Tribunal canadien des droits de la personne
Informations sur la décision
Le Tribunal rejette la plainte de M. Awasis.
Ce dernier a cessé de participer à l’audience. Il y a commencé son témoignage, mais ne l’a pas terminé. Le Tribunal l’a averti que sa plainte pourrait être rejetée s’il ne continuait pas à participer à l’audience. Comme il n’a pas répondu, le Tribunal conclut qu’il a abandonné sa plainte et, par conséquent, la rejette.
De plus, l’audience concerne aussi M. Halcrow. Le Tribunal donnera suite à la plainte de celui-ci. Cependant, il aura besoin de plus d’informations pour décider s’il tient compte du témoignage de M. Awasis dans l’affaire de M. Halcrow.
Contenu de la décision
Tribunal canadien |
|
Canadian Human |
Référence : 2024 TCDP
Date : Le
Numéros des dossiers :
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Entre :
le plaignant
- et -
Johnny Awasis
le plaignant
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
l’intimé
Décision
Membre :
I. APERÇU
[1] Johnny Awasis et Frank Halcrow purgent tous deux une peine d’une durée indéterminée dans un établissement fédéral. M. Awasis et M. Halcrow allèguent que le Service correctionnel du Canada (le « SCC » ou l’« intimé »), utilise des outils d’évaluation psychologique et actuarielle du risque qui sont empreints d’un préjugé culturel pour prendre des décisions à l’égard des détenus autochtones. Ils allèguent que l’utilisation continue de ces outils pour évaluer le risque que présentent les détenus autochtones prive ces derniers de possibilités de libération et restreint leur capacité à accéder à des programmes de réadaptation appropriés.
[2] L’audience dans la présente affaire a commencé le 10 juin 2024. M. Awasis a débuté son interrogatoire principal, mais a cessé de participer à l’audience avant d’avoir terminé son témoignage, y compris son contre-interrogatoire. Depuis lors, il n’a pas répondu à la correspondance du Tribunal ou des parties. Lorsque M. Awasis ne s’est pas présenté à l’audience à sa reprise le 23 octobre 2024 et a annoncé qu’il n’y participerait pas, le SCC a déposé une requête afin que le Tribunal rejette sa plainte et radie sa preuve du dossier.
[3] M. Halcrow et la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») ne prennent pas position sur la requête.
II. DÉCISION
[4] J’accueille la requête du SCC en partie et rejette la plainte de M. Awasis pour cause d’abandon. Le Tribunal donnera suite à la plainte de M. Halcrow et l’intitulé sera modifié en conséquence. M. Awasis s’est présenté à l’audience et a commencé à témoigner, mais il a systématiquement refusé de revenir pour terminer son témoignage et être contre-interrogé. Le Tribunal l’a dûment informé de son obligation de participer à l’audience pour faire avancer son dossier et des conséquences d’un manquement à cette obligation. Le SCC doit présenter d’autres observations sur sa demande visant à faire radier la preuve de M. Awasis afin que je puisse trancher cette partie de sa requête.
III. CHRONOLOGIE
[5] Le Tribunal a tenu une téléconférence de gestion préparatoire le 7 juin 2024 avant le début de l’audience, mais M. Awasis n’y a pas participé. Le Tribunal a écrit à M. Awasis pour l’avertir que s’il ne participait pas au processus de traitement de la plainte ou ne se présentait pas à l’audience, sa plainte pourrait être rejetée pour cause d’abandon. M. Awasis s’est présenté à l’audience le 10 juin 2024, mais était absent le 11 juin. Le Tribunal lui a ensuite écrit le message suivant :
[traduction]
Comme vous le savez, l’audience de votre plainte pour atteinte aux droits de la personne a lieu cette semaine. M. Halcrow a continué son témoignage aujourd’hui et le terminera demain, le mercredi 12 juin 2024.
Vous devriez donc commencer à témoigner devant le Tribunal le jeudi 13 juin 2024. Le SCC vous remettra une copie de cette lettre et vous la lira afin de veiller à ce que vous soyez au courant de ce qui se passe dans votre dossier.
Vous devez également comprendre les conséquences d’un refus de participer à l’audience. Si vous ne vous présentez pas à l’audience, ou si vous n’y participez pas d’une autre manière, votre plainte pourrait être rejetée.
Vous pouvez demander un délai supplémentaire, par exemple, pour revoir ce qui s’est passé aujourd’hui à l’audience ou même pour préparer votre propre témoignage, si vous le souhaitez. Le Tribunal prendra note de votre demande, puis donnera aux autres parties la possibilité de lui faire part de leur position avant qu’il ne prenne une décision à ce sujet. Mais pour ce faire, vous devez venir à l’audience, écrire au Tribunal ou communiquer avec celui-ci d’une quelconque manière.
[6] M. Awasis ne s’est pas présenté à l’audience le 12 juin 2024 et a rédigé une note dans laquelle il indiquait ne pas vouloir assister à l’audience avant que ce ne soit son tour de témoigner. Il a demandé les enregistrements de l’audience, que le Tribunal lui a fait parvenir. M. Awasis s’est présenté à l’audience le 13 juin et la Commission a mené son interrogatoire principal le 13 juin et l’après-midi du 14 juin, mais ne l’a pas terminé. M. Awasis ne s’est pas présenté à l’audience le 17 juin, après quoi le Tribunal lui a envoyé le message suivant :
[traduction]
Il était prévu que vous poursuiviez votre témoignage aujourd’hui, y compris votre contre-interrogatoire.
Veuillez prendre note que le Tribunal a suspendu l’audience d’aujourd’hui jusqu’à 13 h, heure du Pacifique, pour voir si vous reviendrez. Il s’agit de votre occasion de faire entendre au Tribunal votre témoignage, lequel appuiera l’allégation de discrimination que vous avez formulée contre le Service correctionnel du Canada.
Veuillez noter que si vous ne vous présentez pas à l’audience, je demanderai aux autres parties de présenter des observations sur la marche à suivre. Le Tribunal pourrait également envisager de séparer votre plainte de celle de M. Halcrow.
Nous reprendrons l’audience à 13 h, heure du Pacifique, pour entendre votre témoignage. Si vous avez l’intention de vous présenter à l’audience pour fournir tout autre élément de preuve au Tribunal et être contre-interrogé, veuillez en informer le Tribunal et les autres parties.
[7] M. Awasis ne s’est pas présenté à l’audience le 17 juin 2024 et le Tribunal lui a de nouveau écrit pour lui faire part de ce qui suit :
[traduction]
Votre audience devant le Tribunal devait se poursuivre aujourd’hui, le 17 juin 2024. Le Tribunal a communiqué à deux reprises avec l’Établissement de Mission, qui l’a informé que vous ne vouliez pas venir à l’audience.
Le Tribunal vous a également envoyé une lettre dans laquelle il vous expliquait qu’il allait suspendre l’audience jusqu’à 13 h pour vous donner la possibilité de continuer votre témoignage. Vous ne vous êtes pas présenté à l’audience. Par conséquent, le Tribunal a interrompu l’audience pour la journée.
L’audience doit se poursuivre le mardi 18 juin 2024. Si vous souhaitez présenter au Tribunal d’autres éléments de preuve à l’appui de votre allégation de discrimination, vous devez vous présenter à l’audience le 18 juin 2024. L’audience débutera à 9 h, heure du Pacifique. Mme Genevieve Colverson de la Commission canadienne des droits de la personne vous posera ses dernières questions, puis les autres parties, y compris le Service correctionnel du Canada (SCC), pourront vous poser des questions.
Veuillez noter que la décision de ne pas vous présenter à l’audience pourrait avoir des conséquences importantes sur l’issue de votre dossier. Autrement dit, le Tribunal rendra une décision en l’absence d’autres éléments de preuve de votre part et pourrait rejeter votre plainte.
[8] M. Awasis ne s’est pas non plus présenté à l’audience le 18 juin 2024.
[9] L’audience ne devait reprendre que le 23 octobre 2024, date à laquelle toutes les parties étaient disponibles. Le SCC a écrit à M. Awasis le 13 septembre 2024 pour lui faire savoir qu’il déposerait une requête visant à faire rejeter sa plainte et à faire radier son témoignage du dossier s’il ne revenait pas à l’audience pour terminer son témoignage, y compris son contre-interrogatoire.
[10] Le 23 septembre 2024, le Tribunal a tenu une téléconférence de gestion préparatoire pour la reprise de l’audience. M. Awasis n’y a pas participé. Le Tribunal a envoyé aux parties un résumé de l’appel.
IV. MOTIFS
[11] Le Tribunal doit instruire les plaintes sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique (paragraphe 48.9(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6). Les règles de pratique du Tribunal sont interprétées et appliquées de façon à permettre de trancher la plainte sur le fond de façon équitable, informelle et rapide (Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 (les « Règles de pratique »).
[12] Les tribunaux administratifs sont maîtres chez eux. Le Tribunal peut rejeter une plainte si une partie omet de se conformer à ses règles (article 9 des Règles de pratique) et rendre l’ordonnance qu’il estime nécessaire en cas de comportements vexatoires ou d’abus de procédure (article 10 des Règles de pratique).
[13] Il incombe aux plaignants de faire progresser leur dossier et de participer au processus de traitement de la plainte. Les autres parties ont le droit d’obtenir le traitement de leur plainte en temps opportun (Rivard c. Première Nation Nak’azdli Whut’en, 2021 TCDP 21, au paragraphe 39). Le défaut de se présenter ou de participer d’une façon ou d’une autre au processus peut entraîner le rejet de la plainte pour cause d’abandon (Sewap c. Service correctionnel du Canada, 2024 TCDP 97).
A. Le Tribunal devrait-il rejeter la plainte de M. Awasis?
[14] Oui. Le Tribunal a écrit à M. Awasis à plusieurs reprises et le SCC a confirmé avoir livré ces communications.
[15] Le SCC fait valoir qu’il lui porterait préjudice et qu’il serait contraire à l’équité procédurale de continuer en l’absence de M. Awasis à ce stade étant donné que la preuve documentaire concernant ce dernier est incomplète, même si celui-ci a commencé son témoignage.
[16] Je suis d’accord. Le SCC n’a pas eu l’occasion de contester le témoignage de M. Awasis, et je suis convaincue que ce dernier a été informé de la tenue de l’instance et des conséquences de son défaut de participer. M. Awasis a systématiquement refusé de participer à l’audience et l’a effectivement abandonnée, en dépit du fait qu’il avait commencé son témoignage.
[17] Je conviens que M. Awasis souffre d’un certain nombre de problèmes de santé qui ont peut-être été exacerbés par les témoignages qu’il a entendus à l’audience ou par le témoignage qu’il a rendu sur ses traumatismes passés. Le Tribunal a tenté de contacter M. Awasis à plusieurs reprises, a suspendu l’audience avec l’accord des parties pour lui donner le temps de revenir et lui a également expliqué qu’il pouvait demander un délai supplémentaire si nécessaire. La Commission, qui a dirigé son témoignage, a également tenté de le contacter et de l’inciter à revenir à l’audience.
[18] Le long décalage entre l’interruption de l’audience en juin et sa reprise en octobre était imputable à des contraintes liées au calendrier, mais ce temps supplémentaire n’a rien changé à la situation. M. Awasis n’a pas participé à la téléconférence de gestion préparatoire avant l’audience en septembre ni à l’audience d’hier, même après que le SCC l’a avisé qu’il déposerait la présente requête s’il ne revenait pas à l’audience.
[19] Il ne serait pas équitable pour les autres parties que je retarde la poursuite de l’instance dans l’espoir que M. Awasis revienne à un moment ou à un autre et je ne dispose d’aucun élément de preuve me donnant à penser que M. Awasis a l’intention de revenir pour terminer son témoignage. Au contraire, en dépit de nombreuses tentatives de communication avec M. Awasis et du fait qu’il a été informé de la tenue de l’instance et des conséquences de sa non-participation, il a systématiquement refusé de participer à l’audience relative à sa plainte.
[20] En fin de compte, il incombe aux plaignants de participer au processus de traitement de leur plainte. L’issue est malencontreuse compte tenu des efforts importants que M. Awasis a déployés pour faire avancer son dossier jusqu’à ce stade, mais je conclus qu’il a abandonné sa plainte et je la rejette.
B. Le Tribunal devrait-il radier la preuve de M. Awasis du dossier?
[21] Pas à ce stade. Le Tribunal a besoin d’autres observations de la part du SCC avant de pouvoir trancher cette question.
[22] Selon le SCC, si je rejette la plainte de M. Awasis, il conviendrait de radier du dossier de l’audience l’ensemble de sa preuve, y compris tous les documents qu’il a déposés comme pièces. Le SCC demande également l’autorisation de présenter des observations à la fin de l’audience au sujet de tous les éléments de preuve qui ne sont pertinents qu’à l’égard de la plainte de M. Awasis, ce qui comprend la désignation de ces éléments de preuve.
[23] Le Tribunal a fait droit à la requête du SCC visant à ce que les plaintes soient jointes et instruites ensemble au motif qu’il existe des questions de faits ou de droits communes (Halcrow et Awasis c. Service correctionnel du Canada, 2021 TCDP 5). Le Tribunal a tenu compte de plusieurs facteurs, dont la nécessité d’éviter les répétitions inutiles à tous les stades de l’instance, y compris la répétition possible de témoignages, compte tenu du fait qu’il y aurait probablement des chevauchements entre les éléments de preuve présentés au sujet des deux plaignants.
[24] Le SCC n’a pas indiqué quelles pièces ou quels aspects de la preuve de M. Awasis se rapportent uniquement à la plainte de ce dernier. Le SCC doit préciser davantage sa demande, y compris en désignant les pièces ou les aspects du dossier de preuve dont il demande la radiation. Il doit également étayer sa demande et expliquer en quoi les éléments de preuve dont il propose la radiation se rapportent uniquement à la plainte de M. Awasis et ne touchent pas à la plainte de M. Halcrow. Je fixerai à l’audience une date limite pour le dépôt de ces observations.
V. ORDONNANCE
[25] La plainte de M. Awasis est rejetée. L’intitulé sera modifié en conséquence.
[26] L’intimé doit désigner les éléments de preuve qu’il propose de faire radier du dossier et qui se rapportent uniquement à la plainte de M. Awasis, étayer sa demande et expliquer en quoi ces éléments de preuve sont uniquement pertinents à la plainte de M. Awasis. Le Tribunal entendra les parties avant de se prononcer sur la seconde partie de la requête du SCC et fixera à l’audience la date limite pour le dépôt des observations du SCC.
Signée par
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéros des dossiers du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Frank Halcrow c. Service correctionnel du Canada
Date de la
Date et lieu de l’audience :
Vidéoconférence sur Zoom
Requête traitée par écrit sans comparution des parties
Observations écrites par :