Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Le Tribunal a reçu trois plaintes de Ray Davidson. Les trois plaintes visent des ministères gouvernementaux différents, mais elles portent sur la même allégation de discrimination. M. Davidson dit ne pas avoir été embauché ou promu en raison de sa race. Toutes les parties aux trois plaintes ont demandé au Tribunal de « bifurquer » leurs audiences, ce qui signifie diviser une audience en deux parties. Lors de la première partie, le Tribunal déterminerait s’il y a eu de la discrimination. Lors de la deuxième, le Tribunal déciderait le montant d’indemnité à verser à M. Davidson si les ministères l’ont en effet discriminé. Comme il y a trois plaintes, il faudrait donc tenir six audiences au total.

Le Tribunal a conclu que tenir six audiences était une utilisation déraisonnable de son temps et de ses ressources. Il a donc refusé la demande et a plutôt rendu des décisions sur l’ordre de traitement des plaintes.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2023 TCDP 48

Date : le 26 octobre 2023

Numéros des dossiers : T2503/6020; T2659/3521

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Ray Davidson

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada

l'intimé

Décision sur requête

Membre : Kathryn A. Raymond, c.r.

 


Table des matières

I. Les trois plaintes 1

II. La demande de scission formulée par les parties 1

III. Le résumé de la procédure 1

IV. Les questions en litige dans chacune des plaintes 2

V. Les questions en litige dans la présente décision sur requête 2

VI. Le contexte procédural 3

A. Les discussions initiales portant sur l’efficacité des procédures 3

B. Les réponses tardives aux questions de procédure dans les plaintes contre IRCC et SPAC 4

C. La gestion continue de la plainte contre AMC 4

VII. La réponse donnée par les parties en octobre 2023 6

VIII. Des allégations qui comportent des erreurs 7

IX. L’erreur n’exige pas que d’autres observations soient déposées 7

X. La compétence qu’a le Tribunal en matière de procédure pour scinder une plainte 9

XI. Quand faut-il ordonner une scission? 9

XII. Quand faut-il procéder à la scission de plaintes multiples? 10

XIII. La proposition de scission telle que décrite par les parties 11

XIV. Éviter la double indemnisation et le caractère approprié des dommages-intérêts 12

XV. Une observation sur le chevauchement possible des dommages-intérêts généraux 13

XVI. L’ordre dans lequel les affaires sont instruites est pertinent 14

XVII. Analyse comparative de la scission 14

XVIII. Conclusion générale 15

XIX. Les conclusions et directives pour chacune des plaintes 16

A. La plainte contre AMC 16

(i) Identification des problèmes connus de chevauchement dans la plainte contre AMC 16

(ii) Les directives pour la plainte contre AMC 17

B. La plainte contre IRCC 19

(i) Identification des problèmes connus de chevauchement dans la plainte contre IRCC 19

(ii) Les directives pour la plainte contre IRCC 20

C. La plainte contre SPAC 21

(i) Identification des problèmes connus de chevauchement dans la plainte contre SPAC 21

(ii) Les directives pour la plainte contre SPAC 21

(iii) L’exception 22

XX. Ordonnances pour les trois plaintes, le cas échéant 22

 


I. Les trois plaintes

[1] Il s’agit d’une décision sur requête relative à des questions de procédure soulevées dans le cadre de la gestion de l’instance de trois différentes plaintes déposées par un seul et même plaignant à l’encontre de différents intimés, dont la présente plainte. Les plaintes sont les suivantes : Ray Davidson c. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et Commission canadienne des droits de la personne (la « CCDP ») (dossiers du Tribunal numéros T2503/6020 et T2659/3521), Ray Davidson c. Affaires mondiales Canada et CCDP (dossier du Tribunal numéro T2582/13920) et Ray Davidson c. Services publics et Approvisionnement Canada et CCDP (dossier du Tribunal numéro HR-DP 2796-22). Dans la présente décision sur requête, nous appellerons les trois plaintes déposées par le plaignant la « plainte contre IRCC », la « plainte contre AMC » et la « plainte contre SPAC » afin de pouvoir les distinguer en fonction de l’intimé.

II. La demande de scission formulée par les parties

[2] Les parties à ces trois plaintes ont demandé à ce que chacune des plaintes fasse l’objet de deux audiences, l’une portant sur la responsabilité et l’autre sur la réparation. Les parties proposent que les questions relatives à la responsabilité soulevées dans les trois plaintes soient instruites et tranchées par le Tribunal en premier et que les questions relatives à la réparation soient ensuite instruites par le Tribunal au cours de trois autres audiences avant qu’il ne rende ses décisions sur les mesures de réparation, le cas échéant. Les parties conviennent que toutes les questions relatives à la responsabilité doivent être tranchées en premier. Par ailleurs, elles sont d’avis que l’ordre dans lequel les questions de responsabilité et de réparation sont entendues n’a pas d’importance.

III. Le résumé de la procédure

[3] La proposition selon laquelle les trois plaintes devraient faire l’objet de six audiences devant le Tribunal est refusée, notamment parce que le Tribunal estime que ce serait une utilisation déraisonnable de ses ressources.

[4] En revanche, il donne des directives procédurales quant à l’ordre dans lequel ces affaires seront entendues. Cette approche est plus efficace et logique lorsqu’il s’agit de résoudre des problèmes potentiels de chevauchement entre les plaintes.

[5] Le Tribunal se réserve également la compétence à l’égard des questions soulevées dans la présente décision sur requête, y compris celle de modifier les directives fournies si des circonstances imprévues devaient survenir au cours de l’audition de la preuve.

IV. Les questions en litige dans chacune des plaintes

[6] Dans les trois plaintes, le plaignant allègue qu’il n’a pas réussi à obtenir un nouveau poste auprès de l’intimé concerné pour des raisons discriminatoires. Il demande des mesures de réparation, notamment des dommages-intérêts généraux pour avoir été victime de discrimination (pour refléter pour le préjudice que lui aurait causé la discrimination) et des dommages-intérêts pour la perte de revenu.

V. Les questions en litige dans la présente décision sur requête

[7] Au cours du processus de gestion de l’instance, le Tribunal a demandé aux parties si les plaintes devaient être instruites ensemble, s’il fallait coordonner les audiences relatives à l’une des plaintes du plaignant avec celles relatives aux autres plaintes et si la question de la responsabilité et celle de la réparation devaient être instruites séparément dans l’une ou l’autre des plaintes (en termes juridiques, on parle de la « scission » d’une plainte).

[8] Les parties ont demandé la scission de toutes les plaintes. Les questions sous-jacentes sont donc les suivantes :

(1) Existe-t-il un chevauchement entre l’une ou l’autre des plaintes du plaignant et, le cas échéant, en quoi consiste-t-il?

(2) Le Tribunal devrait-il ordonner la scission des trois plaintes en six audiences, soit trois portant sur la responsabilité et trois autres sur les mesures de réparation?

(3) Quelles ordonnances de procédure le Tribunal devrait-il rendre pour faciliter le règlement logique et efficace des plaintes?

VI. Le contexte procédural

[9] Les parties aux plaintes contre IRCC et SPAC ainsi que l’intimé AMC sont représentés par des avocats. Le plaignant agit pour son propre compte dans la plainte contre AMC et il est représenté par le même avocat dans les plaintes contre IRCC et SPAC.

[10] Les plaintes contre IRCC et SPAC sont toujours à l’étape de la gestion de l’instance tandis que la plainte contre AMC sera bientôt instruite. La genèse des plaintes et le fait que Tribunal souhaite préserver les dates d’audience prévues pour la plainte contre AMC replacent la présente décision sur requête et les questions d’efficacité procédurale dans leur contexte.

A. Les discussions initiales portant sur l’efficacité des procédures

[11] Dans la plainte contre SPAC, la question de savoir s’il était possible qu’il y ait un chevauchement quant à la question de la responsabilité a d’abord été soulevée lors de la première conférence de gestion préparatoire le 27 janvier 2023. Les parties étaient toutes d’avis que les trois plaintes étaient distinctes et indépendantes les unes et des autres. Ainsi, elles ne jugeaient pas nécessaire d’instruire la plainte contre IRCC, dont les faits se sont produits en premier, avant la plainte contre SPAC. L’avocat du plaignant a même laissé entendre que l’inverse était possible. Les événements qui ont donné lieu à la plainte contre AMC se sont produits entre les événements sur lesquels repose la plainte contre IRCC et ceux allégués dans la plainte contre SPAC. Toutefois, les parties ont jugé qu’il n’était pas nécessaire de tenir les audiences en fonction de la chronologie des événements allégués au motif que les questions de responsabilité soulevées dans les plaintes n’étaient pas liées.

[12] Le risque de chevauchement entre les questions relatives à la responsabilité a de nouveau été soulevé par le Tribunal lors de la conférence de gestion préparatoire du 31 mars 2023 tenue dans le dossier de SPAC. La raison en est que l’exposé des précisions déposé par le plaignant dans le cadre de la plainte contre SPAC contenait des renseignements sur son rendement dans un poste de gestionnaire intérimaire à IRCC et des informations relatives à IRCC qui étaient pertinentes à sa demande d’emploi auprès de SPAC. L’avocat du plaignant a confirmé que la plainte contre IRCC n’est pas pertinente à la plainte contre SPAC, si ce n’est que pour fournir des renseignements généraux sur les qualifications que doit posséder le plaignant pour décrocher le nouveau poste à SPAC.

[13] Le Tribunal a évoqué le risque de chevauchement des mesures de réparation à la conférence de gestion préparatoire du 6 décembre 2022 en ce qui concerne la plainte contre IRCC et aux conférences de gestion préparatoires du 27 janvier 2023 et du 31 mars 2023 en ce qui concerne la plainte contre SPAC. Aucune réponse claire n’a été reçue. Le Tribunal a informé les parties aux trois plaintes que, si l’une des plaintes était accueillie, il refuserait de rendre, dans l’une ou l’autre des plaintes, une ordonnance qui constituerait une double indemnisation du plaignant.

B. Les réponses tardives aux questions de procédure dans les plaintes contre IRCC et SPAC

[14] Les parties aux plaintes contre IRCC et SPAC ont tardé à traiter plusieurs questions préalables à l’audience au cours du processus de gestion de l’instance, notamment la question du chevauchement des mesures de réparation. Le Tribunal a fixé au 13 mai 2023 la date à laquelle les parties devaient répondre à cette question. Or, ces dernières n’ont pas respecté cette directive et le Tribunal a dû assurer un suivi et donner d’autres directives. Par deux fois, la dernière fois étant dans une lettre datée du 1er août 2023, le Tribunal a eu la confirmation que [traduction] « les parties aux trois plaintes avaient entamé des discussions sur l’adjudication efficace des dommages-intérêts ». Il a émis la directive suivante le 4 août 2023 : [traduction] « Les parties doivent conclure leurs discussions concernant le chevauchement des questions de responsabilité et de réparation et transmettre au Tribunal une proposition bien précise dans laquelle elles indiquent et, le cas échéant, expliquent comment elles veulent traiter les questions qui se recoupent d’ici le 16 octobre 2023 ».

C. La gestion continue de la plainte contre AMC

[15] Par ailleurs, pendant cette même période, la plainte contre AMC a fait l’objet d’une gestion d’instance intensive. Il y a été question du chevauchement potentiel des mesures de réparation entre la plainte contre AMC et celle contre IRCC. Il a été décidé qu’il n’y avait pas de chevauchement entre les mesures de réparation sollicitées dans la plainte contre AMC et celles sollicitées dans la plainte contre SPAC.

[16] Les parties à la plainte contre AMC ont eu plusieurs occasions de modifier leur exposé des précisions afin de fournir les précisions supplémentaires demandées, notamment en ce qui concerne la perte de revenu. Il a été décidé que le plaignant fournirait deux autres calculs de la perte de revenu alléguée dans son exposé des précisions et que l’intimé y répondrait. Il était entendu que la validité de ces calculs dépendait des conclusions tirées par le Tribunal dans le cadre de la plainte contre IRCC. Le plaignant avait postulé pour un poste de consultant auprès d’AMC alors qu’il travaillait encore pour IRCC. Il a finalement été décidé que l’audience commencerait à la fin du mois de novembre 2023.

[17] Les dates d’audience ont été fixées dans le cadre de la plainte contre AMC parce que les parties aux trois plaintes ont déclaré qu’il n’y avait pas de chevauchement en matière de responsabilité entre la plainte contre IRCC et celle contre AMC et, de même, entre la plainte contre AMC et celle contre SPAC. Dans la plainte contre AMC, il était question d’un contrat à durée déterminée, alors que les deux autres plaintes faisaient état d’une perte continue de revenu. Il semblait donc plus simple de régler la question de la réparation qui était soulevée dans la plainte contre AMC en premier. Plus important encore, la plainte contre AMC en était au point où il fallait fixer des dates d’audience alors qu’il était devenu évident que les deux autres plaintes ne pourraient pas être instruites aussi rapidement que la plainte contre AMC.

[18] Le Tribunal a avisé les avocats chargés des plaintes contre IRCC et SPAC des dates d’audience prévues pour la plainte contre AMC. Les avocats ont reçu la directive de faire de leur mieux pour ne pas perturber le processus et l’instruction de la plainte contre AMC, dans le cadre de laquelle le plaignant agit pour son propre compte, tout en poursuivant les discussions sur le chevauchement des mesures de réparation sollicitées dans les trois plaintes, comme l’avait demandé le Tribunal le 4 août 2023.

VII. La réponse donnée par les parties en octobre 2023

[19] Le 16 octobre 2023, l’avocat du plaignant a de nouveau confirmé que toutes les parties s’accordaient à dire qu’il n’y avait pas de problème de chevauchement quant à la question de savoir si les intimés avaient fait preuve de discrimination à l’égard du plaignant dans les trois plaintes. Les parties étaient donc toujours d’avis que les plaintes pouvaient être instruites indépendamment les unes des autres. Il a été mentionné que la Commission estimait que la [traduction] « période pertinente aux fins de la responsabilité dans chacune des plaintes » pouvait « dépendre de l’ordre dans lequel les plaintes seraient instruites » et que cet ordre « pouvait avoir une incidence sur le montant octroyé par le Tribunal » afin d’éviter une double indemnisation sur la base du paragraphe 53(2).

[20] L’avocat du plaignant a indiqué que les parties s’accordaient sur le fait qu’il y avait un chevauchement entre les mesures de réparation sollicitées dans les trois plaintes. Dans la lettre, l’avocat du plaignant a énoncé des faits dans le but de décrire quand (les périodes) les mesures de réparation sollicitées dans les trois plaintes allaient se chevaucher, advenant que le plaignant démontre la responsabilité de chacun des trois intimés. Il n’a toutefois pas précisé quelles mesures de réparation risquaient de se chevaucher, si ce n’est qu’il a fait référence à la perte de revenu future. En fait, il a indiqué que le plaignant [traduction] « demand[ait] réparation pour une perte de revenu future dans les trois cas ».

[21] Les parties ont aussi adopté la position suivante :

[traduction] même si la question de la réparation n’est pas scindée, la décision rendue sur la réparation dans l’une ou l’autre des plaintes aura une incidence directe sur la réparation accordée dans les autres dossiers. Les parties reconnaissent qu’il faut éviter la double indemnisation qui pourrait résulter de l’application du paragraphe 53(2) [de la Loi].

[22] Toutes les parties ont proposé de scinder les trois plaintes et de tenir des audiences distinctes pour la responsabilité et la réparation.

VIII. Des allégations qui comportent des erreurs

[23] Les renseignements figurant dans la lettre du 16 octobre 2023 ne sont pas tout à fait exacts. L’avocat du plaignant soutient qu’il existe un chevauchement entre la plainte contre IRCC et celle contre AMC d’avril 2017 à aujourd’hui. Or, ce n’est pas le cas. Le chevauchement factuel allégué s’étend de janvier 2016 à avril 2017. Le 9 septembre 2023, le plaignant a déposé un quatrième exposé des précisions modifié dans le dossier de la plainte contre AMC. Il prétend avoir subi une perte de revenu pendant 64 semaines, de janvier 2016 à avril 2017.

[24] Par conséquent, l’avocat du plaignant a également tort lorsqu’il affirme qu’il y a un chevauchement entre la plainte contre AMC et celles contre IRCC et SPAC du 3 avril 2019 à aujourd’hui. Le plaignant ne prétend pas avoir subi une perte de revenu future dans le cadre de la plainte contre AMC.

[25] Le Tribunal traitera de ce point séparément avec les parties.

IX. L’erreur n’exige pas que d’autres observations soient déposées

[26] Il est possible que certaines parties aient adopté la position qu’elles ont prise au sujet de la scission en se fondant sur les renseignements fournis par l’avocat du plaignant, c’est-à-dire que la plainte contre AMC a trait à une perte de revenu future, sans examiner d’autres sources d’information telles que les exposés des précisions déposés dans le cadre des autres plaintes. Le Tribunal s’est demandé s’il fallait donner aux parties une nouvelle possibilité de répondre. Toutefois, il n’est pas prêt à retarder encore davantage toute la gestion de ces plaintes en raison de cette erreur factuelle.

[27] Les parties ont eu beaucoup de temps pour discuter des questions de chevauchement et pour les analyser depuis janvier 2023. Elles avaient chacune la responsabilité de présenter leur position au Tribunal en tenant compte des chevauchements observés entre les trois plaintes.

[28] Une décision doit maintenant être rendue en ce qui concerne la scission de la plainte contre AMC afin que les parties puissent finir de se préparer pour l’audience de novembre en toute confiance. La conférence de gestion préparatoire est fixée au 1er novembre 2023. Les questions relatives à la réparation soulevées par la plainte contre AMC ont été examinées dans le cadre de la gestion de l’instance, d’autant plus que les exposés des précisions ont récemment été modifiés en vue de l’audience. L’erreur n’a donc aucune incidence sur la plainte contre AMC. Le chevauchement observé entre la plainte contre IRCC et celle contre AMC quant aux mesures de réparation a été pris en considération. Il sera question plus loin d’un aspect de la scission de la plainte contre AMC qui nécessite des précisions pour toutes les parties. Les plaintes contre IRCC et SPAC connaissent aussi des développements et il ne faut pas nuire au travail réalisé dans ces deux dossiers.

[29] L’erreur factuelle ne justifie pas le réexamen des questions soulevées dans la présente décision sur requête compte tenu des répercussions qu’un retard supplémentaire pourrait avoir en ce qui a trait à la procédure. De plus, le Tribunal a examiné les questions pertinentes lorsqu’il a rendu la présente décision sur requête.

[30] Par conséquent, le Tribunal ne demande pas aux parties de présenter d’autres observations sur la question du chevauchement des mesures de réparation. Si une partie aux plaintes contre IRCC et SPAC estime être lésée d’une manière ou d’une autre par la présente décision sur requête, elle peut indiquer quelle partie de l’ordonnance pose problème et demander un réexamen d’ici le 3 novembre 2023.

X. La compétence qu’a le Tribunal en matière de procédure pour scinder une plainte

[31] L’alinéa 50(3)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la « Loi ») et les Règles de pratique du Tribunal (les « Règles ») confèrent au Tribunal le pouvoir discrétionnaire et la compétence nécessaires pour statuer sur les questions de procédure. Le Tribunal exerce ce pouvoir pour assurer le déroulement logique et efficace des plaintes dont il est saisi.

[32] Le Tribunal a jugé qu’il avait compétence pour ordonner la scission : voir Wallace (au nom de Jaxon Joselin Wallace) c. Première Nation malécite de Madawaska, 2021 TCDP 23 (CanLII) quand la vice-présidente de l’époque, aujourd’hui la présidente Khurana, a déclaré ce qui suit de façon concise :

Le Tribunal peut décider la procédure qu’il suivra pour statuer sur des questions soulevées par une plainte relative aux droits de la personne. Sa procédure doit être équitable : elle doit offrir aux parties la possibilité pleine et entière d’être entendues, et l’instruction des plaintes doit se faire sans formalisme et de façon expéditive (par. 48.9(1) et 50(1) de la Loi et par. 1(1) des Règles de procédure du Tribunal (les « Règles »)).

XI. Quand faut-il ordonner une scission?

[33] Le Tribunal a ordonné la scission de l’audience dans Day c. Canada (Dept. of National Defence) (No. 2), 2002 CanLII 78202 (TCDP), <https://www.canlii.org/fr/ca/tcdp/doc/2002/2002canlii78208/2002canlii78208.html> [Day] afin de simplifier les choses pour un plaignant agissant pour son propre compte. Dans Day, les questions de réparation étaient décrites comme des « questions délicates » pour les parties. Il y avait « de bonnes raisons de croire que les questions relatives au redressement détourne[raient] les parties des questions de fait qu’il fa[llait] examiner avant de poursuivre » (au par. 4).

[34] Dans la plainte contre AMC, la demande de dommages-intérêts généraux et la question de la perte de revenu sont relativement simples. La décision Day a été rendue en 2002, quand la Commission soumettait des dossiers au Tribunal. Aujourd’hui, la plupart des plaignants agissent pour leur propre compte et la Commission ne peut pas participer à l’audience. Selon les Règles, les parties doivent déposer un exposé des précisions dans lequel elles indiquent les mesures de réparation qu’elles sollicitent, et cette exigence vaut aussi pour les plaignants qui ne sont pas représentés par un avocat. Dans la plainte contre AMC, le Tribunal a demandé pendant la gestion de l’instance que d’autres précisions soient ajoutées à l’exposé des précisions. Les parties traitent donc déjà de ces questions, contrairement à ce qui a été observé dans Day.

[35] Les circonstances de la plainte contre AMC ressemblent davantage à celle de l’affaire Parent c. Forces canadiennes, 2007 TCDP 14 (CanLII), <https://www.canlii.org/fr/ca/tcdp/doc/2007/2007tcdp14/2007tcdp14.html> [Parent], dans laquelle le membre Hadjis a refusé que l’audience soit scindée en deux étapes distinctes, soit celle de la responsabilité et celle de la réparation. L’intimé avait essentiellement proposé de scinder l’audience dans le but de ne pas avoir à tenir une audience sur la réparation si la responsabilité ne pouvait pas être établie. Le membre Hadjis a rappelé que le Tribunal avait l’obligation d’éviter de retarder davantage le règlement de toutes les questions puisque le paragraphe 48.9(1) de la Loi prévoit que l’instruction des plaintes doit se faire sans formalisme et de façon expéditive.

[36] Si la plainte contre AMC était examinée en vase clos, le Tribunal n’ordonnerait pas la scission de l’audience. Tout comme dans la décision Parent, les circonstances ne justifient pas une scission. Il en va de même pour les deux autres plaintes.

XII. Quand faut-il procéder à la scission de plaintes multiples?

[37] Le Tribunal n’exercerait pas son pouvoir discrétionnaire pour scinder ces plaintes s’il s’agissait de plaintes individuelles, mais la question qui se pose en l’espèce est de savoir si la scission doit être ordonnée lorsqu’il y a des plaintes multiples. À mon avis, la scission de plaintes multiples nécessite l’examen de chacune des plaintes et de la situation dans son ensemble.

[38] Or, comme je l’ai déjà souligné, l’un des objectifs de la Loi est le règlement efficace des plaintes. Il faut donc examiner les faits pour déterminer si la scission de plaintes multiples permettra de réaliser des gains d’efficacité suffisants pour compenser le temps consacré par le Tribunal à la question de la scission et tout retard qui pourrait en découler. (Cela ne signifie pas que l’efficacité de la procédure est le seul facteur à prendre en considération. La décision Day est un exemple où d’autres considérations semblent avoir été prises en compte.)

[39] À mon avis, lorsqu’il y a plusieurs plaintes, il faut d’abord se demander si la scission est nécessaire pour que le Tribunal obtienne les renseignements dont il a besoin pour trancher les questions en litige. C’est une question qui se pose lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, le Tribunal et les parties ont déterminé au début de l’instance qu’il n’était pas approprié d’instruire les affaires ensemble dans le cadre d’une seule et même audience.

XIII. La proposition de scission telle que décrite par les parties

[40] Les parties ont proposé que les plaintes soient scindées — c’est-à-dire qu’il y ait trois audiences distinctes pour les questions de responsabilité et trois autres pour les questions de réparation — ce qui signifie que les questions relatives à la réparation pour chacune des trois plaintes seraient instruites et tranchées après que les questions relatives à la responsabilité aient été instruites et tranchées pour chacune des trois plaintes. Les parties n’ont pas proposé un ordre particulier dans lequel instruire les plaintes et elles n’ont pas non plus proposé de solution pour faciliter l’audience prévue dans le dossier de la plainte contre AMC.

[41] Les parties n’ont pas écrit au Tribunal pour lui transmettre, comme il le leur avait été demandé, [traduction] « une proposition bien précise dans laquelle elles indiquent et, le cas échéant, expliquent comment elles veulent traiter les questions qui se recoupent ». Elles n’ont pas non plus expliqué quelles questions relatives à la réparation la scission allait régler ni pourquoi il serait préférable de procéder à la scission.

XIV. Éviter la double indemnisation et le caractère approprié des dommages-intérêts

[42] L’avocat du plaignant a de nouveau confirmé que les parties reconnaissent qu’il faut éviter la double indemnisation qui pourrait résulter de l’application du paragraphe 53(2) de la Loi. Il faut éviter le dédoublement des procédures ou la double indemnisation d’un plaignant. Il est bien établi en droit que l’indemnisation vise à rétablir la situation de la personne, et non à lui permettre de réaliser un profit ou à la placer dans une situation plus avantageuse que si elle n’avait pas été victime de discrimination. Pour éviter tout dédoublement, il faut concilier le droit aux dommages-intérêts qu’a le plaignant dans chacune des plaintes lorsque les dommages-intérêts se chevauchent.

[43] Les parties n’ont pas expliqué pourquoi ni comment la scission des trois plaintes et le fait d’instruire ces trois plaintes indépendamment l’une de l’autre, dans aucun ordre particulier, permettraient d’éviter le dédoublement du droit aux dommages-intérêts. Les parties ne semblent pas avoir vraiment réfléchi à l’ordre dans lequel les affaires devaient être entendues eu égard à la réparation, peut-être parce qu’elles voulaient essentiellement éviter un chevauchement sur la question de la responsabilité.

[44] Selon la Commission, l’ordre dans lequel les affaires sont entendues peut être pertinent. Cependant, le Tribunal n’est pas d’accord avec les raisons invoquées par la Commission pour expliquer pourquoi l’ordre est pertinent. La Commission estime que la [traduction] « période pertinente aux fins de la responsabilité dans chacune des plaintes » pouvait « dépendre de l’ordre dans lequel les plaintes seraient instruites » et que cet ordre « pouvait avoir une incidence sur le montant octroyé par le Tribunal afin d’éviter une double indemnisation sur la base du paragraphe 53(2) ».

[45] Le montant des dommages-intérêts octroyés dans le cadre d’une plainte doit être déterminé en fonction de la preuve présentée par les parties et de la situation de fait constatée par le Tribunal en ce qui concerne l’expérience du plaignant, et non en fonction de l’ordre dans lequel les affaires sont entendues. La « période pertinente aux fins de la responsabilité » dans chacune des plaintes ne dépend pas de l’ordre dans lequel les plaintes sont instruites. Elle dépend des faits.

[46] Le montant de l’indemnité doit être calculé en fonction de l’intimé concerné. Le Tribunal commettrait une erreur de droit s’il ordonnait au premier intimé de verser une indemnité, sans tenir compte des autres plaintes dont il est saisi, et s’il réduisait ou ajustait ensuite les montants à verser par les autres intimés qui sont jugés responsables à l’issue de leur audience. Si la responsabilité des intimés est établie dans chacune des plaintes, chaque intimé ne devrait pas verser plus de dommages-intérêts qu’il n’est légalement tenu de payer.

[47] En l’espèce, les faits sur lesquels repose chacune des plaintes peuvent être des faits soulevés ou contestés dans l’une ou l’autre des autres plaintes. Il se peut que le Tribunal ait à tenir compte de certains de ces faits ou à se prononcer sur ceux-ci pour pouvoir fixer un montant juste.

XV. Une observation sur le chevauchement possible des dommages-intérêts généraux

[48] Les faits sur lesquels repose la plainte contre IRCC ont débuté le 1er novembre 2015, soit avant les faits soulevés dans la plainte contre AMC qui, eux, ont commencé le 1er janvier 2016. Les faits se chevauchent donc du 1er janvier 2016 à avril 2017, mais ceux de la plainte contre IRCC sont toujours en cours.

[49] Si la responsabilité d’AMC est établie, dans la première plainte à être instruite, le Tribunal devra ordonner le versement de dommages-intérêts généraux. De tels dommages-intérêts constituent une indemnité pour le préjudice moral causé par la discrimination. Le Tribunal peut tenir compte de la durée des expériences discriminatoires, ainsi que du temps qu’ont duré les effets défavorables de la discrimination, au moment de fixer le montant des dommages-intérêts généraux.

[50] En l’espèce, le plaignant a également l’intention de réclamer des dommages-intérêts généraux pour la discrimination dont a fait preuve IRCC. La plainte contre IRCC n’aura pas encore été instruite. Or, les faits allégués dans les deux plaintes sont rapprochés dans le temps. Il ne serait pas juste ou raisonnable pour le Tribunal d’ordonner à l’intimé AMC de verser au plaignant une partie des dommages-intérêts généraux que devrait payer l’intimé IRCC (ou vice versa) du fait simple que la plainte contre AMC a été instruite en premier.

[51] Il est possible que les deux demandes de dommages-intérêts généraux soient indépendantes l’une de l’autre. Si tel est le cas, le versement de ces dommages-intérêts ne posera pas de problème. Toutefois, il se peut que la preuve présentée aux audiences révèle l’existence d’un chevauchement pertinent quant à l’octroi de dommages-intérêts généraux. Le Tribunal devrait alors attribuer un pourcentage des effets défavorables subis par le plaignant à chacune des plaintes et, par conséquent, à chacun des intimés.

[52] Il est encore trop tôt pour savoir s’il y a réellement lieu de se pencher sur cette question. Le Tribunal donne des directives préliminaires ci-dessous afin que les points susceptibles de poser problème en matière de chevauchement soient traités dans une seule et même décision sur requête.

XVI. L’ordre dans lequel les affaires sont instruites est pertinent

[53] Le Tribunal conclut que l’ordre dans lequel les trois plaintes sont instruites est un aspect procédural à prendre en compte lorsque vient le temps de statuer sur certaines des questions de fond soulevées dans les plaintes. Toutefois, comme je l’ai déjà mentionné, les intimés n’ont pas soulevé la question de l’ordre dans lequel les trois plaintes sont instruites. En théorie, le dédoublement des procédures peut être évité en scindant chaque plainte et en ordonnant que les questions relatives à la réparation soient entendues et tranchées en fonction de la chronologie des événements qu’aurait vécus le plaignant. Or, ce n’est pas ce que les parties ont demandé. Quoi qu’il en soit, procéder de cette façon, au lieu de simplement instruire les plaintes dans l’ordre des faits, alourdirait inutilement la procédure.

XVII. Analyse comparative de la scission

[54] Le Tribunal n’est pas convaincu qu’il est nécessaire, proportionné et efficace de scinder toutes les plaintes, comme le proposent les parties.

[55] La scission double le nombre d’audiences. Les parties proposent que le Tribunal tienne jusqu’à six audiences pour un plaignant et trois intimés et rende jusqu’à six décisions. Or, de nombreuses parties attendent d’être entendues par le Tribunal et les ressources du Tribunal ne sont pas illimitées.

[56] La scission complique l’établissement du calendrier et cela est d’autant plus vrai dans la présente affaire, car il y a plusieurs plaintes distinctes. Il est difficile d’éviter les retards lorsqu’il faut organiser plusieurs audiences, vu l’horaire du Tribunal et des avocats. La scission proposée retarderait aussi inutilement la conclusion des affaires qui ne nécessitent pas de scission puisque les parties attendraient que les autres affaires soient réglées. Il y a donc un risque que la scission entraîne des retards inutiles et exagérés.

[57] Les parties n’ont pas réussi à convaincre le Tribunal que leur proposition visant à scinder toutes les plaintes est justifiée. La scission ne devrait pas être ordonnée si les avantages procéduraux ne l’emportent pas clairement sur les inconvénients procéduraux.

XVIII. Conclusion générale

[58] Le Tribunal exerce son pouvoir discrétionnaire et refuse d’ordonner la scission des trois plaintes en six audiences, et ce, même si les parties s’étaient entendues pour procéder à une telle scission.

[59] Le Tribunal estime que l’ordre dans lequel ces plaintes sont instruites est pertinent pour assurer le déroulement efficace de ces affaires. Instruire les plaintes dans l’ordre chronologique est la façon la plus simple de procéder. Il est également nécessaire de procéder ainsi. Si ces plaintes ne sont pas instruites dans l’ordre, les parties risquent de ne pas disposer des renseignements dont elles ont besoin pour compléter leur dossier portant sur la réparation, du moins en ce qui a trait à la perte de revenu, et le Tribunal risque de ne pas disposer des renseignements dont il a besoin pour rendre ses décisions.

[60] Au lieu d’ordonner la scission, le Tribunal donne des directives procédurales pour chacune des plaintes.

XIX. Les conclusions et directives pour chacune des plaintes

A. La plainte contre AMC

(i) Identification des problèmes connus de chevauchement dans la plainte contre AMC

[61] Comme je l’ai déjà expliqué, il y a un chevauchement entre la plainte contre IRCC et celle contre AMC en raison de la perte de revenu passée qui est réclamée à AMC pour la période de janvier 2016 à avril 2017. Si le plaignant établit la responsabilité d’AMC et convainc le Tribunal qu’il a droit à une indemnité pour perte de revenu passée, il faudra se pencher sur la question de l’atténuation de sa perte de revenu. Le plaignant travaillait pour IRCC et a touché un revenu de ce ministère au cours de la période visée par la demande d’indemnisation pour perte de revenu dans le cadre de la plainte contre AMC.

[62] La question de l’atténuation peut être davantage circonscrite. Si le plaignant a le droit de réclamer une perte de revenu à AMC, il faudra alors déterminer s’il est tenu d’atténuer sa réclamation en tenant compte du revenu d’emploi qu’il a tiré d’IRCC pendant la période pertinente, ou s’il est tenu d’atténuer ces dommages-intérêts en tenant compte du montant qu’il aurait gagné s’il avait réussi à obtenir un poste de niveau PM-6 à IRCC (la question de savoir s’il aurait dû obtenir un poste PM-6 est la question en litige dans la plainte contre IRCC). Les revenus associés aux postes de ces niveaux sont différents et un poste de niveau PM-6 est mieux rémunéré qu’un poste de niveau PM-5.

[63] Par conséquent, pour résoudre la question de l’atténuation dans la plainte contre AMC, il faut déterminer si le plaignant aurait travaillé au niveau PM-5 ou PM-6 pour IRCC au cours de la période pertinente. On ne le saura pas tant que le Tribunal n’aura pas décidé si le plaignant était en droit d’obtenir le poste PM-6. Autrement dit, la question de l’atténuation, qui est potentiellement pertinente en ce qui concerne l’octroi de l’indemnité pour perte de revenu dans la plainte contre AMC, ne peut être réglée jusqu’à ce que la question de la responsabilité soit entendue et tranchée dans le cadre de la plainte contre IRCC.

(ii) Les directives pour la plainte contre AMC

[64] Comme le plaignant agit pour son propre compte, des directives détaillées sont fournies.

[65] Comme je l’ai déjà indiqué, le plaignant a reçu pour instruction de modifier son exposé des précisions et de calculer sa perte de revenu, aux fins de l’atténuation, selon que son revenu aurait été celui de niveau PM-5 ou celui de niveau PM-6 à IRCC. Le Tribunal indique que les parties à la plainte contre AMC doivent procéder à l’audience en suivant les mêmes directives que celles qui leur ont été données lorsqu’il leur a fallu modifier leur exposé des précisions. Les parties présenteront donc tous leurs arguments relatifs à la réparation (preuves et observations) à l’audience, en plus des arguments relatifs à la responsabilité. Ainsi, les dates d’audience prévues pour cette plainte resteront inchangées.

[66] Le Tribunal décidera si AMC doit être tenu responsable de discrimination. Le cas échéant, le Tribunal décidera si le plaignant a droit à des dommages-intérêts généraux. Il faut prouver que ces dommages-intérêts généraux découlent de la discrimination. Lorsque le plaignant présentera sa preuve à l’audience, il devra également faire valoir ses arguments en faveur de l’octroi de dommages-intérêts généraux.

[67] Si le Tribunal estime que le plaignant a droit à de tels dommages-intérêts, il exigera du plaignant qu’il adopte, s’il ne l’a pas déjà fait, une position définitive dans la plainte contre IRCC sur la question de savoir si la demande en dommages-intérêts généraux qu’il a déposée contre IRCC prend fin au 31 décembre 2015. Si telle est sa position, il ne devrait pas y avoir de problème de chevauchement entre les deux plaintes en ce qui concerne les dommages-intérêts généraux, mais seulement en ce qui concerne la perte de revenu entre janvier 2016 et avril 2017.

[68] Si les demandes en dommages-intérêts généraux se chevauchent, ce qui semble peu probable, le Tribunal pourrait décider de tenir un voir-dire dans l’affaire d’AMC afin de déterminer s’il convient d’admettre, dans le cadre de la plainte contre AMC, des éléments de preuve quant à l’état d’esprit du plaignant et à d’autres questions pertinentes pour l’évaluation des dommages-intérêts généraux avant le 1er janvier 2016. Il ne s’agit là que d’une suggestion préliminaire. D’autres voies procédurales peuvent être examinées. Le Tribunal ne rendra pas de décision sur les dommages-intérêts généraux qui chevauchent la plainte contre IRCC sans que IRCC ait eu la possibilité de se faire entendre.

[69] Le Tribunal décidera également si le plaignant a droit à une indemnité pour perte de revenu dans la plainte contre AMC. Le plaignant doit donc établir, selon la prépondérance des probabilités, que la perte de revenu est le résultat d’une discrimination.

[70] Si le plaignant a droit à une telle indemnité, le Tribunal déterminera ensuite le montant théorique brut de la perte de revenu provenant d’AMC. Le Tribunal rendra une décision définitive, fondée sur la preuve, sur la question de savoir si le montant de la perte de revenu accordé devrait être rajusté pour refléter l’atténuation de la perte de revenu du plaignant. Par conséquent, les parties doivent présenter des éléments de preuve relativement aux deux calculs qui permettraient de déterminer le montant de l’atténuation, et ce, en fonction du revenu provenant d’IRCC pendant toute période de chevauchement des revenus.

[71] Le Tribunal déterminera ensuite, si nécessaire, quel calcul doit être appliqué et fixera le montant brut rajusté de l’indemnité pour perte de revenu, ou il peut ordonner aux parties de faire le nécessaire et se réserver la compétence de résoudre toute question que les parties ne sont pas en mesure de régler elles-mêmes.

[72] Les décisions concernant l’atténuation et la perte de revenu seront prises une fois que le Tribunal aura instruit la plainte contre IRCC. Dans le cadre de la plainte contre IRCC, le Tribunal déterminera si le plaignant aurait dû occuper un poste de niveau PM-5 ou PM-6 à IRCC et, le cas échéant, à partir de quelle date, et quels auraient été ses revenus pendant la période pertinente. Il sera alors possible de calculer le montant de l’atténuation de la perte de revenu qu’AMC est tenu de compenser.

[73] En résumé, l’instruction de la plainte contre AMC ne fera pas l’objet d’une scission. Il n’est pas nécessaire de procéder ainsi. Cependant, la décision du Tribunal sur la réparation et sur le montant de l’atténuation et de la perte de revenu réellement subie sera rendue séparément de la décision sur la responsabilité. En d’autres termes, la décision du Tribunal portant sur la plainte contre AMC sera scindée, au besoin, mais pas la plainte ni l’audience.

[74] Les parties pourront ainsi traiter toutes les questions en même temps et éviteront les retards qu’entraînerait la mise au rôle d’une nouvelle audience destinée à recueillir les preuves ou les observations au sujet des mesures de réparation sollicitées dans le cadre de la plainte contre AMC. Les questions relatives à la réparation devraient nécessiter moins d’une journée d’audience. Il est donc plus efficace d’utiliser le temps déjà alloué à l’instruction de la plainte contre AMC, laquelle avait été fixée avec l’idée que toutes les questions seraient traitées.

B. La plainte contre IRCC

(i) Identification des problèmes connus de chevauchement dans la plainte contre IRCC

[75] Étant donné qu’il y a un chevauchement entre la plainte contre IRCC et celle contre AMC en ce qui concerne la perte de revenu, il est théoriquement possible que le plaignant doive également aborder la question de l’atténuation dans la plainte contre IRCC. Le plaignant affirme qu’il aurait dû être promu à un poste de niveau PM-6 par IRCC en 2015. Dans le cadre de la plainte contre AMC, le plaignant a informé le Tribunal que le poste à durée déterminée pour lequel il avait postulé auprès d’AMC et dont la date d’entrée en fonction était le 1er janvier 2016 était mieux rémunéré que le poste de niveau PM-6 à IRCC. Si la responsabilité d’AMC est établie, la réclamation pour perte de revenu présentée contre AMC couvre la période allant jusqu’à avril 2017. Le Tribunal devra déterminer si cette information est importante ou non et si elle doit être prise en compte ou non en fonction des éléments de preuve présentés aux audiences.

[76] En outre, comme je l’ai expliqué au début, l’avocat du plaignant a identifié un problème de chevauchement entre la plainte contre IRCC et celle contre SPAC en ce qui concerne la perte de revenu future dans la réponse qu’il a envoyée au Tribunal au nom des parties le 16 octobre 2023. Il y aura chevauchement s’il est établi que le plaignant a le droit de réclamer une perte de revenu future à IRCC et si le Tribunal juge que cette réclamation couvre une période qui s’étend au-delà du 3 avril 2019.

[77] Dans ce cas, le Tribunal pourrait être tenu de répartir l’indemnité demandée pour perte de revenu future entre les intimés IRCC et SPAC pour les raisons expliquées ci-dessus dans le contexte du chevauchement des dommages-intérêts généraux.

[78] Si le plan de scission proposé par les parties était adopté, la question de réparation soulevée dans la plainte contre IRCC serait dissociée de celle de la responsabilité et elle ne serait traitée qu’après que le Tribunal se soit prononcé sur la responsabilité dans le cadre de la plainte contre SPAC. Or, scinder la plainte contre IRCC en deux étapes — celle de la responsabilité et celle de la réparation — retarderait la résolution de toutes les questions relatives à la réparation dans cette affaire. Il n’y a aucune raison de mettre en suspens le traitement des questions de réparation liées à la plainte contre IRCC en attendant le règlement de la plainte contre SPAC. Les questions ne se chevauchent pas toutes. Il est même possible qu’elles ne se chevauchent pas du tout.

[79] Une décision qui porte, dans la mesure du possible, sur les questions de responsabilité et de réparation doit être rendue dans la plainte contre IRCC afin que les parties, le Tribunal ainsi que les parties à la plainte contre SPAC sachent si le plaignant a le droit de réclamer une perte de revenu future dans la plainte contre IRCC et si cette réclamation est, par conséquent, pertinente aux fins de la plainte contre SPAC.

(ii) Les directives pour la plainte contre IRCC

[80] Le Tribunal instruira la plainte contre IRCC après avoir instruit la plainte contre AMC et s’être prononcé sur la question de la responsabilité dans cette affaire. Si la responsabilité d’AMC n’est pas établie, ou s’il est jugé qu’il n’y a pas de perte de revenu pour une période visée par la plainte contre IRCC, il n’y aura donc plus de chevauchement entre les plaintes contre AMC et IRCC. La plainte contre IRCC peut être instruite séparément et faire l’objet d’une décision distincte.

[81] Ainsi, il est excessif et inutile de scinder l’instruction de la plainte contre IRCC en deux étapes, soit celle de la responsabilité et celle de la réparation, afin de pouvoir tenir compte des conclusions tirées dans le cadre de la plainte contre AMC.

[82] Sous réserve d’une exception, décrite ci-dessous, le Tribunal ordonne que la plainte contre IRCC soit instruite en entier avant que ne le soit la plainte contre SPAC. Après avoir rendu (dans la mesure du possible) une décision sur l’ensemble de la plainte contre IRCC, le Tribunal pourra déterminer s’il existe un chevauchement entre la plainte contre IRCC et la plainte contre SPAC et, par conséquent, si la plainte contre IRCC est pertinente quant au fond à l’égard de la plainte contre SPAC.

[83] En instruisant d’abord la plainte contre IRCC, le Tribunal devrait être mieux à même d’instruire la plainte contre SPAC. Si la plainte contre IRCC dépeint le contexte de la plainte contre SPAC, la décision qui sera rendue dans la plainte contre IRCC permettra de rétablir les faits et de résoudre les questions factuelles liées au contexte de la plainte contre SPAC.

C. La plainte contre SPAC

(i) Identification des problèmes connus de chevauchement dans la plainte contre SPAC

[84] Comme je l’ai déjà expliqué, s’il y a un risque de chevauchement entre les mesures de réparation sollicitées dans la plainte contre SPAC et celles sollicitées dans la plainte contre IRCC, c’est par rapport à la réclamation pour perte de revenu future. Cette réclamation ne pourra être présentée que si, d’une part, il est établi qu’IRCC est jugé coupable de discrimination et si, d’autre part, il est établi qu’IRCC est tenu de verser une indemnité pour perte de revenu future pour la période qui s’étend au-delà du 3 avril 2019. Autrement dit, pour qu’il y ait chevauchement entre la plainte contre IRCC et celle contre SPAC, il faut que les intimés IRCC et SPAC soient jugés responsables et qu’il soit établi qu’une perte de revenu future pourra être réclamée pour la période qui s’étend au-delà du 3 avril 2019 dans la plainte contre IRCC.

(ii) Les directives pour la plainte contre SPAC

[85] Sous réserve de l’exception mentionnée ci-dessous, le Tribunal instruira l’ensemble de la plainte contre SPAC, sans scission, et ce, après avoir rendu sa décision relativement à la plainte contre IRCC.

(iii) L’exception

[86] L’exception est la suivante : si le Tribunal juge que le plaignant a droit à une indemnité pour perte de revenu future dans le cadre de la plainte contre IRCC et qu’il estime que la perte de revenu couvre une période qui s’étend au-delà du 3 avril 2019, il peut prendre son jugement en délibéré sur les questions touchant à la nature, à la durée, à l’étendue ou au calcul de la perte de revenu future et sur toute question relative à la répartition de la perte de revenu entre IRCC et SPAC, et dans ce cas, il tranchera les questions en suspens dans la plainte contre IRCC après avoir statué sur la plainte contre SPAC, ou parallèlement à cette dernière.

XX. Ordonnances pour les trois plaintes, le cas échéant

[87] En ce qui concerne les plaintes contre IRCC, AMC et SPAC, le Tribunal ordonne ce qui suit :

1. Les parties à la plainte contre AMC présenteront tous leurs arguments relatifs à la responsabilité et à la réparation à l’audition de la plainte;

2. Le Tribunal transmettra aux parties sa décision sur la responsabilité d’AMC;

3. La plainte contre IRCC sera instruite par le Tribunal une fois qu’il aura transmis aux parties sa décision sur la responsabilité d’AMC;

4. Le Tribunal rendra une décision sur la responsabilité et la réparation dans le cadre de la plainte contre IRCC, mais s’il juge que le plaignant a droit à une indemnité pour perte de revenu future et que cette perte de revenu couvre une période qui s’étend au-delà du 3 avril 2019, il peut prendre son jugement en délibéré sur les questions touchant à la nature, à la durée, à l’étendue ou au calcul de la perte de revenu future et sur toute question relative à la répartition de la perte de revenu entre IRCC et SPAC;

5. Le cas échéant, le Tribunal rendra une décision sur la réparation dans la plainte contre AMC après s’être prononcé dans la plainte contre IRCC; il pourrait notamment, selon le cas, déterminer quel calcul doit être appliqué ou donner des directives aux parties quant au calcul du revenu gagné en atténuation et du montant brut rajusté de toute indemnité pour perte de revenu accordée au plaignant; si des directives sont données aux parties, le Tribunal se réservera la compétence de résoudre toute question que les parties ne sont pas en mesure de régler elles-mêmes;

6. Le Tribunal rendra une décision sur l’ensemble de la plainte contre SPAC après s’être prononcé sur la plainte contre IRCC, mais s’il juge que le plaignant a droit à une indemnité pour perte de revenu future et que cette perte de revenu couvre une période qui s’étend au-delà du 3 avril 2019, il peut dans les deux cas prendre son jugement en délibéré sur les questions touchant à la nature, à la durée, à l’étendue ou au calcul de la perte de revenu future et sur toute question relative à la répartition de la perte de revenu entre IRCC et SPAC et trancher ces questions séparément;

7. Le Tribunal réserve sa compétence sur l’application, la mise en œuvre ou l’interprétation de la présente décision sur requête jusqu’à ce qu’elle soit entièrement mise en œuvre;

8. Si le Tribunal se fait convaincre qu’il doit réexaminer l’une ou l’autre des ordonnances rendues dans la présente décision sur requête ou si la preuve qui lui est fournie lors d’une audience entraîne un changement de circonstances, il réserve sa compétence pour modifier ses conclusions, ses ordonnances procédurales et ses directives.

Signée par

Kathryn A. Raymond, c.r.

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 26 octobre 2023

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossiers du Tribunal : T2503/6020; T2659/3521

Intitulé de la cause : Ray Davidson c. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 26 octobre 2023

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