Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Schelomie Cherette a déposé une plainte contre Air Canada.

La santé de Mme Cherette concerne une partie de la plainte. Toutefois, elle veut garder confidentiels certains renseignements de ses dossiers médicaux. Mme Cherette ne voulait donc pas communiquer ces renseignements à Air Canada.

Le Tribunal était d’accord avec Mme Cherette que certains renseignements de ses dossiers médicaux n’étaient pas pertinents. Elle pourrait donc caviarder ces renseignements.

Le Tribunal a aussi estimé que certains renseignements des dossiers médicaux de Mme Cherette pouvaient être pertinents. Par conséquent, Mme Cherette a dû communiquer les renseignements pertinents à Air Canada. Le Tribunal a également décidé qu’il était trop tôt pour décider si ces renseignements devaient demeurer confidentiels lors de l’audience.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2024 TCDP 8

Date : le 21 février 2024

Numéro du dossier : T2651/2721

Entre :

Schelomie Cherette

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Air Canada

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Kathryn A. Raymond, c.r.


Table des matières

I. APERÇU DE LA DÉCISION SUR LES CAVIARDAGES 1

II. DÉCISION 2

III. QUESTIONS EN LITIGE 3

IV. CONTEXTE DE LA PLAINTE 4

V. CONTEXTE PROCÉDURAL 5

VI. POSITION DES PARTIES SUR LE BIEN-FONDÉ 6

A. Mme Cherette 6

B. Air Canada 7

VII. ANALYSE 7

Question 1. Quel processus convient-il de suivre pour déterminer si les caviardages sont appropriés et protéger en même temps la confidentialité du contenu en litige jusqu’à ce que la requête soit tranchée? 7

(i) Examen préliminaire des documents par les parties 7

(ii) Examen par le Tribunal des documents non caviardés et des documents caviardés 8

(iii) La requête en confidentialité de la plaignante concernant les documents caviardés divulgués aux autres parties est superflue 9

(iv) Préserver la confidentialité des documents déposés dans la requête en attendant l’issue de la décision sur requête 10

(v) Lorsqu’une requête au titre du paragraphe 52(1) de la Loi est requise 11

(vi) Résoudre la question relative aux positions contradictoires des parties concernant la réparation à accorder 12

Question 2. Le contenu caviardé par Mme Cherette dans ses dossiers médicaux est-il potentiellement pertinent en l’espèce? 15

(i) Le contenu A n’est pas potentiellement pertinent 15

(ii) Le contenu B est potentiellement pertinent 16

(iii) Les parties du contenu B concernant un tiers 17

Question 3. Existe-t-il un fondement raisonnable et objectif permettant de supprimer le contenu A pour non-pertinence? 19

Question 4. Une ordonnance de confidentialité devrait-elle être rendue concernant le contenu A ou B au motif qu’il existe un risque réel que la divulgation de renseignements personnels cause des contraintes excessives à Mme Cherette ou au tiers? 21

(i) Exceptions à la règle de l’audience publique 21

(i) Une ordonnance de confidentialité peut-elle être accordée sur consentement? 22

(ii) Directives procédurales et commentaires sur les documents relatifs à la requête 23

(iii) Possibilité de présenter une nouvelle requête en confidentialité 26

VIII. ORDONNANCE 27


I. APERÇU DE LA DÉCISION SUR LES CAVIARDAGES

[1] Il convient de noter qu’il s’agit d’une décision concernant une requête présentée au cours du processus de gestion de l’instance, à l’étape de la divulgation. La plaignante, Mme Cherette, a caviardé ses dossiers médicaux au lieu de les divulguer dans leur intégralité. Pendant la gestion de l’instance, les parties ont été informées que le contenu qui n’était pas pertinent pouvait être caviardé pour des raisons de protection de la vie privée, dans certaines circonstances, mais que le contenu potentiellement pertinent pour l’affaire ne peut pas être caviardé à moins que le Tribunal n’accorde une ordonnance de confidentialité. Mme Cherette a déposé la présente requête en vue d’obtenir la permission de conserver ses caviardages. Mme Cherette affirme que le contenu qu’elle souhaite caviarder touche à ses intérêts en matière de protection de la vie privée en raison de sa nature personnelle, très sensible et non pertinente quant à la présente instance. Elle affirme également que le bien-être d’une tierce personne pourrait se voir compromis par une partie du contenu qu’elle a caviardé en raison de son caractère non pertinent, si ce contenu était rendu public.

[2] Mme Cherette demande également une ordonnance de confidentialité relative aux parties caviardées de ses dossiers médicaux à la fois pour l’étape de la divulgation de la présente instance et pour l’audience et la décision. Mme Cherette ne veut pas que le contenu caviardé devienne de notoriété publique ou qu’il fasse l’objet de discussions dans la présente affaire. Elle n’a pas communiqué le contenu caviardé aux autres parties.

[3] L’intimée, Air Canada, s’oppose à tout caviardage du contenu des dossiers médicaux. Air Canada souligne que la santé de Mme Cherette est au cœur de la présente plainte. Air Canada affirme que la divulgation des dossiers médicaux dans leur ensemble est requise puisqu’elle a le droit de se défendre pleinement contre la plainte, ce qui nécessite qu’elle ait connaissance du contenu caviardé. Air Canada demande que les caviardages soient retirés et que les dossiers médicaux non caviardés dans leur ensemble fassent l’objet d’une ordonnance de confidentialité.

[4] La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») convient que le contenu présenté par la plaignante dans ses dossiers médicaux devrait être caviardé. La Commission accepte l’affirmation de Mme Cherette selon laquelle le contenu caviardé n’est pas pertinent. Elle soutient qu’il est vraisemblable que les dossiers médicaux de Mme Cherette contiennent des renseignements qui ne sont pas pertinents quant à la présente instance.

[5] La Commission souligne que les parties ont convenu, suivant la directive du Tribunal à cet égard, que celui-ci examine les caviardages. La Commission s’oppose à la position de l’intimée selon laquelle une ordonnance de confidentialité devrait être accordée pour l’ensemble des dossiers médicaux non caviardés de la plaignante. La Commission affirme que la position de l’intimée selon laquelle le contenu caviardé doit être divulgué et qu’il est possible de répondre aux préoccupations relatives à la protection de la vie privée au moyen d’une ordonnance de confidentialité pour l’ensemble des dossiers médicaux est contraire à la directive qu’a précédemment donnée le Tribunal dans le cadre de la gestion de l’instance et à la position antérieure de l’intimée.

[6] Les parties ont été informées de façon informelle de la présente décision sur requête le 8 février 2024 lors de la gestion de l’instance et elles ont été avisées que les motifs de la décision leur seraient communiqués ultérieurement. Voici ces motifs.

II. DÉCISION

[7] Je juge qu’une partie, mais pas la totalité, du contenu caviardé doit rester confidentiel. Les dossiers médicaux de la plaignante, tels que je les ai caviardés, doivent être divulgués à Air Canada et à la Commission. Le contenu des dossiers médicaux dont j’ordonne le caviardage n’est pas pertinent. Le contenu qui n’est pas pertinent est de nature personnelle, voire intime. Une personne raisonnable et objective jugerait que sa divulgation causerait vraisemblablement un embarras inutile et notable à une partie.

[8] Le Tribunal doit évaluer si les préoccupations relatives à la protection de la vie privée en ce qui concerne les dossiers médicaux (au-delà des éléments d’identification personnelle) sont objectivement raisonnables. Cette évaluation ne doit pas être effectuée en fonction de l’opinion subjective d’une partie. Le contenu qui, d’un point de vue objectif et raisonnable, pourrait être très gênant peut être caviardé des dossiers médicaux s’il est non pertinent. Lorsque le caviardage ne nuit pas à l’instance et ne nuit pas aux intérêts d’une autre partie, le contenu superflu et embarrassant peut être exclu. Cette approche favorise la dignité des participants devant le Tribunal, qui ne devraient pas être indûment humiliés publiquement pour des questions qui n’ont aucun lien avec l’instance, et fait donc en sorte que l’instruction des affaires devant le Tribunal se déroule de manière respectueuse.

[9] La divulgation du contenu caviardé par Mme Cherette qui sera communiqué par suite de la présente ordonnance est sujette à des restrictions. C’est-à-dire que la divulgation ne sera faite qu’aux avocats des autres parties et à l’un de leurs représentants, sauf ordonnance contraire du Tribunal.

[10] La requête de Mme Cherette en vue d’obtenir une ordonnance de confidentialité visant le contenu qu’elle a caviardé, pour l’étape de la divulgation en l’espèce et pour l’audience, est rejetée sans préjudice à son droit de présenter la même requête ou une requête similaire lors de l’audience, si les dossiers médicaux sont présentés en preuve.

III. QUESTIONS EN LITIGE

[11] Voici les questions à trancher dans la présente décision :

1) Les caviardages proposés par Mme Cherette aux entrées de ses dossiers médicaux doivent-ils être conservés?

2) Les dossiers médicaux de Mme Cherette dans leur intégralité ou les entrées caviardées de ces dossiers médicaux doivent-ils faire l’objet d’une ordonnance de confidentialité?

[12] Pour trancher ces questions, je dois répondre à quatre questions, dont la première a été tranchée avant que les parties n’aient déposé leurs documents de requête :

1. Quel est le processus adéquat à suivre afin de trancher ces questions d’une manière qui protège la confidentialité du contenu en litige jusqu’à ce que la décision sur requête soit rendue?

2. Le contenu caviardé par Mme Cherette dans ses dossiers médicaux, qui devrait rester confidentiel selon elle et selon la Commission, est-il potentiellement pertinent pour la présente instance?

3. Si le contenu d’un document n’est pas pertinent, devrait-il être caviardé?

4. Une ordonnance de confidentialité devrait-elle être rendue en ce qui concerne le contenu caviardé au motif qu’il existe un risque sérieux de divulgation de renseignements personnels au sens de l’alinéa 52(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, dans sa version modifiée (la « Loi »)?

IV. CONTEXTE DE LA PLAINTE

[13] Mme Cherette allègue qu’Air Canada a fait preuve de discrimination à son égard en raison des caractéristiques protégées que sont la race, la couleur et le sexe. Elle affirme qu’il y a eu discrimination alors qu’elle voyageait avec des membres de sa famille sur un vol exploité par Air Canada. Mme Charette allègue que les membres de sa famille ont reçu un mauvais service et ont été traités de manière très impolie par le personnel d’Air Canada en raison d’un problème de sièges à la porte d’embarquement. Elle affirme que sa belle-sœur, qui est blanche, a été contrariée par le personnel d’Air Canada, principalement la personne préposée au point d’entrée. Mme Cherette, qui est noire, a expliqué qu’elle s’est adressée à cette personne d’une façon calme pour soutenir sa famille. Elle allègue que la personne préposée au point d’entrée l’a déraisonnablement accusée d’être hostile et a menacé de la retirer de la zone d’embarquement et de lui retirer sa carte d’embarquement et son passeport. Mme Cherette affirme que la personne préposée au point d’entrée l’a perçue comme étant une [traduction] « femme noire en colère » en se fondant sur un stéréotype. En raison de ses croyances discriminatoires, cette personne a jugé qu’elle était menaçante et l’a traitée de façon défavorable par rapport à sa belle-sœur. Mme Charette et les membres de sa famille ont été autorisés à embarquer sur le vol, mais Mme Cherette allègue qu’elle a subi divers préjudices en raison de la discrimination dont elle a fait l’objet.

V. CONTEXTE PROCÉDURAL

[14] Les questions de divulgation sont traitées avant l’audience dans l’intérêt de l’équité, au cours du processus de gestion de l’instance mené par le Tribunal. Les parties ont échangé des exposés des précisions, des listes de témoins et ont divulgué des documents qu’elles estiment potentiellement pertinents. En vertu des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 (les « Règles ») les parties doivent déposer une liste de documents et divulguer à l’autre partie les documents potentiellement pertinents.

[15] Il n’est pas contesté que les dossiers médicaux de Mme Cherette sont potentiellement pertinents en ce qui concerne sa plainte de discrimination. Elle affirme avoir subi à la fois des préjudices psychologiques et physiques à la suite de la discrimination dont elle a fait l’objet. Il s’agit de questions qui sont pertinentes quant à la réparation dans la présente instance. S’il conclut qu’il y a eu discrimination, le Tribunal devra décider s’il convient d’accorder des dommages-intérêts généraux pour préjudice moral et en déterminer le montant. Les dossiers médicaux sont potentiellement pertinents pour ces questions.

[16] Il existe une autre question relative à la réparation pour laquelle les dossiers médicaux sont potentiellement pertinents. Dans sa défense, Air Canada s’appuie sur la Convention de Montréal pour affirmer que le Tribunal ne devrait pas adjuger des dommages-intérêts généraux pour « préjudice moral » en raison de préjudices psychologiques ou émotionnels connexes. Cette Convention est un accord international entre plusieurs pays, dont le Canada, qui s’applique au transport aérien international. Air Canada affirme que, selon la Convention de Montréal, les compagnies aériennes ne sont pas tenues de verser des dommages-intérêts pour préjudice moral aux passagers sauf dans certaines circonstances. Selon Air Canada, la seule exception autorisée par la Convention de Montréal qui est pertinente quant à la présente plainte concerne les cas où un passager subit une lésion corporelle dans des circonstances prévues au paragraphe 1 de l’article 17 de la Convention. Air Canada affirme que, pour que Mme Cherette reçoive des dommages-intérêts pour préjudice émotif ou psychologique, elle doit démontrer qu’elle a subi une « lésion corporelle » ou que son état psychologique allégué a été causé par une « lésion corporelle » ou y est associé, au sens du paragraphe 1 de l’article 17.

[17] Mme Cherette a modifié son exposé des précisions pour inclure l’allégation selon laquelle la discrimination présumée d’Air Canada lui a causé des préjudices physiques et psychologiques; elle a également modifié sa liste de documents pour inclure ses dossiers médicaux. Mme Cherette affirme qu’elle a subi une lésion corporelle puisque la discrimination dont elle affirme avoir été victime lui a causé des migraines constantes. Elle affirme également que ses problèmes de santé psychologiques ou émotionnels ont été causés par une « lésion corporelle » ou y sont associés en conséquence de la discrimination alléguée.

[18] En plus de son intention de témoigner à l’audience, Mme Cherette se fonde sur les dossiers médicaux établis lors de consultations avec son médecin de famille après la discrimination alléguée, comme preuve documentaire des préjudices physiques et psychologiques subis. Mme Cherette a remis des copies de ses dossiers médicaux aux autres parties avec sa liste de documents modifiée, comme l’exigent les Règles. Cependant, comme je l’ai déjà expliqué, avant de le faire, elle a caviardé le contenu en cause dans la présente requête pour des motifs liés à des préoccupations en matière de protection de la vie privée.

[19] Personne ne conteste que les dossiers médicaux de Mme Cherette sont potentiellement pertinents pour la présente instance. Ses dossiers médicaux devaient être divulgués aux autres parties à l’étape préalable à l’audience de la présente instruction, sous réserve de tout caviardage autorisé par le Tribunal.

VI. POSITION DES PARTIES SUR LE BIEN-FONDÉ

A. Mme Cherette

[20] Mme Cherette affirme que la divulgation du contenu caviardé lui causerait une contrainte excessive. Elle décrit la contrainte excessive comme correspondant à une anxiété sévère et à une détresse émotionnelle. Mme Cherette affirme également que la divulgation de certains des renseignements caviardés portera atteinte à sa réputation et à sa dignité. Elle indique que toute autre divulgation pourrait entraîner une stigmatisation, une discrimination ou un jugement injustifié de la part du public. Elle ajoute que cette contrainte excessive pourrait entraîner des répercussions sur sa vie émotionnelle, personnelle, sociale et professionnelle.

[21] Mme Cherette se fonde sur l’arrêt North American Trust Co. v. Mercer International Inc., 1999 CanLII 4550 (BC SC), 71 B.C.L.R. (3d) 72 (B.C.S.C.) [Mercer], au paragraphe 13. Elle soutient que cette affaire confirme qu’une partie n’est pas tenue de faire une divulgation qui n’aidera pas à régler les questions en litige, mais qui ne fera que causer de l’embarras ou un préjudice.

B. Air Canada

[22] Air Canada a fait valoir qu’en tant qu’intimée, elle a droit à la divulgation non seulement du contenu qui appuie l’allégation de Mme Cherette, mais également du contenu qui réfute l’allégation. Air Canada soutient, à titre d’exemple, que le contenu caviardé des dossiers médicaux pourrait établir que les répercussions sur la santé que Mme Cherette attribue à la discrimination alléguée ont été causées par un autre incident ou un autre problème de santé.

VII. ANALYSE

Question 1. Quel processus convient-il de suivre pour déterminer si les caviardages sont appropriés et protéger en même temps la confidentialité du contenu en litige jusqu’à ce que la requête soit tranchée?

(i) Examen préliminaire des documents par les parties

[23] Mme Cherette a soulevé, dans le cadre de la gestion de l’instance, la question de la non-pertinence des entrées caviardées et a demandé des directives sur la façon de procéder pour que le contenu qu’elle a caviardé soit déclaré confidentiel. Aux fins de l’étape de la divulgation de l’instance, il est convenable que les parties cernent à l’avance le contenu non pertinent des documents à divulguer ou le contenu potentiellement pertinent qui soulève des préoccupations de confidentialité.

[24] Dans la présente affaire, le Tribunal a demandé aux parties, lors de la gestion de l’instance, de déterminer, compte tenu du contexte saisi à la suite de l’examen des dossiers caviardés, si elles pouvaient convenir que le contenu caviardé devrait rester confidentiel. Il leur a également demandé de fournir des explications simples, sans communiquer le contenu réel, dans un premier temps. Comme je l’ai précisé, Mme Cherette a indiqué qu’elle serait encore plus traumatisée si les autres parties lisaient le contenu caviardé. Elle s’est opposée à ce que l’avocat de l’intimée ou les avocats de la Commission examinent les dossiers non caviardés. Dans l’affaire Peters c. United Parcel Service du Canada Ltd. et Gordon, 2020 TCDP 19, aux paragraphes 83-84, le Tribunal a reconnu qu’il existe un droit préexistant à la protection de la vie privée à l’égard des dossiers médicaux d’une personne. Le Tribunal a déterminé qu’il ne convient pas que les caviardages contestés soient examinés par l’avocat de la partie intimée lorsque la partie plaignante s’oppose au processus. Dans ces circonstances, il est plus approprié que ce rôle revienne au Tribunal.

[25] Les parties ont convenu, dans un premier temps, d’examiner les dossiers caviardés et de déterminer si elles pouvaient parvenir à un consensus sur la question de savoir si les caviardages nécessitaient l’évaluation du Tribunal. L’avocat d’Air Canada n’a pas examiné le contenu des parties caviardées des dossiers médicaux.

(ii) Examen par le Tribunal des documents non caviardés et des documents caviardés

[26] L’examen des documents caviardés et les discussions entre les parties ne leur ont pas permis de parvenir à un consensus. Puisque l’instruction de la présente plainte se trouve à l’étape de la divulgation, j’ai déterminé, dans le cadre de la gestion de l’instance, la méthode à suivre pour trancher la requête, en consultation avec les parties et avec leur accord. Le processus a été simplifié dans le cadre de la gestion de l’instance et le nombre des questions à traiter dans la requête a été réduit afin de circonscrire les questions à trancher et dans un souci d’efficacité. Le règlement des questions opéré dans le cadre de la gestion de l’instance a fait l’objet d’un accord.

[27] Afin de protéger la confidentialité du contenu en litige jusqu’à ce que la requête puisse être tranchée, les parties ont convenu conjointement de soumettre les dossiers médicaux non caviardés et les versions caviardées proposées au Tribunal pour qu’il les examine en vue de la présente décision sur requête. Toutes les parties ont convenu que le Tribunal devrait examiner le contenu caviardé et décider si ce contenu est potentiellement pertinent et doit être divulgué ou s’il est non pertinent, personnel et sensible et devrait être caviardé.

(iii) La requête en confidentialité de la plaignante concernant les documents caviardés divulgués aux autres parties est superflue

[28] Comme je l’ai déjà expliqué, Mme Cherette a demandé que le contenu caviardé de ses dossiers médicaux soit visé par une ordonnance de confidentialité, qui, selon mes indications, serait nécessaire pour préserver les caviardages si le contenu caviardé est potentiellement pertinent. Mme Cherette souhaitait qu’une ordonnance de confidentialité s’applique au contenu caviardé à l’étape de la divulgation de la présente instance.

[29] Dans certaines affaires, le Tribunal a rendu des ordonnances de confidentialité concernant la manière dont les dossiers médicaux peuvent être utilisés entre le moment où ils sont divulgués et le moment où ils sont admis en preuve à l’audience, comme dans l’affaire Clegg c. Air Canada, 2019 TCDP 3. Cependant, comme il a été expliqué aux parties dans le cadre de la gestion de l’instance, une ordonnance de confidentialité est rarement nécessaire pour garantir la confidentialité des documents divulgués à d’autres parties à l’étape de la divulgation de l’instance.

[30] À l’étape de la divulgation de l’instance, les documents en soi ne sont pas déposés au greffe du Tribunal. Il n’est donc pas nécessaire de rendre une ordonnance de confidentialité à cette étape pour empêcher l’accès du public aux documents, puisque les documents ne font pas partie du dossier officiel (en possession du) Tribunal. En général, les documents qui sont divulgués à d’autres parties ne font pas partie du dossier officiel de l’instance devant le Tribunal à moins qu’ils ne soient déposés auprès du Tribunal à l’appui d’une requête dans le cadre d’un « dossier de requête » ou lorsqu’ils sont admis en preuve à l’audience et font partie du dossier de preuve officiel de l’audience relative à la plainte.

[31] Tout document divulgué à une autre partie lors d’une procédure judiciaire fait l’objet d’un engagement implicite de confidentialité. Par conséquent, le document en question ne peut être divulgué ni utilisé hors instance, à moins que sa divulgation ne soit requise par une assignation à comparaître ou une ordonnance judiciaire, ce qui n’arrive habituellement pas. L’engagement implicite de confidentialité est essentiellement une règle implicite, et une règle importante, qui s’applique aux parties à un litige qui sont tenues de divulguer des documents confidentiels ou des documents dont la production est contraire à leur intérêt, comme c’est le cas en l’espèce. Mme Cherette n’est pas tenue de déposer une requête pour s’assurer que les autres parties n’utiliseront pas les documents médicaux qu’elle divulgue dans sa liste modifiée de documents, hors la présente instance. L’engagement implicite de confidentialité s’applique sans qu’il soit nécessaire de présenter une requête ni que le Tribunal rende une ordonnance en conséquence.

[32] Mme Cherette s’est dite sceptique à l’égard de la capacité de l’avocat d’Air Canada à préserver la confidentialité de ses renseignements médicaux. Les avocats d’Air Canada sont légalement et éthiquement tenus de se conformer à la règle et de respecter la confidentialité sans conditions et de faire de leur mieux pour s’assurer que l’intimée en fait autant. Mme Cherette n’a présenté aucun élément de preuve à l’appui de ses préoccupations. Une preuve est nécessaire pour établir qu’un intimé ou son avocat n’est pas susceptible de se conformer à la règle implicite de confidentialité. Les spéculations ne suffisent pas. L’avocat de l’intimée est un avocat plaidant expérimenté. En l’absence de preuve contraire, il est présumé en droit qu’il respectera ses obligations professionnelles. Une ordonnance imposant la confidentialité aux autres parties à l’étape de la divulgation est inutile.

(iv) Préserver la confidentialité des documents déposés dans la requête en attendant l’issue de la décision sur requête

[33] Comme je l’ai déjà mentionné, il a été convenu que les dossiers médicaux non caviardés de Mme Cherette seraient déposés auprès du Tribunal pour examen, dans le cadre de sa requête. Les documents déposés auprès du Tribunal à l’appui d’une requête dans le cadre d’un « dossier de requête » font partie du dossier officiel de l’instance devant le Tribunal. Cependant, le paragraphe 52(2) de la Loi permet au Tribunal de rendre une ordonnance de confidentialité provisoire jusqu’à ce qu’il puisse rendre une décision sur la requête s’il estime qu’une telle ordonnance provisoire est une mesure appropriée.

[34] Comme on ne savait pas au moment où Mme Cherette a déposé ces documents si la partie caviardée de ses documents resterait caviardée, j’ai rendu une ordonnance de confidentialité provisoire sur les dossiers médicaux figurant dans le dossier de requête afin qu’ils soient scellés et ne puissent être examinés que par moi-même aux fins de la présente décision.

[35] La copie des dossiers non caviardés que Mme Cherette a envoyés au greffe du Tribunal restera scellée comme partie intégrante du dossier de requête. Mme Cherette procédera à toute nouvelle divulgation de ses dossiers médicaux qui pourrait être requise à la suite de l’issue de sa requête.

(v) Lorsqu’une requête au titre du paragraphe 52(1) de la Loi est requise

[36] Dans le cadre de la gestion de l’instance, les parties ont été informées qu’une partie doit présenter une demande au titre du paragraphe 52(1) de la Loi si elle souhaite faire valoir la confidentialité d’un document d’une manière ou dans une mesure allant au-delà de celle prévue par l’engagement implicite de confidentialité qui s’attache aux documents divulgués à l’étape préalable à l’audience ou souhaite rendre confidentiel tout document ou question pertinents à l’étape de l’audience de l’instance. Aux termes de ce paragraphe, « [l]’instruction est publique, mais le membre instructeur peut, sur demande en ce sens, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance pour assurer la confidentialité de l’instruction […] » (non souligné dans l’original).

[37] Le paragraphe 26(1) des Règles s’applique aux demandes ou à ce que le Tribunal nomme une « requête ». L’article 26 des Règles exige qu’une requête soit présentée au moyen d’un avis écrit qui indique l’ordonnance sollicitée et les motifs à l’appui. Cependant, le paragraphe 26(1) des Règles accorde également au Tribunal le pouvoir discrétionnaire de décider au cas par cas de la façon dont la demande ou la requête doit être présentée. Par exemple, le cas échéant, dans un souci d’efficacité, une demande ou une requête informelle peut être présentée verbalement pendant la gestion de l’instance, ou par lettre, mais le paragraphe 52(1) de la Loi exige la présentation d’une demande ou d’une requête formelle.

[38] Dans la présente affaire, Mme Cherette a inclus dans sa requête une demande d’ordonnance de confidentialité au titre du paragraphe 52(1) pour l’ensemble de l’instance (y compris l’audience). Une demande ou une requête était requise. Les parties ont demandé que leurs observations concernant la requête soient fournies par écrit. Cependant, Mme Cherette, qui agit pour son propre compte, a été déchargée de l’obligation de déposer un « avis de requête » officiel avec l’ébauche de son projet d’ordonnance, ou de fournir un projet d’ordonnance, comme les parties sont tenues de le faire. Mme Cherette devait fournir une déclaration écrite indiquant expressément la réparation qu’elle demandait. L’exigence prévue à l’article 26 des Règles voulant qu’une partie qui demande une ordonnance au Tribunal précise clairement la nature de celle-ci s’impose à la lumière des exigences relatives aux demandes présentées au titre du paragraphe 52(1) et est appropriée.

[39] En fait, dans ses observations relatives à la requête, Mme Cherette n’a pas fourni une déclaration en tant que telle pour énoncer clairement les mesures demandées. Cependant, j’ai pu déterminer l’ordonnance sollicitée, à la suite d’un examen global des documents de requête et de la correspondance de Mme Cherette. Elle demande que ses caviardages soient conservés et qu’une ordonnance de confidentialité soit rendue sur le contenu caviardé aux fins de la présente instance. Sa requête et l’ordonnance demandée portent uniquement sur le contenu caviardé aux fins de la présente instance. Ses autres commentaires sur les issues possibles sont des réponses aux positions prises par d’autres parties.

(vi) Résoudre la question relative aux positions contradictoires des parties concernant la réparation à accorder

[40] La réparation à envisager dans le cadre de la présente requête concerne les questions de savoir si 1) le contenu des dossiers médicaux peut être caviardé pour non-pertinence et, le cas échéant, s’il devait être caviardé pour des raisons de protection de la vie privée; et si 2) si une ordonnance de confidentialité devait être rendue concernant tout contenu caviardé au motif qu’il existe un risque réel que la divulgation de renseignements personnels cause à Mme Cherette ou au tiers des contraintes excessives qui l’emporteraient sur le principe de la publicité de la justice, au sens de l’alinéa 52(1)c) de la Loi.

[41] Toutefois, les parties ont abordé la présente requête différemment lorsqu’elles ont déposé des observations écrites et elles ont demandé des ordonnances de confidentialité contradictoires. Essentiellement, les observations des parties en faveur de la requête étaient à contre-courant. Cela s’est produit même si les parties s’étaient entendues sur la méthode à suivre aux fins du règlement de la requête dans le cadre de la gestion de l’instance.

[42] Comme je l’ai déjà indiqué, les parties voulaient déposer des observations pour étayer leurs positions et ont été autorisées à le faire. Elles voulaient également m’aider elles-mêmes à examiner les dossiers médicaux. J’ai présumé que les observations s’inscriraient dans les paramètres de la réparation possible à accorder, conformément aux discussions menées lors de la gestion de l’instance. Néanmoins, Air Canada a adopté une approche différente dans ses observations et a proposé une ordonnance substitutive pour la première fois dans sa réponse aux documents de requête de Mme Cherette. Air Canada a informé le Tribunal qu’elle avait consenti à une ordonnance de confidentialité concernant l’intégralité des dossiers médicaux non caviardés, étant donné qu’elle recevrait une divulgation complète, y compris le contenu caviardé. Selon Air Canada, cette approche établirait un juste équilibre entre les préoccupations de Mme Cherette en matière de protection de la vie privée et l’équité procédurale à l’égard de ses intérêts.

[43] La Commission s’y est opposée au motif qu’Air Canada n’avait pas suivi les directives du Tribunal. Selon la Commission, l’ordonnance proposée par Air Canada ne servirait à rien. La Commission a souligné que Mme Cherette ne demande pas d’ordonnance de confidentialité à l’égard de renseignements médicaux potentiellement pertinents. La Commission a soutenu que l’ordonnance proposée par Air Canada pour un accès sans restriction aux renseignements médicaux privés de Mme Cherette (bien que sujet à une ordonnance de confidentialité) contredisait l’approche du Tribunal consistant à examiner les dossiers médicaux dans leur intégralité et à rendre une décision sur la question de savoir si les caviardages proposés par Mme Cherette étaient appropriés.

[44] Je souscris à l’objection de la Commission concernant la position qu’Air Canada adopte maintenant dans ses observations et au raisonnement à l’appui de son objection. Afin de protéger la vie privée de Mme Cherette, à titre provisoire, le Tribunal a décidé qu’Air Canada n’examinerait pas le contenu caviardé. Mme Cherette a eu du mal à déterminer comment expliquer ses préoccupations en matière de protection de la vie privée concernant le contenu caviardé sans le dévoiler : Hadani v. Hadani, 2012 BCSC 1142 (CanLII), au paragraphe 34. Selon les directives concernant la requête, le Tribunal déciderait si le contenu caviardé devait être privé et rester caviardé, ce qui ne serait autorisé que s’il n’était pas pertinent, et que le contenu caviardé serait divulgué s’il était potentiellement pertinent. Cette approche procédurale est conforme à la responsabilité du Tribunal consistant à déterminer ce qui est potentiellement pertinent et ce qui ne l’est pas. Pendant la gestion de l’instance, les parties ont convenu que la pertinence potentielle était la principale question en litige qui devait être tranchée et que la présente requête serait tranchée en conséquence. De plus, la demande d’ordonnance de confidentialité présentée par Mme Cherette portait uniquement sur le contenu caviardé. Les parties ont convenu lors de la gestion de l’instance qu’une copie caviardée de ses dossiers médicaux pourrait être rendue publique.

[45] Le Tribunal commettrait une erreur de droit manifeste s’il adoptait la suggestion d’Air Canada et l’accord des parties selon lesquels le droit à la protection de la vie privée de Mme Cherette en ce qui concerne ses dossiers médicaux qui sont potentiellement pertinents pour la présente instance peut être garanti par une ordonnance de confidentialité, avec le consentement des parties. Il a été expliqué aux parties lors de la gestion de l’instance que leur consentement n’est pas suffisant pour accorder une ordonnance de confidentialité. Une ordonnance de confidentialité est requise si le contenu pertinent est potentiellement pertinent pour l’instance. Une ordonnance concernant un contenu potentiellement pertinent ne peut être accordée que conformément à l’article 52 de la Loi. Lorsque la question en litige concerne la divulgation de renseignements personnels, la partie qui demande une telle ordonnance doit établir, à l’aide d’éléments de preuve, que les personnes concernées subiraient des contraintes excessives qui ne sont pas contrebalancées par l’intérêt de la société à ce que les procédures soient ouvertes au public. La position d’Air Canada concernant l’alinéa 52(1)c) est contraire à la loi.

[46] La position procédurale d’Air Canada contredit les directives du Tribunal (fondées sur le consentement des parties) selon lesquelles il examinera les renseignements médicaux caviardés et rendra une décision sur leur pertinence potentielle. Sa position porte également sur une demande superflue d’ordonnance. Mme Cherette reconnaît que les documents qu’elle présente et qui contiennent des renseignements médicaux potentiellement pertinents peuvent être rendus publics. Si le Tribunal est d’accord avec sa position sur le contenu qui doit être caviardé, il ne sera pas nécessaire d’ordonner la confidentialité de tous ses dossiers médicaux.

[47] La proposition d’Air Canada selon laquelle ses avocats auraient un accès illimité aux renseignements médicaux privés en échange d’une ordonnance de confidentialité nie le droit de Mme Cherette de faire entendre et trancher par le Tribunal son objection à la divulgation. À mon avis, aborder les questions de la manière convenue dans le cadre de la gestion de l’instance est légalement requis et établit un juste équilibre entre les préoccupations de Mme Cherette en matière de protection de la vie privée et l’équité procédurale à l’égard d’Air Canada.

Question 2. Le contenu caviardé par Mme Cherette dans ses dossiers médicaux est-il potentiellement pertinent en l’espèce?

[48] Le contenu caviardé peut être séparé en deux catégories : le contenu A et le contenu B. Le contenu A, à la page 19 de 35 des dossiers médicaux, n’est pas potentiellement pertinent pour la présente instance. Le contenu B, aux pages 10 et 18 de 35, est potentiellement pertinent.

(i) Le contenu A n’est pas potentiellement pertinent

[49] Le contenu dont Mme Cherette demande le caviardage et que j’ai décrit comme étant le contenu A n’est pas pertinent aux questions à trancher dans la présente plainte. Le contenu n’aidera pas le Tribunal à statuer, dans le cadre de la présente instruction, sur la véracité des faits allégués puisqu’il n’est pas pertinent. Ce n’est pas un contenu qui doit être divulgué pour des motifs d’équité, puisque le contenu caviardé n’est potentiellement pas pertinent aux questions en litige dans la présente affaire.

[50] Le contenu porte sur un problème temporaire, ayant duré environ un mois, qui est survenu des années après la discrimination alléguée et qui s’était déjà résorbé au moment où Mme Cherette a consulté son médecin. Les symptômes éprouvés sont bien décrits et ne chevauchent pas ceux que Mme Cherette prétend avoir été causés par la discrimination. Il est peu plausible que ce qui est décrit dans ce contenu caviardé puisse être pertinent en ce qui concerne les symptômes que Mme Cherette prétend avoir été causés par la discrimination et ce contenu n’est pas pertinent pour réfuter ses allégations. Quoi qu’il en soit, la discrimination alléguée, le cas échéant, s’est produite bien plus tôt, éliminant ainsi toute question relative au lien de causalité. Le contenu n’est pas pertinent quant à la réparation puisque Mme Cherette ne demande évidemment aucune indemnité relativement au contenu caviardé. Son médecin l’a envoyée passer un test pour confirmer qu’il ne se passait rien de préoccupant et ce sujet n’est jamais plus mentionné dans ses dossiers. Il est raisonnable de déduire que le contenu A n’est en aucun cas pertinent en ce qui concerne la présente plainte.

(ii) Le contenu B est potentiellement pertinent

[51] Mme Cherette a mis sa santé sous les feux des projecteurs dans la présente instance. Lorsqu’un plaignant fonde son affaire sur son état de santé, l’intimé a droit à des renseignements sur la santé qui peuvent avoir trait à sa réclamation. La décision Guay c. Canada (Gendarmerie royale), 2004 TCDP 34, l’énonce clairement au paragraphe 45 :

En l’espèce, la plaignante demande une compensation financière pour préjudices physiques et moraux. Le droit à la confidentialité est alors éclipsé par le droit du défendeur de connaître les motifs et la portée de la plainte dont il fait l’objet. La justice, dans des procédures en matière de droits de la personne, exige que l’on permette à la partie intimée de présenter une défense pleine et entière à l’argumentation de la partie plaignante. Si la plaignante plaide sa cause en se fondant sur son état de santé, l’intimée a le droit d’obtenir les renseignements de santé pertinents qui peuvent avoir trait à la réclamation.

[52] Le contenu B est potentiellement pertinent et doit être divulgué. Plus important encore, des parties du contenu B apparaissent dans les dossiers médicaux à proximité immédiate de références aux migraines et au stress, soit des symptômes et des problèmes de santé précis que Mme Cherette attribue, au moins en partie, à la discrimination qu’elle prétend avoir subie. Bien que le contenu B puisse, en fait, porter sur un sujet qui n’intéresse pas ces symptômes et problèmes de santé précis, il s’agit d’un élément de preuve documentaire qui appelle des précisions à cet égard. À la seule lecture des dossiers, je ne peux pas exclure la pertinence potentielle du contenu caviardé proposé. Le contenu caviardé et le contenu concernant les migraines et le stress apparaissent dans les notes prises lors de la même visite chez le médecin. Certains patients qui éprouvent le problème de santé en question peuvent présenter des symptômes semblables à ceux pour lesquels Mme Cherette réclame une indemnité à Air Canada. La meilleure preuve quant à savoir si ces questions sont liées ou non nécessiterait l’exercice d’une expertise médicale de la part du médecin qui a consulté Mme Cherette à ces dates. Aucune preuve ne m’a été fournie par le médecin qui a effectué ces entrées aux fins de la présente requête qui permette d’établir que le contenu B n’était aucunement lié aux symptômes qui apparaissent à proximité sur la page. En raison de son emplacement sur la page et de la connexion temporelle partagée, le contenu caviardé semble potentiellement pertinent ou peut chevaucher des symptômes et des problèmes de santé précis que Mme Cherette attribue à la discrimination qu’elle prétend avoir subie. Cela ne peut être clarifié que par des éléments de preuve supplémentaires.

(iii) Les parties du contenu B concernant un tiers

[53] Mme Cherette a souligné que les entrées qu’elle a caviardées font indirectement référence à un tiers. Elle a soutenu que le contenu pourrait être préjudiciable au tiers s’il était divulgué. Le tiers n’est pas nommé, mais il est possible de l’identifier, en théorie, par son lien de parenté. Il n’est pas possible de supprimer uniquement les renseignements relatifs à l’identité du tiers. Le contenu B en serait dénué de sens.

[54] Sous réserve d’une seule préoccupation potentielle, je n’accepte pas que le contenu B puisse nuire au tiers. La majeure partie du contenu B n’est pas controversée et n’entraînerait pas de préjudice puisqu’elle reflète des problèmes de santé typiques associés à l’état en question. Il n’y a rien d’objectivement embarrassant concernant la condition en cause ou d’autres questions liées à cette condition ou aux développements ultérieurs mentionnés dans le contenu B. Si c’est le cas, Mme Cherette n’a pas donné d’explication à cet égard.

[55] Cependant, je reconnais que deux commentaires concernant le contenu B que le médecin qui a pris les notes semble attribuer à Mme Cherette pourraient, s’ils étaient connus du public, être mal interprétés et éventuellement perçus de façon négative et ainsi causer de l’embarras. Il est également raisonnable que Mme Cherette s’inquiète de la façon dont ces commentaires pourraient être interprétés par le tiers.

[56] Je conviens que l’inquiétude de Mme Cherette est compréhensible, mais j’estime que les commentaires en question ne sont pas nécessairement aussi préjudiciables sur le plan émotionnel qu’elle le craint. Une personne raisonnable et informée doit être consciente que les commentaires peuvent refléter des réactions normales de personnes vivant avec le problème de santé en question. Des témoignages supplémentaires à l’audience, notamment de la part de Mme Cherette ou de son médecin, pourraient préciser s’il s’agissait d’une réaction normale si les propos étaient admis en preuve. Il n’est peut-être pas nécessaire que les commentaires soient admis en preuve.

[57] Pour tenter de trouver une solution possible avant l’audience afin de répondre au caractère sensible de ces deux commentaires, le Tribunal aura une discussion informelle et officieuse avec les parties.

[58] Bien que ces deux notes comprennent des renseignements de nature sensible et personnelle sur la santé qui peuvent causer de la gêne ou une crainte d’embarras pour Mme Cherette ou causer un degré inconnu de bouleversement émotionnel chez le tiers, ce contenu est néanmoins potentiellement pertinent. Il doit être divulgué puisque la présente instance en est à l’étape de la divulgation. Tout le contenu potentiellement pertinent des documents doit être divulgué dès maintenant.

[59] Cependant, étant donné que les parties sont à l’étape de la divulgation de la présente instance, les deux commentaires susceptibles de bouleverser émotionnellement Mme Cherette ou le tiers et qui figurent dans le contenu B ne deviendront pas des renseignements publics en raison de l’engagement implicite de confidentialité, à moins qu’ils ne soient admis en preuve à l’audience. Si le contenu B est admis en preuve à l’audience, une requête peut être présentée à ce moment-là, au besoin, pour obtenir une ordonnance de confidentialité.

[60] À cette étape, Mme Cherette n’a présenté aucun élément de preuve qui précise quelle serait la contrainte excessive pour le tiers causée par les commentaires de nature sensible, si ce n’est que ma propre supposition. Je rappelle à Mme Cherette qu’une requête visant une ordonnance de confidentialité nécessite qu’elle prouve que la divulgation en question causerait une contrainte excessive.

Question 3. Existe-t-il un fondement raisonnable et objectif permettant de supprimer le contenu A pour non-pertinence?

[61] Il n’est pas toujours nécessaire ou souhaitable de caviarder le contenu non pertinent des dossiers médicaux. La plupart des documents divulgués dans le cadre d’une procédure judiciaire comportent un contenu qui n’est pas du tout pertinent quant aux questions en litige dans la procédure ou dont la pertinence est indirecte. Il n’est pas nécessaire que les parties évitent de produire des documents parce que certaines parties ne sont pas pertinentes. Dans la décision Mercer, le juge Lowry s’est exprimé ainsi au sujet de cette pratique, au paragraphe 13 :

[traduction]

[13] Suivant les règles de notre Cour, une partie ne peut pas éviter de produire un document dans son intégralité simplement parce que certaines parties ne sont peut-être pas pertinentes. Le document doit être produit dans son intégralité si une partie de celui-ci porte sur une affaire en question. Mais lorsque la nature des renseignements qui ne sont manifestement pas pertinents est telle qu’il existe de bonnes raisons de ne pas les divulguer, une partie peut être dispensée de devoir faire une divulgation qui ne servira en aucune façon à trancher les questions en litige. Dans le cadre du processus judiciaire, la Cour ne permettra pas à une partie de tirer un avantage indu ou de créer de l’embarras injustifié en exigeant qu’une autre partie divulgue une partie d’un document qui pourrait causer un préjudice considérable sans avoir une fin légitime quant au règlement des questions en litige.

[62] Si les parties, les cours et les tribunaux adoptaient la pratique de caviarder tout contenu non pertinent de tous les documents divulgués, notre système juridique se retrouverait soudainement paralysé. Il n’est ni réaliste ni durable pour les cours ou le Tribunal d’adopter une telle pratique. Les parties et leurs avocats partent plutôt du principe implicite que tout contenu non pertinent qui ne crée pas de problème pour une partie à l’instance sera ignoré. Pour que les parties soient autorisées à procéder à des caviardages, la simple non-pertinence du contenu en question ne suffit pas. Il doit y avoir un intérêt en jeu qui doit être protégé.

[63] Les cours et les tribunaux ont reconnu que le respect de la vie privée est un intérêt légitime dans le contexte d’intérêts commerciaux tels que les secrets commerciaux et les questions impliquant la sécurité publique, par exemple.

[64] Ils ont expliqué que, lorsque des intérêts en matière de protection de la vie privée sont en jeu à l’égard d’un contenu manifestement non pertinent, aucune ordonnance de confidentialité n’est nécessaire au titre de l’article 52 de la Loi pour caviarder le contenu non pertinent. Les informations d’identification personnelle, telles que les numéros de téléphone, les adresses, les numéros d’assurance sociale et les renseignements bancaires, peuvent être présentes dans les documents qui seront divulgués à l’étape préalable à l’audience. Ces documents pourraient éventuellement devenir des pièces plus tard lors de l’audience. Si les informations d’identification personnelle ne sont pas pertinentes quant aux questions en litige, ce qui est généralement le cas, elles ne doivent pas être exposées dans les documents pour des raisons de protection de la vie privée. Ce type de contenu personnel est souvent caviardé par les parties à la suite d’un accord, sans qu’il soit nécessaire d’obtenir une ordonnance de confidentialité. Toutefois, le Tribunal doit approuver tous les caviardages de documents divulgués au cours d’une instance et en donner l’approbation finale. Les caviardages doivent être effectués sur avis au Tribunal et avec l’accord du Tribunal selon lequel le contenu décrit n’est pas pertinent à la plainte en matière de droits de la personne : Davidson c. Affaires mondiales Canada, 2023 TCDP 52 [Davidson], aux paragraphes 32-34.

[65] En l’espèce, il existe un fondement raisonnable et objectif pour caviarder le contenu A pour non-pertinence. Le contenu non pertinent est de nature personnelle et plutôt intime. Une personne raisonnable et objective, au courant de toutes les circonstances estimerait que sa divulgation causerait inutilement beaucoup d’embarras à Mme Cherette, ce qui doit être évalué de façon objective et non subjective en fonction des opinions d’une partie. L’évaluation selon laquelle le contenu A ne devrait pas être divulgué est fondée sur l’examen de ce contenu, et non sur les croyances subjectives de Mme Cherette. Puisque le Tribunal a déterminé que le contenu des dossiers médicaux n’est pas pertinent et serait considéré, objectivement et raisonnablement, comme embarrassant, il peut être caviardé sans qu’il soit nécessaire d’obtenir une ordonnance de confidentialité ni de prouver une contrainte excessive. Cette approche favorise la manière respectueuse dont les procédures devant le Tribunal sont menées en protégeant la dignité des participants, le cas échéant. Les parties ne devraient pas être inutilement embarrassées pour des affaires qui ne sont pas pertinentes.

Question 4. Une ordonnance de confidentialité devrait-elle être rendue concernant le contenu A ou B au motif qu’il existe un risque réel que la divulgation de renseignements personnels cause des contraintes excessives à Mme Cherette ou au tiers?

(i) Exceptions à la règle de l’audience publique

[66] Comme on le comprend, l’instruction concernant la plainte pour violation des droits de la personne de Mme Cherette doit être publique en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi. En général, lorsqu’une partie s’appuie sur des documents lors d’une audience publique, ceux-ci ne peuvent rester confidentiels. Comme je l’ai également expliqué, Mme Cherette a demandé que le contenu qu’elle a caviardé soit visé par une ordonnance de confidentialité au motif qu’il existe un risque réel que la divulgation de renseignements personnels cause une contrainte excessive aux personnes concernées au sens de l’alinéa 52(1)c), dont voici le libellé :

52 (1) L’instruction est publique, mais le membre instructeur peut, sur demande en ce sens, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance pour assurer la confidentialité de l’instruction s’il est convaincu que, selon le cas :

[…]

c) il y a un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres de sorte que la nécessité d’empêcher leur divulgation dans l’intérêt des personnes concernées ou dans l’intérêt public l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique; […]

[67] Comme la requête est présentée par Mme Cherette, il incombe à celle-ci d’établir que la partie caviardée de ses dossiers médicaux répond aux critères prévus à l’alinéa 52(1)c) de la Loi permettant d’obtenir une ordonnance de confidentialité.

(i) Une ordonnance de confidentialité peut-elle être accordée sur consentement?

[68] Dans le cadre de la gestion de l’instance, les parties ont été informées que leur consentement à une ordonnance de confidentialité n’est pas déterminant quant au prononcé d’une ordonnance de confidentialité au titre du paragraphe 52(1) de la Loi. Dans l’affaire White c. Laboratoires Nucléaires Canadiens, 2020 TCDP 5 [White], toutes les parties ont présenté à la présidente Khurana leur consentement à la suite d’une demande d’anonymisation. Au paragraphe 50 de sa décision, la présidente Khurana a expliqué ainsi le pouvoir prépondérant de la Loi :

Je reconnais que les parties consentent à la demande d’anonymisation. En revanche, ce consentement ne peut pas être déterminant. Autrement dit, le consentement des parties n’est pas suffisant pour que j’écarte le libellé de l’alinéa 52(1)c) de la Loi ou les principes établis dans la jurisprudence qui exigent que les décideurs effectuent un exercice de pondération. Ce n’est pas parce qu’une partie demande une ordonnance de confidentialité et que personne ne s’y oppose que je peux ignorer le cadre analytique contraignant à appliquer pour déterminer s’il y a lieu de rendre une ordonnance de confidentialité. Je suis tenue de prendre en compte l’ouverture des processus judiciaires et de déterminer si la partie qui demande l’ordonnance a démontré qu’il existait un risque sérieux, bien étayé par la preuve, menaçant un intérêt important dans le contexte du litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque (voir les arrêts Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 SCC 41, [2002] 2 R.C.S. 522, aux paragraphes 48 et 53; Dagenais c. Société Radio-Canada, 1994 3 R.C.S. 835, [1994] S.C.J. No 104 et R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, [2001] 3 R.C.S. 442).

[69] Depuis l’affaire White, le Tribunal a confirmé dans d’autres décisions que le consentement des parties n’est pas suffisant pour accorder une ordonnance de confidentialité (voir Peters c. United Parcel Service Canada Ltd. et Gordon, 2022 TCDP 25; Davidson, précitée). Il s’agit désormais d’un point de droit bien établi.

(ii) Directives procédurales et commentaires sur les documents relatifs à la requête

[70] Le Tribunal a examiné les faits et les éléments de preuve présentés à l’appui et à l’encontre de la requête de Mme Cherette visant à obtenir une ordonnance de confidentialité concernant les caviardages initialement proposés. Il a également tenu compte du contenu qui ne sera désormais pas caviardé par ordonnance du Tribunal. Il conclut que la requête de Mme Cherette visant à obtenir une ordonnance de confidentialité ne peut pas être accordée compte tenu du dossier de requête actuel. Cependant, Mme Cherette peut renouveler sa demande d’ordonnance de confidentialité à l’audience.

[71] Comme je l’ai déjà mentionné, Mme Cherette avait l’intention de s’appuyer sur l’alinéa 52(1)c) de la Loi qui autorise le Tribunal à accorder une ordonnance de confidentialité lorsque « […] il y a un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres de sorte que la nécessité d’empêcher leur divulgation dans l’intérêt des personnes concernées ou dans l’intérêt public l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique […] » Pour invoquer ce motif, Mme Cherette devait fournir des éléments de preuve indiquant que la divulgation de ses dossiers causerait une contrainte excessive aux personnes en cause. Il ressort de l’examen des documents déposés par Mme Cherette pour sa requête qu’elle n’a pas entièrement compris ce que signifiait la directive donnée par le Tribunal dans le cadre de la gestion de l’instance selon laquelle les parties devaient déposer des éléments de preuve pour étayer leur position concernant la requête.

[72] Mme Cherette a été déchargée de l’obligation de préparer un affidavit formel comme preuve à l’appui de sa requête. En vertu de l’alinéa 50(3)c) de la Loi, le Tribunal a le pouvoir de recevoir toute information ou preuve, que ce soit sous serment, par affidavit ou autrement, que le membre estime appropriée, indépendamment de l’admissibilité devant un tribunal judiciaire. Le Tribunal a informé Mme Cherette qu’elle pouvait fournir une déclaration non solennelle si elle le souhaitait. Il lui a également expliqué le type de renseignements attendus dans une déclaration écrite de cette nature.

[73] Dans sa déclaration écrite, Mme Cherette souligne que, si elles étaient divulguées, [traduction] « […] les parties de [ses] dossiers médicaux qui sont caviardées [lui] causeraient inutilement un grand préjudice. » Selon ses allégations, ce préjudice correspondrait à une stigmatisation, à une discrimination ou à un jugement injustifié de la part du public qui pourrait toucher sa vie émotionnelle, personnelle, sociale et professionnelle. Elle affirme qu’il pourrait s’agir d’une atteinte à sa réputation et à sa dignité. Après avoir examiné les parties caviardées qui, selon moi, ne devraient pas l’être, je suis d’avis que ce contenu ne peut raisonnablement être considéré comme étant susceptible de porter atteinte à la réputation de Mme Cherette. Suggérer qu’il aurait une telle incidence serait spéculatif et prématuré. La plupart des gens consultent leur médecin pour discuter de problèmes de santé qu’ils peuvent trouver embarrassants ou difficiles en fonction de leur propre sens de la vie privée. Objectivement, la plupart des enjeux abordés dans ces dossiers portent sur des problèmes de santé courants ou ne portent pas sur des problèmes, mais sur des événements. Le principal problème de santé dans le contenu B serait évident pour le public. Au paragraphe 77 de l’arrêt Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, la Cour suprême a présenté la situation en ces termes : « Dans chaque cas, il faut se demander si les renseignements révèlent quelque chose d’intime et de personnel sur la personne, son mode de vie ou ses expériences. »

[74] Mme Cherette affirme que l’idée de la divulgation potentielle du contenu caviardé est une source de détresse mentale et émotionnelle importante qui [traduction] « […] pourrait avoir un effet profond sur [sa] santé mentale, et conduire potentiellement à une augmentation de l’anxiété, de la dépression et des traumatismes émotionnels ». Aucun élément de preuve médical n’a été présenté à l’appui de cette position.

[75] Une contrainte excessive comporte bien plus que des difficultés ordinaires. La preuve doit établir l’existence d’un préjudice ou prédire avec une certitude raisonnable le risque de préjudice. Les documents de requête de Mme Cherette ne permettent pas d’établir que la divulgation entraînerait une contrainte excessive. Je ne vois aucun contenu dans les dossiers médicaux fournis qui me permette de conclure que les craintes de Mme Cherette concernant sa santé sont probables et présentent un risque sérieux. Comme je l’ai déjà mentionné, il n’existe pas non plus de preuve quant à l’existence d’un risque sérieux de préjudice pour le tiers, nécessaire pour établir l’existence d’une contrainte excessive à son égard.

[76] Mme Cherette n’aborde pas le critère juridique prévu à l’article 52 de la Loi. Elle n’explique pas pourquoi son embarras l’emporterait sur l’intérêt de la société à ce que l’instruction soit publique. Il s’agit d’un élément important et impératif de ce critère juridique qui doit être abordé correctement pour avoir gain de cause dans le cadre d’une requête en confidentialité.

[77] Mme Cherette s’appuie sur un article qui porte généralement sur la protection de la vie privée aux États-Unis : Kostura, J. (2018) « Ethics of Redacting Medical Records (Plaintiff’s Perspective) ». L’article confirme l’importance des intérêts en matière de protection de la vie privée, ce qui n’est pas contesté dans la présente requête. Elle s’appuie également sur quelques affaires tranchées par des tribunaux civils canadiens qui traitent de la divulgation de renseignements médicaux qui ne sont pas potentiellement pertinents, par rapport à la confidentialité de renseignements médicaux qui sont potentiellement pertinents.

[78] Aux fins de l’audience, il n’est pas nécessaire de rendre une ordonnance de confidentialité pour les caviardages dont le maintien est autorisé par la présente décision, et qui correspondent au contenu A, puisque ce contenu est embarrassant et non pertinent et devrait rester caviardé si le dossier en question est déposé en preuve. Cependant, en ce qui concerne une ordonnance de confidentialité concernant le contenu qui ne sera pas caviardé, soit le contenu B, les éléments de preuve présentés par Mme Cherette dans ses documents de requête et le droit qu’elle a invoqué ne m’ont pas convaincu qu’« […] il y a un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres de sorte que la nécessité d’empêcher leur divulgation dans l’intérêt [de la plaignante ou du tiers] l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique […] ».

(iii) Possibilité de présenter une nouvelle requête en confidentialité

[79] La requête de Mme Cherette visant la confidentialité de ses dossiers médicaux non caviardés est rejetée « sans préjudice » à son droit de présenter la même requête ou une requête similaire à l’audience. À cet égard, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 50(3)e) de la Loi qui m’habilite à trancher toute question de procédure ou de preuve soulevée au cours de l’audience, et celui prévu aux articles 5 et 7, ainsi qu’aux paragraphes 3(2) et 6(1) des Règles, qui confirment le pouvoir discrétionnaire du Tribunal en matière de procédure lors de l’audience afin de garantir que l’audience se déroule de manière appropriée et équitable. Il convient dans la présente affaire de préserver la possibilité pour Mme Cherette de demander à l’audience une ordonnance de confidentialité en son propre nom ou en celui du tiers si ses dossiers médicaux sont présentés en preuve, en fonction des meilleurs éléments de preuves disponibles et des arguments juridiques qui traitent des questions pertinentes.

[80] Il est parfois plus facile d’établir le bien-fondé d’une ordonnance de confidentialité fondée sur une contrainte excessive, dans le cadre de l’audience. Dans certaines affaires, le Tribunal a explicitement refusé de rendre des ordonnances de confidentialité à une étape préliminaire parce que les questions importantes en litige n’étaient pas encore évidentes. Dans la décision T.P. c. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 10, [T.P.], au paragraphe 25, la membre Harrington a refusé d’ordonner avant l’audience que les documents déposés en preuve à l’audience sur la plainte restent confidentiels.

[81] Dans le même ordre d’idées, dans la décision White, la présidente Khurana a jugé, au paragraphe 46, que la demande d’anonymisation par la plaignante de la décision du Tribunal concernant sa requête et de caviardage de son historique de santé était prématurée. La plaignante avait mis en cause sa santé dans le cadre de la procédure et la question devait être abordée à l’audience, mais sa requête demeurait prématurée. La présidente Khurana a souligné que les documents n’avaient pas été admis en preuve, mais a indiqué que « [l]a plaignante pourra renouveler sa demande de confidentialité au moment approprié ».

[82] La divulgation de dossiers médicaux ou autres ne signifie pas nécessairement qu’ils deviendront une preuve à l’audience. Consacrer beaucoup de temps à traiter une ordonnance de confidentialité concernant des documents, en particulier un grand nombre de documents, qui pourraient ne pas être présentés en preuve ne représente pas une utilisation proportionnelle du temps et des ressources.

[83] Or, dans la présente affaire, traiter de la confidentialité du contenu B avant l’audience aurait été une option procédurale raisonnable. L’espèce se distingue des affaires T.P. et White à cet égard. Mme Cherette semble avoir modifié son exposé des précisions pour la raison même qu’elle a l’intention de s’appuyer sur ses dossiers médicaux lors de l’audience dans le cadre de sa stratégie d’instance. Comme les exposés des précisions soulèvent des questions qui mettent en cause la Convention de Montréal, il est presque certain que les dossiers seront présentés en preuve à l’audience, soit par Mme Cherette ou la Commission, soit par Air Canada. Il ne s’agit pas d’une affaire où les questions importantes en litige ou l’utilisation des éléments de preuve ne sont pas encore évidentes. La possibilité de trancher cette question plus tôt aurait pu conférer une certitude aux parties et aurait permis d’épargner du temps à l’audience. Cependant, Mme Cherette n’a pas étayé, au moyen d’éléments de preuve de nature médicale ou autre, ses convictions personnelles selon lesquelles la divulgation du contenu B causerait un préjudice grave, à elle-même ou au tiers, et elle n’a apparemment pas non plus estimé nécessaire de fournir des arguments juridiques détaillés.

[84] En supposant qu’une partie souhaite soumettre les dossiers médicaux en preuve à l’audience, le Tribunal déterminera leur admissibilité et décidera, sur demande, si tout contenu non caviardé doit faire l’objet d’une ordonnance de confidentialité.

VIII. ORDONNANCE

[85] Le tribunal ordonne ce qui suit :

1) Les entrées des dossiers médicaux de la plaignante rédigés par son médecin de famille que le Tribunal a caviardées à la suite de la présente requête doivent rester caviardées dans la présente instance puisqu’elles ne sont pas pertinentes en l’espèce et qu’elles contiennent des informations sensibles et personnelles concernant la plaignante qui mettent en jeu des intérêts légitimes en matière de protection de la vie privée, intérêts qui devraient être reconnus et protégés dans le cadre de la présente instance.

2) Le contenu qui a été caviardé par la plaignante et qui sera désormais divulgué en conséquence de la présente décision sera assujetti à certaines restrictions. Plus particulièrement, la divulgation à l’intention des autres parties doit être faite uniquement aux avocats et à l’un de leurs représentants, sauf ordonnance contraire du Tribunal.

3) Les parties ne peuvent utiliser les documents produits dans le cadre de la présente instance qu’aux fins de celle-ci et ne doivent les divulguer à aucune personne ou entité hors la présente instance.

4) Les copies dont dispose le Tribunal des dossiers médicaux non caviardés que la plaignante a présentées dans le cadre de son dossier de requête concernant ces questions doivent demeurer scellées et confidentielles.

5) Le Tribunal refuse pour le moment d’ordonner que tout dossier médical ou toute partie de ces dossiers déposés en preuve au cours de l’instruction de la plainte demeurent confidentiels, sauf pour s’assurer que les informations non pertinentes, personnelles et sensibles sur la plaignante que renferment les dossiers médicaux, soit le contenu A, sont caviardées.

6) Toute partie qui souhaite demander que la preuve documentaire présentée à l’audience soit scellée doit en faire la demande à l’audience conformément à l’article 52 de la Loi; la demande doit être présentée au moment où les documents sont soumis pour admission en preuve à l’audience; le Tribunal fournira toutes les directives procédurales ou ordonnances provisoires de confidentialité nécessaires concernant la demande.

7) La requête de la plaignante visant à obtenir une ordonnance de confidentialité relative à ses dossiers médicaux est rejetée « sans préjudice » à son droit de présenter la même requête ou une autre requête visant la confidentialité de tout dossier médical présenté en preuve.

Kathryn A. Raymond, c.r.

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 21 février 2024

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2651/2721

Intitulé de la cause : Schelomie Cherette c. Air Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 21 février 2024

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Observations écrites :

Schelomie Cherette , pour son propre compte

Caroline Carrasco et Philippe Giguère , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Clay Hunter , pour l'intimée

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