Tribunal canadien des droits de la personne
Informations sur la décision
Coreena Masson, la plaignante, est une femme autochtone qui s’identifie comme Crie des Plaines. Mme Masson soutient que la Nation crie d’Onion Lake a exercé des représailles contre elle pour avoir déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne.
La nation crie a demandé de retirer sept allégations de l’exposé des précisions de Mme Masson. Ce document présente les faits et les questions qu’une partie entend soulever lors d’une audience du Tribunal. Mme Masson a accepté de retirer certaines allégations. Le Tribunal a accueilli une partie de la requête visant à retirer les autres allégations contestées.
Mme Masson et la Commission canadienne des droits de la personne ont également demandé de modifier leurs exposés des précisions. En fait, le Tribunal peut autoriser des modifications à un exposé des précisions si celles-ci sont liées aux principales questions en litige entre les parties. Lorsque le Tribunal examine une telle requête, il doit toutefois se demander si l’autre partie subira un préjudice indu en raison de cette modification et, le cas échéant, s’il est possible d’y remédier. Les modifications ne doivent pas donner lieu à une nouvelle plainte.
Le Tribunal a conclu que les modifications proposées concernaient les allégations dans la plainte pour représailles et a donc accueilli la requête visant à les ajouter aux exposés des précisions.
Contenu de la décision
Tribunal canadien |
|
Canadian Human |
Référence : 2024 TCDP
Date : Le
Numéro du dossier :
[Traduction française]
Entre :
la plaignante
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
l’intimée
Décision sur requête
Membre :
Contents
B. La demande de modification des exposés des précisions
IV. REQUÊTE EN RADIATION – PRÉCISIONS SUR LES ALLÉGATIONS CONTESTÉES
A. Les motifs de plainte concernant des faits remontant à 2019
B. Les motifs de plainte relatifs à l’emploi
(i) Motif de plainte relatif à l’emploi no 1
(ii) Motif de plainte relatif à l’emploi no 2
V. DEMANDE DE MODIFICATION DES EXPOSÉS DES PRÉCISIONS – LES MODIFICATIONS PROPOSÉES
B. Y a-t-il lieu de radier les allégations contestées?
(ii) Y a-t-il lieu de radier les allégations relatives à l’emploi?
C. Y a-t-il lieu de modifier les exposés des précisions des parties?
I. APERÇU
[1] Coreena Masson, la plaignante, est une femme autochtone qui s’identifie comme Crie des Plaines. La Nation crie d’Onion Lake (« Onion Lake »), l’intimée, est une communauté qui appartient à la Nation crie et qui est située près de Lloydminster, à la frontière de la Saskatchewan et de l’Alberta. Mme Masson possède une propriété à côté des terres de réserve d’Onion Lake.
[2] En 2017, Mme Masson a déposé une plainte relative aux droits de la personne contre la Nation crie d’Onion Lake (la « plainte originale »). Les parties ont réglé la plainte originale.
[3] Mme Masson a déposé une autre plainte relative aux droits de la personne en octobre 2020 (la « plainte pour représailles »), dans laquelle elle affirme qu’Onion Lake a exercé des représailles contre elle en raison du dépôt de la plainte originale. En mai 2023, la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a renvoyé la plainte pour représailles au Tribunal aux fins d’instruction.
[4] La présente décision tranchera deux questions relatives aux exposés des précisions des parties : la requête de l’intimée visant à faire radier des paragraphes dans les exposés des précisions de la plaignante et de la Commission; et la demande de la plaignante et de la Commission visant à modifier leurs exposés des précisions.
A. La requête en radiation
[5] Dans sa requête, Onion Lake cherche à faire radier sept allégations contenues dans les exposés des précisions des autres parties.
[6] Il est soutenu que les événements faisant l’objet de cinq des allégations contestées dans l’exposé des précisions de Mme Masson se sont produits en 2019. Ces allégations, qui étaient absentes de la plainte pour représailles, sont antérieures aux premières allégations de discrimination contenues dans la plainte pour représailles. Mme Masson accepte de retirer quatre de ces allégations, mais soutient que l’une d’entre elles ne devrait pas être radiée.
[7] Les deux autres allégations contestées portent sur l’ingérence d’Onion Lake dans l’emploi de Mme Masson. Cette ingérence aurait eu lieu en 2021, et le dernier incident d’ingérence se serait produit en 2022. Mme Masson et la Commission soutiennent que les allégations en question ne devraient pas être radiées.
B. La demande de modification des exposés des précisions
[8] La présente décision sur requête porte également sur une demande de modification des exposés des précisions de la plaignante et de la Commission. La modification proposée vise à ajouter des renseignements précis au sujet d’un événement présumé qui est mentionné dans la plainte pour représailles, mais qui, par inadvertance, ne l’est pas dans les exposés des précisions, et à préciser les noms des personnes impliquées dans cet événement.
II. DÉCISION
[9] J’accueille les demandes en partie, pour les motifs suivants :
A) La plaignante a confirmé qu’elle acceptait de retirer les titres et les paragraphes suivants de son exposé des précisions :
i. Titre II et paragraphes 52 à 56.
ii. Titre III et paragraphes 57 à 62.
iii. Titre V et paragraphes 68 à 73.
iv. Titre VII et paragraphes 106 à 110.
B) Je fais droit à la requête de l’intimée visant à faire radier la seule allégation restante relative aux événements de 2019, énoncée aux paragraphes 5 et 42 (IV), au titre IV et aux paragraphes 63 à 67 de l’exposé des précisions de la plaignante, ainsi qu’aux paragraphes correspondants de l’exposé des précisions de la Commission.
C) Je rejette la requête de l’intimée visant à faire radier les allégations relatives à l’emploi énoncées sous le titre VI et aux paragraphes 74 à 105 de l’exposé des précisions de la plaignante.
D) Je fais droit à la demande de modification des exposés des précisions de la plaignante et de la Commission.
E) J’ordonne aux parties de modifier leurs exposés des précisions conformément à la présente décision sur requête.
III. QUESTIONS EN LITIGE
[10] La présente décision sur requête tranche les questions suivantes :
A) Quels principes le Tribunal doit-il appliquer pour décider s’il convient de radier des allégations d’un exposé des précisions ou de permettre des modifications à un exposé des précisions?
B) Y a-t-il lieu de radier les allégations contestées?
C) Y a-t-il lieu de modifier les exposés des précisions des parties?
IV. REQUÊTE EN RADIATION – PRÉCISIONS SUR LES ALLÉGATIONS CONTESTÉES
[11] Dans sa plainte pour représailles déposée auprès de la Commission en 2020, Mme Masson fait état d’un différend entre les parties au sujet de sa propriété et d’événements connexes. L’une des principales allégations est qu’Onion Lake aurait bloqué des routes pour empêcher Mme Masson d’accéder à une propriété qu’elle considère comme sa terre. La plainte pour représailles porte également sur d’autres événements résultant de tels barrages routiers et sur les conséquences du différend allégué pour Mme Masson.
[12] Dans son exposé des précisions, Onion Lake nie les allégations de discrimination formulées par Mme Masson et la perception qu’a cette dernière des événements connexes.
[13] J’ai examiné les positions des parties sur la requête, lesquelles positions sont énoncées dans les documents suivants : l’avis de requête de l’intimée, daté du 15 septembre 2023; l’exposé des précisions de l’intimée, daté du 31 octobre 2023; les réponses de la plaignante et de la Commission à l’exposé des précisions de l’intimée, toutes deux datées du 29 novembre 2023; les observations écrites des parties; et le courriel de la plaignante, daté du 13 août 2024, confirmant le retrait de certains paragraphes de son exposé des précisions.
A. Les motifs de plainte concernant des faits remontant à 2019
[14] Cinq des sept allégations contestées visent des événements qui se seraient produits avant que Mme Masson ne dépose la plainte pour représailles auprès de la Commission. Onion Lake soutient que ces allégations débordent le cadre de la plainte pour les raisons suivantes :
a) Les événements allégués auraient eu lieu en 2019, mais, comme indiqué sur la première page du formulaire de la plainte pour représailles de Mme Masson, la discrimination présumée aurait commencé en mars 2020.
b) La Commission n’a pas enquêté sur ces cinq allégations et n’en a pas tenu compte dans sa décision de renvoyer la plainte au Tribunal pour instruction. Onion Lake soutient qu’il serait préjudiciable de les inclure dans la portée de l’instruction.
c) Le Tribunal n’a pas le pouvoir d’examiner ces allégations, parce qu’elles concernent des incidents qui seraient survenus plus d’un an avant que Mme Masson ne dépose sa plainte auprès de la Commission. Elles sont donc irrecevables, compte tenu du délai de prescription prévu à l’alinéa 41e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
[15] Mme Masson a accepté de retirer quatre des cinq allégations contestées. Par conséquent, les paragraphes correspondant à ces quatre allégations seront supprimés des exposés des précisions des parties, comme indiqué ci-après.
[16] L’allégation restante concerne un membre du Conseil de bande d’Onion Lake et ses proches qui se seraient introduits sur la propriété de Mme Masson et l’auraient utilisée illégalement au cours de l’été 2019 pour y tenir des soirées arrosées. Cette allégation est présentée aux paragraphes 63 à 67 de l’exposé des précisions de Mme Masson et aux paragraphes 28 à 30 de l’exposé des précisions de la Commission. Mme Masson affirme que l’allégation ne devrait pas être radiée. La Commission soutient aussi que l’allégation ne devrait pas être radiée ou, à titre subsidiaire, qu’elle devrait demeurer dans l’exposé des précisions à des fins de mise en contexte.
B. Les motifs de plainte relatifs à l’emploi
[17] Deux des sept allégations contestées portent sur l’ingérence d’Onion Lake dans l’emploi de Mme Masson. Les événements qu’elles concernent auraient eu lieu après le dépôt de la plainte pour représailles.
(i) Motif de plainte relatif à l’emploi no 1
[18] L’une des allégations liées à l’emploi, désignée sous le nom de [traduction] « motif de plainte relatif à l’emploi no 1 » dans les observations écrites d’Onion Lake, est énoncée aux paragraphes 74 à 83 de l’exposé des précisions de Mme Masson. Elle est fondée sur une lettre du directeur de l’éducation d’Onion Lake qui est adressée à Mme Masson et datée d’environ juin 2021, et qui informe cette dernière qu’Onion Lake ne renouvellera pas son contrat de travail.
[19] Dans sa plainte pour représailles, Mme Masson n’a pas fait mention de cette allégation. Toutefois, le rapport de décision établi par l’agent des droits de la personne de la Commission y fait référence. On peut y lire ce qui suit : [Traduction] « Après avoir déposé sa plainte en octobre 2020, la plaignante a informé le personnel de la Commission en avril 2021 que son contrat avec l’intimée n’avait pas été renouvelé et qu’il avait été mis fin à son emploi pour l’année scolaire 2020-2021. Elle a déclaré qu’elle avait demandé une indemnité de départ et que, pour pouvoir la recevoir, elle avait dû signer une renonciation dans laquelle elle s’engageait à ne pas intenter d’action en justice contre son employeur. »
[20] Le rapport de décision reprend ensuite le libellé de la renonciation, après quoi on peut lire : [Traduction] « Il ressort clairement de la renonciation qu’elle porte sur des questions liées à l’emploi; en outre, elle englobe expressément les actions intentées en vertu de la Loi. Étant donné que la plaignante reconnaît avoir signé la renonciation, cette allégation ne sera pas examinée plus avant dans le présent rapport. »
[21] Onion Lake fait valoir que, compte tenu de la conclusion formulée dans le rapport au sujet du motif de plainte relatif à l’emploi no 1 et du fait que la Commission n’a pas fourni de motifs distincts à l’appui de sa décision, il est raisonnable de déduire que la Commission n’a pas tenu compte de l’allégation en question lorsqu’elle a décidé de renvoyer la plainte pour représailles au Tribunal pour instruction. Mme Masson et la Commission ne souscrivent pas à la position d’Onion Lake.
(ii) Motif de plainte relatif à l’emploi no 2
[22] Les autres allégations relatives à l’emploi sont désignées collectivement sous le nom de [traduction] « motif de plainte relatif à l’emploi no 2 »
dans les observations d’Onion Lake, et sont énoncées dans les paragraphes 84 à 105 de l’exposé des précisions de Mme Masson. Selon ces allégations, Onion Lake aurait forcé Mme Masson à signer la renonciation liée à son ancien emploi, aurait annulé une offre d’emploi ultérieure et aurait informé Mme Masson qu’Onion Lake ne prendrait plus en considération sa candidature pour un emploi futur. Onion Lake avance que les allégations correspondant au motif de plainte relatif à l’emploi no 2 n’ont pas le [traduction] « lien » requis avec les allégations concernant les barrages routiers qui figurent dans la plainte pour représailles. Mme Masson et la Commission soutiennent pour leur part qu’il existe un lien entre la plainte pour représailles et ces allégations.
V. DEMANDE DE MODIFICATION DES EXPOSÉS DES PRÉCISIONS – LES MODIFICATIONS PROPOSÉES
[23] La Commission a demandé à pouvoir modifier son exposé des précisions afin d’y ajouter :
A) une déclaration selon laquelle Mme Masson a demandé et obtenu une réunion avec le chef et le Conseil d’Onion Lake afin de discuter de ses préoccupations concernant les barrages routiers bloquant l’accès à sa propriété;
B) les noms des participants à la réunion;
C) une allégation selon laquelle un membre du Conseil [traduction] « s’est levé, l’a pointée du doigt et a déclaré qu’elle n’avait aucun droit sur les terres et qu’elle n’y vivait pas »; et une allégation selon laquelle Mme Masson a été qualifiée [traduction] d’« étrangère » et [traduction] d’« intruse » et a été ridiculisée;
D) une allégation selon laquelle les autres membres du Conseil n’ont pas défendu Mme Masson contre ces gestes allégués et n’ont pas remédié au comportement agressif présumé.
E) une déclaration au sujet de cette dernière allégation dans le sommaire des incidents allégués mentionnés au paragraphe 17 de l’exposé des précisions de la Commission.
[24] La Commission est d’avis que les modifications proposées correspondent aux allégations figurant dans la plainte pour représailles, et qu’Onion Lake a été informé de ces allégations, mais qu’elles ont été omises par inadvertance de l’exposé des précisions.
[25] Mme Masson n’a pas proposé de libellé pour la modification de son exposé des précisions, mais elle a présenté des observations à l’appui de la demande de la Commission.
[26] Onion Lake ne s’oppose pas aux modifications proposées, pourvu qu’elles servent à mettre en contexte les allégations relatives aux barrages routiers. Par contre, Onion Lake s’oppose aux modifications si elles doivent être traitées comme une plainte distincte, au motif que les allégations, même si elles étaient vraies, ne sauraient justifier une conclusion de responsabilité. Dans sa réplique, la Commission exprime son désaccord sur ce dernier point.
VI. ANALYSE
A. Quels principes le Tribunal doit-il appliquer pour décider s’il y a lieu de radier des allégations d’un exposé des précisions ou d’autoriser des modifications à un exposé des précisions?
[27] Les mêmes préceptes juridiques s’appliquent, que le Tribunal traite une demande visant à radier des allégations dans un exposé des précisions ou qu’il traite une demande visant à élargir la portée d’une plainte (Temate c. Agence de santé publique du Canada, 2022 TCDP 31, aux par. 6 et 7 [Temate]).
[28] Les modifications à une plainte relative aux droits de la personne devraient être autorisées aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu qu’elles ne causent pas de préjudice à l’intimée (Canada (Procureur général) c. Parent, 2006 CF 1313, aux par. 30 et 40 [Parent]). En outre, les modifications devraient reposer sur « un facteur commun qui fonde les allégations de discrimination »
(Parent, au par. 43).
[29] Les facteurs à prendre en compte pour déterminer s’il convient de radier ou de modifier des allégations ont récemment été résumés comme suit dans la décision Mohamed c. Banque Royale du Canada, 2023 TCDP 20 [Mohamed] :
[8] Dans l’exercice de son pouvoir de déterminer la portée de la plainte, le Tribunal peut radier les parties des exposés des précisions qui dépassent la portée légitime d’une plainte. Toutefois, le Tribunal doit exercer son pouvoir « avec prudence » et seulement dans les « cas les plus clairs » (Richards c. Service correctionnel Canada, 2020 TCDP 27, au par. 86).
[9] Aux termes du paragraphe 44(3) et de l’article 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « Loi » ou la « LCDP »), la Commission ne peut demander au Tribunal d’instruire une plainte qu’une fois qu’elle a enquêté sur celle-ci. D’ailleurs, dans l’arrêt Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), 1996 CanLII 152 (CSC), [1996] 3 RCS 854, au paragraphe 48, la Cour suprême du Canada a déclaré que la Loi prévoit un processus complet de traitement des plaintes et que la Commission est un rouage essentiel de ce processus.
[10] Selon la jurisprudence bien établie (voir, par exemple, les décisions Casler et Société du Musée canadien des civilisations c. Alliance de la fonction publique du Canada (section locale 70396), 2006 CF 704), la portée du litige dont le Tribunal est saisi ne peut introduire une nouvelle plainte qui n’a pas été examinée par la Commission et qui ne respecte pas la demande de la Commission visant l’instruction de la plainte. Le Tribunal n’a donc pas le pouvoir de se pencher sur une plainte qui n’a pas d’abord été traitée par la Commission ni renvoyée au Tribunal pour instruction (voir Cook c. Première nation d’Onion Lake, 2002 CanLII 61849 (TCDP), [2002] D.C.D.P. no 12 [Cook]). Il faut donc se limiter à la plainte, aux décisions de la Commission à l’égard de cette plainte et, en particulier, à la demande qu’elle a adressée au Tribunal pour qu’il procède à l’instruction de la plainte.
[11] La notion de plainte est néanmoins suffisamment large pour être interprétée d’une manière qui englobe toute la portée des allégations de la partie plaignante (Cook, au par. 11). Une plainte est la première étape dans le processus, et il est inévitable que de nouveaux faits et de nouvelles circonstances soient révélés lors de l’enquête de la Commission (Casler). La plainte se précise au fur et à mesure que le processus se déroule (Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 1, au par. 11 [Gaucher]).
[12] Toutefois, une limite s’impose lorsque la modification d’une plainte ne peut plus être considérée comme une simple modification, mais qu’elle s’apparente plutôt à une nouvelle plainte (Gaucher). De même, les allégations de faits que le Tribunal doit examiner pour trancher le litige doivent, en quelque sorte, émaner de la plainte elle-même ou en découler, à la lecture de l’exposé des précisions de la plaignante, et ne doivent pas s’en écarter de manière à constituer une nouvelle plainte.
[30] Le Tribunal n’a pas le pouvoir de se pencher sur une plainte qui n’a pas d’abord été traitée par la Commission ni renvoyée au Tribunal pour instruction (Mohamed, au par. 10). Il peut autoriser l’ajout d’une allégation à un exposé des précisions pour qu’elle serve de contexte ou pour clarifier ou expliquer les allégations initiales, dans la mesure où le fond de la plainte originale est respecté (Casler c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2017 TCDP 6, au par. 9 [Casler]; Jorge c. Société canadienne des postes, 2021 TCDP 25, aux par. 240 à 242 et 248 à 251).
[31] La lettre de renvoi que la Commission transmet au Tribunal établit l’étendue de la plainte qui doit être instruite. S’il n’existe aucune limitation ou exclusion dans cette lettre, le Tribunal suppose que la plainte est référée dans son entièreté pour instruction (Karas c. Société canadienne du sang et Santé Canada, 2021 TCDP 2, aux par. 19 et 20 [Karas]; Miller c. International Longshoremen’s Association, Local 269, 2022 TCDP 39, au par. 34 [Miller]; Ali c. Ministère de la Défense nationale, 2022 TCDP 44, au par. 92 [Ali]).
[32] Lorsque le Tribunal doit déterminer l’étendue d’une plainte et décider s’il convient d’y apporter des modifications, il ne s’engage pas dans une analyse approfondie du bien-fondé de ces nouveaux éléments (Temate, au par. 56). Toutefois, la substance de l’exposé des précisions doit raisonnablement respecter les fondements factuels et les allégations initiales de discrimination énoncées dans la plainte initiale (Dorey et al. c. Emploi et Développement social Canada, 2023 TCDP 23, au par. 81).
[33] Une requête en modification d’un exposé des précisions peut être rejetée lorsqu’il est manifeste et évident que les allégations n’ont aucune chance de succès (Dinardo c. Service correctionnel du Canada, 2024 TCDP 80, au par. 10 [Dinardo]; Temate, au par. 17; Bressette c. Conseil de bande de la première nation de Kettle et Stony Point, 2004 TCDP 2, au par. 6; Virk c. Bell Canada, 2004 TCDP 10, au par. 7).
B. Y a-t-il lieu de radier les allégations contestées?
(i) Y a-t-il lieu de radier les allégations relatives aux « soirées arrosées » tenues sur la propriété de la plaignante?
[34] Oui. Les allégations selon lesquelles un membre du Conseil de bande d’Onion Lake et ses proches se seraient introduits sur la propriété de Mme Masson en 2019 pour y tenir des soirées arrosées doivent être radiées, parce qu’il n’y a pas de lien suffisant entre elles et la plainte originale ou la plainte pour représailles. Ces allégations sont antérieures à l’allégation selon laquelle Onion Lake aurait bloqué les routes menant à la propriété de Mme Masson en 2020, des actes qui ont donné lieu à la plainte pour représailles. En outre, la plainte pour représailles ne comporte pas d’allégations d’intrusion. Le rapport de décision de la Commission relatif à la plainte pour représailles montre que la plainte originale déposée en 2017 portait sur des allégations de refus de possibilités d’emploi; mais nulle part n’y est-il fait mention d’incidents d’intrusion. Comme dans la décision Casler, les nouveaux faits et les nouvelles circonstances révélés au cours d’une enquête de la Commission, ou ultérieurement, peuvent s’inscrire dans la portée d’une enquête du Tribunal s’ils émanent de la plainte elle-même ou s’ils en découlent. Toutefois, sur la base des conclusions ci-dessus, je suis d’avis qu’en l’espèce, il n’existe pas de lien suffisant entre les allégations d’intrusion et l’une ou l’autre des plaintes relatives aux droits de la personne déposées par Mme Masson, c’est-à-dire qu’il y a absence de ce « facteur commun qui fonde les allégations de discrimination »
requis par la décision Parent.
[35] Je n’accepte pas l’argument de la Commission selon lequel les présentes allégations devraient demeurer dans l’exposé des précisions à des fins contextuelles. Je prends également acte des arguments de Mme Masson sur l’importance du contexte et des comportements antérieurs comme fondements de sa plainte. Toutefois, si les allégations d’intrusion devaient être maintenues à des fins de contexte, il pourrait s’avérer nécessaire de recueillir des témoignages visant à les prouver ou à les réfuter. Il pourrait aussi être nécessaire de faire appel à des témoins qui n’auraient pas normalement été appelés à témoigner. Le fait de se concentrer sur ces allégations dans le but limité de fournir un contexte détournerait l’attention des questions fondamentales à examiner dans le cadre de l’instruction. À mon avis, la valeur qui pourrait être obtenue en prouvant ou en réfutant pareilles allégations contextuelles est disproportionnée par rapport au temps et aux ressources qu’il faudrait pour les examiner équitablement dans le cadre de l’instruction.
[36] Compte tenu du retrait de quatre allégations par Mme Masson et de la présente décision ayant pour effet de radier les allégations d’intrusion, tous les passages relatifs aux événements de 2019 doivent être supprimés des exposés des précisions des parties. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments de l’intimée selon lesquels les allégations de 2019 ne peuvent être prises en compte parce qu’elles concernent des événements survenus plus d’un an avant le dépôt de la plainte pour représailles.
(ii) Y a-t-il lieu de radier les allégations relatives à l’emploi?
[37] Non. Les allégations relatives à l’emploi ne seront pas radiées, pour les raisons exposées ci-après.
[38] Premièrement, je n’accepte pas les arguments de l’intimée selon lesquels le motif de plainte relatif à l’emploi no 1 devrait être radié. L’intimée fait valoir qu’après avoir pris connaissance de la renonciation signée par Mme Masson, l’agent des droits de la personne de la Commission a décidé de ne pas poursuivre l’examen de ce motif de plainte. Selon elle, il peut donc en être déduit que la Commission a adopté le rapport de décision comme motifs à l’appui de sa décision de renvoyer la plainte pour représailles devant le Tribunal.
[39] Je ne partage pas ce point de vue. Il ressort clairement du rapport de décision que le motif de plainte relatif à l’emploi no 1 s’est fait jour au cours de l’enquête de la Commission et que l’agent des droits de la personne l’a examiné. En outre, après avoir pris connaissance de la renonciation, l’agent des droits de la personne a déclaré que [traduction] « cette allégation ne sera[it] pas examinée plus avant dans le présent rapport »
. Toutefois, le choix de l’agent des droits de la personne de ne pas poursuivre son examen de l’allégation ne lie pas le Tribunal et n’encadre pas la portée de son instruction (Connors c. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 6, aux par. 37 à 39).
[40] J’estime également que ces faits concordent avec le résumé des principes relatifs à la portée que l’on trouve aux paragraphes 10 et 11 de la décision Mohamed. Dans cette affaire, de nouveaux faits avaient été soulevés au cours d’une enquête de la Commission, et un agent des droits de la personne les avait examinés. Un commissaire de la Commission avait ensuite examiné le rapport de décision, et décidé de renvoyer la plainte pour représailles au Tribunal aux fins d’une instruction [traduction] « car, compte tenu de toutes les circonstances de la plainte, un examen plus approfondi par le Tribunal [était] justifié »
. Dans sa décision de renvoi, la Commission n’a ni écarté la plainte relative à l’emploi, ni mentionné de limites à la portée du renvoi, ni indiqué qu’elle faisait sienne la position énoncée dans le rapport de décision. En l’absence de limitation ou d’exclusion explicite dans la décision de la Commission, et conformément aux décisions Karas, Miller et Ali, je conclus que la Commission a renvoyé la plainte pour représailles dans son entièreté, y compris le motif de plainte relatif à l’emploi que Mme Masson a porté à l’attention de la Commission.
[41] Deuxièmement, l’intimée fonde ses observations sur la décision Torraville c. Jazz Aviation LP, 2020 TCDP 40 [Torraville], mais j’estime que les faits sous-jacents à cette décision diffèrent de ceux de l’espèce à un point tel que l’affaire ne s’applique pas à la présente plainte pour représailles. Au paragraphe 22 de la décision Torraville, il est fait référence à la décision Waddle c. Chemin de fer Canadien Pacifique et Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, 2016 TCDP 8 [Waddle] pour appuyer la proposition selon laquelle, s’il existe une preuve selon laquelle un plaignant a endossé ou approuvé le contenu d’un document produit par le personnel de la Commission, le document et les interactions connexes peuvent s’avérer pertinents au moment de clarifier l’étendue d’une instruction. Toujours dans la décision Torraville, les paragraphes 42 et 43 mentionnent les discussions entre le personnel de la Commission et le plaignant au sujet de la portée de la plainte; l’accord entre le plaignant et la Commission quant à la date de début de la discrimination présumée; et le consentement du plaignant à ce que les événements survenus avant la date de début de la discrimination ne soient pris en compte que dans le but de fournir un contexte. Par conséquent, aux paragraphes 46 et 47, le Tribunal a conclu que, comme dans la décision Waddle, et à la lumière des discussions entre la Commission et la plaignante, la plainte avait une portée temporelle limitée.
[42] En ce qui concerne la plainte de Mme Masson, on ne trouve pas, dans les échanges entre cette dernière et la Commission au sujet du motif de plainte no 1 relatif à l’emploi, de faits comparables à ceux susmentionnés. La Commission ne mentionne pas non plus, dans son rapport, de discussions entre la Commission et Mme Masson sur la portée de la plainte, ni d’accord sur cette portée. En outre, rien n’indique que, dans sa décision de renvoi, la Commission ait adopté la conclusion du rapport de décision au sujet de la renonciation signée. Étant donné l’absence du fondement factuel qui sous-tend le raisonnement de la décision Torraville, les conclusions de cette décision ne s’appliquent pas en l’espèce.
[43] Troisièmement, j’estime que les motifs de plainte relatifs à l’emploi no 1 et no 2 sont liés, sur le plan temporel, à la plainte concernant les barrages routiers qui bloquaient l’accès à la propriété de Mme Masson. Dans la plainte pour représailles, Mme Masson affirme que l’intimée a bloqué la route menant à sa propriété à la fin du printemps 2020. Elle déclare avoir contacté la municipalité à ce sujet en septembre 2020 et avoir ensuite assisté à une réunion entre le chef et le conseil d’Onion Lake. Par ailleurs, dans son exposé des précisions, Mme Masson allègue que la route menant à sa propriété a été bloquée à nouveau en 2021 (au par. 44); qu’Onion Lake lui a envoyé vers juin 2021 une lettre lui annonçant que son contrat de travail ne serait pas renouvelé (au par. 78); et que d’autres événements liés à son emploi se sont produits en novembre ou en décembre 2021 (aux par. 92 à 99).
[44] Tous ces événements, s’ils sont prouvés, se sont produits successivement, d’environ la mi‑2020 à la fin de 2021. À mon avis, cette brève période permet d’établir l’existence d’un lien temporel suffisant entre les événements allégués dans la plainte pour représailles et les allégations relatives à l’emploi contenues dans les exposés des précisions.
[45] Quatrièmement, j’estime qu’il existe également un lien réel et suffisant entre les allégations contenues dans la plainte originale, les allégations liées au barrage routier contenues dans la plainte pour représailles et les allégations de représailles relatives à l’emploi figurant dans les exposés des précisions. Là encore, il reste à déterminer si les événements en question peuvent être prouvés. Toutefois, à mon avis, il existe un lien concevable entre la plainte originale concernant le refus de possibilités d’emploi; une relation peut-être difficile entre les parties à la suite du dépôt de la plainte originale par Mme Masson; les mesures de représailles présumées consistant à bloquer des routes en 2020, puis en 2021; les mesures de représailles présumées consistant à mettre fin à l’emploi de Mme Masson en 2021, et la communication alléguée de juin 2022 au cours de laquelle on aurait annoncé à Mme Masson que sa candidature ne serait pas prise en considération pour un emploi futur (au par. 100 de l’exposé des précisions). Tout compte fait, j’estime que la chronologie des événements en cause tend à démontrer une série d’actes de représailles qui sont, comme dans la décision Parent, possiblement interreliés.
[46] Le Tribunal doit exercer son pouvoir de radier des précisions avant une audience « avec prudence »
et seulement dans les « cas les plus clairs »
(Richards). J’ai appliqué cette approche à mon examen des allégations en question. À mon avis, il n’est pas clair qu’il faille radier les passages correspondant aux faits allégués relativement à l’emploi de la plaignante en tant qu’incidents de représailles présumés.
C. Y a-t-il lieu de modifier les exposés des précisions des parties?
[47] Oui. J’autorise la modification proposée à l’exposé des précisions de la Commission, de même que la modification correspondante à l’exposé des précisions de Mme Masson.
[48] À mon avis, la modification proposée suit de près le libellé utilisé pour décrire l’événement allégué dans la plainte pour représailles, et ajoute les noms des personnes présentes à la réunion du chef et du conseil. Il n’y a pas d’ajout au fond de l’allégation originale. La modification vient clarifier un événement présumé qui est déjà énoncé. En outre, l’intimée est au courant de cette allégation depuis sa première formulation, en 2020.
[49] La question de savoir si l’allégation, dans le cas où elle serait prouvée, pourrait constituer un incident de représailles distinct et donner à la plaignante le droit à une réparation ou, au contraire, devrait être considérée uniquement comme étant des renseignements contextuels, pourrait faire l’objet d’un débat après que les parties auront présenté leurs éléments de preuve lors d’une audience. Toutefois, à mon avis, et conformément aux décisions Dinardo et Temate, il n’est pas « manifeste et évident »
, à ce stade-ci de l’instance, que l’allégation qui nous occupe n’a aucune chance de succès.
VII. ORDONNANCE
A) Étant donné que la plaignante a accepté de retirer les allégations concernées de son exposé des précisions, les titres et les paragraphes suivants doivent être supprimés :
i. Titre II et paragraphes 52 à 56.
ii. Titre III et paragraphes 57 à 62.
iii. Titre V et paragraphes 68 à 73.
iv. Titre VII et paragraphes 106 à 110.
Les allégations correspondantes figurant dans l’exposé des précisions de la Commission et dans l’exposé des précisions de l’intimée doivent également être supprimées.
B) Les titres et les paragraphes suivants portant sur les allégations que la plaignante a accepté de retirer doivent être supprimés de l’exposé des précisions de la plaignante : paragraphes 6, 7 et 42 (II), (III), (V) et (VII).
C) La requête de l’intimée visant à faire radier les allégations d’intrusion sur la propriété de la plaignante est accueillie. Les titres et les paragraphes suivants doivent être supprimés de l’exposé des précisions de la plaignante : paragraphe 5, paragraphe 42 (IV), titre IV et paragraphes 63 à 67. Les paragraphes correspondants des exposés des précisions de la Commission et de l’intimée doivent également être supprimés.
D) La requête de l’intimée visant à faire radier les allégations relatives à l’emploi figurant au titre VI et aux paragraphes 74 à 105 de l’exposé des précisions de la plaignante, ainsi que les allégations correspondantes dans l’exposé des précisions de la Commission, est rejetée.
E) J’accède à la demande de modification des exposés des précisions de la plaignante et de la Commission. La modification proposée par la Commission sera apportée à son exposé des précisions, et le passage correspondant de l’exposé des précisions de la plaignante sera modifié en conséquence.
F) Les parties doivent réviser leurs exposés des précisions conformément à la présente décision, puis les déposer à nouveau au plus tard le 18 octobre 2024.
Signée par
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéro du dossier du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Requête traitée par écrit sans comparution des parties
Observations écrites par :