Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Mme Saldanha a travaillé à Statistique Canada pendant plusieurs années dans le cadre d’un emploi à durée déterminée. Elle s’identifie comme une personne appartenant à une minorité visible d’origine sud-asiatique. Elle a allégué que Statistique Canada avait fait preuve à son égard de discrimination fondée sur la race, la couleur et l’origine nationale ou ethnique. Elle estimait avoir été traitée de manière injuste par rapport à ses collègues blancs. Mme Saldanha a affirmé avoir subi un traitement défavorable de la part d’une superviseure ainsi que dans certaines décisions liées à l’emploi, notamment l’attribution du travail, la dotation, la transition vers une équipe bilingue et le refus de lui accorder un poste à durée indéterminée. Elle a également soutenu que Statistique Canada, en ne renouvelant pas son contrat, avait exercé des représailles contre elle pour avoir déposé une plainte en matière de droits de la personne.

Statistique Canada a nié ces allégations. L’organisme a soutenu que les relations interpersonnelles tendues au sein de l’équipe n’avaient rien à voir avec de la discrimination et par ailleurs, que ses décisions étaient prises uniquement pour des raisons opérationnelles. Il a également affirmé qu’aucune des personnes ayant travaillé au processus de sélection n’était au courant de la plainte en matière de droits de la personne déposée par Mme Saldanha, et partant, que des représailles étaient impossibles.

Le Tribunal a rappelé que son rôle n’est pas d’examiner des allégations générales d’injustice ou d’iniquité, sauf s’il existe un lien avec une caractéristique protégée. Il devait donc uniquement déterminer si Mme Saldanha avait subi un traitement défavorable, au moins en partie du fait de sa race, de sa couleur ou de son origine nationale ou ethnique.

Après avoir examiné les témoignages, les dossiers d’embauche et les politiques en milieu de travail, le Tribunal a conclu que les preuves étaient insuffisantes pour démontrer que Mme Saldanha avait subi un traitement défavorable du fait de sa race, de sa couleur ou de son origine nationale ou ethnique. Elle n’a pas établi l’existence d’un lien entre la dynamique du groupe et l’attitude discriminatoire présumée de sa superviseure ni entre les décisions de Statistique Canada et une caractéristique protégée. Le Tribunal a accepté l’argument de Statistique Canada selon lequel ses décisions étaient fondées sur des considérations d’efficacité et des exigences opérationnelles. Il n’a pas non plus trouvé de preuve de représailles et a conclu que le processus de renouvellement des postes à durée déterminée était équitable et objectif.

Pour toutes ces raisons, la plainte a été entièrement rejetée.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2024 TCDP 109

Date : Le 11 octobre 2024

Numéro du dossier : T2467/2420

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Barbara Saldanha

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Statistique Canada

l’intimé

Décision

Membre : Jennifer Khurana

 


I. APERÇU

[1] Barbara Saldanha, la plaignante, a travaillé pour Statistique Canada, l'intimé, de janvier 2004 à avril 2017, en tant qu'intervieweuse au sein des Opérations des enquêtes statistiques (les « OES »). Mme Saldanha s'identifie comme membre d'une minorité visible et comme personne d'origine sud-asiatique. Mme Saldanha a d'abord travaillé dans un bureau régional, puis a rejoint l'Enquête canadienne sur les mesures de la santé (l’« ECMS » ou l’« Enquête ») en 2007 en tant qu'intervieweuse sur place. L'ECMS était une équipe mobile composée d'intervieweurs qui menaient des interviews et des enquêtes sur la santé partout au Canada. Mme Saldanha aimait son travail au sein de l'ECMS, et tout allait bien avant qu'elle ne soit placée sous la responsabilité d’une nouvelle intervieweuse principale. En 2016, à la suite d'une décision de ne plus employer que des intervieweurs bilingues au sein de l'Enquête, Mme Saldanha a été retirée de l'équipe de l'ECMS et renvoyée dans sa région d'origine.

[2] Mme Saldanha allègue qu'elle a subi un traitement défavorable dans le cadre de son emploi en raison de sa race, de sa couleur et de son origine nationale et ethnique, et qu'elle a été traitée de manière injuste et inéquitable par rapport à ses collègues blancs, en contravention des alinéas 7a) et b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « Loi »). Mme Saldanha affirme notamment qu'elle a été injustement visée par l'application de diverses lignes de conduite, qu'elle a été la cible d'un comportement discriminatoire et inapproprié de la part de sa superviseure et que le passage de l’ECMS à un statut d’équipe bilingue, et son retrait de l’équipe en conséquence, n’était qu’un prétexte servant à dissimuler la discrimination. Enfin, Mme Saldanha allègue que, en raison de son dépôt d’une plainte en matière de droits de la personne, Statistique Canada a exercé des représailles à son endroit en ne retenant pas sa candidature dans le cadre d'un processus de sélection visant à combler des postes dans sa région d'origine, ce qui a eu pour effet de mettre fin à son emploi chez Statistique Canada.

[3] Statistique Canada nie les allégations et explique que Mme Saldanha était une employée frustrée qui ne s'entendait pas avec sa superviseure, et qui croyait que toutes les décisions de la direction qu'elle n'aimait pas la visaient personnellement. L'intimé fait valoir qu'il est inévitable que des conflits interpersonnels surviennent entre collègues d'une équipe itinérante qui passent beaucoup de temps ensemble, mais qu'aucun de ces problèmes n'était lié à la discrimination ou à une caractéristique protégée par la Loi. Il affirme que la gestion de l’ECMS exigeait une planification, un temps et des ressources considérables, et qu'il était nécessaire de prendre des décisions opérationnelles, lesquelles comprenaient des changements dans la structure de dotation en personnel. Aucune de ces décisions n’avait trait à la race, à la couleur ou à l'origine ethnique de Mme Saldanha. Statistique Canada nie également avoir orchestré le non-renouvellement du contrat d'emploi à durée déterminée de Mme Saldanha en représailles à sa plainte en matière de droits de la personne. Il soutient que rien ne prouve l’allégation de Mme Saldanha selon laquelle au moins une personne participant au processus de sélection était au courant de sa plainte en matière de droits de la personne.

[4] La Commission est partie à l'instance et agit dans l'intérêt public. Elle n'a pas participé à l'audience.

[5] Mme Saldanha est une femme intelligente et éloquente qui s'est admirablement représentée elle-même tout au long de l'instance. Mes conclusions n'enlèvent rien à ses compétences et à son expérience en tant qu'intervieweuse, lesquelles ont été reconnues par son employeur étant donné la durée de son emploi et les témoignages que j'ai entendus au sujet de son rendement. Toutefois, compte tenu des éléments de preuve dont je dispose et du droit que je me dois d’appliquer, j’estime qu'elle n’a pas satisfait aux critères auxquels elle aurait dû satisfaire pour établir qu’il y a eu de la discrimination ou des représailles au sens de la Loi.

II. DÉCISION

[6] La plainte de Mme Saldanha est rejetée. Elle n'a pas établi qu'il était plus probable qu’improbable que Statistique Canada lui ait fait subir un traitement défavorable, au moins en partie, du fait de sa race, de sa couleur ou de son origine nationale ou ethnique, ni qu'elle ait fait l'objet de représailles pour avoir déposé une plainte en matière de droits de la personne. Mme Saldanha n'a droit à aucune réparation en vertu de la Loi.

III. CONTEXTE

A. La structure des OES et de l’ECMS

[7] Les OES sont une organisation distincte chargée de la collecte de données d'enquête dans le cadre de programmes statistiques partout au Canada. Les OES jouent un rôle de soutien pour Statistique Canada, mais sont répertoriés comme organisme distinct à l'annexe V de la Loi sur la gestion des finances publiques.

[8] Il existe deux niveaux d'employés au sein des OES : les intervieweurs et les intervieweurs principaux. Ces derniers assurent la supervision quotidienne des autres intervieweurs, ce qui comprend la formation, l'attribution des tâches, l'évaluation du rendement et l'approbation des demandes de congé. Tous les intervieweurs des OES sont rémunérés à l'heure et ont une charge de travail qui varie en fonction de la nature des affectations disponibles. Des conventions collectives régissent les conditions d'emploi des intervieweurs des OES. L’intervieweur principal est sous la responsabilité du gestionnaire de la collecte des données (« GCD »), qui lui-même relève du gestionnaire de programme régional, qui rend ultimement compte au directeur de la Région du Centre, lequel relève à son tour du directeur général de la division Collecte et Services régionaux.

[9] Lancée en 2007, l'ECMS avait pour but de recueillir d'importants renseignements sur la santé des Canadiens en vue d'établir des liens entre les facteurs de risque de certaines maladies et l'état de santé. Il s'agissait d'une des nombreuses enquêtes auxquelles les intervieweurs des OES pouvaient être affectés. L'ECMS comportait deux volets : 1) la collecte de mesures directes de la santé par des experts médicaux (p. ex., des analyses sanguines, le poids); et 2) une enquête auprès des ménages afin de recueillir des renseignements sur la perception qu'ont les Canadiens de leur état de santé général. En l'espèce, il n'est question que du travail effectué dans le cadre de la seconde catégorie, à savoir la collecte des réponses à l'enquête.

[10] L'ECMS était composée d'intervieweurs qualifiés des OES qui se déplaçaient d'un emplacement à un autre en compagnie d'experts médicaux. Les employés des OES partout au Canada avaient la possibilité de répondre à des appels de déclaration d'intérêt pour manifester leur volonté d'être pris en considération en vue d’une affectation au sein de l'équipe de l'ECMS. Au fil des ans, d’autres appels de déclarations d’intérêt ont été lancés lorsque l’équipe nécessitait des membres supplémentaires, et les critères ont été ajustés pour refléter les besoins opérationnels de l'organisation. L'acceptation d'une affectation au sein de l'ECMS n'avait pas d'incidence sur le poste d’attache d'un intervieweur ou sur ses conditions d'emploi en vigueur.

B. Le travail de Mme Saldanha chez Statistique Canada entre 2003 et 2007

[11] Mme Saldanha a été embauchée en décembre 2003 en tant qu'intervieweuse principale sur le terrain au bureau régional de Toronto, à Scarborough (Ontario). Elle a d’abord été formée pour mener une enquête sur les dépenses liées au logement, mais a également travaillé sur d'autres projets, réalisant parfois plusieurs enquêtes à la fois. Elle effectuait des interviews en personne et par téléphone. En outre, elle recevait une prime linguistique parce qu'elle pouvait effectuer les interviews dans plusieurs langues, dont l'hindi, l'ourdou et l'arabe. Mme Saldanha n'a pas mené d'interviews en français. Elle aimait son travail, recevait des évaluations de rendement positives et n'avait aucun problème au travail.

C. Le projet ECMS, de 2007 à 2009

[12] L'ECMS a été lancée le 2 janvier 2007 et était gérée par la Division de la planification et de la gestion de la collecte (« DPGC »), à Ottawa. Au départ, il était exigé que les intervieweurs de l'ECMS soient bilingues et réussissent le niveau « BBC » de l’évaluation des compétences linguistiques du gouvernement fédéral. Mme Saldanha a posé sa candidature pour un poste d'intervieweuse après avoir pris connaissance de l’appel de déclarations d’intérêt, mais ne satisfaisait pas aux exigences linguistiques. Elle a continué à travailler sur divers contrats par l'intermédiaire du bureau régional de Toronto, à Scarborough.

[13] Mme Saldanha s'est jointe à l'ECMS à l'automne 2007, au cours du cycle 1 du projet, lorsque l’exigence linguistique pour l'ECMS a été levée.

D. Les griefs de Mme Saldanha

[14] Mme Saldanha a déposé plusieurs griefs portant sur des questions liées à la présente plainte.

[15] Le 24 avril 2013, Mme Saldanha a déposé un grief afin de contester son retrait de l'équipe de l'ECMS à la suite d'une dispute verbale avec un collègue en février 2013. Le 17 avril 2016, la plaignante a présenté un grief contre la décision de Statistique Canada de ne pas renouveler son affectation à l'équipe de l'ECMS au motif qu'elle n'était pas bilingue. Mme Saldanha a déposé un grief contre la décision de l'employeur de ne pas tenir de processus de sélection et de ne pas évaluer ses compétences linguistiques. Elle a également déposé un grief pour dénoncer l'utilisation de ce qu'elle estimait être une liste expirée et désuète des candidats admissibles.

[16] Le 10 juin 2016, après avoir présenté sa plainte en matière de droits de la personne, Mme Saldanha a formulé un grief dans lequel elle alléguait avoir subi un traitement défavorable fondé sur sa race en raison de l'intention et des motifs discriminatoires de l’intervieweuse principale de l'équipe de l’ECMS à son égard. Le 14 novembre 2016, la plaignante a déposé un grief dans lequel elle affirmait faire l’objet d’un traitement défavorable et ne pas recevoir d'affectations de travail. Elle demandait également à obtenir le statut d’emploi à durée indéterminée. Le 30 mai 2017, Mme Saldanha a introduit un grief pour contester le non-renouvellement de son contrat à durée déterminée et a demandé sa réintégration immédiate.

IV. QUESTIONS DE PROCÉDURE ET QUESTIONS DE PREUVE

A. Déroulement de l’audience

[17] Au début de l'audience, j'ai proposé de poser à Mme Saldanha des questions ouvertes et de lui permettre ensuite de produire tout élément de preuve supplémentaire qui n'aurait pas été abordé dans le cadre de mes questions. Les parties ont accepté ma proposition. J'ai également dit aux parties qu’elles pouvaient intervenir à tout moment en cas de doute sur l'une ou l'autre de mes questions. Les parties n'ont pas soulevé de préoccupations concernant mes questions durant le témoignage de Mme Saldanha, ni à tout autre moment au cours de l'audience.

[18] Je n'ai pas demandé aux parties de faire des exposés introductifs, mais je leur ai donné la possibilité de présenter un bref exposé si elles le souhaitaient. J'ai également invité les parties à me faire part de leurs commentaires sur les questions en litige et sur la manière dont je les avais caractérisées. Étant donné que Mme Saldanha avait formulé un certain nombre d'allégations dans son exposé des précisions, j'ai suggéré de les regrouper en trois catégories : 1) les allégations relatives à Mme Doucette, 2) les allégations concernant les changements apportés à l'ECMS, 3) les allégations de représailles liées au processus d'embauche de 2017. Les parties y ont consenti. Mme Saldanha a également confirmé qu'elle n'alléguait pas avoir été licenciée sur la base d'un motif protégé, mais plutôt que le dépôt de sa plainte en matière de droits de la personne avait joué un rôle dans le non-renouvellement de son contrat en 2017.

[19] Mme Saldanha avait l'intention de convoquer trois témoins à l'audience, soit Ayesha Alagaratnam, Maria Lopez et Lynn Minor, toutes trois intervieweuses à l’ECMS. Mme Minor a été citée à comparaître, mais n'a pas témoigné. Statistique Canada a appelé cinq témoins, à savoir Catherine Puopolo, Marlene Mathon, Maryse Doucette, Geoff Bowlby et Karla Collins.

B. La requête de Mme Minor visant à obtenir le statut de partie intéressée

[20] Mme Saldanha avait l'intention de faire témoigner Lynn Minor à l'audience. Elle a présenté un résumé du témoignage anticipé de Mme Minor, conformément à la directive du Tribunal exigeant des parties qu’elles présentent, avant l'audience, des résumés détaillés des témoignages anticipés. Peu avant le début de l'audience, Mme Minor a contacté le Tribunal afin de lui exprimer ses inquiétudes au sujet de son témoignage.

[21] Lorsque Mme Minor a comparu à l'audience, elle a déclaré que l'instance de Mme Saldanha était utilisée pour créer un récit trompeur sur le passage de l'ECMS à un statut de programme bilingue et qu'il y avait un conflit entre les renseignements examinés dans l'affaire de Mme Saldanha et ceux relatifs à une autre instance. Elle était disposée à lire sa déclaration écrite, mais ne voulait pas témoigner. J'ai dit à Mme Minor que le but de sa comparution était d'entendre son témoignage, que Mme Saldanha lui poserait des questions et que Statistique Canada aurait la possibilité de la contre-interroger. J'ai refusé d’accéder à sa demande de parler aux représentantes juridiques de Statistique Canada. Par la suite, Mme Minor a écrit au Tribunal pour expliquer qu'elle devait consulter un avocat, puisque j'avais ignoré ses préoccupations. Mme Minor a également demandé à ce que la décision de lui délivrer une citation à comparaître soit réexaminée.

[22] J'ai demandé aux parties de me faire part de leurs observations sur la marche à suivre. Statistique Canada a annoncé son intention de contester toute demande d'ajournement, de même que l'admissibilité de la déclaration écrite de Mme Minor. Mme Saldanha ne voulait pas attendre que Mme Minor consulte un avocat ni demander un ajournement pour tenter de faire exécuter la citation. Elle a donc choisi de poursuivre sans le témoignage de Mme Minor.

C. La requête de Mme Minor visant à obtenir le statut de partie intéressée

[23] Après sa brève comparution à l'audience, Mme Minor a déposé une requête en vue d’obtenir le statut de partie intéressée à l’égard de l'instance. Elle a aussi demandé à pouvoir présenter une déclaration concernant ses répercussions personnelles, parce qu'elle voulait faire part au Tribunal de l’expérience négative qu’elle avait vécue pendant son emploi chez Statistique Canada. Mme Minor a également affirmé qu'il s’agissait d’une question d'abus à l'égard de femmes occupant des postes précaires et mal rémunérés. Dans sa requête, Mme Minor a notamment évoqué un présumé conflit lié à la décision de l'intimé de placer l'ECMS sous la responsabilité du bureau régional.

[24] Le Tribunal a compétence pour permettre à une personne d’intervenir devant lui à titre de partie intéressée relativement à une plainte (par. 50(1) de la Loi et par. 27(3) des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne). Il incombe au requérant de démontrer en quoi son expertise aidera à trancher les questions en litige. Le statut de partie intéressée ne sera pas accordé s’il ne contribue pas de façon importante aux positions juridiques des parties alléguant un point de vue semblable. Le Tribunal doit également prendre en compte la responsabilité qui lui incombe, selon le paragraphe 48.9(1) de la Loi, d’instruire les plaintes sans formalisme et de façon expéditive au moment de déterminer l’étendue de la participation d’une partie intéressée. L'ajout d'une partie intéressée peut nuire à l’instance du Tribunal et n'est pas justifié du seul fait que la partie requérante a un intérêt dans l'issue d'une affaire ou un intérêt personnel dans l’instance.

[25] Le requérant du statut de partie intéressée doit démontrer que :

a) son expertise aiderait le Tribunal;

b) sa participation ajouterait à la position juridique des parties;

c) l’instance pourrait avoir des répercussions sur ses intérêts.

Walden et autres. c Procureur général du Canada, 2011 TCDP 19, au par. 23 [Walden].

[26] Le Tribunal a statué qu’une personne ou une organisation peut se voir accorder le statut de partie intéressée si l’instance a des incidences sur elle et si elle peut aider le Tribunal à trancher les questions dont il est saisi. Cette aide doit également apporter un éclairage différent aux thèses défendues par les autres parties et contribuer à la prise de décision par le Tribunal (Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 11, au par. 3).

[27] Mme Saldanha et Statistique Canada se sont tous deux opposés à la demande de Mme Minor. Tous deux étaient préoccupés par le moment où la requête a été présentée, par les retards qui résulteraient de la participation de Mme Minor à ce stade avancé de l'instance et par le préjudice qui en résulterait pour eux. Statistique Canada a fait valoir que Mme Minor n'offrait aucune expertise unique qui aiderait le Tribunal dans son processus décisionnel. Les parties ont également convenu que, si elle avait témoigné, Mme Minor aurait pu présenter des éléments de preuve et relater les faits décrits dans sa requête.

[28] Après avoir entendu la position des parties, j'ai rendu oralement une décision rejetant la requête. Bien que j'avais déjà statué sur la requête, Mme Minor a par la suite envoyé au Tribunal une communication dans laquelle elle demandait le retrait des documents qu'elle avait envoyés au Tribunal sans l'aide d'un avocat, à savoir sa requête visant à obtenir le statut de partie intéressée; sa demande de réexamen de la décision du Tribunal de lui délivrer une citation à comparaître; la [traduction] « déclaration sur les répercussions » qu'elle avait présentée; et tout autre document qu'elle aurait envoyé après le 9 juillet 2021.

[29] J'estime qu'accorder à Mme Minor le statut de partie intéressée n'aurait pas apporté une expertise particulière au Tribunal et ne m'aurait pas aidé dans ma tâche, laquelle consiste à déterminer si Statistique Canada a porté atteinte aux droits que la Loi garantit à Mme Saldanha et, dans l'affirmative, de décider de la réparation appropriée pour une telle atteinte. Je suis également d’avis que le moment auquel surviendrait l'ajout proposé de Mme Minor comme partie intéressée porterait atteinte aux droits des parties. Le Tribunal n'accordera pas le statut de partie intéressée à une personne du seul fait qu'elle est personnellement intéressée par l’instance tenue devant lui. Ce statut n'est pas interchangeable avec celui de témoin de l'une des parties. La présente décision concerne la plainte de Mme Saldanha. Mme Minor avait la possibilité de témoigner si elle souhaitait être entendue au sujet de la preuve pertinente par rapport à la plainte de Mme Saldanha.

[30] Statistique Canada s'est opposé à l'admission en preuve de la déclaration écrite de Mme Minor au motif qu'il ne pourrait pas contre-interroger le témoin. Après avoir entendu les arguments des parties sur cette question, j'ai admis la déclaration de Mme Minor, mais j'ai informé les parties que je recevrais leurs observations sur la question du poids à lui accorder, le cas échéant, étant donné que les éléments de preuve présentés par Mme Minor ne pouvaient pas être contestés. J'aborderai cette question ci-après dans le cadre de mes conclusions propres à chaque allégation.

D. Langue de la procédure

[31] L'audience s'est déroulée en anglais. Statistique Canada a appelé un témoin, Mme Doucette, qui a comparu en français. Le Tribunal a prévu des services d'interprétation simultanée qui étaient à la disposition de tous les participants et observateurs qui souhaitaient en bénéficier.

E. Terminologie

[32] Les allégations de Mme Saldanha sont fondées sur la race, la couleur ou l'origine nationale ou ethnique. Je désignerai ces éléments collectivement par le terme « caractéristiques protégées ». Dans la présente décision, je qualifierai les personnes qui ne sont pas caucasiennes de « racisées », et les personnes qui sont caucasiennes, de « blanches ».

V. QUESTIONS EN LITIGE

[33] Je dois trancher les questions suivantes :

1. Mme Saldanha a-t-elle établi une preuve prima facie de discrimination au sens de l'article 7 de la Loi parce que Statistique Canada lui a fait subir un traitement défavorable, au moins en partie du fait de sa race, de sa couleur ou de son origine nationale ou ethnique?

a) Dans l'affirmative, Statistique Canada a-t-il démontré de manière valable que ses actes par ailleurs discriminatoires étaient justifiés?

b) Si Statistique Canada ne peut justifier ses actes, quelles réparations convientil d’accorder par suite de la discrimination?

2. Statistique Canada a-t-il, contrairement à l’article 14.1 de la Loi, exercé des représailles contre Mme Saldanha parce qu’elle avait déposé une plainte en matière de droits de la personne, lorsqu’il a exigé d’elle qu’elle concoure pour un poste, pour finalement rejeter sa candidature? Dans l’affirmative, quelles réparations convientil d’accorder à Mme Saldanha par suite des représailles?

VI. MOTIFS ET ANALYSE

A. Cadre juridique

(i) Discrimination au sens de l’article 7 de la Loi

[34] Mme Saldanha allègue avoir été victime de discrimination en matière d’emploi pour les motifs de la race, de la couleur ou de l’origine nationale ou ethnique, en contravention de l'article 7 de la Loi. Prouver la discrimination dans un contexte d’emploi se fait en deux temps.

[35] Le plaignant a le fardeau de prouver l’existence d’une preuve prima facie de discrimination. L’utilisation de l’expression « discrimination prima facie » ne doit pas être assimilée à un allègement de l’obligation du plaignant de convaincre le Tribunal selon la norme de la prépondérance des probabilités, laquelle continue toujours de lui incomber (Québec (C.D.P.D.J) c. Bombardier Inc., 2015 CSC 39, au par. 65 [Bombardier].

[36] Pour établir l’existence d’une preuve prima facie, le plaignant doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable qu’il satisfasse aux trois volets de ce critère, à savoir : 1) qu’il possède une caractéristique protégée par la Loi contre la discrimination; 2) qu’il a subi un effet préjudiciable relativement à l’emploi; et 3) que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable (Moore c. C.-B. (Éducation) 2012 CSC 61, au par. 33).

[37] La caractéristique protégée n’a pas à avoir été le seul facteur dans le traitement défavorable et il n’est pas nécessaire d’établir l’existence d’un lien de causalité (voir, p. ex., la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2 [SSEFPNC], au par. 25).

[38] Afin de déterminer s’il y a eu discrimination, le Tribunal peut examiner les éléments de preuve produits par toutes les parties. L’intimé peut présenter soit des éléments de preuve réfutant l’allégation de discrimination prima facie, soit une défense justifiant la conduite visée à l’article 15 de la Loi, ou les deux (voir la décision Bombardier, aux par. 64, 67 et 81; Emmett c. Agence du revenu du Canada, 2018 TCDP 23, aux par. 61 et 63 à 67).

[39] Si le plaignant établit l’existence d’une preuve prima facie de discrimination, l’intimé doit alors justifier sa décision ou son comportement en invoquant les exemptions prévues par la Loi ou développées par la jurisprudence (Bombardier, précipité, au par. 37).

[40] Les stéréotypes raciaux sont généralement le fruit de croyances et de préjugés subtils et inconscients (Radek v. Henderson Development (Canada) Ltd., 2005 BCHRT 302, au par. 482). Pour déterminer si une conclusion de discrimination fondée sur la race est plus probable que l’explication fournie par l’intimé, je dois tenir compte de la nature de la discrimination raciale telle qu’elle est comprise aujourd’hui, et du fait qu’elle sera souvent le fruit d’attitudes et de préjugés appris et qu’elle s’opère souvent à un niveau inconscient (Shaw v. Phipps, 2010 ONSC 3884, au par. 75). En l’absence de preuve directe de discrimination, « il revient [au Tribunal] de conclure à la discrimination à partir de la conduite présumée discriminatoire de la ou des personnes en cause. […] Il faut analyser soigneusement la conduite présumée discriminatoire dans le contexte dans lequel elle a pris naissance » (Basi c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP), aux pages 10 à 16 [Basi]).

B. Représailles

[41] Les plaintes de représailles sont fondées sur le fait qu’une plainte en matière de droits de la personne a été déposée, plutôt que sur un motif de distinction illicite (Iron c. Première Nation crie de Canoe Lake, 2024 TCDP 81, au par. 18). Pour prouver qu'il y a eu représailles, le plaignant doit démontrer :

a) qu’il a déposé une plainte en matière de droits de la personne en vertu de la Loi;

b) qu’il a subi un effet préjudiciable;

c) que le dépôt de la plainte en matière de droits de la personne a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable.

(Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2015 TCDP 14, aux par. 4 et 5.)

[42] Il n’est pas non plus nécessaire d’établir une preuve d’intention d’exercer des représailles, et le Tribunal peut se fonder sur la perception raisonnable d’un plaignant que l’acte constituait des représailles pour avoir déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne (voir la décision Première Nation Millbrook c. Tabor, 2016 CF 894, aux par. 63 et 64). L’intimé peut présenter des éléments de preuve pour réfuter l’allégation de représailles prima facie, mais son explication doit être raisonnable et ne pas constituer un prétexte.

VII. CONCLUSIONS RELATIVES À LA CRÉDIBILITÉ

[43] L’issue de la présente affaire repose en grande partie sur mes conclusions de fait concernant les incidents allégués et sur mes évaluations de la crédibilité. À certains moments, les parties ont présenté des comptes rendus nettement divergents de ce qui s’était passé. Dans les cas où il a été nécessaire de résoudre des contradictions relevées dans la preuve, j’ai exposé mes motifs, ci-après.

[44] Dans mon évaluation de la crédibilité et de la fiabilité dans la présente affaire, j’ai appliqué le critère traditionnel établi par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Faryna v. Chorny, 1951 CanLII 252 (BC CA), [1952] 2 D.L.R. 354. Au moment de tirer des conclusions sur la crédibilité, j’ai essayé de déterminer quel compte rendu des faits relatifs à chaque question était [traduction] « compatible avec la prépondérance des probabilités qu’une personne pragmatique et bien renseignée reconnaîtrait aisément comme raisonnable » dans les circonstances.

[45] J’ai tenu compte des facteurs suivants pour déterminer si les déclarations d’un témoin étaient [traduction] « compatible[s] avec la prépondérance des probabilités »:

• la cohérence ou l’incohérence interne du témoignage;

• la capacité du témoin à observer une situation et à s’en souvenir;

• la volonté du témoin d’adapter son témoignage ou la possibilité qu’il le fasse;

• la volonté du témoin d’embellir son témoignage ou la possibilité qu’il le fasse;

• l’existence d’éléments de preuve corroborants;

• les motifs des témoins ou leur relation avec les parties;

• le défaut de produire des éléments de preuve matériels.

(voir McWilliam v. Toronto Police Services Board, 2020 HRTO 574 (CanLII), au par. 50, citant Shah v. George Brown College, 2009 HRTO 920, aux par. 12 à 14; et Staniforth v. C.J. Liquid Waste Haulage Ltd., 2009 HRTO 717, aux par. 35 et 36).

A. Question en litige no 1 : Mme Saldanha a-t-elle établi une preuve prima facie de discrimination au sens de l'article 7 de la Loi?

(i) Mme Saldanha a-t-elle droit à une protection contre la discrimination du fait qu’elle possède une caractéristique protégée?

[46] Oui. Il n'est pas contesté que Mme Saldanha possède une caractéristique protégée par la Loi. L'intimé n'a pas fait valoir que Mme Saldanha n’était pas visée par les mesures de protection offertes par la Loi.

(ii) Mme Saldanha a-t-elle subi un effet préjudiciable relativement à son emploi?

(iii) La race, la couleur ou l’origine nationale ou ethnique de Mme Saldanha a-t-elle constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable?

[47] Aucun des incidents ou comportements que Mme Saldanha allègue comme étant discriminatoires ne répond aux exigences de la deuxième et de la troisième partie du critère relatif à la preuve prima facie. Dans certains cas, j'estime qu'elle n'a pas démontré qu’elle avait subi un effet préjudiciable ou un traitement défavorable. Quant aux incidents qui satisfont à cette partie du critère, j'estime que Mme Saldanha n'a pas établi qu’ils avaient un lien avec l’une ou l’autre de ses caractéristiques protégées. Ci-après, sous chaque incident de discrimination allégué, j'ai énoncé les conclusions que j’ai tirées à l’issue de mon analyse relative aux deuxième et troisième parties du critère.

[48] J'ai regroupé les allégations de discrimination formulées par Mme Saldanha en deux grandes catégories. Premièrement, Mme Saldanha a formulé plusieurs allégations selon lesquelles elle avait subi un traitement défavorable pendant qu'elle travaillait à l'ECMS et que Mme Doucette était sa superviseure. Elle a allégué que Mme Doucette exerçait de la discrimination à l'égard des intervieweurs racisés et qu’elle privilégiait ses collègues blancs francophones. Deuxièmement, Mme Saldanha allègue que le passage de l'ECMS au statut de programme bilingue était un moyen de se débarrasser d'elle, au moins en partie du fait d'une caractéristique protégée.

B. ALLÉGATIONS DE DISCRIMINATION AU SEIN DE L’ÉQUIPE DE L’ECMS

[49] Pendant deux ans, Mme Saldanha a occupé ce qu'elle a décrit comme un emploi de rêve. Les intervieweurs parcouraient le Canada, consacrant six semaines d'affilée à interviewer des Canadiens en personne. La dynamique de l'équipe était positive. Les intervieweurs socialisaient à l'hôtel, organisaient des barbecues, passaient du temps ensemble les fins de semaine, partageaient leurs repas et voyageaient ensemble. Ils bénéficiaient de programmes de primes de voyage et étaient même autorisés à utiliser les véhicules de location loués par le gouvernement pour sortir des limites de la ville et visiter des endroits comme Banff. Selon Mme Saldanha, la dynamique a entièrement changé lorsque l'équipe a commencé à relever de Mme Doucette, qui a instauré une culture d'exclusion. L'équipe n'était plus soudée.

[50] Les témoins des deux parties ont fait état d'un certain nombre de problèmes au sein du groupe. Les exemples suivants sont révélateurs de la nature des problèmes qui m'ont été communiqués : des intervieweurs se sentaient exclus parce qu'ils n'étaient pas invités à des événements sociaux; un [traduction] « faux dîner d'adieu » avait été organisé; des intervieweurs racontaient des rumeurs les uns sur les autres; des parties de poker étaient organisées; des intervieweurs avaient reçu tard dans la nuit des appels de collègues qui avaient besoin de se faire raccompagner après une nuit de fête; des intervieweurs avaient l'impression que la direction faisait du favoritisme; il y a eu des comportements [traduction] « turbulents » et des conversations sur la vie sexuelle des intervieweurs; des intervieweurs avaient affirmé qu'ils n'avaient pas reçu la nouvelle veste officielle de Statistique Canada; et des intervieweurs auraient abusé de la politique gouvernementale sur l'utilisation de véhicules de location et les indemnités journalières.

[51] Statistique Canada fait valoir que les relations interpersonnelles étaient tendues au sein de l'équipe de l'ECMS, comme on peut s'y attendre de toute équipe diversifiée travaillant dans des conditions particulières, mais que les causes de ces tensions n’avaient rien à voir avec de la discrimination.

[52] Je suis d'accord. Comme je l'explique ci-après, je n'ai pas de difficulté à conclure que Mme Doucette et Mme Saldanha ne s'aimaient pas et que l'équipe était marquée par la division et une dynamique de groupe malsaine. Je ne suis toutefois pas persuadée que ces problèmes ou les comportements de Mme Doucette étaient liés à une caractéristique protégée. L'antipathie entre Mme Saldanha et Mme Doucette s'explique par un certain nombre de raisons, mais la preuve ne permet pas de conclure à l’existence d’un lien avec la race, la couleur ou l'origine ethnique de Mme Saldanha.

[53] Il ne m'appartient pas de tirer des conclusions sur des allégations générales d'iniquité, ni de porter un jugement sur le professionnalisme ou la conduite de fonctionnaires fédéraux dont les salaires sont payés par les contribuables et qui étaient censés voyager à travers le pays dans le but de mener d'importantes enquêtes sur la santé des Canadiens. En l'absence d'un lien avec la Loi, il ne m'appartient pas non plus de me prononcer sur les compétences de gestion de Mme Doucette ou de la GCD dont elle relevait, ou plus généralement, sur la gouvernance et la gestion de l'ECMS. Je dois me concentrer uniquement sur la question de savoir si Mme Saldanha a subi un traitement défavorable alors qu'elle travaillait à l'ECMS, au moins en partie du fait d'une caractéristique protégée.

[54] Marlene Mathon était chef adjointe des enquêtes sur la santé de 2011 à 2016. Elle assurait la gestion administrative de l'équipe de l'ECMS, y compris les indemnités journalières et les demandes de voyage. La GCD rendait compte à Mme Mathon qui, à son tour, relevait de Maureen Charron, chef des enquêtes sur la santé. Mme Mathon a décrit le groupe itinérant de l'ECMS comme une [traduction] « famille dysfonctionnelle ». Elle savait qu'il y avait de la discorde et du favoritisme au sein du groupe et que la GCD, Mme Arrowsmith, avait une clique. Certains intervieweurs [traduction] « faisaient la fête » et aimaient prendre un verre, d'autres non. Dans son témoignage, Mme Mathon a affirmé qu'elle avait travaillé avec la GCD pour corriger certains comportements problématiques au sein du groupe.

[55] Je reconnais qu'une personne peut être exclue d'une activité professionnelle ou d'un événement social de groupe au moins en partie du fait d'une caractéristique protégée. La dynamique est d'autant plus compliquée que la démarcation entre les heures de travail et les temps libres des intervieweurs était brouillée, puisqu'ils voyageaient ensemble pendant des semaines. Je comprends également que, au moment de déterminer pourquoi un gestionnaire ou un superviseur a ses [traduction] « favoris », il peut être difficile de distinguer la culture et la langue des autres facteurs qui interviennent dans la dynamique d'un milieu de travail.

[56] Je ne suis cependant pas convaincue que les expériences de Mme Saldana en tant que membre du groupe et les conflits entre les intervieweurs soient le résultat d'un comportement discriminatoire de la part de Mme Doucette.

[57] Mme Lopez, une autre intervieweuse de l'équipe qui avait déjà travaillé avec Mme Doucette, a déclaré qu’elle avait eu l’impression d’être jetée dans un [traduction] « nid de vipères » lorsqu'elle s'était jointe à l’ECMS. Les membres de l'équipe étaient horribles les uns envers les autres. Mme Lopez a décrit ceux qui n'étaient pas proches de Mme Doucette comme étant les [traduction] « laissés-pour-compte » ou les [traduction] « rejets », un groupe qui comprenait Mme Saldanha et Mme Alagaratnam, ainsi que quelques intervieweurs blancs. Les « laissés-pour-compte » étaient tolérés, mais n'étaient pas invités aux sorties sociales; ils se composaient essentiellement des personnes qui n'aimaient pas sortir prendre un verre. Mme Doucette a également reconnu dans son témoignage qu'elle avait eu des relations difficiles avec Mme Saldanha, Mme Minor, Mme Lopez et une autre intervieweuse, Mme Gresham.

[58] Par ailleurs, j'estime que Mme Saldanha a elle-même contribué à cette dynamique tendue et aux divisions au sein du groupe. Dans son témoignage, Mme Doucette a déclaré que, lorsqu'elle s'était jointe à l'ECMS, Mme Saldanha lui avait dit qu'elle aurait du mal à s'intégrer dans l'équipe parce qu'elle était francophone. Mme Lopez a également rapporté à Mme Doucette que Mme Saldanha avait traité Mme Doucette de [traduction] « merde blanche » et parlé en mal de la gestion de l'équipe. Mme Doucette avait signalé ces propos à la GCD, car elle craignait que Mme Saldanha ne nuise au moral et au fonctionnement de l'équipe de l'ECMS, et elle avait discuté avec Mme Saldanha de la situation. Selon Mme Doucette, Mme Saldanha avait nié avoir tenu ces propos, mais elle avait continué à faire fi de son autorité. Toujours selon elle, Mme Saldanha avait également eu des conflits avec certains des autres intervieweurs.

[59] Mme Doucette a reconnu, dans son témoignage, qu'en tant qu'intervieweuse, Mme Saldanha obtenait des taux de réponse positifs. Elle avait généralement donné à Mme Saldanha des rétroactions positives dans ses évaluations de rendement, mais, selon ses dires, le problème résidait dans l'attitude de Mme Saldanha. Elle a écrit que celle-ci [traduction] « d[evait] travailler sur ses relations avec ses superviseurs et ses collègues afin de mieux remplir son rôle au sein de l'équipe de l'ECMS » et qu’elle [traduction] « n'accept[ait] pas les critiques constructives, ce qui rend[ait] la communication très difficile ». Mme Doucette a également témoigné avoir reçu un certain nombre de plaintes de la part de personnes sondées dans le cadre de l'ECMS, qui ont déclaré ne pas avoir aimé l'approche de Mme Saldanha ou l'avoir trouvée intimidante. Elle avait également reçu des plaintes de la part de certains gestionnaires d'hôtels parce que le personnel trouvait les demandes de Mme Saldanha exigeantes. Mme Doucette a déclaré qu'il était évident que Mme Saldanha la détestait, qu'elle ne voulait pas entendre sa rétroaction et qu'elle refusait d'admettre ses erreurs. Mme Doucette maintient que c'est elle qui avait été maltraitée par Mme Saldanha, à commencer par la façon dont elle avait été accueillie à son arrivée à l'ECMS.

[60] Plusieurs membres de l'équipe de l'ECMS, dont Mme Saldanha, ont déposé une plainte en milieu de travail contre Mme Doucette en mars 2016. Dans cette plainte, ils alléguaient, entre autres, qu’il y avait eu du harcèlement et un traitement injuste et défavorable envers des membres de l’équipe. Je suis d'accord avec Statistique Canada pour dire que la plainte collective ne corrobore pas l'allégation de Mme Saldanha selon laquelle Mme Doucette avait pris pour cible les intervieweurs racisés. Si la discrimination était une préoccupation pour Mme Saldanha, il serait raisonnable de s'attendre à ce qu'il en soit fait mention dans cette plainte, par ailleurs très détaillée et approfondie. Or, la seule mention de discrimination raciale dans les sept pages de la plainte avait trait à un incident touchant Mme Alagaratnam, laquelle alléguait que Mme Doucette avait fait preuve de racisme en l'accompagnant lors d'un interview et en proposant de le mener à sa place lorsque la personne sondée avait initialement refusé de participer à l'enquête. Il n'est fait mention de discrimination ou d'une caractéristique protégée dans aucune des autres allégations formulées dans la plainte collective.

[61] Dans son témoignage, Mme Alagaratnam a déclaré qu'elle avait initialement aimé travailler à l'ECMS et voyager partout au Canada, mais qu'elle avait subi un traitement discriminatoire dévalorisant et humiliant de la part de Mme Doucette, et que la GCD n'avait rien fait ni dit pour mettre un terme à ce comportement. Mme Alagaratnam a déclaré que Mme Doucette avait créé un environnement toxique et qu'elle avait l'impression d'être observée plus attentivement que les autres parce qu'elle avait une couleur de peau différente et qu'elle n'était pas francophone.

[62] Mme Doucette a déclaré qu'elle avait cru entretenir une relation très positive avec Mme Alagaratnam avant qu'elle ne commence à lire les documents liés à la plainte. Mme Alagaratnam ne lui avait jamais fait part de ses préoccupations et ne lui avait jamais dit qu'elle avait l'impression d'être traitée différemment du reste de l'équipe. Mme Doucette trouvait que Mme Alagaratnam était une intervieweuse assidue, et elle n'avait rien de négatif à dire au sujet de son rendement. Mme Doucette a également déclaré que Mme Alagaratnam s'était plainte auprès d'elle de ce que Mme Saldanha lui demandait de faire des choses à sa place. Mme Doucette lui avait répondu qu'elle n'était pas le petit chien de Mme Saldanha. Lorsqu’interrogée sur l'incident mentionné dans la plainte collective, Mme Doucette a déclaré que, lorsque la personne interviewée avait refusé de participer à l'enquête, elle avait proposé de mener l'interview elle-même, car il s'agissait d'une technique utilisée pour tenter d'améliorer les taux de réponse. Elle a nié que cette offre ait eu quoi que ce soit à voir avec la race et a déclaré qu'il s'agissait d'une pratique courante et d'une technique fréquemment utilisée.

[63] J'admets le témoignage de Mme Doucette au sujet de Mme Alagaratnam, et je reconnais qu'elle avait eu une raison légitime et non discriminatoire d'agir comme elle l'avait fait lors de l’interview de Mme Alagaratnam. Dans son témoignage sur la dynamique malsaine au sein de l'équipe, Mme Doucette a mentionné Mme Saldanha, Mme Minor, Mme Lopez et une autre intervieweuse avec laquelle elle avait eu des difficultés, mais n'a à aucun moment présenté Mme Alagaratnam comme une personne problématique ou ayant eu un effet négatif sur la dynamique du groupe. Mme Alagaratnam a déclaré dans son témoignage qu'elle s'était sentie maltraitée par Mme Doucette parce qu'elle n'était pas blanche, mais à cet égard, elle n’a fait part que de soupçons sur ce qu'elle croyait que Mme Doucette pensait d'elle. Durant tout son témoignage sur les divisions au sein du groupe, Mme Alagaratnam n'a jamais indiqué que ces divisions étaient fondées sur la race, la couleur ou l'origine ethnique. Selon elle, les divisions résultaient plutôt des tensions linguistiques entre anglophones et francophones et du fait que certains intervieweurs aimaient socialiser et sortir prendre un verre, tandis que d'autres préféraient se tenir à l'écart et se concentrer sur leur travail. En outre, Mme Alagaratnam a déclaré qu'elle s'était plainte de Mme Doucette auprès de Mme Mathon, mais qu’elle n’avait pas mentionné la race ou un autre motif de discrimination. À mon avis, le témoignage de Mme Alagaratnam n'étaye pas les allégations de Mme Saldanha selon lesquelles Mme Doucette aurait créé des divisions et des problèmes au moins en partie du fait de la discrimination.

[64] En résumé, j'accepte l'argument de Statistique Canada selon lequel les problèmes interpersonnels au sein de l'équipe de l'ECMS n'avaient rien à voir avec la discrimination. Je reconnais que, souvent, il n'y a pas d'éléments de preuve directs à l'appui d'allégations de discrimination raciale et que je dois évaluer le comportement discriminatoire allégué en tenant compte du contexte dans lequel il survient. Toutefois, à mon avis, Mme Saldanha n'a présenté rien de plus que ses croyances subjectives et des spéculations pour étayer ses allégations de discrimination au sein de l'équipe. En l'absence de tout fait substantiel susceptible d'étayer une telle allégation, je ne peux pas conclure que la race ou une autre caractéristique protégée a joué un rôle dans le fonctionnement de l'équipe de l’ECMS. Mme Saldanha n'a pas établi l'existence d'un lien entre la dynamique du groupe et l'attitude discriminatoire présumée de Mme Doucette.

C. Allégations relatives à des commentaires discriminatoires

[65] Ni Mme Saldanha ni Mme Alagaratnam n'ont déclaré dans leur témoignage que Mme Doucette leur avait adressé des commentaires discriminatoires ou en avait fait en leur présence. Mme Saldanha a toutefois affirmé avoir vu Mme Doucette faire une grimace en décrivant un intervieweur noir.

[66] Le témoignage de Mme Lopez sur Mme Doucette se démarque nettement de ceux de Mme Saldanha et de Mme Alagaratnam. Selon Mme Lopez, Mme Doucette aurait fait un certain nombre de commentaires discriminatoires et aurait manifesté une attitude ouvertement discriminatoire. Par exemple, pendant que l’ECMS se déroulait à Regina, le réfrigérateur de la chambre de Mme Lopez s'était brisé. Lorsqu’elle avait été informée de la situation, Mme Doucette avait dit à Mme Lopez qu'elle ne voulait rien avoir à faire avec la gestionnaire de l'hôtel, puisque [traduction] « c'[était] cette femme noire ». Selon Mme Lopez, Mme Doucette admettait ouvertement qu'elle n'aimait pas certaines cultures et certains groupes ethniques. À la question de savoir si elle avait entendu Mme Doucette faire des commentaires discriminatoires à l'égard de Mme Saldanha, Mme Lopez a répondu qu'elle pensait que c’était le cas, mais qu'elle n'arrivait pas à se souvenir d'un exemple précis. Elle a déclaré avoir entendu Mme Doucette dire que Mme Saldanha et Mme Alagaratnam étaient des [traduction] « grippe-sous » qui ne dépensaient pas beaucoup d'argent et qui n'étaient jamais bien habillées, et que cela était [traduction] « leur façon d'être » ou [traduction] « faisait partie de leur culture ».

[67] Mme Lopez a également témoigné au sujet d'un incident lié à Ginette, une autre intervieweuse, qu'elle aurait entendue faire des commentaires concernant la Loi sur la laïcité de l'État du Québec et dire : [traduction] « [S]i nos règles ne leur plaisent pas, ils n'ont qu'à retourner dans leur pays ». Selon Mme Lopez, lorsqu'elle avait fait part à Mme Doucette de ses préoccupations concernant les propos de Ginette, Mme Doucette lui avait dit de ne pas s’en soucier, en ajoutant : [traduction] « [C]'est juste Ginette, il y a des choses qu’elle ne comprend pas ».

[68] À la fin de son témoignage, Mme Lopez a déclaré qu'elle estimait qu'il était de son devoir de dénoncer la discrimination lorsqu'elle en observait. Elle a également affirmé qu'une intervieweuse principale ne pouvait pas tenir des propos tels que : [traduction] « J'ai enfin mon équipe de rêve bilingue et entièrement blanche ». En contre-interrogatoire, il a été demandé à Mme Lopez pourquoi elle n'avait pas mentionné ce commentaire plus tôt dans son témoignage lorsqu'elle était expressément interrogée sur les commentaires discriminatoires qu'aurait fait Mme Doucette, et pourquoi il ne s'agissait pas du premier commentaire qui lui était venu à l'esprit. Elle a affirmé qu'elle avait mal compris la question et qu'elle pensait que l’interrogatoire portait sur les remarques faites à l'égard de Mme Saldanha ou de Mme Alagaratnam. Mme Lopez a également déclaré qu'au moment où Mme Doucette avait tenu les propos concernant son [traduction] « équipe de rêve », Mme Saldanha avait déjà quitté l'équipe.

[69] Mme Doucette a fermement nié avoir émis l'un ou l'autre de ces commentaires ou avoir fait une grimace à l'égard de qui que ce soit. Elle a également nié avoir jamais évoqué un désir d'avoir une [traduction] « équipe de rêve entièrement blanche » ou avoir eu des discussions informelles avec Mme Lopez à propos de Mme Saldanha ou de tout autre sujet, à l'exception de l'occasion où Mme Lopez est venue lui dire que Mme Saldanha l'avait traitée de [traduction] « merde blanche ». Selon Mme Doucette, Mme Lopez était l'une des quatre intervieweuses qui voulaient qu'elle parte et qui avaient une dent contre elle, et elle ne souhaitait pas lui parler plus qu'il n'était nécessaire.

[70] En outre, Mme Doucette a déclaré qu'elle avait discuté de l'incident avec Ginette et Mme Lopez, mais que Ginette avait donné une version différente de ce qui s'était passé. Ginette a expliqué qu'alors qu’elle parlait avec une amie autour d'une table, Mme Lopez l'avait entendue prononcer le mot [traduction] « musulman » et s'était approchée pour intervenir, de sorte que la discussion s'était envenimée. Mme Doucette avait en fin de compte décidé de ne pas prendre de mesures disciplinaires à l'encontre de l'une ou l'autre des deux femmes, mais elle avait signalé l'incident à sa supérieure hiérarchique, et les choses en étaient restées là.

[71] Devant des témoignages aussi divergents au sujet de commentaires et de comportements prétendument discriminatoires, je préfère celui de Mme Doucette. Je n'arrive pas à concilier la gravité des commentaires que Mme Lopez a dit avoir entendus, à plusieurs reprises, avec le fait qu'elle n'a pas fait part de ces préoccupations à qui que ce soit. Mme Lopez a témoigné de façon directe et franche et a relaté ces incidents sans hésitation. Cependant, à mon avis, l'idée qu'elle n'aurait simplement rien dit au sujet de commentaires et de comportements aussi répréhensibles ne concorde pas avec le reste de son témoignage. J'ai du mal à accepter qu'une personne aussi éloquente et motivée que Mme Lopez — qui, selon ses propres dires, s'exprimait lorsqu'elle constatait que quelque chose n’allait pas ou était inéquitable, ou injuste — n'ait pas fait part de ses préoccupations au sujet de la discrimination exercée par Mme Doucette. Elle n'a pas hésité, par exemple, à intervenir et à signaler les propos discriminatoires que Ginette aurait tenus à la table du déjeuner, même si elle n'était pas partie prenante à cette conversation. Mme Lopez a également signalé à Mme Doucette l’utilisation de l’expression [traduction] « merde blanche ». Elle était la personne-ressource en matière de droits de la personne pour le syndicat et a également déclaré qu'elle avait assuré le suivi de la plainte collective contre Mme Doucette parce que les intervieweuses n'avaient pas reçu de réponse en temps opportun. Un courriel confirmé qu'elle avait effectivement fait le suivi et qu'elle communiquait au nom du groupe d'intervieweuses.

[72] À mon avis, il est invraisemblable que Mme Lopez n'ait pas signalé un seul des commentaires prétendument discriminatoires de Mme Doucette, ou que Mme Saldanha ou d'autres personnes n'aient pas entendu parler de ces commentaires, compte tenu, notamment, de la quantité de discussions entre groupes qui avaient lieu sur toutes sortes de sujets, depuis les chambres d'hôtel préférées jusqu'aux véhicules de location, en passant par les invitations à des événements sociaux. Je ne crois pas qu'un groupe d'intervieweuses qui a pris le temps de rédiger une plainte collective de sept pages à simple interligne, laquelle comprenait des préoccupations relatives à la disponibilité des nouvelles vestes bleu marine de Statistique Canada, omettrait de mentionner des commentaires manifestement discriminatoires.

[73] J'ai également tenu compte du fait que Mme Lopez et Mme Doucette ont toutes deux admis qu'elles ne s'aimaient pas. Dans une large mesure, le fait de préférer la version de Mme Lopez reviendrait à admettre que Mme Doucette se serait confiée à Mme Lopez ou lui aurait fait part de ses réflexions sur un quelconque sujet, y compris sur ce qu'elle pensait de Mme Saldanha. Selon moi, il n'est pas crédible que Mme Doucette ait pu se sentir à l'aise de parler ainsi avec Mme Lopez, compte tenu du passé commun qu'elles ont reconnu avoir et du mépris mutuel qu'elles éprouvaient l'une pour l'autre. Mme Lopez a admis qu'elle avait été retirée de l'équipe de l'ECMS en septembre 2016 pour avoir tenu des propos non professionnels à l'égard de la direction. Il est clair qu'il y avait une tension importante entre Mme Doucette et Mme Lopez.

[74] J'ai trouvé que Mme Doucette avait témoigné de manière directe, franche et crédible. Lorsqu'il lui a été demandé pourquoi le témoin de la plaignante affirmerait de façon mensongère qu'elle avait fait des commentaires discriminatoires, Mme Doucette a répondu qu'elle connaissait les personnes concernées et que leurs récits n'étaient qu'un tissu de mensonges. Elle a déclaré franchement que cela ne lui enlèverait rien dans la vie si Mme Saldanha obtenait gain de cause dans la présente instance et recevait une indemnité financière. Toutefois, selon elle, pour que Mme Saldanha obtienne une véritable somme d'argent, il lui fallait inventer un certain nombre d'allégations. Mme Doucette n'a pas caché le fait qu'elle n'aimait pas Mmes Saldanha, Lopez et Minor, et qu'il y avait certains intervieweurs avec lesquels elle ne s'était pas liée d'amitié ou avec lesquels elle n'avait pas eu de bonnes relations. J'admets son témoignage selon lequel elle n'aurait pas volontiers parlé à Mme Lopez, fait part de ses opinions à cette dernière ou se serait autrement confiée à elle.

[75] Enfin, j'ai tenu compte du fait que Mme Mathon et Mme Puopolo, la gestionnaire de programme régional de la Région du Centre, ont déclaré dans leur témoignage que ni Mme Saldanha ni aucun autre intervieweur ne leur avait fait part de préoccupations relatives à de la discrimination. Mme Puopolo rencontrait les intervieweurs lorsqu'elle se rendait sur les divers lieux de l’ECMS. Elle a également assisté à une formation lorsque l’équipe se préparait à prendre la relève de l'ECMS, à la fin de l'année 2013. Les intervieweurs n'avaient pas peur de parler des situations qui les préoccupaient ou de se plaindre des problèmes qui, à leur avis, survenaient au sein de l'équipe de l'ECMS. Le fait qu'il n'y ait eu aucune mention de discrimination en dit long et ne me permet pas de conclure que Mme Doucette a tenu les propos allégués par Mme Lopez, ni qu'il y avait une discrimination qui s’exerçait plus généralement au sein du groupe, comme l'a allégué Mme Saldanha.

[76] Finalement, bien que Mme Saldanha ait voulu s'appuyer sur la déclaration de Mme Minor, je n'accorde à celle-ci aucun poids. Mme Minor a porté de graves allégations à l'égard de Mme Doucette, mais n'a pas témoigné. Le Tribunal n'a pas entendu son témoignage, et l'intimé n'a pas eu la possibilité de le mettre à l'épreuve. En outre, comme l’a soutenu l'intimé, les allégations formulées par Mme Minor au sujet de Mme Doucette n'ont pas été faites en présence de Mme Saldanha, et ne sont pas comprises parmi les allégations de la plaignante relativement à l'expérience qu'elle a vécue au sein de l'équipe de l'ECMS. La déclaration écrite n'a qu'une valeur limitée, à la lumière des allégations dont je suis saisi. De plus, je souscris à l'argument de Statistique Canada selon lequel il serait injuste d'accorder du poids à la déclaration non assermentée de Mme Minor, qui comprend des allégations selon lesquelles Mme Doucette aurait tenu des propos explicitement discriminatoires, sans donner à l'intimé l'occasion de contre-interroger Mme Minor et de mettre à l'épreuve son témoignage et sa crédibilité.

D. Allégations relatives à l’imposition de mesures disciplinaires plus sévères

[77] Mme Saldanha a allégué qu’on lui avait imposé des mesures disciplinaires plus sévères à la suite d’un incident entre elle et une ancienne collègue, Stephanie Senecal. Selon Mme Saldanha, Mme Doucette s’était servie de cet incident pour la faire retirer de l’ECMS.

[78] En février 2013 ou vers cette date, Mme Senecal et Mme Saldanha se trouvaient dans un ascenseur d’un hôtel de Calgary après le déjeuner lorsqu’un échange houleux avait éclaté entre elles. Les deux femmes s’étaient mises à crier et à se lancer des injures. Selon Mme Doucette, la dispute avait commencé autour d’une conversation sur le fromage de chèvre. Mme Saldanha a contesté cette prétention. Elle a affirmé avoir eu des démêlés avec Mme Senecal, qui s’en était prise à elle pour savoir si elle s’était plainte à son sujet auprès de Mme Charron, chef des enquêtes sur la santé. Selon Mme Saldanha, Mme Senecal avait dit ce qui suit : [traduction] « Je sais que c’est toi qui t’es plainte, tu es une salope ». Ce à quoi Mme Saldanha avait répondu : [traduction] « Et toi, tu es la pire des salopes ».

[79] Tant Mme Doucette que Mme Lopez ont déclaré avoir entendu les deux femmes se disputer en haussant le ton. Mme Doucette a témoigné avoir entendu des propos grossiers, notamment [traduction] « crisse de salope » et « sale pute ». Elle avait rapporté l’incident à la GCD, qui lui avait dit de documenter ce qui s’était passé et d’envoyer le compte rendu à Mme Charron. Le directeur de la Région du Centre avait envoyé à Mme Saldanha et à Mme Senecal une lettre les informant que leur comportement n’était pas professionnel.

[80] Peu importe la cause du conflit ou les détails des injures qui ont été lancées, nul ne conteste que Mme Saldanha et Mme Senecal ont toutes deux utilisé un langage grossier et inapproprié. Elles ont toutes deux reçu la même lettre et ont été retirées de l’Enquête. De plus, nul ne conteste que Mme Saldanha a envoyé une lettre au directeur à Ottawa après l’incident, lettre dans laquelle elle disait assumer toute la responsabilité pour son comportement inapproprié et elle expliquait que la situation était due, selon elle, à une accumulation d’événements stressants.

[81] Mme Saldanha ne nie pas ce qui s’est passé avec Mme Senecal ni son rôle dans cette histoire. Or, elle affirme que la manière dont la direction a réagi à l’incident montre qu’elle a fait l’objet de mesures disciplinaires plus sévères que Mme Senecal, qui, selon elle, avait régulièrement un comportement inapproprié, comme appeler d’autres intervieweurs pour leur demander de venir la chercher en ville après une nuit de fête. Mme Saldanha affirme également que l’incident n’était qu’un prétexte pour que Mme Doucette se débarrasse d’elle.

[82] J’estime que la preuve n’appuie pas l’allégation de Mme Saldanha selon laquelle elle aurait fait l’objet de mesures disciplinaires plus sévères. De plus, je suis d’avis que Mme Saldanha n’a pas établi l’existence d’un lien avec une caractéristique protégée. Bien que j’aie entendu les dépositions de Mme Saldanha et des témoins de l’intimé sur le fait que Mme Senecal avait brouillé les frontières entre vie sociale et ce que constitue un comportement professionnel acceptable, je ne suis pas d’avis que les mesures disciplinaires prises à l’encontre de Mme Saldanha aient été disproportionnées par rapport à sa conduite, même s’il s’agissait du premier incident grave de ce type dans son cas. Il était raisonnable de la part du directeur de remettre aux deux femmes une lettre identique dans ces circonstances. De plus, les allégations de Mme Saldanha selon lesquelles elle a été traitée plus durement en raison d’une caractéristique protégée reposent sur des conjectures.

[83] En outre, je ne crois pas que Mme Doucette ait eu un rôle à jouer dans la détermination des mesures disciplinaires à prendre à la suite de l’incident. Mme Mathon a témoigné que Mme Doucette n’avait rien à voir avec la décision disciplinaire. En fait, Mme Doucette avait signalé l’incident à sa supérieure, et le directeur de la Région du Centre avait envoyé la lettre et pris la décision finale. J’admets la déclaration de Mme Doucette selon laquelle elle n’avait aucune idée des mesures qui allaient être prises et avait été surprise par la gravité des conséquences, à savoir le retrait des deux femmes de l’Enquête.

[84] Enfin, bien que Mme Saldanha et Mme Senecal aient été retirées de l’Enquête après ce cycle, Mme Saldanha a été autorisée à réintégrer l’ECMS en avril 2015 après une période, en 2014, où Statistique Canada avait décidé de faire appel à des intervieweurs bilingues lorsque l’Enquête avait été menée consécutivement dans plusieurs milieux bilingues. Ces circonstances affaiblissent la prétention de Mme Saldanha quant au caractère discriminatoire de la mesure disciplinaire prise contre elle, ou même quant à l’influence qu’aurait exercée Mme Doucette sur son sort au sein de l’Enquête. Mme Senecal, quant à elle, n’a pas été réintégrée à l’Enquête et a été placée ailleurs par Statistique Canada.

E. Attribution des chambres d’hôtel

[85] Mme Saldanha a soutenu que, lorsqu’elle était arrivée à Pembroke en janvier 2016, Mme Doucette lui avait délibérément attribué une chambre au sous-sol de l’hôtel, alors que les autres intervieweurs avaient des chambres au troisième étage. Mme Saldanha a affirmé que cet incident témoignait une nouvelle fois du traitement préférentiel accordé par Mme Doucette aux intervieweurs blancs et de son comportement discriminatoire.

[86] Mme Saldanha a affirmé que, lorsqu’elle était allée se plaindre à la réception, les employés de l’hôtel lui avaient dit que, suivant les instructions de Mme Doucette, ils ne pouvaient pas autoriser les changements de chambres et qu’ils devraient attendre de pouvoir parler à la GCD, Mme Arrowsmith. Mme Saldanha était restée avec Mme Alagaratnam cette nuit-là parce qu’elle ne pouvait pas descendre les escaliers avec ses lourdes valises jusqu’à la chambre qui lui avait été attribuée au sous-sol. Selon Mme Saldanha, une autre intervieweuse avait pu changer de chambre sans l’accord de Mme Doucette.

[87] Mme Doucette a nié avoir choisi les chambres, qui avaient été attribuées par l’hôtel, et a affirmé qu’en neuf ans au service de l’Enquête, elle n’avait jamais participé au choix des chambres pour les intervieweurs. Elle a rappelé qu’à son arrivée à l’hôtel, elle était allée inspecter la chambre attribuée à Mme Saldanha, qui se trouvait cinq marches plus bas que le niveau principal. Elle l’avait jugée propre et acceptable. La GCD avait indiqué que Mme Saldanha n’était pas autorisée à changer de chambre et qu’elle devrait attendre le lendemain matin pour le faire. Selon Mme Doucette, Mme Saldanha avait refusé d’aller dans sa chambre. Mme Doucette avait fini par apprendre que l’hôtel avait accepté de changer Mme Saldanha de chambre, mais elle ne pouvait pas dire exactement à quel moment cette décision avait été prise. Tracy Hamim, une autre intervieweuse, qui est de race blanche, était également hébergée au sous-sol et n’a pas changé de chambre.

[88] Mme Mathon a déclaré qu’en règle générale, le personnel de l’hôtel attribuait les chambres de manière aléatoire. Selon le guide d’administration, les intervieweurs n’étaient pas autorisés à changer de chambre, sauf en cas d’urgence, comme une inondation ou d’autres circonstances extraordinaires, afin d’éviter que le personnel de l’hôtel ne reçoive de multiples demandes fondées sur des préférences personnelles (comme lorsqu’un intervieweur se plaint que la chambre d’un collègue est mieux que la sienne). Mme Mathon a renvoyé à un courriel du 9 novembre 2013 que la Division de la planification et de la gestion de la collecte avait transmis à un hôtel pour une réservation. Dans le courriel, il est notamment indiqué ce qui suit : [traduction] « L’équipe est au courant que tout problème doit être porté à mon attention ou à celle [du GCD], et non pas directement à votre personnel ». Mme Mathon a expliqué que cette règle visait à éviter que le personnel de l’hôtel reçoive une multitude de demandes pour des problèmes de moindre importance ou des préférences.

[89] Mme Saldanha n’a pas établi qu’elle a été victime de discrimination. Même si je reconnais qu’elle a subi un traitement défavorable du fait qu’elle devait passer une nuit dans une chambre au sous-sol d’un hôtel, elle n’a présenté aucune preuve permettant d’établir un lien entre ce traitement et une caractéristique protégée, outre ses propres soupçons. Une intervieweuse blanche avait également une chambre au sous-sol. En outre, Mme Saldanha a fini par changer de chambre. Toute prétention selon laquelle Mme Doucette lui aurait attribué la chambre est incompatible avec la preuve de l’intimé, que je préfère sur ce point. Mme Mathon, Mme Doucette et Mme Puopolo ont toutes témoigné que les réservations de chambres d’hôtel étaient gérées par des personnes occupant un poste de GCD ou un poste supérieur, et que l’attribution des chambres était faite par le personnel de l’hôtel. J’admets ces déclarations. Le courriel auquel Mme Mathon a fait référence mentionne également la politique relative à l’attribution des chambres.

F. Allégations concernant les politiques de voyage et les véhicules de location

[90] Mme Saldanha a fait plusieurs allégations selon lesquelles Statistique Canada aurait appliqué ses règles et politiques en matière de voyage d’une manière discriminatoire qui a favorisé Mme Doucette et ses amis.

Utilisation de voitures de location et de véhicules personnels

[91] Mme Saldanha a allégué que les règles relatives à l’utilisation des véhicules fournis par le gouvernement n’avaient pas été appliquées de manière équitable et cohérente. Premièrement, elle a affirmé que, lorsque l’Enquête se déroulait au lieu de collecte de Windsor, la direction interdisait aux intervieweurs d’utiliser des véhicules de location au-delà des limites de la ville parce qu’elle soupçonnait Mme Alagaratnam et elle-même d’utiliser leurs véhicules pour se rendre chez elles. Deuxièmement, Mme Saldanha a soutenu qu’il lui avait été injustement interdit de laisser son véhicule personnel sur le lieu de collecte d’Orillia, alors que d’autres intervieweurs blancs avaient été autorisés à le faire.

[92] Mme Alagaratnam et Mme Lopez ont également déclaré que c’est lorsqu’elles se trouvaient au lieu de collecte de Windsor qu’on leur avait demandé pour la première fois de remettre leurs clés et de déclarer le kilométrage qu’elles avaient parcouru, en leur disant qu’elles ne pouvaient pas utiliser les véhicules loués par le gouvernement à des fins personnelles.

[93] Mme Mathon a témoigné que la direction avait été informée que certains intervieweurs envisageaient de se rendre à Detroit pendant leur séjour à Windsor, bien qu’elle ne se souvenait pas de qui elle avait obtenu cette information, ni si c’était par écrit ou oralement. Mme Mathon a expliqué qu’il n’était pas permis de voyager aux États-Unis avec un véhicule fourni par le gouvernement.

[94] Selon le témoignage de Mme Doucette, Mme Lopez lui avait dit que Mme Saldanha avait l’intention de prendre la voiture de location pour un voyage de 12 heures; elle a ensuite signalé cet incident à son supérieur. Mme Charron, chef des enquêtes sur la santé, a demandé à Mme Doucette d’enregistrer le kilométrage des véhicules de location de l’équipe durant la fin de semaine concernée afin de s’assurer que les intervieweurs n’utilisaient pas les véhicules de location à des fins inappropriées. Mme Doucette a enregistré le kilométrage pour tout le personnel de l’ECMS, y compris elle-même et la GCD.

[95] Des changements relatifs à l’utilisation des véhicules loués par le gouvernement ont été ajoutés au guide administratif de l’ECMS. Tous les intervieweurs ont reçu une version imprimée des lignes directrices, qui sont entrées en vigueur le 25 mars 2013. Les intervieweurs ne pouvaient dorénavant utiliser les véhicules de location du gouvernement que pour faire des courses et des achats personnels de manière raisonnable, à condition que ces déplacements aient lieu dans les limites de la ville où se trouvait le lieu de collecte de l’Enquête.

[96] À mon avis, Mme Saldanha n’a pas établi l’existence d’une preuve prima facie de discrimination en lien avec les allégations relatives au lieu de collecte de Windsor, ou plus généralement en lien avec l’application des politiques relatives à l’utilisation des véhicules, y compris les véhicules personnels. Mme Saldanha a reconnu qu’un courriel avait été envoyé à tous les membres de l’équipe pour leur rappeler qu’il était interdit d’utiliser les véhicules de location en dehors des limites de la ville. Je reconnais que, bien que le lieu de collecte de Windsor ait possiblement été le premier et le seul lieu de collecte où les clés ont été prises et le kilométrage a été enregistré, ces mesures ont été adoptées en réponse aux craintes de voir les intervieweurs se rendre à Detroit, du fait de sa proximité avec Windsor.

[97] Les mesures prises par Statistique Canada pour rappeler aux intervieweurs qu’il était interdit d’utiliser des voitures louées au nom de la Couronne pour se rendre aux États-Unis n’étaient pas seulement raisonnables, compte tenu des craintes suscitées par la possibilité que pareille situation se produise, mais nécessaires de la part d’un employeur responsable de l’administration des ressources et des fonds publics. Il était clairement interdit de se rendre aux États-Unis et, à mon avis, les allégations de Mme Saldanha selon lesquelles elle et Mme Alagaratnam étaient la cible de discrimination fondée sur un motif de distinction illicite sont purement spéculatives. Je reconnais que l’employeur a obtenu des informations préoccupantes au sujet d’un éventuel voyage aux États-Unis et qu’il a agi en conséquence, comme il devait le faire.

[98] Mme Saldanha soutient que je devrais écarter le témoignage de Mme Mathon parce que cette dernière ne pouvait pas se souvenir exactement de quelle manière elle avait été informée que les intervieweurs envisageaient de se rendre aux États-Unis à partir de Windsor. Elle soutient également que Mme Mathon a inventé des faits dans le but de tromper et de détourner l’attention de l’objectif réel des directives. J’admets cependant le témoignage de Mme Mathon, qui était crédible et direct. Mme Saldanha avance simplement que Mme Mathon a délibérément menti ou inventé des faits, ce que je n’accepte pas.

[99] Je ne suis pas non plus d’avis que Mme Saldanha a établi l’existence d’une preuve prima facie de discrimination en ce qui concerne la question du stationnement des véhicules personnels. Bien que Mme Saldanha ait affirmé que d’autres intervieweurs étaient autorisés à stationner leur véhicule personnel sur les lieux de collecte alors qu’elle n’était pas autorisée à le faire, j’admets la déclaration de Mme Mathon selon laquelle aucun intervieweur n’était autorisé à stationner son véhicule personnel dans le stationnement des hôtels. Elle a justifié clairement cette règle, à savoir que les hôtels avaient demandé à Statistique Canada de limiter le nombre de véhicules stationnés sur leur terrain afin de laisser de la place aux autres clients. De plus, outre Mme Saldanha, trois autres intervieweurs avaient été avisés de ne pas stationner leur véhicule sur les lieux de collecte.

(ii) Indemnités de déplacement

[100] Mme Saldanha a affirmé qu’une autre intervieweuse, Ginette Dennie, avait demandé à travailler dans sa ville de résidence alors qu’elle avait encore le statut d’employée en déplacement, qu’une chambre d’hôtel avait été réservée pour elle et qu’elle utilisait celle-ci, ce qui était contraire à la directive sur les voyages et au guide administratif de l’ECMS. Mme Saldanha a allégué que Mme Dennie, qui est Blanche, avait été autorisée à enfreindre les règles, contrairement à elle-même, qui avait perdu son statut d’employée en déplacement lorsqu’elle travaillait à Toronto, au début de 2009.

[101] Mme Lopez a également témoigné sur cette prétendue irrégularité et a déclaré que Mme Doucette avait permis à Mme Dennie de rester avec le groupe et lui avait donné une chambre d’hôtel et un véhicule, même si elle se trouvait dans sa ville de résidence, ce qui était contraire à la directive sur les voyages. Mme Lopez a également déclaré qu’elle avait vu d’autres intervieweurs, dont Mme Doucette, aller et venir avec des voitures de location pour se rendre à leur domicile, ce qui n’était pas autorisé, tout en réclamant des indemnités journalières à titre d’employées en déplacement. Mme Lopez a signalé cette irrégularité au GCD de l’époque et à un autre supérieur, puis elle a écrit au Bureau du statisticien en chef et a déposé une plainte auprès du Commissariat à l’intégrité du secteur public.

[102] Mme Puopolo a déclaré que toutes les demandes d’hébergement privé et de déplacements pour se rendre à son domicile étaient approuvées par un directeur adjoint. À cet égard, Mme Doucette a déclaré que Mme Dennis s’était organisée directement avec le GCD de l’époque, et que ce n’était pas elle qui avait pris la décision.

[103] Il n’appartient pas au Tribunal de déterminer si l’ECMS était bien gérée ou si Mme Dennis ou d’autres intervieweurs ont enfreint la politique gouvernementale lorsqu’ils étaient au service de l’ECMS. Il incombe à Mme Saldanha d’établir qu’il est plus probable qu’improbable que l’effet préjudiciable qu’elle a subi en raison de l’application inégale de la politique soit attribuable, du moins en partie, à une caractéristique protégée. Mme Saldanha n’a pas réussi à faire pareille preuve, et tout lien de cette nature est spéculatif et repose sur les croyances subjectives de Mme Saldanha.

(iii) Reçus de déjeuner

[104] Lorsque l’enquête se déroulait sur le lieu de collecte de Windsor, les intervieweurs étaient autorisés à demander le remboursement des frais de déjeuner. Mme Saldanha soutient que, malgré qu’elle a présenté tous ses reçus, Mme Doucette l’aurait empêchée de se faire rembourser les frais de 25 déjeuners qu’elle avait pris sur le lieu de collecte.

[105] Mme Saldanha a présenté une copie de son relevé VISA pour étayer le fait qu’elle s’était effectivement rendue au restaurant et qu’elle avait payé ses déjeuners. Elle s’est également appuyée sur un courriel daté du 18 avril 2013 que Mme Doucette a envoyé à Mme Charron. Dans ce courriel, Mme Doucette demande à Mme Charron si elle souhaite qu’elle aille s’asseoir au restaurant Cora entre 7 h et 8 h pour vérifier si Mme Saldanha s’y rend vraiment ou si elle [traduction] « ne fait que ramasser les reçus des autres lorsqu’elle passe par là ». Toujours dans ce même courriel, Mme Doucette suggère ensuite que Mme Saldanha mange à l’hôtel, tout en réclamant le remboursement des frais de déjeuners pour un mois, puis demande à Mme Charron si elle devrait [traduction] « prendre plus de photos le matin ».

[106] Mme Doucette a déclaré qu’elle n’avait joué aucun rôle dans la décision de refuser les demandes de remboursement, mais qu’elle compilait les reçus et les envoyait avec la demande de remboursement des dépenses, conformément à la pratique courante. Elle n’avait jamais pris de photos de Mme Saldanha, mais elle avait entendu dire que d’autres intervieweurs avaient photographié la voiture de Mme Saldanha dans le stationnement, apparemment pour montrer que Mme Saldanha ne quittait pas l’hôtel le matin pour déjeuner comme elle le prétendait. Mme Doucette a affirmé que Mme Saldanha surveillait les autres intervieweurs et que c’était maintenant elle, l’arroseur arrosé.

[107] L’intimé s’appuie sur un courriel du 30 avril 2013 envoyé par l’analyste des voyages à Mme Saldanha, qui est rédigé ainsi :

[traduction]


Bonjour Barbara, je n’ai pas eu de retour de votre part. Donc, pour l’instant, nous traiterons votre demande sans les déjeuners chez Cora, mais nous inclurons le déjeuner chez Tim Horton. Ainsi, vous ne serez pas pénalisée pour le reste de votre demande.

Bonne journée!

[108] À mon avis, Mme Saldanha n’a pas établi de preuve prima facie de discrimination. S’il est vrai qu’elle n’a pas été remboursée pour les frais de déjeuner, elle a admis à l’audience qu’elle n’avait pas répondu à l’analyste des voyages et qu’elle ne lui avait pas fourni les relevés de carte de crédit qu’il avait demandés. De plus, selon moi, Mme Doucette n’est pas à l’origine de la décision de ne pas la rembourser, même si Mme Doucette avait demandé à Mme Charron de garder un œil sur Mme Saldanha.

[109] Mme Saldanha n’a pas été remboursée parce qu’elle n’a pas présenté la documentation requise, comme tous les intervieweurs étaient tenus de le faire. Il lui incombait de présenter pareille documentation, et je ne vois là aucun lien avec une caractéristique protégée. Son employeur est responsable envers les contribuables de l’utilisation des fonds publics, et le fait de demander à Mme Saldanha de se conformer à la politique en vigueur et de présenter les documents requis pour être remboursée ne constitue pas de la discrimination.

G. RÉPARTITION DU TRAVAIL ET PASSAGE À UNE ÉQUIPE BILINGUE DANS LE CADRE DE L’ECMS

[110] Outre ses allégations de discrimination visant Mme Doucette, Mme Saldanha a fait plusieurs allégations de discrimination liées à la répartition du travail, à la dotation en personnel de l’ECMS et à la décision de Statistique Canada de constituer une équipe bilingue. Elle a également affirmé que Mme Doucette était à l’origine d’un grand nombre des décisions à cet égard qui ont eu des répercussions pour elle.

[111] Statistique Canada soutient que toutes les affectations et décisions relatives à l’ECMS étaient motivées par la charge de travail et fondées sur des exigences opérationnelles. Une intervieweuse comme Mme Saldanha ne pouvait obtenir de garantie quant au nombre d’heures de travail, et le renouvellement et le statut des contrats des employés nommés pour une période déterminée dépendaient de la quantité de travail. Les décisions ont été prises par la direction, et non par Mme Doucette. La durée de l’ECMS n’avait pas été fixée à l’avance, et la dotation en personnel s’était faite de manière continue, en fonction de l’évolution des besoins.

[112] Mme Saldanha n’a pas établi que les décisions en matière de dotation, quelles qu’elles soient, étaient discriminatoires, et ce, même si elles ont été prises en tenant compte de renseignements fournis par Mme Doucette. Bien que certains témoins aient reconnu que Mme Doucette pouvait contribuer à une décision, elle n’avait toutefois pas le dernier mot. Les allégations de Mme Saldanha selon lesquelles Mme Doucette était à l’origine d’un certain nombre de décisions en matière de dotation, y compris des décisions générales concernant la gestion de l’ECMS, sont entièrement fondées sur ses propres soupçons. Il n’est même pas certain qu’un intervieweur principal puisse exercer le type d’influence que, selon Mme Saldanha, Mme Doucette aurait exercé, en particulier dans le cadre d’une Enquête qui était gérée soit depuis Ottawa, soit à l’échelle de la région, et qui faisait intervenir plusieurs niveaux hiérarchiques en matière de gestion et de prise de décision.

(i) Le passage à une équipe entièrement bilingue

[113] Entre 2007 et 2016, l’ECMS était composée à la fois d’intervieweurs unilingues et d’intervieweurs bilingues. Lorsque l’Enquête a commencé à être déployée dans des lieux de collecte francophones, les intervieweurs unilingues ont été renvoyés dans leur région d’origine et des intervieweurs supplémentaires possédant les compétences linguistiques requises ont été recrutés pour les remplacer.

[114] En 2015, Statistique Canada a décidé de mettre en place une équipe d’intervieweurs bilingues appelés à travailler sur des lieux de collecte aussi bien bilingues qu’unilingues. Par conséquent, les quatre intervieweurs unilingues, dont Mme Saldanha, ont été réaffectés dans leur région d’origine. L’affectation de Mme Saldanha à l’ECMS n’a pas été renouvelée au-delà du 4 avril 2016, et elle est retournée à Scarborough pour exécuter le reste de son contrat, qui a par la suite été prolongé d’avril 2016 à avril 2017.

[115] Mme Saldanha a allégué que le choix de passer à une équipe bilingue s’inscrivait dans la foulée des diverses tentatives de Mme Doucette de l’écarter de l’Enquête, et qu’elle et Mme Alagaratnam avaient été remplacées par des intervieweurs unilingues blancs. Selon Mme Saldanha, les exigences linguistiques en français n’étaient qu’un prétexte, et Statistique Canada avait continué d’embaucher des intervieweurs unilingues. Mme Saldanha a également critiqué le fait que la direction avait utilisé une liste d’intervieweurs bilingues existante pour pourvoir les postes au lieu de mettre en place un processus concurrentiel. Elle a en outre soutenu qu’elle apprenait le français, ce dont son employeur était au courant, mais qu’on ne lui avait jamais proposé de se soumettre à une évaluation ou de suivre une formation en français, alors que pareilles offres avaient été faites aux intervieweurs blancs.

[116] Statistique Canada a fait valoir qu’il avait choisi de former une équipe bilingue parce que cette option était moins coûteuse et plus efficace, et qu’elle était dans l’intérêt de l’organisation dans son ensemble. Il a affirmé que ses décisions opérationnelles n’avaient aucun lien avec une caractéristique protégée.

[117] Je suis du même avis. Bien qu’il appartienne à Mme Saldanha de ne pas accepter la décision de passer à une équipe bilingue et la manière dont le changement a été annoncé et mis en place, le fait qu’elle soupçonne et qu’elle croie subjectivement que ces décisions sont dues en partie à son origine ethnique, à sa race ou à sa couleur ne suffit pas à établir l’existence d’une discrimination au sens de la Loi. À mon avis, il n’y a aucun élément de preuve pouvant étayer l’allégation selon laquelle une caractéristique protégée de Mme Saldanha a joué un rôle dans les décisions de l’intimé de modifier la façon dont l’Enquête était menée.

[118] Geoff Bowlby a été directeur général de la Direction de la collecte et des services régionaux de 2014 à 2019 et était chargé de superviser les bureaux régionaux de Statistique Canada où se déroulait la collecte des données d’enquête pour le Ministère. M. Bowlby a témoigné que vers le milieu de 2015, le directeur de la Région du Centre, après avoir consulté le directeur adjoint et le gestionnaire des programmes régionaux, a recommandé que l’équipe de l’ECMS soit dorénavant composée entièrement d’intervieweurs bilingues. M. Bowlby a finalement approuvé cette décision parce que le fait d’intégrer et de retirer constamment des intervieweurs unilingues de l’Enquête lorsqu’on avait besoin d’intervieweurs francophones exigeait des investissements importants en temps et en argent. Dans un échange de courriels datant d’octobre 2015 entre M. Bowlby et Gary Dillon, le directeur de la Région du Centre responsable de l’ECMS, il a été confirmé que les intervieweurs anglophones pour la collecte d’avril 2016 à Montréal seraient remplacés et que l’Enquête serait dorénavant menée par une équipe d’intervieweurs entièrement bilingues. M. Dillon indiquait dans ce courriel que les personnes concernées seraient remplacées et ne reviendraient pas dans l’équipe.

[119] Mme Saldanha n’a pas été ciblée personnellement par cette décision, qui a touché tant des intervieweurs blancs que des intervieweurs racisés. De plus, bien que Mme Doucette ait été franche dans son témoignage sur le fait qu’elle préférait mettre en place une équipe d’intervieweurs bilingues en raison de la quantité de travail et de la formation nécessaires pour intégrer du personnel bilingue chaque fois que l’Enquête se déplaçait vers des sites francophones, je n’admets pas que Mme Doucette soit à l’origine de cette décision ni qu’il se soit agi d’un prétexte pour cibler personnellement Mme Saldanha afin de la retirer de l’ECMS. En d’autres termes, cette décision a été prise à des échelons bien supérieurs à celui de Mme Doucette.

[120] Bien que Mme Saldanha ait allégué que l’intimé avait utilisé une liste d’intervieweurs qualifiés expirée pour pourvoir les postes bilingues vacants, ce qui contrevenait au manuel des employés des OES, elle n’a pas établi l’existence d’un lien entre cette décision et une caractéristique protégée. Statistique Canada a soutenu qu’il avait choisi d’utiliser une liste existante d’intervieweurs possédant les compétences linguistiques requises et qu’en tout état de cause, la liste n’était pas assortie d’un délai de validité précis.

[121] Après la création de l’équipe d’intervieweurs bilingues, des intervieweurs unilingues ont parfois été affectés temporairement à l’ECMS lorsque des compétences linguistiques particulières ou des connaissances spécialisées étaient nécessaires. Mme Saldanha a allégué que le fait qu’elle n’ait pas été réaffectée à l’ECMS à titre temporaire était discriminatoire, et que Mme Doucette avait participé à la sélection des intervieweurs.

[122] Je juge que les allégations de Mme Saldanha sont purement spéculatives. Mme Puopolo a témoigné sur les affectations temporaires et a expliqué qu’à l’époque, il n’y avait aucune raison de réaffecter Mme Saldanha à l’ECMS compte tenu de ses compétences. Dans certains cas, la maîtrise de certaines langues tierces, telles que le mandarin, le cantonais, l’italien et le russe, était requise, et des intervieweurs possédant ces compétences linguistiques ont été sollicités. Bien que Mme Saldanha parle l’hindi, l’échantillon de l’ECMS ne nécessitait pas ce profil linguistique à l’époque.

[123] Outre le fait que Mme Saldanha n’a pas établi de lien avec une caractéristique protégée, j’estime que les allégations de Mme Saldanha selon lesquelles Mme Doucette était à l’origine des décisions en matière de dotation sont sans fondement. J’admets la déclaration de Mme Doucette selon laquelle elle n’a rien eu à voir avec le recrutement des nouveaux intervieweurs bilingues et qu’elle n’a pas participé au processus décisionnel du bureau régional de Toronto.

(ii) Évaluations et formations en français

[124] Mme Saldanha a également soutenu qu’on aurait dû lui proposer des évaluations et des formations linguistiques bien plus tôt. Elle s’appuie sur un courriel du 27 octobre 2015 qui montre que les membres de la direction générale étaient au courant de sa formation en français et des efforts qu’elle déployait pour améliorer ses compétences linguistiques dans cette langue. Elle a allégué que le fait de l’empêcher d’être évaluée et formée faisait partie du plan de Mme Doucette pour la garder hors de l’ECMS et l’écarter d’un poste bilingue.

[125] L’intimé a fait valoir qu’il n’était pas tenu de proposer une évaluation ou une formation linguistique, mais qu’en tout état de cause, une éventuelle décision de ne pas faire passer d’évaluation à Mme Saldanha ou de ne pas lui proposer de formation n’avait aucun lien avec une caractéristique protégée.

[126] Je suis également de cet avis. Mme Saldanha ne s’est appuyée sur rien d’autre que ses propres croyances ou spéculations pour expliquer pourquoi on ne lui avait pas proposé d’évaluations linguistiques. De son côté, Statistique Canada a fourni une explication raisonnable pour ne pas lui avoir fait pareille proposition. Mme Puopolo a déclaré qu’il n’a jamais été envisagé d’offrir une formation linguistique à Mme Saldanha parce qu’elle n’était pas requise dans le bureau régional de Scarborough où elle travaillait, et qui n’était pas une zone désignée bilingue. On a finalement offert à Mme Saldanha de passer une évaluation de bilinguisme à la suite du règlement d’un grief qu’elle avait déposé par suite de la mise en place de l’équipe entièrement bilingue dans le cadre de l’ECMS. Mme Saldanha a été évaluée par la GCD en février 2017 et a obtenu une note de 72/160, bien en dessous de la note de passage de 120-129/160, et n’a donc pas réussi à se qualifier pour un poste bilingue. Mme Puopolo a parlé à Mme Saldanha des résultats de son évaluation et lui a proposé de subir une nouvelle évaluation au bureau de Toronto à une date et une heure à sa convenance. Mme Saldanha n’a jamais donné suite à cette proposition. En ce qui concerne l’affirmation de Mme Saldanha selon laquelle des évaluations auraient été proposées à d’autres intervieweurs et non à elle, Mme Puopolo a déclaré que Mme Minor s’était elle aussi vu offrir de passer une évaluation par suite du règlement d’un grief, mais que cette dernière ne l’avait pas fait et n’avait pas demandé de suivre une formation linguistique.

(iii) Statut d’employée nommée pour une période indéterminée

[127] Mme Saldanha a allégué que la décision de Statistique Canada de ne pas la nommer pour une période indéterminée était discriminatoire. Elle a affirmé avoir demandé à de nombreuses reprises, tant en le faisant elle-même que par l’intermédiaire de son représentant syndical, d’être nommée employée permanente. Or, l’employeur ne lui avait jamais attribué ce statut, même si elle comptait bien plus que trois ans d’emploi continu et qu’elle avait reçu des évaluations de rendement favorables.

[128] L’intimé s’appuie sur une lettre des OES datée du 29 mars 2016 que Mme Saldanha a acceptée et signée, et qui traite de la prolongation du contrat de cette dernière. Cette lettre prévoit ce qui suit : [traduction] « [R]ien dans la présente lettre ne doit être interprété comme une nomination permanente, et vous ne devez pas vous attendre à ce que votre emploi se poursuive à l’expiration de cette offre ».

[129] Mme Saldanha estime qu’elle aurait dû pouvoir être au service de l’Enquête jusqu’à son terme. Elle soutient qu’on aurait dû la nommer à titre d’employée permanente, ce qui aurait évité la nécessité de renouveler son affectation pour une durée déterminée chaque année. Mme Saldanha a admis en contre-interrogatoire qu’elle avait signé plusieurs contrats, qui avaient dû être renouvelés à leur expiration. Bien qu’elle ait été embauchée pour une période déterminée, elle a fait valoir qu’elle avait obtenu la garantie de conserver son emploi pour la durée de l’ECMS, tant qu’elle n’avait pas de problèmes de rendement.

[130] À l’audience, Mme Saldanha a déclaré qu’elle connaissait la majorité des personnes qui avaient été nommées pour une période indéterminée et qu’elles étaient de race blanche. Elle a toutefois reconnu qu’un intervieweur d’origine asiatique avait été nommé pour une durée indéterminée. Mme Puopolo a témoigné que les décisions relatives à la nomination à titre d’employé permanent étaient prises par le bureau central. Les décisions de nommer des employés pour une durée indéterminée avaient été prises en fonction de la charge de travail, du rendement, des années de service et de l’incidence des nominations sur l’emploi du temps des autres intervieweurs. Mme Puopolo a également déclaré que deux intervieweurs dans la région de Scarborough, une personne blanche et une personne racisée, avaient été nommés à titre d’employés permanents. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi Mme Saldanha n’avait pas été nommée pour une durée indéterminée, Mme Puopolo a indiqué qu’il était possible que l’ECMS ait été gérée par Ottawa à l’époque, ce qui pourrait expliquer pourquoi sa candidature n’avait pas été prise en compte pour un poste à durée indéterminée dans la région du Centre.

[131] Mme Saldanha n’a pas présenté de preuve pour étayer ses allégations de discrimination. Comme je l’ai déjà indiqué plus haut, le Tribunal n’est pas un organe général de révision des décisions prises par le gouvernement en matière de recrutement et de processus de dotation. Bien que le processus suivi par l’intimé ainsi que sa méthode d’approbation soient difficiles à comprendre, on ne m’a pas présenté de preuve permettant de conclure qu’une caractéristique protégée a été un facteur dans la décision de ne pas nommer Mme Saldanha à titre d’employée permanente.

[132] La Loi n’est pas non plus un instrument législatif fourre-tout destiné à remédier aux erreurs apparentes dans la manière dont l’État recrute ses employés ou gère ses programmes. Même si, en l’espèce, il y a des leçons à tirer de la façon dont l’ECMS a été gérée, ou de la conduite et du professionnalisme des fonctionnaires concernés, le Tribunal n’a pas le mandat d’examiner des allégations générales d’iniquité ou d’injustice s’il n’y a pas de lien avec une caractéristique protégée. Mme Saldanha n’a pas établi l’existence de pareil lien, et toutes ses allégations concernant l’équipe de l’ECMS, son processus de dotation et la manière dont les intervieweurs ont été recrutés sont rejetées. J’admets la déclaration de l’intimé selon laquelle il a pris des décisions pour promouvoir l’efficacité opérationnelle et que, bien qu’il soit regrettable que ces décisions aient eu un effet défavorable sur Mme Saldanha et d’autres intervieweurs, y compris Mme Doucette à certains moments, les allégations de Mme Saldanha selon lesquelles cette situation était due à sa race, à sa couleur ou à son origine ethnique sont spéculatives.

H. Statistique Canada a-t-il exercé des représailles contre Mme Saldanha, que ce soit par l’entremise de son processus de sélection de 2017 ou en refusant de continuer de l’employer?

[133] Non. Mme Saldanha n’a pas établi que le dépôt de sa plainte pour atteinte aux droits de la personne en 2016 a joué un rôle dans la décision de Statistique Canada d’organiser un processus de sélection en 2017, ni dans sa décision de ne pas retenir sa candidature pour un poste à Scarborough. Le processus de sélection de l’intimé était équitable et objectif, et aucun des responsables du processus n’était même au courant de la plainte de Mme Saldanha.

[134] Mme Saldanha s’est fait offrir un poste à Scarborough pour une durée déterminée, soit d’avril 2016 à avril 2017, après la mise en place d’une équipe bilingue dans le cadre de l’ECMS. À l’époque, le bureau de Scarborough comptait quatre intervieweurs, qui occupaient tous des postes à durée déterminée. En février 2017, Mme Saldanha a été informée que, compte tenu de la charge de travail courante et prévue à Scarborough, il n’y avait assez de travail que pour deux intervieweurs. Statistique Canada a alors décidé de lancer un processus de sélection pour choisir les intervieweurs à maintenir en poste. Mme Saldanha a participé à un concours avec les trois autres intervieweurs locaux, mais ne s’est pas classée parmi les deux meilleurs candidats.

[135] Mme Saldanha a allégué qu’elle avait été forcée de postuler et de participer à un processus pour un emploi qu’elle occupait déjà depuis 2003. Elle a affirmé avoir été délibérément ciblée parce que le processus de recrutement coïncidait avec la fin de son mandat, en avril 2017. Elle a allégué qu’elle n’avait pas été sélectionnée et qu’on avait mis fin à son emploi à Statistique Canada à titre de représailles directes pour avoir déposé une plainte auprès de la Commission en mai 2016.

[136] De son côté, Statistique Canada soutient que la décision de réduire le nombre d’intervieweurs à Scarborough n’était pas liée à la plainte pour atteinte aux droits de la personne déposée par Mme Saldanha en mai 2016, et que la haute direction avait décidé de réduire le nombre d’intervieweurs à l’échelle nationale en raison d’une baisse générale de la charge de travail.

[137] Mme Puopolo a déclaré qu’il n’y avait pas assez de travail pour garder quatre intervieweurs à Scarborough. Elle a renvoyé à des notes qu’elle avait prises à l’époque, et qui faisaient état de ses calculs et de ses projections à partir de décembre 2016 relativement à la répartition du travail, des données qui avaient motivé la décision de ne conserver que deux intervieweurs. Elle a expliqué que si Statistique Canada avait gardé quatre intervieweurs, chaque personne n’aurait eu en moyenne que 10 heures de travail par semaine, alors que, selon leur convention collective, les intervieweurs ne pouvaient bénéficier d’avantages sociaux s’ils travaillaient moins de 13 heures par semaine. Dans l’ensemble, il aurait également coûté plus cher de garder quatre intervieweurs plutôt que deux. J’admets l’explication de l’intimé et le fait que la décision qui a été prise était fondée sur des exigences opérationnelles. Les allégations de Mme Saldanha selon lesquelles elle a été délibérément ciblée ou que le nombre de postes a été réduit en raison de sa plainte pour atteinte aux droits de la personne ne sont pas étayées par la preuve.

[138] De plus, je conviens que Mme Puopolo n’avait pas eu connaissance de la plainte pour atteinte aux droits de la personne déposée par Mme Saldanha lorsqu’elle avait décidé de réduire le nombre d’intervieweurs, et qu’elle n’avait appris son existence qu’en 2019, quelques semaines avant son départ à la retraite. Le directeur a finalement pris la décision d’organiser un concours après avoir consulté le bureau central, les ressources humaines, le bureau régional et le directeur adjoint. Mme Saldanha n’a pas établi de lien entre ce processus décisionnel et sa plainte pour atteinte aux droits de la personne.

[139] Je ne suis pas non plus d’avis que la plainte de Mme Saldanha a joué un rôle dans la décision de ne pas retenir sa candidature à l’issue du processus de sélection. Mme Saldanha et trois autres candidats, dont deux étaient racisés, ont participé au concours. Mme Puopolo a participé à la coordination du processus de recrutement, mais n’a pas fait partie du comité de sélection. Mme Saldanha n’a pas été sélectionnée parce qu’elle n’a pas obtenu d’aussi bons résultats que les deux personnes qui ont finalement été sélectionnées, et qui sont toutes deux des personnes racisées.

[140] Karla Collins travaillait en tant que conseillère en ressources humaines chargée de la dotation dans la région du Centre à l’époque visée. Elle a témoigné que Mme Puopolo lui avait demandé de créer des outils d’évaluation et un guide de notation dans le cadre d’un processus de sélection qui avait été lancé parce qu’il n’y avait pas assez de travail dans la région pour quatre intervieweurs. Mme Collins faisait partie du comité de sélection avec deux autres personnes chargées de mener les entrevues, et personne ne connaissait les candidats ou le lieu de collecte de Scarborough. De plus, le comité n’avait reçu aucune information sur les candidats avant les entrevues. Une fois les entrevues terminées, Mme Collins avait envoyé à Mme Puopolo et au directeur adjoint des opérations un résumé des résultats obtenus par les quatre candidats pour chacune des quatre questions correspondant aux compétences obligatoires pour les employés des OES. Mme Saldanha avait obtenu une note de 28 sur 40. Mme Collins n’a appris l’existence de la plainte pour atteinte aux droits de la personne déposée par Mme Saldanha que lorsqu’on a communiqué avec elle dans le cadre de l’enquête sur cette plainte.

[141] Mme Saldanha a également allégué qu’en l’invitant à participer à un concours qui aurait pu l’amener à travailler avec un directeur avec lequel elle avait eu des problèmes dans le passé, l’intimé n’avait pas respecté les ordonnances de son médecin, ce qui démontrait également l’existence de représailles. Mme Puopolo a témoigné que le processus de sélection n’aurait pas eu d’incidence sur l’obligation d’offrir à Mme Saldanha des mesures d’adaptation si l’exigence à cet égard figurait toujours à son dossier. Mme Saldanha n’a présenté aucune preuve permettant d’établir un lien entre cette allégation et le dépôt de sa plainte pour atteinte aux droits de la personne.

[142] Je ne suis pas convaincue que les circonstances du processus d’embauche de 2017 étaient liées, même en partie, au dépôt de la plainte pour atteinte aux droits de la personne de Mme Saldanha. Son employeur a réduit le nombre de postes dans la région en fonction de la charge de travail, ce qu’il était en droit de faire, et a mis en place un processus de sélection qui, à la lumière de la preuve, était équitable et objectif. Les personnes ayant participé au processus de sélection ne connaissaient pas Mme Saldanha et n’étaient pas au courant de sa plainte. Mme Saldanha n’a présenté aucun élément de preuve pour réfuter la preuve de l’intimé et pour étayer ses allégations de représailles. Elle n’a pas été sélectionnée parce qu’elle n’a pas obtenu d’aussi bons résultats que les autres candidats au concours. Cette situation n’est pas le fruit de représailles, mais d’une démarche concurrentielle.

VIII. COMPORTEMENT DES PARTIES ET DES AVOCATS

[143] Enfin, je tiens à féliciter Mme Saldanha et les avocates de Statistique Canada pour le respect dont elles ont fait preuve ainsi que pour l’esprit de collaboration et de collégialité qu’elles ont affiché dès le début de la présente instance. Les questions relatives aux droits de la personne sont difficiles à plaider et, de par leur nature même, elles se rapportent directement à la dignité d’une personne et à ses droits et libertés fondamentaux.

[144] Les parties sont également tenues de faire preuve de respect et de courtoisie l’une envers l’autre et envers le processus du Tribunal. Il incombe au membre qui préside l’audience de veiller à ce que les parties respectent ces règles et à ce que le processus reste équitable. Mais les décideurs ne peuvent pas y arriver seuls, et les parties et les avocats ont un rôle important à jouer pour que le processus soit équitable et accessible à tous, quelle que soit l’issue de la cause.

[145] En tant que décideurs, nous devons souvent intervenir et donner des directives lorsque les parties ou leurs représentants manquent de civilité. Mais nous ne soulignons pas assez souvent les situations où toutes les personnes participant à une instance devant un tribunal font preuve de collaboration et de professionnalisme, et ce, malgré leurs divergences. Les avocates de l’intimé ont déployé des efforts louables dans ce dossier. Elles ont proposé d’aider à préparer un recueil conjoint de documents et de fournir des copies papier des documents à la plaignante, et elles ont répondu de manière mesurée et équitable aux préoccupations soulevées de manière à l’audience. Ces démarches ont également permis d’améliorer l’efficacité du processus. Elles ont choisi leurs batailles judicieusement, en évitant de faire une montagne avec des riens.

[146] Pour sa part, Mme Saldanha, qui agissait pour son propre compte, s’est bien préparée, a respecté les directives du Tribunal et s’est comportée de manière louable tout au long de l’instance. Mme Saldanha a également formulé des demandes raisonnables et motivées. Toutes les parties ont participé à l’audience par vidéoconférence pendant la pandémie, une période qui a été éprouvante pour un très grand nombre de Canadiennes et de Canadiens, et pendant laquelle le Tribunal et moi-même, en tant que membre présidant l’audience, tentions de jongler avec toutes les exigences que cela supposait. Leur démarche et leur comportement ont rendu cette période difficile beaucoup plus supportable.

[147] Je remercie les deux parties et leurs avocats pour l'esprit de collégialité et la patience dont ils ont fait preuve à l’égard du Tribunal dans la présente instance.

Signée par

Jennifer Khurana

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 11 octobre 2024


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : T2467/2420

Intitulé de la cause : Barbara Saldanha c. Statistique Canada

Date de la décision du Tribunal : Le 11 octobre 2024

Date et lieu de l’audience : Tenue par vidéoconférence

Les 12, 13, 14, 15 et 16 juillet 2021

Comparutions :

Barbara Saldanha, pour son propre compte

Abigail Martinez, Alexandra Pullano et Sarah Jiwan, pour l’intimé

 

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