizaine d’années. Elle a présenté le processus de promotion des sous-officiers de façon exhaustive.

(iii) La commissaire adjointe MP

[63] La commissaire adjointe MP s’identifie comme une femme homosexuelle. Elle était l’officière hiérarchique responsable de la sélection dans le cadre du processus de promotion au grade de caporal de 2016, à l’issue duquel le caporal JR n’a pas été retenu. Elle s’est jointe à la GRC en 1985 et elle a été l’officière responsable de l’unité de janvier 2016 à mars 2017 alors qu’elle détenait le grade d’inspecteur.

(iv) L’inspecteur CM

[64] L’inspecteur CM s’identifie comme une personne appartenant à différents groupes ethniques. Il était l’officier responsable de l’unité de 2017 à 2018, alors qu’il détenait le grade d’inspecteur, et l’officier hiérarchique responsable de la sélection dans le cadre du processus de promotion au grade de caporal de 2018, à l’issue duquel le gendarme SM et le caporal JR n’ont pas été retenus. L’inspecteur CM s’est joint à la GRC en 1991 et a quitté en décembre 2018.

(v) Le surintendant JC

[65] Le surintendant JC s’identifie comme une personne autochtone. Il était l’officier responsable de l’unité d’octobre 2018 à août 2020 alors qu’il détenait le grade d’inspecteur. Il était l’officier hiérarchique responsable de la sélection dans le cadre du processus de promotion au grade de sergent d’état-major de 2019, à l’issue duquel le sergent SV n’a pas été retenu. Il s’est joint à la GRC en 1989 et a passé plusieurs années dans les Services de police autochtones.

(vi) Mme Nadine Huggins

[66] Mme Huggins s’identifie comme une personne racialisée et est la dirigeante principale des ressources humaines de la GRC. Dans le cadre de ses fonctions, elle devait notamment moderniser les stratégies de gestion des ressources humaines de la GRC, élaborer des initiatives visant à améliorer l’équité, la diversité et l’inclusion, et moderniser les stratégies de recrutement et de maintien en poste. Elle s’est jointe à la GRC en 2020, mais avant, elle a travaillé sur diverses initiatives en matière de diversité, d’équité et l’inclusion dans d’autres ministères du gouvernement du Canada, notamment en tant que directrice exécutive du Secrétariat du Conseil du Trésor.

IV. ANALYSE

A. Les principes juridiques

[67] Les plaignants fondent leurs plaintes sur l’article 7 de la LCDP, dont voici le libellé :

Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[68] Les plaignants soutiennent que la GRC a contrevenu à l’alinéa 7b) du fait qu’elle s’est fondée sur un motif de distinction illicite, la race, pour les défavoriser dans les concours en cause.

[69] Conformément au critère juridique relatif à la discrimination, les plaignants doivent établir une preuve suffisante à première vue, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils possèdent une caractéristique protégée par la LCDP, qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement à leur emploi et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. S’ils y arrivent, c’est alors à la GRC qu’il incombe de justifier sa conduite. Or, si cette dernière s’acquitte de ce fardeau, il n’y a pas de discrimination (Moore c. Colombie-Britannique, 2012 CSC 61 [Moore]). La preuve à première vue doit être « claire et convaincante » (Naistus, Roxanne c. Philippe L. Chief, 2009 TCDP 4, au par. 72), et ce, pour les trois volets du critère établi dans l’arrêt Moore.

[70] La caractéristique protégée n’a qu’à constituer un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable, et pas nécessairement un facteur important, ni le seul (Stewart c. Elk Valley Coal Corp., 2017 CSC 30, au par. 46). En outre, l’intention n’est pas un élément nécessaire de la discrimination : l’accent est plutôt mis sur l’effet des actes de l’intimé sur le plaignant (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears [1985] 2 RCS 536, au par. 18).

[71] Pour établir une preuve suffisante à première vue, les plaignants n’ont pas recours à la preuve directe, mais plutôt à la preuve circonstancielle. Comme l’ont reconnu le Tribunal et différentes cours de justice, il est difficile de faire la preuve d’allégations de discrimination par des éléments de preuve directs. Comme l’a indiqué le Tribunal dans Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, (1988) 9 CHRR, D/5029 à D/5038 [Basi] : « [l]a discrimination n’est pas un phénomène qui se manifeste ouvertement, comme on serait porté à le croire. Il est rare en effet qu’on puisse prouver par des preuves directes qu’un acte discriminatoire a été commis intentionnellement ». Le Tribunal doit donc prendre en considération l’ensemble de la preuve circonstancielle pour discerner ce qu’il a lui-même décrit dans Basi comme les « subtiles odeurs de discrimination ».

[72] Cependant, il ne suffit pas que la preuve circonstancielle soit compatible avec une inférence de discrimination (Brooks c. Ministère des Pêches et des Océans, 2004 TCDP 36, au par. 114 (infirmée pour d’autres motifs dans 2006 CF 1244)). Si elle est jugée digne de foi, la preuve circonstancielle doit tendre à prouver l’allégation de discrimination. Il est uniquement possible de conclure à de la discrimination « quand la preuve présentée à l’appui rend cette conclusion plus probable que n’importe quelle autre conclusion ou hypothèse » (Dawson c. Société canadienne des postes, 2008 TCDP 41, au par. 73).

[73] Tandis que la Cour suprême du Canada a élaboré le critère général applicable en matière de discrimination dans l’arrêt Moore, la Commission d’enquête de l’Ontario (ancien nom), dans Shakes v. Rex Pal Ltd., 1981 CanLII 4315 (ON HRT) [Shakes], a établi un critère applicable lorsque la discrimination en matière d’emploi se traduit par un défaut de promotion. La Cour fédérale a d’ailleurs entériné ce critère dans Canada (Department of National Health and Welfare) c. Chander, [1997] ACF no 692.

[74] Conformément au critère établi dans Shakes, les plaignants doivent prouver qu’ils avaient les compétences requises pour être promus, qu’ils n’ont pas été promus et que la promotion est allée à une personne qui n’était pas mieux qualifiée qu’eux, mais qui ne possédait pas la caractéristique sur laquelle est fondée la plainte pour atteinte aux droits de la personne.

[75] Le critère établi dans Shakes ne supplante pas le critère établi dans Moore. Il sert simplement de guide et ne devrait pas être appliqué automatiquement d’une manière rigide et arbitraire dans chaque affaire d’emploi (Commission canadienne des droits de la personne c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 154, au par. 26). Pour le Tribunal, la question principale est la suivante : les plaignants ont-ils prouvé que la race a constitué un facteur dans la décision prise par la GRC de ne pas les promouvoir? Bien que le critère établi dans Shakes soit utile, il n’a pas force exécutoire (Emmett c. Agence du revenu du Canada, 2018 TCDP 23, au par. 58).

B. Le critère de discrimination à première vue

[76] Nul ne conteste que les plaignants respectent les deux premiers volets du critère établi dans l’arrêt Moore. Ils sont d’origine sud-asiatique et leur identité raciale est une caractéristique protégée par la LCDP. En outre, ils ont subi un effet préjudiciable relativement à leur emploi puisqu’ils n’ont pas été promus à l’issue des concours en cause.

[77] Cependant, s’agissant du troisième volet, je conclus que les plaignants n’ont pas réussi à prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la race a été un facteur dans la décision de ne pas les promouvoir. Je me penche maintenant sur cette question.

C. La crédibilité

[78] Je peux rejeter l’ensemble d’un témoignage ou en admettre une partie ou la totalité, le tout notamment en fonction de la crédibilité du témoin.

[79] Dans l’arrêt Faryna v. Chorny 1951 CanLII 252 (BCCA), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a décrit de la manière suivante la méthode à privilégier pour apprécier la crédibilité, que j’ai d’ailleurs adoptée :

[traduction]
Les possibilités qu’avait le témoin d’être au courant des faits, sa capacité d’observation, son jugement, sa mémoire et son aptitude à décrire avec précision ce qu’il a vu et entendu contribuent, de concert avec d’autres facteurs, à créer ce qu’on appelle la crédibilité [...].

La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de contradiction des dépositions, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de convaincre qu’il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à déterminer raisonnablement si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits en l’espèce. Bref, pour déterminer si la version d’un témoin est conforme à la vérité dans un cas de cette nature, il faut déterminer si le témoignage est compatible avec celui qu’une personne sensée et informée, selon la prépondérance des probabilités, reconnaîtrait d’emblée comme un témoignage raisonnable, compte tenu de la situation et des circonstances [...] En outre, il peut arriver qu’un témoin dise ce qu’il croit sincèrement être la vérité, mais se trompe en toute honnêteté (p. 356-357)

[80] Sur la foi des facteurs énoncés dans l’arrêt Faryna, je conclus que les témoins qui ont été appelés à témoigner pour le compte de la GRC étaient crédibles et fiables. Leurs témoignages étaient raisonnables, crédibles et cohérents. De plus, ils reflétaient le contenu des documents contemporains et se rejoignaient entre eux.

[81] Je reconnais que les plaignants croyaient sincèrement qu’ils étaient mieux qualifiés que les candidats retenus à l’issue des processus de promotion en cause. Je reconnais aussi qu’ils croyaient sincèrement que leur race avait été un facteur dans la décision de ne pas leur accorder les promotions. Cependant, après avoir examiné les raisons invoquées par la GRC pour motiver les décisions en matière de promotion et d’autres éléments de preuve accessoires, je ne peux pas conclure à l’existence d’un lien entre la race des plaignants et le fait que ceux-ci n’ont pas été promus.

D. L’histoire personnelle des officiers hiérarchiques responsables de la sélection

[82] Les officiers hiérarchiques responsables de la sélection dans le cadre des processus de promotion en cause ont vigoureusement nié avoir fait preuve de discrimination à l’égard des plaignants. Ils ont tous affirmé qu’ils étaient eux-mêmes membres d’un groupe en quête d’équité et qu’ils ne se livreraient jamais aux actes de discrimination raciale allégués.

[83] Le fait que les officiers hiérarchiques appartiennent à un groupe en quête d’équité ne signifie pas qu’ils ne pourraient pas faire preuve de discrimination à l’égard des plaignants ou d’autres personnes. Cependant, leur histoire personnelle est pertinente dans la mesure où elle permet de mettre en contexte l’approche qu’ils ont adoptée lorsqu’ils ont évalué les dossiers de candidature des plaignants.

[84] Par exemple, la commissaire adjointe MP a affirmé que, à titre d’officière hiérarchique responsable de la sélection, elle a analysé les dossiers de candidature avec le regard d’une femme homosexuelle qui a elle-même surmonté des obstacles au sein de la GRC.

[85] L’inspecteur CM a dit avoir été [traduction] « blessé » quand il a été informé des allégations de discrimination qui avaient été formulées à son endroit du fait qu’il appartenait lui-même à différents groupes ethniques et qu’il avait contribué à promouvoir la diversité au sein de la GRC. Il avait notamment participé aux travaux du comité du commandant divisionnaire afin de promouvoir la diversité raciale parmi les membres qui souhaitaient obtenir une promotion au grade de sous-officier ou d’officier breveté.

[86] De même, le surintendant JC, qui est d’origine autochtone, a affirmé avoir participé à diverses initiatives en matière de diversité pour aider à promouvoir les intérêts des membres de la GRC en quête d’équité. Il a notamment été chef de la Division O pour la réconciliation avec les Autochtones et a, à ce titre, participé à des initiatives liées aux efforts déployés par la GRC pour mettre en œuvre les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Il a également fait partie du Comité de la diversité et de l’équité en matière d’emploi de la Division O avec l’inspecteur CM. Par conséquent, il a déclaré qu’il était conscient de l’importance de l’égalité raciale dans les décisions d’embauche et a fermement nié avoir faire preuve de discrimination à l’égard du sergent SV dans le cadre du processus de promotion des sergents d’état-major de 2019.

E. La justification de la sélection des candidats

[87] Sur la base des témoignages des officiers hiérarchiques responsables de la sélection — que j’admets —, je ne peux pas conclure que les raisons pour lesquelles ils disent avoir promu les candidats retenus n’étaient qu’un prétexte visant à justifier une conduite discriminatoire. Ils ont tous dit que, selon eux, les candidats retenus étaient mieux qualifiés que les plaignants et ont donné des explications que je considère comme raisonnables, tel qu’il est indiqué ci-dessous.

(i) Le concours de 2016 pour le poste de formateur-réviseur au grade de caporal

[88] En 2016, le caporal JR a posé sa candidature pour le poste de formateur-réviseur de l’unité au grade de caporal. La commissaire adjointe MP était l’officière hiérarchique responsable de la sélection dans le cadre de ce concours. Essentiellement, le titulaire du poste devait coordonner et donner la formation au sein de l’unité.

[89] Deux candidats avaient été présélectionnés pour ce poste (le caporal JR et le caporal MW) puisqu’ils répondaient aux exigences minimales du poste et étaient qualifiés pour l’occuper. La commissaire adjointe MP a reçu les dossiers de candidature à l’étape de la sélection finale et elle a choisi le caporal MW, un policier blanc.

[90] La commissaire adjointe MP a ainsi évalué les dossiers de candidature selon sa grille de pointage :

[traduction]

 

Légis 1

Légis 2

Anim 1

Anim 2

Op 1

Op 2

Superviseur

Lettre

Total

Caporal JR

5

4,5

5

5

5

5

8

17

54,5

Caporal MW

4

4,5

5

5

5

5

9

19

56,5

[91] Dans sa grille, « Légis » renvoie à la compétence fonctionnelle liée à la « connaissance de la législation applicable et des politiques, procédures et priorités stratégiques de la GRC », « Anim » renvoie à la compétence fonctionnelle liée à la « connaissance des techniques d’animation et d’enseignement » et « Op » renvoie à la compétence fonctionnelle liée aux « techniques d’opérations ».

[92] La commissaire adjointe MP a expliqué comment elle avait créé sa grille de pointage. Elle a attribué entre 1 et 5 points pour chaque exemple de compétence fonctionnelle donné dans le résumé des compétences, entre 1 et 10 points pour les commentaires du superviseur et entre 1 et 20 points pour la lettre d’accompagnement.

[93] La commissaire adjointe MP a précisé qu’elle accordait une grande importance aux commentaires du superviseur parce que ces commentaires étaient la seule source de renseignements provenant d’une tierce partie indépendante dans un dossier qui était par ailleurs entièrement préparé par le candidat. C’est toutefois à la lettre d’accompagnement qu’elle accordait le plus d’importance étant donné que le candidat pouvait y présenter toute l’étendue de son expérience de travail pertinente et expliquer comment cette expérience cadrait avec les exigences du poste.

[94] La commissaire adjointe MP a affirmé que le caporal JR avait obtenu un point de plus que le caporal MW dans les exemples de compétences fonctionnelles, comme le montre la grille de pointage. Or, elle était d’avis que la lettre d’accompagnement et les commentaires du superviseur du caporal MW étaient plus convaincants que ceux du caporal JR.

[95] La commissaire adjointe MP a indiqué que la lettre d’accompagnement du caporal MW était davantage axée sur les exigences du poste que celle du caporal JR, que le caporal MW avait mieux démontré en quoi son expérience répondait aux exigences du poste et que le caporal MW avait décrit plus clairement comment, quand et où il avait coordonné et offert des programmes de formation. Le caporal MW a donné de nombreux exemples de formation répartis sur l’ensemble de sa longue carrière, depuis le temps où il était pompier avant de se joindre à la GRC jusqu’au temps où il était membre de la GRC, en passant par la période où il agissait comme coordonnateur intérimaire de la formation au sein de l’unité. La commissaire adjointe MP a déclaré qu’il était évident au vu du dossier du caporal MW qu’il [traduction] « avait la formation dans le sang ». Elle a ajouté que la lettre d’accompagnement du caporal MW contenait tellement d’exemples de ses compétences en matière de formation qu’elle était persuadée qu’il pouvait bien remplir le poste de formateur-réviseur et qu’il était le meilleur candidat. Après avoir lu la lettre d’accompagnement du caporal MW, j’estime que la description que la commissaire adjointe MP a faite de son contenu est raisonnable.

[96] Le 22 août 2016, la commissaire adjointe MP a préparé une justification à l’intention du caporal JR, qui a été approuvée par le GNP. Elle y exposait en détail les raisons pour lesquelles elle avait choisi le caporal MW plutôt que le caporal JR. D’ailleurs, cette justification, qui allait dans le même sens que son témoignage et reflétait le contenu des dossiers de candidature, comprenait l’explication suivante :

[traduction]
Le candidat recommandé a rédigé une lettre d’accompagnement plus convaincante. Il a clairement exposé ses compétences et a expliqué en quoi elles pouvaient vite être mises à profit dans le cadre du poste de formateur-réviseur. Il a donné des renseignements qui ne se limitaient pas aux fonctions relatives aux opérations. Il a fait état de rôles de leadership qu’il a assumés et de capacités qu’il a acquises en matière de prise de décision alors qu’il n’occupait pas forcément un poste intérimaire. Par exemple, il a évoqué l’expérience qu’il a acquise en tant qu’instructeur auprès des services d’incendie de Kirkland Lake avant de se joindre à la GRC puisqu’il a donné des cours sur les techniques de lutte contre les incendies dans le cadre d’une formation de trois semaines sur les techniques d’instruction au Collège des pompiers de l’Ontario, qu’il a donné des cours sur les normes de formation aux corps de pompiers volontaires en tant qu’officier du bureau du commissaire des incendies de l’Ontario et qu’il a offert de la formation en tant qu’instructeur de la Croix-Rouge en premiers soins et RCR. En ce qui concerne la GRC, il a indiqué qu’il agissait à titre d’instructeur principal dans le Programme d’instructeur de base en armes à feu pendant la période [caviardé].

Il a expliqué qu’il avait été choisi pour sa compréhension des principes [opérationnels] et sa capacité à faire preuve de leadership pour donner des cours sur les [opérations], dans le cadre desquels il donnait aux candidats les outils nécessaires pour satisfaire aux normes de formation. Il a déclaré avoir donné plus de 20 FS et 4 FA (240 membres et 100 pompiers), avoir été instructeur principal, coordonnateur et mentor dans le cadre d’une FA et de 11 FS, et avoir été trié sur le volet et envoyé en Indonésie pour donner une FS, en tant que représentant du gouvernement canadien et de la GRC. Il a démontré qu’il était apte à résoudre des problèmes lorsqu’il s’est assuré que les normes de formation relatives aux [opérations] étaient bien enseignées par des membres de la section [caviardé], qu’il a surmonté les difficultés liées à la barrière linguistique et aux différences culturelles et qu’il a veillé à ce que les séances de débreffage se déroulent dans le respect de la structure hiérarchique. Le candidat recommandé s’est distingué par le fait qu’il avait la capacité d’aller plus loin que ce qui était attendu de lui dans le cadre de ses tâches quotidiennes.

Il a déclaré avoir été choisi par l’officier responsable et par le sous-officier des opérations par intérim pour assumer les responsabilités de coordonnateur de la formation pour [l’unité]. Il a précisé qu’il ne faisait pas que donner de la formation, mais qu’il avait également des responsabilités administratives, dont celles de veiller à ce que tous les membres reçoivent la formation obligatoire, de planifier les cours donnés ou suivis par les membres [de l’unité], de compiler et de soumettre les rapports mensuels sur la formation au sous-officier responsable de la logistique, de terminer le budget de formation pour 2016-2017 et de travailler en étroite collaboration avec le Bureau du Perfectionnement et Renouvellement en Ressources humaines de Londres pour organiser et offrir les FA et les FS de la division, de travailler avec différents détachements pour coordonner et offrir des séances de formation interne, des ateliers d’une demi-journée, des FS et des initiatives des personnes-ressources dans la matière.

Il a fourni d’autres exemples pour illustrer l’étendue de ses compétences en matière de formation et de leadership et a également évoqué les compétences organisationnelles requises pour le poste, telles que le perfectionnement d’autrui, la souplesse, la planification et l’organisation, la résolution de problèmes, l’esprit de décision et le leadership au sein d’une équipe.

Les commentaires du superviseur du candidat recommandé étaient plus convaincants. En fait, selon le superviseur, le candidat recommandé occupait le poste de coordonnateur de la formation de [l’unité] par intérim depuis 14 mois et il avait organisé et donné, avec succès, une formation avancée de cinq semaines sur les [opérations]. Le superviseur a formulé des commentaires positifs sur son engagement à l’égard de l’apprentissage et du perfectionnement, sur son engagement à l’égard des services axés sur la clientèle et sur son souci du travail bien fait.

Bien que vous ayez rédigé une lettre d’accompagnement intéressante, j’estime que le candidat recommandé est le candidat tout indiqué pour le poste en raison de l’expérience qu’il a présentée dans son dossier de candidature, des exemples qu’il a fournis dans son résumé des compétences et de la lettre d’accompagnement qu’il a rédigée.

[97] Le caporal JR soutient que l’explication que lui a donnée la commissaire adjointe MP était un prétexte visant à justifier la discrimination du fait que l’expérience du caporal MW comme pompier s’est indûment vu accorder plus d’importance que l’expérience qu’il avait lui-même acquise au sein de l’unité.

[98] Cependant, comme la commissaire adjointe MP l’a expliqué dans sa justification et dans son témoignage, elle ne s’est pas particulièrement intéressée à l’expérience du caporal MW comme pompier, mais plutôt à la formation qu’il a donnée aux pompiers et aux policiers. Elle a jugé cette expérience pertinente puisqu’il avait fourni et coordonné la formation des premiers intervenants, laquelle était comparable à la formation des policiers.

[99] Le caporal JR soutient également qu’il a été injustement privé de la possibilité de prendre part au Programme de perfectionnement des superviseurs, auquel le caporal MW a participé et dont il a bénéficié. Cependant, en contre-interrogatoire, il a affirmé qu’il ne se souvenait pas si ce programme était déjà offert avant qu’il ne pose sa candidature pour le poste de formateur. En outre, rien n’indique que la réussite du programme était une condition préalable à l’obtention du poste ou un atout et rien dans la justification de la commissaire adjointe MP ne laisse croire que le caporal MW a obtenu la promotion parce qu’il a suivi le programme.

[100] Nul ne conteste que le caporal JR était admissible à la promotion puisqu’il possédait les compétences minimales requises et qu’il est passé à l’étape de la sélection finale. Je reconnais que le caporal JR croyait sincèrement être plus qualifié pour le poste que le caporal MW.

[101] Toutefois, il ne revient pas au Tribunal de se substituer aux officiers hiérarchiques pour procéder à une évaluation de novo et de comparer les points attribués aux candidats. Le Tribunal doit plutôt déterminer si la démarche adoptée par la GRC était un prétexte visant à justifier une conduite discriminatoire et si la race des plaignants a été un facteur dans les décisions des officiers hiérarchiques.

[102] J’adopte l’approche retenue par le Tribunal dans la décision Turner c. Agence des services frontaliers du Canada, 2020 TCDP 1 [Turner] lors de l’examen d’une plainte similaire pour discrimination dans le cadre d’un processus d’un jury de sélection :

[...] le Tribunal [...] n’est pas tenu d’évaluer l’expérience et les qualifications du plaignant en termes absolus, ni même de les comparer à celles d’autres candidats. Le Tribunal n’agit pas à titre de jury de sélection ni n’exerce de compétence en matière d’appel à l’égard de décisions prises par de tels jurys. Il doit plutôt apprécier le processus décisionnel du jury de sélection afin d’établir si le plaignant a été défavorisé par la décision et si les caractéristiques protégées du plaignant, ou une combinaison de celles-ci, ont joué un rôle dans ce processus. (au par. 46)

(Non souligné dans l’original.)

[103] En l’espèce, je ne peux pas conclure que la justification de la commissaire adjointe MP, selon laquelle le caporal MW était plus qualifié que le caporal JR pour la promotion, était un prétexte visant à justifier une conduite discriminatoire ou que la race du caporal JR a été un facteur dans la sélection. La commissaire adjointe MP a expliqué de façon crédible les raisons de sa sélection en fournissant des éléments de preuve raisonnables et logiques, tant dans son exhaustive justification que dans son témoignage. Je ne vois aucune raison pour le Tribunal de modifier cette sélection.

(ii) Le concours de 2018 pour le poste de superviseur-enquêteur au grade de caporal

[104] En 2018, le caporal JR et le gendarme SM ont tous deux posé leur candidature au poste de superviseur-enquêteur au grade de caporal. Le titulaire de ce poste était chargé de superviser les membres de l’unité lorsqu’ils mènent des opérations sur le terrain.

[105] L’inspecteur CM était l’officier hiérarchique responsable de la sélection dans le cadre de ce concours. Il a reçu sept dossiers de candidature présélectionnés, dont celui du caporal JR et celui du gendarme SM.

[106] L’inspecteur CM a examiné et évalué les sept dossiers selon une grille de pointage qu’il avait créée et a déterminé que SS, un gendarme blanc, était le candidat le plus qualifié. La grille de pointage pour le gendarme SM, le caporal JR et le caporal SS est reproduite ci-dessous.

[traduction]

Compétence

Gendarme SM

Caporal JR

Caporal SS

Capacité de préparer et de présenter un témoignage en cour

5

5,5

6

Souci de la sécurité

4,5

7

9

Connaissance des pratiques de gestion des conflits

7

8

6

Connaissance des techniques [d’opérations]

7

8

8

Total

23,5

28,5

29

Lettre d’accompagnement

4

6

7

Total

27,5

34,5

36

[107] L’inspecteur CM a affirmé que les exemples de compétence du gendarme SM avaient certes fait l’objet d’une validation par le passé, mais qu’ils étaient vieux et dépassés. Les exemples visant à illustrer la « capacité de préparer et de présenter un témoignage en cour » remontent à plus de vingt ans, tandis que les autres exemples datent d’une dizaine d’années.

[108] Le gendarme SM a expliqué qu’il n’avait pas fourni d’exemples de compétence plus récents parce qu’il pensait que ces exemples devraient alors faire l’objet d’une nouvelle validation. Cependant, j’accepte le témoignage de Mme Kenny (qui n’a pas été contesté par les plaignants) selon lequel, si de nouveaux exemples sont présentés relativement à une compétence déjà validée, il n’est pas nécessaire que les experts en la matière procèdent à une nouvelle validation. Par conséquent, le gendarme SM aurait pu fournir des exemples de compétence plus récents et plus pertinents pour étayer sa candidature, mais il a choisi de ne pas le faire.

[109] L’inspecteur CM a déclaré que lorsqu’il a noté les candidats, il a d’abord examiné les dossiers de candidature, puis les profils du dictionnaire des compétences de la GRC. Il a ensuite examiné les exemples de compétence figurant dans les dossiers et leur a chacun attribué une note sur 5 en fonction des critères énoncés dans le dictionnaire. Puis, il a combiné les notes attribuées aux deux exemples fournis par les candidats et a ainsi obtenu une note maximale de 10 pour chaque compétence. Il a aussi lu les lettres d’accompagnement des candidats et leur a attribué une note sur 8.

[110] L’inspecteur CM a ajouté des notes détaillées à sa grille de pointage. Les notes relatives à la lettre d’accompagnement et à la compétence « souci de la sécurité », qui a été un facteur clé dans la sélection, du gendarme SM, du caporal JR et du caporal SS sont reproduites ci-dessous.

[traduction]

 

Gendarme SM

Caporal JR

Caporal SS

Souci de la sécurité

Le membre manifeste un niveau de compétence de 2,5. Dans les deux exemples, le membre démontre qu’il s’arrange pour éviter les risques et pour assurer sa sécurité et celle de ses collègues. Les deux exemples étaient essentiellement identiques, à savoir que le membre veillait à ce que les véhicules soient en bon état de fonctionnement et qu’ils soient munis de l’équipement de sécurité approprié. Même si, dans l’exemple 1, le membre indique qu’il surveille la conduite des candidats, il n’a pas clairement démontré qu’il avait procédé à une évaluation et à une analyse des risques pendant les incidents.

Le membre manifeste un niveau de 4/3 dans la mesure où il applique un processus évolutif et continu d’évaluation du risque dans le cadre d’enquêtes à risque élevé. Il montre également qu’il élabore des plans de contingence et qu’il mobilise des ressources internes et externes quand vient le temps d’accroître la sécurité. Le membre démontre qu’il peut faire énormément de planification pour assurer la sécurité des membres, des superviseurs et du public lors d’activités à risque élevé et qu’il trouve toujours l’équilibre entre les besoins et les objectifs du client et la sécurité des membres, des suspects et du public.

Le membre manifeste un niveau de 4/5 dans la mesure où il démontre qu’il est capable d’analyser une situation et de veiller, de manière proactive, à ce que les ressources nécessaires soient en place pour assurer non seulement la sécurité de son équipe, mais aussi celle des autres clients. En outre, le membre démontre clairement qu’il comprend ce qu’est la sécurité dans le contexte des politiques et des procédures, ainsi que des ressources, internes et externes, auxquelles il peut faire appel pour assurer la sécurité de tous. Il sait clairement quelles sont les ressources disponibles dans les situations critiques et prend des mesures pour recueillir autant de renseignements que possible afin de minimiser les risques dans les situations intrinsèquement risquées. Il s’assure également que les membres de l’équipe connaissent les nombreux paramètres situationnels et scénarios d’action, ainsi que les stratégies d’atténuation pour chacun d’entre eux, afin de garantir la prise de mesures efficaces. Le membre assure une supervision efficace de tous les aspects des opérations et veille à la sécurité des membres, du public et des suspects. Le membre a démontré qu’il était capable de planifier des mesures d’urgence et de faire preuve de prévoyance, ce qui lui a permis de gérer efficacement des situations dangereuses et d’arriver à y mettre un terme de manière pacifique.

Lettre d’accompagnement

Dans sa lettre d’accompagnement, le candidat a démontré qu’il était un membre déterminé et motivé et qu’il a de l’expérience dans le domaine des [opérations]. Il a également démontré qu’il avait de l’expérience dans la supervision des [opérations]. Il a démontré qu’il cherche des solutions novatrices lorsque des défis se posent aux [opérations] et qu’il possède de solides compétences en matière de planification et d’organisation.

Dans sa lettre d’accompagnement, le candidat a démontré qu’il avait une expérience appréciable des [opérations de l’unité] ainsi que des opérations des services de police de l’Ontario et des services de police étrangers dans le cadre des activités de sensibilisation de la GRC.

Dans sa lettre d’accompagnement, le candidat a démontré qu’il était un membre déterminé et motivé et qu’il a de l’expérience dans le domaine des [opérations]. Il a également démontré qu’il avait de l’expérience dans la supervision des [opérations]. Il a démontré qu’il cherche des solutions novatrices lorsque des défis se posent aux [opérations] et qu’il possède de solides compétences en matière de planification et d’organisation.

[111] Le 26 juin 2018, l’inspecteur CM a préparé des justifications à l’intention du caporal JR et du gendarme SM, qui ont été approuvées par le GNP. Il y exposait en détail les raisons pour lesquelles il avait retenu la candidature du caporal SS plutôt que les leurs. D’ailleurs, les justifications, qui allaient dans le même sens que son témoignage et reflétaient le contenu des dossiers de candidature, comprenaient l’explication suivante :

[traduction]
Lorsque je cherche le candidat tout indiqué, je cherche un candidat qui a de l’expérience de supervision et qui a déjà fait preuve de leadership décisif en tant que caporal dans [l’unité]. Cette expérience est importante puisque le chef d’équipe supervise les membres lorsqu’ils sont sur le terrain et est appelé à prendre des décisions déterminantes pour la sécurité du public et des policiers.

À la lecture de son dossier de candidature, j’ai constaté que le candidat recommandé avait une solide expérience des différents aspects de la supervision correspondant au niveau souhaité. Le superviseur du candidat recommandé a indiqué que ce dernier avait, à plusieurs reprises et pendant de longues périodes, occupé un poste intérimaire de caporal en tant que chef d’équipe/superviseur [de l’unité] et qu’il avait de l’expérience dans les tâches opérationnelles et administratives. Dans sa lettre d’accompagnement, le candidat recommandé met en évidence son expérience en tant que chef d’équipe [de l’unité] et démontre son engagement à l’égard du perfectionnement et du mentorat des membres. Par exemple, il a expliqué avoir élaboré un plan d’amélioration du rendement de l’unité en se basant sur les objectifs énoncés dans le PRA de l’unité afin de développer les compétences de son équipe et ses habiletés en tant que superviseur.

J’ai déterminé que le candidat recommandé avait le niveau de maîtrise le plus élevé en ce qui concerne le souci de la sécurité. Dans un des exemples, il a démontré sa capacité à mettre fin à une situation extrêmement volatile et dangereuse, et ce, en toute sécurité. Dans l’autre exemple, il a expliqué comment il a géré une situation tactique à risque élevé en établissant un plan d’urgence, en aidant son équipe à examiner toutes les options tactiques disponibles et les issues possibles et en s’assurant que les ressources internes et externes étaient disponibles pour prêter main forte et faire face à toutes sortes de réalités possibles. J’ai déterminé qu’il avait clairement démontré son souci de la sécurité et qu’il avait fait preuve d’un leadership décisif dans cet exemple. Dans sa lettre d’accompagnement, le candidat recommandé a indiqué que, quel que soit le niveau de risque, il est capable de réagir rapidement et efficacement pour prendre des décisions fermes, et ce, tout en faisant preuve de jugement, en se livrant à une réflexion stratégique et en obtenant de bons résultats.

Dans l’ensemble, l’expérience, les connaissances et les compétences présentées dans le dossier de candidature (y compris les commentaires du superviseur), le résumé de compétences et la lettre d’accompagnement du candidat recommandé m’ont amené à conclure qu’il était le candidat tout indiqué pour le poste.

[112] Pour trouver le meilleur candidat pour le poste, l’inspecteur CM a affirmé avoir pris en compte les besoins opérationnels de l’unité. À l’époque, l’unité participait à des opérations visant des cibles terroristes. L’inspecteur CM a déclaré que les membres de l’unité devaient être prêts à intervenir et à prendre des mesures immédiates si les cibles devenaient une menace pour la sécurité publique et que, pour cette raison, il prenait donc en compte l’expérience des candidats en matière d’interventions tactiques.

[113] L’inspecteur CM a affirmé que, bien que l’unité doive diriger des opérations dont les cibles sont dangereuses, il arrive aussi que des attentats terroristes soient perpétrés de manière aléatoire dans d’autres parties du monde. L’inspecteur CM a dit que, s’il devait se produire un tel attentat à proximité des membres de l’unité qui mènent les opérations, notamment de la part de la cible de ces opérations, les membres devaient être prêts à intervenir pour protéger le public, et ce, même s’ils travaillent secrètement. L’inspecteur CM a aussi ajouté qu’il avait mis en place une nouvelle formation sur le maniement des armes à feu et un entraînement au combat afin de donner aux membres de l’unité les compétences et la confiance nécessaires pour faire face à ce type de situation.

[114] De par sa propre expérience comme agent d’infiltration, l’inspecteur CM a dit qu’il préférerait que des policiers interviennent et risquent de dévoiler son identité, plutôt qu’ils ne fassent rien pour éviter de le démasquer. Par conséquent, il a indiqué qu’il avait accordé une attention particulière à la compétence fonctionnelle « souci de la sécurité » et aux compétences des candidats en matière de leadership d’équipe. Il a ajouté que les exemples fournis par le caporal SS étaient [traduction] « exemplaires » et qu’ils constituaient l’un des meilleurs dossiers de candidature qu’il avait jamais vus. Il a déclaré que le caporal SS avait, dans sa lettre d’accompagnement, exposé en détail sa vaste expérience comme caporal-chef d’équipe, ainsi que toute son expérience des tâches opérationnelles et administratives.

[115] L’inspecteur CM a déclaré que le caporal SS était le meilleur candidat pour ce qui est de la compétence « souci de la sécurité ». Il a fourni d’excellents exemples, notamment de son expérience dans les services de police généraux, où il lui est arrivé de construire une maquette de la maison dans laquelle son équipe devait faire une descente lors d’une prise d’otages afin de voir quelle était la stratégie à adopter pour entrer dans la maison en toute sécurité.

[116] Le témoignage de l’inspecteur CM portant sur l’importance des compétences en intervention tactique a été corroboré par le surintendant JC, qui a déclaré que l’unité formait les policiers à effectuer des interventions tactiques afin qu’ils soient en mesure d’intervenir en situation d’urgence et que la GRC en subirait les conséquences si les policiers n’étaient pas adéquatement préparés et qu’ils n’étaient pas aptes à intervenir dans des situations potentiellement dangereuses pour la sécurité publique lorsqu’ils mènent des opérations secrètes.

[117] Selon les plaignants, comme il est peu probable que les membres de l’unité aient à faire des interventions tactiques dans le cadre d’opérations secrètes, il n’est pas raisonnable que l’inspecteur CM ait accordé une telle importance à cette compétence lorsqu’il a évalué les dossiers de candidature et qu’il s’agit d’un prétexte pour justifier la discrimination.

[118] Toutefois, compte tenu de l’expérience de l’inspecteur CM en tant qu’officier responsable de l’unité, de son expérience personnelle en tant qu’agent d’infiltration, de son témoignage et du témoignage corroborant du surintendant JC, je considère comme raisonnable le témoignage de l’inspecteur CM selon lequel les compétences en matière d’intervention tactique étaient pertinentes pour les opérations de l’unité et devaient être prises en compte dans le cadre du concours. Je ne peux conclure, sans autre preuve, qu’il s’agissait d’un prétexte de discrimination.

[119] De plus, après avoir examiné les dossiers de candidature, j’estime que les notes et les justifications de l’inspecteur CM étaient raisonnablement étayées par les renseignements figurant aux dossiers.

[120] Nul ne conteste que le caporal JR et le gendarme SM étaient admissibles à la promotion puisqu’ils possédaient les compétences minimales requises et qu’ils sont passés à l’étape de la sélection finale. Je reconnais qu’ils croyaient sincèrement être plus qualifiés pour le poste que le caporal SS.

[121] Cependant, comme il a déjà été mentionné, il n’appartient pas au Tribunal de soupeser et d’analyser chacune des compétences des candidats dans une évaluation de novo (Turner). Au vu de l’explication raisonnable donnée par l’inspecteur CM pour la sélection du caporal SS, de la grille de pointage détaillée, des notes exhaustives jointes à la grille et des justifications fournies, je considère comme raisonnable la décision de l’inspecteur CM selon laquelle le caporal SS était plus qualifié pour le poste que le caporal JR et le gendarme SM.

(iii) Le concours de 2019 pour le poste de sergent d’état-major

[122] En 2019, le sergent SV a demandé à être promu au poste de sergent d’état-major de l’unité, lequel est chargé de gérer les opérations de plus de 100 employés. Le surintendant JC (l’officier hiérarchique responsable de la sélection dans le cadre du concours) a reçu trois dossiers présélectionnés et a choisi de promouvoir PL, un sergent blanc. Le sergent d’état-major PL avait passé les dix-sept dernières années au sein de l’unité, où il avait commencé au grade de gendarme.

[123] Le surintendant JC a affirmé que, lorsqu’il a évalué les candidats présélectionnés, il a tenu compte des lacunes relevées dans les compétences du sergent d’état-major de l’unité alors en poste. Il a déclaré que l’ancien sergent d’état-major avait beaucoup d’expérience administrative, mais pas assez d’expérience opérationnelle, de sorte que les fonctions opérationnelles propres au poste de sergent d’état-major étaient sous-développées. Il a expliqué que, pour corriger la situation, le nouveau sergent d’état-major devait idéalement posséder une vaste expertise en matière d’opérations pour être considéré comme le candidat tout indiqué pour le poste.

[124] Le surintendant JC a fait remarquer que le programme d’opérations de l’unité était le plus important et plus fiable au Canada. Cela étant, il a déclaré que le sergent d’état-major de l’unité devait avoir suffisamment d’expertise et de crédibilité en tant que spécialiste des opérations, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’unité.

[125] Le surintendant JC a aussi expliqué qu’étant donné qu’il venait de l’extérieur de l’unité, il n’avait pas suffisamment de connaissances techniques ou d’expertise en matière des opérations et qu’il allait donc s’en remettre au sergent d’état-major. Il a précisé que le titulaire du poste de sergent d’état-major devait également posséder d’excellentes compétences en gestion des conflits puisqu’il savait qu’il y avait eu des conflits au sein de l’unité.

[126] Selon son système de pointage, le surintendant JC a noté les dossiers de candidature du sergent SV et du sergent d’état-major PL comme suit :

[traduction]

 

Connaissance des lois applicables (niveau 3)

Connaissance des pratiques de gestion des conflits (niveau 3)

Gestion des dossiers et de l’information (niveau 3)

Connaissance des techniques d’opérations

Leadership au sein d’une équipe

Lettre d’accom-pagnement

TOTAL

Sergent d’état-major PL

3,5

4

5

3,5

3,5

3,5

4

4

5

4

5

25,5

4

4,5

3,5

4

4,5

Sergent SV

3,5

4,5

3

4

4

3,5

3

3,5

4

3

3,5

22

4,5

3,5

3,5

3,5

3,5

[127] Dans son témoignage, le surintendant JC a expliqué sa grille de pointage. Il examine les exemples de compétences afin d’évaluer leur complexité, notamment le nombre de membres ayant participé à l’opération tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’unité, mais aussi afin de mesurer leur pertinence par rapport aux opérations de l’unité. Il attribue ensuite une note sur 5 à chaque exemple en se basant sur le dictionnaire des compétences de la GRC. Il prend ensuite les notes accordées aux deux exemples et attribue une note globale sur 5 pour chaque compétence. Il attribue également une note sur 5 aux lettres d’accompagnement des candidats. Par ailleurs, il a préparé un tableau distinct dans lequel il a noté la récence et la pertinence des exemples et a indiqué s’ils témoignaient d’une expérience acquise à l’intérieur ou à l’extérieur de l’unité.

[128] Le sergent d’état-major PL a reçu une note totale de 3,5 points supérieure à celle du sergent SV, ce que le surintendant JC a considéré comme une différence notable. En fait, le surintendant JC a affirmé que le sergent d’état-major PL avait présenté un certain nombre d’exemples où il avait géré des conflits sans compromettre les opérations de l’unité. De plus, tous les exemples du sergent d’état-major PL étaient liés au travail effectué au sein de l’unité, ce que le surintendant JC a considéré comme un atout étant donné le leadership dont doit faire preuve le titulaire du poste dans l’environnement bien particulier de l’unité. Le sergent SV, quant à lui, n’avait donné que quelques exemples qui témoignaient de son travail au sein de l’unité.

[129] Le surintendant JC a souligné que le sergent d’état-major PL avait démontré dans son dossier de candidature qu’il connaissait bien les opérations de l’unité. En fait, le sergent d’état-major PL avait assuré l’intérim du poste de sergent d’état-major pendant plus de 400 jours ouvrables et avait aussi une vaste expérience des opérations puisqu’il avait occupé tous les postes de l’unité. Il avait une expérience appréciable en ce qui a trait à la formation des membres et des organismes partenaires internationaux en matière de techniques d’opérations. Selon le surintendant JC, il n’y avait probablement pas un meilleur candidat pour le poste que le sergent d’état-major PL compte tenu de son expérience au sein de l’unité.

[130] Le surintendant JC a déclaré que les exemples du sergent SV n’étaient pas comparables à ceux donnés par le sergent d’état-major PL. En fait, les exemples du sergent SV ne démontraient pas que ce dernier comprenait les techniques d’opérations utilisées par les sergents d’état-major puisque les opérations menées par le sergent SV dans l’unité connexe n’étaient pas les mêmes que celles menées dans l’unité. En outre, la lettre d’accompagnement du sergent SV ne contenait pas beaucoup d’exemples de ses compétences et les exemples fournis témoignaient, pour la plupart, d’une expérience acquise à l’extérieur de l’unité. Le surintendant JC a affirmé que les exemples ne démontraient pas clairement qu’il avait une expertise dans les opérations de l’unité.

[131] Le 30 octobre 2019, le surintendant JC a préparé une justification à l’intention du sergent SV, qui a été approuvée par le GNP. Il y exposait en détail les raisons pour lesquelles il avait retenu la candidature du sergent d’état-major PL plutôt que celle du sergent SV. D’ailleurs, la justification, qui allait dans le même sens que son témoignage et reflétait le contenu des dossiers de candidature, comprenait l’explication suivante :

[traduction]
[...] l’[unité] est le programme [d’opérations] le plus important et le plus fiable du pays. Par conséquent, il faut que le titulaire du poste soit reconnu à l’intérieur et à l’extérieur de la GRC comme étant un expert dans le domaine des [opérations]. Il doit assurer la coordination et la gestion quotidiennes des opérations d’un programme qui regroupe plus de 100 employés.

En tenant compte des conditions et des fonctions mentionnées ci-dessus, j’ai décidé qu’il était important que le candidat possède une solide expérience en matière de gestion des conflits et des connaissances des [opérations].

Étant donné le contexte dans lequel évolue une équipe opérationnelle, gérer efficacement les conflits peut faciliter la recherche de solutions créatives aux problèmes rencontrés dans les relations internationales et empêcher l’instauration d’un climat qui soit source de négativisme, de stress et de démoralisation. Le titulaire du poste doit gérer les différends entre les parties et y mettre un terme de façon efficace, et ce, en tenant compte de tout ce que cela implique. En fin de compte, l’objectif est d’améliorer le bien-être des employés tout en répondant à des exigences opérationnelles élevées afin que [l’unité] soit reconnue comme une unité de choix pour les membres.

Le candidat recommandé a démontré qu’il connaissait bien les pratiques de gestion des conflits, tant dans le résumé de ses compétences que dans sa lettre d’accompagnement, puisqu’il a fait état de situations dans lesquelles il a dû résoudre des conflits en lien avec l’unité dans toutes sortes de contextes complexes. Par exemple, il a décrit deux situations dans lesquelles il a dû résoudre des conflits en tant que sous-officier responsable de [caviardé], ce qui témoigne de la diversité des environnements opérationnels. Dans les deux cas, c’est l’officier responsable qui lui a demandé de se rendre sur les lieux. Dans un des cas, décrit dans un exemple fourni pour démontrer qu’il connaissait les pratiques de gestion des conflits, il y avait beaucoup de conflits et de tensions au sein de l’unité, et le sous-officier responsable précédent avait été démis de ses fonctions.

Le candidat a expliqué comment il est parvenu à identifier et à traiter la cause profonde du conflit en consultant les membres de l’unité. Il a raconté avoir animé une réunion, répondu à toutes les questions et rencontré certains individus. Après avoir analysé la situation, il a expliqué que, chaque jour, il organisait des réunions préparatoires et des réunions-bilan avec tous les membres, qu’il rencontrait régulièrement les membres pour s’assurer que les problèmes et les préoccupations étaient pris en compte et qu’il attribuait à chacun des membres des responsabilités au sein de l’unité et qu’il assurait un suivi. Il a indiqué qu’il avait réussi à diriger l’unité sans qu’il n’y ait de conflit et que les opérations n’avaient pas été compromises.

Dans un autre cas, décrit dans sa lettre d’accompagnement et dans un exemple fourni pour démontrer qu’il pouvait diriger une équipe, le candidat recommandé a expliqué les mesures qu’il avait prises alors qu’il était le seul sous-officier responsable de [caviardé] après que l’officier responsable lui eut demandé de l’aider à gérer les opérations quotidiennes. Dans sa lettre d’accompagnement, il a expliqué comment il avait géré les conflits liés à la mutation de membres de l’unité. Il a indiqué qu’il encourageait les membres à communiquer ouvertement, qu’il maintenait un environnement de travail professionnel et qu’il veillait à ce que les opérations ne soient pas compromises.

Dans le résumé de ses compétences, il a indiqué qu’il s’était servi de ses connaissances des [opérations] pour gagner en crédibilité au sein de l’unité. Il a écrit qu’il avait démontré ses connaissances des [opérations] en travaillant avec l’équipe, qu’il avait donné l’exemple et qu’il s’était fait accepter. ll a conclu en disant qu’il constate, lorsqu’il parle à certains membres de [caviardé], que son leadership et l’orientation qu’il a donnée sont toujours appréciés.

Connaissance des [opérations]

Les [opérations] constituent l’essence même de l’unité. Le titulaire du poste sera responsable des opérations quotidiennes. À l’occasion, le candidat devra se rendre sur le terrain et participer activement aux [opérations] et/ou fournir une orientation opérationnelle, en plus d’évaluer l’efficacité des équipes/membres. Pour accomplir ces tâches, le candidat doit avoir une crédibilité professionnelle au sein de l’unité et cela passe par une compréhension accrue des [opérations].

Le candidat recommandé a démontré qu’il connaissait très bien les [opérations]. Dans le dossier de candidature, le superviseur du candidat recommandé a écrit que ce dernier « est constamment appelé à donner des conseils et à partager son expertise en ce qui concerne les [opérations] ». Dans les deux exemples qu’il a donnés pour démontrer qu’il connaissait les [opérations], le candidat recommandé a documenté ce qu’il a fait en tant que sous-officier dans deux récents dossiers, lesquels étaient hautement prioritaires sur le plan de la sécurité nationale. Dans l’un des exemples qu’il a donnés pour démontrer sa connaissance des lois applicables ainsi que des politiques, procédures et priorités stratégiques de la GRC, le candidat recommandé a montré qu’il connaissait la jurisprudence relative aux [opérations].

Dans l’autre exemple, il a expliqué avoir animé des séances de formation et donné des conseils aux membres sur la modification de la politique relative à la conduite des [opérations]. Dans sa lettre d’accompagnement, le candidat recommandé a fait état de son expérience en tant qu’officier responsable de [caviardé] par intérim, ainsi que de son expérience dans la formation relative aux [opérations]. Il a déclaré être un expert en la matière dans le domaine des [opérations] et avoir occupé tous les postes de l’unité. Il a expliqué qu’il avait assuré l’intérim du sergent d’état-major responsable des opérations pendant plus de 435 jours ouvrables entre 2015 et 2019 et celui de l’officier responsable pendant plus de 60 jours et qu’il avait assumé les deux rôles simultanément.

Par ailleurs, le candidat recommandé a démontré, en documentant le travail qu’il avait accompli à cet égard, qu’il comprenait parfaitement les techniques [opérationnelles] et qu’il était capable de les appliquer. Il a donné plusieurs exemples à l’appui de son expérience de formateur, notamment en tant qu’animateur/instructeur/coordonnateur principal d’environ 40 cours d’une semaine sur les [opérations] et en tant qu’animateur/formateur de cinq cours avancés sur les [opérations] de [l’unité]. Il a aussi expliqué qu’il avait représenté le Canada dans le cadre de quatre formations internationales sur les [opérations] [...] Non seulement le candidat recommandé m’a démontré qu’il comprenait parfaitement les [opérations], mais aussi qu’il possédait une expérience unique et difficile à reproduire.

Dans l’ensemble, l’expérience, les connaissances et les compétences présentées dans le dossier de candidature (y compris les commentaires du superviseur), le résumé de compétences et la lettre d’accompagnement du candidat recommandé m’ont amené à conclure qu’il est le candidat tout indiqué pour le poste.

[132] Dans son témoignage, le sergent SV a déclaré que le surintendant JC avait surestimé la valeur des exemples de « connaissance des pratiques de gestion des conflits » du sergent d’état-major PL étant donné que les deux exemples témoignaient de son expérience au sein de l’unité. Il a dit que le surintendant JC aurait dû accorder plus d’importance à la vaste expérience qu’il avait acquise dans les environnements opérationnels des différentes unités qu’à celle du sergent d’état-major PL, qui se limitait essentiellement au temps qu’il avait passé au sein de l’unité.

[133] Le sergent SV a contesté le témoignage du surintendant JC selon lequel le sergent d’état-major était tenu d’aller sur le terrain et de participer activement aux opérations de l’unité et a affirmé que rien de tel n’avait été observé jusque-là. Le sergent SV a déclaré qu’il serait certes utile que le sergent d’état-major de l’unité ait une certaine connaissance des [opérations], mais que ce dernier n’était pas tenu de mener des opérations, car il était trop occupé par des tâches administratives.

[134] Le sergent SV a également fait valoir que le surintendant JC avait un parti pris du fait qu’il avait été le superviseur du sergent d’état-major PL en 2019 et qu’il le connaissait personnellement.

[135] Quoi qu’il en soit, je ne suis pas convaincu que les arguments soulevés par le sergent SV démontrent qu’il y a eu discrimination dans le processus de sélection suivi par le surintendant JC.

[136] J’estime raisonnable la préférence du surintendant JC pour l’expérience acquise au sein de l’unité plutôt que pour l’expérience acquise au sein d’une unité connexe étant donné la nature unique et complexe des opérations de l’unité. Ainsi, les exemples de compétences que le sergent SV a fournis dans son dossier de candidature ne témoignaient pas, pour la plupart, d’une expérience acquise au sein de l’unité. Par ailleurs, il est aussi raisonnable pour le surintendant JC de dire que les exemples de « connaissance des techniques d’opérations » du sergent SV ne faisaient que peu état des aspects techniques et des techniques d’opérations, comparativement aux exemples fournis par le sergent d’état-major PL.

[137] Je considère également comme raisonnable le témoignage du surintendant JC selon lequel il est important que le sergent d’état-major en poste possède une solide expérience des opérations de l’unité. Son témoignage est d’ailleurs corroboré par celui de l’inspecteur VM, l’officier actuellement responsable de l’unité. L’inspecteur VM a déclaré qu’il était important que les sergents d’état-major soient formés dans le domaine des opérations parce qu’ils sont appelés à aider et à conseiller l’officier responsable quand celui-ci arrive de l’extérieur de l’unité, comme ce fut le cas pour le surintendant JC. En outre, le surintendant JC a affirmé que le sergent d’état-major PL, après sa promotion, est allé plusieurs fois sur le terrain avec les membres de l’unité, ce qui montre l’importance d’avoir de l’expérience dans le domaine des opérations.

[138] Je ne peux pas non plus conclure que le surintendant JC avait un parti pris pour le sergent d’état-major PL du fait qu’il avait été son superviseur en 2019 et qu’il le connaissait personnellement. Rien dans la justification ne laisse croire que, lors de l’évaluation des dossiers, le surintendant JC s’est fondé à tort sur le fait qu’il connaissait personnellement le sergent d’état-major PL. J’accepte également le témoignage de Mme Kenny selon lequel il n’est pas rare que les officiers hiérarchiques soient également les superviseurs d’un ou de plusieurs candidats dans le cadre d’un concours, surtout lorsque les candidats sont de la même unité.

[139] Nul ne conteste que le sergent SV était admissible à la promotion puisqu’il possédait les compétences minimales requises et qu’il est passé à l’étape de la sélection finale. Je reconnais également que le sergent SV croyait sincèrement être plus qualifié pour le poste que le sergent d’état-major PL.

[140] Toutefois, après avoir examiné les dossiers de candidature du sergent SV et du sergent d’état-major PL et pris en compte les témoignages, j’estime que la justification du surintendant JC était raisonnablement étayée par les renseignements figurant aux dossiers.

[141] De plus, comme il a déjà été mentionné, il n’appartient pas au Tribunal de soupeser et d’analyser chacune des compétences des candidats dans une évaluation de novo (Turner). Le surintendant JC a donné une explication raisonnable pour justifier la sélection du sergent d’état-major PL et cette explication a été corroborée par la grille de pointage, la justification et les témoignages. Je considère donc comme raisonnable la décision du surintendant JC selon laquelle le sergent d’état-major PL était plus qualifié pour le poste que le sergent SV, de sorte que je ne peux pas conclure que sa justification était un prétexte pour la discrimination.

F. Les commentaires racistes

[142] Les plaignants allèguent avoir été victimes de discrimination systémique, mais ils ne déposent pas de plainte en vertu de l’article 10 de la LCDP. Cet article interdit à l’employeur de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite susceptibles d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu sur la base d’un motif de distinction illicite.

[143] Les plaignants affirment toutefois que la discrimination systémique qui règne au sein de la GRC explique pourquoi ils n’ont pas obtenu les promotions en cause.

[144] La GRC a reconnu l’existence de racisme systémique au sein de son organisation et Mme Huggins a parlé des efforts que la GRC a récemment déployés pour favoriser une plus grande culture d’inclusion, par exemple en mettant en œuvre le plan de modernisation « Vision 150 » pour promouvoir l’équité et la diversité.

[145] Nul ne conteste que les plaignants ont reçu et entendu des commentaires désobligeants et racistes pendant leur carrière à la GRC, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’unité. Les plaignants ont également affirmé que des commentaires racistes inappropriés avaient été formulés sur les ondes radio de l’équipe des opérations pendant qu’ils travaillaient au sein de l’unité, ce que j’accepte.

[146] Toutefois, il ressort de la preuve que ces commentaires ont été formulés par des gendarmes et non par des superviseurs, des sous-officiers supérieurs ou des officiers responsables de l’unité. De plus, la preuve démontre que les officiers responsables ne surveillaient généralement pas les communications radio. La commissaire adjointe MP et l’inspecteur CM ont déclaré — et j’admets leur témoignage — qu’ils n’étaient pas au courant que des membres faisaient des commentaires désobligeants sur les ondes radio et que ces commentaires n’avaient pas été portés à leur attention. La commissaire adjointe MP a déclaré — et j’admets son témoignage — qu’elle n’aurait jamais toléré un tel comportement s’il avait été porté à son attention.

[147] La preuve ne permet pas non plus de démontrer que les officiers hiérarchiques des concours en cause (la commissaire adjointe MP, l’inspecteur CM et le surintendant JC) ont fait des commentaires racistes ou inappropriés, ou qu’ils y ont souscrit, ou qu’ils ont été en quelque sorte influencés par des préjugés raciaux (ou autres) pendant les concours.

[148] Les officiers responsables de l’unité qui ont été informés des commentaires inappropriés ont dit avoir rapidement pris des mesures pour remédier à la situation. L’inspecteur VM a affirmé qu’environ un an avant l’audience, il a appris que l’un de ses gendarmes avait fait des commentaires racistes à un autre gendarme sur les ondes radio de l’unité. Or, le second gendarme a également accusé quelqu’un d’autre de l’avoir traité de raciste. L’inspecteur VM a dit avoir interrogé ces gendarmes et leur avoir fait part de la politique de tolérance zéro à l’égard du harcèlement et de la discrimination. Il a également fait savoir qu’il avait communiqué avec la Direction générale à Ottawa et qu’on lui avait conseillé de déposer des plaintes officielles pour harcèlement auprès du Centre indépendant de résolution du harcèlement de la GRC. L’inspecteur VM a alors déposé des plaintes pour harcèlement pour le compte de ces gendarmes, qui ont ensuite suivi le programme de gestion informelle des conflits pour régler les plaintes de façon informelle.

[149] Par ailleurs, le surintendant JC a affirmé qu’une fois, le sergent LF lui a dit qu’un commentaire inapproprié avait été fait sur les ondes radio. Après en avoir discuté avec le surintendant JC, le sergent LF a accepté de régler la situation et a parlé au membre pour lui faire comprendre que le commentaire était inapproprié.

G. Les promotions au sein de l’unité

[150] Les plaignants soutiennent que le fait que les membres racialisés de l’unité ne soient généralement pas promus laisse croire que les concours en cause étaient entachés de préjugés raciaux.

[151] Toutefois, j’estime qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour tirer cette conclusion. J’accepte l’argument de la GRC selon lequel les plaignants ne tiennent pas compte des réalités contextuelles de l’unité lorsqu’ils se plaignent de ne pas avoir été promus au sein même de l’unité.

[152] Nul ne conteste que de nombreux membres de l’unité ont passé la majeure partie de leur carrière dans l’unité. Par conséquent, j’accepte l’argument de la GRC selon lequel il y a moins de possibilités de promotion au sein de l’unité et que, souvent, les membres qui souhaitent obtenir une promotion cherchent un poste à l’extérieur de l’unité. Pour ceux qui restent dans l’unité, les processus de promotion sont donc très compétitifs. Il peut s’écouler des années avant qu’un membre ne soit promu. C’est d’ailleurs le cas du sergent d’état-major PL, qui a été choisi au détriment du sergent SV dans l’un des concours en cause. Le sergent d’état-major PL était membre de la GRC depuis plus de 30 ans et il faisait partie de l’unité depuis près de 20 ans lorsqu’il a été promu au grade de sergent.

H. Les possibilités d’intérim

[153] Les plaignants ont affirmé que les possibilités d’intérim n’étaient pas équitablement réparties au sein de l’unité. Le caporal JR a déclaré que les policiers blancs étaient favorisés par rapport aux policiers racialisés, ce qui, selon lui, corrobore les cas de favoritisme signalés au sein de l’unité à la suite des deux examens de la gestion réalisés en 2014 et en 2019. Selon le gendarme SM, avant qu’une possibilité de promotion ne soit affichée, un policier blanc était sélectionné pour occuper le poste par intérim afin qu’il ait de meilleures chances d’être promu. Les plaignants soutiennent que tous ces renseignements démontrent que les concours en cause étaient entachés de préjugés raciaux.

[154] Cependant, je ne peux pas, sans autre preuve, accorder beaucoup d’importance aux commentaires tirés des rapports d’examen de la gestion. La commissaire adjointe MP, qui a participé à l’examen de 2014, a affirmé que seuls certains types de commentaires avaient été consignés dans le rapport final. Le surintendant JC, qui a demandé l’examen de 2019, a dit qu’il n’avait pas demandé ni examiné les données sous-jacentes, y compris les questionnaires remplis par les membres.

[155] Je ne peux pas non plus tirer une conclusion de discrimination à partir de la preuve fournie par les plaignants en ce qui concerne les possibilités d’intérim. En fait, la preuve révèle que le gendarme SM, le caporal JR et le sergent SV se sont régulièrement fait offrir des affectations intérimaires au sein de l’unité.

[156] Le gendarme SM a été caporal intérimaire à temps plein en 2007 et 2008 et s’est vu offrir plusieurs affectations intérimaires en tant que caporal et de responsable en second chaque année de 2009 à 2018.

[157] Le caporal JR a, durant son mandat à l’unité de 2006 à 2017, accumulé plus de 9 ans d’expérience dans des fonctions intérimaires, soit celles de responsable en second et de chef d’équipe. Par exemple, il a été chef d’équipe par intérim en 2009 et 2010, caporal par intérim en 2011 et 2012, responsable en second par intérim de 2013 à 2015 et caporal par intérim d’octobre 2017 à février 2018. Lorsqu’il a postulé pour le poste de caporal en 2018, il occupait alors le poste de formateur-réviseur en tant que caporal par intérim.

[158] De même, au cours de son mandat initial de 3 ans dans l’unité en tant que gendarme, le sergent SV a occupé le poste de caporal par intérim (coordonnateur des opérations/réviseur) pendant environ un an.

[159] Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour étayer l’allégation des plaignants selon laquelle des policiers blancs ont été délibérément affectés à des postes intérimaires juste avant les concours, et ce, dans le but de faire augmenter leurs chances d’être promus.

[160] Selon le gendarme SM, un mois environ s’écoule entre le moment où un poste par intérim est offert et le moment où se présente une possibilité de promotion. J’accepte la preuve de la GRC selon laquelle chacun des candidats retenus dans le cadre des processus de promotion a commencé à occuper un poste par intérim bien avant que soient affichés les concours. Le caporal MW a occupé par intérim le poste de formateur-réviseur pendant 14 mois avant de poser sa candidature au concours pour le grade de caporal en 2016 (un poste intérimaire pour lequel le caporal JR n’avait pas pu postuler puisqu’il n’avait pas encore obtenu la note de passage à l’exercice de simulation relatif à l’emploi).

[161] Le caporal SS a occupé un poste intérimaire de caporal pendant longtemps avant de poser sa candidature au concours de 2018 en vue d’obtenir la promotion au grade de caporal. De même, le sergent d’état-major PL et le seul autre sergent de l’unité se partageaient équitablement les périodes d’affectation intérimaire bien avant qu’ils ne se présentent au concours pour le poste de sergent d’état-major en 2019. En outre, le fait que le sergent SV ait obtenu le poste de sergent de l’unité en 2016 alors que le sergent LF occupait le poste par intérim donne à penser que les membres intérimaires n’obtenaient pas toujours les promotions.

[162] La GRC a fourni des éléments de preuve, que j’accepte, qui précisent comment les officiers responsables de l’unité ont tenté d’appuyer les membres et de répartir équitablement les possibilités d’intérim parmi les gendarmes. Par exemple, la commissaire adjointe MP a dit qu’elle essayait de donner la chance d’occuper un poste intérimaire à autant de membres que possible, et ce, même s’il n’y avait pas de politique à cet égard. Le surintendant JC a lui aussi déclaré qu’il s’efforçait d’offrir au plus grand nombre possible de membres l’occasion d’occuper un poste intérimaire. Il a ajouté qu’il encourageait les membres racialisés à se faire aider en vue d’obtenir un poste intérimaire et que, si ces derniers n’étaient pas prêts, il leur trouvait des mentors pour qu’ils perfectionnent leurs compétences. Il a indiqué qu’il avait appuyé la décision de garder le caporal JR dans un poste intérimaire de caporal-chef d’équipe et qu’il avait encouragé ce dernier à saisir les occasions de promotion. Il a également encouragé le sergent SV à poser sa candidature au Programme des aspirants officiers (« PAO ») (c.-à-d. le processus de promotion aux grades d’officiers brevetés de la GRC). L’inspecteur CM a affirmé avoir recommandé au sergent SV de poser sa candidature au PAO.

[163] Le sergent SV a dit qu’il croyait avoir été promu au grade de sergent de l’unité en 2016 uniquement pour [traduction] « garder le fort » jusqu’à ce que le sergent LF réussisse l’exercice de simulation relatif à l’emploi et puisse postuler pour le poste. Selon les plaignants, ce témoignage vient étayer leur allégation de préjugés raciaux et de favoritisme.

[164] Cependant, le témoignage du sergent SV est contredit par celui de la commissaire adjointe MP, qui a affirmé avoir promu le sergent SV au grade de sergent en 2016 parce qu’il était le meilleur candidat dans le processus de promotion. Or, à la suite de la promotion, c’est le superviseur de l’unité connexe auquel se référait le sergent SV qui a demandé à ce que ce dernier reste au sein de l’unité connexe. La commissaire adjointe MP a déclaré qu’elle avait demandé au sergent SV s’il souhaitait intégrer l’unité, mais qu’il avait accepté de rester dans l’unité connexe. Elle a ajouté qu’elle avait été claire sur le fait qu’il appartenait au sergent SV de décider s’il voulait être muté dans l’unité ou s’il préférait rester dans l’unité connexe. Si le sergent SV avait demandé à être muté dans l’unité, elle aurait pris les mesures nécessaires pour lui faciliter la tâche. La commissaire adjointe MP a livré un témoignage raisonnable et crédible sur cette question et c’est pourquoi je préfère son témoignage à l’hypothèse du sergent SV quant à ses intentions. Je ne peux donc pas conclure que le sergent SV a été promu au grade de sergent simplement dans le but de [traduction] « garder le fort » en attendant qu’un candidat blanc soit nommé ni que cette situation permet de conclure à l’existence de préjugés raciaux et de favoritisme au sein de l’unité.

[165] Il n’y a pas non plus suffisamment d’éléments de preuve selon lesquels les membres racialisés de l’unité se sont vu refuser des possibilités d’apprentissage ou d’autres possibilités d’emploi, comme le suggèrent les plaignants, et les plaignants ne donnent pas suffisamment de détails à cet égard. En fait, il ressort de l’examen des dossiers de candidature des plaignants que ces derniers se sont vu offrir de nombreuses possibilités.

[166] Par exemple, entre 2010 et 2018, le caporal JR a été l’instructeur principal de six cours avancés sur les opérations et de douze cours de conduite avancée. Il a été sélectionné pour aller à l’étranger, au Pérou et en Indonésie, et enseigner les opérations aux autorités responsables du contrôle d’application de la loi. Il a aussi été sélectionné pour suivre le programme de perfectionnement des superviseurs en 2018.

[167] Le gendarme SM a donné de nombreux cours sur les opérations, a encadré et formé des membres dans le cadre du programme de formation pratique et a été, au besoin, le coordonnateur des opérations de l’unité. De même, le sergent SV a donné de nombreux cours sur les opérations et a été choisi pour superviser un budget annuel de 500 000 $ dans une unité connexe.

I. La preuve d’expert sur le racisme systémique dans les organisations policières

[168] Les plaignants ont déposé un rapport d’expert de Mme Kanika Samuels-Wortley intitulé Systemic and Implicit Bias within Police Institutions (Biais systémiques et implicites au sein des institutions policières).

[169] La GRC s’est opposée à l’admissibilité du rapport au motif qu’il n’était pas pertinent et que Mme Samuels-Wortley ne possédait pas les compétences requises pour formuler les opinions figurant dans le rapport.

[170] J’ai écarté l’objection de la GRC et conclu que Mme Samuels-Wortley était une experte dûment qualifiée dans les domaines des préjugés raciaux inconscients et conscients au sein des services de police. J’ai admis son rapport en preuve et je l’ai autorisée à témoigner.

[171] Dans son rapport, Mme Samuels-Wortley a effectué une analyse documentaire et examiné les recherches portant sur les services de police, le racisme et les préjugés organisationnels. Elle affirme que, selon ces travaux de recherche, le racisme systémique et les préjugés implicites peuvent limiter les possibilités de promotion des policiers racialisés.

[172] Selon Mme Samuels-Wortley, la sous-représentation des policiers racialisés aux grades supérieurs peut être la conséquence de préjugés implicites dans les processus d’évaluation et de promotion. Il se peut que les décideurs favorisent les candidats dont les origines ou les normes culturelles sont les mêmes que les leurs, ce qui peut avoir pour effet d’exclure les minorités raciales et de priver injustement de promotion des officiers racialisés qualifiés.

[173] Mme Samuels-Wortley a également affirmé que, selon les études consultées, les inégalités systémiques peuvent expliquer la sous-représentation des policiers racialisés dans les postes supérieurs, ce qui signifie qu’il y a moins de mentors et de modèles disponibles pour les policiers racialisés et moins de possibilités de perfectionnement professionnel, qui sont pourtant importantes pour leur avancement.

[174] J’accepte les conclusions générales de Mme Samuels-Wortley selon lesquelles les policiers racialisés se heurtent à différents obstacles lorsqu’ils tentent d’obtenir des promotions, et ce, à cause du racisme systémique et des préjugés implicites.

[175] En l’espèce, le Tribunal n’est toutefois pas appelé à se demander s’il y a du racisme au sein de la GRC (la GRC a reconnu qu’il y en avait), mais plutôt à déterminer si la race a été un facteur dans les trois concours de promotion en cause. Le rapport de Mme Samuels-Wortley n’aide pas vraiment le Tribunal à se prononcer sur cette question.

[176] En effet, dans le rapport, il n’est pas spécifiquement question de l’unité, des unités connexes ou des concours de promotion en cause. Bon nombre des articles universitaires cités par Mme Samuels-Wortley reposent sur des études qualitatives réalisées à partir d’un petit échantillon d’organisations policières établies à l’extérieur du Canada. Ces organisations ont leurs propres processus de promotion et leur propre contexte social et sont peu pertinentes eu égard aux questions que le Tribunal doit trancher.

[177] La documentation portant sur les répercussions des processus de promotion sur les policiers racialisés canadiens ne s’applique que de manière restreinte aux questions à trancher en l’espèce. Mme Samuels-Wortley cite un vieil article, paru en 2000, rédigé par Jain et son équipe, qui porte sur le recrutement et la promotion des policiers racialisés dans les services de police canadiens. L’article traite de l’utilisation des entrevues, des évaluations du rendement et de l’ancienneté dans le cadre des processus de promotion. Toutefois, le processus de promotion des sous-officiers dont il est question en l’espèce ne repose sur rien de tel, si bien que l’analyse est peu pertinente.

J. La subjectivité du processus de promotion des sous-officiers

[178] Les plaignants soutiennent que, du fait de la subjectivité du processus de promotion des sous-officiers, il est possible que la sélection finale ait été entachée de racisme et de préjugés systémiques. Ils affirment que les officiers hiérarchiques responsables de la sélection dans le cadre des concours ont profité de la subjectivité du processus pour adapter, a posteriori, leurs critères de décision et leurs grilles de pointage afin de sélectionner le candidat blanc de leur choix.

[179] Nul ne conteste que le processus de promotion des sous-officiers comporte une part de subjectivité. Les officiers hiérarchiques ont le pouvoir discrétionnaire de promouvoir les candidats qu’ils jugent aptes à répondre aux besoins opérationnels d’une unité.

[180] Cependant, il ne suffit pas qu’un processus de promotion soit subjectif pour démontrer l’existence de discrimination. Comme l’a indiqué le Tribunal dans la décision Salem c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2008 TCDP 13, « [l]e simple fait que l’intimé ait utilisé des critères subjectifs pour juger les candidat(e)s et qu’il peut avoir commis une erreur en se faisant, ne rend pas en soi sa décision finale susceptible de contestation au motif qu’elle est discriminatoire » (au par. 63).

[181] Certes, les grilles de pointage étaient subjectives, mais je ne peux pas conclure qu’elles étaient arbitraires ou qu’elles visaient à masquer une conduite discriminatoire, consciente ou inconsciente. Les officiers hiérarchiques responsables de la sélection ont évalué les plaignants et les autres candidats uniquement en fonction des dossiers de candidature. Les grilles de pointage reprenaient toutes des éléments importants de ces dossiers, notamment la lettre d’accompagnement, les compétences requises et les commentaires du superviseur.

[182] En outre, le processus des officiers hiérarchiques était compatible avec l’approche privilégiée par le GNP. Mme Kenny a déclaré que, même si le GNP ne l’exige pas, il préfère que les officiers hiérarchiques utilisent une grille de pointage pour noter les dossiers de candidature dans le but d’accroître la transparence et de définir clairement les critères de la sélection finale.

[183] Le fait qu’il n’y ait pas une grille prédéterminée n’aide pas les plaignants à prouver qu’il y a eu discrimination, comme ils le prétendent. Selon Mme Kenny, il n’existe pas de grille normalisée au sein de la GRC et les grilles varient nécessairement en fonction des processus de promotion. J’accepte le témoignage de Mme Kenny selon lequel il pourrait être plus préjudiciable que bénéfique que d’avoir une grille universelle et normalisée pour sélectionner les candidats étant donné que les besoins varient d’un poste à l’autre, d’une unité à l’autre et d’un moment à l’autre.

[184] Mme Kenny a déclaré que, bien qu’aucun processus ne soit entièrement exempt de préjugés, plusieurs mesures ont été prises dans le cadre du processus de promotion des sous-officiers afin d’éviter que la prise de décision ne soit entachée de préjugés. L’officier hiérarchique doit envoyer sa justification au GNP afin que celui-ci l’examine avant la finalisation du processus de sélection. Le GNP s’assure ainsi que la justification du choix du candidat recommandé repose uniquement sur les renseignements figurant dans les dossiers de candidature. Les candidats peuvent également s’opposer à la participation d’un expert en la matière et d’un officier hiérarchique nommé dans le bulletin de possibilité d’emploi, ce que les plaignants n’ont pas fait pour les concours en cause. Les plaignants n’ont pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que ces mesures n’avaient pas permis de contrer les effets des préjugés raciaux potentiels dans les concours en cause.

[185] Les plaignants reprochent au GNP de ne pas avoir évalué les critères appliqués par les officiers hiérarchiques pour déterminer qui sont les candidats « tout indiqués » et prétendent qu’une telle omission a eu pour effet de rendre le processus de promotion encore plus subjectif et partial. J’accepte toutefois la preuve de la GRC selon laquelle l’officier hiérarchique, qui est habituellement l’officier responsable de l’unité chargé de superviser les opérations de l’unité, est le mieux placé pour définir les besoins de sa propre unité. Comme l’a dit Mme Kenny, il n’appartient pas au GNP de contester l’évaluation qu’a faite l’officier hiérarchique des besoins de l’unité étant donné que c’est ce dernier qui possède l’expertise requise.

[186] En l’espèce, rien ne permet de penser que le processus établi par le GNP n’a pas été respecté dans le cadre des concours en cause. En outre, le fait que le GNP ait joué un rôle limité dans le processus ne suffit pas, à lui seul, à étayer une inférence de discrimination.

[187] Comme je l’ai indiqué précédemment, je suis convaincu que les officiers hiérarchiques ont raisonnablement défini les compétences que devaient avoir les candidats « tout indiqués » sur la base de leur compréhension des besoins opérationnels de l’unité. Ils ont fourni des justifications complètes et raisonnables pour expliquer pourquoi ils avaient retenu certains candidats et ces justifications concordent avec ce qu’ils ont dit à l’audience. Malgré la subjectivité du processus de promotion des sous-officiers et le rôle limité du GNP, je ne peux pas conclure que la race a constitué un facteur dans les décisions par lesquelles les plaignants n’ont pas été promus.

K. Le mémo Strachan

[188] Les plaignants affirment que les officiers hiérarchiques responsables des sélections dans le cadre des concours en cause n’ont pas respecté les recommandations énoncées dans la note de service de mai 2016 de Jennifer Strachan, alors commandante de la Division O, en ce qui concerne l’équité en matière d’emploi dans le processus de promotion des sous-officiers. Selon eux, il s’agit là d’une autre preuve de discrimination.

[189] Le passage pertinent de la note de service est rédigé en ces termes :

[traduction]
Afin de promouvoir des emplois équitables et de réduire la sous-représentation dans une catégorie professionnelle, il faut prendre en considération l’équité en matière d’emploi dans tous les processus de promotion où au moins un des groupes visés par l’équité en matière d’emploi est sous-représenté. Par conséquent, après l’application du principe du mérite, il serait possible d’ajouter aux « autres compétences » énoncées dans les caractéristiques considérées comme des qualités avantageuses une exigence relative à l’équité en matière d’emploi afin de réduire la sous-représentation, d’améliorer les statistiques sur la représentation au sein de la population active et d’offrir des possibilités d’avancement. Le résultat final : la priorité pourrait être accordée à toutes les personnes qui satisfont aux exigences du poste et qui ont déclaré faire partie d’un groupe visé par l’équité en matière d’emploi, tel qu’il est indiqué dans les caractéristiques considérées comme des qualités avantageuses.

(Italiques dans l’original.)

[190] Je ne retiens pas l’argument des plaignants selon lequel les officiers hiérarchiques devaient, aux termes de la note de service, tenir compte de la race dans les concours en cause étant donné que les policiers racialisés étaient sous-représentés aux grades supérieurs de l’unité. La commissaire adjointe MP a affirmé — et j’admets son témoignage à cet égard — que la note de service ne constituait pas un [traduction] « ordre », mais simplement une « ligne directrice » quant à la façon d’appliquer les politiques nationales au sein d’une division.

[191] En outre, la formulation de la note de service ne donne pas à penser qu’il s’agit d’une procédure obligatoire. D’après cette note de service, après avoir d’abord appliqué le principe du mérite, il serait possible (et non obligatoire) d’ajouter aux caractéristiques considérées comme des qualités avantageuses une exigence relative à l’équité en matière d’emploi et la priorité pourrait être accordée (et non devrait être accordée) aux personnes qui satisfont aux exigences du poste et qui ont déclaré faire partie d’un groupe visé par l’équité en matière d’emploi.

[192] Au cours de leur témoignage, les officiers hiérarchiques ont expliqué ce qu’ils avaient compris de la note de service. Ils ont déclaré que le premier facteur à prendre en compte est le mérite du policier, qui est évalué sur la base des dossiers de candidature. Lorsque deux candidats ont des compétences équivalentes, la priorité pourrait être accordée au candidat qui fait partie d’un groupe visé par l’équité en matière d’emploi. Dans le cas qui nous occupe, les officiers hiérarchiques ont affirmé que les candidats retenus dans les concours avaient, sur la base de leur mérite, reçu une note plus élevée que les plaignants, ce qui explique que l’équité en matière d’emploi n’ait pas été prise en compte dans leurs décisions.

[193] Par ailleurs, dans leurs témoignages, les officiers hiérarchiques se sont montrés sensés et cohérents entre eux et ont proposé une interprétation raisonnable de la note de service. Je ne peux pas conclure que les officiers hiérarchiques ont enfreint une directive de la GRC ou que leur conduite laissait croire qu’ils avaient fait preuve de discrimination dans le cadre des concours en cause.

V. Conclusion

[194] De par sa nature, la discrimination est difficile à évaluer. La preuve est souvent circonstancielle, comme c’est le cas en l’espèce. Cependant, il ne suffit pas que la preuve circonstancielle soit compatible avec une inférence de discrimination. Elle doit tendre à prouver l’allégation de discrimination selon la prépondérance des probabilités.

[195] Je reconnais que les plaignants ont été victimes et témoins de racisme au sein de la GRC, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’unité. Je reconnais également qu’ils pensaient sincèrement être plus qualifiés que les candidats retenus et que leur race avait constitué un facteur dans les concours visant à obtenir une promotion. En outre, je retiens la preuve d’expert de Mme Samuels-Wortley selon laquelle le racisme systémique et les préjugés implicites peuvent limiter les possibilités de promotion pour les policiers racialisés.

[196] Si ces facteurs permettent de penser qu’il y a eu discrimination, ils ne permettent pas de prouver les allégations, car la preuve la plus importante est celle des concours eux-mêmes. Comme je l’ai indiqué précédemment, j’ai examiné les dossiers de candidature et je pense que les notes, les grilles de pointage, les justifications et les témoignages des officiers hiérarchiques étaient raisonnablement étayés par les renseignements figurant aux dossiers. J’estime également que les officiers hiérarchiques ont raisonnablement expliqué leurs choix et je ne peux pas conclure que leurs explications constituaient un prétexte à la discrimination. En outre, je ne peux pas conclure, sur la base des éléments de preuve dont je dispose, que les plaignants se sont vu priver d’un intérim ou d’autres possibilités en raison de leur race ou que leurs chances de promotion s’en sont trouvées réduites.

VI. Décision et ordonnance

[197] Les plaintes sont rejetées.

Signée par

Paul Singh

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 22 octobre 2024

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéros des dossiers du Tribunal : T2635/1121; T2636/1221; T2637/1321

Intitulé de la cause : SM, SV et JR c. Gendarmerie royale du Canada

Dates de l’audience : Du 14 novembre au 5 décembre 2023 (15 jours)

Date de présentation des observations finales écrites : Le 15 mars 2024

Date de la décision du Tribunal : Le 22 octobre 2024

Comparutions :

Malini Vijaykumar et Maya Fernandez, pour les plaignants

Kathryn Hucal et Jennifer L. Caruso, pour l’intimée

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