Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Selon Christian Miller, la Banque Toronto-Dominion (l’intimée) a fait preuve de discrimination à son endroit au cours de son emploi. M. Miller se décrit comme un homme noir d’origine africaine et caribéenne. Dans son exposé des précisions, document dans lequel une partie indique ce sur quoi elle s’appuiera à l’audience, M. Miller mentionne principalement que les employés de l’intimée ont fait preuve de discrimination à son égard en évaluant son rendement au travail, qu’ils ne l’ont pas promu et qu’ils l’ont même rétrogradé parce qu’il est noir. M. Miller y décrit également ses problèmes de santé mentale qui, selon lui, ont été causés par l’intimée. Il est en arrêt maladie et reçoit des prestations d’invalidité de longue durée de Manuvie.

Dans sa requête, M. Miller a demandé au Tribunal de lui permettre d’ajouter de renseignements supplémentaires à son exposé des précisions. Le Tribunal a rejeté sa demande visant à ajouter des réparations d’intérêt personnel, mais a autorisé sa demande visant à ajouter des réparations d’intérêt public, sauf si elles se rapportent à du harcèlement.

En ce qui concerne les réparations d’intérêt personnel, M. Miller a dit que Manuvie devrait accepter les recommandations de ses médecins concernant les mesures d’adaptation pour son retour au travail. Il a également mentionné que l’intimée n’avait pas pris de mesures d’adaptation pour sa déficience. Cependant, dans la plainte que la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a envoyée au Tribunal pour instruction, il est question d’une allégation de discrimination fondée sur la race uniquement.

Le Tribunal a donc conclu qu’il est trop tard pour autoriser la modification relative aux réparations d’intérêt personnel, notamment toute allégation que la banque n’a pas pris des mesures d’adaptation pour la déficience. En fait, ce serait une toute nouvelle allégation, M. Miller ne l’a pas détaillée dans son exposé des précisions et la Commission ne l’a pas incluse lorsqu’elle a envoyé la plainte au Tribunal. Permettre les modifications porterait préjudice à l’intimée et l’audience de cinq jours qui doit commencer le 26 mars 2024 serait compromise. De plus, les requêtes concernant Manuvie étaient trop vagues pour être applicables et Manuvie n’est même pas une partie à la présente affaire.

Le Tribunal a également conclu que si M. Miller prouve que l’intimée a fait preuve de discrimination et qu’elle devrait le réintégrer dans son emploi, M. Miller peut aussi demander que celle-ci le réintègre d’une manière qui répond le mieux à sa déficience.

De plus, M. Miller a demandé s’il pouvait modifier son exposé des précisions pour y ajouter des réparations d’intérêt public. L’intimée ne s’est pas opposée à cette demande. Elle a reconnu que l’exposé des précisions de M. Miller traitait de « savoir si un nombre disproportionné de personnes noires [avaient] été licenciées et/ou affectées à des postes inférieurs » au cours d’une réorganisation et il s’agit là du point central des réparations d’intérêt public. Le Tribunal a décidé que M. Miller peut inclure les réparations d’intérêt public dans son exposé des précisions. Cependant, le Tribunal n’a pas approuvé d’allégations ou de références liées au motif de distinction illicite de harcèlement puisqu’il n’est pas question de ce motif dans la présente affaire au Tribunal.

Cette décision sur requête clarifie ce que M. Miller peut inclure dans son exposé des précisions. Toute décision sur le bien-fondé de la présente plainte et toute éventuelle décision d’accorder des réparations devront être rendues plus tard dans le cadre de la présente affaire. Ces décisions seront fondées sur la preuve et les observations, conformément à la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6.

De plus, le Tribunal a supprimé du dossier officiel les observations de M. Miller en réplique aux observations de l’intimée, car M. Miller ne répondait pas à ce que l’intimée avait soulevé.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2024 TCDP 2

Date : le 16 janvier 2024

Numéro du dossier : T2700/7621

Entre :

Christian Miller

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Banque Toronto-Dominion

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Edward P. Lustig

 



I. APERÇU

[1] Dans un courriel daté du 27 novembre 2023, M. Miller a demandé l’autorisation d’apporter des modifications à son exposé des précisions afin d’ajouter des mesures de réparation privées et publiques. Sous la rubrique [traduction] « Mesures de réparation privées », M. Miller enjoint la compagnie d’assurance soins médicaux de l’intimée, Manuvie, d’accepter toutes les recommandations formulées par ses médecins quant au programme d’adaptation qui pourrait lui permettre de retourner au travail malgré le fait qu’il soit atteint d’une déficience qui, selon lui, est attribuable à l’intimée. La modification qu’il souhaite apporter aux mesures de réparation privées se termine comme suit : [traduction] « Manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation ».

[2] M. Miller est parti en congé de maladie le 18 juin 2018, ou vers cette date, soit après que l’intimée eut mis en œuvre un plan de réorganisation qui, le 11 avril 2018 ou vers cette date, lui a valu d’être rétrogradé du poste à temps plein qu’il occupait à titre de gestionnaire du service à la clientèle et des ventes à la succursale d’Owen Sound, à un poste moins bien rémunéré de conseiller financier à la succursale de Port Elgin. Il est toujours en congé de maladie approuvé par l’intimée. Il reçoit des prestations d’invalidité de longue durée de Manuvie et il n’a toujours pas été en mesure de retourner au travail.

[3] Dans la plainte qu’il a déposée le 22 février 2019, et dans l’exposé des précisions daté du 27 octobre 2021, M. Miller allègue que l’intimée a fait preuve de discrimination à son égard dans le cadre de son emploi et qu’elle l’a fait sur le fondement des motifs de distinction illicite de la race, de la couleur et de la déficience. Cependant, M. Miller n’a pas indiqué, ni dans sa plainte que la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a renvoyée au Tribunal le 6 août 2021 ni dans son exposé des précisions, que l’intimée n’avait pas pris les mesures d’adaptation rendues nécessaires par sa déficience. En fait, la plainte et l’exposé des précisions de M. Miller portent essentiellement sur la rétrogradation qu’il a subie dans le cadre du plan de réorganisation et qui, selon lui, était fondée sur des motifs liés à la race puisqu’il est un homme noir d’origine africaine et caribéenne, ainsi que sur les sentiments d’anxiété, de stress et de dépression qui l’ont poussé à prendre un congé de maladie.

[4] L’intimée s’oppose à la modification relative aux mesures de réparation privées qui est demandée par le plaignant au motif qu’il s’agit d’une nouvelle allégation selon laquelle elle n’aurait pas pris les mesures d’adaptation rendues nécessaires par la déficience — ce qui n’a été soulevé ni dans la plainte ni dans l’exposé des précisions —, qu’il est trop tard pour soulever cette allégation et que la réparation demandée par le plaignant relativement à cette allégation n’est pas liée à l’affaire que la Commission a renvoyée au Tribunal.

[5] L’intimée demande au Tribunal de ne pas autoriser la modification demandée compte tenu des effets préjudiciables qu’une telle modification aurait sur elle et du fait que la tenue de l’audience, prévue pour le 26 mars 2024, s’en trouverait grandement perturbée.

[6] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal n’autorisera pas la modification relative aux mesures de réparation privées qui est demandée par le plaignant, car a) elle pourrait être interprétée comme une nouvelle allégation selon laquelle l’intimée n’aurait pas pris les mesures d’adaptation rendues nécessaires par la déficience alors que ce point n’a été soulevé ni dans la plainte ni dans l’exposé des précisions, qu’il ne faisait pas l’objet de la plainte que la Commission a renvoyée au Tribunal pour instruction et qu’il est trop tard pour le mentionner, si bien que le Tribunal n’en tiendra pas compte pour établir la responsabilité en l’espèce, et b) la réparation demandée relativement à cette allégation est trop vague pour pouvoir être appliquée et elle vise une compagnie d’assurance maladie qui n’est pas une partie à l’instance.

[7] Comme le plaignant a déjà indiqué dans son exposé des précisions vouloir être réintégré, le Tribunal reconnaît que s’il juge la plainte fondée à l’audience, le plaignant pourra demander à ce que l’intimée procède à sa réintégration — dans la mesure où le Tribunal ordonne la réintégration — de manière à tenir compte le mieux possible de sa déficience, selon ce que le Tribunal aura déterminé en se fondant sur la preuve médicale et en conformité avec la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la « LCDP »).

II. CONTEXTE

[8] Le plaignant a commencé à travailler, à temps partiel, à la succursale de l’intimée située à Mississauga en février 2010 en tant que représentant du service à la clientèle. Il a par la suite travaillé dans d’autres succursales avant d’être promu au poste à temps plein de gestionnaire du service à la clientèle et des ventes, au taux de salaire de niveau 7, à la succursale d’Owen Sound en mars 2017.

[9] Vers mars ou avril 2018, le plaignant a été rétrogradé au poste de conseiller financier, au taux de salaire de niveau 6, à la succursale de Port Elgin à la suite d’une réorganisation de l’institution dans le cadre de laquelle le poste de gestionnaire du service à la clientèle et des ventes a été aboli dans de nombreuses succursales, dont celle d’Owen Sound. Au total, la réorganisation a touché 961 membres du personnel au Canada, dont 119 personnes occupant le poste de gestionnaire du service à la clientèle et des ventes. Le taux de salaire devait passer du niveau 7 au niveau 6 deux ans plus tard.

[10] Pour éviter le licenciement, les employés dont les postes avaient été abolis dans le cadre de la réorganisation devaient être affectés à des postes vacants sur la base de divers facteurs, notamment la disponibilité de postes comparables, la cote de rendement et la durée d’emploi de l’employé, ainsi que l’emplacement géographique.

[11] M. Miller n’a pas pu être affecté à un poste équivalent à celui qu’il occupait à Owen Sound, de sorte qu’il a été rétrogradé au poste moins bien rémunéré de conseiller financier à la succursale de Port Elgin, où il avait déjà exercé ces fonctions.

[12] Selon sa plus récente évaluation de rendement, qui a été réalisée en octobre 2017 alors qu’il occupait le poste de gestionnaire du service à la clientèle et des ventes à Owen Sound depuis seulement 6 mois, M. Miller était [traduction] « en voie de satisfaire aux attentes ». En 2016, alors qu’il était conseiller financier, il [traduction] « satisfaisait pleinement aux attentes ».

[13] Dans sa plainte, M. Miller fait brièvement état de deux situations mettant en cause son état de santé. Dans la première, il est question d’un accident qu’il aurait eu lorsqu’il a, à cause de la poudrerie, abouti dans un fossé alors qu’il se rendait à Port Elgin le 16 avril 2018 et qui lui aurait causé des douleurs au cou, à la mâchoire et aux pieds. Il affirme être retourné au travail le lendemain et avoir ressenti une légère douleur, mais rien dans sa plainte n’indique qu’il ait demandé des mesures d’adaptation en raison des blessures qu’il aurait subies et aucun renseignement médical n’a été fourni à ce sujet. La plainte ne contient aucune allégation selon laquelle l’intimée n’aurait pas pris les mesures d’adaptation rendues nécessaires par la déficience.

[14] La seconde situation évoquée dans la plainte se serait produite en mai ou en juin 2018 alors que M. Miller parcourait des dossiers de crédit dans un classeur non verrouillé qui était accessible aux autres employés et qu’il est tombé sur un dossier contenant des plaintes déposées contre lui par l’un de ses gestionnaires. Il aurait eu le sentiment que ces plaintes portaient atteinte à sa vie privée et il se serait senti humilié. Il s’est plaint au service des RH, lequel a mené une enquête sur la plainte, mais n’a pas tranché en sa faveur. Par la suite, il prétend dans sa plainte que sa santé s’est détériorée parce qu’il se sentait [traduction] « incroyablement stressé », qu’il avait des crampes abdominales et qu’il était incapable de faire son travail, si bien qu’il a « communiqué avec les RH et est parti en congé en raison des préjudices causés par des employés de la TD sur son lieu de travail ». Il soutient avoir reçu un [traduction] « diagnostic de dépression, de crises de panique, d’anxiété et de déficience ». M. Miller est parti en congé de maladie le 18 juin 2018 et il est toujours en congé d’invalidité de longue durée au titre du régime de soins de santé que l’intimée a souscrit auprès de Manuvie.

[15] Rien dans la plainte ou dans l’exposé des précisions n’indique que M. Miller a demandé des mesures d’adaptation en raison de ses problèmes de santé avant de partir en congé de maladie ni que l’intimée a manqué à son obligation de prendre de telles mesures. L’intimée a maintenu le statut d’employé en congé de maladie de M. Miller et elle lui verse des prestations d’invalidité de longue durée en vertu du contrat d’assurance qu’elle a conclu avec Manuvie. La plainte repose essentiellement sur le point de vue de M. Miller selon lequel des employés de la banque ont fait preuve de discrimination à son égard en évaluant son rendement au travail, en ne lui accordant pas de promotion et en le rétrogradant parce qu’il est noir.

[16] L’exposé des précisions ne donne aucun détail sur une quelconque déficience, si ce n’est qu’il est question de dépression, de crises de panique et d’anxiété, mais il n’y a pas la moindre allusion à l’une ou l’autre des situations évoquées dans la plainte et rapportées précédemment. Il n’est pas non plus question, ni dans l’exposé des précisions ni dans la plainte, du fait que l’intimée aurait manqué à son obligation de prendre des mesures d’adaptation afin de tenir compte d’une déficience.

[17] Au contraire, l’exposé des précisions de M. Miller et la réplique de ce dernier à l’exposé des précisions de l’intimée traitent des questions suivantes : à savoir si la race ou la couleur a constitué un facteur dans sa rétrogradation; à savoir s’il a été jugé « en voie de satisfaire aux attentes » (contrairement à « satisfait aux attentes ») pour des raisons raciales; à savoir si l’évaluation de rendement qui a été réalisée par un ancien gestionnaire était entachée de racisme et si elle a eu un effet préjudiciable sur son affectation lors de la réorganisation; à savoir si un nombre disproportionné de personnes noires ont été licenciées et/ou affectées à des postes inférieurs; et à savoir si M. Miller devrait être affecté à un poste comparable, être indemnisé pour les pertes salariales et se voir accorder d’autres mesures de réparation. Voilà la plainte que la Commission a renvoyée au Tribunal pour instruction et l’intimée a reconnu que les questions soulevées dans l’exposé des précisions de M. Miller étaient appropriées.

[18] Avant que M. Miller ne dépose la présente demande de modification, il avait été convenu avec les parties que l’audience débuterait le 26 mars 2024.

III. CADRE JURIDIQUE

[19] Le Tribunal peut autoriser une partie à modifier un exposé des précisions, y compris les mesures de réparation, à tout stade de l’instruction afin de veiller à ce qu’il reflète de façon correcte et équitable les questions en litige entre les parties à une plainte et à ce qu’il permette de déterminer les véritables questions en litige entre les parties. La modification doit être liée à la plainte initiale et ne doit pas causer aux autres parties un préjudice qui ne peut pas être réparé. Elle ne peut pas servir à introduire fondamentalement une nouvelle plainte, étant donné que cela aurait pour effet de contourner le processus de renvoi prévu par la LCDP. (Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry c. Service correctionnel Canada., 2022 TCDP 12, aux par. 12 et 14).

[20] Aux termes de l’alinéa 41(1)e) de la LCDP, les plaintes doivent être déposées auprès de la Commission dans l’année suivant les faits sur lesquelles elles sont fondées.

[21] La partie demandant la modification doit démontrer que la demande n’entraîne pas d’injustice, qu’elle sert les intérêts de la justice et qu’elle ne porte pas préjudice aux autres parties ou à la procédure. Les parties à une instance ont le droit d’être informées de la position des autres parties et de savoir ce qu’elles présenteront en preuve pendant l’audience. Le but de déposer des exposés des précisions assez détaillés est de permettre aux parties de connaître suffisamment bien, et à l’avance, les allégations, les questions de droit, les recours et les moyens de défense en cause, et qu’elles aient toute latitude d’y répondre (par. 50(1) de la Loi et art. 18 à 21 des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137). (Coyne et Way c. Première Nation de Salt River, 2023 TCDP 57, aux par. 12 et 14).

IV. LES OBSERVATIONS DES PARTIES

[22] Dans ses observations, M. Miller ne répond pas aux objections soulevées par l’intimée à l’égard de la modification de l’exposé des précisions qui est demandée et qui consiste à ajouter des mesures de réparation privées. L’intimée est particulièrement préoccupée par le fait que M. Miller a écrit « Manquement à l’obligation de prendre des mesures de réparation » à la dernière phrase.

[23] Pour les besoins de la présente décision sur requête, on peut supposer — même si ce n’est pas très clair — que M. Miller a écrit ces mots pour alléguer que l’intimée avait manqué à son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’une déficience, mais M. Miller n’a pas donné de détails lorsqu’il a demandé d’apporter la modification. Si M. Miller avait plutôt voulu dire par là qu’il serait nécessaire de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de sa déficience s’il était réintégré dans ses fonctions (étant donné que c’est ce qu’il a demandé dans son exposé des précisions), il n’aurait pas eu besoin d’ajouter cette phrase dans son exposé des précisions. Si M. Miller obtient gain de cause sur le fond et que le Tribunal ordonne sa réintégration, l’intimée devra de toute façon prendre des mesures d’adaptation raisonnables pour tenir compte de sa déficience conformément à la loi. Pour les besoins de la présente décision sur requête, compte tenu des principales objections soulevées par l’intimée à l’égard de la modification demandée, on suppose donc que M. Miller voulait que ces mots constituent une allégation selon laquelle l’intimée aurait manqué à son obligation de prendre les mesures d’adaptation rendues nécessaires par sa déficience dans le cadre de son travail, plutôt que d’une allégation selon laquelle l’intimée devrait prendre des mesures d’adaptation s’il était un jour réintégré dans ses fonctions.

[24] L’intimée soulève trois points dans ses observations. Elle fait valoir 1) que s’il était allégué à ce stade de l’instruction qu’elle a manqué à son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’une déficience, cette allégation constituerait une nouvelle plainte puisque ce point n’a jamais été soulevé auparavant et qu’il n’a pas été traité par la Commission avant que celle-ci renvoie la plainte au Tribunal pour instruction, si bien qu’il est trop tard pour la soulever; 2) qu’elle subirait un préjudice si le Tribunal permettait que l’allégation soit soulevée à ce stade de l’instruction puisqu’elle devrait alors se défendre contre une allégation nouvelle et imprécise, que l’instruction s’en trouverait perturbée et que l’intérêt de la justice à ce que l’audience se déroule en temps opportun, comme prévu, serait compromis; 3) que cette allégation ne devrait donc pas être retenue.

[25] Les observations initiales de M. Miller contiennent des centaines de pages de rapports, d’études et d’articles sur divers sujets, notamment les psychopathes à cravate, la baisse de productivité au Canada, la gestion des employés ayant des problèmes de santé mentale et les lois sur l’équité en milieu de travail au Canada. Elles contiennent également des critiques personnelles à l’égard des avocats de l’intimée et des allégations selon lesquelles des employés de la banque auraient commis des actes répréhensibles à l’égard de M. Miller, bien que ces allégations ne soient pas pertinentes en l’espèce. Cependant, dans ses observations initiales, M. Miller ne répond pas aux principales objections soulevées par l’intimée à l’égard de la modification demandée, malgré le fait que le Tribunal l’ait incité à le faire.

[26] Dans ses observations en réplique, M. Miller ne répond pas non plus aux principales objections soulevées par l’intimée à l’égard de la modification demandée. En fait, la réplique contient des allégations qui n’ont pas été établies et qui sont inacceptables quant au comportement inapproprié qu’auraient eu certains employés nommés de la banque, actuels et anciens, qui ont travaillé avec lui. Il y est notamment allégué qu’un certain nombre d’employés nommés ont eu des relations personnelles et romantiques inappropriées et qu’ils se sont comportés de manière inappropriée. Aucune de ces allégations ne figure dans la plainte, telle qu’elle a été renvoyée au Tribunal par la Commission. La réplique sera donc radiée du dossier puisqu’elle s’éloigne de l’objet de la présente instruction et qu’elle est injuste pour les employés nommés.

V. ANALYSE

[27] Je souscris aux observations de l’intimée dont il est question au paragraphe 24 ci-dessus.

[28] La modification que M. Miller souhaite apporter à son exposé des précisions sous la rubrique « Mesures de réparation privées », soit l’ajout d’une allégation selon laquelle l’intimée n’a pas pris les mesures d’adaptation rendues nécessaires par sa déficience avant qu’il ne parte en congé de maladie, ne devrait pas être acceptée puisqu’elle constitue une nouvelle plainte qui manque de précisions, qui est déposée hors délai, qui ne s’inscrit pas dans le cadre de sa plainte ou de son exposé des précisions et qui ne correspond pas à la plainte que la Commission a renvoyée au Tribunal pour instruction. Par conséquent, elle n’est pas liée à la plainte initiale et, si elle est acceptée, elle aurait pour effet de contourner le processus de renvoi prévu par la LCDP.

[29] De plus, si la modification est acceptée à ce stade de l’instruction, l’intimée subirait un préjudice du fait qu’aucune précision n’a été fournie relativement à l’allégation et qu’elle n’aurait pas la possibilité pleine et entière d’y répondre.

[30] Accepter la modification ne servirait pas non plus les intérêts de la justice, car les dates d’audience déjà fixées — soit 5 jours à compter du 26 mars — s’en trouveraient compromises. Il ne fait aucun doute que si la modification demandée était acceptée, ces dates devraient être annulées, d’autres documents, notamment des rapports médicaux sur l’invalidité de longue durée, devraient probablement être produits et d’autres témoins devraient probablement être entendus, ce qui retarderait l’instruction et irait à l’encontre de l’objectif du Tribunal qui consiste à instruire les plaintes de façon équitable et expéditive. Rien ne justifie un tel retard.

[31] Par ailleurs, le Tribunal ne peut pas non plus accéder à la demande connexe et ordonner à Manuvie d’accepter les recommandations faites par les médecins relativement à l’élaboration d’un plan de retour au travail qui tienne compte de la déficience de M. Miller étant donné qu’il n’en a pas le pouvoir vu que Manuvie n’est pas partie à l’instance. De plus, cette demande est vague et inutile puisque l’intimée est tenue par la loi, quoi qu’il arrive, de prendre des mesures d’adaptation raisonnables afin de tenir compte des déficiences des employés qui sont réintégrés au travail après un congé d’invalidité de longue durée et que M. Miller a déjà demandé sa réintégration. M. Miller devrait d’abord établir le bien-fondé de sa plainte pour qu’une telle mesure de réparation soit prise en considération par le Tribunal.

[32] L’intimée ne semble pas s’être opposée aux « mesures de réparation publiques » visées par les modifications que M. Miller cherche à apporter à son exposé des précisions. De plus, l’intimée a reconnu qu’il était opportun de soulever dans l’exposé des précisions de M. Miller la question de [traduction] « savoir si un nombre disproportionné de personnes noires ont été licenciées et/ou affectées à des postes inférieurs » dans le cadre de la réorganisation en cause, et que la demande de mesures de réparation publiques était essentiellement fondée sur cette question. Par conséquent, ces mesures peuvent toujours faire partie des mesures de réparation prévues dans l’exposé des précisions de M. Miller et ne doivent pas être refusées à ce stade de l’instruction, sauf si elles se rapportent à une allégation fondée sur un motif illicite de harcèlement ou si elles y font référence puisque le Tribunal n’est pas appelé à se prononcer sur ce point dans le cadre de la présente instruction.

VI. ORDONNANCE

[33] Les mesures de réparation privées demandées par le plaignant sous la forme d’une modification de son exposé des précisions ne sont pas acceptées. Les mesures de réparation publiques demandées par le plaignant sous la forme d’une modification de son exposé des précisions sont acceptées à ce stade de l’instruction, mais toute allusion au harcèlement n’est pas acceptée.

Signée par

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 16 janvier 2024

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T2700/7621

Intitulé de la cause : Christian Miller c. Banque Toronto-Dominion

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 16 janvier 2024

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Représentations écrites par:

Christian Miller , pour le plaignant

Lisa M. Meyer , pour l'intimée

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