Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant, Kai Liu, a déposé une plainte au nom des Chefs de police autochtones de l’Ontario (IPCO). Selon M. Liu, Sécurité publique Canada discrimine dans l’application de son Programme des services de police des Premières Nations et des Inuits.

L’Association des chefs de police des Premières Nations (ACPPN) représente 36 services de police autochtones au Canada. L’ACPPN a demandé à participer à la présente affaire à titre d’intervenant. Le Tribunal a accepté la requête de l’ACPPN, mais a précisé le rôle de celle-ci dans l’affaire. Pour ce type de requête, le Tribunal adopte une approche flexible, holistique et au cas par cas. Le Tribunal exige qu’au moins un des critères suivants soit respecté :
1. l’expertise de l’ACPPN aiderait le Tribunal;
2. la participation de l’ACPPN renforcerait la position juridique des parties;
3. la procédure pourrait avoir des répercussions sur les intérêts de la l’ACPPN.

Le Tribunal a conclu que les trois critères étaient remplis. La participation de l’ACPPN sera utile au Tribunal et contribuera aux positions juridiques des parties, car elle peut fournir une perspective nationale et des observations sur les conditions en Ontario et ailleurs. De plus, l’affaire peut avoir un effet direct sur les services de police que l’ACPPN représente.

L’IPCO a accepté de collaborer avec l’ACPPN pour cerner les questions qui touchent les deux organisations et s’assurer que l’ACPPN ne présente pas de nouveaux points qui prolongeraient la procédure. Bien que l’ACPPN soit une organisation nationale, sa participation ne doit pas élargir la portée de l’affaire au-delà de la plainte que la Commission canadienne des droits de la personne a envoyée au Tribunal.

Le Tribunal a limité le rôle de l’ACPPN à un droit restreint de contre-interroger les témoins sans qu’il y ait de chevauchement avec le contre-interrogatoire des autres parties. Lorsque l’audience aura commencé, le Tribunal fixera des limites de temps raisonnables pour l’interrogatoire. L’ACPPN pourra présenter des observations finales orales et écrites. Le Tribunal a également établi le calendrier de communication de la preuve pour les parties.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2024 TCDP 14

Date : Le 19 mars 2024

Numéro(s) du/des dossier(s) : HR-DP-2983-23

Entre :

Kai Liu (au nom des Chefs de police autochtones de l’Ontario)

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Sécurité publique Canada

l’intimée

- et -

Association des chefs de police des Premières Nations

l’intervenant

Décision sur requête

Membre : Athanasios Hadjis

 



I. APERÇU

[1] Il s’agit d’une décision portant sur une requête pour agir en qualité d’intervenant.

[2] Le plaignant, M. Kai Liu, a déposé une plainte au nom des Chefs de police autochtones de l’Ontario (Indigenous Police Chiefs of Ontario, l« IPCO »), alléguant que l’intimée, Sécurité publique Canada (« SPC »), fait preuve de discrimination dans l’application de son Programme des services de police des Premières Nations et des Inuits (le « PSPPNI »). La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a renvoyé la plainte au Tribunal pour instruction.

[3] L’Association des chefs de police des Premières Nations (l’« ACPPN »), qui représente 36 services de police des Premières Nations dans tout le Canada, a demandé à obtenir la qualité d’intervenant à l’égard de l’instruction de la plainte.

II. DÉCISION

[4] Le Tribunal accorde la qualité d’intervenant à l’ACPPN, mais précise des limites quant à l’étendue de sa participation.

III. QUESTIONS EN LITIGE

[5] Les questions en litige sont les suivantes :

1. Est-ce que l’ACPPN devrait obtenir la qualité d’intervenant?

2. Dans l’affirmative, quelle est l’étendue de sa participation à l’instruction de la plainte?

IV. ANALYSE

A. La qualité d’intervenant est accordée à l’ACPPN

[6] L’article 27 des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 (les « Règles »), énonce la procédure que doit suivre une personne cherchant à obtenir la qualité d’intervenant. Suivant le paragraphe 27(2) des Règles, l’avis de requête doit préciser l’assistance que la personne désire apporter à l’instruction et l’étendue de la participation à l’instruction qu’elle souhaite obtenir. Si le Tribunal fait droit à la requête, il précise l’étendue de la participation de l’intervenant à l’instruction (par. 27(3) des Règles).

[7] L’IPCO consent à la demande d’obtention de la qualité d’intervenant de l’ACPPN à condition que cette dernière coopère et n’introduise pas de nouvelles questions qui pourraient prolonger l’instance. La Commission a informé le Tribunal qu’elle ne s’opposait pas à la requête de l’ACPPN. Elle reconnaît que la perspective nationale de l’ACPPN serait utile au Tribunal et aux parties. SPC ne s’oppose pas non plus à la requête, mais demande que la participation de l’ACPPN soit soumise aux conditions prévues au paragraphe 27(3) des Règles.

[8] Aux paragraphes 8 à 13 de la décision Letnes c. Gendarmerie royale du Canada, 2021 TCDP 30 [Letnes], le Tribunal a énoncé les critères qu’il a pris en compte dans le passé lorsqu’il a examiné les demandes d’obtention de la qualité de « partie intervenante ». Au moins un des critères suivants est requis :

1. l’expertise de l’éventuel intervenant aiderait le Tribunal;

2. sa participation ajouterait à la position juridique des parties;

3. l’instance pourrait avoir des répercussions sur les intérêts de la partie requérante.

[9] L’analyse ne doit pas être réalisée de manière stricte et automatique; il convient plutôt de procéder au cas par cas, de façon souple et globale. L’affaire Letnes portait sur une requête déposée juste avant l’entrée en vigueur de l’article 27 des Règles, en 2021. Au paragraphe 35 de la décision A.B c. C.D., 2022 CF 1500, la Cour fédérale a estimé qu’il n’était pas déraisonnable d’appliquer ces mêmes critères aux demandes d’octroi de la qualité d’intervenant au titre de l’article 27 des Règles.

[10] Je conclus que les trois critères sont réunis en l’espèce.

[11] Étant donné que le PSPPNI est un programme de portée nationale administré par le gouvernement fédéral et que l’ACPPN est un organisme national représentant 36 services de police des Premières Nations dans tout le Canada qui desservent 159 communautés, cet organisme sera en mesure d’aider le Tribunal à statuer sur l’affaire. En effet, l’ACPPN pourra apporter une voix et une perspective nationales à l’affaire, comme elle l’indique dans son avis de requête.

[12] En tant que porte-parole nationale des nombreux services de police des Premières Nations dans tout le Canada, l’ACPPN est en mesure de formuler des observations juridiques sur les conditions tant en Ontario qu’ailleurs au Canada, dans la mesure où ces observations sont pertinentes à la plainte qui a été renvoyée au Tribunal pour instruction.

[13] Enfin, l’ACPPN et les services de police et communautés qui la composent pourraient être directement touchés par toute conclusion relative à la discrimination présumée dans la mise en œuvre du PSPPNI.

[14] Par conséquent, la qualité d’intervenant est accordée à l’ACPPN.

B. Conditions limitant l’étendue de la participation de l’ACPPN

[15] L’ACPPN fait valoir qu’en tant qu’intervenante, elle devrait être autorisée à déposer un exposé des précisions, à appeler des témoins et à présenter des éléments de preuve lors de l’audience et à présenter des observations écrites et orales, pour autant que sa preuve et ses observations ne fassent pas double emploi ou ne recoupent pas celles des parties.

[16] SPC n’est pas du même avis et soutient que l’ACPPN ne devrait pas être autorisée à produire de la preuve ou à soulever de nouvelles questions; elle devrait seulement être autorisée à présenter des observations finales.

[17] Je ne suis pas convaincu qu’il soit justifié ou nécessaire, en l’espèce, d’accorder à l’ACPPN l’autorisation de présenter sa propre preuve. Dans ses observations, l’IPCO a confirmé qu’au cours de discussions avec l’ACPPN, ils ont convenu de travailler en collaboration afin de déterminer les questions ayant une incidence sur les deux organismes et de veiller à ne pas introduire de nouvelles questions qui prolongeraient l’instance. Je suis convaincu que cet objectif peut être atteint sans avoir à accorder à l’ACPPN un droit de participation semblable à celui d’une partie à part entière. Bien que l’ACPPN bénéficie d’une perspective nationale, sa participation ne doit pas avoir pour effet de mener la présente affaire au-delà de la portée de la plainte en soi qui a été renvoyée au Tribunal.

[18] J’estime donc que l’ACPPN ne devrait détenir qu’un droit restreint de contre-interrogation des témoins et que son interrogatoire ne devrait pas recouper celui des autres parties. Une fois l’audience commencée, le Tribunal fixera des limites raisonnables au temps qui sera alloué pour la tenue de l’interrogatoire. L’ACPPN sera également autorisée à présenter des observations finales orales et écrites.

V. CALENDRIER DE COMMUNICATION DE LA PREUVE

[19] L’ACPPN a présenté sa requête avant la date limite de dépôt par les parties de leurs exposés des précisions et autres documents requis selon les Règles. J’ai suspendu les délais relatifs à la communication des éléments de preuve dans l’attente de la présente décision; ils doivent maintenant être réactivés.

[20] Avant que je ne suspende les délais, SPC avait demandé le report de la date de dépôt de son exposé des précisions et de la communication de sa preuve, du 21 mars 2024 au 25 avril 2024. Elle avait fait valoir que cette prolongation était requise en raison de la complexité anticipée de l’affaire et du fait que son avocat avait d’autres audiences fixées au cours de la période initiale de trois semaines prévue suivant la communication de la preuve de l’IPCO. La Commission ne s’est pas opposée à la demande de prolongation, mais a profité de l’occasion pour demander que sa date de dépôt soit postérieure à celle de l’IPCO.

[21] L’IPCO s’est opposée à la demande de prolongation de SPC, soutenant que celle-ci connaissait bien les questions en litige dans le cadre de la présente affaire, puisqu’elle avait déjà été partie à de nombreuses procédures judiciaires connexes devant la Cour fédérale, et en se basant sur le document détaillé fourni au moment du dépôt de la plainte de l’IPCO auprès de la Commission.

[22] Je pense qu’il est prématuré à cette étape de conclure que la présente affaire est aussi complexe que le suggère SPC. Quoi qu’il en soit, le temps qui s’est écoulé pourrait également avoir atténué certaines autres contraintes de temps subies par SPC.

[23] J’accepte la demande de la Commission de déposer son exposé des précisions après avoir pris connaissance de celui de l’IPCO. Le calendrier établi dans l’ordonnance ci-dessous tient compte des dates de dépôt échelonnées et des jours fériés à venir. L’IPCO a indiqué qu’elle était prête à déposer son exposé des précisions à court préavis afin de ne pas retarder indûment le processus d’audience.

VI. ORDONNANCE

[24] J’ordonne que l’ACPPN obtienne la qualité restreinte d’intervenant dans le cadre de la présente instruction selon les conditions suivantes :

1. L’ACPPN peut contre-interroger les témoins des parties à condition que son interrogatoire n’entraîne pas un double emploi ou un recoupement avec ceux des parties et qu’elle respecte les limites raisonnables de temps allouées à l’interrogatoire qui auront été déterminées par le Tribunal en début d’audience;

2. L’ACPPN peut présenter des observations finales orales et écrites.

[25] J’ordonne aux parties de déposer leurs énoncés des précisions et autres documents connexes selon le calendrier suivant :

  • L’IPCO – Le 26 mars 2024

  • La Commission – Le 4 avril 2024

  • SPC – Le 25 avril 2024

  • Réponses de l’IPCO et de la Commission – Le 2 mai 2024

Signé par

Athanasios Hadjis

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 19 mars 2024


 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro(s) du/des dossier(s) du Tribunal : HR-DP-2983-23

Intitulé de la cause : Kai Liu (au nom des Chefs de police autochtones de l’Ontario) c. Sécurité publique Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 19 mars 2024

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

Julian N. Falconer , pour le plaignant

Sean Stynes , pour l’intimée

Jessica Walsh , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Allison Johnstone , pour l’intervenant

 

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