Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Le Conseil des leaders des Premières Nations de la Colombie-Britannique (le « Conseil ») souhaite participer aux discussions sur le principe de Jordan. Le principe de Jordan permet aux enfants des Premières Nations d’avoir accès en temps opportun à des services de soutien en matière de santé, de services sociaux et d’éducation.

Le Conseil possède des connaissances qui aideront le Tribunal. Il a de l’expérience avec les demandes fondées sur le principe de Jordan en Colombie-Britannique et les défis qu’elles posent.

Le Conseil offrira également un point de vue unique, ce qui viendra enrichir les positions des parties actuelles. Enfin, la requête aura une incidence sur les intérêts du Conseil, car l’ordonnance du Tribunal touchera directement les enfants et les familles des Premières Nations en Colombie-Britannique.

Le Tribunal a autorisé le Conseil à participer.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2024 TCDP 95

Date : Le 2 août 2024

Numéro du dossier : T1340/7008

Entre :

Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada

- et -

Assemblée des Premières Nations

les plaignantes

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et –

Procureur général du Canada (représentant le

ministre des Affaires autochtones et du Nord

canadien)>

l’intimé

- et –

Chefs de l’Ontario

- et –

Nation Nishnawbe Aski

- et –

Amnistie internationale

- et –

le Conseil des leaders des Premières Nations

les parties intéressées

Décision sur requête

Membre : Sophie Marchildon

Edward P. Lustig



I. Contexte

[1] En 2016, le Tribunal a publié sa décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2 (la « décision sur le bien-fondé »), dans laquelle il a déclaré que la présente affaire concernait les enfants ainsi que les pratiques, actuelles et passées, en matière d’aide à l’enfance au sein des Premières Nations vivant dans des réserves du Canada et les répercussions que ces pratiques ont eues et continuent d’avoir sur les enfants des Premières Nations, leurs familles et leurs collectivités. Il a conclu que le Canada s’était livré de façon systémique à des actes de discrimination raciale à l’égard des enfants des Premières Nations dans les réserves et au Yukon, non seulement par le sous-financement du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (le « SEFPN »), mais aussi par la conception, la gestion et le contrôle de ce programme. L’un des pires préjudices constatés par le Tribunal est le fait que le Programme des SEFPN incitait à retirer les enfants des Premières Nations de leur foyer, de leur famille et de leur collectivité. Un autre préjudice important pour les enfants des Premières Nations est le fait qu’aucun cas visé par le principe de Jordan n’a été approuvé, compte tenu de l’interprétation étroite qu’en fait le Canada et des critères d’admissibilité restrictifs élaborés par lui. Le Tribunal a conclu qu’audelà de la simple question du financement, il fallait réorienter le programme de manière à respecter les principes des droits de la personne et à tenir compte des saines pratiques en matière de travail social dans lintérêt supérieur des enfants. Il a ordonné au Canada de mettre fin à ses actes discriminatoires, de prendre des mesures pour les corriger ou pour empêcher quils se produisent de nouveau, et de réformer le Programme des SEFPN et lEntente de 1965 avec l’Ontario afin de tenir compte des conclusions tirées dans la décision sur le bienfondé. Le Tribunal a déterminé quil procéderait par étapes (réparations immédiates, à moyen terme et à long terme) de façon à apporter des changements immédiats, puis à faire des ajustements en vue d’arriver un jour à une réparation durable, à long terme, fondée sur la collecte de données, les nouvelles études et les pratiques exemplaires déterminées par les experts des Premières Nations, ainsi que sur les besoins particuliers des collectivités des Premières Nations et sur les besoins dégagés par les organismes des Premières Nations, le Comité consultatif national sur la réforme des services à l’enfance et à la famille et les parties.

[2] Le Tribunal a également ordonné au Canada de cesser d’appliquer sa définition étroite du principe de Jordan et de prendre des mesures pour appliquer immédiatement ce principe en lui donnant sa pleine portée et tout son sens. Les ordonnances liées au principe de Jordan et l’objectif de l’égalité réelle ont été décrits plus en détail dans des décisions sur requête subséquentes. Dans la décision sur requête 2020 TCDP 20, qui a été confirmée par la Cour fédérale dans la décision Canada (Procureur général) c. Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, 2021 CF 969 (CanLII), [2022] 2 RCF 614, le Tribunal a déclaré ce qui suit :

Le principe de Jordan est un principe des droits de la personne fondé sur l’égalité réelle. Le critère exposé dans la définition élaborée par le Tribunal dans la décision 2017 TCDP 14, qui vise la fourniture de services « audelà de la norme établie », favorise l’égalité réelle des enfants des Premières Nations en se concentrant sur leurs besoins particuliers, ce qui doit tenir compte du traumatisme intergénérationnel et d’autres éléments importants qui découlent de la discrimination constatée dans la Décision sur le bienfondé, ainsi que d’autres désavantages tels que le désavantage historique qu’ils peuvent subir. La définition et les ordonnances reflètent les besoins particuliers et la situation unique des Premières Nations. Le principe de Jordan vise à honorer les obligations nationales et internationales positives du Canada envers les enfants des Premières Nations en application de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP), de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), de la Convention relative aux droits de l’enfant et de la Déclaration des Nations Unies relative aux droits des peuples autochtones (la DNUDPA), entre autres. De plus, la formation, en s’appuyant sur le dossier de la preuve, a estimé que ce principe est le mécanisme en place le plus rapide pour commencer à éliminer la discrimination constatée en l’espèce dont sont victimes les enfants des Premières Nations, pendant la réforme du programme national. D’autant plus que son objectif d’égalité réelle tient également compte de l’effet cumulé des divers aspects de la discrimination dans tous les services gouvernementaux, qui affecte les enfants et les familles des Premières Nations. L’égalité réelle est tant un droit qu’une réparation en l’espèce : un droit qui est dû aux enfants des Premières Nations à titre de réparation constante et durable de la discrimination et afin d’empêcher qu’elle ne se reproduise. Cela s’inscrit bien dans la portée de la plainte.

[3] La question des services urgents offerts en vertu du principe de Jordan a elle aussi été examinée par le Tribunal dans des décisions sur requête antérieures (voir 2017 TCDP 35, au par. 10; 2019 TCDP 7, aux par. 58, 81-82, 87 et 89; et 2020 TCDP 36, au par. 44).

[4] Le Tribunal reste saisi de toutes ses ordonnances antérieures, à l’exception des ordonnances d’indemnisation, afin de veiller à ce qu’elles soient mises en œuvre de manière adéquate pour éliminer la discrimination raciale systémique constatée, et pour que cette discrimination ne se reproduise plus.

[5] Le 3 juin 2024, le Conseil des leaders des Premières Nations de la Colombie-Britannique (le « Conseil ») a déposé un dossier de requête (la « requête ») afin de demander au Tribunal de rendre une ordonnance l’autorisant à intervenir dans la présente instance, en tant que partie intéressée. Le Conseil souhaite participer à la requête concernant le respect du principe de Jordan déposée par la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada (la « Société de soutien ») le 12 décembre 2023, ainsi qu’à la requête reconventionnelle déposée par le Canada le 15 mars 2024 (les « requêtes »).

[6] La Colombie-Britannique (la « C.-B. ») compte 204 Premières Nations, soit environ le tiers de toutes les Premières Nations du Canada, chacune ayant sa propre culture, sa propre langue, ses propres lois et ses propres traditions. Le Conseil a été créé en 2005 par un accord historique de leadership et constitue une relation de travail politique collaborative entre l’Union of BC Indian Chiefs (l’ « UBCIC »), le Sommet des Premières Nations (le « SPN ») et l'Assemblée des Chefs des Premières Nations de la Colombie-Britannique (l’« APNCB »). L’UBCIC, l’APNCB et le SPN se sont ainsi rassemblés pour examiner des questions d’intérêt commun pour les peuples des Premières Nations de la C.-B.

[7] Depuis sa création, le Conseil a entrepris des discussions sur les politiques stratégiques avec les gouvernements du Canada et de la C.-B. afin de définir une vision commune concernant la mise en place d’un changement systémique en préconisant une relation de gouvernement à gouvernement, basée sur le respect et la reconnaissance des droits des peuples des Premières Nations. Il a notamment agi comme intervenant dans plusieurs affaires, a participé à des réformes des lois et des politiques aux échelons provincial et fédéral et a siégé à des tables bilatérales et trilatérales avec les gouvernements du Canada et de la C.-B.

[8] Depuis que le Tribunal a rendu la décision sur le bien-fondé, les chefs en assemblée de l’UBCIC ont adopté plusieurs résolutions pour que l’exécutif de l’UBCIC veille à la mise en œuvre des ordonnances du Tribunal et à la tenue de négociations en vue d’un accord de règlement définitif sur la réforme à long terme du Programme des SEFPN et du principe de Jordan.

[9] Dans le cadre de ces résolutions, les chefs ont décidé que la réforme à long terme devait reconnaître et refléter correctement les besoins distincts et uniques des Premières Nations de la C.-B., et qu’elle devait être menée sur la base d’un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

[10] Les parties à la présente affaire ont été invitées à donner leur avis sur la façon dont la présente requête devrait être traitée. En outre, elles ont eu la possibilité de présenter des observations sur la requête. Enfin, le Conseil a eu l’occasion de répondre.

II. Observations des parties

[11] Le Conseil demande la qualité pour agir dans la présente instance uniquement aux fins de la présente requête et de la requête reconventionnelle.

[12] Le Conseil confirme qu’il souhaite présenter des observations écrites et orales qui se limiteront aux questions soumises à la formation dans la présente requête et la requête reconventionnelle. Le Canada a proposé que le Conseil limite ses observations écrites à 15 pages. Le Conseil demande l’autorisation de présenter des observations écrites ne dépassant pas 25 pages, conformément à ce que la formation a accordé par le passé à d’autres parties intéressées. Il pourra ainsi apporter une contribution utile et distincte à l’instance. Le Conseil ne cherche pas à produire de nouveaux éléments de preuve.

[13] Le Conseil présente cette demande en raison des répercussions importantes que les ordonnances du Tribunal risquent d’avoir sur les Premières Nations de la C.-B. qu’il représente. Il fait valoir que son expertise et son point de vue seront d’une grande utilité pour le Tribunal.

[14] Le Conseil a travaillé avec le gouvernement du Canada à l’élaboration de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, L.C. (2019), ch. 24. Deux des objectifs de cette loi sont d’affirmer le droit à l’autodétermination et de contribuer à la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, Rés. GA 61/295, Doc. off., 61e session, suppl. no 49, vol. III, Doc. de l’ONU A/61/49 (2007) (la « DNUDPA »). La constitutionnalité de cette loi et l’importance de la DNUDPA en droit canadien ont été longuement examinées par la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, 2024 CSC 5. Le Conseil était un intervenant dans cette affaire.

[15] Le Conseil fait valoir qu’il possède une expérience et une expertise considérables de l’interprétation de la DNUDPA et de sa mise en œuvre dans le droit interne du Canada et de la C.-B.

[16] En outre, le Conseil fait valoir qu’à l’heure actuelle, 35 Premières Nations et organisations de Premières Nations en C.-B. ont conclu des accords de contribution avec le Canada afin de financer des coordonnateurs des services améliorés et un centre de coordination amélioré des services visés par le principe de Jordan.

[17] Le Conseil affirme que, grâce à ses travaux directs et collaboratifs portant sur la réforme des services à l’enfance et à la famille et le principe de Jordan, il a acquis des connaissances et une expertise considérables au sujet des problèmes auxquels sont confrontés les enfants, les familles et les collectivités des Premières Nations, notamment en ce qui concerne la prestation des services à l’enfance et à la famille et le principe de Jordan, ainsi que les questions précises soulevées dans les requêtes.

[18] L’APNCB, une organisation membre du Conseil, a également participé à l’examen des questions particulières liées à la réforme à long terme du Programme des SEFPN et du principe de Jordan. Dans le cadre de ce travail, elle a organisé plusieurs rassemblements réunissant des dirigeants des Premières Nations en C.-B. et a produit un rapport sur la mobilisation (le « rapport sur la mobilisation ») en 2022. Ce rapport mettait en évidence le fait que la région de la C.-B. compte le plus grand nombre de demandes refusées au Canada, que les délais d’attente sont longs et qu’il y a un manque de communication, ce qui entraîne des ruptures de confiance entre les demandeurs de services en vertu du principe de Jordan et le personnel communautaire qui gère les services offerts en vertu de ce principe. Le rapport soulignait également que, si certaines nations souhaitent se charger elles-mêmes de l’administration du principe de Jordan, beaucoup ne veulent pas assumer les fonctions qui y sont associées ou n’ont pas la capacité de le faire. Lors de ces rassemblements, les Premières Nations de la C.-B. ont soulevé des problèmes précis qui sont pertinents eu égard aux questions soumises au Tribunal.

[19] Le Conseil, en collaboration avec les gouvernements du Canada et de la C.-B., a créé le groupe de travail tripartite sur les services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (le « GTT »). Le GTT était notamment chargé des travaux du Conseil concernant l’élaboration de la loi fédérale et du projet de loi 38 de la C.-B. Il a aussi fourni des orientations stratégiques sur des questions ayant des répercussions sur les enfants et les familles des Premières Nations, et procédé à l’élaboration d’un nouveau cadre fiscal pour soutenir la prestation de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations et la compétence en la matière en C.-B.

[20] Le document de travail « Developing a New Funding Model and Approach for First Nations Children & Families », publié par le Conseil dans le cadre des travaux du GTT, mentionne ce qui suit :

[traduction]

La création d’un modèle et d’une approche de financement pour la C.-B. permettra d’orienter des considérations nationales générales telles que les négociations sur la réforme à long terme du Programme de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations de SAC et l’approche renouvelée du principe de Jordan, et d’assurer une harmonisation à cet égard.

[21] Dans le cadre de l’élaboration d’une nouvelle approche de financement pour les services à l’enfance et à la famille des Premières Nations en C.-B., le Conseil a été chargé de s’assurer que les priorités, les besoins et les intérêts particuliers des Premières Nations de la C.-B. soient pris en compte dans les discussions et les accords tripartites du GTT ainsi que dans le travail et les discussions en cours à l’échelle nationale.

[22] Le Conseil a largement participé à la réforme juridique et systémique des services à l’enfance et à la famille en C.-B., en veillant à ce que le droit inhérent des Premières Nations à s’occuper de leurs enfants soit reconnu et respecté.

[23] En outre, le Conseil a participé activement aux efforts de défense des intérêts pour obtenir un soutien et des ressources suffisantes afin que les Premières Nations puissent exercer leur compétence en matière de santé et de bien-être des enfants. En plus de sa participation et de son travail au sein du GTT, le Conseil a participé à diverses autres tables et divers autres processus sur la promotion des intérêts des Premières Nations en C.-B. en ce qui concerne les enfants et les familles, y compris au comité de la C.-B. sur le principe de Jordan, établi en 2021 [...].

[24] En résumé, toutes les parties conviennent que le Conseil a un intérêt à l’égard des requêtes et qu’il apporte une perspective différente. Les observations des parties se concentrent sur les restrictions que le Tribunal devrait imposer au Conseil. Les parties citent des décisions antérieures dans lesquelles la formation avait accordé le statut de partie intéressée, et invoquent les différentes restrictions qui y avaient alors été imposées. Elles les considèrent comme faisant autorité et comme étant les plus pertinentes en l’espèce.

[25] Même si les parties s’entendent, le Tribunal doit procéder à une analyse juridique et examiner les faits particuliers de l’affaire pour déterminer s’il devrait accorder au Conseil le statut de partie intéressée.

III. Droit applicable

[26] Le Conseil a déposé sa requête conformément aux nouvelles règles du Tribunal. Le Tribunal partage l’avis des parties selon lequel cette requête devrait être traitée conformément aux anciennes Règles de procédure (03-05-04). Celles-ci ont récemment fait l’objet d’une refonte, qui a mené à l’adoption des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 (les « nouvelles Règles »). Toutefois, comme la présente instance est toujours en cours et qu’elle a été introduite en vertu des anciennes Règles de procédure, ce sont ces dernières qui continueront de régir la requête.

[27] Le Tribunal partage l’avis de la Commission selon lequel, aux fins de la présente requête, il n’existe aucune différence importante entre les nouvelles règles et les anciennes. Le Tribunal peut statuer sur la requête conformément aux anciennes Règles et à la jurisprudence y afférente, notamment les décisions antérieures par lesquelles la formation a accordé le statut de partie intéressée à d’autres organisations dans le contexte de la présente affaire.

[28] En outre, le Tribunal convient avec les parties que les précédents les plus pertinents concernant la question du statut de partie intéressée sont les décisions rendues antérieurement dans le cadre de la présente plainte, étant donné qu’il s’agit de la même affaire et que les faits et les éléments de preuve sont identiques :

La formation souligne l’importance de prendre en considération le contexte et les faits précis de l’affaire dans toutes les instances dont elle est saisie, y compris le statut des parties intéressées. Autrement, la décision pourrait s’avérer technique ou formaliste ou avoir des effets injustes. Par ailleurs, les parties ne peuvent faire fi des décisions sur requête que le Tribunal a déjà rendues dans l’affaire en ce qui concerne les parties intéressées. L’approche adoptée dans ces décisions est particulièrement pertinente et fait autorité dans les circonstances de la requête étant donné qu’il s’agit de la même affaire et du même contexte historique. (Voir 2022 TCDP 26, au par. 38).

[29] Le Tribunal a récemment procédé, dans la décision sur requête 2022 TCDP 26, à une revue exhaustive de toutes les demandes de statut de partie intéressée ayant été présentées en l’espèce. Il ne répétera pas ici tous ses motifs détaillés. Le Tribunal continue de s’appuyer sur ses décisions et motifs antérieurs, y compris les motifs rendus dans la décision sur requête 2022 TCDP 26.

[30] La LCDP prévoit l’éventuelle participation de parties intéressées au paragraphe 50(1) et à l’alinéa 48.9(2)b) et, par conséquent, confirme le pouvoir qu’a le Tribunal de faire droit à une demande de statut de partie intéressée. La procédure à suivre pour ajouter des parties intéressées est énoncée à l’article 8 des anciennes Règles de procédure du Tribunal (03-05-04). Par conséquent, le Tribunal a compétence pour autoriser une personne à intervenir devant lui à titre de partie intéressée relativement à une plainte.

[31] Il incombe au requérant de démontrer en quoi son expertise aidera à trancher les questions en litige. Le statut de partie intéressée ne lui sera pas accordé s’il ne contribue pas de façon importante aux positions juridiques des parties alléguant un point de vue semblable [...]. (L’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry et Acoby c. Service correctionnel du Canada, 2019 TCDP 30, au par. 34).

[32] En outre, le Tribunal doit adopter une approche globale fondée sur les circonstances propres à chaque cas pour examiner les demandes de statut de partie intéressée. Il doit également tenir compte de la responsabilité que lui impose le paragraphe 48.9(1) de la LCDP, et qui consiste à instruire les plaintes sans formalisme et de façon expéditive, pour déterminer l’étendue de la participation d’une partie intéressée (voir Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 11 [Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations], au par. 3).

[33] Lorsqu’il est saisi d’une demande de statut de partie intéressée, le Tribunal peut notamment tenir compte des éléments suivants :

  • A)l’expertise de l’éventuelle partie intéressée aiderait le Tribunal;

  • B)sa participation ajouterait à la position juridique des parties;

  • C)l’instance pourrait avoir des répercussions sur les intérêts de la partie requérante.

[34] Au paragraphe 31 de la décision sur requête 2022 CHRT 26, le Tribunal s’est exprimé ainsi quant au précédent critère :

[...] bien que les critères énumérés ci-dessus et élaborés dans Walden soient toujours utiles dans des contextes similaires, « dans l’affaire Attaran c. Citoyenneté et Immigration Canada, 2018 TCDP 6 (Attaran), le Tribunal énonce que l’approche doit être globale et fondée sur l’analyse cas par cas. Il cite avec approbation l’affaire Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et autres c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 11 (NAN) » (Letnes c. GRC et al., 2021 TCDP 30, au paragraphe 14). Par conséquent, il ressort de la jurisprudence du Tribunal que l’analyse ne doit pas être réalisée de manière stricte et automatique, mais plutôt au cas par cas, en appliquant une approche flexible et globale. (Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien), 2022 TCDP 26, au par. 31)

IV. Analyse

A. Le Conseil possède une expertise et des connaissances qui seront utiles au Tribunal et qui l’aideront à trancher les requêtes

[35] Dans la décision sur requête 2022 TCDP 26, au paragraphe 37, le Tribunal a établi ce qui constituait une assistance appropriée pour l’aider à trancher l’affaire :

Dans son analyse de l’expression « contribuer à la prise de décision par le Tribunal », le Tribunal tient compte des questions juridiques et factuelles qu’il doit trancher, de la pertinence des éléments de preuve et des points de vue qui lui sont présentés, de l’historique procédural de l’affaire, de l’incidence sur la procédure ainsi que de l’incidence sur les parties et sur ceux qu’elles représentent. La formation tient également compte de la nature de la question et du moment auquel une partie intéressée cherche à intervenir. De plus, elle doit déterminer si l’ajout d’une autre partie intéressée influera négativement ou positivement sur la tâche du Tribunal consistant à trancher correctement l’affaire. Enfin, elle tiendra compte de l’intérêt public dans l’affaire.

[36] Le Tribunal estime que l’expérience et l’expertise que possède le Conseil à l’égard de ces questions sont directement liées aux arguments concernant la mise en œuvre continue du principe de Jordan, ainsi qu’aux questions et arguments soulevés par les parties concernant la réforme à long terme du Programme de SEFPN en C.-B. L’expérience et l’expertise du Conseil seront utiles au Tribunal dans l’examen des questions d’arriérés et de demandes urgentes, étant donné que le Conseil soutient que la C.-B. est l’une des provinces où l’arriéré de demandes liées au principe de Jordan est le plus important. En outre, le Conseil affirme que cet arriéré fait en sorte que les enfants des Premières Nations de la C.-B. sont touchés de manière disproportionnée par le non-respect des ordonnances du Tribunal par le Canada.

[37] Le Tribunal estime aussi que les connaissances et l’expertise du Conseil au sujet des répercussions que les urgences climatiques, y compris les feux de forêt et les inondations, ont sur les demandes urgentes en vertu du principe de Jordan en C.‑B. peuvent lui être utiles, et que le Conseil peut proposer des solutions qui permettraient de résoudre le problème, ce qui relève de la portée des présentes requêtes.

[38] Enfin, sur ce point, le Tribunal juge que le Conseil a démontré qu’il était en mesure de l’aider à trancher les requêtes. Compte tenu de l’historique et de la complexité de cette affaire, ce critère revêt une grande importance en l’espèce.

B. Le Conseil apportera une perspective unique

[39] Le Tribunal estime que le Conseil peut aider à faire en sorte que les divers points de vue des Premières Nations de la C.-B. soient pris en compte en ce qui concerne les questions soulevées dans les requêtes présentées au Tribunal. Étant donné que la mise en œuvre du principe de Jordan en C.-B. se fait par l’intermédiaire des coordonnateurs de services aux Premières Nations et que les Premières Nations ont compétence en matière de services à l’enfance et à la famille dans la province, le Conseil et ses organisations membres sont en mesure de transmettre les points de vue particuliers et l’expérience directe des Premières Nations de la C.-B.

C. La participation du Conseil ajoutera à la position juridique des parties

[40] Le Conseil possède des dizaines d’années d’expérience de la défense et de la promotion des intérêts particuliers des Premières Nations en C.-B., de même que de leurs réalités uniques et distinctes. En outre, comme il est mentionné plus haut, le Conseil a travaillé avec le gouvernement à l’élaboration de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Le Tribunal estime que le Conseil peut présenter des observations juridiques sur les conditions particulières des Premières Nations en C.-B. De plus, il estime que les connaissances et l’expertise du Conseil ajouteront à la position juridique des parties et que celui-ci présentera le point de vue important et particulier des Premières Nations de la province concernant les questions soulevées dans les requêtes.

D. Répercussions sur les intérêts du Conseil

[41] Le Tribunal estime que les Premières Nations de la C.-B., qui constituent les organisations membres du Conseil, ont un intérêt important à l’égard des ordonnances demandées dans les requêtes, étant donné que les enfants et les familles des Premières Nations de la C.-B. seront directement touchés par ces ordonnances. Comme mentionné ci-dessus, le Conseil allègue que les enfants des Premières Nations en C.-B. sont touchés de manière disproportionnée par le non-respect des ordonnances du Tribunal par le Canada.

V. Conclusion

[42] Le Tribunal est convaincu que le critère relatif au statut de partie intéressée qu’il a lui-même appliqué, notamment dans les décisions sur requête antérieures qu’il a rendues en l’espèce relativement à des demandes de statut de partie intéressée, a été respecté. Le Tribunal estime que le Conseil l’aidera à trancher les requêtes, qu’il apportera un point de vue unique, qu’il ajoutera aux positions juridiques des parties et que les procédures relatives aux requêtes auront des répercussions sur les intérêts de ce dernier.

VI. Ordonnance

[43] Conformément au paragraphe 50(1) de la LCDP, et à l’article 3 et au paragraphe 8(1) des Règles de pratique du Tribunal (03-05-04), le Tribunal accueille la requête.

Le Tribunal accorde au Conseil des leaders des Premières Nations le statut de partie intéressée, sous réserve de certaines restrictions.

Ces restrictions sont les suivantes :

  • Le statut et la participation du Conseil doivent se limiter à la requête de la Société de soutien à l’enfance et à la famille et à la requête reconventionnelle du Canada (les « requêtes ») dont le Tribunal est actuellement saisi.

  • Le statut et la participation du Conseil doivent se limiter aux conférences téléphoniques de gestion préparatoire relatives aux requêtes, à la présentation d’observations et à la comparution à l’audience relative aux requêtes.

  • Le Conseil ne sera pas autorisé à produire d’autres éléments de preuve, à soulever de nouvelles questions ou à compléter de quelque manière que ce soit le dossier des parties. La participation et les observations du Conseil doivent se limiter au dossier de preuve actuel du Tribunal. La participation et les observations du Conseil doivent se limiter aux questions dont le Tribunal est actuellement saisi dans le cadre des requêtes.

  • Le Conseil ne peut pas contre-interroger les témoins et ne peut pas demander de report d’échéances du calendrier des requêtes.

  • Le Conseil ne peut pas retarder l’instance et doit déposer ses observations au moment indiqué par le Tribunal. Étant donné les contraintes de temps, tout retard sera réputé être une renonciation, par le Conseil, à son droit de participer à l’instance.

  • Le statut et la participation du Conseil doivent se limiter à des observations écrites d’au plus 25 pages, et celles-ci ne doivent pas répéter les positions des autres parties. Si le Conseil partage la position d’une autre partie sur un point, il peut indiquer clairement qu’il adopte la même position sur ce point. Le Conseil doit apporter un point de vue différent de celui des autres parties ainsi qu’une perspective unique, et doit s’efforcer d’aider la formation à trancher l’affaire. La participation du Conseil doit ajouter à la position juridique des parties. Le Conseil ne doit pas participer au débat sur les autres questions dont le Tribunal est saisi.

  • Le Conseil disposera d’une heure pour présenter ses observations orales. Ce délai n’inclut pas le temps utilisé par la formation pour poser des questions, le cas échéant, ni le temps que le Conseil prendra pour répondre à ces questions. Ce droit de présenter des observations orales peut être réduit, limité ou refusé par la formation si elle juge que les observations écrites ne font que répéter les observations des autres parties et/ou qu’elles n’ajoutent pas à la position juridique des autres parties et qu’elles n’apportent aucun point de vue nouveau. Dans un tel cas, la formation examinera les observations écrites du Conseil dans le cadre de ses délibérations, en même temps que les observations et les arguments oraux des autres parties.

  • Les parties auront la possibilité de répondre aux observations du Conseil sur les requêtes.

Signée par

Sophie Marchildon

Membre du Tribunal

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 2 août 2024

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : T1340/7008

Intitulé de la cause : Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et autres c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien)

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 2 août 2024

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Observations écrites :

David Taylor, Sarah Clarke et Kevin Droz, avocats, pour la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, la plaignante

Stuart Wuttke et Adam Williamson , avocats, pour l’Assemblée des Premières Nations, la plaignante

Brian Smith et Jessica Walsh, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Dayna Anderson, Kevin Staska et Samantha Gergely , pour l’intimé

Darian Baskatawang , avocat, pour les Chefs de l’Ontario, la partie intéressée

Julian N. Falconer , avocat, pour la Nation Nishnawbe Aski, la partie intéressée

Crystal Reeves , avocate, pour le Conseil des leaders des Premières Nations, la partie intéressée

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