Tribunal canadien des droits de la personne
Informations sur la décision
Giuseppe Clemente a commencé à travailler pour Air Canada en 1984. En 2005, M. Clemente s’est gravement blessé au dos en travaillant comme préposé d’aire de trafic au service des bagages. Cette blessure l’a empêché de continuer à occuper ce poste et l’a mis en arrêt de travail jusqu’en 2014.
À son retour à Air Canada en 2014, M. Clemente était limité dans ce qu’il pouvait faire. Par exemple, il ne pouvait pas travailler de longues heures en raison de la douleur. Air Canada a pris des mesures d’adaptation et a modifié son horaire et son environnement de travail physique. Air Canada lui a assigné des rôles de soutien supplémentaire au personnel.
Air Canada a essayé de lui trouver des tâches qu’il pouvait faire. M. Clemente a essayé de travailler à la salle des radiocommunications et à la salle de repos à l’Aéroport international Toronto Pearson. Air Canada ne lui a pas trouvé d’emploi en dehors de Toronto.
M. Clemente a repris le travail peu à peu, mais ses besoins en matière de mesures d’adaptation changeaient souvent. En décembre 2015, Air Canada semblait en avoir eu assez de faire des ajustements pour M. Clemente et voulait que M. Clemente prenne une retraite pour invalidité. M. Clemente voulait continuer à travailler, mais il se sentait obligé de prendre sa retraite. Il a soutenu qu’il n’a pas reçu suffisamment de soutien de la part d’Air Canada pour continuer à travailler.
M. Clemente a déclaré qu’Air Canada avait fait preuve de discrimination à son égard en raison de sa déficience.
Air Canada a dit avoir pris des mesures d’adaptation pour M. Clemente, mais a indiqué ne pas pouvoir le garder indéfiniment dans des emplois non essentiels. Selon Air Canada, il était trop difficile de continuer à prendre ces mesures et on ne pouvait raisonnablement pas s’attendre à ce qu’elle le fasse. Air Canada a également indiqué que M. Clemente avait lui-même décidé de prendre sa retraite.
Après avoir analysé tous les faits, le Tribunal a conclu qu’Air Canada n’avait pas prouvé que continuer à employer M. Clemente aurait excessivement perturbé ses activités. Le Tribunal a décidé qu’il n’était pas trop difficile pour Air Canada de continuer à prendre des mesures d’adaptation pour M. Clemente. Il a jugé qu’Air Canada avait fait preuve de discrimination à l’égard de M. Clemente en raison de sa déficience.
Contenu de la décision
Tribunal canadien |
|
Canadian Human |
Référence : 2024 TCDP
Date : Le
Numéro du dossier :
Entre :
le plaignant
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
l’intimée
Décision
Membre :
Table des matières
A. M. Clemente a-t-il établi l’existence d’une preuve prima facie de discrimination?
i. M. Clemente possède-t-il une caractéristique protégée par la Loi?
ii. M. Clemente a-t-il subi un effet préjudiciable relativement à son emploi?
iii. La caractéristique protégée de M. Clemente a-t-elle été un facteur dans l’effet préjudiciable?
I. APERÇU
[1] M. Giuseppe Clemente, le plaignant, travaille pour Air Canada, l’intimée, depuis 2001. Lorsqu’elle a fusionné avec Canadian Airlines, en 2001, Air Canada a reconnu les années de service que M. Clemente avait cumulées depuis 1984 au sein de cette autre compagnie aérienne.
[2] M. Clemente s’est blessé au travail le 17 janvier 2005, pendant qu’il exerçait ses fonctions en tant que préposé d’aire de trafic au service des bagages de l’Aéroport international Toronto Pearson. Il a subi une grave blessure au bas du dos et a été atteint d’une déficience psychotraumatique qui l’a empêché définitivement d’accomplir les tâches courantes d’un préposé d’aire de trafic. Entre décembre 2006 et décembre 2014, M. Clemente a pris un congé d’invalidité de longue durée approuvé par la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (la « CSPAAT ») de l’Ontario. La CSPAAT lui a versé un revenu de remplacement durant cette période.
[3] En janvier 2015, M. Clemente a effectué un retour progressif au travail assorti de restrictions permanentes. Il a d’abord été affecté à la salle des radios, puis à la salle de repos. Il est ensuite retourné à la salle des radios, puis est revenu à la salle de repos, avant de définitivement prendre sa retraite pour cause d’invalidité le 1er décembre 2016. Air Canada l’avait informé qu’aucun poste ne pouvait plus lui être offert et qu’il risquait de faire l’objet d’un renvoi par mesure administrative et sans salaire s’il ne prenait pas sa retraite pour cause d’invalidité.
[4] M. Clemente prétend qu’Air Canada l’a forcé à prendre sa retraite pour cause d’invalidité sans lui offrir de mesures d’adaptation raisonnables pour qu’il puisse garder son emploi. Selon lui, l’intimée aurait pu maintenir les mesures d’adaptation déjà en place dans la salle des radios ou la salle de repos, auquel cas il aurait continué à travailler.
[5] Air Canada conteste l’allégation de discrimination. La compagnie aérienne soutient qu’elle a pris des mesures d’adaptation qui tenaient compte de toutes les limitations professionnelles de M. Clemente, jusqu’à ce qu’il en résulte, pour elle, une contrainte excessive, et que M. Clemente a choisi de prendre sa retraite pour cause d’invalidité.
[6] Au début du processus de gestion de l’instance, M. Clemente a déposé une requête concernant la portée de la plainte. Le Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») a accueilli sa requête dans une décision sur requête qu’il a rendue en août 2021. Il avait alors été convenu que de plus amples motifs seraient fournis dans la décision finale. Le Tribunal exposera maintenant ces motifs ci-dessous, dans la section « Question préliminaire », qui précède sa décision finale.
II. QUESTION PRÉLIMINAIRE
[7] Le 25 juin 2021, M. Clemente a déposé une requête visant à clarifier la portée de la plainte. Dans sa requête, il demandait au Tribunal de décider si trois questions de fait se situaient à l’intérieur de la portée de la plainte : le processus d’appel de candidatures lié à la salle des radios; la question de savoir si le poste à la salle des radios était un poste excédentaire; et l’incident impliquant Bonnie Hanson dans la salle de repos.
[8] Le 12 juillet 2021, Air Canada a déposé ses observations concernant la requête. Premièrement, la compagnie aérienne a fait valoir que le Tribunal n’avait pas compétence pour statuer sur les incidents en cause. Deuxièmement, elle a avancé que le fait que le Tribunal élargisse la portée de son mandat serait à la fois inapproprié et préjudiciable pour elle. Pour ces raisons, elle a demandé au Tribunal de rejeter la requête.
[9] Le 19 juillet 2021, la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a informé le Tribunal et les parties qu’elle ne présenterait pas d’observations sur la requête du plaignant.
[10] Pour les motifs ci‑après, le Tribunal a fait droit à la requête du plaignant le 4 août 2021. En effet, il a conclu que le processus d’appel de candidatures lié à la salle des radios, la question de savoir si le poste à la salle des radios était un poste excédentaire, et l’incident impliquant Bonnie Hanson dans la salle de repos s’inscrivaient dans la portée de la plainte et dans l’instruction de la plainte par le Tribunal.
[11] Le plaignant a demandé au Tribunal de clarifier la portée de la plainte. La jurisprudence est claire à cet égard : le Tribunal a le pouvoir de modifier, de clarifier ou de déterminer la portée de la plainte de discrimination initiale, pourvu qu’aucun préjudice ne soit causé aux autres parties (voir Casler c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2017 TCDP 6; Connors c. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 6 (CanLII); Torraville c. Jazz Aviation LP, 2020 TCDP 40; Canada (Commission des droits de la personne) c. Assoc. canadienne des employés de téléphone, 2002 CFPI 776). En l’espèce, Air Canada n’a fourni aucun élément de preuve qui appuie l’argument selon lequel la décision sur la portée de la plainte lui causerait un préjudice.
[12] M. Clemente a déposé une plainte pour discrimination, que la Commission a reçue le 4 octobre 2017.
[13] Dans le formulaire de résumé de la plainte rempli par la Commission, il est écrit que la discrimination aurait eu lieu entre mars 2016 et le 1er décembre 2016.
[14] Dans le formulaire « Votre plainte », à la question « Quand la discrimination a‑t‑elle eu lieu? »
, M. Clemente a indiqué le 17 janvier 2005 comme date de début et le 1er décembre 2016 comme date de fin. Dans le formulaire de plainte initial, il énumère les actes discriminatoires qui auraient été commis depuis 2005.
[15] Dans son rapport du 28 novembre 2019, la Commission a recommandé que la plainte soit renvoyée au Tribunal aux fins d’instruction. Un extrait de ce rapport énonce ce qui suit :
[traduction]
Dans le formulaire de plainte, le plaignant énumère les actes discriminatoires qui auraient commencé en 2005. Toutefois, il convient de souligner que, dans le résumé de la plainte, la « date de la discrimination » indiquée est de mars 2016 à décembre 2016. Par conséquent, seules les allégations relatives à cette période seront examinées. Les allégations visant des actes antérieurs à mars 2016 seront uniquement prises en compte à titre de contexte, au besoin.
[16] Ainsi, la Commission a précisé qu’aux fins de son rapport, elle avait enquêté seulement sur les allégations de discrimination pour la période de mars à décembre 2016.
[17] La Commission a décidé de renvoyer la plainte au Tribunal pour instruction, car elle était convaincue que, compte tenu de l’ensemble des circonstances de la plainte, une instruction du Tribunal était justifiée au sens de l’article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., ch. H-6 (la « LCDP » ou la « Loi »). Le 21 avril 2020, la Commission a envoyé une lettre au président du Tribunal pour demander à ce que la plainte soit instruite. Cependant, dans cette lettre, elle n’a pas limité la période visée comme elle l’avait fait dans son rapport.
[18] L’intimée fait valoir que les événements décrits dans la plainte remontent à plus d’un an avant le dépôt de la plainte, et qu’ils devraient être rejetés pour ce motif, si on lit bien le paragraphe 41(1) de la Loi.
[19] L’alinéa 41(1)e) de la Loi est rédigé ainsi :
|
|
[20] La Commission a la prérogative de décider si elle traitera une plainte. De plus, il lui incombe de déterminer si la plainte a été déposée moins d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée. La Commission peut, à son appréciation, prolonger le délai, si elle l’estime indiqué dans les circonstances.
[21] Dans la décision Dumont c. Transport Jeannot Gagnon, 2001 CanLII 38314 (TCDP), le Tribunal a fait remarquer ceci :
[7] Le Tribunal canadien des droits de la personne n’a pas le pouvoir d’examiner la façon dont la Commission canadienne des droits de la personne décide d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 41 (1) e) de la Loi. Cette question relève exclusivement de la Cour fédérale.
[22] Dans la décision sur requête Torraville, le Tribunal a confirmé les rôles distincts de la Commission et du Tribunal, en soulignant qu’il n’a pas compétence à l’égard des pouvoirs discrétionnaires que la Loi confère à la Commission. Il a écrit :
[32] Le Tribunal acquiert sa compétence à l’égard des plaintes pour atteinte aux droits de la personne quand la Commission demande au président du Tribunal de désigner un membre pour instruire la plainte en vertu du paragraphe 49(1) de la Loi. Lorsque la Commission formule une requête à cette fin, le rôle du Tribunal consiste à statuer sur la plainte, et non à examiner de manière incidente le processus décisionnel de la Commission :
[L]e Tribunal n’a pas compétence en ce qui concerne l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission aux termes du paragraphe 44(3) (rejet ou renvoi d’une plainte) […] Un contrôle judiciaire de la Cour fédérale est la voie qu’il convient de suivre pour contester une décision de la Commission touchant de telles questions. (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Warman, 2012 CF 1162 (CanLII))
[23] Les affaires susmentionnées indiquent que, pour contester une décision rendue par la Commission en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi, la voie à suivre consiste à présenter une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. En l’espèce, aucun document au dossier n’indique qu’une demande de contrôle judiciaire aurait été déposée auprès de la Cour fédérale. La Commission a donc demandé à bon droit au Tribunal, en vertu du paragraphe 49(1) de la Loi, de désigner un membre pour instruire la plainte. Dès qu’il reçoit la demande de la Commission, le président du Tribunal désigne un membre pour instruire la plainte (au par. 49(2) de la Loi).
[24] Le Tribunal a l’obligation d’instruire la plainte elle‑même, sans limiter la portée du rapport de la Commission ni la période visée par l’enquête. Comme il est expliqué dans la décision Mohamed c. Banque Royale du Canada, 2023 TCDP 20, au paragraphe 24 : « Il est établi en droit que la Commission n’est pas tenue d’enquêter sur chaque allégation pour décider s’il est indiqué que le Tribunal procède à une instruction »
. Il importe également de noter que le Tribunal est tenu d’instruire la plainte dans son intégralité.
[25] Ainsi, puisqu’il est tenu d’instruire la plainte elle‑même, le Tribunal doit définir la portée de la plainte de M. Clemente.
[26] Trois questions sont soulevées dans la requête de M. Clemente : le processus d’appel de candidatures lié à la salle des radios, la question de savoir si le poste à la salle des radios était un poste excédentaire, et l’incident impliquant Bonnie Hanson.
[27] Dans sa plainte initiale, M. Clemente parle de la salle des radios et affirme que les mesures d’adaptation prises étaient insuffisantes pour permettre son retour définitif au travail. Le processus d’appel de candidatures et la désignation d’un poste comme étant excédentaire sont des questions directement liées au manque allégué de mesures d’adaptation dans la salle des radios. Le Tribunal est d’accord avec le plaignant : ces questions de fait se rapportent aux problèmes qui sont au cœur des mesures d’adaptation demandées par M. Clemente. Elles doivent donc être incluses dans la portée de la plainte.
[28] En outre, dans sa plainte initiale, M. Clemente fait directement référence aux incidents impliquant son ancienne directrice, Mme Hanson, dans la salle de repos.
[29] Étant donné que la plainte initiale mentionne les trois questions soulevées dans la requête de M. Clemente sur la portée de la plainte, le Tribunal est convaincu que son instruction doit inclure des conclusions de fait sur ces questions.
[30] Pour ces motifs, le Tribunal fait droit à la requête de M. Clemente.
III. DÉCISION
[31] Le Tribunal juge fondée la plainte de M. Clemente. En contravention de l’article 7 de la Loi, Air Canada a défavorisé le plaignant en cours d’emploi sur la base de sa déficience, en refusant de lui offrir des mesures d’adaptation et une possibilité d’emploi après le 1er décembre 2016, ce qui l’a obligé à prendre sa retraite pour cause d’invalidité. De plus, la compagnie aérienne n’a pas démontré qu’il lui aurait été impossible de répondre aux besoins de M. Clemente sans subir de contrainte excessive, pas plus qu’elle n’a invoqué, pour expliquer sa décision, une exigence professionnelle justifiée du point de vue de la santé, de la sécurité ou des coûts, selon l’article 15 de la Loi.
[32] M. Clemente a droit à des réparations. Toutefois, le Tribunal exhorte les parties à tenter de s’entendre sur les réparations par la médiation avant d’aller plus avant dans le processus d’instruction de la plainte avec l’aide du Tribunal.
IV. QUESTIONS EN LITIGE
[33] Aux termes de l’alinéa 7b) de la Loi, constitue un acte discriminatoire le fait de défavoriser un individu en cours d’emploi si cet acte est fondé sur un motif de distinction illicite.
[34] Au paragraphe 3(1) de la Loi, la « déficience » est expressément mentionnée comme motif de distinction illicite.
[35] Aux termes du paragraphe 15(1) de la Loi, les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui découlent d’exigences professionnelles justifiées ne constituent pas des actes discriminatoires.
[36] Les questions en litige sont les suivantes :
A) M. Clemente a-t-il établi l’existence d’une preuve prima facie de discrimination?
i) M. Clemente possède-t-il une caractéristique protégée par la Loi?
ii) M. Clemente a-t-il subi un effet préjudiciable relativement à son emploi?
iii) La caractéristique protégée de M. Clemente a-t-elle été un facteur dans l’effet préjudiciable?
B) Si M. Clemente a établi l’existence d’une preuve prima facie de discrimination, Air Canada a-t-elle établi une justification valable (c’est-à-dire l’existence d’une exigence professionnelle justifiée) pour l’acte discriminatoire, selon l’article 15 de la Loi?
V. CADRE JURIDIQUE
[37] M. Clemente affirme avoir été victime, en cours d’emploi, de discrimination au sens de l’article 7 de la Loi en raison de sa déficience.
[38] La déficience fait partie des motifs de distinction illicite énumérés à l’article 3 de la Loi. L’article 25 de la même loi en donne la définition suivante :
Déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l’alcool ou la drogue.
[39] L’alinéa 7b) de la Loi prévoit, entre autres, que constitue un acte discriminatoire le fait de défavoriser un individu en cours d’emploi si cet acte est fondé sur un motif de distinction illicite prévu à l’article 3 de la Loi.
[40] Il incombe au plaignant de démontrer que l’acte dont il a été victime était discriminatoire « prima facie », c’est-à-dire à première vue (c’est ce qu’on appelle une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire). Une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui « porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé »
(Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536, au par. 28 [Simpsons-Sears]).
[41] Plus précisément, une preuve prima facie est celle qui requiert du plaignant qu’il fasse la preuve, selon la prépondérance des probabilités, des critères constitutifs de son allégation, avant que l’intimé ne présente soit des éléments de preuve réfutant l’allégation de discrimination prima facie, soit une défense justifiant la discrimination en vertu de l’article 15 de la Loi, ou les deux (Christoforou c. John Grant Haulage Ltd., 2020 TCDP 33, au par. 65 [Christoforou]).
[42] La jurisprudence reconnaît qu’il est difficile de prouver des allégations de discrimination par une preuve directe, puisque la discrimination n’est généralement pas un phénomène qui se manifeste directement et ouvertement. Par conséquent, le Tribunal a pour rôle d’examiner l’ensemble des circonstances et de déterminer, suivant la prépondérance de la preuve (ou prépondérance des probabilités), s’il y a discrimination ou s’il y a, comme il est formulé dans la décision Basi c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP), de « subtiles odeurs de discrimination ». Pour résumer, le Tribunal peut conclure à la discrimination prima facie si la preuve dont il dispose rend cette conclusion plus probable que n’importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible (Beatrice Vizkelety, Proving Discrimination in Canada (Toronto, Carswell, 1987), à la page 142). Voir aussi Khiamal c. Canada (Commission des droits de la personne), 2009 CF 495, au paragraphe 60.
[43] En outre, pour s’acquitter de son fardeau de la preuve, le plaignant doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités (Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 [Bombardier], au par. 67), qu’il possède une caractéristique protégée par la Loi, qu’il a subi un effet préjudiciable relativement à son emploi, et que la caractéristique protégée (appelée « motif de distinction illicite » dans la Loi) a été un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable (Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au par. 33).
[44] Pour établir ses prétentions, le plaignant n’a pas à démontrer que l’intimée avait l’intention de faire preuve de discrimination à son endroit, car, comme la Cour suprême du Canada l’a fait remarquer dans l’arrêt Bombardier, certains comportements discriminatoires sont multifactoriels ou inconscients (Bombardier, aux par. 40 et 41). L’intention d’établir une distinction ne devrait donc pas être un facteur déterminant. C’est plutôt le résultat, à savoir l’effet préjudiciable, qui importe (Simpsons-Sears, aux par. 12 et 14).
[45] Il n’est pas non plus essentiel que le lien entre le motif de distinction illicite et la décision contestée soit exclusif ou causal. Il suffit que le motif ait joué un rôle dans la décision ou la conduite reprochée. En somme, la preuve doit établir que le motif de distinction illicite a été un facteur dans la décision contestée (Bombardier, aux par. 45 à 52).
[46] Il suffit également que la déficience de M. Clemente soit l’un des facteurs qui ont joué dans la décision d’Air Canada de déclarer qu’aucun autre poste disponible ne pouvait être attribué au plaignant parce qu’aucun ne respectait ses restrictions (A.B. c. Eazy Express Inc., 2014 TCDP 35 (CanLII), au par. 16).
[47] Le cas échéant, dès lors que la discrimination prima facie est établie, le fardeau de la preuve est transféré à l’intimée (Peel Law Association v. Pieters, 2013 ONCA 396 (CanLII), au par. 67). Air Canada peut alors appuyer sa décision en démontrant, aussi selon la prépondérance des probabilités, qu’elle découlait d’une exigence professionnelle justifiée, selon l’article 15 de la Loi.
[48] Les paragraphes 15(1) et 15(2) de la Loi prévoient ce qui suit :
15(1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :
a) Les refus, exclusions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées.
|
15(1) It is not discriminatory practice if
(a) any refusal, exclusion, expulsion, suspension, limitation, specification or preference in relation to any employment is established by an employer to be based on a bona fide occupational requirement.
15(2) For any practice mentioned in paragraph (1)(a) to be considered to be based on a bona fide occupational requirement and for any practice mentioned in paragraph (1)(g) to be considered to have a bona fide justification, it must be established that accommodation of the needs of an individual or a class of individuals affected would impose undue hardship on the person who would have to accommodate those needs considering health, safety and cost.
|
[49] La Cour suprême du Canada a élaboré une méthode en trois étapes pour déterminer si une décision est fondée sur une exigence professionnelle justifiée, selon les paragraphes 15(1) et 15(2) de la Loi. Cette méthode est ainsi décrite dans l’arrêt Meiorin (Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3, au par. 54) :
54 Après avoir examiné les diverses possibilités qui s’offrent, je propose d’adopter la méthode en trois étapes qui suit pour déterminer si une norme discriminatoire à première vue est une EPJ. L’employeur peut justifier la norme contestée en établissant selon la prépondérance des probabilités :
(1) qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;
(2) qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;
(3) que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.
[50] L’affaire qui nous occupe repose sur le troisième volet du critère de l’arrêt Meiorin; en l’espèce, il s’agit donc principalement de décider si Air Canada a bel et bien établi qu’elle ne pouvait pas satisfaire aux besoins de M. Clemente sans subir une contrainte excessive.
[51] Dans la décision Association des pilotes d’Air Canada c. Kelly, 2011 CF 120 [Kelly], aux paragraphes 356 à 358, on peut lire :
[356] Les premier et deuxième volets du critère énoncé dans l’arrêt Meiorin exigent que l’on évalue la légitimité de l’objet général de la norme, ainsi que l’intention qu’avait l’employeur au moment de l’adopter. Cela a pour but de garantir que la norme, considérée sur le plan aussi bien objectif que subjectif, ne comporte pas de fondement discriminatoire. Le troisième élément du critère consiste à déterminer si la norme est exigée pour réaliser un but légitime, et si l’employeur peut composer avec la plainte sans subir une contrainte excessive : Centre universitaire de santé McGill c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, [2007] 1 R.C.S. 161, au paragraphe 14.
[357] Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43, [2008] 2 R.C.S. 561, l’emploi du mot « impossible » en rapport avec le troisième élément du critère énoncé dans l’arrêt Meiorin suscite une certaine confusion. La Cour suprême a précisé que ce qui est exigé « n’est pas la démonstration de l’impossibilité d’intégrer un employé qui ne respecte pas une norme, mais bien la preuve d’une contrainte excessive qui, elle, peut prendre autant de formes qu’il y a de circonstances » : au paragraphe 12.
[358] Quant à la portée de l’obligation d’accommodement, la Cour suprême a déclaré que « [l]’employeur n’a pas l’obligation de modifier de façon fondamentale les conditions de travail, mais il a cependant l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail » : Hydro-Québec, au paragraphe 16.
[52] De plus, dans la décision Kelly, la Cour fédérale a commenté le paragraphe 15(2) de la Loi en disant qu’il faudrait considérer que cette disposition limite aux coûts, à la santé et à la sécurité les facteurs dont il faut tenir compte dans le cadre d’une analyse de l’accommodement.
[53] Dans l’arrêt Québec (Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail) c. Caron, 2018 CSC 3 [Caron], aux paragraphes 25 à 27, la Cour suprême du Canada a expliqué que le concept d’accommodement jusqu’à ce qu’il en résulte une contrainte excessive « laisse entendre qu’il se peut que l’accommodement relatif à la déficience d’une personne impose nécessairement certaines contraintes, mais qu’à moins qu’il n’en résulte un fardeau excessif ou déraisonnable, ces contraintes s’effacent devant la nécessité d’accommoder »
. La Cour a ajouté « [c]e qui est véritablement requis ce n’est pas la démonstration de l’impossibilité d’intégrer un employé qui ne respecte pas une norme, mais bien la preuve d’une contrainte excessive qui, elle, peut prendre autant de formes qu’il y a de
circonstances »
. La Cour suprême du Canada a résumé le concept ainsi :
L’obligation d’accommodement exige un accommodement tel que l’employeur peut démontrer qu’il n’aurait pu prendre aucune autre mesure raisonnable ou pratique pour éviter les conséquences fâcheuses pour l’individu.
[54] Au paragraphe 29 de l’arrêt Caron, la Cour suprême du Canada a approuvé comme suit le résumé, fait par le juge Gascon dans l’arrêt Stewart c. Elk Valley Coal Corp., [2017] 1 R.C.S. 591 (C.S.C.), des principes qui sous-tendent le critère relatif à la contrainte excessive :
[…] a résumé les principes clés : l’employeur n’est pas tenu de démontrer qu’il est « impossib[le] de composer » avec l’employé, mais seulement qu’aucune autre solution de rechange raisonnable ou pratique ne s’offre à lui; une analyse individualisée est nécessaire; l’obligation d’accommodement implique tant des obligations procédurales que des obligations de fond; le critère de la contrainte excessive signifie que l’employeur doit toujours supporter une certaine contrainte […].
[55] Le Tribunal est d’accord avec l’interprétation suivante : composer avec un employé exige un effort important, qui incombe à l’employeur. De plus, comme la Cour suprême du Canada l’a mentionné dans l’arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, « [l]a recherche d’un compromis fait intervenir plusieurs parties. Outre l’employeur et le syndicat, le plaignant a également l’obligation d’aider à en arriver à un compromis convenable »
.
[56] Finalement, aux termes de l’alinéa 15(1)a) et du paragraphe 15(2) de la Loi, la décision d’un employeur de refuser d’employer un individu ne constitue pas un acte discriminatoire si elle est fondée sur une exigence professionnelle justifiée. Pour démontrer que l’acte découle d’une exigence professionnelle justifiée, un employeur doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le fait de satisfaire aux besoins d’un individu constituerait une contrainte excessive pour lui en matière de coûts, de santé et de sécurité.
VI. ANALYSE
A. M. Clemente a-t-il établi l’existence d’une preuve prima facie de discrimination?
i. M. Clemente possède-t-il une caractéristique protégée par la Loi?
[57] Oui. Le Tribunal juge qu’il ne fait aucun doute que M. Clemente est atteint d’une déficience au sens de l’article 3 de la Loi.
[58] Dans l’arrêt Desormeaux c. Ottawa (Ville), 2005 CAF 311 (CanLII), au paragraphe 15, la Cour d’appel fédérale a expliqué la notion de déficience en indiquant que « la déficience au sens juridique consiste en un handicap physique ou mental, qui occasionne une limitation fonctionnelle ou qui est associé à la perception d’un handicap »
.
[59] Dans la présente affaire, la preuve montre qu’en 2005, M. Clemente a eu un accident de travail qui lui a causé une grave blessure au dos ainsi qu’un traumatisme psychologique, et que depuis, il a des restrictions professionnelles permanentes. Personne ne conteste que M. Clemente est atteint d’une déficience au sens de la Loi.
ii. M. Clemente a-t-il subi un effet préjudiciable relativement à son emploi?
[60] Oui. Le Tribunal conclut que M. Clemente a subi un effet préjudiciable relativement à son emploi, car Air Canada ne lui a pas offert un emploi convenable. Le plaignant a donc dû, contre son gré, prendre sa retraite pour cause d’invalidité et subir du même coup une baisse de salaire considérable.
[61] Durant son témoignage, M. Clemente a mentionné que le montant de sa pension d’invalidité s’élevait à environ 30 % de son ancien salaire, ce qui n’est pas suffisant pour faire vivre sa famille.
[62] Le Tribunal considère que l’effet préjudiciable à l’égard de l’emploi de M. Clemente s’est traduit notamment par une carrière écourtée et par des répercussions sur de nombreux aspects de la vie du plaignant, dont des conséquences financières importantes qui influenceront le reste de sa vie.
[63] Même si le Tribunal n’analyse pas les conséquences financières exactes et ne traite pas des réparations dans la présente décision, comme je l’ai dit précédemment, il conclut que le plaignant a subi un effet préjudiciable d’ordre financier relativement à son emploi.
iii. La caractéristique protégée de M. Clemente a-t-elle été un facteur dans l’effet préjudiciable?
[64] Oui. Il ne fait aucun doute que la déficience de M. Clemente a été un facteur dans la décision d’Air Canada de ne plus lui offrir d’emploi dans la salle des radios, la salle de repos ou ailleurs après le 1er décembre 2016.
[65] Comme je l’ai déjà mentionné, M. Clemente a subi un accident de travail le 7 janvier 2005, et cet accident lui a causé une grave blessure au dos ainsi qu’un traumatisme psychologique qui lui ont occasionné des restrictions professionnelles permanentes. De décembre 2006 à décembre 2014, M. Clemente a pris un congé d’invalidité de longue durée approuvé par la CSPAAT.
[66] Le 12 janvier 2015, lorsqu’il a repris le travail, M. Clemente a été affecté à des tâches modifiées qui ont nécessité des mesures d’adaptation dans le cadre d’un plan de retour progressif dans la salle des radios, à l’Aéroport international Toronto Pearson.
[67] De juin à décembre 2015, M. Clemente a pris un autre congé médical de longue durée en lien avec son accident professionnel.
[68] Le 6 janvier 2016, M. Clemente a repris à nouveau le travail, cette fois dans la salle de repos de l’Aéroport international Toronto Pearson. Une entente de retour progressif a été présentée.
[69] Les notes de gestion indiquent que, le 16 février 2016, M. Clemente a exprimé son intérêt pour un poste à temps plein dans la salle des radios.
[70] En avril 2016, Air Canada a proposé trois options à M. Clemente, dans lesquelles aucun poste dans la salle de repos, la salle des radios ou ailleurs ne lui était offert. Le plaignant s’est vu proposer de participer à un programme de réintégration du marché du travail par l’entremise de la CSPAAT, de prendre sa retraite pour cause d’invalidité ou de toucher sa pension dans le cadre du Régime de pensions du Canada (le « RPC »). M. Clemente voulait demeurer à l’emploi de la compagnie aérienne, pour laquelle il travaillait depuis plus de 30 ans, mais Air Canada ne lui a pas offert de rester à l’emploi de la compagnie. Les trois options qui lui ont été présentées entraînaient toutes une cessation d’emploi à Air Canada.
[71] M. Clemente ne souhaitait pas participer au programme de réintégration du marché du travail offert par la CSPAAT. Cependant, il pouvait prendre sa retraite pour cause d’invalidité à partir du 1er décembre 2016, date à laquelle il répondrait aux exigences applicables. Sur le plan financier, il n’était pas avantageux pour lui de toucher une pension de retraite du RPC, et, de toute manière, il était peu probable qu’il y soit admissible, puisqu’il était né en septembre 1962 et n’aurait que 54 ans en décembre 2016. En fin de compte, M. Clemente a choisi de prendre sa retraite pour cause d’invalidité le 1er décembre 2016.
[72] Les options offertes par Air Canada découlaient des restrictions médicales causées par la déficience de M. Clemente. Celle‑ci a donc joué dans la décision de l’intimée de ne plus offrir de possibilité d’emploi au plaignant après le 1er décembre 2016.
[73] M. Clemente a établi l’existence des trois éléments constitutifs d’une preuve prima facie de discrimination fondée sur la déficience. Air Canada a admis cet acte discriminatoire.
B. Air Canada a-t-elle établi une justification valable pour son acte discriminatoire et, en particulier, une exigence professionnelle justifiée du point de vue de la santé, de la sécurité ou des coûts, selon l’art. 15 de la Loi?
[74] Non. Air Canada n’a pas établi, selon l’article 15 de la Loi, qu’il existait une justification valable pour son acte discriminatoire.
[75] Selon l’explication fournie précédemment, le fardeau de la preuve incombe maintenant à Air Canada, car une preuve prima facie de discrimination a été établie.
[76] Air Canada devait prouver, selon la prépondérance des probabilités, que de continuer à composer avec M. Clemente après le 1er décembre 2016 aurait constitué une contrainte excessive pour elle en matière de coûts, de santé et de sécurité.
[77] Air Canada a fait valoir qu’elle avait composé avec M. Clemente en lui permettant d’occuper un poste excédentaire, c’est‑à‑dire une fonction pour laquelle un travailleur n’était pas réellement requis, afin d’appuyer son retour au travail après une absence de presque 10 ans. En décembre 2016, aucun poste permanent disponible ne pouvait être assigné à M. Clemente, étant donné ses restrictions médicales et ses qualifications. Air Canada a avancé que le fait de permettre au plaignant de conserver son poste excédentaire aurait constitué une contrainte excessive pour elle.
[78] M. Clemente conteste les arguments d’Air Canada.
[79] Le Tribunal conclut qu’Air Canada n’a pas démontré qu’elle avait composé avec M. Clemente jusqu’à ce qu’il en résulte pour elle une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité. Premièrement, la santé et la sécurité n’étaient pas vraiment menacées, puisqu’elles étaient efficacement protégées par les mesures d’adaptation mises en œuvre. Deuxièmement, Air Canada a avancé que le fait de maintenir indéfiniment des postes improductifs (c’est-à-dire des postes excédentaires) constituait une contrainte excessive. Toutefois, la preuve n’a pas confirmé que seuls des postes excédentaires pouvaient être offerts à M. Clemente à l’échelle d’Air Canada, en dehors de la succursale. En réalité, aucune mesure n’a été prise pour composer avec M. Clemente au‑delà de la salle de repos et de la salle des radios, et les efforts consentis pour lui garantir un poste dans l’une ou l’autre de ces salles étaient insuffisants. Finalement, Air Canada n’a pas su établir, de façon concrète, l’existence d’une contrainte excessive sur le plan des coûts. D’autres motifs seront exposés ci‑après.
i. Les faits de 2014
[80] Lorsque M. Clemente est retourné au travail, en 2014, après avoir été absent depuis janvier 2005, la CSPAAT avait défini ses limitations professionnelles. Le plaignant devait travailler à son propre rythme et prendre des micropauses, au besoin. Ses restrictions permanentes concernaient notamment sa capacité de soulever des objets lourds, de se pencher, et de rester debout ou assis. Il pouvait s’asseoir droit pendant 30 minutes, se tenir debout pendant 60 minutes, et marcher 10 minutes à la fois. Il ne pouvait rien soulever et pouvait monter jusqu’à 12 marches, avec l’aide d’une rampe. Pour commencer, il devait suivre un horaire hebdomadaire de 2 jours non consécutifs de 3 heures chacun, pendant 4 semaines.
[81] Compte tenu de ces restrictions, l’intimée a proposé à M. Clemente un plan de retour progressif au travail qui prévoyait des tâches modifiées dans la salle des radios. Le personnel de la salle des radios fournit des services aux employés d’Air Canada tels que les préposés d’aire de trafic, les agents de bord ou le personnel au sol, et tout employé qui utilise des radios ou d’autres appareils. Les employés vont chercher leurs appareils dans la salle des radios, puis les y rapportent à la fin de leur quart de travail pour qu’on les recharge et les prépare en vue de la prochaine utilisation.
[82] Le 4 juin 2014, Domenica Geraghty, gestionnaire de cas, Gestion de l’invalidité à Air Canada, a écrit à Mme Heslop, directrice du Service de la réadaptation de la succursale, pour faire le point sur la gestion du cas de M. Clemente. Mme Geraghty a dit : [traduction] « Lorsqu’un employé a besoin de mesures d’adaptation permanentes, Air Canada est légalement tenue de lui trouver un poste convenable tant qu’il n’en résulte pas, pour elle, de contrainte excessive. À ce titre, vous devez communiquer avec votre conseiller en RH afin d’examiner toutes les possibilités convenables offertes au‑delà de la succursale et à l’échelle de la compagnie »
.
[83] Le 25 juin 2014, M. Clemente a tenté un premier retour au travail dans la salle des radios, comme le lui avait offert l’intimée. Il a exécuté presque un quart de travail, mais n’a pas pu poursuivre en raison de ses problèmes de santé. Il a de nouveau cessé de travailler.
[84] Le 27 novembre 2014, M. Clemente, son représentant syndical, le représentant d’Air Canada, ainsi que le représentant de la CSPAAT se sont réunis. Le représentant de la CSPAAT a alors mentionné les restrictions suivantes :
[traduction]
A) doit effectuer un travail sédentaire;
B) doit éviter de se pencher et de tourner le bas de son dos de façon répétitive;
C) doit éviter de soulever des objets de façon répétitive;
D) doit éviter de maintenir le bas de son dos dans une position inhabituelle ou de flexion;
E) doit prendre des micropauses et changer de position, au besoin;
F) toute manutention de matériel doit se faire à son rythme;
G) déficience psychologique permanente modérée (éviter les situations conflictuelles et stressantes);
H) peut, à l’occasion, soulever des objets d’au plus 10 lb du sol jusqu’à sa taille, pendant au plus 25 minutes à la fois et au plus 2,75 heures dans tout son quart de travail;
I) peut, à l’occasion, soulever des objets d’au plus 5 lb de sa taille jusqu’à sa tête, pendant au plus 25 minutes à la fois et au plus 2,75 heures dans tout son quart de travail;
J) peut, à l’occasion, soulever des objets au‑dessus de sa tête, à sa discrétion;
K) peut, rarement, transporter des objets de 10 lb, pendant moins de 25 minutes au total;
L) peut s’asseoir droit pendant au plus 2,75 h à la fois et au plus 5,5 heures dans tout son quart de travail;
M) peut marcher pendant moins de 25 minutes à la fois;
N) peut se trouver en position accroupie pendant au plus 2,75 heures à la fois et au plus 5,5 heures dans tout son quart de travail;
O) peut monter et descendre des marches pendant au plus 25 minutes à la fois et au plus 2,75 heures dans tout son quart de travail;
P) peut, à l’occasion, se pencher en avant et se tenir debout, à sa discrétion;
Q) peut pousser des charges d’environ 15 lb et tirer des charges d’environ 21 lb.
[85] À la lumière de ces nouvelles restrictions, Air Canada a jugé que le poste dans la salle des radios convenait toujours au plaignant.
[86] Dans une lettre datée du 28 novembre 2014, Heather Chorley-Gordon, directrice, Réadaptation – Service clientèle à Air Canada, a informé M. Clemente que son poste dans la salle des radios était excédentaire, donc non requis, puisqu’il excédait l’effectif normal nécessaire pour effectuer le travail. Son poste constituait ainsi une mesure d’adaptation.
[87] La CSPAAT, Air Canada, M. Clemente et le représentant syndical de ce dernier se sont entendus sur un plan de retour progressif au travail pour la période du 2 décembre 2014 au 29 janvier 2015. Selon ce plan, le plaignant devait commencer par effectuer des quarts de 4 heures, 2 jours par semaine.
[88] Le 2 décembre 2014, M. Clemente a entamé son second retour progressif au travail, conformément au plan. Après quelques quarts, il a demandé un lit pour pouvoir s’allonger au travail. Air Canada a alors contacté la CSPAAT pour savoir si elle avait approuvé une telle mesure d’adaptation.
ii. Les faits de 2015
[89] Le 5 janvier 2015, un kinésiologue de la CSPAAT, Brandon Yim, s’est rendu sur le lieu de travail pour une évaluation. À l’issue de celle‑ci, il a estimé qu’il fallait discuter en détail des modifications physiques à apporter au lieu de travail de M. Clemente, en vue de lui fournir un espace réservé où il pourrait prendre des pauses pour s’étirer et se reposer. Selon M. Yim, les tâches liées au poste dans la salle des radios convenaient au plaignant, mais des stratégies de gestion de la douleur devaient être mises en place pour M. Clemente. L’intimée pouvait adapter l’environnement de travail en conséquence, ce qu’elle a fait.
[90] Après la visite de M. Yim, Air Canada a rencontré le représentant de la CSPAAT, ainsi que M. Clemente et son représentant syndical. Durant cette réunion, il a été confirmé que le poste dans la salle des radios convenait toujours au plaignant. Un nouveau plan de retour progressif au travail a été lancé le 12 janvier 2015.
[91] M. Yim a effectué deux visites supplémentaires, le 12 et le 19 janvier 2015. Il a jugé l’espace de travail convenable et a demandé à M. Clemente de choisir une chaise avec support lombaire.
[92] Le 12 janvier 2015, un plan de retour progressif au travail révisé a été mis en œuvre. Le plan prévoyait désormais des quarts de travail de 3 heures, 2 jours par semaine, et ce, jusqu’au 20 février 2015. Le poste était toujours excédentaire.
[93] Air Canada a prolongé ce plan de retour progressif au travail révisé jusqu’au 31 mars 2015. Dans une lettre datée du 17 février 2015, elle a confirmé que le poste était toujours excédentaire.
[94] M. Clemente a augmenté progressivement le nombre d’heures de travail, et, en juin 2015, il était en mesure de travailler selon un horaire 4 x 2 (4 jours de travail, 2 jours de congé) et d’effectuer des journées complètes de 8 heures dans la salle des radios.
[95] Dans l’intervalle, en avril 2015, un processus d’appel de candidatures a été mené afin de pourvoir des postes pour différents emplois, dont des postes dans la salle des radios. À l’audience, Mme Chorley-Gordon a expliqué que les processus d’appel de candidatures se déroulaient six mois avant que les postes offerts se libèrent. Par exemple, un processus mené en avril vise à pourvoir des postes au mois d’octobre qui suit. De même, un processus d’appel de candidatures qui se déroule en octobre concerne des emplois qui seront disponibles au mois d’avril suivant.
[96] Toutefois, en avril 2015, M. Clemente n’était pas autorisé à postuler pour son emploi dans la salle des radios pour un horaire 4 x 2 au moment où le processus d’appel de candidatures était ouvert, car l’horaire offert était de type 6 x 3. À cause de son état, le plaignant ne pouvait pas travailler 6 jours consécutifs. Il avait besoin de repos après 4 jours de travail. D’ailleurs, il avait déjà tenté un horaire 6 x 3, mais sans succès. Il devait donc conserver son poste excédentaire.
[97] Lors de son témoignage, M. Clemente a affirmé que sa condition physique s’améliorait et qu’il pouvait exécuter ses tâches dans la salle des radios. Il avait l’intention de travailler à temps plein dès que son état le lui permettrait.
[98] En mai 2015, la CSPAAT a informé Air Canada que M. Clemente pouvait effectuer des quarts de 4 heures, 3 jours par semaine.
[99] Le 15 mai 2015, Mme Geraghty a écrit dans ses notes de gestion qu’elle avait rencontré les représentants d’Air Canada et de la CSPAAT, ainsi que M. Clemente et son représentant syndical. Durant la rencontre, elle avait demandé au plaignant et à son représentant de quitter la salle de conférence pendant quelques minutes, ce qu’ils avaient fait. Pendant leur absence, Mme Geraghty avait soulevé la question de la pension d’invalidité en ces termes : [traduction] « Catherine D s’est dite préoccupée par le fait que l’employé ait demandé de l’information sur la pension d’invalidité; la CSPAAT a affirmé ignorer que l’employé avait fait une telle demande, que ce dernier ne lui en avait pas parlé; déductions relatives au RPC en fonction de certains critères – Kasha a proposé de ne pas aborder le sujet devant l’employé pour le moment »
. (L’acronyme « EE » signifie « employé ».) En fonction de cette conversation, la question de la pension d’invalidité n’a pas été soulevée au cours du reste de la réunion, une fois que M. Clemente et son représentant syndical ont eu regagné celle-ci.
[100] Lors de l’audience, M. Clemente a précisé qu’il avait demandé des renseignements au sujet de la pension d’invalidité parce qu’il voulait connaître les critères d’admissibilité ainsi que le montant de la pension qu’il pourrait recevoir. C’était seulement une demande d’information. Selon les notes de gestion de l’invalidité du 12 juin 2015, Mme Geraghty devait lui fournir un formulaire de demande de pension d’invalidité.
[101] Le 23 juin 2015, M. Clemente a dû prendre un autre congé d’invalidité de longue durée relativement à son accident de travail. Ce congé était couvert par la CSPAAT jusqu’en janvier 2016.
[102] Selon le témoignage de Mme Chorley-Gordon, lorsqu’il a tenté un retour progressif au travail, entre décembre 2014 et juin 2015, M. Clemente a effectué 56 quarts dans la salle des radios, alors qu’il occupait un poste excédentaire.
[103] Le 2 octobre 2015, en prévision du retour au travail prochain de M. Clemente, la CSPAAT a avisé Air Canada des restrictions permanentes ci‑après :
[Traduction
A) Psychologiques :
M. Clemente est atteint d’une déficience de catégorie 3, déficience modérée; il est considéré comme étant atteint d’une déficience partielle.
M. Clemente n’a aucune restriction psychologique particulière (p. ex. peur des hauteurs ou de la machinerie à la suite d’un accident). Le travailleur est atteint d’une déficience cognitive qui touche l’attention, la concentration et la mémoire, des facultés directement liées à la description des tâches du poste dans la salle de repos. La seule précaution à prendre serait d’employer un programme informatisé. M. Clemente aurait alors besoin de plus de temps pour se familiariser avec le logiciel et apprendre à l’utiliser.
B) Physiques – bas du dos :
Doit occuper un emploi sédentaire.
Doit éviter de se pencher, de tourner le bas de son dos et de soulever des objets de façon répétitive.
Doit éviter de maintenir le bas de son dos dans une position inhabituelle ou de flexion.
Doit prendre des micropauses et changer de position, au besoin.
Toute manutention de matériel doit se faire à son rythme.
[104] En décembre 2014, M. Clemente avait demandé un lit pour pouvoir s’allonger. Justin Voyce, un gestionnaire de cas de la CSPAAT, a répondu à la demande dans une lettre transmise à Air Canada le 2 octobre 2015. Dans cette lettre, M. Voyce expliquait que d’avoir une pièce de mobilier pour s’allonger n’était pas une exigence qui faisait partie des restrictions médicales du plaignant, mais il recommandait tout de même à la compagnie aérienne de prendre les mesures nécessaires pour permettre à M. Clemente de gérer ses spasmes périodiques au dos lorsqu’ils survenaient sur le lieu de travail. Le même message avait été réitéré dans une communication datée du 9 février 2016.
[105] Le 2 novembre 2015, Mme Geraghty a écrit dans ses notes de gestion qu’une réunion avait été tenue entre les représentants d’Air Canada et de la CSPAAT, M. Clemente, et le représentant syndical de ce dernier. Ensemble, ils avaient discuté de la pension d’invalidité, et M. Clemente avait été informé qu’une demande de pension d’invalidité devait être envoyée. Le plaignant avait demandé des renseignements au sujet du RPC, car il souhaitait pouvoir examiner toutes les possibilités dont il disposait.
[106] Le 24 novembre 2015, M. Clemente et son représentant syndical ont participé à une autre réunion avec les représentants d’Air Canada et de la CSPAAT. L’un des représentants de la CSPAAT a alors mentionné qu’il fallait laisser le temps au plaignant d’examiner les différentes options qui s’offraient à lui, soit le RPC, la retraite anticipée et les possibilités sur le marché du travail normal. Pour sa part, M. Clemente voulait connaître la somme associée à chaque option, notamment la pension d’invalidité. Le représentant d’Air Canada l’a avisé qu’il devait d’abord faire une demande de pension dans le groupe souhaité pour que le montant auquel il aurait droit puisse être calculé. Toutefois, comme le plaignant n’avait cumulé que 31 années de service, ce montant serait réduit de 6 % par an. Étant donné cette pénalité, M. Clemente a jugé cette option peu intéressante. De plus, il n’avait pas bien saisi la différence entre une pension de retraite et une pension d’invalidité. Mme Chorley-Gordon l’a donc orienté vers le site HR Connect, en ajoutant que, pour obtenir plus d’information sur la pension d’invalidité, il devait contacter le Service des ressources humaines. Elle l’a aussi avisé qu’une fois que sa demande serait approuvée, il ne pourrait plus la retirer.
[107] Le 11 décembre 2015, à la suite d’une réunion entre un spécialiste en transition professionnelle de la CSPAAT, Air Canada et M. Clemente, tenue sur le lieu de travail du plaignant, un nouveau plan de retour progressif au travail a été élaboré en vue d’un retour dans la salle de repos.
[108] Voici quelques‑unes des tâches devant être exécutées dans la salle de repos : remplir des sacs individuels d’articles de toilette; plier les couvertures; changer les taies d’oreiller; insérer des revues dans des pochettes en plastique. Pendant son témoignage, Mme Chorley-Gordon a témoigné que les employés qui travaillaient dans la salle de repos avaient tous des restrictions qui nécessitaient des mesures d’adaptation. La salle de repos est située dans un entrepôt se trouvant sur les lieux de l’Aéroport international Toronto Pearson, mais pas dans le bâtiment de l’aéroport lui‑même.
[109] Dans les notes de gestion de l’invalidité datées du 14 décembre 2015, on peut lire que le poste dans la salle des radios devait demeurer une option à considérer, et que M. Clemente n’avait pas encore repris le travail à temps plein. Une représentante de la Gestion de l’invalidité, Gilda Iammatteo, a demandé : [traduction] « Devons‑nous le laisser participer au prochain appel de candidatures? »
Mme Geraghty lui a répondu que non, et que le plaignant devait atteindre l’objectif de travail à temps plein. Elle a ajouté qu’[traduction] « il s’agi[ssait] de la dernière tentative »
, car il n’existait plus aucune option disponible à part la pension, comme il en avait déjà été discuté. Une représentante de la CSPAAT, Syeda Abedi, a écrit qu’il était attendu que M. Clemente commence le 11 janvier 2016, à raison de 4 heures par jour, 5 jours par semaine; puis qu’il augmente progressivement le nombre d’heures travaillées sur une période de 12 semaines; et enfin, qu’il travaille à temps plein, soit 40 heures par semaine, à compter du 14 mars 2016.
[110] Le 14 décembre 2015, Mme Geraghty a écrit à Mme Abedi, gestionnaire de cas de la CSPAAT, une lettre contenant le paragraphe suivant :
[traduction]
Deuxièmement, cette note, comme discuté, était la préoccupation de Gilda, et nous avons convenu à l’unanimité qu’il s’agira de la toute dernière tentative, car nous nous prêtons à l’exercice depuis de nombreuses années maintenant. Toute modification ou prolongation ne visera qu’à faire progresser le plan, alors que nous ne souhaitons pas maintenir les tâches modifiées au‑delà de la date limite d’avril 2016 fixée pour le retour au travail à temps plein. Patricia et vous avez été informées que nous ne pouvions pas offrir de marge de manœuvre supplémentaire. Giuseppe doit participer à l’effort pour atteindre les objectifs fixés. Je n’accepterai plus de nouveaux obstacles qui ne feront que nous obliger à nous livrer, une fois de plus, à un jeu de ping-pong. Nous avons largement surpassé notre obligation et, malheureusement, la fin approche […].”
[111] Contrairement à ce qu’elle disait dans sa lettre, à l’audience, Mme Geraghty a affirmé qu’elle ne voyait pas alors d’autre option, mais qu’elle était toujours ouverte à trouver des solutions. Elle a ajouté que tout nouvel obstacle à surmonter devrait être justifié.
[112] Mme Geraghty a témoigné en tant qu’employée de longue date d’Air Canada dont la carrière est respectée. Elle s’est exprimée clairement et calmement, et son témoignage a été utile à bien des égards. Par contre, en ce qui concerne l’affirmation ci‑dessus, la preuve documentaire et l’expérience vécue par M. Clemente contredisent son témoignage. Le Tribunal l’a jugée moins crédible sur ce point.
[113] Le Tribunal n’accepte donc pas le témoignage de Mme Geraghty à ce sujet, et lui préfère la lettre envoyée le 14 décembre 2015, dont le contenu correspond à celui des notes de gestion de l’invalidité.
[114] Lors d’une réunion tenue le 14 décembre 2015, M. Clemente a été informé qu’il devait transmettre un formulaire de demande de pension d’invalidité. Le plaignant a dit qu’il aimerait avoir la chance de discuter du RPC et du montant de la pension d’invalidité qu’il recevrait avec un spécialiste. Il avait besoin de savoir ce que représentaient ces options sur le plan financier. Mme Geraghty lui a dit qu’elle lui obtiendrait les chiffres demandés. M. Clemente a déclaré qu’il n’avait pas obtenu les chiffres exacts, mais qu’on l’avait de nouveau invité à vérifier en ligne, sur le site HR Connect. Au cours de l’audience, il a ajouté qu’il ne voulait s’avancer sur aucune décision éventuelle avant de savoir exactement combien d’argent il obtiendrait.
[115] Dans son témoignage, M. Clemente a mentionné qu’en décembre 2015, il ne savait pas qu’Air Canada avait décidé de ne plus répondre à ses besoins d’adaptation après avril 2016 s’il n’était pas de retour à temps plein.
[116] À l’époque, le plaignant pouvait effectuer des quarts de travail selon un horaire 4 x 2 (4 jours de travail, 2 jours de congé), mais un horaire 6 x 3 était trop difficile, vu son état de santé. Il a fait valoir qu’au bout d’une année, les deux horaires représenteraient le même nombre d’heures : 1900. Son but était de continuer à travailler.
[117] Le nouveau plan élaboré par la CSPAAT a été communiqué à Air Canada le 24 décembre 2015. D’après ce plan, le poste dans la salle de repos [traduction] « dépass[ait] l’effectif requis »
. On y mentionnait également : [traduction] « Le travailleur n’est pas admissible à une pension pour cause médicale avant le 16 décembre 2016, ce qui permet à M. Clemente d’effectuer certaines tâches modifiées d’ici la date d’admissibilité »
.
iii. Les faits de 2016
[118] Le 6 janvier 2016, Air Canada a présenté le plan de retour progressif dans la salle de repos à M. Clemente. Ce nouveau retour progressif au travail devait débuter le 11 janvier 2016 et prendre fin le 31 mars 2016. Durant cette période, l’objectif était que M. Clemente en vienne à pouvoir travailler 8 heures par jour, du lundi au vendredi, à partir du 14 mars, et qu’il continue ainsi jusqu’au 31 mars 2016. Le plan ne précisait pas que le poste était excédentaire, mais, dans un courriel daté du 6 janvier 2016, Dina Hawari, directrice, Fiabilité du personnel et Service clientèle auprès d’Air Canada, indiquait que [traduction] « le plaignant [était] un employé excédentaire dans la salle de repos »
.
[119] Dans les notes de gestion de l’invalidité du 7 janvier 2016, il est écrit qu’une augmentation du nombre d’heures travaillées était prévue jusqu’à ce que M. Clemente travaille à temps plein. Le plaignant pourrait alors, en avril 2016, poser sa candidature pour un poste dans la salle des radios.
[120] Lorsqu’il travaillait dans la salle de repos, M. Clemente relevait de Mme Hanson. Le plaignant reprochait à celle‑ci d’avoir des attentes qui dépassaient ses restrictions médicales.
[121] À l’audience, Mme Hanson a mentionné qu’elle ne connaissait pas les limitations du plaignant, et qu’il incombait à ce dernier de l’en informer si le travail demandé ne les respectait pas. Le 16 février 2016, Mme Hanson avait reçu un courriel de sa directrice, qui lui disait avoir été avisée par le syndicat que deux employés de la salle de repos (M. Clemente et une autre personne) se voyaient demander d’effectuer des tâches qui dépassaient leurs restrictions. Mme Hanson avait répondu qu’elle n’avait pas demandé à ces personnes de travailler au‑delà de leurs limitations, et qu’elle rappelait très souvent à tous les employés de ne pas dépasser celles-ci.
[122] M. Clemente a dit qu’il avait l’impression que Mme Hanson se moquait de lui lorsqu’elle le suivait dans le corridor, parce qu’il marchait lentement et avec une canne. Mme Hanson l’accusait de prendre des pauses café et des pauses cigarette trop longues. En outre, elle aurait eu pour habitude de rester debout dans la cuisine et de lui dire, 25 minutes après le début de son repas, qu’il devrait commencer à marcher tout de suite pour être certain d’être revenu à son poste avant la fin de sa pause de 30 minutes. Pour lui, c’était comme si elle lui écrivait [traduction] « déficient » sur le front. M. Clemente trouvait qu’elle ne le traitait pas comme elle traitait ses collègues en raison de sa déficience. Pendant l’audience, Mme Hanson a nié l’avoir suivi ou avoir fait des commentaires désobligeants sur sa déficience. Elle a ajouté qu’elle ne ressentait aucune hostilité à son égard et qu’elle était désolée qu’il se soit senti ainsi.
[123] M. Clemente et Mme Hanson n’ont pas la même perception. Cependant, c’est le contexte des mesures d’adaptation dans la salle de repos, où M. Clemente exécutait ses tâches, qui importe, pas la manière dont le plaignant interprète le comportement de Mme Hanson.
[124] Le 18 février 2016, M. Clemente a rencontré Mme Hawari pour examiner son rendement depuis son retour dans la salle de repos, en janvier. Ils ont discuté de sa présence au travail, des directives sur l’apparence, des protocoles relatifs aux pauses et des outils libre‑service pour les employés.
[125] Le 19 février 2016, Mme Hawari a écrit à M. Clemente : [traduction] « Vous atteindrez les 6 heures de travail par jour à compter du lundi 22 février, et après une revue des 6 dernières semaines, je suis heureuse de constater que vous progressez très bien »
.
[126] Mme Hanson a témoigné que, le 24 février 2016, elle avait vu M. Clemente à son poste, les pieds sur la table de travail, penché vers l’arrière et les yeux fermés. Elle l’avait accusé de dormir au travail. M. Clemente avait vivement nié cette accusation et proposé de regarder les bandes vidéo, puisqu’il y avait des caméras dans la salle pour prouver qu’il ne dormait pas. Lors de l’incident, il avait affirmé qu’il avait eu un spasme et qu’il s’étirait, les pieds levés. Une confrontation s’est ensuivie. Mme Hanson a déclaré qu’il lui avait crié dessus.
[127] Le jour de l’incident, M. Clemente et son représentant syndical, Mme Hanson et Mme Hawari se sont réunis. M. Clemente a été avisé qu’il pouvait continuer à prendre des micropauses, conformément à ses restrictions, mais qu’il n’était pas autorisé à mettre ses pieds sur la table. M. Clemente s’est excusé auprès de Mme Hanson pour avoir crié. Tous ont accepté de faire des efforts pour communiquer de façon plus respectueuse. Les normes d’Air Canada concernant l’apparence et les attentes relatives aux pauses cigarette ont été abordées. L’issue de cette réunion a été positive, et M. Clemente pouvait poursuivre son travail avec une meilleure compréhension des attentes d’Air Canada.
[128] Le 9 mars 2016, Mme Hawari a écrit à Mme Geraghty pour l’informer que M. Clemente souhaitait retourner à la salle des radios lorsqu’il aurait atteint l’objectif de travail à temps plein, soit 8 heures par jour, le 14 mars 2016. Mme Hawari a dit à M. Clemente qu’il n’y aurait pas de problème. Il serait transféré à la salle des radios en tant qu’employé excédentaire dès le 14 mars.
[129] Mme Hawari a aussi informé M. Clemente que si l’emploi offert dans la salle des radios exigeait un horaire 6 x 3 ou 4 x 2, elle ajusterait [traduction] « la rotation de ses quarts de travail conformément à l’horaire prévu dans le nouvel appel de candidatures, de sorte qu’il puisse s’habituer à la nouvelle rotation et acquérir l’endurance nécessaire »
. Elle a ajouté : [traduction] « Joe semble motivé et sur la bonne voie, alors espérons que tous ces efforts seront payants pour tout le monde! »
.
[130] Mme Hawari a écrit à M. Clemente le même jour. Cependant, il n’est mentionné ni dans cette communication, ni dans le nouveau plan signé par Mme Hawari que le poste dans la salle des radios est un poste excédentaire. Lors de l’audience, Mme Hawari a confirmé que les horaires 6 x 3 et 4 x 2 représentaient le même nombre d’heures au bout d’une période de six mois. Ils sont équivalents. Mme Geraghty a elle aussi confirmé que les deux horaires de travail étaient équivalents quant au nombre d’heures. Elle a ajouté qu’à supposer que l’horaire 4 x 2 ait été offert dans la salle des radios, M. Clemente aurait travaillé à temps plein et pu participer au prochain appel de candidatures.
[131] Le 14 mars 2016, M. Clemente a été retransféré dans la salle des radios, où il a commencé un horaire 6 x 3. Il était disposé à essayer cet horaire, mais, avant le cinquième jour, soit le 17 mars 2016, il a eu des spasmes. Il s’est ensuite absenté du travail pendant cinq jours ouvrables, et y est retourné le 25 mars pour reprendre des quarts de 8 heures. Il s’est également absenté les 2, 6 et 7 avril 2016.
[132] Le 5 avril 2016, Mme Hawari a écrit à Mme Geraghty pour lui parler de l’absentéisme de M. Clemente lié à son dos et pour lui expliquer combien il était difficile pour le plaignant de travailler plus de 6 heures par jour. Elle a ajouté : [traduction] « Ceci posera problème pour le prochain appel de candidatures, car je ne crois pas que ça va fonctionner »
. À l’audience, Mme Hawari a précisé que les tâches à effectuer dans la salle des radios convenaient au plaignant; c’était l’horaire 6 x 3 qui était difficile pour lui.
[133] Le 15 avril 2016, M. Clemente a fourni une nouvelle évaluation des capacités fonctionnelles signée par son médecin, qui indiquait qu’il ne pouvait pas travailler plus de 6 heures par jour, 4 jours par semaine. Le plan précédent, établi le 11 mars 2016, lui permettait de travailler 8 heures par jour, selon un horaire 6 x 3. L’évaluation relative au poste dans la salle des radios ne convenait donc plus, étant donné l’horaire de travail recommandé.
[134] Le 15 avril 2016, M. Clemente a participé à une réunion, accompagné par son représentant syndical. Des représentants de la CSPAAT et des services Gestion de l’invalidité et Fiabilité du personnel d’Air Canada étaient présents. L’intimée a mentionné qu’aucun poste correspondant aux limitations et aux qualifications du plaignant n’était disponible à l’échelle de la compagnie aérienne. Le seul endroit où ce dernier pouvait travailler était la salle de repos, mais ce n’était pas possible parce que tous les postes disponibles avaient été attribués à d’autres employés ayant besoin de mesures d’adaptation.
[135] Lors de cette réunion, un représentant d’Air Canada a dit à M. Clemente que, compte tenu de ses restrictions, il n’y avait pas d’emploi disponible pour lui au sein d’Air Canada (voir la lettre envoyée à M. Clemente le 16 novembre 2016). L’intimée lui a présenté trois options dans lesquelles aucun poste ne lui était offert, que ce soit dans la salle de repos, la salle des radios ou ailleurs à Air Canada. En fait, le plaignant s’est vu proposer les trois options suivantes : un programme de réintégration du marché du travail offert par la CSPAAT, dans le cadre duquel il se recyclerait pour occuper un poste à l’extérieur d’Air Canada; une pension d’invalidité d’Air Canada, à laquelle il serait admissible à compter du 1er décembre 2016; ou, si la pension d’invalidité lui était refusée, il pourrait prendre sa retraite d’Air Canada et demander une pension de retraite du RPC.
[136] Bien qu’il aurait aimé continuer à travailler pour Air Canada, comme il l’avait fait pendant plus de 30 ans, M. Clemente n’en a pas eu la chance. En effet, les trois options offertes par l’intimée entraînaient une cessation d’emploi à Air Canada.
[137] À l’audience, Mme Hawari a témoigné qu’en avril 2016, Air Canada ne savait pas quels postes seraient disponibles au mois de décembre suivant. Elle a ajouté que la compagnie aérienne ne pouvait pas garder des employés excédentaires indéfiniment.
[138] M. Clemente ne souhaitait pas participer au programme de réintégration du marché du travail de la CSPAAT. Il pouvait toujours prendre sa retraite pour cause d’invalidité à compter du 1er décembre 2016, puisqu’il répondrait alors aux exigences. Sur le plan financier, il n’était pas avantageux pour lui de prendre sa retraite d’Air Canada, car il aurait eu 54 ans en décembre 2016, et les pénalités auraient été trop importantes. Il a finalement choisi de prendre sa retraite pour cause d’invalidité à compter du 1er décembre 2016.
[139] Entre-temps, M. Clemente est retourné travailler dans la salle de repos le 27 avril 2016, afin de couvrir la période comprise entre cette date et son départ à la retraite pour cause d’invalidité, le 1er décembre 2016. Air Canada a affirmé que cette nouvelle affectation n’était pas un poste excédentaire, mais un poste temporaire créé expressément pour M. Clemente afin qu’il remplace, par exemple, des employés en vacances ou en congé.
[140] Le 20 avril 2016, Mme Geraghty a organisé une téléconférence réunissant plusieurs représentants d’Air Canada, dont des employés des Relations de travail. La réunion s’intitulait « Incapability to accommodate FINAL »
(Incapacité de composer avec le plaignant – FINAL). Le courriel indiquait que M. Clemente avait entamé un plan de retour au travail « Final » en janvier 2016. Dans le cadre de ce plan, le plaignant avait d’abord été affecté à la salle de repos, puis avait été transféré dans la salle des radios, où il devait occuper un emploi permanent à temps plein à partir du 26 avril 2016. Pour M. Clemente, Il s’agirait d’une dernière tentative. La mise en œuvre du plan était censée progresser, sans que l’on reprenne les horaires de travail des années précédentes, durant lesquelles de nombreux plans de retour au travail avaient échoué. M. Clemente a alors demandé à travailler 6 heures par jour, selon un horaire 4 x 2, et à commencer à 6 heures du matin. Mme Geraghty a écrit qu’aucun secteur ne semblait pouvoir offrir au plaignant les heures et la plage horaire demandées. Elle a ajouté : [traduction] « [N]ous ne pouvons pas créer un poste, une fonction ou un horaire particulier seulement pour satisfaire à ses besoins »
.
[141] Selon Mme Geraghty, Air Canada s’est surpassée pour aider M. Clemente et a fait tous les efforts possibles pour composer avec lui. Mme Geraghty a écrit : [traduction] « Comme nous l’avons mentionné dans une conversation antérieure, le montant que nous devrons payer à l’EE jusqu’à ses 65 ans, si aucun poste convenable ne peut lui être offert à l’extérieur d’Air Canada, s’élève à environ 639 522 $, alors, comme on dit, il serait dans l'intérêt supérieur d’Air Canada de lui trouver un emploi au moins jusqu’en décembre 2016, moment où il a indiqué prévoir partir à la retraite »
. Elle a ajouté, plus loin : [traduction] « Est-ce qu’on le garde comme extra et on crée un horaire pour lui, avec les heures qu’il a demandées, pour qu’il puisse rester jusqu’à sa retraite, ou si on paie simplement le 600 000 $ qu’on nous a dit qu’il en coûterait à la compagnie pour le payer jusqu’à sa retraite »?
Il est également écrit que [traduction] « J. Clemente a accepté l’offre! »
.
[142] Mme Geraghty a témoigné que M. Clemente avait accepté de prendre sa retraite pour cause d’invalidité. Toutefois, le plaignant a affirmé le contraire. Il n’avait pas voulu prendre de décision avant de connaître le montant de la pension et, lorsqu’il en avait été informé, il avait refusé cette option, mais il s’était ensuite senti obligé de l’accepter parce qu’Air Canada avait menacé de le congédier complètement s’il refusait.
[143] Au cours de l’audience, la question du paiement de 639 522 $ a été discutée. Mme Hawari n’était pas certaine de savoir d’où venait ce montant ni ce qu’il représentait. Selon elle, il s’agissait peut-être d’une somme forfaitaire calculée par le Service des pensions et des avantages sociaux pour combler l’écart jusqu’à ce M. Clemente atteigne l’âge de 65 ans. Pour sa part, Mme Geraghty croyait que ce montant avait été calculé par la CSPAAT et qu’il représentait ce qu’Air Canada devrait payer à M. Clemente s’il ne travaillait pas jusqu’à 65 ans. Elle pensait qu’il incluait non seulement la perte de salaire du plaignant, mais aussi les frais d’administration associés au taux de catégorie d’Air Canada dans le cadre du Fonds de la CSPAAT. Enfin, Mme Chorley-Gordon supposait qu’il s’agissait du montant qu’Air Canada devait payer pour le programme de réintégration du marché du travail, mais elle ne pouvait pas le confirmer.
[144] Ainsi, Mme Hawari, Mme Chorley-Gordon et Mme Geraghty n’ont pas la même interprétation de ce à quoi correspond le montant de 639 522 $.
[145] M. Clemente n’avait jamais entendu parler d’un tel paiement de 639 522 $.
[146] Le même jour, le 20 avril 2016, M. Voyce, de la CSPAAT, a écrit une lettre à M. Clemente pour l’aviser que, d’après le nouvel examen de son dossier, le poste dans la salle des radios ne lui convenait pas, car l’horaire exigé ne correspondait pas à l’horaire de 6 heures par jour, 4 jours par semaine recommandé par son médecin dans sa dernière évaluation des capacités fonctionnelles.
[147] Selon le témoignage de M. Clemente, le principal problème concernait l’horaire de travail et non les tâches elles-mêmes. De plus, personne ne lui avait dit qu’il ne disposait d’aucune marge de manœuvre supplémentaire, qu’il s’agissait de la dernière tentative ou qu’Air Canada refuserait tout nouvel obstacle qui ne ferait que les obliger à se livrer à nouveau à un va-et-vient incessant, comme dans un jeu de ping-pong.
[148] Lors de l’audience, Mme Chorley-Gordon a mentionné qu’en avril 2016, dans la salle des radios, l’horaire 4 x 2 n’existait pas et les employés travaillaient selon un horaire 6 x 3, mais que des arrangements auraient pu être pris. Elle a ajouté qu’en 2019, un horaire 4 x 2 était appliqué dans la salle des radios, et que l’horaire de travail n’était pas un problème. C’étaient les tâches elles-mêmes qui posaient problème, car le poste ne permettait pas de travailler à son propre rythme. Les employés qui ont besoin de leur matériel doivent être servis rapidement, et ils s’impatientent lorsque le service est trop lent. Ce travail serait incompatible avec les limitations du plaignant. Par contre, Mme Chorley-Gordon a expliqué qu’en tant qu’employé excédentaire, M. Clemente aurait pu éviter certaines tâches, comme répondre aux gens au comptoir, et se concentrer sur la recharge des appareils, ce qui lui aurait permis de travailler à son rythme. Elle supposait que si un poste s’était libéré à compter du 1er décembre 2016, sa compatibilité aurait été évaluée à ce moment-là. Par exemple, le départ à la retraite d’un employé aurait pu créer une possibilité d’emploi pour M. Clemente.
[149] Le 22 avril 2016, Mme Geraghty a écrit à Mme Abedi et à M. Voyce, de la CSPAAT, pour les informer du nouveau plan de retour au travail prévu en avril 2016 dans la salle de repos. Elle a écrit que la succursale veillerait scrupuleusement à ce que M. Clemente ne travaille pas plus de 6 heures par jour, 4 jours par semaine; [traduction] « cependant, comme Giuseppe a démontré une capacité à travailler 5 jours de 6 heures, nous pensons qu’il serait possible d’augmenter le nombre de jours et le nombre d’heures, peut-être jusqu’à 8 heures par jour »
. Elle a précisé que ce poste n’était pas excédentaire.
[150] Le 26 avril 2016, pendant le processus d’appel de candidatures, M. Clemente effectuait des journées complètes de 8 heures selon un horaire 4 x 2, comme l’indique son calendrier de travail. Toutefois, il n’a pas été autorisé à postuler pour ce poste dans la salle de repos ou la salle des radios dans le cadre de l’appel de candidatures, car seulement trois options lui avaient été proposées : le programme de réintégration du marché du travail; une pension d’invalidité; une pension du RPC.
[151] Dans ses notes de gestion de l’invalidité datées du 7 juillet 2016, Mme Geraghty écrit qu’elle a reçu un appel téléphonique l’informant que, d’après une déclaration du représentant syndical, M. Clemente avait décidé de ne pas prendre sa retraite le 1er décembre 2016, comme le prévoyait son dernier plan de retour au travail. Mme Geraghty note également que le plaignant est un employé excédentaire.
[152] En septembre 2016, Mme Michelle Hiebert, gestionnaire, Fiabilité des employés à Air Canada, est intervenue dans le dossier de M. Clemente en remplacement de Mme Hawari. À l’audience, elle a mentionné qu’Air Canada avait fait preuve de diligence raisonnable pour tenter de trouver un poste convenable à M. Clemente dès qu’elle avait été avisée qu’il ne voulait pas prendre sa retraite pour cause d’invalidité.
[153] Dans les notes de gestion de l’invalidité, on peut lire que, le 13 octobre 2016, M. Clemente ne voulait pas partir à la retraite. Lors de l’audience, le plaignant a mentionné qu’à cette date, son travail dans la salle de repos se passait bien et il ne souhaitait pas prendre sa retraite.
[154] Le 13 octobre 2016, Air Canada a écrit une lettre à M. Clemente pour l’informer qu’il devait soumettre ses documents de retraite, et que s’il ne le faisait pas, il serait renvoyé chez lui, car aucune autre mesure d’adaptation en milieu de travail ne pouvait être prise. M. Clemente a affirmé avoir ressenti une énorme pression pour signer les documents liés à la demande de pension d’invalidité. Il était réticent à le faire, car il voulait continuer à travailler. Il ne pensait pas que le revenu qu’il tirerait de la pension d’invalidité serait suffisant.
[155] Le 17 octobre 2016, Mme Geraghty a écrit à Mme Pleasance, directrice, Gestion de l’invalidité, que la CSPAAT n’interviendrait plus dans le dossier. Depuis son retour à la salle de repos, M. Clemente n’avait eu aucun problème majeur, et son état ne s’était pas détérioré au point de nécessiter un examen.
[156] Dans les notes de gestion de l’invalidité datées du 28 octobre 2016, il est écrit que si M. Clemente ne prend pas sa retraite pour cause d’invalidité, il perdra son emploi et sera mis en congé non autorisé, sans salaire.
[157] Le même jour, Mme Geraghty a écrit à Mme Iammatteo et à Mme Pleasance pour demander qu’une téléconférence soit tenue, afin de discuter des tâches modifiées proposées à M. Clemente. Elle a demandé si le syndicat devait aussi être invité à la réunion, en plus des Relations de travail et des Ressources humaines. Mme Iammatteo lui a répondu que le syndicat ne devait pas être invité [traduction] « parce qu’il affirme que le plaignant n’a pas à prendre sa retraite, et que nous devrions prendre des mesures d’adaptation dans la zone CEQ (zone où se trouve la salle de repos) même s’il occupe un poste excédentaire »
. Quant à elle, Mme Pleasance a donné à Mme Iammatteo et à Mme Geraghty la réponse suivante : [traduction] « Ce que nous devons faire, c’est remplir notre obligation de prendre des mesures d’adaptation en vérifiant si ses besoins peuvent être satisfaits n’importe où à l’aéroport YYZ [Toronto]. Si ce n’est pas possible, nous vérifierons si une succursale de l’aéroport YYZ pourrait composer avec lui, et si ce n’est pas le cas, nous nous informerons auprès des aéroports d’attache situés au Canada, puis, en dernier recours, auprès de n’importe quelle autre succursale canadienne »
.
[158] Selon le témoignage de Mme Geraghty à l’audience, la succursale a déterminé qu’il n’y avait aucune possibilité d’emploi après le 1er décembre 2016.
[159] Mme Hiebert a expliqué que, pendant le processus d’appel de candidatures, la compagnie aérienne savait combien d’employés travaillaient pour elle et combien d’emplois étaient disponibles, mais qu’elle ne pouvait pas prédire avec exactitude le mouvement de personnel ni le nombre d’employés qui ne postuleraient pas pour une raison ou pour une autre. Par conséquent, en avril, pendant le processus d’appel de candidatures, Air Canada ne pouvait pas savoir combien de postes seraient disponibles six mois plus tard (en octobre), une fois que les postes auraient été pourvus conformément à l’appel de candidatures. De même, pour le processus d’appel de candidatures d’octobre, le nombre de postes qui seraient disponibles au mois d’avril suivant ne pouvait pas être déterminé à l’avance.
[160] Mme Hiebert a ajouté qu’en novembre 2016, dans la salle des radios, neuf postes étaient occupés par des employés visés par une obligation de prendre des mesures d’adaptation (les « employés OPMA »). Dans la salle de repos, il y avait 10,5 postes et 11 employés OPMA. Aucun poste n’était disponible pour M. Clemente. De plus, ce dernier ne pouvait pas postuler ces emplois en invoquant son ancienneté, car aucun processus de supplantation n’était en place pour les postes destinés aux employés OPMA. M. Clemente ne pouvait obtenir un poste que si un employé OPMA quittait le sien. Selon Mme Hiebert, aucun autre emploi ne respectait les restrictions du plaignant. À l’époque, ce dernier pouvait seulement être embauché en tant qu’employé excédentaire, jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite pour cause d’invalidité en décembre 2016.
[161] Le 7 novembre 2016, Mme Geraghty a écrit dans un courriel que la CSPAAT avait fermé le dossier vers le mois de mai 2016, en expliquant qu’[traduction] « étant donné que le plan n’a pas été modifié, que la condition du plaignant ne s’est pas détériorée, que le poste convient toujours, et que la période de 72 mois prévue pour réexaminer la demande de prestations est expirée, la CSPAAT n’interviendra plus, et Air Canada a rempli son obligation conformément à la demande »
.
[162] En novembre 2016, M. Clemente a été autorisé à prendre quelques jours de vacances, car il travaillait à temps plein depuis mars 2016.
[163] Le 16 novembre 2016, Mme Hiebert a envoyé une autre lettre à M. Clemente pour lui rappeler que les mesures d’adaptation temporaires le concernant prendraient fin le 1er décembre 2016. Dans sa lettre, elle a aussi précisé que [traduction] « [l]e défaut de demander la pension susmentionnée [pouvait] entraîner des mesures pouvant aller jusqu’au renvoi par mesure administrative »
.
[164] À l’audience, Mme Hiebert a expliqué qu’il s’agissait d’une phrase type incluse dans ce genre de lettre. Elle a ajouté qu’elle était toujours ouverte à offrir un emploi au plaignant si un poste se libérait. Bien que Mme Hiebert ait généralement été un témoin crédible, le Tribunal, avec le recul, juge que cette ouverture exprimée à l’audience n’est pas crédible, car elle entre en contradiction avec la lettre écrite le 16 novembre 2016. Même si, dans l’ensemble, le témoignage de Mme Hiebert est fiable, compte tenu des éléments de preuve contradictoires, j’écarterai sa déclaration concernant ce détail particulier.
[165] M. Clemente a également été informé que la CSPAAT ne soutiendrait pas son dossier après le 1er décembre 2016.
[166] Le 29 novembre 2016, M. Clemente a finalement soumis son formulaire de demande de pension d’invalidité.
[167] Les documents prouvent que M. Clemente travaillait à temps plein dans la salle des radios entre le 14 mars 2016 et décembre 2016.
[168] Au cours de l’audience, Mme Chorley-Gordon a admis qu’en avril 2016, il était trop tôt pour décider qu’aucune mesure d’adaptation ne pourrait être prise après décembre 2016.
[169] En raison du temps nécessaire pour traiter une demande de pension d’invalidité, il se peut qu’un employé doive attendre un mois avant de commencer à recevoir sa pension. Par conséquent, puisqu’il avait soumis sa demande tardivement, M. Clemente avait été mis en congé pour raisons personnelles, afin de combler la période entre la fin de son affectation et le début du versement de sa pension d’invalidité. Le plaignant a finalement commencé à recevoir sa pension le 1er février 2017.
iv. Conclusion
[170] L’explication qu’a fournie Air Canada pour avoir retiré M. Clemente de la salle des radios et de la salle de repos n’était pas fondée sur l’incapacité du plaignant à exécuter les tâches. L’intimée a justifié sa décision en expliquant que les postes dans la salle des radios et la salle de repos étaient excédentaires, qu’aucun autre poste ne convenait au plaignant, et que le processus d’appel de candidatures respectait le critère relatif à la contrainte excessive. Elle a avancé qu’elle ne pouvait pas maintenir M. Clemente dans un poste excédentaire indéfiniment.
[171] Air Canada estime qu’elle n’est pas tenue d’accepter du travail improductif et qu’aucun emploi sécuritaire et productif n’était disponible. L’intimée a cité la décision Croteau c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2014 TCDP 16 [Croteau)] :
[U]n employeur n’est pas tenu d’offrir un travail improductif de valeur nulle et n’a pas à changer les conditions de travail de manière fondamentale. « [I]l a cependant l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail ».
[172] Air Canada a ajouté que la notion de contrainte excessive n’équivalait pas à une impossibilité, comme l’indique l’arrêt Caron.
[173] Air Canada a mentionné une décision arbitrale rendue en Colombie-Britannique (Re Vancouver Island Health Authority and BCNU (2004), 129 LAC (4th) 161 (BC arb. Bd) [Vancouver Island Health Authority] dans laquelle l’arbitre, en faisant référence à l’affaire Calgary Herald v. Calgary Printing Trades Union, Local 1 (1995), 52 L.A.C. (4th ) 393 (Alta. Arb.) (D.G. Tettensor, Q. C.), déclare : [traduction] « J’accepte la proposition selon laquelle l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’exige pas d’un employeur qu’il crée un nouvel emploi ou
un emploi improductif ou dont les fonctions essentielles sont supprimées »
.
[174] Le Tribunal reconnaît qu’au cours d’une période de deux ans, Air Canada a composé avec M. Clemente dans le cadre de son retour au travail dans la salle des radios et la salle de repos, entre janvier 2015 et le 1er décembre 2016. Air Canada s’est conformée aux recommandations du kinésiologue de la CSPAAT en modifiant le lieu de travail, notamment en fournissant à M. Clemente un espace réservé où il pouvait prendre des pauses pour s’étirer et se reposer. Il ne fait aucun doute que les aménagements physiques acceptés par Air Canada répondaient aux besoins de M. Clemente.
[175] Néanmoins, Mme Geraghty a écrit, dans ses notes de gestion de juin 2014, qu’Air Canada était [traduction] « légalement tenue de lui trouver un poste convenable tant qu’il n’en résulte pas, pour elle, de contrainte excessive »
, et qu’elle devait explorer [traduction] « toutes les possibilités convenables offertes au-delà de la succursale et à l’échelle de la compagnie »
. Cependant, la preuve n’établit pas qu’Air Canada ait répondu à cette exigence. Mis à part énoncer son obligation de chercher des options viables, l’intimée n’a pris aucune mesure en ce sens. Elle n’a présenté aucun élément de preuve démontrant que des recherches avaient été effectuées au-delà de la succursale, dans d’autres aéroports ou ailleurs au sein de la compagnie afin de trouver d’autres possibilités d’emploi raisonnables pour M. Clemente. Lors de l’audience, Air Canada a proposé d’autres emplois (voiture 54, accompagnateur, préposé d’escale, coursier des objets trouvés, etc.), que M. Clemente ne pouvait pas occuper en raison de ses limitations, mais ils se trouvaient tous à l’Aéroport international Toronto Pearson. L’intimée n’a fait aucun effort pour trouver au plaignant un poste convenable à l’extérieur de la succursale. Par conséquent, elle n’a pas rempli l’obligation que la Loi lui impose à cet égard. Mais ce n’est pas tout.
[176] La principale question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si Air Canada a composé avec les restrictions découlant de la déficience de M. Clemente jusqu’à ce qu’il en résulte, pour elle, une contrainte excessive. De l’avis du Tribunal, les éléments de preuve présentés n’ont pas démontré que le fait de continuer à composer avec M. Clement aurait constitué une contrainte excessive après décembre 2016. Dans l’ensemble, les raisons pour lesquelles les mesures d’adaptation n’ont pas été maintenues ont laissé le Tribunal perplexe. Était-ce une question de santé, de sécurité ou de coûts?
[177] Air Canada n’a pas justifié ses actions par des préoccupations relatives à la santé ou à la sécurité. Les coûts liés au maintien en poste de M. Clemente constituaient-ils une contrainte excessive?
[178] De l’avis du Tribunal, Air Canada n’a pas prouvé qu’elle ne pouvait pas maintenir M. Clemente dans le poste qu’il occupait avant le 1er décembre 2016 à cause des coûts engendrés ou pour toute autre raison qui constituerait une contrainte excessive pour elle.
[179] Pourquoi a-t-il été décidé dès décembre 2015, lorsque le plaignant a repris le travail après un congé de 6 mois lié à son accident professionnel, que son nouveau plan de retour au travail serait la « dernière tentative »
, qu’il ne disposerait d’« aucune marge de manœuvre supplémentaire »
, et qu’Air Canada « refuserait tout nouvel obstacle »
? Cette attitude de type « tout ou rien »
ne permet pas de penser que l’intimée était ouverte au processus d’adaptation et à la recherche d’un poste convenable dans la succursale, ou encore en dehors de la succursale ou ailleurs dans la compagnie. Même si l’on admet que l’Aéroport international Toronto Pearson est le plus important au Canada, rien n’indique que des tâches légères n’étaient pas disponibles ailleurs. Cette possibilité n’a pas été sérieusement étudiée. Après avoir examiné attentivement la preuve, le Tribunal conclut que les efforts consentis par Air Canada après avril 2016 étaient minimaux et qu’ils ne constituent pas une contrainte excessive.
[180] Air Canada ne s’est concentrée que sur deux postes aux fins de composer avec M. Clemente : un dans la salle des radios, et l’autre dans la salle de repos. M. Clemente effectuait un travail productif dans les deux cas. Il ne s’agissait pas d’un travail artificiel et improductif de valeur nulle, comme énoncé dans la décision Croteau. Le plaignant accomplissait les mêmes tâches que d’autres employés, au bénéfice du personnel ou des clients d’Air Canada. Dans la salle des radios, les tâches en soi étaient utiles, puisque M. Clemente s’occupait du matériel dont divers employés avaient besoin. De même, ses tâches dans la salle de repos avaient de la valeur, car elles consistaient notamment à bourrer les taies d’oreillers et à préparer les articles de toilette et les revues pour les passagers des avions.
[181] Air Canada a déclaré que le poste dans la salle des radios ne convenait pas parce que, à l’époque, l’horaire établi était du type 6 x 3 et non 4 x 2, comme recommandé par le médecin de M. Clemente. De plus, l’intimée a fait valoir qu’elle n’était pas tenue de créer un emploi pour M. Clemente, conformément à la décision Vancouver Island Health Authority. Cependant, la preuve montre qu’elle aurait pu modifier l’horaire pour répondre aux besoins du plaignant, comme l’avait mentionné Mme Chorley-Gordon dans son témoignage. Certes, Air Canada n’était pas tenue de créer un emploi spécial, mais elle aurait pu adapter l’horaire de travail.
[182] De fait, selon le témoignage de Mme Hawari, un horaire de travail 4 x 2 aurait été possible, et M. Clemente aurait pu participer au nouvel appel de candidatures pour s’assurer d’avoir un poste (non excédentaire) dans la salle des radios dès qu’il aurait repris le travail à temps plein (c’est-à-dire 8 heures par jour) – la preuve indique d’ailleurs que M. Clemente se rapprochait progressivement de cet objectif. Telle était la position de Mme Hawari au 9 mars 2016. Toutefois, son opinion a changé lorsque le plaignant a pris un congé de maladie de cinq jours, le 18 mars 2016, en raison de sa blessure.
[183] Mme Chorley-Gordon a aussi déclaré qu’en avril 2016, l’horaire 4 x 2 n’existait pas dans la salle des radios, mais qu’un tel changement aurait pu être une option viable.
[184] Le Tribunal se demande pourquoi ce changement n’a pas été apporté pour composer avec M. Clemente lorsque celui-ci a repris le travail à temps plein après son absence de cinq jours. Air Canada n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer l’allégation voulant qu’un changement d’horaire aurait constitué une contrainte excessive pour elle. La preuve appuie plutôt une conclusion opposée.
[185] En fin de compte, la présente affaire soulève la question suivante : le 15 avril 2016, après que M. Clemente ait effectué un travail utile et efficace dans la salle de repos, pourquoi lui a-t-on présenté trois options qui mettraient fin à son emploi à Air Canada?
[186] Pour justifier sa décision d’imposer trois options menant à une cessation d’emploi, la compagnie aérienne a expliqué qu’elle ne pouvait pas garder indéfiniment M. Clemente en tant qu’employé excédentaire. Dans ses observations finales, elle s’est notamment appuyée sur la décision Byers Transport Ltd v. Teamsters, Local 217 (2002), 68 CLAS 316 pour faire valoir que l’OPMA ne va pas jusqu’à exiger d’une entreprise qu’elle maintienne en permanence un poste qui n’est pas nécessaire à son bon fonctionnement; ceci constituerait une contrainte excessive pour elle. Cependant, en l’espèce, le problème réside dans le fait que l’intimée n’a jamais cherché d’emplois non excédentaires au-delà de la salle des radios et de la salle de repos. Même si des postes productifs comme ceux dans la salle de repos s’étaient libérés, la preuve montre qu’Air Canada a adopté une attitude intransigeante à l’égard des besoins d’adaptation du plaignant dès décembre 2015. Le langage utilisé lors des discussions portant sur le dossier de M. Clemente suscite un fort sentiment d’irrévocabilité. Le Tribunal conclut que la cessation d’emploi était une conclusion jouée d’avance pour Air Canada.
[187] Pourquoi Air Canada a-t-elle imposé la cessation d’emploi de M. Clemente? La preuve n’établit pas que le maintien en poste de M. Clemente après décembre 2026 aurait constitué une contrainte excessive pour elle.
[188] Dans la salle de repos, tous les employés nécessitent des mesures d’adaptation. En novembre 2016, on y trouvait 10,5 postes disponibles et 11 employés.
[189] À savoir si le poste dans la salle de repos était excédentaire ou non à compter d’avril 2016, les éléments de preuve se contredisent. Selon certains documents, il s’agissait d’un poste excédentaire, mais d’autres documents indiquent qu’à partir d’avril 2016, il s’agissait d’un poste temporaire créé pour M. Clemente afin qu’il remplace, par exemple, des employés en vacances ou en congé. Pourquoi ne pas avoir maintenu ce poste après le 1er décembre 2016? Quel est le motif?
[190] Air Canada a fait valoir qu’aucun poste ne pouvait être offert à M. Clemente dans la salle de repos en novembre 2016, car tous les postes étaient occupés par d’autres employés d’Air Canada faisant l’objet de mesures d’adaptation. La preuve a toutefois démontré que l’idée de progressivement mettre fin à l’emploi de M. Clemente avait mûri bien avant que l’absence de possibilités dans la salle de repos devienne le principal facteur en cause. Enfin, aucun élément de preuve n’appuie l’allégation selon laquelle s’efforcer de maintenir M. Clemente en poste dans la salle de repos aurait constitué une contrainte excessive pour Air Canada.
[191] En définitive, Air Canada voulait que M. Clemente prenne sa retraite pour cause d’invalidité. Elle l’a indirectement forcé à le faire. En fait, en mai 2015, l’intimée savait déjà que M. Clemente s’était renseigné à ce sujet, et elle a tout de même choisi de ne pas en discuter avec lui.
[192] M. Clemente a clairement été contraint de prendre sa retraite pour cause d’invalidité. La lettre envoyée par Mme Hiebert le 16 novembre 2016 et les notes de gestion de l’invalidité du 28 octobre 2016 sont révélatrices. Si M. Clemente refusait de prendre sa retraite pour cause d’invalidité, il serait mis en [traduction] « congé non autorisé, sans salaire »
.
[193] Rien ne prouve que le maintien de M. Clemente à Air Canada aurait engendré pour elle des coûts excessifs après décembre 2016.
[194] La preuve n’explique pas non plus clairement ce que représente le montant de 639 252 $. Sans une explication claire et crédible, Air Canada ne peut pas invoquer des coûts fondés sur ce montant pour justifier sa décision de mettre fin à l’emploi de M. Clemente en décembre 2016.
[195] Comme l’a fait remarquer le Tribunal dans la décision Christoforou, au paragraphe 113, les contraintes liées à une proposition d’adaptation anticipées par un employeur ne peuvent pas reposer sur des préoccupations hypothétiques ou non corroborées quant aux conséquences négatives. Des éléments de preuve sont nécessaires, or ils sont absents en l’espèce.
[196] En l’absence de preuve, le Tribunal ne peut pas conclure que le maintien en poste de M. Clemente après le 1er décembre 2016 aurait constitué une contrainte excessive pour Air Canada. L’intimée aurait pu composer avec M. Clemente sans subir de contrainte excessive.
[197] Air Canada n’a pas établi de justification valable pour sa décision de mettre fin à l’emploi de M. Clemente; en particulier, elle n’a pas prouvé l’existence d’une exigence professionnelle justifiée du point de vue de la santé, de la sécurité ou des coûts, conformément à l’article 15 de la Loi. La discrimination prima facie établie par M. Clemente n’a donc pas été justifiée par Air Canada selon l’article 15 de la Loi.
VII. ORDONNANCE
La plainte de M. Clemente est fondée.
Les parties sont invitées à aviser le bureau du greffe du Tribunal, d’ici le 1er novembre 2024, si elles sont disposées à procéder par médiation pour régler la question des réparations, soit par elles-mêmes ou avec l’aide du Tribunal.
Si la médiation est tentée, mais se révèle infructueuse, le bureau du greffe communiquera avec les parties pour planifier une nouvelle audience sur les réparations.
Signée par
Membre du Tribunal
Ottawa (Ontario)
Le
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Numéro du dossier du Tribunal :
Intitulé de la cause :
Date de la
Date et lieu de l’audience :
Ottawa (Ontario)
Comparutions :
Matthew Langer, pour
Jackie VanDerMeulen, pour