Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

En avril 2018, M. Starr s’est rendu à la succursale principale de la Banque de Montréal (BMO) à Winnipeg pour demander une carte de crédit avec garantie. La banque lui a dit qu’il n’était pas admissible parce que ces cartes étaient réservées aux nouveaux arrivants qui avaient besoin d’établir des antécédents de crédit. M. Starr, qui est autochtone, a pensé qu’on lui avait refusé une carte de crédit avec garantie en raison de sa race.

Lors d’une deuxième visite à la succursale principale de la BMO, M. Starr a demandé à parler à la directrice, Mme Mosher. Il a plutôt rencontré la directrice adjointe de la succursale qui lui a remis une brochure intitulée « Ici, pour vous ». Cette brochure expliquait le processus de traitement des plaintes de la BMO. M. Starr n’a jamais pu rencontrer la directrice de la succursale.

M. Starr a déposé une plainte pour discrimination raciale. À son avis, la BMO offrait des cartes de crédit avec garantie à toute personne souhaitant établir son crédit et que leur politique liée aux cartes de crédit avec garantie pour les nouveaux arrivants était fausse. De plus, M. Starr a déclaré que les autochtones étaient mal traités à la succursale principale de la BMO par rapport à une succursale sur l’avenue Portage, où il a vu des clients issus de milieux similaires. Selon M. Starr, il n’avait jamais rencontré la directrice de la succursale parce qu’il est autochtone.

M. Starr et la BMO ont fourni des documents au Tribunal et ont demandé à des témoins de partager le récit de leurs visites à la banque au cours d’avril 2018. Les employés de la BMO qui ont servi M. Starr ont aussi témoigné. Après avoir examiné les éléments de preuve, le Tribunal n’a trouvé aucun lien entre les expériences négatives de M. Starr et sa race. Le Tribunal a aussi conclu que la politique de la BMO sur les cartes de crédit avec garantie était réelle et que celle ci n’était pas discriminatoire. Cette politique vise à aider les nouveaux arrivants au Canada à établir des antécédents de crédit.

Le Tribunal a également conclu que le processus de traitement des plaintes avait été respecté et qu’une rencontre avec la directrice de la succursale n’en faisait pas partie. C’est pourquoi M. Starr n’a pas pu rencontrer Mme Mosher. Compte tenu de ces conclusions, le Tribunal a rejeté la plainte de M. Starr.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2023 TCDP 54

Date : le 16 novembre 2023

Numéro du dossier : HR-DP-2829-22

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Clifton Starr

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

BMO Groupe financier

l'intimé

Décision

Membre : Edward P. Lustig

 



I. APERÇU

[1] M. Starr soutient que lorsqu’il s’est rendu à la succursale principale de Winnipeg le 18 avril 2018 (la « succursale principale »), la Banque de Montréal (la « BMO ») a fait preuve de discrimination à son égard du fait de sa race, en contravention de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la « LCDP »), en lui refusant l’accès à une carte de crédit et en ne lui permettant pas de rencontrer la directrice de ladite succursale.

[2] La BMO nie avoir fait preuve de discrimination à l’égard de M. Starr. Elle affirme n’avoir jamais émis ni refusé d’émettre une carte de crédit avec garantie à M. Starr ou à quiconque en raison de sa race et avoir traité M. Starr avec respect et en conformité avec ses politiques non discriminatoires.

[3] Les cartes de crédit avec garantie de la BMO étaient réservées aux nouveaux arrivants au Canada et aux résidents non permanents, quelle que soit leur race, qui n’avaient pas encore pu établir d’antécédents de crédit et qui n’avaient donc pas d’antécédents de crédit à évaluer pour pouvoir obtenir une carte de crédit ordinaire non garantie. Ainsi, la carte de crédit avec crédit n’était pas offerte aux personnes, quelle que soit leur race, qui avaient une faible cote de crédit et qui souhaitaient la rétablir dans le but d’obtenir une carte de crédit ordinaire non garantie.

[4] M. Starr a rencontré un représentant du service à la clientèle (le « représentant ») et la directrice adjointe de la succursale principale le 18 avril 2018. Suivant le processus de transmission des plaintes de la BMO, un directeur adjoint ne pouvait pas transmettre la plainte d’un client à un directeur, mais un client pouvait, quelle que soit sa race, s’adresser à un cadre supérieur en dehors de la succursale. M. Starr a choisi de ne pas suivre le processus.

[5] Après avoir examiné la preuve et les observations en l’espèce, j’arrive à la conclusion que M. Starr n’a pas établi le bien-fondé de sa plainte et que celle-ci est donc rejetée.

II. QUESTION EN LITIGE

[6] La seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si la BMO a fait preuve de discrimination à l’égard de M. Starr du fait de sa race, en contravention de l’article 5 de la LCDP, en lui refusant l’accès à une carte de crédit avec garantie et en ne lui permettant pas de rencontrer la directrice de la succursale principale le 18 avril 2018.

III. CONTEXTE

[7] M. Starr s’identifie comme suit : [traduction] « Je suis un Canadien autochtone. Je suis membre des Premières Nations. Plus précisément, je suis Anishnaabe. Plus précisément encore, je suis Ojibway. Mon ascendance se reflète clairement dans mon apparence ».

[8] À l’audience, M. Starr a relaté un certain nombre d’expériences difficiles qu’il a dû traverser au cours de sa vie avant que ne survienne l’événement à l’origine de sa plainte. Il a déclaré avoir fait face à un grand nombre de problèmes et de difficultés dans ses relations avec les membres de sa famille et ses amis, ainsi que dans ses expériences professionnelles. À un moment donné, il s’est tourné vers la drogue, mais il a déclaré que, plus tard, Dieu l’avait incité à se rendre à Winnipeg pour aider les gens. M. Starr a semblé être un témoin essentiellement crédible et a fait preuve de diligence et de professionnalisme lorsqu’il a agi pour son propre compte à l’audience.

[9] M. Starr se décrit comme un entrepreneur en quête de stabilité et d’avancement économiques. Il aspire à devenir cinéaste. Il s’est rendu à la succursale principale de Winnipeg, située au 335 Main Street, le 18 avril 2018, parce qu’il voulait ouvrir un compte et obtenir une carte de crédit avec garantie de la BMO pour rétablir sa cote de crédit et paraître plus attrayant pour les investisseurs. Or, il n’a pas présenté une demande pour obtenir une carte de crédit ordinaire non garantie de la BMO, car il avait des antécédents en matière de crédit et il a supposé que sa cote de crédit n’était pas été suffisamment élevée pour obtenir une telle carte. Il a déclaré qu’il avait mis 1 000 $ de côté pour les déposer dans un compte en guise de garantie pour la carte de crédit qu’il voulait.

[10] Les cartes de crédit avec garantie nécessitent un dépôt en espèces ou un CPG à titre de garantie d’un montant correspondant à la somme maximale pouvant être facturée sur la carte. Les frais mensuels minimaux d’une carte de crédit avec garantie doivent être payés à la date d’échéance, sinon les intérêts s’accumulent sur les soldes impayés et la banque peut décider de saisir la garantie afin de recouvrer les soldes impayés.

[11] Pour obtenir une carte de crédit avec garantie de la BMO, toute personne devait d’abord faire une demande de carte de crédit ordinaire non garantie et essuyer un refus, soit à cause de ses antécédents en matière de crédit et de sa faible cote de crédit, soit à cause de l’absence d’antécédents en matière de crédit. Le 18 avril 2018, tout Canadien, quelle que soit sa race, pouvait demander une carte de crédit ordinaire non garantie de la BMO. Cependant, seules les personnes nouvellement arrivées au Canada comptant moins de 5 années de résidence ou les résidents non permanents détenant un document officiel de résidence temporaire (ci-après appelés les « nouveaux Canadiens ») pouvaient obtenir une carte de crédit avec garantie, et ce, à la condition de ne pas avoir encore établi d’antécédents en matière de crédit. Ces restrictions (les « restrictions ») étaient énoncées dans la politique 910-13 de la BMO, intitulée « BMO Credit Card Applications—New to Canada/Non-permanent Residents » ([traduction] Demande de carte de crédit de la BMO — Nouveaux arrivants au Canada/résidents non permanents) et publiée le 10 juillet 2017 (la « politique »), dont certaines parties n’étaient, selon M. Starr, qu’une « façade ». M. Starr croit également que, dans d’autres succursales, la BMO a offert des cartes de crédit avec garantie sans tenir compte des restrictions et qu’elle a fait preuve de discrimination à son égard du fait de sa race en ne lui offrant pas la même possibilité à la succursale principale.

[12] En 2018, la politique de la BMO sur les cartes de crédit avec garantie visait uniquement à permettre aux nouveaux Canadiens d’obtenir une carte de crédit et d’établir des antécédents en matière de crédit au Canada lorsqu’ils se voyaient refuser une carte de crédit non garantie de la BMO et qu’ils n’avaient aucun antécédent en matière de crédit, et ce, quelle que soit leur race. Elle ne visait pas à rétablir la solvabilité de ceux qui avaient des antécédents en matière de crédit. M. Starr pense qu’il s’agit d’une fausse politique et que n’importe qui pouvait obtenir une carte de crédit avec garantie dans les autres succursales, mais qu’il s’est vu refuser une carte à la succursale principale parce qu’il est autochtone.

[13] Les cartes de crédit ordinaires non garanties ne nécessitent pas de dépôt en espèces ni de CPG en guise de garantie, mais l’admissibilité d’une personne à une telle carte repose sur ses antécédents en matière de crédit et sur sa cote de crédit. Les « antécédents en matière de crédit » correspondent à un dossier qui est constitué par un bureau de crédit et qui indique dans quelle mesure une personne a respecté ses obligations financières au cours d’une période donnée et informe les prêteurs des risques liés à l’octroi d’un prêt à cette personne. Une « cote de crédit » est une représentation numérique de la solvabilité d’une personne. Cette cote, généralement classée de faible à excellente, montre à quel point une personne est responsable lorsqu’il s’agit de rembourser ses dettes et peut donc avoir une incidence sur l’admissibilité de cette personne à une nouvelle facilité de crédit, comme une carte de crédit ordinaire non garantie, un prêt hypothécaire ou une marge de crédit, ainsi que sur les conditions et les taux d’intérêt qu’un prêteur est prêt à lui offrir.

[14] M. Sean Frame, spécialiste des relations avec les joueurs de jeux vidéo de la BMO, a été appelé à témoigner par M. Starr et il a livré un témoignage crédible sur les questions relatives à l’établissement et au rétablissement du crédit. Il a fait remarquer qu’une personne établit des antécédents en matière de crédit en demandant, en obtenant et en utilisant du crédit. Il a été en mesure d’appuyer ses propos sur les politiques en vigueur à l’époque de l’affaire.

[15] Une personne établit de bons antécédents en matière de crédit et une bonne cote de crédit en démontrant qu’elle peut utiliser le crédit de façon responsable et rembourser ses dettes à temps; à l’inverse, elle obtient de mauvais antécédents et une faible cote de crédit en n’utilisant pas le crédit de façon responsable et en ne remboursant pas ses dettes à temps. Une personne peut vouloir rétablir ses antécédents et sa cote de crédit, mais la BMO n’offre pas des cartes de crédit avec garantie à ceux qui ont de mauvais antécédents en matière de crédit, quelle que soit leur race, dans le but de les aider à rétablir leur cote. Seuls les nouveaux Canadiens, quelle que soit leur race, qui n’ont encore aucun antécédent en matière de crédit se voient offrir une carte de crédit avec garantie afin de leur permettre d’établir de bons antécédents en matière de crédit et d’obtenir une bonne cote de crédit pour ensuite pouvoir se procurer une carte de crédit ordinaire non garantie ne nécessitant aucune garantie.

[16] M. Starr nie que l’émission de cartes de crédit avec garantie ne vise pas à rétablir les cotes de crédit et renvoie à un passage figurant sur le site Web de la BMO, selon lequel la carte de crédit avec garantie est un excellent moyen de rétablir sa cote de crédit, surtout si l’on a des difficultés à obtenir une nouvelle carte de crédit.

[17] Selon la BMO, aux termes de sa politique, un Autochtone, qui venait d’arriver au Canada, qui détenait un document officiel attestant de son statut et du caractère récent de sa résidence au Canada et qui n’avait aucun antécédent en matière de crédit au Canada, pouvait demander une carte de crédit avec garantie de la BMO. M. Starr pense que cette politique a été créée de toutes pièces en réponse à sa plainte.

[18] Mme Kristin Kennedy, vice-présidente de la BMO pour le Manitoba, et Mme Amada Mosher, directrice de la succursale principale, ont livré un témoignage crédible et utile sur les services offerts aux clients. Toutes les facilités de crédit de la BMO sont offertes sans égard à la race; en fait, la race n’est pas prise en compte dans les demandes de facilité de crédit. La BMO offre une grande variété de facilités de crédit à ses clients pour les aider à établir ou à rétablir leur crédit et les clients autochtones peuvent avoir accès à tous ces produits aux mêmes conditions que les autres clients, sans égard à la race.

[19] Comme l’ont fait remarquer M. Frame et Mme Kennedy, ce n’est pas parce qu’une personne a accès à une facilité de crédit qu’elle rétablira sa cote de crédit. Ce sont les habitudes d’endettement et de remboursement qui permettent de déterminer la cote de crédit d’une personne. En fait, il n’est pas nécessairement avantageux pour une personne d’avoir accès au crédit, notamment au moyen d’une facilité de crédit, lorsque ses antécédents en matière de crédit démontrent qu’elle a de mauvaises habitudes financières, car cela pourrait davantage nuire à sa cote de crédit.

[20] Mme Kennedy a parlé du Code de conduite de BMO, lequel vise tous les employés et fixe des normes de comportement. Le premier principe est d’ailleurs celui de l’honnêteté et du respect. Le Code inclut des énoncés selon lesquels les employés doivent prendre des décisions et agir avec intégrité, empathie et de façon responsable, respecter des normes élevées dans l’exercice de leurs activités et être inclusifs, accueillants et solidaires des personnes d’origines diverses, issues de milieux différents et représentant une diversité d’opinions. Le Code prévoit des conséquences qui peuvent aller jusqu’au congédiement et à des poursuites en justice lorsqu’un employé enfreint le Code. Chaque année, tous les employés suivent une formation, se prêtent à une évaluation et attestent qu’ils se conforment au Code.

[21] La BMO dispose également d’une procédure opérationnelle contre le harcèlement. Selon cette procédure, [traduction] « [l]a diversité est une priorité stratégique essentielle et une valeur fondamentale. Nous savons pertinemment qu’une véritable diversité se traduit par un meilleur rendement, des employés plus engagés et l’obtention d’un avantage concurrentiel durable ». Cette procédure précise que les employés doivent respecter la dignité et les droits fondamentaux de leurs collègues et de leurs clients et prévoit des mesures disciplinaires qui peuvent aller jusqu’au congédiement pour les employés qui se livrent à du harcèlement.

[22] Lorsque M. Starr s’est initialement présenté à la succursale principale le 18 avril 2018, il a été accueilli par M. Southonh Khouvongsavanh, qui a déclaré qu’il prêtait main-forte à cette succursale pour la première fois en tant que représentant du service à la clientèle, car il travaillait habituellement dans une autre succursale et qu’il ne connaissait pas la directrice de la succursale, Mme Mosher, ni ne savait où se trouvait le bureau de cette dernière. Le représentant a déclaré de manière franche et crédible que M. Starr avait demandé une carte de crédit avec garantie de la BMO et qu’il lui avait répondu qu’il ne pouvait pas obtenir une telle carte, car elle n’était offerte qu’aux personnes nouvellement arrivées au Canada. Or, M. Starr ne lui avait pas dit qu’il était un nouveau Canadien. M. Khouvongsavanh a déclaré que M. Starr l’avait alors accusé de faire preuve de discrimination à son égard au motif qu’il était autochtone et qu’il lui avait savoir qu’il aurait des nouvelles de son avocat. Il a ajouté qu’il ne pensait pas que M. Starr était victime de discrimination, mais que devant la réaction de ce dernier, il était allé chercher la directrice adjointe de la succursale, Mme Chenee Lubi, afin qu’elle puisse lui parler. À leur retour, M. Starr avait quitté la succursale principale, mais il est revenu plus tard pour parler à Mme Lubi.

[23] La version des faits de M. Starr concernant la rencontre susmentionnée est quelque peu différente. Il affirme ne pas avoir laissé entendre qu’il allait engager un avocat et pense que M. Khouvongsavanh reconnaissait qu’il était discriminatoire de ne pas lui fournir une carte de crédit avec garantie. M. Starr a ajouté, dans son témoignage, qu’il n’avait pas mentionné à ce moment-là qu’il avait besoin de la carte avec garantie pour rétablir sa cote de crédit. Il a déclaré avoir parlé à Mme Lubi la première fois qu’il est allé à la succursale principale, et non pas lorsqu’il y est retourné. Il a affirmé que la succursale principale est une succursale dont les clients ont un niveau socio-économique plus élevé que dans d’autres quartiers de Winnipeg et d’autres succursales de la BMO, et qu’il aurait été perçu par les employés de la succursale principale comme un Autochtone lorsqu’il les a rencontrés.

[24] M. Starr a affirmé être retourné à la succursale principale le 18 avril 2018, après être allé dans une autre succursale de la BMO à Winnipeg, située au 330 Portage Avenue (la « succursale de Portage Avenue »). Selon lui, cette succursale recevait généralement des clients appartenant à une classe socio-économique inférieure à celle des clients de la succursale principale. Il a déclaré avoir parlé à une représentante du service à la clientèle de la succursale de Portage Avenue; celle-ci lui aurait dit que la BMO offrait des cartes de crédit avec garantie à ses clients et lui aurait proposé d’ouvrir un nouveau compte pour entamer le processus de demande, mais il n’a pas fait cette démarche. Il n’a pas obtenu le nom de la représentante, mais il ne lui avait pas précisé s’il était ou non nouvellement arrivé au Canada. C’est donc sur la base de cet événement survenu à la succursale de Portage Avenue que M. Starr allègue qu’il s’agit d’une politique bidon et que la BMO offre en fait des cartes de crédit avec garantie à n’importe qui. Il a déclaré ce qui suit : [traduction] « Si je raconte mon expérience au 330 Portage Avenue, c’est pour démontrer que la partie intimée offre des cartes de crédit avec garantie à tout le monde dans les succursales qui accueillent des clients d’une classe socio-économique inférieure. Le problème est que la partie intimée ne veut pas servir les Autochtones à la succursale principale, dont la clientèle est composée de gens d’affaires et de personnes appartenant à une classe socio-économique plus élevée ». Rien ne prouve que la BMO ait effectivement offert une carte de crédit avec garantie sans tenir compte des restrictions prévues par la politique.

[25] Mme Lubi a été un témoin franc et crédible. Lors de son témoignage, elle a déclaré avoir rencontré M. Starr lorsqu’il est retourné à la succursale principale, et non lors de sa première visite comme il le prétend. Elle l’a rencontré parce que M. Khouvongsavanh lui avait fait part des préoccupations que M. Starr avait exprimées au sujet de la discrimination dont il croyait faire l’objet parce qu’il n’était pas en mesure d’obtenir une carte de crédit avec garantie. Selon son témoignage, elle n’a jamais dit à M. Starr que la BMO n’offrait pas de cartes de crédit avec garantie ou qu’aucune banque au Canada n’offrait de cartes de crédit avec garantie, comme il l’a prétendu. Elle savait que les cartes de crédit avec garantie n’étaient offertes qu’aux nouveaux Canadiens pour les aider à atténuer leurs difficultés financières en leur permettant d’établir des antécédents en matière de crédit, et c’est ce qu’elle a dit à M. Starr.

[26] M. Starr affirme avoir demandé à parler à la directrice de la succursale, Mme Mosher, lorsqu’il est retourné à la succursale principale le 18 avril 2018, mais les témoins de la BMO soutiennent ne pas avoir reçu de demande en ce sens. Mme Mosher, qui est un témoin crédible, a affirmé que, le 18 avril 2018, elle n’avait pas parlé à M. Starr, qu’elle ne l’avait pas vu et qu’elle ne savait pas à quoi il ressemblait. Dans son témoignage, Mme Lubi a déclaré avoir été incapable de régler la plainte de M. Starr en succursale, à savoir qu’il lui était impossible d’obtenir une carte de crédit avec garantie puisqu’elle n’était offerte qu’aux nouveaux Canadiens pour les aider à établir des antécédents en matière de crédit, et qu’elle lui avait remis la brochure « Ici, pour vous » (la « brochure ») pour qu’il puisse transmettre sa plainte à l’échelon supérieur.

[27] La BMO a prouvé que le processus de transmission des plaintes, qui était en vigueur à ce moment-là, a été appliqué de la façon décrite dans la brochure et de la même manière qu’il l’aurait été pour n’importe quel client qui aurait formulé une plainte, quelle que soit sa race.

[28] Les étapes qui sont décrites dans la brochure (le « processus de transmission ») sont celles qui ont été suivies en l’espèce, c’est-à-dire que le représentant doit transmettre la plainte au directeur adjoint de la succursale et, si ce dernier ne parvient pas à régler la plainte en succursale, il doit remettre la brochure au client pour que ce dernier puisse transmettre sa plainte à un cadre supérieur de la BMO. Or, rien dans le processus décrit dans la brochure ne laisse supposer qu’une plainte doive être transmise au directeur de la succursale lorsque cette succursale compte également un directeur adjoint. M. Starr souligne que rien dans le processus n’empêche le directeur adjoint de transmettre la plainte au directeur de la succursale si le client a des doutes à son égard. Il affirme qu’en l’espèce, il aurait fallu que la plainte soit transmise à la directrice, mais qu’elle ne l’a pas été parce qu’il est autochtone.

[29] Selon le processus de transmission des plaintes, si le directeur adjoint de la succursale n’est pas en mesure de régler la plainte, le client peut alors s’adresser au cadre supérieur approprié, et non au directeur de la succursale. Les coordonnées des personnes à contacter sont fournies à cet effet, mais après avoir prétendument appelé l’un de ces numéros, M. Starr n’a pas laissé de message sur la boîte vocale et n’a pris aucune autre mesure décrite dans la brochure. Par ailleurs, il n’a déposé sa plainte pour atteinte aux droits de la personne qu’environ un an plus tard.

[30] Il est tout à fait vrai que les personnes autochtones ont été la cible de racisme et de discrimination au Canada pendant de nombreuses années, mais M. Starr et la BMO estiment qu’il n’est pas question de discrimination systémique en l’espèce. M. Starr a déclaré ce qui suit : [traduction] « Je n’allègue pas être victime de discrimination systémique. J’allègue avoir reçu un traitement différent. Je prétends que la partie intimée donne des cartes de crédit avec garantie à tout le monde, sans égard au statut de citoyenneté, à la seule exception de la succursale principale à Winnipeg, où les clients autochtones qui ne sont pas à l’image des clients habituels ne se voient pas offrir ces cartes ».

[31] La BMO a diverses offres spéciales pour les clients et les entreprises autochtones, notamment l’exonération des frais de service d’un compte pendant un an, des taux préférentiels sur les investissements, les prêts et les prêts hypothécaires, ainsi que du financement dans les réserves pour la rénovation et l’achat de maisons, lequel programme a permis de consentir 200 millions de dollars de prêts. Plus important encore pour les faits de l’espèce, la politique de la BMO reconnaît aux Autochtones le même droit d’accès aux cartes de crédit avec garantie qu’à tout autre Canadien, sans égard à la race puisque la politique est la même pour tous ceux qui souhaitent obtenir une carte de crédit avec garantie de la BMO.

IV. LES OBSERVATIONS DU PLAIGNANT

[32] M. Starr soutient que certaines parties de la politique de la BMO qui a été présentée en preuve en l’espèce, laquelle limite l’accès aux cartes de crédit avec garantie aux nouveaux Canadiens qui n’ont aucun antécédent en matière de crédit et qui se sont vu refuser une carte de crédit non garantie, ne sont qu’une façade et qu’elles visent à donner à la BMO un moyen de défense. Il ajoute : [traduction] « Je prétends que la BMO aurait dû me remettre une carte de crédit avec garantie à la succursale principale de Winnipeg le 18 avril 2018 puisque tout le monde peut se procurer une telle carte. Pour appuyer mes allégations, j’ai expliqué qu’une caissière de la succursale située au 330 Portage Avenue m’avait proposé d’ouvrir un compte et d’entamer le processus de demande de carte de crédit avec garantie. De plus, j’ai présenté une capture d’écran du site Web de la partie intimée où il est conseillé aux clients de discuter avec un représentant de la BMO au sujet des cartes de crédit avec garantie [...] Essentiellement, je reproche à la partie intimée de m’avoir traité différemment à la succursale principale de Winnipeg en me refusant un produit qui est offert à tous les clients ».

[33] M. Starr soutient en outre que certains renseignements figurant sur le site Web de la BMO contredisent les politiques de l’institution puisqu’il est indiqué que les cartes de crédit avec garantie permettent de rétablir la cote de crédit, ce qui était justement la raison pour laquelle il souhaitait obtenir une telle carte. Il a cité un passage tiré d’un article figurant sur le site Web de BMO intitulé « Comment établir des antécédents de crédit au Canada » : « La carte de crédit avec garantie est également un excellent moyen de rétablir votre cote de crédit, surtout si vous avez des difficultés à obtenir une nouvelle carte de crédit. Une carte de crédit avec garantie nécessite un dépôt en espèces égal à votre limite de crédit. Cela vous empêchera de dépenser plus que ce que vous pouvez vous permettre ». Selon M. Starr, ce passage prouve que la politique de la BMO — à savoir qu’il n’est pas possible d’obtenir une carte de crédit avec garantie pour rétablir une cote de crédit — n’est qu’une façade et qu’elle constitue pour la BMO un moyen de défense. Il soutient que la carte de crédit avec garantie était, dans d’autres succursales, offerte à tous ceux qui voulaient rétablir leur cote de crédit, mais qu’elle lui a été refusée à la succursale principale en raison de sa race.

[34] M. Starr affirme que la BMO a fait preuve de discrimination à son égard lorsqu’elle lui a refusé l’accès à une carte de crédit avec garantie à la succursale principale le 18 avril 2018 parce qu’il est un Autochtone qui s’habille comme une personne de classe ouvrière — comme bien d’autres personnes qui fréquentent le quartier — alors que cette succursale sert des personnes dont le statut socio-économique est supérieur à celui des clients d’autres succursales, y compris celle de Portage Avenue qui, affirme-t-il, était disposée à lui donner une carte de crédit avec garantie le 18 avril 2018.

[35] M. Starr soutient également avoir été victime de discrimination raciale du fait qu’il n’a pas pu rencontrer la directrice de la succursale, Mme Mosher, lorsqu’il se trouvait à la succursale principale le 18 avril 2018. Il prétend qu’il aurait dû pouvoir s’adresser à elle puisque le représentant et la directrice adjointe de la succursale n’avaient pas été en mesure de régler sa plainte. Il ajoute que s’il n’avait pas été autochtone, la directrice adjointe aurait transmis sa plainte à la directrice de la succursale. Il affirme avoir demandé au représentant de rencontrer Mme Mosher, dont il pouvait voir le bureau depuis l’endroit où il se trouvait, mais que cette dernière a refusé de le rencontrer parce qu’il était autochtone et qu’elle l’a laissé en plan. Il conteste les déclarations des témoins de la BMO, à savoir que M. Starr n’a pas formulé une telle demande et que, par conséquent, il ne s’est pas vu refuser une rencontre avec Mme Mosher.

[36] M. Starr soutient en outre que tous les témoins de la BMO, y compris les deux qu’il a appelés à témoigner et les quatre qui ont été cités par la BMO, ne sont pas des témoins crédibles, car, selon lui, leur version des faits n’est pas exacte alors que la sienne l’est. Il conteste l’affirmation selon laquelle il a accusé le représentant d’être raciste, qu’il a déclaré qu’il engagerait un avocat, qu’il s’est énervé lorsque le représentant a répondu à sa demande de carte de crédit avec garantie ou que le représentant n’était pas d’accord avec lui pour dire que la politique était discriminatoire. Il réitère qu’il s’est toujours opposé à la politique, et non pas à l’un ou l’autre des employés de la BMO en tant qu’individu.

[37] M. Starr soutient qu’à la succursale principale, la BMO n’offre aucune facilité de crédit aux personnes autochtones, comme lui, qui ne sont pas de nouveaux Canadiens, qui souhaitent rétablir leur faible cote de crédit et qui se sont vu refuser une carte de crédit non garantie. Par ailleurs, il soutient qu’à d’autres succursales, comme celle de Portage Avenue, situées dans des quartiers moins aisés, la BMO offre des cartes de crédit avec garantie à quiconque souhaite utiliser une telle carte pour rétablir sa cote de crédit, sans tenir compte des restrictions, et que ces personnes sont alors avantagées par rapport aux Autochtones, comme lui, qui se sont vu refuser une carte de crédit avec garantie à la succursale principale, laquelle sert des personnes plus aisées. Il affirme qu’il s’agit là d’un traitement défavorable dont il a été victime lorsqu’il s’est présenté à la succursale principale et qu’il s’est vu refuser une carte de crédit avec garantie parce qu’il était autochtone.

[38] M. Starr déclare qu’il [traduction] « y a eu discrimination lorsqu’il s’est vu refuser des produits financiers. Il y a eu discrimination quand la directrice de la succursale n’a pas donné suite à mes préoccupations. La discrimination était à la fois délibérée et imprudente, et j’ai souffert émotionnellement et psychologiquement. Je ne peux pas donner un montant précis, mais ils ont nui à la croissance de mon entreprise de production de films et ils ont entravé ma capacité à créer de la richesse personnelle ». Il réclame 800 000 $. Il a déclaré qu’il était prêt à déposer 1 000 $ dans un compte à la succursale principale en guise de garantie pour la carte de crédit qu’il voulait.

V. LES OBSERVATIONS DE LA PARTIE INTIMÉE

[39] La BMO soutient que tous ses employés qui étaient des témoins à l’audience, y compris les deux témoins cités par M. Starr, étaient crédibles et qu’ils ont livré un témoignage constant et cohérent, exempt de contradictions et d’incohérences. Elle affirme que les allégations de M. Starr selon lesquelles les témoins n’étaient pas crédibles sont uniquement fondées sur le fait qu’il croyait que sa version des faits était correcte, y compris son allégation selon laquelle la politique 910-13 était fausse et que les témoins avaient fourni un compte rendu erroné des faits, mais celles-ci ne sont que des hypothèses inexactes et mettent en évidence les failles de son raisonnement.

[40] La BMO déclare que le produit bancaire en cause en l’espèce est une carte de crédit avec garantie conçue pour permettre aux nouveaux Canadiens d’établir des antécédents en matière de crédit, et non de rétablir leur cote de crédit, qu’ils soient autochtones ou non. En 2018, quiconque n’était pas un nouveau Canadien se voyait refuser une telle carte. Par ailleurs, tous ceux qui avaient des antécédents de crédit au Canada, y compris les nouveaux Canadiens, ne pouvaient pas non plus obtenir une carte de crédit avec garantie et il ne leur était pas proposé par le système de se présenter en succursale pour en faire la demande après s’être vu refuser une carte de crédit non garantie. La BMO affirme que M. Starr ne répondait pas aux critères établis pour obtenir une carte de crédit avec garantie et qu’il a traité de manière non discriminatoire à la succursale principale le 18 avril 2018.

[41] La BMO conteste les allégations de M. Starr selon lesquelles il a subi un effet préjudiciable et a été traité différemment dans le traitement de sa plainte, car les employés de la BMO qui ont interagi avec lui à la succursale principale ont appliqué les bonnes procédures, et ce, sans que sa race soit un quelconque facteur dans l’application des procédures de traitement des plaintes énoncées dans la brochure. M. Starr a choisi de ne pas transmettre sa plainte à l’échelon supérieur, comme il était indiqué dans la brochure.

[42] La BMO souligne que M. Starr n’a pas fait de demande de carte de crédit avec garantie à la succursale de Portage Avenue, même s’il prétend qu’on lui en a offert une. Elle soutient également que M. Starr n’a jamais demandé aux employés de la succursale principale — où il est retourné après s’être vu offrir une carte de crédit avec garantie à la succursale de Portage Avenue — de rencontrer la directrice. Dans la brochure, il n’est pas prévu que le directeur adjoint transmette la plainte au directeur puisque le directeur adjoint équivaut à un « directeur » ou un « superviseur » selon l’étape 1 du processus de transmission des plaintes.

[43] La BMO soutient que M. Starr n’a pas été traité de manière discriminatoire par les employés de la succursale principale le 18 avril 2018, car ils n’ont jamais fait allusion à sa race ou à tout autre motif de distinction illicite prévu par la LCDP. Par conséquent, le Tribunal n’a pas compétence pour conclure à une violation de la LCDP et la plainte doit être rejetée dans son intégralité.

[44] La BMO soutient que l’allégation de M. Starr selon laquelle on lui aurait dit qu’il pouvait obtenir une carte de crédit avec garantie à la succursale de Portage Avenue, même si elle est vraie, ne constitue pas une preuve de discrimination. Les renseignements qu’il prétend avoir reçus à la succursale de Portage Avenue étaient erronés et ne reflétaient pas les critères d’admissibilité à une carte de crédit avec garantie. Il a reçu les bons renseignements à la succursale principale.

[45] La BMO affirme que M. Starr s’est vu refuser une carte de crédit avec garantie parce qu’il n’était pas un nouveau Canadien au sens de la politique. D’après la politique de la BMO sur les cartes de crédit avec garantie, un Autochtone (tel que défini dans la politique) nouvellement arrivé au Canada, en possession d’un document officiel attestant de son statut et du caractère récent de sa résidence au Canada (c.-à-d. dans les 5 dernières années) et qui n’avait aucun antécédent en matière de crédit au Canada, pouvait demander une carte de crédit avec garantie de la BMO, ce qui montre bien que le refus essuyé par M. Starr n’était pas discriminatoire. De fait, comme ces critères d’admissibilité ont été appliqués à M. Starr sans égard à sa race, il ne peut pas s’être vu refuser une carte de crédit avec garantie en raison de sa race.

[46] Comme Mme Mosher a affirmé ne pas avoir parlé à M. Starr, ne pas l’avoir vu, ne pas le connaître et ne pas avoir été appelée à le rencontrer le 18 avril 2018, il n’est pas possible que le traitement défavorable qu’il prétend avoir subi du fait qu’elle ne l’a pas rencontré soit lié de quelque façon que ce soit à sa race. La BMO soutient également que les allégations de discrimination de M. Starr ne sont pas fondées sur une preuve crédible qui démontrerait qu’il a effectivement été victime de discrimination, que ce soit de par la politique ou de par les agissements de l’un ou l’autre des employés de la BMO, mais plutôt sur le seul fait qu’il s’identifie comme membre d’un groupe visé par un motif de distinction illicite. La BMO affirme que le simple fait de s’identifier comme membre d’un groupe visé par un motif de distinction illicite et de formuler des allégations de discrimination ne constitue pas une preuve de traitement discriminatoire.

VI. CADRE JURIDIQUE

[47] L’article 5 de la LCDP prévoit notamment que constitue un acte discriminatoire, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public, a) d’en priver un individu ou b) de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture en raison de sa race ou d’une autre caractéristique protégée. En l’espèce, les parties s’entendent pour dire que la fourniture de cartes de crédit par les banques est un « service » au sens de l’article 5.

[48] Il incombe à un plaignant qui allègue que la LCDP a été violée d’établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination. Cette preuve est celle qui « porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur ». Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears [1985] 2 RCS 536, au par. 28. La norme de preuve applicable est la norme civile, soit la prépondérance des probabilités. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, [2015] 2 RCS 789, au par. 65.

[49] Une fois la discrimination établie à première vue, l’intimé a alors le fardeau de réfuter les allégations de discrimination ou de justifier la conduite suivant le régime d’exemptions prévu par la LCDP. Si la conduite ne peut être réfutée ou justifiée, le Tribunal conclura à l’existence de la discrimination. Dulce-Crowchild c. Nation Tsuut’ina (Dulce-Crowchild), 2020 TCDP 6, aux par. 10 et 11; Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears [1985] 2 RCS 536, au par. 28; Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, [2012] 3 RCS 360, au par. 33.

[50] Le critère de la preuve prima facie est nécessairement souple et dépend des circonstances parce qu’il doit être appliqué dans des affaires présentant des variations factuelles diverses et impliquant des motifs de discrimination variés. Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2014 CAF 110, au par. 83.

[51] Il n’est pas nécessaire que les actes ou les décisions de l’employeur qui sont en cause soient uniquement motivés par des considérations discriminatoires. Il suffit que la discrimination ait été un facteur, même si d’autres facteurs étaient aussi en cause. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, [2015] 2 RCS 789, aux par. 44 à 52; Khiamal c. Canada, 2009 CF 495, aux par. 80 à 84. De plus, le plaignant n’est pas tenu de démontrer que l’intimé avait l’intention de commettre un acte discriminatoire à son endroit. C’est plutôt l’effet de l’acte discriminatoire qui importe. Bombardier, ibid., aux par. 40 et 41.

[52] La jurisprudence sur les droits de la personne reconnaît que, dans bien des cas, il n’existe aucune preuve directe de discrimination, car la discrimination n’est pas un phénomène qui se manifeste ouvertement. Par conséquent, il appartient au Tribunal d’examiner l’ensemble des circonstances de l’affaire pour pouvoir décider s’il existe une « subtile odeur » de discrimination. Basi c. Cie des Chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP); Turner c. Agence des services frontaliers du Canada, 2020 TCDP 1, au par. 48. La preuve circonstancielle peut aider le Tribunal à tirer des inférences de discrimination lorsque la preuve qui a été présentée au soutien des allégations rend ces inférences plus probables que les hypothèses ou autres inférences possibles. Nielsen c. Nee Tahi Buhn Indian Band, 2019 TCDP 50 (CanLII), au par. 46; Peel Law Association v. Pieters, 2013 ONCA 396 (CanLII), aux par. 72 et 73, 111 [Pieters]. À cet égard, une preuve du contexte social peut aussi permettre au Tribunal de déterminer quelles inférences doivent être tirées. R. c. Le, 2019 CSC 34; Peart v. Peel Regional Police, 2006 ONCA 296 (CANLII), au par. 96; McCarthy v. Kenny Tan Pharmacy, 2015 HRTO 1303, au par. 56.

[53] Les cours et les tribunaux ont reconnu qu’il peut être difficile de prouver la discrimination raciale étant donné qu’elle se manifeste souvent de manière très subtile et que les [traduction] « stéréotypes raciaux sont généralement le résultat de croyances, de partis pris et de préjugés subtils et inconscients ». Pieters, précité, au par. 111.

[54] Dans les affaires mettant en cause des allégations de discrimination raciale, les cours et tribunaux ont résumé les cinq principes suivants et ont souligné à maintes reprises qu’ils revêtaient une importance particulière :

[traduction]

a) il n’est pas nécessaire qu’un motif de distinction illicite soit le seul ou le principal facteur menant à la conduite discriminatoire; il suffit qu’il soit un facteur;

b) il n’est pas nécessaire d’établir qu’une intention ou une motivation a mené à la discrimination; l’enquête doit porter sur l’effet des actions de l’intimé sur le plaignant;

c) il n’est pas nécessaire qu’un motif illicite soit la seule cause de la conduite discriminatoire de l’intimé; il suffit qu’il soit un facteur ou un élément déterminant;

d) il n’est pas nécessaire qu’il y ait une preuve directe de discrimination; la discrimination est plus souvent étayée par des éléments de preuve circonstanciels et des inférences;

e) l’application de stéréotypes raciaux est généralement le résultat de croyances, de partis pris et de préjugés subtils inconscients. Davis c. Agence des services frontaliers du Canada, 2014 TCDP 34, citant Radek v. Henderson Development (Canada) Ltd., 2005 BCHRT 302; Phipps v. Toronto Police Services Board, 2009 HRTO 877.

[55] Pour établir une preuve prima facie, aucune forme de preuve particulière doit invariablement être produite. Chaque affaire dépend des faits qui lui sont propres.

[56] Si la plainte n’est liée à aucun motif de distinction illicite aux termes de la LCDP, elle est vouée à l’échec. Ozcevik c. Canada (Agence du revenu), 2021 CF 13 (CanLII), au par. 20.

VII. ANALYSE

[57] Pour obtenir gain de cause en l’espèce, M. Starr doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’en raison de sa race, il s’est vu refuser l’accès à une carte de crédit avec garantie de la BMO ou qu’il a traité de manière défavorable au point de se voir refuser une rencontre avec la directrice de la succursale principale le 18 avril 2018. Il n’a pas réussi à prouver ces allégations sur la base de la preuve soumise en l’espèce.

[58] La preuve en l’espèce ne permet pas de conclure que la politique ou les interactions qu’ont eues les employés de la BMO avec M. Starr le 18 avril 2018 à la succursale principale étaient discriminatoires.

[59] La politique était clairement en vigueur lorsque M. Starr s’est rendu à la succursale principale le 18 avril 2018. La politique n’était pas qu’une façade, comme l’a prétendu M. Starr. Elle était réelle et elle visait à donner aux nouveaux Canadiens (ainsi décrits au paragraphe 11 ci-dessus) qui n’avaient aucun antécédent en matière de crédit au Canada, la possibilité d’établir des antécédents après s’être vu refuser une carte de crédit non garantie. En date du 18 avril 2018, telles étaient les restrictions applicables aux demandes de carte de crédit avec garantie de la BMO.

[60] Rien dans la politique n’était lié à la race. Tout Canadien, même autochtone, qui respectait les restrictions de la politique, pouvait se voir offrir une carte de crédit avec garantie sans égard à sa race ou à toute autre caractéristique protégée au titre de la LCDP. Tout Canadien, même autochtone, qui ne respectait pas les restrictions de la politique, ne pouvait pas se voir offrir une carte de crédit avec garantie, et ce, sans égard à sa race ou à toute autre caractéristique protégée au titre de la LCDP. Qu’importe si M. Starr estime que les employés de la BMO de la succursale principale ont pu conclure qu’il était autochtone en raison de son apparence, il ne respectait pas les restrictions prévues par la politique et c’est la raison pour laquelle il n’a pas pu obtenir une carte de crédit avec garantie, et non pas parce qu’il était autochtone.

[61] Le témoignage de M. Starr selon lequel on lui aurait offert une carte de crédit avec garantie à la succursale de Portage Avenue, sans égard aux restrictions, après qu’on lui en ait refusé une à la succursale principale le 18 avril 2018 à cause des restrictions, ne semble pas crédible. Si un représentant de la succursale de Portage Avenue lui a vraiment offert une telle carte, M. Starr aurait pu obtenir le nom de ce représentant et l’assigner à témoigner, comme il l’a fait pour M. Khouvongsavanh, et il aurait pu faire une demande en vue d’obtenir la carte de crédit avec garantie qui lui avait été offerte. Or, il n’a rien fait et son témoignage portant sur les propos qui ont été tenus à la succursale de Portage Avenue (voir le paragraphe 24 ci-dessus) est, au mieux, vague quant à la question de savoir si tout le monde pouvait obtenir une carte de crédit avec garantie, sans égard aux restrictions. Même s’il s’est réellement vu offrir une telle carte à la succursale de Portage Avenue, j’accepte la preuve de la BMO selon laquelle il s’agirait d’une erreur, car il est clair que les restrictions applicables à une demande de carte de crédit avec garantie de la BMO étaient en vigueur dans toutes les succursales de la BMO en date du 18 avril 2018 et qu’elles n’auraient pas été en vigueur uniquement à la succursale principale. De plus, rien ne prouve que la BMO ait déjà émis une carte de crédit avec garantie à quelqu’un qui ne respectait pas les restrictions.

[62] Rien dans le témoignage des employés de la BMO ne me permet de penser qu’ils auraient refusé d’émettre une carte de crédit avec garantie à M. Starr en raison de sa race. Tous les témoins m’ont semblé crédibles et cohérents dans leurs témoignages et ils n’ont montré aucun comportement ou tendance raciste qui les aurait amenés à inventer les restrictions afin de ne pas donner de carte de crédit avec garantie à M. Starr parce qu’il était autochtone.

[63] Certes, une incohérence a été relevée dans le passage tiré du site Web de la BMO dont il est question au paragraphe 16 ci-dessus, à savoir que la carte de crédit avec garantie peut être utilisée pour rétablir sa cote de crédit, mais j’estime qu’il s’agissait d’une erreur et qu’il ne faut pas en conclure qu’il y a eu discrimination en l’espèce, car la preuve montre de façon beaucoup plus claire et cohérente que le rétablissement de la cote de crédit n’est pas un objectif visé par la carte de crédit avec garantie.

[64] En ce qui concerne l’allégation de M. Starr selon laquelle il a été victime de discrimination parce qu’on lui a refusé une rencontre avec la directrice de la succursale, Mme Mosher, je retiens la preuve fournie par la BMO sur ce qui s’est passé à la succursale principale le 18 avril 2018. J’accepte le témoignage de Mme Mosher selon lequel elle n’a pas parlé à M. Starr, qu’elle ne l’a pas vu, qu’elle ne le connaissait pas et qu’elle n’a pas été appelée à le rencontrer, de sorte qu’elle n’a pas pu refuser de le rencontrer. Par conséquent, il est impossible que M. Starr ait été victime de discrimination fondée sur sa race du fait que Mme Mosher aurait refusé de le rencontrer. En outre, je suis convaincu que le processus de transmission des plaintes et la brochure étaient justes, raisonnables, clairs et non discriminatoires. Le processus de transmission des plaintes a été suivi puisque M. Starr s’est d’abord entretenu avec le représentant du service à la clientèle, puis avec la directrice adjointe, Mme Lubi, qui lui a remis la brochure dans laquelle il était expliqué comment transmettre une plainte à l’échelon supérieur, ce que M. Starr n’a pas fait. Il n’a pas été victime de discrimination de la part de la BMO en ce qui concerne son allégation selon laquelle il s’est vu refuser une rencontre avec Mme Mosher parce qu’il était autochtone.

[65] Pour les motifs qui précèdent, en me fondant sur la preuve dont je dispose et sur la loi, les allégations de discrimination formulées par M. Starr en l’espèce ne sont pas liées à l’un des motifs de distinction illicite prévus dans la LCDP et ne peuvent pas être retenues. M. Starr n’a pas réussi à étayer sa plainte et celle-ci doit être rejetée.

VIII. ORDONNANCE

[66] La plainte de M. Starr est rejetée.

Signée par

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 16 novembre 2023

 

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : HR-DP-2829-22

Intitulé de la cause : Starr c. BMO Groupe financier

Date de la décision du Tribunal : Le 16 novembre 2023

Date et lieu de l’audience : du 25 septembre 2023 au 27 septembre 2023

Par vidéoconférence

Comparutions :

Clifton Starr, pour son propre compte

Sunny J. Khaira et Armin Sohrevardi, pour l’intimé

 

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