Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Le Conseil des Canadiens avec déficiences et l’Association des Sourds du Canada veulent participer à la plainte pour atteinte aux droits de la personne de M. Lidkea. M. Lidkea est un détenu qui est sourd.

M. Lidkea affirme que le Service correctionnel du Canada (SCC) ne lui a pas donné suffisamment accès à un interprète en American Sign Language ou à une technologie lui permettant de communiquer avec d’autres personnes. Il ne pouvait donc pas pratiquer sa culture métisse.

Le SCC a reconnu sa responsabilité pour le préjudice qu’il a causé à M. Lidkea. Par conséquent, la présente affaire porte seulement sur les réparations, c’est-à-dire sur la façon dont le SCC corrigera le préjudice.

Le Tribunal a autorisé le Conseil des Canadiens avec déficiences et l’Association des Sourds du Canada à participer à l’affaire.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2024 TCDP 91

Date : Le 17 juillet 2024

Numéro du dossier : HR-DP-2770-22

Entre :

Timothy Lidkea

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Service correctionnel du Canada

l’intimé

- et -

Conseil des Canadiens avec déficiences et Association des Sourds du Canada

les personnes intervenantes

Décision sur requête

Membre : Athanasios Hadjis

 

I. APERÇU 1

II. DÉCISION 1

III. QUESTIONS EN LITIGE 1

IV. ANALYSE 2

A. La qualité d’intervenant est accordée à la Coalition 2

B. Conditions de participation de la Coalition 4

V. ORDONNANCE 4

I.


II. APERÇU

[1] La présente décision porte sur une requête pour agir en qualité d’intervenant.

[2] Le plaignant, Timothy Lidkea, a déposé une plainte contre l’intimé, le Service correctionnel du Canada (le « SCC »). M. Lidkea a mentionné dans sa plainte qu’il est un détenu sourd. Il allègue que le SCC n’a pas composé avec sa déficience, notamment en ne lui fournissant pas un accès suffisant à un interprète en langue des signes américaine ou à une technologie qui lui permettrait de communiquer avec les autres. Il soutient que cette situation a pour effet de l’empêcher de pratiquer sa culture métisse. La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a renvoyé la plainte au Tribunal pour instruction.

[3] Une coalition composée du Conseil des Canadiens avec déficiences (le « CCD ») et de l’Association des Sourds du Canada (l’« ASC ») (la « Coalition ») a demandé au Tribunal d’obtenir la qualité d’intervenant à l’égard de l’instruction.

III. DÉCISION

[4] Le Tribunal accordera la qualité d’intervenant à la Coalition, mais précisera des limites quant à l’étendue de sa participation.

IV. QUESTIONS EN LITIGE

[5] Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La qualité d’intervenant devrait-elle être accordée à la Coalition?
  2. Dans l’affirmative, quelle serait l’étendue de sa participation à l’instruction?

V. ANALYSE

A. La qualité d’intervenant est accordée à la Coalition

[6] L’article 27 des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137, (les « Règles ») énonce la procédure qu’une personne désirant obtenir la qualité d’intervenant doit suivre. Selon le paragraphe 27(2), l’avis de requête précise l’assistance que la personne désire apporter à l’instruction et l’étendue de la participation à l’instruction qu’elle souhaite. Si le Tribunal fait droit à la requête, il précisera l’étendue de la participation de l’intervenant à l’instruction (au par. 27(3)).

[7] Le plaignant, la Commission et le SCC ont consenti à la requête de la Coalition visant à obtenir la qualité d’intervenant selon les modalités qui y sont proposées. La Commission souligne que le SCC a reconnu, le 12 mai 2023, sa responsabilité dans le présent dossier. Le SCC a offert de mettre en œuvre des réparations individuelles et des réparations d’intérêt public sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, ce qui a réduit la portée des questions soumises à l’examen du Tribunal.

[8] Lorsqu’il est appelé à trancher une requête visant à obtenir la qualité d’intervenant, le Tribunal prend en compte les critères suivants (Letnes c. Gendarmerie Royale du Canada, 2021 TCDP 30, aux par. 8 à 13 [Letnes]; Liu c. Sécurité publique Canada, 2024 TCDP 14, aux par. 8 et 9) :

  1. l’expertise de l’éventuel intervenant aiderait le Tribunal;
  2. sa participation ajouterait à la position juridique des parties;
  3. l’instance pourrait avoir des répercussions sur les intérêts de la partie requérante.

[9] L’analyse ne doit pas être réalisée de manière stricte et automatique; il convient plutôt de procéder au cas par cas, de façon souple et globale.

[10] La Coalition a déposé des affidavits à l’appui de sa requête, lesquels étaient signés par la présidente nationale du CCD et par le directeur général de l’ASC et décrivaient les activités de leurs organisations.

[11] Le CCD a été fondé en 1976 dans le but de représenter les intérêts des personnes en situation de handicap. Son mandat englobe divers efforts de défense de la justice pour ces personnes afin d’améliorer leurs conditions. En outre, le CCD est composé de plusieurs organisations provinciales et nationales dirigées par des personnes handicapées. Il participe à des travaux d’élaboration de politiques publiques, notamment en soutenant la conception de protections réglementaires assurant un accès à des mesures d’adaptation, en prenant part à des litiges d’intérêt public et en militant pour l’élimination des obstacles discriminatoires.

[12] L’ASC, quant à elle, est une organisation nationale de défense des droits des Canadiens sourds, assourdis, sourds-aveugles, malentendants et sourds et handicapés (« SASAMESH »). Elle protège et promeut les droits, les besoins et les intérêts des Canadiens sourds, particulièrement ceux qui communiquent en langue des signes. Tous les membres du conseil d’administration et du personnel de l’ASC s’identifient comme SASAMESH. L’ASC est associée à 14 organisations membres affiliées provinciales, territoriales et organisationnelles. Elle a une vaste expérience en matière de promotion de l’élaboration de politiques et de réforme du droit dans plusieurs domaines, y compris en ce qui concerne le développement de services, d’outils et de technologies de communication utilisés par les Canadiens sourds afin de surmonter les obstacles qu’ils rencontrent dans une société entendante. Les membres de l’ASC communiquent régulièrement avec des personnes sourdes détenues ainsi qu’avec des parents ou amis sourds de personnes entendantes détenues. L’ASC comprend donc les perspectives propres aux personnes sourdes qui interagissent avec le système carcéral, notamment en ce qui concerne les obstacles auxquels elles sont confrontées en raison d’un manque de mesures d’adaptation.

[13] J’estime que les trois critères énoncés dans la décision sur requête Letnes sont remplis en l’espèce.

[14] La Coalition peut aider le Tribunal à trancher les questions de réparation qui demeurent en litige. Le plaignant et la Commission demandent des réparations de nature systémique et des réparations individuelles, et le SCC a proposé de mettre en œuvre des réparations des deux types. L’expérience et les perspectives de la Coalition sur les questions d’accessibilité à l’échelle nationale lui permettront de fournir des observations éclairées sur des problèmes et des solutions d’ordre systémique en matière d’accessibilité.

[15] La vaste perspective nationale de la Coalition lui permettra également de contribuer aux positions juridiques du plaignant et de la Commission au sujet des questions de réparation.

[16] Enfin, le présent dossier pourrait fort bien avoir des répercussions sur les personnes qui utilisent les services de la Coalition. En effet, il pourrait avoir une influence sur la jurisprudence relative aux personnes SASAMESH, aux droits des personnes handicapées et aux mesures d’adaptation offertes dans la prestation de services gouvernementaux.

[17] Par conséquent, la qualité d’intervenant est accordée à la Coalition.

B. Conditions de participation de la Coalition

[18] La Coalition a demandé à être autorisée, en tant qu’intervenante, à soumettre des observations écrites et orales lors de l’audience.

[19] Elle a aussi affirmé qu’elle s’engage à travailler avec les parties et le Tribunal afin d’assurer une instruction expéditive. De plus, elle s’est engagée à ne pas reprendre des arguments déjà présentés et à ne pas causer de retard. La Coalition se concentrera sur les aspects à l’égard desquels elle pourra apporter un point de vue différent.

[20] Ces conditions sont raisonnables. Toutefois, il est rappelé à la Coalition que le SCC a reconnu sa responsabilité. Les observations de la Coalition doivent donc être limitées aux questions de réparation qui demeurent en litige et ne doivent pas aller au-delà des mesures de réparation demandées par le plaignant et la Commission dans leurs exposés des précisions.

VI. ORDONNANCE

[21] J’ordonne que la Coalition obtienne la qualité restreinte d’intervenant dans la présente instance selon les conditions suivantes :

  1. La Coalition est autorisée à présenter des observations finales écrites et orales lors de l’audience.
  2. Le plaignant, la Commission et le SCC sont tenus de fournir à la Coalition une copie de leurs exposés des précisions respectifs et de tous leurs documents à divulguer au plus tard le 15 août 2024.
  3. Les représentants de la Coalition peuvent assister à l’audience, mais ils ne sont pas autorisés à présenter des éléments de preuve ni à interroger ou contre-interroger les témoins. La Coalition ne participera à aucune téléconférence de gestion préparatoire.

Signée par

Athanasios Hadjis

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 17 juillet 2024

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : HR-DP-2770-22

Intitulé de la cause : Timothy Lidkea c. Service correctionnel du Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 17 juillet 2024

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

Jessica Magonet , pour le plaignant

Edward Burnet , pour l’intimé

Sameha Omer et Laure Prévost, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Connor Bildfell, Daniel Siracusa, et Morgan Rowe , pour les personnes intervenantes

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