Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Les personnes qui veulent travailler aux postes frontaliers du Canada doivent suivre le programme de formation de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’Agence). En 2008, Geevarughese Johnson Itty a posé sa candidature au poste d’agent des services frontaliers. M. Itty est originaire de l’Inde et vivait au Canada depuis 20 ans au moment de poser sa candidature.

Il a réussi l’étape de la présélection et a été invité à participer au programme de formation à Rigaud (Québec). Les recrues sont évaluées tout au long du programme. Si les évaluateurs estiment qu’une recrue ne remplit pas les critères d’évaluation, celle-ci devra se retirer du programme. M. Itty n’a pas réussi une série d’exercices de simulation. Il a donc dû retourner chez lui et ne s’est pas vu offrir le poste d’agent des services frontaliers.

Selon la plainte de M. Itty, il avait été victime de discrimination en raison de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique. Il a donné au Tribunal de nombreux exemples de choses négatives qui se sont produites au cours du programme et qui, selon lui, étaient liées à son accent, à sa couleur de peau ou à ses origines. M. Itty et l’Agence ont fait appel à des experts, qui ont expliqué comment l’Agence avait évalué M. Itty et les autres recrues. L’Agence a aussi présenté des éléments de preuve qui ont démontré que les personnes ayant les mêmes origines que M. Itty étaient surreprésentées dans les postes frontaliers de la région du Grand Toronto, où il aurait travaillé. Le Tribunal a étudié tous les éléments de preuve et a conclu que les expériences négatives vécues par M. Itty n’étaient pas liées à ses caractéristiques protégées.

De plus, M. Itty a soulevé la question importante de la destruction de preuves. Il n’a pas pu présenter les dossiers de ses collègues qui avaient réussi le programme, car l’Agence les avait déjà détruits. Cette question était importante, parce que M. Itty estimait avoir été noté plus sévèrement. Selon lui, l’Agence avait agi ainsi de manière délibérée afin de nuire à ses chances dans le cadre de cette plainte. L’Agence a déclaré avoir agi comme elle l’aurait fait pour tout autre dossier. Le Tribunal a conclu que l’Agence aurait dû disposer de meilleures politiques et d’une meilleure coordination lorsqu’il était question de dossiers et de plaintes relatives aux droits de la personne. Cependant, la conduite de l’Agence ne répond pas au critère juridique de la destruction de preuves.

Cette affaire renferme des renseignements très délicats provenant de l’Agence. Le Tribunal a jugé que ces renseignements devaient demeurer confidentiels, donc certains des détails qui ont appuyé sa décision n’ont pas été publiés.

Contenu de la décision

 

Tribunal canadien
des droits de la personne

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2023 TCDP 14

Date : le 31 mars 2023

Numéro du dossier : T1817/4712

Entre :

Geevarughese Johnson Itty

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Agence des services frontaliers du Canada

l'intimée

Décision

Membre : Olga Luftig

 


Table des matières

I. APERÇU 1

II. DÉCISION 4

III. QUESTIONS PRÉLIMINAIRES 5

Ordonnances de confidentialité 5

Quelle partie de l’article 7 de la Loi s’applique-t-elle à la plainte? 5

IV. QUESTIONS EN LITIGE 10

V. CADRE JURIDIQUE 10

Le critère servant à déterminer s’il y a eu discrimination 10

Crédibilité 13

Le plaignant 14

VI. ANALYSE 15

Caractéristiques protégées 15

Les actes de l’ASFC ont‑ils eu un effet préjudiciable pour M. Itty en matière d’emploi? 16

Une ou plusieurs des caractéristiques protégées de M. Itty ont‑elles été un facteur dans le traitement que lui a réservé l’ASFC? 16

Participation en classe 17

Changements de place de M. Itty en classe 20

Simulation de tactiques de maîtrise et de défense 24

Allégation selon lesquelles le plaignant aurait été évalué plus strictement que ses camarades de classe pendant les simulations comportementales D‑II, et le FORPE aurait accusait des lacunes 32

Évaluations D‑II de M. Itty 47

VII. Experts 61

Mme Willis, experte du plaignant 63

CrédibilitéMme Willis 73

M Durand, expert de l’intimée 74

Crédibilité – M. Durand 78

Séance de rétroaction récapitulative finale du plaignant 79

VIII. CONCLUSION 87

IX. LA QUESTION DE LA PREUVE DE LA DESTRUCTION D’ÉLÉMENTS DE PREUVE 87

a) La preuve détruite était‑elle pertinente? 89

b) La preuve a‑t‑elle été détruite intentionnellement? 90

c) Un litige était‑il envisagé ou en cours au moment où les éléments de preuve ont été détruits? 107

d) Est‑il raisonnable de déduire que la preuve a été détruite en vue d’influer sur l’issue de l’affaire? 108

X. ORDONNANCE 110

 

 


Note : Il s’agit de la version publique de la présente décision; elle contient des passages expurgés de renseignements confidentiels. La version confidentielle de la décision a été transmise aux parties.

I. APERÇU

[1] Geevarughese Johnson Itty (le « plaignant » ou « M. Itty ») prétend que l’intimée, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« intimée » ou l’« ASFC »), a fait preuve à son égard de discrimination fondée sur la race, la couleur et l’origine nationale ou ethnique, en contravention des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (la « Loi » ou la « LCDP »), dans le cadre du Programme de formation des recrues pour les points d’entrée (« FORPE ») de l’AFSC, programme auquel il a échoué.

[2] En 2007, le plaignant, un citoyen canadien naturalisé né en Inde, travaillait comme agent des appels à l’Agence du revenu du Canada (ARC). Dans le cadre d’un programme d’échanges, il avait postulé un emploi d’agent des services frontaliers (ASF) chez l’intimée. Après avoir franchi l’étape de la sélection initiale, c’est‑à‑dire la première partie du FORPE, il a été invité à participer aux neuf semaines suivantes de ce programme à Rigaud (Québec) en tant que candidat à un poste d’ASF(aussi appelé « recrue » ou « stagiaire »). La classe du plaignant comptait 16 ou 17 recrues.

[3] Ce volet de neuf semaines du FORPE comporte deux étapes d’évaluation appelées « étapes de détermination », avec un premier point de détermination (D‑I) se situant à la quatrième semaine, et le second (D‑II), à la fin du programme. Les candidats doivent réussir les deux étapes pour être inscrits dans le bassin d’ASF potentiels.

[4] L’évaluation à l’étape D‑I comprend deux examens écrits et trois exercices appelés « simulations » (les « simulations »). Nous expliquerons en plus grand détail en quoi consistent ces simulations plus loin, dans la présente décision. Mais pour situer le contexte, mentionnons brièvement qu’il s’agit de jeux de rôles qui se déroulent en personne, et dans lesquelles le candidat joue le rôle d’un ASF en uniforme à un point d’entrée au Canada, à la frontière terrestre, et où un acteur joue le rôle d’un voyageur (le « voyageur »). Les deux entrent en interaction comme ils le feraient dans le cadre de deux types d’entrevue. L’une est une entrevue « primaire », qui correspond au premier contact du voyageur avec le Canada à son arrivée à un point d’entrée. L’autre est une entrevue « secondaire », soit le cas où l’ASF de la ligne primaire renvoie le voyageur à une ligne secondaire pour un examen plus approfondi s’il a des préoccupations, ou s’il n’est pas certain de l’admissibilité au Canada du voyageur ou de ses marchandises. Le rendement de la recrue aux simulations D‑I et D‑II est évalué par des employés de l’ASFC qui ont reçu une formation d’évaluateur (les « évaluateurs »). Au fur et à mesure que les simulations se déroulent, les évaluateurs consignent des notes manuscrites dans ce que nous appellerons des « formulaires d’évaluation » ou des « formulaires de notation » pour les fins de la présente décision.

[5] Chacune des simulations D‑I permet d’évaluer sept compétences ou caractéristiques appelées « compétences comportementales, organisationnelles ou techniques », ci-après collectivement appelées les « compétences comportementales ». Il s’agit du souci du service à la clientèle (« SSC »), de l’adhésion aux valeurs de l’ASFC, de la réflexion analytique (« RA »), de la prise de décisions (« PD) », de la communication interactive efficace (« CIE »), des techniques de recherche de l’information (« TRI ») et de la connaissance de la législation et des politiques et procédures (« LPP »).

[6] Dans le cadre des évaluations D‑I, l’ASFC évalue aussi les compétences appelées « contrôle des situations difficiles » (« CSD ») et « confiance en soi » (« CS ») et donne de la rétroaction aux recrues à ce sujet, le tout de manière informelle. Ces deux compétences font ensuite l’objet d’une évaluation officielle à la fin de l’étape D‑II.

[7] L’évaluation D‑II se compose d’une autre série d’examens écrits, d’une simulation de tactiques de maîtrise et de défense (« TMD ») (par laquelle on vérifie si une recrue sait comment recourir à la force au besoin) et de trois simulations comportementales. Lors de l’étape D-II, les simulations permettent chacune d’évaluer les mêmes compétences qu’à l’étape D-I, plus les deux compétences « contrôle des situations difficiles » et « confiance en soi ».

Position du plaignant

[8] Le plaignant a réussi l’ensemble des examens écrits et des simulations de l’étape D‑I. Il est ensuite passé à l’étape D‑II de la formation, qui comprenait des formations en classe, un enseignement des tactiques de maîtrise et de défense (« TMD ») et des exercices de simulation. Le plaignant a été évalué à la fin de l’étape D‑II. Il a réussi les examens écrits de cette étape, ainsi que la simulation TMD, mais n’a pas satisfait à toutes les compétences évaluées lors des simulations de l’étape D‑II. Le plaignant n’a donc pas été intégré au bassin d’éventuels ASF. Il allègue que son échec et certaines expériences négatives vécues au cours FORPE étaient liés à sa race, sa couleur ou son origine nationale ou ethnique, autant de caractéristiques protégées par la Loi.

Position de l’intimée

[9] Selon l’intimée, si M. Itty n’a pas réussi aux simulations du FORPE, c’est uniquement parce qu’il n’est pas parvenu à prouver qu’il détenait les compétences nécessaires pour devenir un ASF. L’ASFC ne l’a pas traité différemment des autres candidats. Aucune preuve, qu'elle soit directe ou circonstancielle, n’établit que la race, la couleur ou l’origine ethnique ou nationale du plaignant ont pu jouer quelque rôle que ce soit dans la décision de l’Agence de ne pas l’admettre en tant qu’ASF. Le poste d’agent des services frontaliers suppose une grande responsabilité, soit celle de protéger la santé, la sûreté, la sécurité et l’économie du Canada et de ses citoyens et, par conséquent, l’ASFC s’attend à ce que les candidats à la fonction d’ASF démontrent des compétences particulières.

[10] M. Itty a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») le 20 janvier 2010.

Aperçu de la question de la destruction d’éléments de preuve

[11] Au cours de son enquête (l’« enquête »), la Commission a demandé à l’ASFC de fournir divers documents, dont des copies des formulaires d’évaluation remplis à la main par les évaluateurs au sujet des costagiaires de M. Itty pour l’ensemble des simulations D‑I et D‑II. Comme nous l’expliquerons en détail plus loin, dans la section « Destruction d’éléments de preuve », il s’avère que, malheureusement, l’ASFC avait déjà détruit les documents avant que cette demande ne lui parvienne. La Commission a renvoyé la plainte au Tribunal le 24 avril 2012.

[12] Le plaignant a demandé au Tribunal de conclure que l’ASFC avait délibérément éliminé les documents en question. Et, plus précisément, qu’elle aurait procédé à ce qui serait la « destruction » de cette preuve documentaire. Aux dires du plaignant, le Tribunal devait donc tirer à l’égard de l’ASFC une conclusion défavorable selon laquelle les documents détruits auraient nui à l’Agence. Or, pour les motifs que j’exposerai ci-après, je n’ai pas conclu qu’il y avait eu destruction d’éléments de preuve. Je ne tirerai donc pas de conclusion défavorable envers l’intimée relativement à l’éventuelle teneur des documents, même si je conviens qu’il est à la fois malheureux et frustrant que les parties et le Tribunal n’y aient pas eu accès au cours de l’instance.

Examen de la preuve

[13] En vertu du pouvoir conféré au Tribunal par l’article 50 de la Loi, j’ai examiné et soupesé attentivement tous les éléments de preuve présentés en l’espèce, y compris les dépositions des témoins experts et des témoins profanes, la preuve documentaire et les observations des parties. Cependant, je ne les ai pas tous repris ni résumés ici. J’ai traité plus en détail de ceux qui, parmi les éléments de preuve ou les observations, m’apparaissaient essentiels pour rendre une décision définitive en l’espèce.

II. DÉCISION

[14] Pour les motifs ci-après, je conclus que la plainte n'est pas fondée, vu que la preuve n’a pas permis d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la race, la couleur ou l’origine nationale ou ethnique du plaignant ont été des facteurs dans les expériences négatives qu’il a vécues dans le cadre du programme FORPE et dans la note d’échec qu’il a obtenue à l’issue de son évaluation. La preuve n’a pas davantage permis de démontrer que, d’un point de vue systémique, le FORPE était discriminatoire au sens de l’article 10 de la Loi.

[15] Par conséquent, le plaignant n’a pas droit à des réparations.

III. QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

Ordonnances de confidentialité

[16] En raison de la nature délicate de certaines parties de la preuve relative au programme FORPE, le Tribunal a rendu, avant et pendant l’audience, plusieurs ordonnances de confidentialité fondées sur l’article 52 de la Loi (les « ordonnances de confidentialité »). Il a aussi déclaré, dans d’autres décisions sur requête, que certains documents y désignés étaient visés par les ordonnances de confidentialité. Voici ces décisions sur requête : Itty c. Agence des services frontaliers du Canada, 2013 TCDP 34, datée du 16 décembre 2013 (la « première ordonnance de confidentialité »); Itty c. Agence des services frontaliers du Canada, 2015 TCDP 26, datée du 14 janvier 2015 (la « deuxième ordonnance de confidentialité »); et Itty c. Agence des services frontaliers du Canada, 2017 TCDP 26 (la « troisième ordonnance de confidentialité »).

[17] Des ordonnances de confidentialité ont aussi été prononcées dans des décisions sur requête qui, portant toutes l’intitulé Itty c. Agence des services frontaliers du Canada, ont pour numéros de référence 2015 TCDP 2, 2019 TCDP 31 (l’« ordonnance de divulgation de 2019 ») et 2020 TCDP 38 (la « décision sur requête concernant les deux lettres »).

[18] Par ailleurs, à l’audience, le Tribunal a rendu de vive voix des ordonnances en matière de confidentialité applicables à des documents non caviardés dont il a ordonné la communication.

[19] Les parties ont également convenu que le Tribunal produirait sa décision en deux versions, soit l’une qui leur serait destinée, et qui contiendrait des renseignements confidentiels, le cas échéant, et l’autre qui serait exempte de tels renseignements confidentiels et serait publiée sur le site Web du Tribunal.

Quelle partie de l’article 7 de la Loi s’applique-t-elle à la plainte?

[20] L’article 7 de la Loi énonce que :

Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[21] Les allégations de discrimination du plaignant étaient fondées sur l’article 7, mais, avant que ne débute l’audience, celui‑ci n’avait pas précisé si la plainte était fondée sur l’alinéa 7a) ou 7b). Le Tribunal a estimé que c’était l’alinéa 7a) qui s’appliquait, et a demandé à toutes les parties si elles étaient du même avis.

[22] Les deux parties ont reconnu que l’alinéa 7a) s’appliquait aux faits de l’espèce. Toutefois, le plaignant a soutenu que l’alinéa 7b) trouvait aussi application, étant donné qu’il travaillait alors pour l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), qu’il était donc [traduction] « déjà un employé de la Couronne qui participait à un échange », et que tous les événements en cause s’étaient produits au cours de son emploi à l’ARC. L’intimée a nié que l’alinéa 7b) soit en jeu, vu que le plaignant n’était pas un employé de l’ASFC au moment de l’acte discriminatoire allégué.

[23] Le plaignant a affirmé que, peu importe le nom précis de l’[traduction] « établissement public » concerné, qu’il s’agisse de l’ARC ou de l’ASFC, mentionnées à l’annexe II de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F‑11, il demeurait un employé de l’État à toutes les périodes pertinentes. Citant la décision Harkin c. Procureur général (Canada), 2010 TCDP 11 (CanLII) [Harkin], le plaignant a expliqué que le Tribunal avait déjà refusé d’établir toute distinction entre des [traduction] « entités de la Couronne » pour l’application des alinéas 7a) et b), même si ces entités constituaient des « établissement[s] distinct[s] » en regard d’un autre article de la Loi (Harkin, aux par. 101 à 104). Il a donc fait valoir que l’article 7 de la Loi devrait être interprété et appliqué dans son ensemble et qu’il [traduction] « n’y a[vait] pas lieu » d’opérer une distinction entre l’alinéa 7a) et l’alinéa 7b).

[24] L’intimée a soutenu que, selon son sens clair, l’article 7 traite de deux aspects distincts de la discrimination en matière d’emploi, à savoir le refus d’employer ou de continuer à employer une personne, et le fait de défavoriser une personne en cours d’emploi. L’intimée a cité à cet effet l’arrêt Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), 1987 CanLII 73 (CSC), [1987] 2 RCS 84 [Robichaud], où la Cour suprême du Canada avait interprété l’alinéa 7b) comme s’appliquant à la discrimination exercée en cours d’emploi, et visant à éliminer la discrimination « en milieu de travail » (Robichaud, au par. 12). Le Tribunal a par la suite retenu cette interprétation de l’alinéa 7b) dans la décision Cluff c. Sage, 1992 CanLII 20 (TCDP) [Cluff].

[25] Dans l’affaire Harkin — sur laquelle s’appuie le plaignant —, le Tribunal n’a pas conclu que les employés de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « CRTFP ») relevaient de la catégorie d’employés visés par une ordonnance sur consentement ayant été rendue à l’encontre du Conseil du Trésor (le « CT »). Même si le CT exerçait « de facto le contrôle sur la gestion du personnel de la CRTFP », cette dernière demeurait un employeur distinct. Dans la décision Harkin, le Tribunal n’avait pas eu à établir d’autres distinctions entre des sociétés d’État aux fins de l’application de l’alinéa 7b) de la Loi, puisque la plainte n’avait pas été retenue en raison du défaut du plaignant de fournir suffisamment d’éléments de preuve pour étayer sa plainte. Je ne souscris pas à l’argument selon lequel, étant donné que le Tribunal n’a pas établi d’autre distinction dans cette affaire, il faut en conclure que toutes ces entités entrent dans la définition d’un seul et même employeur pour l’application de l’alinéa 7b).

[26] La jurisprudence du Tribunal établit que la locution « en cours d’emploi », à l’alinéa 7b) de la Loi, équivaut à « relié aux fonctions ou à l’emploi » (Robichaud, au par. 12; Cluff, à la page 9). Dans la décision Cluff, le Tribunal a établi qu’un employé agit « dans le cadre de son emploi » lorsqu’il poursuit :

1. des activités qu’il pourrait habituellement ou raisonnablement poursuivre ou qu’il serait explicitement autorisé à poursuivre pendant cet emploi;

2. des activités que l’on peut raisonnablement et équitablement considérer comme des activités accessoires à l’emploi ou liées à celui‑ci de façon logique et naturelle;

3. des activités dans le but d’accomplir ses devoirs envers son employeur;

4. des activités dans le but d’accomplir ses devoirs envers l’employeur, lorsque celui‑ci exerce ou pourrait exercer une forme de contrôle sur ce que fait l’employé » (voir p. 10).

[27] Dans la présente affaire, si je tiens compte de l’ensemble de la preuve documentaire qui m’a été présentée, j’estime qu’elle ne me permet pas de conclure que le plaignant agissait « dans le cadre de son emploi » alors qu’il participait au programme FORPE et que la prétendue discrimination aurait lieu.

[28] Il ne fait aucun doute qu’à l’époque où M. Itty avait présenté sa candidature pour le poste d’ASF auprès de l’intimée, il était employé par l’ARC à titre d’agent des appels. Dans le document intitulé [traduction] « Renseignements sur l’affectation/l’échange/le détachement », il est notamment précisé que M. Itty est un agent des appels au sein du [traduction] « ministère d’attache au gouvernement » qu’est l’ARC. Ses fonctions consistaient, entre autres, à recevoir et à examiner les dossiers des contribuables, y compris les dossiers du service de vérification de l’ARC.

[29] Dans une lettre datée du 7 octobre 2008, l’ASFC a informé M. Itty qu’il avait été sélectionné en vue de participer au FORPE. Cette même lettre indiquait qu’il conserverait son poste d’attache à l’ARC pendant sa formation FORPE et que, s’il ne réussissait pas le programme, il reviendrait à son poste d’attache. Parmi les conditions de sa participation au FORPE, énoncées en annexe à la lettre, il était mentionné qu’il demeurerait assujetti aux [traduction] « conditions d’emploi de [son] groupe d’attache ». M. Itty a accepté ces modalités de par sa signature.

[30] M. Itty a aussi apposé sa signature à une entente d’échange entre l’ARC et l’intimée, l’ASFC. Les parties y convenaient que M. Itty participerait au FORPE, mais que, pendant cette participation, l’ARC continuerait à lui verser son salaire, et que l’intimée, elle, rembourserait l’ARC pour ces paiements salariaux. Je ne suis pas d’accord avec le plaignant pour dire que l’ASFC l’a « indirectement » rémunéré pendant sa participation au FORPE. Ce remboursement de l’ARC par l’ASFC ne signifiait pas qu’entre l’ASFC et M. Itty, il existait dès lors une relation employeur-employé. Le remboursement était plutôt le fruit d’un arrangement financier pris entre l’ASFC et l’ARC dans le cadre de l’entente d’échange. C’était là une mesure raisonnable, puisque l’ARC ne bénéficiait pas de l’exercice, par M. Itty, de ses fonctions habituelles d’agent des appels au cours de sa participation au FORPE.

[31] Dans le programme FORPE, M. Itty avait le statut de stagiaire ou de participant. Ce programme constituait la dernière étape de sa demande d’emploi pour devenir ASF à l’ASFC. Ce n’est qu’après avoir participé au programme FORPE et l’avoir réussi qu’il serait admissible à un emploi au sein de l’ASFC (italiques ajoutés). M. Itty a également reconnu, dans son témoignage, qu’un éventuel poste d’ASF à l’ASFC dépendait de sa réussite au programme FORPE.

[32] Ayant appliqué les critères arrêtés par le Tribunal dans la décision Cluff, nous constatons qu’aucun des éléments de preuve présentés n’établit que les activités de M. Itty à titre d’agent des appels à l’ARC étaient des activités que l’on pouvait « raisonnablement et équitablement considérer comme […] accessoires à l’emploi ou liées à celui‑ci de façon logique et naturelle ». Ajoutons que cette participation n’était aucunement poursuivie par M. Itty « dans le but d’accomplir ses devoirs » envers son employeur, l’ARC. Aucun élément produit en preuve n’indiquait que l’ARC « exer[çait] ou pou[vait] exercer une forme de contrôle » sur les actes et activités de M. Itty au sein du programme FORPE.

[33] Pendant cette période, M. Itty ne s’occupait pas d’« avis d’opposition » ni de déclarations de revenus des contribuables. Il n’examinait pas de dossiers de contribuables ni ne faisait de recherches à leur sujet; il ne prenait pas de décisions en la matière, pas plus qu’il ne rédigeait de rapports pour rendre compte de ses analyses et de ses décisions. Il participait plutôt à des cours en classe à titre de stagiaire, étudiait le matériel écrit relatif aux cours, subissait des épreuves par écrit et se prêtait à des tests de simulation. Toutes ces activités étaient basées sur les fonctions, les responsabilités et les connaissances exigées d’un ASF, notamment en ce qui concerne les lois sur les douanes et l’accise et sur l’immigration; l’évaluation du comportement des voyageurs ou de leurs réponses verbales aux questions posées lors d’interactions en personne; l’apprentissage de la façon de maîtriser physiquement et d’arrêter les voyageurs turbulents; et l’apprentissage ainsi que la démonstration d’autres aspects des fonctions d’ASF.

[34] En somme, je conclus que les faits et les agissements qui servent de fondement aux allégations formulées dans la plainte de M. Itty n’ont eu lieu ni directement, ni indirectement « dans le cadre de son emploi » à l’ARC, mais plutôt dans le cadre de ses tâches de stagiaire ou de participant au programme FORPE. À ce moment-là, il n’exerçait ni directement ni indirectement ses fonctions à l’ARC, et n’accomplissait aucune tâche liée à ces fonctions. Je signale au passage que l’ARC n’a jamais été désignée comme étant l’intimée dans la présente plainte.

[35] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que l’alinéa 7a) de la Loi, et non l’alinéa 7b), s’applique à la présente plainte.

IV. QUESTIONS EN LITIGE

[36] Je dois trancher les questions suivantes :

1. M. Itty a‑t‑il établi que l’ASFC a exercé une discrimination à son endroit, en contravention des articles 7 et 10 de la Loi?

Plus précisément, il me faut décider :

  1. si un ou plusieurs motifs de distinction illicite ont été un facteur dans la décision de l’ASFC d’attribuer à M. Itty un échec au FORPE, et de l’éliminer ainsi du bassin des éventuels employés ASF de l’ASFC, en contravention de l’alinéa 7a) de la Loi;
  2. si l’ASFC applique des lignes directrices susceptibles d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’une personne pour les motifs de distinction illicite que sont la race, la couleur et l’origine nationale ou ethnique, contrairement à l’article 10 de la Loi.

V. CADRE JURIDIQUE

Le critère servant à déterminer s’il y a eu discrimination

[37] Pour pouvoir établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination, M. Itty doit prouver, selon la norme civile de la prépondérance des probabilités :

  1. qu’à l’époque pertinente, il possédait une ou plusieurs des caractéristiques protégées par la Loi contre la discrimination, en particulier la race, la couleur et l’origine nationale ou ethnique;
  2. qu’en raison des actes de l’ASFC, il a subi un effet préjudiciable relativement à son emploi, contrairement à l’article 7 (refus d’employer ou de continuer d’employer) et à l’article 10 (lignes de conduite discriminatoires) de la Loi;
  3. qu’au moins une de ses caractéristiques protégées a été un facteur dans le traitement que l’ASFC lui a réservé.

(Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 (CanLII) [Bombardier], au par. 63, et Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61 (CanLII) [Moore], au par. 33).

[38] Il suffit que la caractéristique protégée soit l’un des facteurs ayant contribué au traitement préjudiciable; l’existence d’un « lien de causalité » n’est pas nécessaire. En d’autres termes, l’acte discriminatoire peut s’expliquer par une multitude de raisons; il faut seulement que l’une de ces raisons se rattache à une caractéristique protégée pour que l’on puisse conclure à de la discrimination (Bombardier, précité, aux par. 44 et 56). Qui plus est, il n’est pas nécessaire de prouver que la discrimination était intentionnelle, puisque certains comportements discriminatoires sont multifactoriels ou inconscients (Bombardier, précité, au par. 41).

[39] La preuve prima facie de discrimination a été décrite comme « celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur [du plaignant], en l’absence de réplique de l’employeur intimé » (Commission ontarienne des droits de la personne et Theresa O'Malley c. Simpsons-Sears, 1985 CanLII 18 (CSC), au par. 28).

[40] Dès lors qu’un plaignant s’est acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir une preuve prima facie de discrimination selon la prépondérance des probabilités, l’intimée peut présenter soit des éléments de preuve pour réfuter l’allégation de discrimination prima facie, soit une défense justifiant la discrimination (c.-à-d. la défense fondée sur les exigences professionnelles justifiées art. 15 de la Loi), ou les deux (Bombardier, au par. 64). Autrement dit, l’intimé pourra démontrer qu’il n’y a pas eu discrimination, ou, le cas échéant, que la discrimination qui a eu lieu était justifiable selon la Loi.

[41] Pour décider si le plaignant s’est acquitté de son fardeau d’établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination, le Tribunal tiendra compte de l’ensemble de la preuve produite, y compris tout élément de preuve produit par l’intimé afin de de réfuter l’existence d’une preuve prima facie de discrimination. Si le plaignant parvient à établir une preuve de discrimination prima facie, le fardeau de la preuve sera alors transféré à l’intimé, qui pourra présenter une défense justifiant la discrimination (Campbell c. Banque Canadienne Impériale de Commerce, 2019 TCDP 13 (CanLII), au par. 113; White c. Laboratoires Nucléaires Canadiens Ltd., 2020 TCDP 37 (CanLII), au par. 41).

[42] M. Itty allègue que les compétences évaluées par les évaluateurs dans le cadre des simulations, et plus particulièrement les trois compétences pour lesquelles il a reçu un échec, [traduction] « sont hautement subjectives et donc vulnérables aux préjugés et à la discrimination » (Exposé des précisions du plaignant, au par. 3). La plupart des témoins ont convenu que la sélection du personnel en général, et les évaluations comportementales en particulier, sont intrinsèquement vulnérables aux préjugés, mais les témoins de l’intimée affirment que le cadre méthodologique des Centres d’évaluation (de l’anglais :« Assessment Centers ») est conçu pour réduire au minimum les risques que les résultats soient entachés de préjugés conscients ou inconscients. Selon le plaignant, le FORPE s’écarte à plusieurs égards importants de la méthode des Centres d’évaluation, si bien qu’il ne suit pas les pratiques exemplaires destinées à atténuer les risques de partialité.

[43] Le plaignant cite expressément les problèmes suivants comme exemples d’une discrimination systémique qui serait exercée par l’entremise du programme FORPE : le manque de diversité dans le bassin d’évaluateurs; la formation inadéquate des évaluateurs (notamment une formation insuffisante en matière de sélection impartiale, une absence de formation de mise à jour, un manque d’évaluation des évaluateurs); le défaut d’assurer une fiabilité inter-évaluateurs dans le cas des minorités visibles; et le manque de données sur les taux d’échec et d’attrition chez les recrues issues des minorités visibles.

[44] La plupart des observations formulées devant moi à l’audience ainsi que des observations finales des parties semblaient axées sur l’article 7 de la Loi. Cependant, j’ai constaté qu’une grande partie des témoignages ainsi livrés, et en particulier, les témoignages d’expert et le témoignage de M. Ducharme, étaient également pertinents par rapport aux allégations de discrimination systémique du plaignant.

[45] L’article 10 de la Loi, qui traite des lignes de conduite discriminatoires, est ainsi libellé :

10. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

  • a)de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

  • b)de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

[46] Dans la décision Chopra c. Santé Canada, 2008 TCDP 39, au par. 255, le Tribunal a cité l’arrêt Action Travail des Femmes c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 1987 CanLII 109 (CSC) de la Cour suprême, où celle-ci avait défini comme suit la discrimination systémique en matière d’emploi :

La discrimination systémique en milieu de travail […] résulte de la simple application de procédures établies de recrutement, d’embauchage et de promotion, dont aucune n’est nécessairement conçue pour promouvoir la discrimination. La discrimination systémique est souvent involontaire. Elle résulte de l’application de pratiques et politiques établies qui ont une incidence négative sur l’embauchage et les perspectives d’avancement d’un groupe donné. Elle est accentuée par les attitudes des gestionnaires et des collègues qui acceptent des visions stéréotypées conduisant à la ferme conviction que les membres du groupe concerné sont incapables d’accomplir telle ou telle tâche, même si cette conclusion est objectivement fausse.

Crédibilité

[47] La crédibilité a joué un grand rôle dans l’instruction de la présente affaire. Dans le cadre de mon analyse des importantes questions de crédibilité soulevées par la présente plainte, je me suis efforcée au mieux de suivre les indications données dans l’arrêt-clé Faryna v. Chorny, 1951 CanLII 252 (BCCA), [1952] 2 D.L.R., aux pages 354 à 357 :

[traduction]

Les possibilités qu'avait le témoin d'être au courant des faits, sa capacité d'observation, son jugement, sa mémoire, son aptitude à décrire avec précision ce qu'il a vu et entendu contribuent, de concert avec d'autres facteurs, à créer ce qu'on appelle la crédibilité.

[…]

Le critère applicable consiste plutôt à examiner si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits de l'espèce. Disons, pour résumer, que le véritable critère de la véracité de ce que raconte un témoin dans une affaire déterminée doit être la compatibilité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu'une personne éclairée et douée de sens pratique peut d'emblée reconnaître comme raisonnable dans telle situation et telles circonstances..

[48] Juger si une personne est digne de foi ou non n’est pas une science, et il n’est pas toujours possible de cerner en toute précision la façon dont la crédibilité est évaluée.

[49] Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que mes conclusions sur la crédibilité d’un témoin s’appliquent globalement à son témoignage. Si je peux croire quelqu’un dans certains cas, cela ne signifie pas que je doive ajouter foi à tous ses propos. De même, si je ne crois pas certains aspects du témoignage d’un témoin, je n’ai pas l’obligation de rejeter entièrement ce témoignage. En tant que décideuse, je n’ai pas accordé beaucoup de poids au comportement des témoins, car souvent, le comportement n’est pas un indicateur suffisant de la crédibilité.

Le plaignant

[50] Dans les présents motifs, je me prononcerai sur la crédibilité de divers témoins, profanes ou experts. D’entrée de jeu, toutefois, je formulerai des remarques sur la crédibilité du plaignant. C’est le plaignant qui a le fardeau de preuve prima facie initial d’établir le bien‑fondé de ses allégations.

[51] Parfois, lorsqu’une question était posée à M. Itty au sujet d’une pièce, il répondait en lisant mot à mot le document en question. J’ai remarqué qu’il ne prêtait pas l’oreille à ce que son avocat et celui de l’intimée lui demandaient. Par moments, il semblait ne pas comprendre ce qu’on lui demandait (ce qui, dans certains cas, était compréhensible) et, à d’autres moments, il paraissait ne pas écouter la question. Il était à la fois ergoteur et évasif pendant différentes parties de son témoignage et, quelquefois, il s’est montré pugnace face aux avocats.

[52] Il me paraît compréhensible qu’un plaignant puisse éprouver une certaine frustration, de la colère et même de l’animosité à l’égard d’un intimé dont il juge qu’il l’a injustement traité en faisant preuve de discrimination à son endroit. Il reste que, lorsque M. Itty s’est montré tantôt évasif dans ses réponses à certaines questions, tantôt ergoteur sur des points de droit au cours de son témoignage, il a nui à la crédibilité des parties du témoignage concernées. Il n’était pas contesté, par exemple, que M. Itty avait réussi la simulation 6 à l’étape D‑II, évaluée par Gregory Zbitnoff. Toutefois, pendant un certain temps dans son témoignage, il a refusé de reconnaître ce fait, et affirmé qu’il ignorait ce qui s’était passé lors de la réunion d’intégration tenue par les évaluateurs, une fois les simulations terminées. Il a finalement admis avoir réussi la simulation 6. Ce genre de joute verbale avec les avocats concernant un fait évident et admis n’a pas aidé à sa crédibilité. J’ai eu l’impression que, même s’il croyait honnêtement en ses allégations, son point de vue et son témoignage sur certains incidents allégués n’étaient pas fiables. Je tiens à souligner qu’au moment d’évaluer la crédibilité de M. Itty, je n’ai guère accordé d’importance à son comportement, car souvent, le comportement n’est pas un indicateur suffisant de la crédibilité.

[53] Aux dires de l’intimée, M. Itty n’était pas digne de foi, et elle a donné de nombreux exemples à cet effet. J’en ai retenu certains, que j’ai mentionnés plus haut. J’ai en revanche complètement rejeté d’autres exemples, qu’il conviendrait sans doute mieux de qualifier de questions relevant de la stratégie. Bref, j’ai accepté des parties de son témoignage et en ai rejeté d’autres. Dans la présente décision, je préciserai quelles parties je n’ai pas acceptées, et pourquoi.

VI. ANALYSE

Caractéristiques protégées

[54] Nul ne conteste que le plaignant est né en Inde et qu’il est originaire de l’Asie du Sud. Nul doute non plus qu’il n’est pas « caucasien », c’est‑à‑dire blanc, ainsi qu’il l’a dit lui-même. J’en conclus qu’il présente certaines des caractéristiques protégées par le paragraphe 3(1) de la Loi, à savoir la race, la couleur et l’origine nationale ou ethnique.

Les actes de l’ASFC ont‑ils eu un effet préjudiciable pour M. Itty en matière d’emploi?

[55] Nul ne conteste non plus que M. Itty a échoué au programme FORPE, et qu’il n’a donc pas été intégré au bassin des aspirants ASF qualifiés. Il s’agit là d’un effet préjudiciable pour lui, au sens du critère défini dans l’arrêt Moore.

[56] Il n’y a pas que l’échec au FORPE, puisque M. Itty prétend qu’une série d’incidents et d’agissements discriminatoires du personnel de l’ASFC ont eu des effets préjudiciables pour lui tout au long de sa participation au programme FORPE, à Rigaud. Je traiterai tour à tour de ces éléments à la section suivante.

Une ou plusieurs des caractéristiques protégées de M. Itty ont‑elles été un facteur dans le traitement que lui a réservé l’ASFC?

[57] Il s’agissait là de la partie la plus controversée de la plainte. Le plaignant a formulé une série d’allégations selon lesquelles certains agissements du personnel de l’ASFC constituaient des actes discriminatoires au sens de l’alinéa 7a) de la Loi.

[58] Le plaignant a allégué plus précisément :

  1. que, maintes fois en classe, l’instructeur Jean‑Pierre Landry avait fait fi de ses questions, alors qu’il répondait à celles de costagiaires, qui en posaient de bien plus nombreuses;
  2. que sa place en classe avait été changée trois fois, alors que certaines autres recrues n’avaient pas changé de place une seule fois;
  3. le plaignant avait dû jouer deux fois le rôle de voyageur lors des simulations D‑II des TMD, alors que d’autres recrues n’avaient eu à le faire qu’une seule fois, voire pas du tout, ce qui avait eu des conséquences négatives pour lui au moment des simulations comportementales; et l’ASFC avait agi ainsi intentionnellement pour le faire échouer à ces simulations, qui venaient après les simulations TMD;
  4. le plaignant avait été évalué plus strictement que ses camarades de classe lors des simulations comportementales D‑II;
  5. le personnel de l’ASFC l’avait humilié et insulté au moment de sa rétroaction finale, en plus de l’l’empêcher de prendre des notes et de ne lui fournir aucune justification pour son échec au programme FORPE.

[59] En ce qui concerne l’article 10, le plaignant a affirmé que le programme FORPE même accusait plusieurs lacunes dans sa conception et son exécution, ce qui avait conduit aux résultats qu’il avait obtenus. Les éléments de preuve relatifs à ses expériences personnelles et aux allégations concernant des problèmes systémiques plus larges étant étroitement liés, je les traiterai ensemble afin d’éviter les répétitions.

[60] J’examinerai chacune des allégations ainsi qu’elles ont été présentées:

Participation en classe

[61] M. Landry était l’animateur-instructeur principal (l’« instructeur ») de la classe de M. Itty. Il enseignait des matières comme les douanes et l’examen des bagages à la ligne secondaire. Il était aussi coordonnateur de la classe de M. Itty.

[62] M. Itty a témoigné qu’il y avait dans sa classe 16 candidats (ou recrues). L’instructeur se tenait à l’avant et écrivait au tableau. Chaque recrue avait un module du matériel de formation. Des exercices en groupe devaient être faits après chaque module; l’animateur formait ainsi de petits groupes de quatre ou cinq recrues, qui se rendaient au tableau. Si les recrues demandaient des éclaircissements, l’animateur leur répondait.

[63] Pour ce qui est du nombre de questions posées chaque jour dans la classe de M. Landry, M. Itty a allégué qu’une autre recrue aurait posé de 10 à 15 questions, alors que lui-même en aurait posé 6 ou 7. L’instructeur Landry aurait répondu à toutes les questions de cette autre recrue, mais ne l’aurait fait que pour une ou deux, tout au plus, de celles de M. Itty. Par ailleurs, M. Itty ne se rappelait pas que M. Landry ait répondu à aucune de ses questions alors que celui-ci enseignait les pénalités douanières dans le programme informatique consacré à cet aspect. Certaines recrues, dont M. Itty, avaient de la difficulté à naviguer entre les différents écrans. M. Landry se promenait dans la salle et, lorsque M. Itty levait la main pour demander de l’aide, M. Landry se contentait de lui jeter un regard, puis s’éloignait. Les autres candidats présents qui avaient une certaine expérience comme ASF lui étaient alors venus en aide.

[64] L’intimée a nié que les choses se soient passées ainsi. M. Landry a témoigné ne pas se souvenir d’avoir agi de la sorte. L’intimée a fait valoir que, même s’il avait effectivement refusé de répondre à certaines des questions de M. Itty en classe, M. Landry avait traité les autres recrues de la même façon, pour assurer la bonne marche des leçons. M. Landry a témoigné avoir offert de répondre aux questions des stagiaires au repas ou à la pause, ou encore après la classe, s’il fallait plus de temps pour en discuter. Il leur avait dit d’écrire leurs questions sur ce qu’il appelait le [traduction] « tableau des questions en suspens » qui se trouvait dans la classe. Il répondait par la suite aux questions posées.

[65] En décembre 2008, les recrues ont eu la possibilité d’évaluer leurs animateurs. M. Itty a écrit, au sujet de M. Landry : [traduction] « [il a] dit que nous devions tous poser des questions, mais à plusieurs reprises, il a paru ne pas réagir lorsqu’elles lui étaient posées, peut‑être ne prêtait‑il pas attention ». Toutefois, M. Itty a aussi noté que M. Landry se montrait accessible et disponible pour répondre aux questions. Il a ajouté qu’il était sensible et réceptif, [traduction] « dans une certaine mesure », à la diversité des opinions exprimées, qu’il donnait une rétroaction constructive, ne s’écartait pas du sujet et veillait à ce que les objectifs pédagogiques soient atteints. À la question de savoir quelles étaient les faiblesses de l’instructeur, la seule chose qu’il avait mentionnée à ce moment-là était que M. Landry [traduction] « [n]e donnait pas d’exemples concrets et ne relatait pas d’expériences vécues au travail ». Ayant passé en revue les évaluations de la classe tout entière, le Tribunal fait remarquer que plusieurs autres recrues de la classe de M. Itty ont écrit que M. Landry excellait à maintenir les formations sur la bonne voie, et qu’il ne laissait pas les questions hors sujet prendre une trop grande partie du temps en classe.

[66] M. Landry a témoigné se rappeler qu’en classe, M. Itty lui avait posé une question à deux reprises. Il avait auparavant déclaré à la classe qu’il devait écrire au tableau, et ne répondrait pas pendant ce temps aux questions. M. Itty lui avait cependant posé les questions pendant qu’il était en train d’écrire. M. Landry a fait remarquer qu’à la fin de chaque leçon donnée, il disait à la classe qu’il pourrait répondre aux questions à la pause ou au repas. Il se rappelait [traduction] « très bien » l’incident avec M. Itty, parce qu’auparavant, il n’avait jamais entendu de recrue lui poser une question pendant qu’il écrivait au tableau sans l’approcher par la suite pour lui demander des éclaircissements. M. Landry a dit avoir peut‑être eu à couvrir de la matière nouvelle à ce moment‑là, et a reconnu que, si une telle situation se reproduisait, il agirait peut‑être différemment. Il se rappelait le nom d’« AM », mais ne se souvenait pas d’avoir ignoré M. Itty et répondu à toutes les questions de cette personne. Il n’avait pas non plus souvenir d’avoir omis d’aider M. Itty à l’ordinateur. Il a fait remarquer que, parfois, les recrues s’entraidaient.

[67] J’estime que M. Itty croyait vraiment que M. Landry avait fait fi de ses questions, et j’accepte qu’il ait pu penser que ce dernier aurait dû y répondre. Ses commentaires sur M. Landry dans le formulaire d’évaluation des animateurs confirment cette conviction qu’il avait. Toutefois, je n’admets pas que M. Landry ait ignoré toutes les questions de M. Itty.

[68] La preuve n’a pas non plus permis d’établir que M. Landry a écarté les questions ou les demandes d’aide de M. Itty plus que pour toute autre personne. Et, même s’il l’avait fait, la preuve n’a pas démontré qu’un tel éventuel défaut de répondre aux questions de M. Itty avec la même fréquence que pour ses camarades de classe avait à voir avec les caractéristiques protégées du plaignant. Qui plus est, M. Landry a témoigné que, s’il changeait la disposition des places en classe, c’était notamment pour que les recrues plus faibles dans un certain domaine se retrouvent à côté des recrues qui s’en sortaient bien, de manière à créer un meilleur environnement d’apprentissage pour ceux ayant des difficultés avec certains aspects de la matière enseignée. Je n’accorde donc aucun poids au fait que d’autres recrues, et non M. Landry, aient aidé M. Itty à passer d’un écran à l’autre, puisque cela faisait partie du plan et de la méthode d’enseignement de cet instructeur.

[69] De même, d’après les formulaires d’évaluation des évaluateurs remplis par d’autres recrues, M. Landry était très habile à maintenir la discussion centrée sur le sujet et à s’assurer que la matière était couverte, notamment en mettant le holà aux questions hors propos. Lui‑même a déclaré qu’il avait beaucoup de matière à enseigner, et qu’il devait la couvrir dans le temps alloué.

[70] Je conclus que la preuve n’a pas permis d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que si M. Landry a ignoré certaines des questions de M. Itty, la race, la couleur ou l’origine nationale ou ethnique de celui‑ci ont joué dans un tel traitement.

[71] Le Tribunal rejette donc cette allégation.

Changements de place de M. Itty en classe

[72] Le plaignant a déclaré dans son témoignage que l’instructeur Landry l’avait changé de place en classe trois fois, et que ces changements l’avaient grandement dérangé, en particulier le dernier. Il a soutenu que de tels changements étaient discriminatoires, parce qu’il avait été ciblé. Aucun autre stagiaire n’aurait été changé de place aussi souvent que lui, et beaucoup auraient même toujours gardé la même place. Vu le moment où le dernier changement de place s’était produit, il avait eu un mauvais pressentiment et l’impression que quelque chose clochait sérieusement.

[73] Environ une semaine avant les simulations et les examens D‑II, une costagiaire (la « candidate X ») avait demandé à M. Landry de la changer [traduction] « discrètement » de place parce qu’elle était distraite par un autre élève. Elle a fini par indiquer que les distractions avaient été causées à deux reprises par M. Itty, qui, disait-elle, riait en réaction aux gestes et aux commentaires déplacés d’autres stagiaires ou de lui‑même en classe. M. Landry avait inscrit les préoccupations de la candidate X dans le dossier ce celle-ci, dans un programme informatique du FORPE appelé le « lecteur G », en nommant M. Itty. Toutefois, il n’avait pas demandé à M. Itty sa version des faits.

[74] Dans ce contexte et ce climat, M. Landry avait changé M. Itty de place pour la dernière et, selon M. Itty, la troisième fois, en réponse à la plainte de la candidate X, sans en préciser la raison à ce dernier.

[75] M. Landry a déclaré que, s’il avait changé M. Itty de place dans la classe, il l’avait aussi fait pour quatre ou cinq autres candidats.

[76] M. Itty a témoigné que ce changement de place n’augurait rien de bon, et qu’il l’avait rendu très nerveux et anxieux. Il avait commencé à s’en faire, parce que le changement arrivait à une semaine des simulations et des examens D‑II. Il avait tenté de mettre de côté ce souci, parce qu’il savait devoir beaucoup étudier pour les examens D‑II à venir. J’accepte le témoignage de M. Itty sur le sentiment qu’a suscité chez lui le changement de place.

[77] M. Itty a dit n’avoir eu connaissance de cette information inscrite au dossier de la candidate X, dans le lecteur G, que deux ou trois semaines avant le début de l’audience, au moment où son représentant avait obtenu le document. Je trouve compréhensible que M. Itty, selon sa propre description, ait été très en colère et bouleversé. Il a affirmé qu’il n’avait pas agi, et n’agirait jamais comme l’avait prétendu la candidate X.

[78] L’intimée a fait valoir que, d’après la preuve, il n’était pas inhabituel que les places en classe changent plusieurs fois au cours du programme et qu’en réalité, plusieurs autres camarades de classe de M. Itty avaient aussi été déplacés. La pratique était en fait encouragée, selon l’intimée, parce qu’elle était considérée comme favorisant l’apprentissage, puisqu’elle exposait les candidats à d’autres élèves aux styles d’apprentissage différents. Ainsi, ils pouvaient apprendre les uns des autres, et les candidats plus faibles dans une matière avaient la possibilité d’apprendre d’un candidat plus fort. De plus, on remédiait de la sorte aux distractions ou autres obstacles à l’apprentissage par la création d’un cadre différent. M. Landry a déclaré avoir, pour ces différentes raisons, réattribué les places plusieurs fois. L’intimée a également signalé que, dans son témoignage, M. Itty avait reconnu que le dernier jour où sa place avait été changée, il y avait aussi eu pareil changement pour [traduction] « quatre ou cinq » autres recrues.

[79] L’intimée a en outre soutenu que la question d’un changement de place consécutif à la plainte de la candidate X n’était pas pertinente. L’ASFC a ajouté que le plaignant n’avait apporté aucune preuve pour étayer son affirmation selon laquelle des allégations de [traduction] « comportements sérieusement inappropriés » d’autres élèves n’auraient pas été consignées.

[80] Mme Nathalie Surprenant, cogestionnaire du FORPE à Rigaud lorsque M. Itty y était, a déclaré, comme divers autres témoins de l’intimée, que le lecteur G est un outil dans lequel les instructeurs du FORPE enregistrent des observations ainsi que les difficultés qui sont rencontrées par les recrues et qui nécessitent des améliorations. Chaque recrue a un dossier distinct sur le lecteur G.

[81] M. Itty a témoigné que [traduction] « tout le monde » avait accès au lecteur G, qu’il s’agissait d’un [traduction] « tiroir ouvert » à tous et que, par conséquent, tout le monde à Rigaud avait une mauvaise impression de lui avant les simulations D‑II, à cause de ce qui y était consigné, ce qui avait mené à son échec. Il a en outre allégué, dans son témoignage, que la même chose ne serait jamais arrivée à une recrue de race blanche.

[82] La preuve établit qu’en fait, ce n’était pas tout le monde qui avait accès au lecteur G. Les témoignages des évaluateurs D‑II de M. Itty, à savoir Gregory Zbitnoff, Shellie Fowler et Kevin Phillips, que j’accepte sur ce point, établissent que les évaluateurs ne connaissaient pas M. Itty avant de l’évaluer à l’étape D‑II et n’avaient jamais lu quelque information que ce soit à son sujet dans le lecteur G. J’estime que ce fait est établi par leurs témoignages, bien que Mme Fowler ait pu avoir eu accès au lecteur G à titre d’instructrice. À l’instar des deux autres évaluateurs, elle a déclaré qu’aucun d’eux ne savait rien de M. Itty avant d’avoir eu à l’évaluer. Mme Surprenant a confirmé que les évaluateurs n’avaient pas accès à ce lecteur, et que seuls les instructeurs et les administrateurs pouvaient y accéder.

[83] Selon moi, la preuve établit que M. Landry n’a pas enregistré la plainte de la candidate X au dossier de M. Itty dans le lecteur G, et qu’il l’a plutôt consignée au dossier de cette candidate.

[84] Cela dit, la note entrée au lecteur G par l’administratrice du FORPE, Marie‑Josée Roy, le 23 janvier 2009, reposait fortement sur l’hypothèse selon laquelle tout ce que la candidate X leur avait raconté, à elle et à M. Landry, était vrai. Et ce, même si l’administratrice ne s’était jamais enquise auprès de M. Itty de sa version des faits allégués. Mme Roy est allée jusqu’à dire que la candidate X avait fait preuve [traduction] « d’intégrité […] en faisant part des remarques inappropriées à LANDRY ». La note de Mme Roy ne précise nulle part que la plainte de la candidate X était en partie fondée sur du ouï‑dire.

[85] Toutefois, M. Landry, pour sa part, a bel et bien noté, dans ce qu’il a consigné à ce propos dans le lecteur G, que le gros de la plainte de la candidate X reposait sur du ouï‑dire. Il l’a même noté plusieurs fois. Il a également témoigné en ce sens, en disant être étonné que personne n’ait posé de questions à M. Itty au sujet de la plainte de la candidate X. M. Landry a signalé que la candidate X avait dit, par la suite, que le changement de place avait produit le résultat escompté, puisqu’elle n’avait plus été distraite dans son apprentissage. En réponse à une question de Mme Roy, la candidate X a indiqué qu’elle n’aurait aucun mal à travailler avec M. Itty comme ASF.

[86] Ce qui est le plus significatif est que, collectivement, le témoignage de M. Landry, le témoignage de M. Itty — que j’accepte à cet égard — et les notes au lecteur G sur la plainte de la candidate X montrent que Mme Roy ne s’est jamais enquise, pas plus qu’elle n’a demandé à M. Landry ou à quelqu’un d’autre de s’enquérir, de la version de M. Itty, et qu’en fait, elle aurait aussi dit à M. Landry de n’en rien faire. Cette conclusion n’a aucune incidence sur la décision du Tribunal concernant la plainte, mais je désire faire remarquer que l’ASFC n’a pas dûment traité la plainte de la candidate X, et que M. Itty aurait dû avoir eu la possibilité de raconter sa version des faits. Cela dit, je tiens compte de ce que l’administratrice Roy a aussi donné instruction à M. Landry de ne rien inscrire sur la plainte de la candidate X dans le dossier de M. Itty dans le lecteur G, ce qui, j’en conclus, a grandement réduit la probabilité que l’incident allégué soit connu des personnes en position d’influer sur les évaluations D‑II de ce candidat.

[87] Enfin, M. Itty a allégué que les entrées au lecteur G pourraient avoir influencé défavorablement l’administratrice Helene Helde et le cogestionnaire Guy Cormier, qui devaient par la suite participer à la réunion d’intégration au cours de laquelle les notes des évaluateurs aux simulations comportementales de M. Itty seraient examinées.

[88] J’estime qu’il n’y a aucune preuve que Mme Helde ou M. Cormier aient été au courant de la plainte de la candidate X contre M. Itty, ou que cette plainte ait influé sur leur confirmation des cotes attribuées par les évaluateurs lors des simulations D‑II. Bien que M. Itty ait subi un effet préjudiciable en raison de son changement de place, étant donné que celui-ci était survenu une semaine avant les examens et les simulations D‑II, ce qui l’avait perturbé et inquiété, rien ne prouve que cet effet préjudiciable ait été lié à sa race, sa couleur ou son origine nationale ou ethnique. Je conclus plutôt que le dernier changement de place était la réponse de l’ASFC aux allégations de la candidate X.

[89] Le Tribunal rejette l’allégation de discrimination en question.

Simulation de tactiques de maîtrise et de défense

[90] Le cours sur les tactiques de maîtrise et de défense (TMD) porte sur l’usage de la force dans le cadre des fonctions de l’ASF. Les candidats suivant ce cours sont évalués dans la simulation TMD, à l’étape D‑II. Ils doivent y obtenir la note de passage pour réussir le programme FORPE. L’évaluation des candidats pour la simulation TMD se fait une seule fois, à la fin de l’étape D‑II, le même jour que pour les trois autres simulations D‑II.

[91] Pendant la simulation TMD, le candidat évalué joue le rôle de l’ASF, et un autre candidat joue le rôle du voyageur. Ce dernier porte une tenue spéciale de protection. La simulation est conçue de manière à ce que le candidat ASF démontre posséder les techniques apprises dans les classes TMD pour maîtriser et arrêter un voyageur agressif et hors de contrôle. Les candidats échangent ensuite leur rôle, l’ASF devenant le voyageur, et le voyageur, l’ASF évalué. Cependant, il arrive qu’à certaines occasions, pour des raisons que nous préciserons ci-après, certaines recrues ne joueront pas du tout le rôle de voyageur, alors que certaines le feront deux fois.

[92] Il n’est pas contesté que M. Itty a joué deux fois le rôle du voyageur en tenue de protection, ni qu’il a réussi la simulation TMD.

[93] Il a néanmoins allégué avoir subi un traitement défavorable lors de la simulation TMD, parce qu’à deux reprises, dans des simulations TMD consécutives, l’ASFC lui avait fait tenir le rôle du voyageur donnant la réplique à deux candidats blancs, alors qu’il aurait dû être le voyageur une seule fois, comme d’autres dans sa classe qui n’avaient pas ses caractéristiques. Au cours de la simulation, la force physique est utilisée contre le voyageur. M. Itty a prétendu que l’ASFC lui avait délibérément imposé deux fois le rôle du voyageur afin de le rendre nerveux et inquiet, et d’ainsi le faire échouer aux autres simulations D‑II. M. Itty a affirmé également que jouer le rôle deux fois l’avait fait se blesser au poignet, de sorte qu’il n’avait pas eu assez de temps pour se préparer pour les simulations comportementales ultérieures. Selon lui, il s’agissait là d’un exemple de la façon dont l’ASFC avait fait preuve de discrimination à son égard pendant le programme FORPE.

[94] L’intimée a fait valoir que les allégations du plaignant concernant la simulation TMD qu’il avait effectuée n’étaient pas prouvées. Elle a fait remarquer que le plaignant avait lui‑même admis ne pas avoir été le seul de sa classe à jouer deux fois le rôle de voyageur. Notons que le témoin de l’intimée, Fernando Borgia, était instructeur-animateur et évaluateur à temps partiel dans le cours TMD du programme FORPE avant, pendant et après la participation de M. Itty à celui-ci. L’intimée a cité le témoignage de M. Borgia quant au fait que la simulation TMD n’était pas excessivement physique. Selon elle, le plaignant avait admis, dans son témoignage, l’inexactitude de sa propre allégation selon laquelle il aurait eu moins d’une heure pour récupérer après la simulation TMD et se préparer à la simulation suivante. Aux dires de l’intimée, rien ne prouvait qu’elle avait attribué deux fois le rôle de voyageur au plaignant en raison de ses caractéristiques protégées, ni qu’elle avait agi de la sorte pour le rendre nerveux et le faire échouer aux autres simulations. Le Livret sur les objectifs des examens du programme et le Manuel relatif au programme de formation FORPE (le « manuel ») avisent les candidats que, s’ils ont des affections ou des blessures physiques qui risquent d’être aggravées par leur participation à la simulation TMD, ils devraient en informer leurs instructeurs. Or M. Itty ne l’a pas fait, et n’a pas mentionné non plus, après la simulation TMD, que son poignet endolori nuirait à sa performance lors des simulations D‑II restantes.

[95] Durant la première tranche de deux simulations TMD, le 30 janvier 2009, M. Itty a tenu le rôle d’un ASF en uniforme, et un costagiaire était le voyageur en tenue de protection. M. Itty a déclaré que, dans une simulation TMD, le candidat ASF fait face à un voyageur physiquement agressif et hors de contrôle vêtu d’une tenue de protection matelassée particulière (la « tenue de protection »). L’ASF doit appliquer des tactiques de défense combinées pour notamment plaquer au sol et menotter le voyageur afin de l’amener à obtempérer, et ce, sans traitement abusif ni emploi d’un langage inacceptable, et avec les précautions voulues pour ne pas blesser le voyageur. L’ASF doit ensuite emmener ce dernier de manière sécuritaire vers un lieu désigné, où la simulation prend fin. M. Itty a déclaré que jouer le rôle du voyageur était [traduction] « assez intense » physiquement.

[96] M. Itty a expliqué que, lorsqu’il avait joué pour la seconde fois le rôle du voyageur en tenue, le candidat ASF évalué lui avait mis une menotte à la main droite en serrant à l’extrême. Il l’avait dit à un évaluateur, qui avait desserré la menotte. M. Itty a affirmé que son poignet était très endolori, et qu’il n’avait pu ensuite bouger la main pendant toute une demi-heure. Il a signalé que la tenue de protection ne couvrait pas les parties du corps exposées au menottage.

[97] M. Itty a reconnu le document intitulé [traduction] « FORPE – Exercice de simulation des techniques de maîtrise et de défense – classe A – horaire DII » (l’« horaire TMD ») en tant que calendrier de ses simulations TMD en classe. Il a confirmé avoir été le candidat « A8 » inscrit à cet horaire. Il s’est fié à celui-ci pour déterminer les dates des évaluations TMD auxquelles il avait participé, puisqu’il ne pouvait s’en rappeler avec précision, vu que les exercices avaient eu lieu il y a très longtemps. M. Itty a témoigné que, d’après l’horaire TMD, il avait participé aux simulations en question de 8 h 30 à 9 h, puis de 9 h à 9 h 30, d’abord dans le rôle d’ASF, puis deux fois dans le rôle du voyageur en tenue de protection.

[98] M. Borgia a mentionné que l’heure indiquée dans l’horaire TMD est celle du début de l’exercice, et que la mention [traduction] « Activité de la recrue » définit le type de simulation. Il a expliqué que l’horaire TMD indique [traduction] « Test TMD » deux fois parce que les candidats se présentent à deux, et qu’il y a deux simulations TMD consécutives dans chaque tranche d’une demi-heure. De 8 h 30 à 9 h, par exemple, les [traduction] « recrues participantes » étaient d’abord « A8 », pour jouer l’ASF, et « A9 » pour jouer le voyageur en tenue de protection. Il y avait ensuite eu inversion des rôles, et A9 était devenu l’ASF, et A8, le voyageur en tenue. Les évaluateurs ne notaient pas le candidat jouant le rôle de voyageur, seulement celui ayant le rôle de l’ASF.

[99] Onze candidats de la classe de M. Itty, dont M. Itty lui-même, avaient été évalués dans le rôle d’un ASF à l’occasion des simulations TMD. Au cours de ces simulations, les personnes présentes étaient deux évaluateurs TMD, le candidat évalué en tant qu’ASF et un autre candidat de la même classe jouant le rôle de voyageur en tenue de protection.

[100] Dans la première moitié de la période de 8 h 30 à 9 h, M. Itty était désigné comme le candidat A8 qui serait évalué comme ASF, alors qu’A9 était le voyageur en tenue de protection. M. Borgia et M. Slee ont évalué M. Itty. Nul ne conteste qu’ils lui ont attribué une note de réussite.

[101] Au cours de la simulation suivante, durant la même plage horaire de 8 h 30 à 9 h‎, A9 a été évalué comme ASF et M. Itty (A8) comme le voyageur en tenue de protection. D’après l’horaire TMD, dans la première moitié de la période de 9 h à 9 h 30, M. Itty a été à nouveau le voyageur, alors que le candidat A10 était l’ASF évalué.

[102] Puis, dans la seconde moitié de la période de 9 h à 9 h 30, les candidats A12, en tant qu’ASF, et A16, en tant que voyageur, ont effectué la simulation. M. Itty n’a pas participé du tout. Je constate qu’ à 9 h 30 au plus tard, il avait fini de participer aux simulations TMD. Il n’y avait plus joué aucun rôle, et avait été libre de quitter les lieux et de revenir à sa chambre afin de se changer et de se préparer pour les trois autres simulations comportementales D‑II.

[103] Le candidat A16 a de nouveau joué le rôle de voyageur dans la première moitié de la période de 9 h 30 à 10 h. Ainsi, il a joué deux fois le rôle de voyageur en tenue de protection dans les simulations consécutives réalisées entre 9 h et 10 h, après la participation de M. Itty.

[104] Le candidat A3 a été le voyageur dans la seconde moitié de la période de 13 h 30 à 14 h, cependant que le candidat A4 était l’ASF. De 14 h 15 à 14 h 45, A3 a à nouveau joué le rôle de voyageur, tandis qu’A6 était l’ASF.

[105] La preuve qui précède établit donc que, sur les 11 candidats de la classe de M. Itty qui ont participé aux simulations TMD, deux autres que lui ont joué deux fois le rôle de voyageur en tenue dans des simulations consécutives. Il s’agit du candidat A16, lors des simulations ayant eu lieu entre 8 h 30 et 10 h, et du candidat A3 dans les simulations ayant eu lieu entre 13 h 30 et 14 h 45.

[106] Ainsi, sur les 11 participants aux simulations TMD de la classe de M. Itty, trois candidats, dont M. Itty, ont joué deux fois le rôle de voyageur en tenue lors de simulations consécutives. M. Itty a convenu que trois candidats de sa classe avaient joué plus d’une fois le rôle du voyageur dans une simulation TMD.

[107] La position de M. Itty au sujet de la quantité de temps dont il avait disposé entre la fin de son rôle de voyageur dans les simulations TMD et le début des autres simulations D‑II reposait en partie sur sa ferme conviction, réitérée au moins deux fois dans son témoignage, selon laquelle les candidats devaient se présenter dans la zone des tests de simulation environ une demi-heure avant le début des exercices. Or à mon avis, la preuve documentaire n’appuie pas cette thèse.

[108] Le paragraphe 50 de l’exposé des précisions du plaignant indique notamment qu’après les exercices éprouvants de mise au sol qu’il avait exécutés lors des simulations TMD, M. Itty avait dû se présenter en moins d’une heure à la simulation suivante, et que [traduction] « toutes ces actions visaient à rendre M. Itty nerveux et inquiet, de telle sorte qu’on puisse le faire échouer aux simulations ».

[109] La preuve établit que la simulation qui avait suivi les simulations TMD de M. Itty était la simulation 6, évaluée par Gregory Zbitnoff (la seule simulation D‑II qu’il ait réussie). M. Itty a reconnu que son heure d’arrivée dans la zone de la simulation 6 avait été consignée par M. Zbitnoff comme étant 11 h 55, mais il a affirmé que les candidats étaient tenus de se présenter dans l’aire d’attente au moins une demi-heure avant l’heure prévue pour le début de l’exercice, et qu’ils devaient attendre d’être appelés pour pouvoir commencer la simulation proprement dite.

[110] J’estime que M. Itty n’a pas délibérément menti — que ce soit au paragraphe 50 de son exposé des précisions ou dans ce qu’il a soutenu au cours de la majeure partie de son témoignage sur les simulations TMD — au sujet du temps qu’il avait eu pour se reposer et se préparer pour la première des trois simulations comportementales D‑II qui suivraient. Il croyait véritablement à la chronologie des événements telle qu’il la présentait, mais, une fois confronté à d’autres éléments de preuve soumis à cet égard, il a finalement admis qu’il pouvait avoir tort. Il est toutefois resté campé dans sa position selon laquelle les candidats devaient se présenter une demi-heure avant le début de la première simulation comportementale qui faisait suite aux simulations TMD.

[111] Après avoir examiné la preuve documentaire, j’estime que le témoignage de M. Itty sur ce point n’était pas fiable et qu’en réalité, il avait disposé de bien plus de temps pour se préparer.

[112] M. Itty a témoigné avoir dû subir deux fois l’épreuve physique de jouer le rôle de voyageur dans les simulations TMD, qui avaient eu lieu le même jour que les simulations comportementales D‑II. Il a indiqué qu’après tous ces rudes efforts le matin, il avait dû revenir à sa chambre, se doucher, s’habiller en uniforme et se préparer mentalement à la prochaine simulation pour, enfin, se présenter à la zone désignée où il avait dû attendre qu’on l’appelle pour commencer. Il a décrit cette série d’actions comme étant très stressante pour lui, parce qu’il ne disposait que d’une heure, tout au plus, pour les accomplir. Il s’était senti bousculé, et pareil à un [traduction] « cobaye » pour avoir dû jouer deux fois le rôle du voyageur dans des simulations TMD consécutives.

[113] M. Borgia a témoigné que des participants lui avaient parfois demandé de ne pas jouer le rôle du voyageur, en raison de précédentes blessures, par exemple, et qu’ils en avaient alors été dispensés. Les candidats savent qu’ils peuvent soulever la question, parce que les instructeurs leur disent qu’il leur est loisible de le faire tout au long de leur formation et des exercices de simulation. M. Borgia a ajouté que d’ordinaire, la question était soulevée lors du scénario de pratique évalué avant la simulation elle-même, ce qui était aussi pour les instructeurs une occasion de savoir si quiconque éprouvait de tels problèmes.

[114] M. Borgia a déclaré qu’il était habituel qu’une personne joue deux fois le rôle du voyageur dans des simulations consécutives, parce que cette décision s’imposait sur le plan logistique pour une question de facilité et de simplicité. En effet, il fallait du temps de préparation pour s’assurer que le voyageur soit prêt pour la simulation, c’est‑à‑dire, pour voir si la tenue de protection lui convenait, lui fournir un casque, appliquer du ruban adhésif sur ses poignets, au besoin, et organiser le reste de l’équipement. Chaque fois que les évaluateurs retirent l’équipement de protection d’un voyageur, cet équipement doit être aseptisé avant que quelqu’un d’autre ne le porte, ce qui prend du temps. Qu’une personne joue le rôle de voyageur deux fois consécutives permet de gagner du temps, puisque les évaluateurs expliqueront moins longuement à un candidat un rôle qu’il a déjà joué.

[115] M. Borgia ne se souvenait pas que M. Itty ait porté à son attention des préoccupations sur sa capacité de participer aux simulations TMD comme ASF ou comme voyageur, ni qu’il l’ait fait auprès de quelqu’un d’autre. Il n’avait pas eu connaissance non plus qu’avant la simulation TMD, M. Itty se soit dit préoccupé d’avoir à jouer plus d’une fois le rôle du voyageur. Dans son témoignage, M. Itty n’a pas mentionné avoir préalablement demandé à être dispensé du rôle de voyageur.

[116] La position de M. Itty était qu’il avait été traité différemment de ses camarades de classe, qui avaient eu plus de temps pour récupérer avant les trois autres simulations D‑II. Car dans leur cas, ces simulations avaient été fixées dans la matinée, et la simulation TMD, dans l’après-midi, ou vice versa. M. Itty a fait valoir avoir conviction que les simulations TMD et les simulations comportementales D‑II n’auraient pas dû se tenir dans la même matinée, comme cela avait été le cas pour lui.

[117] La témoin de l’intimée, Nathalie Surprenant, l’une des deux cogestionnaires du FORPE à l’époque de la participation de M. Itty, a témoigné sur les simulations TMD, y compris sur le quand et le comment de l’attribution des heures de simulation aux recrues. Elle a aussi précisé pourquoi certaines recrues étaient appelées à jouer deux fois le rôle du voyageur, et d’autres, pas du tout. J’ai estimé que Mme Surprenant était une témoin honnête, franche et directe, et que son témoignage était crédible et fiable. C’est pourquoi j’ai accordé beaucoup de poids à sa déposition.

[118] Fernando Borgia était instructeur à temps partiel et donnait le cours TMD à Rigaud à l’époque où M. Itty s’y trouvait également. Il occupait alors depuis trois ans le poste d’ASF à l’aéroport international Pearson. M. Borgia avait été évaluateur pour des centaines de simulations TMD avant d’évaluer M. Itty jouant le rôle d’un ASF. Lui et Ryan Slee avaient évalué M. Itty à ce titre dans le cadre de la simulation TMD.

[119] M. Borgia a témoigné sur le recours à la force dans le cadre des fonctions d’ASF, l’enseignement du cours TMD, les mesures de sécurité appliquées en classe et dans la simulation TMD et le degré d’intensité physique auquel était soumis le voyageur dans cette simulation. J’ai estimé que M. Borgia était un témoin franc, honnête et direct, dont le témoignage était crédible et fiable. Sauf pour un point en ce qui concerne les techniques de maîtrise et de défense, j’ai accordé beaucoup de poids à ce témoignage.

[120] Le document intitulé [traduction] « Feuille des tests des tactiques de maîtrise et de défense » (la « feuille des tests TMD ») contient les évaluations, par M. Borgia et M. Slee, de M. Itty dans le rôle de l’ASF. Il n’est pas contesté que les deux ont déclaré qu’il avait réussi sa simulation TMD.

[121] D’après les témoignages à la fois de Mme Surprenant et de M. Borgia, il n’était pas inusité qu’un candidat joue plus d’une fois le rôle du voyageur dans les simulations TMD. C’était en effet possible si le nombre de recrues en classe était impair, si certaines recrues avaient déjà obtenu la certification TMD ou si des candidats avaient des affections ou des blessures physiques que le port de la tenue de protection risquait d’aggraver. Le cas échéant, l’ASFC ne leur faisait pas jouer le rôle du voyageur pour ne pas aggraver leur état. La mention [traduction] « CERTIFIÉ » apparaissant à côté du nom d’un candidat signifiait qu’il avait déjà suivi avec succès le test TMD, et n’était dès lors pas tenu de participer à la simulation. M. Borgia a précisé qu’à droite, la mention [traduction] « Recrues participantes » et les sous-titres [traduction] « ASF » et « En tenue » qui se trouvaient au-dessous, indiquaient qui était l’ASF et qui était le voyageur pour chaque paire de candidats.

[122] M. Itty a prétendu avoir eu moins d’une heure pour récupérer entre les simulations, et j’accepte que telle était sa sincère conviction. Ce n’est que lorsque la preuve documentaire contraire lui a été présentée qu’il a admis avoir peut‑être eu plus de temps.

[123] La position de M. Itty au sujet de la quantité de temps dont il avait disposé entre la fin de son rôle de voyageur dans les simulations TMD et le début des autres simulations D‑II reposait en partie sur sa ferme conviction, réitérée au moins deux fois dans son témoignage, selon laquelle les candidats devaient se présenter dans la zone des tests de simulation environ une demi-heure avant le début des exercices. Or à mon avis, la preuve documentaire n’appuie pas cette thèse..

[124] Le paragraphe 50 de l’exposé des précisions du plaignant indique notamment qu’après les exercices éprouvants de mise au sol qu’il avait exécutés lors des simulations TMD, M. Itty avait dû se présenter en moins d’une heure à la simulation suivante, et que [TRADUCTION] « toutes ces actions visaient à rendre M. Itty nerveux et inquiet, de telle sorte qu’on puisse le faire échouer aux simulations ».

[125] La preuve établit que la simulation qui avait suivi les simulations TMD de M. Itty était la simulation 6, évaluée par Gregory Zbitnoff (la seule simulation D-II qu’il ait réussie). M. Itty a reconnu que son heure d’arrivée dans la zone de la simulation 6 avait été consignée par M. Zbitnoff comme étant 11 h 55, mais il a affirmé que les candidats étaient tenus de se présenter dans l’aire d’attente au moins une demi-heure avant l’heure prévue pour le début de l’exercice, et qu’ils devaient attendre d’être appelés pour pouvoir commencer la simulation proprement dite.

[126] J’estime que M. Itty n’a pas délibérément menti — que ce soit au paragraphe 50 de son exposé des précisions ou dans ce qu’il a soutenu au cours de la majeure partie de son témoignage sur les simulations TMD — au sujet du temps qu’il avait eu pour se reposer et se préparer pour la première des trois simulations comportementales D-II qui suivraient. Il croyait véritablement à la chronologie des événements telle qu’il la présentait, mais, une fois confronté à d’autres éléments de preuve soumis à cet égard, il a finalement admis qu’il pouvait avoir tort. Il est toutefois resté campé dans sa position selon laquelle les candidats devaient se présenter une demi-heure avant le début de la première simulation comportementale qui faisait suite aux simulations TMD.

[127] Après avoir examiné la preuve documentaire, j’estime que le témoignage de M. Itty sur ce point n’était pas fiable et qu’en réalité, il avait disposé de bien plus de temps pour se préparer pour la simulation suivante.

[128] Je conclus également que la preuve n’a pas permis d’établir que l’ASFC a fait jouer deux fois le rôle du voyageur à M. Itty dans des simulations TMD consécutives, dans l’intention de le rendre nerveux et inquiet de manière à ce qu’il échoue à ses simulations D‑II.

[129] Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal rejette les allégations en question.

Allégation selon lesquelles le plaignant aurait été évalué plus strictement que ses camarades de classe pendant les simulations comportementales D‑II, et le FORPE aurait accusait des lacunes

[130] M. Itty allègue que l’intimée l’a soumis à une norme plus élevée que celle appliquée à ses camarades de classe blancs lorsqu’elle l’a noté dans les simulations D‑II, et qu’elle a agi de la sorte en raison de sa race, de sa couleur ou de son origine nationale ou ethnique. Le plaignant affirme ainsi que l’intimée l’a défavorisé pour ces motifs de distinction illicite, au sens de l’article 7 de la Loi. Il prétend également que, dans sa conception même, le programme FORPE se prêtait au risque que les types de partialité dont il aurait été victime se glissent dans le processus d’évaluation, en contravention de l’article 10 de la Loi.

[131] Au paragraphe 28 de son exposé des précisions, M. Itty a cité comme exemple d’imposition d’une norme plus élevée à son encontre le fait que le costagiaire blanc AA1 avait commis une [traduction] « importante erreur » dans la simulation 4, et en particulier, qu’AA1 “xxxxx xx xxxxx xxx xxxx xxxxxx xxxxxxx xxxxxxxx xxxxxxx xxxxxxxx xxxxxxxxx,. Pourtant, l’évaluateur Fowler lui avait attribué une note de réussite. Après avoir achevé son témoignage, M. Itty a retiré le paragraphe 28. Il a toutefois conservé, au paragraphe 27, l’allégation générale relative à une norme plus élevée.

[132] Par conséquent, je n’accorderai aucun poids, dans ma décision, au témoignage relatif à AA1, ni au « Rapport d’évaluation du stagiaire dans l’exercice de simulation – étape D-II » (le « rapport d’évaluation ») établi au sujet de ce dernier, comme exemple à l’appui de l’allégation d’imposition d’une norme plus rigoureuse.

[133] M. Itty croyait tout particulièrement que les commentaires qu’il recevait sur sa façon d’exprimer ou de formuler certaines choses avaient pour cause l’accent qui était le sien, et qu’il était le seul à avoir dans sa classe. J’ai accepté son témoignage lorsqu’il a dit avoir été le seul de sa classe qui avait un accent.

[134] M. Itty a également allégué que les remarques concernant son défaut d’établir un contact visuel découlaient de différences culturelles quant au caractère approprié de maintenir un contact visuel prolongé, et que ses évaluateurs avaient fait preuve de discrimination à son endroit en ne tenant pas compte de telles différences. La témoin experte de M. Itty, Mme Linsey Willis, était elle aussi d’avis que ses évaluateurs n’en avaient pas tenu compte.

[135] Après sa simulation TMD, M. Itty avait fait une pause, puis s’était rendu à la première de ses simulations comportementales D‑II, c’est-à-dire la simulation 6 notée par Gregory Zbitnoff. Après quoi, il était passé à la simulation 5, notée par Kevin Phillips, et finalement à la simulation 4, notée par Shellie Fowler. Il avait été évalué comme ayant réussi la simulation 6, mais ayant échoué aux simulations 5 et 4. C’est à cause de ces deux dernières notes d’échec qu’il a échoué au programme FORPE.

[136] Les trois simulations comportementales D‑II étaient des jeux de rôles suivant des scénarios qui se déroulaient dans les zones d’examen secondaire de divers points d’entrée. L’ASFC avait retenu les services d’une compagnie de théâtre locale dont les comédiens joueraient le rôle de voyageur dans chaque simulation. Les scénarios tournaient autour de voyageurs qui étaient contrariés, irrités ou préoccupés d’être renvoyés à la ligne d’examen secondaire. Les recrues, elles, jouaient le rôle de l’ASF. D’autres parties de chaque simulation portaient aussi sur l’admissibilité au Canada du voyageur ou de ses marchandises. Le témoin de l’intimée, M. François Ducharme, a déclaré que les simulations étaient conçues pour amener les recrues à manifester des comportements et une connaissance qui démontraient leur maîtrise des dix compétences à l’égard desquelles ils étaient évalués.

[137] Dans le FORPE, les compétences sont définies comme toute aptitude, connaissance, capacité ou caractéristique personnelle pertinente par rapport à l’exercice des fonctions ou aux responsabilités professionnelles. L’ASFC a tiré les compétences en question du Répertoire des compétences de l’ancienne Agence des douanes et du revenu du Canada (l’« ADRC ») utilisé par l’ASFC (le « Répertoire des compétences »). Voici les compétences qui ont été évaluées dans les simulations D‑II :

(i) Compétences organisationnelles et comportementales : souci du service à la clientèle (SSC), adhésion aux valeurs de l’ASFC, raisonnement analytique (RA), contrôle des situations difficiles (CSD), prise de décisions (PD), communication interactive efficace (CIE) et confiance en soi (CS);

(ii) compétences techniques : techniques d’inspection, techniques de recherche d’information (TRI) et connaissance de la législation, des politiques et des procédures (LPP).

[138] Les compétences ainsi que les modes d’évaluation de celles-ci se situent au cœur de la plainte de M. Itty, qui a allégué que les compétences elles‑mêmes se prêtaient à une partialité de l’évaluateur parce qu’elles étaient subjectives (tout particulièrement les trois compétences qu’il n’avait pas démontré posséder). En outre, il a affirmé qu’elles avaient été appliquées à son égard en toute partialité, d’où son échec au programme. L’ASFC, quant à elle, a soutenu que les compétences en soi n’étaient pas subjectives, et qu’elles avaient été valablement choisies à l’aide d’analyses reconnues. Elle a en outre fait valoir que les ASF devaient démontrer posséder les compétences voulues, car la santé et la sécurité des Canadiens seraient compromises si l’on permettait à des recrues de devenir ASF sans être parvenues à prouver qu’elles détiennent les connaissances et les aptitudes nécessaires à l’exercice des fonctions du poste.

[139] Une quantité considérable d’éléments de preuve ont été déposés au sujet des méthodes d’évaluation de l’ASFC et des compétences. Chacune des parties a produit un rapport d’expert et le témoignage de chaque auteur. Un psychologue ayant participé à l’élaboration du programme de formation des évaluateurs ainsi que des simulations, et dont l’entreprise a participé à la sélection des compétences, a également témoigné.

a) Témoignage de M. François Ducharme sur l’historique du programme FORPE

[140] Le témoin de l’intimée, M. François André Ducharme, travaille depuis 1998 pour un important cabinet de services-conseils en ressources humaines, le Korn Ferry Hay Group (le « Groupe Hay »). Il est titulaire d’un doctorat et d’une maîtrise en psychologie industrielle et organisationnelle. Il a décrit ce domaine de la psychologie comme consistant à appliquer au milieu de travail les principes de la psychologie, de la modification et de l’évaluation du comportement, souvent dans le seul objectif d’améliorer l’efficacité et la capacité humaines à des fins d’efficacité organisationnelle. De 1993 à 1997, M. Ducharme a travaillé au Centre de psychologie du personnel de la Commission de la fonction publique du Canada, où il a dirigé ce que l’on appelle les « centres d’évaluation », dont des « examens de simulation », et donné de la formation sur les simulations d’évaluation tout en élaborant des outils et des tests d’évaluation. M. Ducharme n’a pas été présenté par l’intimée à titre de témoin expert.

[141] Le Groupe Hay avait conclu deux contrats avec ce qui portait alors le nom d’Agence des douanes et du revenu du Canada. Dans le cadre du premier contrat, le cabinet s’occupait de concevoir pour l’ADRC un système de gestion axé sur les compétences qui consistait notamment à définir les compétences requises des ASF. Dans le cadre du second contrat, attribué ultérieurement, le Groupe Hay avait pris part à la conception d’outils pour évaluer les ASF pendant leur période de formation à Rigaud et de méthodes de formation des évaluateurs.

[142] M. Ducharme n’a pas personnellement pris part à la définition des compétences des ASF, mais un collègue du Groupe Hay l’a fait. M. Ducharme a déclaré que, dans ce projet, on avait suivi le même processus que pour tout autre projet semblable. Cet aspect de son témoignage comportait donc une certaine part de ouï-dire. Cela dit, la Loi permet au Tribunal de recevoir des éléments de preuve par ouï-dire. M. Ducharme a élaboré des profils de compétence pour d’autres postes à l’ADRC. Néanmoins, il a lui-même contribué au développement des outils d’évaluation, en particulier les simulations, et à l’élaboration de la formation des évaluateurs.

[143] M. Ducharme a témoigné que des membres du Groupe Hay avaient consulté la direction de l’ASFC ainsi que des groupes de discussion formés d’employés, dont des groupes visés par l’équité en matière d’emploi, en vue de définir les aptitudes, les capacités et les caractéristiques personnelles nécessaires à l’exercice de divers emplois à l’ADRC. À partir des commentaires reçus, le Groupe Hay avait dressé des répertoires de compétences qui définissaient chaque compétence, expliquaient les différents moyens d’en faire la démonstration et établissaient des niveaux cibles de compétences, aussi appelés [traduction] « niveaux seuils ». Dans le cadre du processus, il avait rencontré des groupes de gestionnaires de l’ASFC et des titulaires de postes ASF pour déterminer les compétences que devaient posséder ceux-ci, d’après des expériences et des incidents vécus dans le monde réel.

[144] Une fois que le Groupe Hay a eu arrêté les compétences proposées pour les ASF, il a mené de nouvelles consultations auprès de divers groupes de discussion formés d’ASF de partout au Canada afin de les préciser. Le processus a bénéficié de la contribution de divers groupes visés par l’équité en matière d’emploi, dont des employés issus de minorités visibles, le but étant de s’assurer que les compétences retenues ne défavorisent pas par inadvertance les membres de ces groupes ni n’aient un effet préjudiciable pour eux. Cette démarche a débouché sur la création du profil de compétences de l’ASF et l’établissement des niveaux‑seuils de compétences à atteindre, compétences à l’égard desquelles les recrues ASF étaient évaluées dans le cadre du programme FORPE, à Rigaud.

[145] M. Ducharme a témoigné que, comme point de départ pour concevoir les simulations, il s’était servi d’une version du document intitulé « Guidelines and Ethical Considerations for Assessment Center Operations » [traduction : lignes directrices et considérations éthiques pour les opérations du centre d’évaluation] du groupe de travail international sur les lignes directrices pour le centre d’évaluation (les « Lignes directrices »). Ce document, qui figure parmi les pièces déposées, avait été adopté le 4 mai 2000 au 28e congrès international sur les méthodes des centres d’évaluation. M. Ducharme a témoigné que les psychologues qui avaient créé les Lignes directrices étaient tous des psychométriciens spécialistes des centres d’évaluation. Le témoin expert de l’intimée, M. Durand, a déclaré que les Lignes directrices font autorité parce qu’elles se veulent consensuelles, se conçoivent en comité, prévoient un grand nombre de consultations psychologiques à l’échelle internationale, sont diffusées aux fins de rétroaction et sont finalement adoptées à l’occasion de grandes conférences internationales où tous les principaux pays sont représentés. Dans son témoignage et dans son rapport d’expert, M. Durand s’est appuyé sur la version 2015 des Lignes directrices, qui se trouve à l’annexe B de son rapport.

[146] Les Lignes directrices énonçaient 10 éléments essentiels d’un centre d’évaluation. Selon le témoignage de M. Ducharme, le Groupe Hay et l’ASFC ont appliqué le plus possible ces éléments dans la conception du FORPE. M. Ducharme a expliqué que les centres d’évaluation ne sont pas toujours des centres au sens physique du terme, mais que cette appellation renvoie plutôt à une méthodologie bien établie, reconnue et normalisée pour l’évaluation des diverses exigences en matière d’emploi. Il a mentionné, par exemple, que pour mettre au point les simulations, le Groupe Hay avait analysé le poste d’ASF à l’aide de la technique des incidents critiques de Flanagan. Suivant cette démarche, des ASF actifs ont été priés de relever des incidents consignés aux dossiers, c’est‑à‑dire des faits récents qui étaient réellement survenus à la frontière, et qui permettraient de faire la démonstration des compétences.

[147] M. Ducharme a en outre témoigné qu’après examen de la liste des compétences du poste d’ASF par le groupe d’examen de l’équité en matière d’emploi de l’ADRC, celui-ci avait demandé au Groupe Hay s’il était possible que les compétences soient jugées discriminatoires à l’égard de quelque « groupe cible ». M. Ducharme avait ainsi été chargé de réaliser une étude de validation à laquelle participaient 300 volontaires sélectionnés à l’ADRC, dont certains étaient des ASF. Environ la moitié des participants étaient des femmes, a‑t‑il indiqué, et de 10 à 15 % étaient issus des minorités visibles. C’était là la plus vaste étude de validation dont M. Ducharme ait eu connaissance au gouvernement fédéral. M. Ducharme a déclaré qu’en ce qui avait trait aux mêmes compétences, on n’avait guère observé de différences entre les notes attribuées aux membres des différents groupes cibles. Le plaignant a fait remarquer que l’étude ne tenait pas compte des simulations, et j’en conviens.

[148] M. Ducharme a également témoigné sur l’importance de la sélection et de la formation des évaluateurs. Il a signalé que les Lignes directrices de 2000 exigeaient de multiples techniques d’évaluation, et qu’à cet effet, le Groupe Hay avait retenu la formule des évaluations multiples, à savoir trois simulations effectuées avec trois évaluateurs différents. M. Ducharme a dit qu’on avait opté pour trois évaluateurs par recrue, de sorte que l’évaluation bénéficie de points de vue multiples. À trois évaluateurs, a‑t‑il précisé, l’éventuelle partialité d’un évaluateur serait neutralisée par les deux autres. Chaque évaluateur pourrait s’opposer à l’avis d’un autre qui manifesterait une certaine partialité, consciemment ou non. M. Ducharme a ajouté que l’on avait souhaité avoir des évaluateurs provenant de tous les « groupes cibles », afin que la race, l’origine ethnique, le genre et autres caractéristiques soient représentés dans le bassin d’évaluateurs, mais que la chose n’avait pas toujours été possible.

[149] Selon le témoignage de M. Ducharme, le risque de partialité dans le processus est réduit au minimum grâce à la formation donnée aux évaluateurs, à la présence de trois évaluateurs et au fait qu’il y a une étape d’intégration suivie de deux niveaux de surveillance, d’abord par un administrateur, et ensuite par un gestionnaire. Pour qu’il y ait échec déclaré d’une recrue, cinq personnes doivent s’entendre là-dessus, à savoir trois évaluateurs, un gestionnaire et le directeur. Je remarque que, dans le programme FORPE suivi par M. Itty, les quatrième et cinquième personnes devant ainsi tomber d’accord étaient respectivement appelées [traduction] « administrateur » et [traduction] « gestionnaire », mais que le principe est le même, à savoir qu’une décision d’échec prise par les évaluateurs doit être approuvée à deux niveaux supérieurs.

[150] Les Lignes directrices soulignaient que la formation des évaluateurs était essentielle, et recommandait deux jours de formation, sans en faire une exigence stricte. M. Ducharme a déclaré avoir été d’avis que, pour les évaluateurs du FORPE, il fallait une formation [traduction] « exceptionnnelle » sur le plan de la durée et des efforts consentis. La plupart des autres organismes qu’il avait observés offraient une formation d’une demi-journée, mais l’ASFC avait opté pour une durée de quatre ou cinq jours. Il n’avait jamais vu quelque chose de semblable ailleurs, au cours de ses 25 ans d’expérience dans le domaine.

[151] M. Ducharme a témoigné au sujet du [traduction] « guide de formation des évaluateurs » que le Groupe Hay avait contribué à élaborer. Lui‑même avait été le formateur assigné à la première journée de cours. Il avait enseigné la prise de notes et parlé aux évaluateurs stagiaires des diverses embûches rencontrées dans le travail d’évaluation, par exemple celles susceptibles de mener à une évaluation partiale, tels l’[traduction] « effet de halo », la [traduction] « projection », le [traduction] « syndrome de l’identification », les [traduction] « stéréotypes » et autres pièges (mentionnés dans le diaporama du Groupe Hay figurant dans le guide de formation des évaluateurs), en leur indiquant comment les éviter. Dans son témoignage, M. Ducharme a expliqué chacune des embûches en question. Il a dit avoir clairement insisté auprès des évaluateurs stagiaires sur l’importance de les éviter. M. Ducharme, Mme Surprenant et les évaluateurs Fowler et Phillips ont témoigné que, pendant le reste du cours, les évaluateurs stagiaires avaient fait des exercices de simulation où ils s’entraînaient à évaluer des acteurs jouant les rôles d’ASF et de voyageurs à l’aide des feuilles de cotation, pour ensuite recevoir de la rétroaction sur leur travail. Ils s’étaient aussi exercés à prendre des notes, dont on faisait ensuite la critique. Les costagiaires discutaient également entre eux des enjeux. M. Ducharme a indiqué qu’il n’y avait pas d’examen à passer au terme du cours des évaluateurs. Mme Willis, la témoin du plaignant, a dénoncé cette absence d’évaluation formelle.

[152] L’évaluateur Kevin Phillips a témoigné que l’ASFC encourageait les personnes ayant terminé le cours de formation des évaluateurs à effectuer une évaluation réelle le plus tôt possible par la suite, afin de garder frais à l’esprit les principes enseignés. Toutefois, aucun processus intégré de surveillance du rendement des évaluateurs n’était en place, sauf dans les cas où un évaluateur attribuait une note d’échec à une recrue et où l’administrateur et le gestionnaire, aux niveaux supérieurs, contrôlaient sa notation.

[153] Après le témoignage de M. Ducharme, j’ai gardé l’impression que le Groupe Hay avait tenté de faire un travail très rigoureux, aussi bien dans la sélection des compétences que dans la mise au point des simulations. Il m’apparaissait clairement que les compétences étaient étroitement liées aux exigences réelles du travail de l’ASF. Les simulations étaient basées sur des événements de la vie réelle que rencontrerait fort probablement un ASF dans l’exercice quotidien de ses fonctions. J’ai constaté qu’on s’était aussi efforcé de réduire le plus possible le risque de partialité dans la démarche d’évaluation. En effet, le Groupe Hay et l’ADRC étaient conscients de l’objectif qui consistait à assurer une diversité chez les évaluateurs, du point de vue de leur genre, de leur couleur et de leur origine ethnique. Il voulaient aussi s’assurer que les compétences soient pleinement comprises par les divers groupes sous-représentés. Je reconnais que le témoignage de M. Ducharme faisait surtout état de [traduction] « situations idéales ». Dans les faits, la perfection n’est pas toujours possible, et je ne voudrais pas donner l’impression qu’à mes yeux, le programme mis en place par l’ASFC est parfait. Je conclus cependant que, tout au long du processus de conceptualisation et de sélection des compétences, ainsi que de mise au point des simulations, le Groupe Hay et l’ADRC sont restés soucieux de réduire au minimum le risque de partialité et, par conséquent, de discrimination.

[154] Il convient de noter que, comme l’a indiqué Mme Surprenant dans son témoignage, l’ADRC, en 2003, a scindé en deux ses fonctions d’imposition et de contrôle douanier et frontalier : une partie est devenue l’ARC, qui se consacre aux questions de taxes et d’impôt, et l’autre, l’ASFC, qui est vouée aux questions frontalières et douanières, et qui compte parmi ses employés les ASF, parfois appelés « inspecteurs des douanes » autrefois, du temps de l’ADRC.

[155] J’ai estimé que M. Ducharme était un témoin honnête et direct. Son témoignage était crédible et fiable. Je suis consciente qu’il avait un certain intérêt à ce que les compétences et les simulations soient décrites comme étant bien conçues, et à présenter le Groupe Hay sous un éclairage favorable. Or, s’il m’a paru fier, d’un point de vue professionnel, du travail accompli par le Groupe Hay et lui-même, je ne l’ai pas vu manifester de parti pris, et il n’a jamais non plus franchi le pas vers une défense de ses propres intérêts. Il a clairement indiqué les moments où il ne rapportait pas une expérience personnellement vécue. Il ne s’est montré ni pugnace, ni évasif, ni sur la défensive. Son témoignage était cohérent.

Sélection des évaluateurs

[156] Nathalie Surprenant a témoigné sur la façon dont l’ASFC sélectionne les évaluateurs du programme FORPE. Les évaluateurs sont soit des surintendants, soit des chefs ou des personnes ayant une expérience comme ASF à la frontière, soit des personnes ayant agi comme instructeurs du FORPE pendant au moins trois ans. Tous doivent avoir suivi le cours de formation des évaluateurs de ce programme.

[157] Mme Surprenant a expliqué que, pour recruter des évaluateurs, l’ASFC envoie ce que l’on appelle une [traduction] « lettre d’appel » aux directeurs généraux régionaux, qui la relayent à la communauté des ASF et aux intervenants ci-dessus. Le directeur général de chaque région sélectionne et appuie des personnes parmi les postulants.

[158] L’experte du plaignant, Mme Willis, s’est dite d’avis que le fait que les directeurs généraux régionaux choisissent et parrainent les candidats au poste d’évaluateur signifie qu’il existe un risque de partialité par identification, c’est-à-dire un risque que les directeurs choisissent et appuient des gens qui leur ressemblent, et qu’il soit ainsi fait obstacle à une diversification des évaluateurs. Elle a aussi critiqué ce qu’elle jugeait être un manque de diversité chez les groupes d’évaluateurs existants pour ce qui est de la race, de la couleur et de l’origine ethnique, et indiqué qu’elle y voyait un autre risque de partialité.

[159] Je constate qu’aucun élément de preuve n’a été produit au sujet de la race, de la couleur ou de l’origine ethnique ou nationale des directeurs généraux régionaux. Par conséquent, je conclus que la preuve n’appuie pas l’opinion exprimée par Mme Willis quant au fait qu’il existe un risque de partialité par identification.

[160] Mme Willis a reconnu dans son témoignage que le simple fait, pour un évaluateur, de ne pas être de la couleur, de la race ou de l’origine ethnique ou nationale de la personne qu’il évalue ne signifie pas en soi que cette évaluation sera partiale.

[161] Interrogé sur le fait que les évaluateurs D‑II de M. Itty étaient tous blancs, et à savoir si les Lignes directrices étaient respectées à cet égard, le témoin expert de l’intimée, M. Durand, a répondu que les Lignes directrices exigeaient d’un centre d’évaluation qu’il s’efforce de diversifier ses évaluateurs, sans qu’il soit toujours possible d’y parvenir. Je conclus à l’absence d’élément de preuve qui permettrait au Tribunal de se prononcer à savoir si l’ASFC s’est efforcée ou non de diversifier son équipe d’évaluateurs.

[162] L’évaluateur Kevin Phillips a témoigné que, tout comme comme l’évaluatrice Fowler, il connaissait d’autres évaluateurs issus de minorités visibles. M. Durand a dit du matériel de formation des évaluateurs de l’ASFC qu’il traitait de la question de la partialité, et des stéréotypes fondés notamment sur la race.

[163] Je conclus que la preuve n’établit pas que l’ASFC ne s’est pas efforcée de sélectionner des évaluateurs de diverses races, couleurs ou origines nationales ou ethniques, et qu’elle ne démontre pas non plus que le fait que tous les évaluateurs D‑II de M. Itty aient été blancs a joué dans l’attribution à l’intéressé d’une note globale d’échec au programme FORPE.

b) Données relatives aux ASF issus des minorités visibles

[164] L’intimée a aussi demandé à Richard Giles de témoigner à l’audience. Celui‑ci travaille pour l’ASFC depuis 2004 et, au moment de l’audience, il occupait le poste de gestionnaire, Démographie et analyse de l'effectif . Il a témoigné sur l’ASFC en général et sur les ASF en particulier, en appui aux prétentions de l’intimée selon lesquelles ses effectifs sont diversifiés et représentatifs.

[165] À l’époque où M. Itty participait au FORPE (de novembre 2008 au 4 février 2009), l’ASFC dépassait constamment ses objectifs d’équité en matière d’emploi pour ce qui est de la représentation des minorités visibles. M. Giles a expliqué qu’en tant qu’employeur, l’ASFC encourageait régulièrement les employés à s’identifier comme membres d’un groupe désigné (minorités visibles, femmes, personnes handicapées et Autochtones). Il y avait ensuite comparaison entre le nombre de ces employés et les données sur la disponibilité prévue au sein de la population active pour chaque groupe désigné, données fournies à l’ASFC par le Conseil du Trésor.

[166] La Loi sur l’équité en matière d’emploi définit, à l’article 3, le terme « minorités visibles » en énonçant qu’elles sont constituées des « personnes, autres que les autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche ». Nul ne conteste que le plaignant est membre d’une minorité visible, selon la définition de cette même loi.

[167] M. Giles a fourni au Tribunal des données sur les minorités visibles à l’échelle nationale et dans la région du Grand Toronto, là où M. Itty aurait travaillé. Il a présenté des tableaux montrant le nombre de membres des minorités visibles dans le groupe professionnel des ASF (en signalant que ceux‑ci appartiennent à la catégorie « opérationnelle » de l’effectif de l’ASFC et que, généralement, les ASF représentent plus de la moitié de ce groupe, et, de ce nombre, plus de la moitié s’identifient en tant que membres de minorités visibles). Les tableaux indiquaient que, de 2009 à 2012, les personnes membres de minorités visibles au sein du groupe professionnel des ASF avaient dépassé par centaines de personnes les cibles de disponibilité au sein de la population active, et que le pourcentage avait constamment augmenté pendant cette période. M. Giles a aussi fourni des données sur ce qu’on appelle les « sous-groupes » de la catégorie des minorités visibles. Plus précisément, il a produit des données sur les ASF de la région du Grand Toronto qui s’identifient en tant que Sud‑Asiatiques ou Est‑Asiatiques (le groupe dont M. Itty aurait fait partie s’il avait été embauché). M. Giles a fait remarquer que, lorsque des ASF s’auto-déclarent membres de minorités visibles, ils ont la possibilité d’indiquer en plus s’ils appartiennent à un sous-groupe particulier. Les données montrent que les personnes Sud‑Asiatiques et Est‑Asiatiques forment le sous-groupe de minorités visibles le plus représenté chez l’ensemble des ASF de cette région.

[168] M. Giles a expliqué que les données sur la disponibilité au sein de la population active qui émanent du Conseil du Trésor se fondent sur les données les plus précises que le gouvernement canadien soit en mesure de recueillir, mais que, bien sûr, elles ne sont peut-être pas à 100 % exactes, comme il l’a admis en contre-interrogatoire. De même, le nombre d’employés peut être limité par le fait que certains puissent choisir de ne pas déclarer leur statut. M. Giles s’est montré franc en reconnaissant ne pas être au fait des données sur l’équité en matière d’emploi pour les candidats au FORPE, et ne pas y avoir accès. Il a toutefois indiqué que les renseignements en question étaient seulement recueillis une fois qu’une recrue réussissait le programme et était effectivement embauchée comme ASF. Même en tenant compte de ce fait, et après avoir entendu le témoignage de M. Giles en interrogatoire et en contre-interrogatoire, je suis convaincue que les précédents chiffres donnent une bonne idée des effectifs ASF. Je relève également que tous les ASF doivent réussir la formation ASF.

c) Cécité à la couleur

[169] Au sujet du terme « minorités visibles » une partie des témoignages, en particulier, a suscité la controverse. Au moment où l’avocat du plaignant contre-interrogeait les évaluateurs, une des premières questions posées à chacun d’eux était de savoir de quelle origine ethnique ou race il avait supposé que M. Itty était lorsqu’il l’avait vu la première fois. Mme Fowler a répondu que la pensée ne lui avait pas effleuré l’esprit. À la question de savoir si elle avait remarqué l’accent de M. Itty, elle a d’abord répondu ne pas l’avoir remarqué. Lorsque la question a été reposée, elle a déclaré qu’elle ne se rappelait pas. À la même question posée à M. Phillips, celui‑ci a dit qu’il ne tenait pas compte de l’origine ethnique et qu’il ne s’était pas aventuré à supposer quoi que ce soit à ce sujet. Il a affirmé qu’il ne savait pas. De même, dans un exercice de simulation effectué par M. Itty, évalué par M. Landry et portant sur la communication interactive efficace et l’aptitude à employer les bons mots et expressions, M. Landry a cité M. Itty comme ayant dit : [traduction] « êtes-vous en train d’avoir des produits d’alcool ou de tabac? ». M. Landry a déclaré que la question aurait dû être [traduction] « Transportez-vous de l’alcool ou des produits du tabac? ». Il a ajouté qu’on enseignait aux recrues à poser mot pour mot une série de questions, et que la question, telle que formulée par M. Itty, pouvait mener par erreur à un renvoi à la ligne secondaire. M. Landry a dit ne pas se rappeler si M. Itty avait un fort accent ni s’il employait des tours syntaxiques différents dans la formulation de ses phrases. Prié de dire s’il avait une opinion ou une supposition au sujet de l’origine nationale ou ethnique de M. Itty, il a reconnu que celui‑ci était une personne de couleur, mais en précisant : [traduction] « ce n’est pas une prédisposition dont je tiens compte ». Appelé aussi à indiquer s’il y avait d’autres gens de couleur dans la classe, il a dit ne rien [traduction] « supposer quant à la couleur de peau d’une personne ». Il a mentionné ne pas se rappeler s’il y avait dans la classe d’autres élèves parlant avec un accent. En contre-interrogatoire, Mme Fowler a été priée de dire si, à propos des pièges à éviter, le Groupe Hay enseignait aux évaluateurs à garder une différence d’origine raciale ou ethnique à l’esprit, mais sans la laisser teinter de préjugés leur façon d’évaluer une recrue. L’avocat du plaignant a parlé de ces différences comme étant les caractéristiques immuables d’une personne, par exemple sa race ou son origine nationale ou ethnique. Mme Fowler a répliqué qu’elle désirait voir où, dans le matériel de formation, on s’exprimait ainsi. Elle a affirmé ne pas interpréter le terme [traduction] « caractéristiques » de manière aussi étroite, mais plutôt comme étant [traduction] « tout à fait ouvert, et désignant n’importe quelle caractéristique » qui différait de celles de l’évaluateur. Interrogée de nouveau quant à savoir si le matériel de formation avait jamais prévu un quelconque contenu sur de tels facteurs susceptibles d’entraîner une certaine partialité dans la façon d’évaluer ou de voir une personne, Mme Fowler a répondu qu’on n’y trouvait rien de tel, mais qu’elle avait reçu une formation sur la diversité à l’ASFC.

[170] Le plaignant a invoqué tous les échanges qui précèdent en tant que preuve de la vulnérabilité du FORPE à la partialité, la démonstration étant faite que plusieurs employés souscrivaient au soi-disant [traduction] « mythe de la cécité à la couleur », que le plaignant a décrit comme une [traduction] « fausse mythologie », et comme l’illustration d’un état d’esprit formellement égalitaire qui est [traduction] « trop omniprésent dans la société canadienne ».

[171] Sur ce point, le plaignant a présenté un certain nombre d’ouvrages académiques sur le thème du racisme, et notamment de la cécité à la couleur de la peau. L’intimée a dit que le Tribunal ne devrait pas tenir compte des articles en question, pour deux raisons : les auteurs n’ont pas été appelés ni admis à présenter un témoignage d’expert et, en second lieu, la Cour suprême a reconnu que le Tribunal a une compétence inhérente en matière de recherche des faits dans le contexte des droits de la personne, ce qui rend inutile le recours à de tels articles externes.

[172] Le plaignant affirme que les articles sont admissibles. Ils n’ont pas été présentés en tant que témoignage d’expert, fait‑il valoir, et les Règles de procédure du Tribunal accordent une certaine latitude en matière d’utilisation d’articles savants tirés de la doctrine et de la littérature universitaire.

[173] Je me range à l’avis du plaignant, et j’ai admis les articles concernés. En même temps, l’intimée a raison de dire que le Tribunal a compétence dans ce domaine, en ce sens qu’il est fort conscient que le racisme et les autres formes de discrimination sévissent dans la société canadienne. J’ai donc accordé très peu de poids à ces articles.

[174] Notre société a évolué au point que maints Canadiens savent qu’il est socialement inacceptable d’y aller ouvertement de remarques critiques sur d’autres personnes en fonction de stéréotypes raciaux ou ethniques, ou encore de préjugés fondés sur l’origine nationale. Je suis convaincue que les évaluateurs n’ont pas passé du temps à réfléchir à l’origine nationale ou ethnique de M. Itty, malgré son accent. Je n’accepte pas, toutefois, l’idée que sa race ou sa couleur n’aient pas laissé une impression quelconque sur eux. Son accent, et la couleur de sa peau, sont simplement des faits. Je citerai ici un extrait de l’un des articles présentés, car il me paraît pertinent :

[traduction]

« [E]ffacer mon identité raciale ne me fait pas sentir émancipé et produit en réalité le contraire. Je puis comprendre le sens de cette idée née des meilleures intentions […], mais en fait, c’est faire injure à l’intelligence humaine que de proclamer que "nous ne devrions pas voir la couleur" ». (extrait de « We cannot be Color-Blind: Race, Antiracism, and the Subversion of Dominant Thinking », E. Wayne Ross, dir., Race, Ethnicity, and Education: Racism and Antiracism in Education, vol. 4 (Westport: Praeger, 2006) à la p. 26.

[175] J’ai beau ne pas accepter que la race ou la couleur de M. Itty, ou encore son origine nationale ou ethnique signalée par son accent, n’ait produit aucune impression sur les évaluateurs, ma conclusion à cet égard ne revient pas à conclure que ceux‑ci ont été partiaux à l’endroit de M. Itty dans leurs évaluations.

Évaluations D‑II de M. Itty

[176] Je passerai maintenant au processus d’évaluation ainsi qu’il s’est déroulé pour M. Itty. Un évaluateur a été affecté à chaque simulation à noter. Il faut savoir que chaque évaluateur a évalué la même simulation pour tous les membres de la classe de M. Itty. Vingt minutes ont été allouées à chaque simulation (ce qui exclut la période postérieure à la simulation où une recrue répond à deux questions de l’évaluateur). L’évaluateur se présente à la recrue dès qu’elle entre dans la pièce. C’est la seule interaction qu’ils ont tant que dure la simulation. La recrue lit d’abord la carte de renseignements généraux laissée sur le bureau afin de prendre connaissance du contexte de la simulation, par exemple de l’emplacement du point d’entrée dans le scénario. Elle appelle ensuite l’acteur jouant le rôle du voyageur. Celui‑ci aura déjà reçu un scénario lui indiquant comment se comporter et précisant ce qu’il devrait et ne devrait pas dire ou faire en cours de simulation. L’acteur se sera aussi vu remettre des copies des documents relatifs à la simulation donnée, par exemple xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx.

[177] Le témoin de l’intimée, M. Ducharme, a témoigné sur le rôle de l’évaluateur pendant la simulation et a décrit ce que celui‑ci avait à faire durant l’exercice. L’évaluateur recevait un livret distinct à utiliser pour évaluer chaque recrue jouant le rôle de l’ASF dans la simulation. Il devait prendre des notes manuscrites appelées Observations, aux pages 2, 3, 4 et 5 du livret, et consigner seulement ce que les recrues faisaient et disaient au cours du déroulement de la simulation. Les évaluateurs devaient prendre ces notes pendant que la recrue s’exécutait — en d’autres termes, ils le faisaient en temps réel. Les notes devaient seulement comprendre les observations faites en cours de simulation relativement aux interactions du voyageur et de la recrue. Elles ne devaient pas comprendre les conclusions de l’évaluateur, ni quelque hypothèse que ce soit. La consignation mot pour mot de ce que disait la recrue était jugée idéale.

[178] La page 8 du livret servait à la consignation des réponses de la recrue aux questions qui, imprimées à cet endroit, lui étaient posées par l’évaluateur à l’issue de la simulation. La recrue devait dire : 1) pourquoi elle avait pris les décisions qu’elle avait prises pendant la simulation, et 2) quelles en étaient les justifications. L’évaluateur écrivait alors les réponses sur cette même page. Une fois que la recrue avait répondu, les deux quittaient la pièce.

[179] Les pages 6 et 7 du livret constituaient le guide, ou la feuile de cotation. Une fois que la recrue avait quitté la pièce, l’évaluateur se retirait en privé, consultait les notes d’observation à la page 8 ou encore le Répertoire des compétences, et décidait si la recrue possédait ou non les compétences, en ayant soin de consigner sa décision par écrit.

[180] Une fois que les recrues avaient effectué toutes les simulations D‑II et que leurs évaluateurs avaient rempli les formulaires d’évaluation, en y inscrivant leurs observations sur les réponses aux questions de la page 8, de même que la feuille de cotation individuelle, ces mêmes évaluateurs se réunissaient pour ce qui était appelé une « réunion d’intégration » afin de mettre en commun les résultats et les notes attribuées à chaque recrue, d’en discuter et dire pourquoi ils avaient évalué les recrues comme ils l’avaient fait. M. Ducharme a expliqué qu’avec les séances d’intégration, l’idée était que les trois évaluateurs d’une recrue échangent sur leurs décisions respectives, les justifient et, idéalement, s’accordent pour dire si la recrue avait réussi ou échoué aux simulations comportementales D‑II.

[181] M. Ducharme a mentionné que l’évaluateur pouvait faire des recoupements entre sa décision de réussite ou d’échec inscrite sur la feuille de cotation et les notes d’observation qu’il avait inscrites dans le livret. Les évaluateurs utilisaient parfois des abréviations dans leurs notes, mais, dès qu’ils passaient celles‑ci en revue, ils comprenaient ce que ces abréviations signifiaient et pouvaient expliquer leurs notes aux autres évaluateurs, dont celui d’entre eux qui, en tant qu’évaluateur principal, tapait au clavier les résumés des formulaires d’évaluation, ce qui faisait que cette consignation abrégée demeurait acceptable.

[182] Pour réussir aux tests de simulation, les recrues devaient démontrer [traduction] « en tout temps » qu’elles possédaient chaque compétence évaluée. Par « en tout temps », on entendait qu’ils devaient satisfaire à chacune des compétences dans au moins deux des trois simulations, sauf pour la compétence des techniques d’inspection, elle‑même définie comme étant une des deux simulations à réussir obligatoirement. On avisait les candidats qu’ils ne pourraient poursuivre le programme s’ils ne remplissaient pas ces conditions dans les exercices de simulation. Les recrues devaient également réussir la simulation TMD à l’étape D‑II. Les évaluateurs TMD n’étaient pas présents à la séance d’intégration.

[183] M. Ducharme a mentionné que les évaluateurs accordaient à une recrue le bénéfice du doute si l’un d’eux n’était pas sûr de la note à attribuer. En cas d’hésitation entre la réussite et l’échec, la recrue jouissait de ce bénéfice du doute et, de la sorte, l’ASFC ne perdait pas ce qui pouvait se révéler être une bonne recrue. De plus, si les évaluateurs ne pouvaient s’entendre sur la note à attribuer à une recrue, la note décernée serait celle de deux évaluateurs sur trois.

[184] Une fois que les évaluateurs s’entendaient unanimement ou à la majorité sur la réussite ou l’échec d’une recrue aux simulations comportementales D‑II, l’évaluateur principal — en l’occurrence M. Phillips, pour M. Itty — tape au clavier le résumé du rapport d’évaluation de l’étape D-II pour chaque recrue, qui le recevra lors du compte rendu final et l’emportera avec lui ou elle. Ce rapport ne présente pas le même niveau de détail que les notes d’observation des formulaires d’évaluation ou les notes sur les réponses des recrues à la page 8 du livret. M. Ducharme a expliqué que les évaluateurs avaient été formés à formuler des observations et des commentaires plus généraux et à ne pas trop entrer dans les détails dans les rapports de notation des simulations D‑I et D‑II, afin de préserver le caractère confidentiel de ces simulations, puisque les documents en question étaient accessibles au public.

[185] M. Itty a été noté comme ayant échoué aux compétences de la communication interactive efficace, du contrôle des situations difficiles et de la confiance en soi dans deux des trois simulations comportementales D‑II.

[186] Je traiterai de ces trois compétences et de la façon dont les évaluateurs D‑II ont évalué le rendement de M. Itty pour chacune de manière à déterminer si, selon la prépondérance des probabilités, il existait un lien entre ses caractéristiques protégées et ses résultats aux simulations comportementales D‑II. Je ferai d’abord de brefs commentaires sur la crédibilité des évaluateurs qui ont témoigné.

[187] J’ai trouvé que Shellie Fowler était une témoin foncièrement honnête, quoique parfois sur la défensive dans certaines parties de son contre-interrogatoire. Cette attitude était quelque peu compréhensible, puisque, lors de son interrogatoire principal, elle avait déclaré qu’à la séance de rétroaction récapitulative finale de M. Itty, sa pensée avait été que celui‑ci avait manifesté une opposition particulière aux résultats qu’elle lui avait attribués et aux commentaires qu’elle lui avait exprimés sur son rendement dans la quatrième simulation D‑II. J’ai eu l’impression, par ailleurs, qu’elle connaissait très bien la fonction d’ASF. Somme toute, j’ai jugé son témoignage crédible en ce qui a trait à son évaluation de M. Itty. Sur les questions de diversité, je l’ai trouvée moins renseignée et convaincante, et quelque peu aussi sur la défensive. Elle ne semblait pas admettre ni comprendre que l’expression « membre d’une minorité visible » renvoyait à une personne de couleur. Toutefois, elle a aussi témoigné que, si la personne qu’elle notait ne portait pas l’uniforme habituel ou s’écartait de la procédure normalement appliquée, et qu’elle était alors encline à penser que cet écart tenait à sa culture, sans en être certaine, elle allait poser la question à un superviseur ou à un autre évaluateur, de sorte qu’elle n’aille pas porter un jugement négatif sur cette tenue ou cet agissement. Même si, sur un point important et comme je le préciserai dans les motifs qui suivent je n’ai pas trouvé son témoignage crédible, dans l’ensemble, j’ai estimé qu’elle était une témoin digne de foi et fiable, plus particulièrement lorsqu’elle a témoigné sur les fonctions d’ASF.

[188] Kevin Phillips était l’évaluateur de M. Itty dans la cinquième simulation D‑II. J’ai vu en lui un témoin honnête et direct, qui a avoué sans ambages ne pas se rappeler les particularités de la simulation de M. Itty parce qu’elle avait eu lieu des années auparavant. Il a eu besoin des pièces déposées pour se rafraîchir la mémoire. Il se rappelait assurément certaines choses bien précises au sujet de la simulation, et se souvenait pourquoi il avait écrit une grande partie des notes figurant dans son formulaire de notation. Son souvenir de la séance de rétroaction de M. Itty — bien que différent de ce que se rappelaient Mme Fowler et Gregory Zbitnoff — en ce qui a trait à la demande faite à M. Itty de cesser de prendre des notes, était aussi crédible. Il ne s’est pas montré sur la défensive en contre-interrogatoire. Dans l’ensemble, j’estime que son témoignage était crédible et fiable.

[189] L’évaluateur Zbitnoff s’est révélé être un témoin digne de foi, honnête et fiable. Son témoignage est demeuré cohérent en contre-interrogatoire, et il ne s’est pas montré non plus sur la défensive. Il avait attribué une note de réussite à M. Itty pour toutes les compétences de la simulation 6.

Contrôle des situations difficiles

[190] Le manuel de formation du FORPE qui est remis à toutes les recrues définit la compétence que représente le contrôle des situations difficiles (CSD) comme consistant à [traduction] « maîtriser ses émotions et brider ses réactions négatives lorsqu’il y a provocation ou qu’il y a opposition ou hostilité de la part d’autrui ».

[191] Le Répertoire des compétences applique une échelle de maîtrise par « niveaux seuils » qui vont de 1 à 4, selon la mesure dans laquelle la provocation vise directement l’ASF, et les conséquences possibles. Xxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxx xxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx.

[192] Xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxx xx xxxxxxx.

[193] Je traiterai d’une partie seulement des observations et des témoignages sur la compétence CSD évaluée à l’occasion des quatrième et cinquième simulations D‑II, auxquelles M. Itty a échoué. Celui‑ci avait par ailleurs réussi, selon la notation de Gregory Zbitnoff, à la simulation 6 pour toutes les compétences.

[194] Shellie Fowler a évalué toutes les recrues de la classe de M. Itty pour la quatrième simulation de l’étape D‑II. Kevin Phillips a fait de même pour toutes les recrues de cette classe dans la cinquième simulation D‑II.

[195] La preuve démontre qu’à trois reprises avant les simulations D‑II, M. Itty avait reçu une rétroaction faisant état de préoccupations liées à sa compétence CSD. L’intimée a fait remarquer que, pendant les exercices de simulation, il avait eu du mal à garder son calme, à communiquer avec assurance et à s’orienter vers des résultats efficaces. Je tiens compte de ce qu’aucun des évaluateurs D‑II de M. Itty n’avait eu accès à son historique de rendement au FORPE, notamment à l’étape D‑I, avant de l’évaluer dans les simulations D‑II.

[196] L’évaluatrice Fowler a écrit comme observations sur la simulation 4, dans son formulaire d’évaluation, que M. Itty avait laissé le voyageur dicter le ton de leur interaction et n’avait pas gardé le contrôle de la situation en communiquant avec assurance. L’évaluateur Phillips a noté que, dans la simulation 5, M. Itty n’avait pas eu suffisamment d’assurance dans la voix en interagissant avec le voyageur pour pouvoir atteindre le seuil Xxxxx X de la compétence CSD.

[197] Pour ce qui est de la [traduction] « recherche de résultats efficaces », l’évaluatrice Fowler a attribué seulement le niveau de maîtrise 1 à M. Itty. Le niveau 1 correspond à un comportement passif, exempt de proactivité, alors que celle-ci doit être démontrée pour atteindre le niveau X requis. Mme Fowler a relevé des problèmes comme le défaut de désamorcer la situation et de réagir adéquatement, c’est‑à‑dire immédiatement, aux signes d’agitation et de frustration du voyageur. Elle a précisé qu’on enseigne aux recrues à répondre aux préoccupations d’un voyageur dès que celui-ci les soulève, parce que la recrue peut ainsi réduire au minimum les risques que la situation ne dégénère.

[198] L’évaluateur Phillips a lui aussi constaté que M. Itty ne satisfaisait pas au seuil Xxxx X. Il avait certes pris la bonne décision, mais, selon cet évaluateur, il n’avait pas posé au voyageur xxxx xxxxxx xxxxxxxxx les questions que les recrues étaient formées à poser dans une situation mettant en jeu l’admissibilité d’un voyageur au Canada. Ces questions n’auraient sans doute pas changé la décision, mais l’évaluateur Phillips a insisté pour dire que prendre la bonne décision n’était pas la seule chose que les évaluateurs devaient vérifier chez les recrues, puisque la démarche ou la voie qu’elles adoptaient pour y parvenir avait de l’importance. Car en venir à la bonne réponse par un mauvais processus risquait de poser un problème. Cette justification me paraît logique, car une démarche erronée qui débouche incidemment sur la bonne réponse ne garantit pas que le même résultat sera obtenu dans des circonstances différentes. J’accepte le témoignage de l’évaluateur Phillips selon lequel les recrues étaient formées à poser les questions qu’il a mentionnées.

[199] Je tiens compte aussi du fait qu’aux pages 8 et 15 du Livret sur les objectifs des examens du programme FORPE, qui est remis à chaque recrue préalablement au processus d’évaluation D‑I, il est indiqué aux stagiaires, à propos des simulations et D‑I et D‑II : [traduction] « Vos compétences, tant techniques (ce qu’il y a à faire) que comportementales (comment le faire), seront notées. » C’est là une autre indication que la voie ou la démarche suivie par la recrue pour parvenir à une décision fait aussi l’objet d’une évaluation.

Communication interactive efficace

[200] Le manuel de formation du FORPE définit la communication interactive efficace (CIE) comme [traduction] « l’art de transmettre et de recevoir l’information clairement et de communiquer activement avec autrui en tenant compte de ses vues de manière à bien répondre. Cela comprend la réception de l’information, la compréhension et une réaction ouverte et efficace dans l’interaction avec autrui ».

[201] Xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx.

[202] Xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx.

[203] Je parlerai maintenant d’une partie des notes prises par les évaluateurs et de leur témoignage sur les résultats de M. Itty pour la compétence CIE dans les quatrième et cinquième simulations comportementales D‑II.

[204] L’évaluatrice Fowler a noté la simulation 4 pour toutes les recrues de la classe de M. Itty. Elle a signalé que, dans le système qu’elle employait, un cercle tracé pour un comportement signifiait soit que la recrue n’avait pas le bon comportement, soit qu’un problème se posait et qu’elle devait examiner la question plus avant. En cochant, elle indiquait que l’évaluateur n’avait aucun souci au sujet du comportement noté. Dans sa feuille de cotation, l’évaluatrice Fowler a encerclé cinq des sept éléments constitutifs d’une communication interactive efficace. Elle a précisé ne pas penser que la simulation 4 était une question d’empathie et elle n’avait donc pas évalué cet élément. Elle a fait les remarques suivantes à la colonne [traduction] « Observations » : M. Itty a employé l’énoncé [traduction] « Monsieur, vous voyez bien que je suis en train de le faire », ce qui, selon le témoignage de Mme Fowler, n’était pas une réponse efficace à la question posée par le voyageur xxxxxx xxxxxxx, laquelle indiquait que celui‑ci devenait impatient et irrité. Selon son évaluation, M. Itty aurait dû indiquer au voyageur [traduction] « le quoi, le pourquoi et le comment » de ce qui se passait et expliquer que l’examen prendrait tout le temps nécessaire.

[205] Dans les observations de sa feuille de cotation, l’évaluatrice Fowler a aussi consigné que M. Itty supposait que le voyageur xxxxxxxxxxxxxxxxxxx et que cela ressortait de la [traduction] « question suggestive », qu’il lui posait.

[206] Mme Fowler a aussi consigné dans ses observations que M. Itty avait dit au voyageur : [traduction] « Nous allons examiner vos bagages et vérifier toutes vos marchandises, d’accord? » Selon son témoignage, le problème avec un tel propos est que, en employant l’expression « d’accord? », M. Itty se trouvait à demander la permission de faire son travail, ce que les ASF ne devraient pas faire. Et elle a aussi fait remarquer ce qui suit dans la colonne de gauche : M. Itty avait par la suite dit au voyageur « Monsieur, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, j’aimerais que vous fassiez quelques pas en arrière »; c’était peut‑être poli, mais encore là c’était demander la permission. Selon son témoignage, l’ASF avait à expliquer, mais sans demander la permission.

[207] À la colonne de gauche en regard du groupe suivant de questions posées au voyageur par M. Itty, Mme Fowler a mis un trait vers sa note dans la colonne de droite avec la mention [traduction] « comme un robot qui répète, comme si c’était la chose à dire obligatoirement ». Elle a donné comme explication que la note décrivait la manière dont M. Itty posait le groupe de questions à la colonne de gauche, agissant comme un robot en train de répéter et comme si c’était obligatoirement la chose à dire au voyageur.

[208] L’experte du plaignant, Mme Willis, a critiqué cette note, en discourant et se demandant ce qu’agir « comme un robot qui répète » avait à voir avec un bon travail comme ASF. En d’autres termes, je dois supposer que cela voulait dire que, selon Mme Willis, la chose n’avait rien ou guère à voir avec l’aptitude que pouvait avoir M. Itty pour le travail d’ASF. Je préfère le témoignage de l’évaluatrice Fowler sur ce point.

[209] Dans la colonne de gauche, Mme Fowler a noté que M. Itty avait à nouveau demandé xxxxx xxxxxxxxxxxxxxx. Tout à fait à gauche en regard de la question, elle a consigné la réponse du voyageur : xxxxxxxxxxxxxxxxxxx. Selon son témoignage, cette réponse indiquait que M. Itty avait déjà posé la question. Elle a expliqué la préoccupation que suscitait cette répétition : elle trahissait un manque d’écoute active, ce qui est une nécessité pour l’ASF qui se garde de répéter les questions.

[210] Par ailleurs, l’évaluatrice Fowler a noté dans ses observations que le voyageur avait dit [traduction] « Je ne sais pas au juste pourquoi je suis ici »; au-dessous, il y avait la mention [traduction] « à la pause plutôt ». À son dire, cela indiquait que M. Itty ne répondait pas à la préoccupation du voyageur, ce qui était lié à la recherche de résultats efficaces.

[211] À l’audience, il a été demandé à l’évaluatrice Fowler si le choix de ne pas réagir à un commentaire hostile pouvait être un moyen de dédramatiser. Elle a répondu par la négative en précisant qu’un ASF avait à répondre aux préoccupations du voyageur quand il en exprimait.

[212] Mme Fowler avait noté que M. Itty avait demandé au voyageur xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx. Le voyageur n’avait pas répondu, ce que Mme Fowler avait inscrit en surlignant en vert comme [traduction] « ne s’en est pas occupé ». Elle a expliqué que M. Itty n’avait pas fait de suivi en répétant sa question ou en la posant autrement, un comportement qui, selon elle, trahissait un manque de confiance en soi : si l’ASF pose une question pertinente sans obtenir de réponse, il doit la reposer ou faire un suivi jusqu’à ce qu’il obtienne une réponse.

[213] L’intimée a soutenu que les simulations D‑II n’étaient pas la première occasion où M. Itty avait eu de la difficulté avec cette compétence. Elle a fait valoir à juste titre qu’il avait reçu, avant ses simulations D‑II, à 25 occasions une rétroaction indiquant des problèmes avec ses compétences CIE et qu’il avait échoué pour cette même compétence dans une des simulations D‑I.

[214] L’évaluatrice Fowler avait noté que, à un certain moment dans la simulation, M. Itty avait fait face au mur en se détournant du voyageur pendant qu’il examinait ses bagages. Elle avait jugé qu’il n’établissait pas un contact visuel suffisant.

[215] Mme Willis a conclu ce qui suit dans son rapport : [traduction] « Les évaluateurs n’ont pas tenu compte de ce que M. Itty ait la parole douce et n’établisse pas le contact des yeux avec quelqu’un (la personne qui joue le rôle), parce que c’est ce que lui dicte sa culture (il ne convient pas que quelqu’un fixe directement une autre personne). » Comme explication, elle a exposé ce qu’elle conçoit comme les styles de communication dans les cultures de « fort contexte » et de « faible contexte ». Dans les premières comme en Inde, a‑t‑elle précisé, deux personnes n’ont pas tant à se parler, elles peuvent communiquer en se regardant ou juste en émettant un grognement sans engager de longue conversation. Dans des cultures de faible contexte comme la culture américaine qui est une culture individuelle, la communication est plus verbale et l’échange est plus direct. J’ai considéré que son explication de la communication de faible contexte s’appliquait largement au Canada.

[216] Mme Willis a expliqué que, chez les gens qui travaillent comme expatriés dans un pays autre que le leur, il importe de comprendre comment les gens communiquent dans ce pays pour en arriver à mieux s’entendre au travail. Toutefois, je considère que la dynamique ASF-voyageur est très différente de la façon dont les gens d’affaires marchandent ou tranchent nettement sur d’autres situations en milieu de travail. La relation entre l’ASF et le voyageur n’est pas de la négociation, l’ASF est en position d’autorité et, s’il doit manifester de l’empathie et user de politesse, il n’en est pas moins le décideur auquel le voyageur doit se plier.

[217] Il a été demandé à Mme Willis quelles mesures elle prenait dans la conception d’une simulation pour s’assurer que les différences entre les cultures de fort et de faible contexte ne venaient pas fausser les résultats. Elle a répondu ne pas adopter de telles mesures. Elle concevait simplement une simulation pour bien voir si quelqu’un communiquait efficacement ou inefficacement. Je considère que cet aspect de sa critique ne visait pas la façon dont les simulations étaient conçues, mais la façon dont elle supposait que les évaluateurs étaient formés. J’ai déjà conclu qu’une partie des hypothèses qui étaient les siennes au sujet de la formation des évaluateurs était erronée. Ce témoignage se trouve en fait à appuyer la conception des simulations.

[218] M. Ducharme a aussi témoigné sur la notion de contact visuel. Il a dit qu’il ne fallait pas y voir un [traduction] « concours de fixité du regard » en précisant que l’ASF devait non seulement fixer le voyageur dans les yeux, mais aussi regarder tout le visage et tout le corps pour vérifier s’il disait la vérité ou montrait des signes de nervosité ou d’évitement des questions. Il reconnaissait que le langage corporel pouvait comprendre le contact visuel, mais il n’en estimait pas moins que ce contact était une compétence distincte.

[219] M. Itty a déposé sur son éducation. Il a décrit s’être vu inculquer dans son éducation et toujours suivre des normes comportementales ayant longtemps limité à son épouse ou à sa mère les personnes à regarder au visage ou dans les yeux. Il affirmait maintenir le contact des yeux, mais ne pas appuyer le regard longtemps, avec les figures d’autorité par exemple. J’admets que, si ce qu’il disait était vrai de sa vie personnelle, il comprenait par ailleurs qu’une communication interactive efficace exigeait un contact des yeux et j’admets aussi que cette exigence était entièrement raisonnable pour le poste d’ASF. Cela est d’autant plus vrai que, dans son témoignage, M. Ducharme dit que le contact des yeux n’est pas un « concours de fixité du regard », mais un regard sur toute la personne du voyageur.

[220] Je tiens également compte de ce que M. Itty ait déjà vécu au Canada depuis plus de 20 ans avant sa participation au FORPE et qu’il ait travaillé dans bien des contextes pour diverses entreprises canadiennes avant de passer à l’ARC. Selon moi, il avait dû être capable d’une communication transculturelle efficace pour avoir le genre de réussite qui était la sienne.

Confiance en soi

[221] Le manuel de formation du FORPE définit ainsi la confiance en soi : [traduction] « croire en sa propre capacité d’accomplir une tâche et de choisir une façon efficace d’aborder cette tâche ou une situation; cela comprend la foi dans ses propres capacités dans des circonstances d’une difficulté croissante, tout comme une assurance dans ses décisions ou ses opinions. »

[222] Le profil des compétences de l’ASF dans le matériel de formation des évaluateurs exige xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxx

[223] Xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxx.

[224] Je traiterai maintenant d’une partie des observations et des témoignages présentés sur la compétence de la confiance en soi (CS) selon les quatrième et cinquième simulations D‑II de M. Itty.

[225] Dans son témoignage sur la simulation 4 et la confiance en soi, l’évaluatrice Fowler a lu des extraits de ses observations écrites dans son livret de notation (pièce A3‑8). xxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx Elle a déclaré que M. Itty xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx. Pour ce qui est de l’élément consistant à donner l’impression d’être certain en cas de contestation, elle avait noté que M. Itty ne se rendait pas maître de l’interaction. Le voyageur ne répondait pas toujours à ses questions et M. Itty n’assurait pas le suivi nécessaire. Mme Fowler a expliqué que l’ASF peut reformuler la question, mais doit continuer à la poser jusqu’à ce qu’il obtienne la réponse.

[226] Il semblait que, dans une des feuilles de notation de l’évaluatrice Fowler, un « a réussi » avait été changé en un « n’a pas réussi ». Le plaignant a beaucoup mis l’accent là-dessus. Mme Fowler a expliqué que, au moment où elle s’était présentée à la réunion d’intégration, sa feuille de cotation était complète et que rien n’avait changé à cette réunion. Je ne peux trouver aucun lien entre la possibilité qu’un évaluateur se soit révisé dans sa séance de notation en privé, d’une part, et les caractéristiques protégées de M. Itty, d’autre part. La preuve a établi qu’il est possible aux évaluateurs de changer leurs notes à la séance d’intégration, et je ne suis donc pas préoccupée de ce que Mme Fowler ait pu le faire même avant et de sa propre initiative.

[227] Kevin Phillips a évalué M. Itty dans la simulation 5 et a déclaré que celui-ci avait échoué pour la compétence de la confiance en soi. Dans sa feuille de cotation, il a fait remarquer que M. Itty n’avait pas répondu aux préoccupations du client lorsqu’il y avait eu contestation et qu’il se devait de marquer plus d’assurance dans sa voix. Il affirmait que M. Itty n’avait pas réagi aux préoccupations du client en cas de contestation et qu’il importait qu’un ASF le fasse, puisque la situation avec un client contrarié ou en colère peut dégénérer si l’ASF ne fait rien pour l’apaiser. Il a précisé qu’il y avait de l’hésitation dans la voix de M. Itty pendant la simulation lorsque le client s’en prenait à lui. Il a ajouté que, dans sa notation, il appliquait sa formation d’évaluateur et son expérience d’ASF. Il était surintendant à l’ASFC lorsqu’il avait témoigné. J’accepte l’explication qu’il donne des raisons pour lesquelles il a déclaré que M. Itty avait échoué pour la compétence de la confiance en soi.

[228] Dans ses délibérations, ses réflexions et ses décisions sur les allégations de la présente plainte, le Tribunal se limite à ce qui figure au dossier de preuve. J’ai les feuilles de cotation de M. Itty pour les simulations 4, 5 et 6. J’ai le témoignage de M. Itty, ceux de ses évaluateurs et les déclarations de deux témoins experts. Les formulaires de notation des costagiaires de M. Itty ne figurent pas au dossier de preuve (on y trouve seulement les formulaires de notation des simulations D‑II), et je me dois de prendre une décision sans eux.

[229] Bien que les notes d’observation détaillées n’aient pas été versées au dossier de preuve, je remarque en regardant les formulaires de notation des simulations D‑II des recrues que les évaluateurs Fowler et Phillips ont beaucoup de commentaires semblables à ceux qu’ils ont formulés pour ce même M. Itty dans la partie [traduction] « Observations des évaluateurs » de ce formulaire. Ainsi, plusieurs autres recrues ont eu droit à une rétroaction sur un manque de contact visuel et des problèmes [traduction] « de mots et d’expressions » bien que n’ayant aucune des caractéristiques protégées de M. Itty.

[230] On comprendra qu’il soit extrêmement frustrant pour le plaignant que les circonstances que je décrirai dans la section « Destruction d’éléments de preuve » aient fait en sorte que les formulaires de notation manuscrite des simulations D‑II de ses camarades de classe par les évaluateurs ne figurent pas au dossier de preuve de la présente plainte. C’est là aussi une préoccupation pour le Tribunal. Les politiques et les pratiques de l’intimée en matière d’élimination et de conservation des documents, comme elles ont été appliquées dans la période considérée, ne font pas mal paraître l’intimée, mais mettent en lumière les lacunes de l’ASFC aussi bien pour les responsables des décisions sur les documents utiles à l’instruction d’une plainte en droits de la personne que pour les décisions elles‑mêmes. Que la destruction n’ait pas constitué une destruction d’éléments de preuve ne la rend pas moins frustrante pour les parties.

[231] J’accepte le témoignage par ouï-dire du plaignant évoquant ce que certains candidats lui auraient dit voir comme des erreurs critiques de leur part dans leurs simulations D‑II. Selon sa déclaration et son témoignage, l’intimée les avait fait réussir — mais non lui — en dépit de ces erreurs critiques et graves, parce qu’elle l’assujettissait, lui, à une norme plus élevée pour des raisons discriminatoires.

[232] J’accepte que des candidats aient tenu ces propos devant M. Itty, mais je n’y accorde pas de poids outre mesure. Que les propos tenus au plaignant soient du ouï-dire ne serait pas la raison définitive pour ne pas leur prêter beaucoup de poids, puisque le Tribunal peut admettre une preuve par ouï-dire. Si je n’accorde guère de poids à ces déclarations, c’est en raison des circonstances où elles ont été faites à M. Itty et à cause de la situation où se trouvaient leurs auteurs après avoir suivi des simulations D‑II qui, selon leur description, baignaient dans une atmosphère lourde de tension et de nervosité. J’ai l’impression qu’ils ont tenu ces propos critiques sur eux‑mêmes devant M. Itty dans un état de forte émotion. Pour citer un exemple, un des candidats a dit à M. Itty avoir vomi après la simulation. Je tiens également compte de ce que les recrues n’étaient pas des évaluateurs formés en mesure d’apprécier objectivement leurs propres résultats.

[233] J’accepte le témoignage de M. Itty selon lequel, dans la simulation TMD où il était le voyageur, le candidat jouant le rôle d’ASF avait fait tomber son bâton. Je mets en balance, d’une part, que M. Itty ait déposé qu’un instructeur avait dit à sa classe qu’il y avait échec automatiquement si on faisait tomber le bâton et, d’autre part, le témoignage de M. Borgia disant le contraire en précisant que l’évaluateur aurait à tenir compte de tout le rendement TMD d’une recrue avant de prononcer la réussite ou l’échec. Je préfère le témoignage de M. Borgia sur ce point en raison de son expérience tant comme instructeur que comme évaluateur TMD du FORPE.

VII. Experts

[234] Avant d’établir s’il y avait un lien ou non entre les caractéristiques protégées de M. Itty et son échec ou de voir si certains aspects du FORPE avaient concouru ou non à cet échec pour des raisons discriminatoires, je parlerai de l’abondance des témoignages d’expert qui ont été présentés. Les parties ont retenu chacune un témoin expert pour la rédaction d’un rapport d’expert et un témoignage à l’audience. Ce sont Linsey Craig Willis pour le plaignant et François Durand (qui portait le nom de François Chiocchio à l’époque où il a rédigé son rapport) pour l’intimée. Leurs témoignages traitaient tant de l’article 7 que de l’article 10 de la Loi.

[235] À l’audience, chaque partie s’est opposée à l’admissibilité du témoin expert de l’autre partie. Par souci de commodité et compte tenu de la souplesse dont jouit foncièrement le Tribunal pour contrôler son propre processus (avec la liberté de ne pas adhérer à des règles strictes de la preuve), je me suis reportée à l’alinéa 50(3)c) de la Loi qui est ainsi libellé :

50.(3) Pour la tenue de ses audiences, le membre instructeur a le pouvoir :

[…]

c) de recevoir, sous réserve des paragraphes (4) et (5), des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire.

[236] J’ai entendu les objections et les observations des parties. Les deux experts ont été interrogés et contre-interrogés sur leurs compétences. J’ai admis les deux à témoigner à l’audience (avec certaines restrictions). Ce faisant, je me suis réservé le droit d’examiner toutes les questions ayant trait à l’admissibilité et au poids à accorder à leur témoignage dans mes délibérations.

[237] Dans leurs rapports et leurs témoignages, les deux experts se sont parfois lancés dans la défense des intérêts des parties qui les avaient retenus. Ils ont semblé tous deux mal comprendre le rôle des exposés des précisions dans le processus du Tribunal. Dans les circonstances de l’audience et notamment en ce qui concerne les ordonnances de confidentialité, Mme Willis manquait de renseignements essentiels sur le processus sous-tendant la conception des simulations, ainsi que l’a déclaré le témoin de l’intimée, M. Ducharme. Quant à l’expert de l’intimée, M. Durand, il s’est prononcé à de nombreuses occasions sur la [traduction] « question ultime ». Au moment de jauger ces facteurs en me guidant sur les arrêts Mohan et White Burgess de la Cour suprême du Canada, j’ai exclu certains aspects de leur témoignage et fini par ne guère accorder de poids à certains autres, ce dont je parlerai plus en détail dans ce qui suit.

[238] La Cour suprême a dressé un cadre juridique pour juger de l’admissibilité du témoignage d’opinion. « Ce cadre permet de parer aux dangers du témoignage d’expert. Il fait en sorte que le procès ne se transforme pas en un "procès instruit par des experts" et que le juge des faits demeure capable de faire un examen critique de la preuve » (R c. Bingley, 2017 CSC 12 (CanLII), au par. 13). Ce cadre a été établi par la Cour suprême dans l’arrêt R c. Mohan, 1994 CanLII 80 (CSC), [1994] 2 RCS 9 [Mohan]. Il a été clarifié dans l’arrêt White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23 (CanLII) [White Burgess]. Il comporte une analyse en deux parties. Dans un premier temps, le juge des faits doit établir si le témoignage d’expert satisfait aux critères d’admissibilité, à savoir la pertinence, la nécessité, l’absence de toute règle d’exclusion et la qualification suffisante de l’expert (Mohan, aux pages 20 à 25; voir aussi White Burgess, au par. 19). Si une de ces exigences préalables n’est pas respectée, le témoignage est inadmissible et la seconde partie de l’analyse devient inutile.

[239] Dans un deuxième temps, « le juge-gardien » exerce son pouvoir discrétionnaire en soupesant les risques et les bénéfices éventuels que présente l’admission du témoignage (White Burgess, au par. 24).

[240] Au moment d’évaluer les rapports d’expert dans la présente affaire, j’ai gardé à l’esprit ce qui est dit dans la décision Brooks c. Canada (Ministère des Pêches et des Océans), 2004 TCDP 20 (CanLII). Évaluant l’admissibilité d’un rapport d’expert proposé, le Tribunal a écrit :

Il y a d’autres préoccupations dans le contexte de la nécessité. L’une d’elles réside dans le fait que le Tribunal des droits de la personne est un tribunal spécialisé qui est lui‑même expert en matière de discrimination. Par conséquent, il est à même de parvenir, sans l’aide d’un expert, à une opinion éclairée quant au poids et à la valeur d’une preuve de discrimination.

[241] Je passerai en revue les deux témoignages d’expert à tour de rôle pour expliquer quelles parties de ces témoignages je retiendrai à la fin dans ma décision.

Mme Willis, experte du plaignant

[242] Mme Willis, l’experte du plaignant, est conseillère en gestion et propriétaire d’un petit cabinet de services-conseils organisationnels en gestion. Ces cinq dernières années et aujourd’hui encore, elle est enseignante invitée à plein temps au Département de gestion du College of Business de l’Université Florida Atlantic (FAU). Elle n’est ni professeure ni chercheuse universitaire. Elle est titulaire d’un doctorat en administration publique (DPA) qui, selon sa franche explication, n’appartenait pas à une catégorie aussi élevée que le doctorat en philosophie ou Ph. D. Elle est également titulaire de maîtrises en administration publique et en sciences judiciaires. Elle est certifiée à titre de « Senior Professional in Human Resources » (SPHR), titre à reconduire tous les trois ans. Elle compte une trentaine d’années d’expérience en méthodologie des centres d’évaluation et en conception de ces centres. Elle a pris la parole à des conférences internationales sur les centres d’évaluation. Elle n’est pas psychologue et n’a aucun diplôme en psychologie.

[243] Le plaignant a demandé au Tribunal de reconnaître Mme Willis pour sa certification de « Senior Professional in Human Resources » et de l’admettre comme experte en principes, pratiques, outils et systèmes d’examen et d’évaluation.

[244] À l’audience, le Tribunal a conclu que Mme Willis était qualifiée pour témoigner sur ces principes, pratiques, outils et systèmes docimologiques, ainsi que sur la communication fondée sur la culture. L’intimée a soutenu à l’audience que Mme Willis n’était pas une experte dûment agréée dans ce domaine. Pour revenir aux critères énoncés dans l’arrêt White Burgess, l’indépendance et l’impartialité interviennent comme facteurs à ce stade. La barre est élevée dans l’appréciation des critères seuils. J’avais certaines préoccupations au sujet de l’impartialité de Mme Willis, mais sans nourrir d’inquiétudes au point d’exclure son témoignage à ce stade.

[245] Mme Willis avait trois grandes opinions générales au sujet du programme FORPE. Elle pensait d’abord que ce programme ne prévoyait pas de mesures suffisantes pour prévenir la discrimination puisque, à première vue, sa conception n’était pas conforme aux règles d’élaboration de tests d’évaluation, compte tenu en particulier de la méthodologie des centres d’évaluation. En second lieu, elle jugeait que le système de notation du FORPE n’était pas fiable puisqu’il évaluait par réussite ou échec plutôt que selon une échelle de notation de cinq ou sept éléments qui, selon sa description, représentent la [traduction] « procédure d’exploitation normalisée » dans la méthodologie des centres d’évaluation. En dernier lieu, elle croyait que de sérieux problèmes se posaient dans la façon dont l’ASFC choisissait les gens à former comme évaluateurs et dans cette formation même, plus particulièrement pour le manque de formation sur la prise de notes, ce qui comprenait la consignation respective d’observations et de conclusions et les modes d’observation et d’évaluation conforme des comportements.

[246] À propos de M. Itty plus particulièrement, Mme Willis présentait les [traduction] « commentaires sommaires » suivants (entre autres) à la page 31 de son premier rapport daté du 10 juillet 2015 (le « rapport Willis » ou le « rapport ») à la suite de son analyse comparative de la façon dont les évaluateurs notaient respectivement M. Itty et ses camarades de classe dans leurs simulations :

[traduction]

« 1. Il semblerait que les évaluateurs étaient plus stricts dans leur caractérisation du rendement de M. Itty si je me reporte aux données sur les autres recrues.

2. Cela pourrait tenir à des préjugés personnels inspirés par l’origine nationale ou ethnique et peut‑être l’accent de M. Itty. »

[247] L’intimée a fait valoir que le témoignage de Mme Willis ne répondait pas au critère de nécessité de l’arrêt Mohan en matière d’assistance au juge des faits. Elle a également prétendu que certaines parties du rapport Willis se bornaient à des généralités et manquaient donc de pertinence. Elle s’opposait en outre à l’admission en preuve de parties du rapport et du témoignage de Mme Willis parce qu’elles ne relevaient pas de sa compétence en général ni de sa compétence décrite par le plaignant en particulier.

[248] Une partie du rapport à partir de la page 7 sous le titre [traduction] « Recension des écrits » est une revue de la documentation spécialisée en cinq sous-sections thématiques. Au bas, Mme Willis résume ce bilan documentaire : [traduction] « En résumé, les études passées en revue font ressortir l’importance de l’effet défavorable que peuvent avoir sur les décisions d’emploi le bagage culturel d’une personne (son accent) et les préventions, les préjugés inconscients et les stéréotypes dominants. »

[249] Après avoir examiné les observations des parties, j’ai exclu la partie du rapport de Mme Willis qui allait de la page 8, sous [traduction] « Partialité dans le processus d’embauche » aux deux lignes au haut de la page 17, soit presque toute cette recension des écrits. Comme je l’ai expliqué aux parties pour les passages du rapport Willis sur lesquels je n’ai pas permis à son auteure de témoigner, ces éléments n’étaient pas nécessaires parce que le Tribunal était lui‑même expert dans les questions de droits de la personne et de discrimination. Sa compétence avait été reconnue par les tribunaux (voir Basi). Le Tribunal exerce cette compétence quotidiennement dans ses décisions sur requête et ses décisions de fond : il décide s’il y a eu discrimination contre des personnes et si un système revêt un caractère discriminatoire. Il n’avait donc pas besoin du témoignage écarté de Mme Willis.

[250] Dans sa plaidoirie écrite finale, l’intimée dit que le témoignage de Mme Willis était largement entaché par des [traduction] « erreurs et méprises fondamentales sur le programme FORPE et la formation de ses évaluateurs ». Elle a fait valoir que les analyses de Mme Willis étaient des plus simplistes en soutenant que le Tribunal n’avait pas besoin du gros de son rapport pour parvenir à ses conclusions.

[251] L’expert de l’intimée, M. Durand, a critiqué le rapport Willis à la section 5 de son propre rapport du 6 juin 2016 (le « rapport Durand » ou le « rapport »). Il met avant tout l’accent dans cette section sur les tableaux créés par Mme Willis, mais se prononce aussi sur ses opinions. Je ne tiens pas compte du premier paragraphe à la page 15 du rapport Durand parce qu’il traite de la recension des écrits de celle‑ci dont j’ai exclu la majeure partie à l’audience. J’estime que les critiques de M. Durand ont été utiles, objectives et nuancées. À propos, par exemple, de la conclusion formulée par Mme Willis dans son rapport que l’ASFC n’avait pas fait d’analyse professionnelle du poste d’ASF, ce qu’elle voyait comme un défaut fatal du programme FORPE, il a expliqué que les Lignes directrices n’étaient [traduction] « pas aussi étroites » que le pensait Mme Willis et que ce qui était appelé [traduction] « modélisation des compétences » était aussi une source viable pour la conception des centres d’évaluation.

[252] Dans une autre critique portant cette fois sur le sujet 8 au tableau 1 de Mme Willis où celle‑ci dit que [traduction] « seulement parce qu’une recrue reçoit une note d’échec pour trois compétences sur dix, cela ne devrait pas dire qu’elle faillit à la fonction »; M. Durand y a vu une critique de la validité des critères employés dans le FORPE. Il a ajouté que des documents qui font autorité comme les Lignes directrices disent en fait que [traduction] l’« essentiel », c’est que le concepteur et l’utilisateur du centre d’évaluation confirment par des données de validation la façon d’utiliser les notes à la fin (pour leur validité et leur fiabilité aux fins visées). Selon lui, comme des renseignements tels les résultats des séances de travail des experts en la matière n’étaient pas disponibles pour qu’on puisse juger du nombre de compétences nécessaires dans ce domaine, Mme Willis ne pouvait pas appuyer d’une preuve ce qu’elle affirmait (aucun des experts n’avait entendu le témoignage de M. Ducharme).

[253] De l’avis de M. Durand, le niveau de détail du matériel de simulation du FORPE ne pouvait s’obtenir sans ce qu’il appelle [traduction] « une très grande fidélité aux situations dans le monde réel ». Dans son témoignage, il a expliqué que, par fidélité, il fallait entendre la mesure dans laquelle les scénarios des simulations étaient liés ou collaient aux situations réelles dans l’emploi pour lequel le candidat était évalué, en l’occurrence l’emploi d’ASF. C’est que, pour formuler cet avis, il ne supposait pas qu’aucune analyse de l’emploi n’avait eu lieu du seul fait qu’il n’en ait pas la preuve. Il voyait plus loin, même en ne connaissant pas le témoignage de M. Ducharme sur l’analyse de l’emploi qu’avaient faite le Groupe Hay et l’ADRC.

[254] Mme Willis ne connaissait pas non plus le témoignage détaillé de M. Ducharme sur la conception d’aspects essentiels du programme de formation des évaluateurs. Elle n’avait pas non plus un témoignage comme celui de l’évaluatrice Shellie Fowler sur son expérience de cette formation. Il en allait de même du témoignage de M. Ducharme sur la façon dont le Groupe Hay avait choisi les compétences et conçu les simulations. Les deux parties étaient fort soucieuses d’observer les ordonnances de confidentialité et elles n’avaient donc pas communiqué ces témoignages à leurs experts. Sans le témoignage susmentionné, Mme Willis n’en posait pas moins des hypothèses importantes en affirmant qu’aucune analyse d’emploi ou d’incidents critiques n’avait précédé le choix des compétences et des simulations, mais M. Durand n’agissait pas comme elle. Il m’a paru être d’avis que, sans éléments de preuve pour qu’il puisse analyser un sujet, il ne pouvait s’en former une opinion. Je préfère cette optique parce que, dans sa propre approche, Mme Willis y est allée de fausses hypothèses au sujet de l’analyse d’emploi, de l’analyse d’incidents critiques et de parties de la formation des évaluateurs. À sa décharge, disons néanmoins que, lorsqu’elle a eu à s’exprimer en contre-interrogatoire sur certains aspects de cette formation, elle a reconnu que son opinion s’en serait trouvée changée.

[255] Même compte tenu des exemples donnés par Mme Willis d’un [traduction] « état idéal » de prise des notes des évaluateurs sur les simulations, j’ai constaté que les notes de l’évaluatrice Fowler dans certaines parties de ses observations sur M. Itty étaient très bonnes, parce que celle‑ci tenait compte de ce qu’avait dit l’acteur participant et qu’elle avait remis en contexte tant ce qui se passait dans la simulation 4 que les gestes et les propos de M. Itty dans cette situation.

[256] Lorsque M. Durand a été interrogé sur la qualité des notes prises par les évaluateurs dans les simulations, il a dit que, lorsque ces derniers notaient qu’une recrue ne faisait pas quelque chose, il était très difficile de décrire plus avant la situation, parce qu’il n’est pas très aisé de décrire quelque chose de négatif.

[257] Mme Willis a déclaré que l’application du processus des centres d’évaluation est la [traduction] « la Cadillac ou la Bentley » en usage depuis la Seconde Guerre mondiale là où des candidats subissent une batterie d’exercices de simulation. Elle a précisé que la conception sur mesure d’un centre d’évaluation commence par une analyse d’emploi permettant notamment de décrire des incidents professionnels critiques et que cette démarche était suivie d’un rapport de validation lui‑même suivi d’un programme de formation des responsables. À son avis et à en juger par les documents à sa disposition, la conception du FORPE s’était écartée de ces étapes clés. Comme je l’ai indiqué et si je me fonde sur le témoignage poussé de M. Ducharme que j’ai jugé crédible et sur les autres éléments de preuve présentés, je conclus que ces éléments ont trouvé leur place en réalité dans la conception du FORPE. À la différence des MM. Ducharme et Durand qui se sont attachés dans une large mesure aux Guidelines and Ethical Considerations for Assessment Center Operations (les « Lignes directrices »), Mme Willis se reportait aux American Uniform Guidelines on Selection Procedures [lignes directrices américaines uniformes sur les procédures de sélection] de 1978 (Lignes directrices américaines). Celles‑ci sont employées devant les tribunaux des États-Unis et comptent parmi les « bibles » consultées dans le domaine des tests. On ne sait au juste toutefois si Mme Willis, dans les opinions qu’elle exprimait sur le FORPE et dans son rapport et son témoignage, faisait référence aux exigences des Lignes directrices américaines; d’ailleurs, elle n’a pas remis copie au Tribunal des lignes directrices qu’elle appliquait.

[258] Je parlerai maintenant du témoignage de Mme Willis que je n’ai pas exclu à l’audience. À l’annexe A au tableau 1 de son rapport, celle‑ci passe en revue les divers éléments du programme de formation des évaluateurs, depuis la sélection jusqu’aux exercices de simulation et plus. Deux problèmes de taille se posent avec ce tableau : d’abord, il est clair que Mme Willis n’était pas au courant de certains éléments d’importance dans l’élaboration du programme FORPE, lorsqu’elle critique, par exemple, ce qu’elle perçoit comme un manque d’analyse de l’emploi. Ensuite, il n’est pas clair de quelle source il s’agit dans la colonne [traduction] « Principes et pratiques » où elle semble employer une source faisant autorité avec laquelle mesurer divers aspects du FORPE, et notamment la sélection des évaluateurs.

[259] J’estime que la preuve n’appuie pas l’affirmation de Mme Willis lorsqu’elle conclut que les évaluateurs ont noté M. Itty plus rigoureusement que ses camarades de classe. Aux pages 26 à 31 et au tableau 5 de son rapport, elle a procédé à une [traduction] « analyse comparative de la notation sommaire par les évaluateurs de M. Itty et des autres recrues ». Pour comparer, elle a utilisé les rapports d’évaluation des simulations D‑II qui avaient été remis aux diverses recrues à leur dernière séance de rétroaction pour qu’ils les emportent et, en cas de réussite au programme, les montrent à leurs superviseurs dans leurs futurs postes d’ASF, de sorte que ceux‑ci puissent continuer à les encadrer pour les aspects encore à améliorer. Dans le cas de M. Itty, elle avait aussi les formulaires de notation manuscrite des simulations D‑I et D‑II, mais sans les avoir inclus dans son analyse comparative ni au tableau 5.

[260] Mme Willis estimait que plusieurs des commentaires des évaluateurs étaient largement ou effectivement les mêmes dans les rapports respectifs D‑II de M. Itty et de ses costagiaires, ce qui n’avait pas empêché de prononcer l’échec pour M. Itty. Je pense que, comme les évaluateurs avaient pour instruction d’employer des formulations très générales dans leurs rapports de notation manuscrite et de ne pas y aller de trop de détails ou d’exemples, ces documents, comme le dit M. Ducharme dans son témoignage (inconnu de Mme Willis), ne donnent tout simplement pas assez de détails sur ce qui s’est réellement passé dans les simulations. Dans la partie comparative de son rapport, Mme Willis se montre fréquemment critique en constatant un manque d’exemples et de détails. Il reste que ce manque était voulu et tenait aussi au fait que seuls les rapports d’évaluation des simulations D‑II des recrues entraient dans la comparaison. Par ailleurs, qu’elle exprime l’avis que les évaluateurs formulent des critiques identiques ou proches par moments pour M. Itty et ses costagiaires (ayant réussi contrairement à lui), tout en ayant des observations plus négatives sur le premier, doit selon moi être taxé d’argument circulaire. S’ils jugeaient que M. Itty n’atteignait pas les niveaux seuils prescrits pour les compétences, il était naturel que leurs commentaires à son sujet soient plus critiques, appelant un constat d’échec.

[261] À la page 30 de son rapport par exemple, Mme Willis a écrit que les évaluateurs avaient eu cinq commentaires négatifs sur M. Itty et autant sur la recrue avec laquelle il était comparé, mais que le premier avait échoué et non la seconde. C’est adopter une vue simpliste du processus d’évaluation, et rien ne semble indiquer que le nombre de commentaires l’emporte sur le contenu ou la substance. De plus, une comparaison côte à côte dans certains cas comme au tableau 5 illustre que les évaluateurs ont noté une recrue comme s’en étant bien tirée pour certaines compétences, alors que pour ces mêmes compétences M. Itty ne respectait pas le critère seuil. Pour prendre un exemple, à la page 58 comparant les recrues 8 et 9 pour la compétence « contrôle des situations difficiles », il est dit à la colonne des observations des évaluateurs que la recrue 8 était [traduction] « capable de traiter avec les clients difficiles et de garder [son] calme dans les trois simulations » et que la recrue 9 [traduction] « montrait de l’assurance et ne vacillait pas lorsqu’elle était contestée ». En revanche, ce que dit le rapport de M. Itty pour cette section contient plusieurs éléments négatifs ou critiques de rétroaction. De la comparaison de ces commentaires, je ne peux tout simplement conclure que les évaluateurs ont été [traduction] « plus sévères » envers M. Itty qu’envers certains de ses costagiaires.

[262] Mme Willis a reconnu dans son témoignage que les rapports d’évaluation des simulations D‑II ne contiennent pas les notes individuelles de réussite ou d’échec pour chacune des trois simulations, mais seulement des observations et la note globale de réussite ou d’échec pour la recrue évaluée. Bien des fois, les observations valent pour une simulation donnée (« en S4 » ou « en S6 »), mais ne s’accompagnent pas d’une note globale de réussite ou d’échec pour la simulation. On ne saurait donc exclure la possibilité que les recrues dont Mme Willis dit qu’elles ont reçu une note globale de réussite pour les compétences CSD, CIE et CS aient obtenu une note d’échec pour une compétence dans une simulation, mais une note de réussite pour cette même compétence dans les deux autres simulations. Il ne faut pas exclure non plus que, à leur réunion d’intégration, les évaluateurs se soient entendus sur une note générale de réussite pour une recrue ou s’en soient tenus à la consigne évoquée par M. Ducharme ou Mme Fowler de l’attribution par concertation à une recrue d’une note globale de réussite si deux évaluateurs étaient d’accord et non le troisième.

[263] M. Durand, l’expert de l’intimée, a déclaré que les rapports d’évaluation des simulations D‑II des recrues ne livraient pas [traduction] « tout le tableau » de ce qui s’était passé dans une simulation. L’évaluatrice Fowler a mentionné devoir se reporter à ses notes manuscrites dans les formulaires de notation des costagiaires du plaignant pour vérifier pourquoi elle avait fait échouer le plaignant et non ses camarades de classe, alors que ses commentaires étaient semblables pour eux tous dans ses rapports de notation D‑II. L’évaluateur Kevin Phillips a signalé lui aussi devoir consulter ses notes pour la même raison.

[264] Comme les rapports d’évaluation des simulations D‑II des recrues ne présentent pas la note accordée pour chacune des trois simulations, il est possible selon moi que, pour des notes d’observation négatives qui seraient semblables ou proches pour M. Itty et ses costagiaires dans une simulation donnée, un stagiaire ait reçu une note d’échec dans cette simulation, mais une note de réussite dans les deux autres.

[265] Cela crée beaucoup de confusion tant dans le corps du rapport de Mme Willis qu’à son tableau 5 pour la question de savoir si celle‑ci comprenait ou non que l’évaluateur Zbitnoff ait noté positivement M. Itty pour toutes les compétences dans la simulation 6.

[266] Au tableau 6 [traduction] « Problèmes de caractérisation par les évaluateurs des résultats de M. Itty pour les compétences CSD, CIE et CS », Mme Willis passe en revue les divers commentaires des évaluateurs de M. Itty dans les notes manuscrites des formulaires d’évaluation et y va de commentaires ou de questions de son cru. Pour la compétence CSD par exemple, un évaluateur a écrit [traduction] « ne tient pas compte des préoccupations ». En réaction, Mme Willis demande [traduction] « ce qu’un candidat dirait ou devrait dire ». Je remarque que, au haut de la page 1 du formulaire d’évaluation employé par Mme Willis pour créer ce tableau, figure une consigne à l’évaluateur : [traduction] « Pour chaque compétence, cochez ("") le comportement qui décrit le mieux ce que la recrue a effectivement fait (et non ce que vous pensez qu’elle aurait pu faire). » Je pense que ce que la recrue aurait dû faire figure dans l’encadré [traduction] « Résumé des domaines de perfectionnement » dans le rapport d’évaluation des simulations D‑II.

[267] Enfin, je conclus de même, après avoir entendu toute la preuve et examiné le rapport et le témoignage de Mme Willis, que la section [traduction] « Analyse comparative » est largement une comparaison côte à côte que le Tribunal est capable d’effectuer. L’expertise de Mme Willis n’est pas nécessaire s’il s’agit de regarder ce type de preuve non technique conçu pour être abordable au profane, c’est‑à‑dire aux recrues elles-mêmes et à leurs futurs superviseurs.

[268] Pour les motifs qui précèdent, je n’accorde aucun poids à cette section.

[269] Mme Willis a critiqué la notion de niveaux seuils. J’ai remarqué que, dans une partie des rapports d’évaluation des simulations D‑II des costagiaires du plaignant, un évaluateur avait noté, comme observation sur le rendement d’une recrue pour une compétence, que celle‑ci atteignait le niveau seuil et que, souvent dans ce cas, il était aussi question de la façon dont la recrue pourrait s’améliorer. Je conclus par là que les évaluateurs gardaient à l’esprit les niveaux seuils prescrits lorsqu’ils évaluaient les recrues et que, en plus, leur notation du rendement pour une compétence était fondée sur le respect ou non de ce niveau seuil.

[270] Dans son rapport de réfutation du 4 août 2016 où elle répondait à la section 5 du rapport de M. Durand, Mme Willis a tempéré ses opinions sur divers sujets. Ainsi, elle convenait avec celui‑ci que la partialité ne peut jamais être totalement extirpée chez un être humain et elle reconnaissait comme vraie l’affirmation faite par celui‑ci que la partialité demeurait possible même si une équipe d’évaluateurs était diversifiée. Bien que n’acceptant pas la plupart des opinions de M. Durand sur son propre rapport parce que jugeant avoir plus d’expérience des centres d’évaluation dans la pratique et croyant que la connaissance de la teneur des Lignes directrices ne suffisait pas sans cette expérience, elle a dit que la biographie de M. Durand indiquait qu’il était [traduction] « bien versé dans les questions de mesure et d’évaluation ». À son avis cependant, la connaissance des tests et des principes psychométriques ne suffisait pas pour qu’on soit un expert dans la conception, la réalisation et l’administration de centres d’évaluation.

CrédibilitéMme Willis

[271] J’ai constaté que Mme Willis était une témoin honnête qui n’évitait pas les questions. Elle était directe, mais avec parfois une tendance à répondre à une question par une autre faisant débat, penchant qu’elle avait aussi quelquefois dans son rapport. Cela n’aidait pas. J’ai constaté qu’elle était disposée en cours de témoignage à modifier ses opinions critiques sur certains aspects du programme FORPE lorsque de nouveaux renseignements lui étaient présentés, à propos de la formation des évaluateurs, par exemple. J’ai trouvé tout à fait étonnant que, à un certain stade dans son témoignage, elle ait été extrêmement sur la défensive lorsque l’avocat de l’intimée lui avait signalé une erreur au tableau 5 indiquant faussement que les évaluateurs avaient tous fait échouer M. Itty pour les trois compétences comportementales, alors que, en réalité, M. Zbitnoff avait fait le contraire. Elle a parlé d’une [traduction] « erreur de transposition » et réagi en disant que ce qu’impliquait l’avocat, c’est que toutes ses données étaient erronées. Je n’avais pas l’impression que c’est ce que faisait l’avocat, bien qu’il ait mis en évidence une faiblesse de son rapport. Sa réaction était étonnante, d’autant qu’elle avait été experte dans quelque 26 autres affaires, et témoin experte au Tribunal dans au moins certaines. À mes yeux, cette réaction défensive a nui à son témoignage.

[272] J’ai également trouvé que Mme Willis campait sur ses positions quant à la façon dont un centre d’évaluation devrait fonctionner et que ses opinions trop ancrées ressemblaient parfois à une pure défense des intérêts du plaignant. Ainsi, l’énoncé d’une des conclusions de son rapport sur le FORPE se terminait par une déclaration : [traduction] « Par conséquent, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« ASFC ») devrait sérieusement envisager de refaire tout le système. » J’y ai vu une opinion extrême qu’elle a d’ailleurs répétée dans une autre partie de son rapport.

[273] Mme Willis a formulé des opinions et des suggestions pour l’amélioration de certains aspects des méthodes du FORPE, en particulier pour ce qui est de la prise de notes par les évaluateurs et des pratiques d’évaluation en parlant notamment de l’avantage qu’on avait à disposer de caméras vidéos et de groupes de trois évaluateurs pour chaque simulation. Ces suggestions peuvent être valables et l’ASFC pourrait vouloir les examiner. Toutefois, ma tâche n’est pas de déterminer si le FORPE est le parfait programme ou s’il est à améliorer. Elle est uniquement de voir si la conception ou l’exécution de ce programme est discriminatoire.

M Durand, expert de l’intimée

[274] M. Durand, l’expert de l’intimée, est professeur agrégé à l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa depuis 2013. Il y enseigne aux cycles supérieurs et au premier cycle. Il a pour domaine d’enseignement l’organisation de la dotation en ressources humaines. Il a un cours sur la sélection au premier cycle et sur le travail d’équipe aux cycles supérieurs. Il a explicité la « sélection » comme le mode décisionnel permettant d’embaucher une personne dans un organisme. Dans son cours sur la dotation, il enseigne aussi ce qu’est la partialité et comment elle peut ou non peser comme facteur sur le processus de dotation. M. Durand est aussi conseiller en matière de procédures et de conception d’instruments dans ce même contexte de la sélection.

[275] M. Durand a déclaré que son centre d’intérêt particulier est ce qu’il appelle la « validité » des outils de sélection, là où on se demande si l’outil de sélection employé mesure bien ce qu’il est censé mesurer. Il est titulaire d’un doctorat en psychologie. Dans sa thèse de doctorat, il a mis l’accent sur la mesure des compétences, d’une part, et des exigences de l’emploi, d’autre part. Il s’est aussi employé à développer les mathématiques de l’appariement entre compétences et exigences professionnelles. Il a expliqué que sa discipline est celle de la « psychométrie » et que sa thèse de doctorat a consisté en une mesure de ces deux aspects.

[276] Au gouvernement du Canada, M. Durand a aussi travaillé au Centre de psychologie du personnel de la Commission de la fonction publique. Il y a fait fonctionner quelques centres d’évaluation en tant que psychologue. Il a témoigné que son rôle consistait à s’assurer que les évaluateurs s’en tiendraient à leurs instructions, qu’ils rédigeraient de bonnes notes, qu’ils auraient des échanges à des fins d’intégration et qu’ils produiraient de bons rapports. C’étaient là des éléments des Lignes directrices qu’il appliquait.

[277] Après avoir entendu les observations des parties et le témoignage de M. Durand sur ses compétences et après avoir examiné son curriculum vitæ et ses antécédents scolaires, son expérience professionnelle, ses articles et son enseignement, le Tribunal l’a admis à titre d’expert en psychologie industrielle et organisationnelle appelé à donner son avis spécialisé sur l’efficacité et la validité du processus d’évaluation du FORPE. Le plaignant a contesté ses compétences, mais j’ai eu la conviction qu’il satisfaisait aux exigences.

[278] Dans l’ensemble, on peut résumer son témoignage comme confirmant que le FORPE était bien conçu, notamment pour la formation des évaluateurs, que les simulations étaient très fidèles ou, en d’autres termes, conformes à la réalité, que le programme présentait une bonne mesure de normalisation et que, si la prise de notes par les évaluateurs aurait pu être meilleure, cette lacune n’entachait pas le FORPE outre mesure.

[279] L’intimée a consenti au retrait décidé des pages 36 à 39 inclusivement du rapport de M. Durand.

[280] M. Durand a structuré la section 6 de son rapport comme une réponse par paragraphes à l’exposé des précisions du plaignant. Voici, par exemple, son commentaire sur le paragraphe 48 de ce document : [traduction] « L’idée qu’un changement de place soit un indicateur de partialité culturelle n’est pas démontrée et n’a aucune incidence sur les évaluations autorisant à noter négativement le plaignant ou à le classer dans tout quadrant de la figure 1 au demeurant. »

[281] Le plaignant s’est opposé à cet élément et à d’autres aspects du rapport Durand parce qu’ils tendaient à avancer indûment des opinions et des conclusions juridiques. L’intimée a reconnu à l’audience que la section 6 de ce rapport aurait pu être meilleure si elle avait été formulée d’une autre manière, mais en faisant aussi valoir que l’essentiel de l’analyse de M. Durand portait sur des questions qui relèvent vraiment de sa compétence et que le Tribunal devait s’attacher au fond de la section 6 plutôt qu’à sa forme.

[282] J’estime que, même si on adopte cette optique, M. Durand a présenté à la section 6 des informations et des opinions qui débordent le cadre de ce qui est admissible comme avis d’expert. Ainsi, il a expliqué que des concepts comme « effet préjudiciable » et « traitement défavorable » sont des expressions américaines qui n’ont pas leur place dans les sources faisant autorité en psychologie, mais que ces mêmes expressions tiennent en réalité une place de premier choix dans le régime fédéral canadien des droits de la personne. Il s’est également exprimé sur des éléments de preuve qui, selon lui, manquaient dans l’exposé des précisions. Ce n’est pas là le rôle de l’expert et M. Durand confondait son mandat avec celui du Tribunal. De plus, dans de grands pans de la section 6, M. Durand s’est prononcé sur la « question ultime » devant le Tribunal. J’estime que ces défauts allaient trop loin et que, si je devais tenir compte de ce genre de témoignage, l’expert se trouverait à usurper le rôle du Tribunal comme juge des faits et décideur dans les questions de droit.

[283] Je n’accorde donc aucun poids à la section 6 du rapport de M. Durand.

[284] La section 8 (il n’y a pas de section 7) du rapport Durand présente diverses données empiriques sous forme de tableaux assortis d’explications. Les tableaux offrent des analyses de taux d’échec et de réussite selon le sexe et l’âge, ainsi que de taux globaux semblables pour divers groupes d’admission. Le plaignant a retiré l’âge comme motif illicite dans sa plainte en 2019 et n’a jamais allégué de discrimination fondée sur le sexe. M. Durand a expliqué qu’il considérait le sexe comme un substitut pour d’autres types de discrimination à cause des études qui posent que, là où il y a discrimination sexuelle, il est plus probable qu’il y ait en même temps d’autres motifs de distinction illicite. Au vu de la preuve présentée, je ne suis pas prête à faire ce saut. Il y avait aussi des tableaux plus généralisés détaillant les taux d’échec moyens et absolus pour une classe et/ou un groupe d’admission en particulier. Faute de lien établi avec les caractéristiques protégées dans la présente plainte, je ne prête aucun poids à cette information.

[285] Je n’accorde aucun poids non plus aux données empiriques de la section 8 et aux analyses statistiques qui en sont le pendant dans les annexes du rapport Durand.

[286] Mme Willis s’est dite d’avis dans son rapport que le fait que M. Itty ait été noté positivement pour les dix compétences dans une simulation comportementale D‑II, pour sept dans la deuxième et pour cinq dans la troisième montrait bien que les notes attribuées étaient trop dispersées et témoignaient d’un manque de [traduction] « fiabilité entre les évaluateurs », ce qui a de l’importance dans des centres d’évaluation.

[287] M. Durand a dit que, à son avis, le FORPE ne tenait pas expressément compte de cette « fiabilité entre les évaluateurs » et convenait qu’il serait idéal qu’il le fasse. Il a précisé que, si les observations des évaluateurs sont là pour faire voir la fréquence de certains comportements, il devrait être possible de comparer les évaluateurs pour cette fréquence. Selon lui, il existe un test statistique complexe qui vérifie la fiabilité entre évaluateurs. À ses yeux, la capacité d’un évaluateur et d’un autre à observer quelqu’un et à penser qu’il se débrouille bien serait l’indice que la fréquence d’observation est la même entre les deux. Par le rapprochement des fréquences d’observation, il serait possible de créer un test.

[288] Bien que la chose n’ait pas figuré dans son rapport, M. Durand a dit avoir calculé la fiabilité entre les évaluateurs dans la notation des simulations comportementales D‑II de M. Itty, et ce, tant par évaluateur que par compétence. Mme Fowler a fait réussir M. Itty pour 5 compétences sur 10, M. Phillips pour 7 et M. Zbitnoff pour 10. Selon M. Durand, on pouvait parler d’une similitude à 83 % pour la fiabilité entre les évaluateurs. À son avis, la méthode de description de ce 5, ce 7 et ce 10 sur 10 n’était donc pas assez précise.

[289] M. Durand pensait que le résultat était [traduction] « plutôt bon », puisque, dans l’ensemble, l’accord était de 83 % pour les notes attribuées à M. Itty. Selon lui, la fiabilité entre les évaluateurs poserait un problème si le pourcentage d’accord était de moins de 70 %.

[290] Les deux experts convenaient que la normalisation importe dans le processus des centres d’évaluation. M. Durand en discernait l’importance parce que plus un centre d’évaluation était normalisé dans ses processus, plus un candidat y vivait la même expérience que les autres. La normalisation aidait à atténuer les chances que des « facteurs étrangers » comme la race, la couleur ou l’origine ethnique viennent fausser l’appréciation du rendement d’un candidat. À son avis, le degré de normalisation du FORPE était très acceptable. Il en voulait pour exemple le fait que chaque recrue d’une classe soit évaluée dans chaque simulation par le même évaluateur et que toutes les recrues soient notées dans les simulations le même jour.

[291] M. Durand était également d’avis que la quantité d’information que le FORPE donnait aux recrues sur les tests de compétence et de simulation à subir et les autres aspects du programme signifiait que les recrues savaient à quoi s’attendre.

[292] Bien que je m’en sois remise d’une manière limitée au rapport écrit de M. Durand, je dois dire que, dans l’examen de l’ensemble de la preuve, j’ai tenu compte des opinions exprimées aux pages 1 à 21 de son rapport (plus particulièrement pour ce qu’il appelle la « fidélité », la « normalisation », les systèmes de notation des centres d’évaluation, etc.).

[293] J’ai trouvé que les pages 1 à 21 du rapport de M. Durand, la présentation en annexe des Lignes directrices de 2015 et le témoignage de cet expert étaient instructifs et plus objectifs et nuancés que le témoignage de Mme Willis. Celle‑ci avait plus [traduction] « d’expérience pratique » des centres d’évaluation, mais comme je l’ai mentionné, j’ai estimé que ses hypothèses sur d’importants aspects du FORPE menaient à des opinions gratuites. J’ai jugé que Mme Willis était très versée et s’exprimait bien dans la question de la prise de notes; son témoignage sur cette question, où elle offrait des exemples des différences entre notes d’observation et notes de conclusion, était clair et éclairant. Dans l’ensemble, j’ai préféré les opinions et le témoignage de M. Durand pour les raisons déjà exposées. M. Ducharme avait déclaré que les parties du FORPE que le Groupe Hay avait aidé à mettre au point comme les simulations prenaient les Lignes directrices de 2000 comme point de départ. Il a décrit les psychologues concepteurs de ces lignes directrices comme des [traduction] « psychométriciens experts ». Dans ses connaissances et le thème de sa thèse de doctorat, M. Durand valorisait la psychométrie, et c’était là un lien utile vers les Lignes directrices et une explication de la manière de juger de la validité des simulations du FORPE, là où elles mesuraient ce qu’elles étaient censées mesurer.

Crédibilité – M. Durand

[294] J’ai estimé que M. Durand était un témoin honnête et direct. Son témoignage sur les Lignes directrices, sur les concepts de fidélité, de normalisation et de systèmes de notation des centres d’évaluation et sur les aspects de la prise de notes par les évaluateurs s’est révélé fort utile. Il n’était pas sur la défensive et n’a pas éludé les questions lorsque son témoignage ou ses avis étaient contestés en contre-interrogatoire. Il a reconnu ne pas être un témoin expert d’expérience et je soupçonne qu’une partie des lacunes de son rapport pourrait découler d’un manque de compréhension du processus du Tribunal.

Conclusion sur l’évaluation

[295] Après avoir entendu les témoignages de M. Itty, de M. Ducharme, des trois évaluateurs et des experts et examiné la preuve documentaire, dont les rapports Willis et Durand et le rapport de réfutation de Mme Willis, je conclus que la preuve n’établit pas un lien entre la note globale d’échec aux simulations D‑II qu’avaient attribuée les évaluateurs à M. Itty, d’une part, et les caractéristiques protégées de la race, de la couleur ou de l’origine nationale ou ethnique, d’autre part.

[296] De même, ayant écouté le témoignage de M. Itty, de M. Ducharme, des évaluateurs et des experts et examiné la preuve documentaire, je conclus que la preuve n’établit pas selon la prépondérance des probabilités que l’ASFC ait assujetti M. Itty à une norme plus élevée que celle appliquée à ses costagiaires ne présentant pas ses caractéristiques protégées.

Séance de rétroaction récapitulative finale du plaignant

[297] La dernière situation où, selon ce qu’allègue M. Itty, il aurait été victime de discrimination au FORPE a été la séance où les candidats ont appris s’ils avaient réussi au programme. La preuve établit que, trois jours ouvrables après les simulations D‑II et les examens écrits, les candidats apprennent normalement s’ils ont réussi à l’étape D‑II et reçoivent de la rétroaction des évaluateurs dans ce qui s’appelle leur « séance de rétroaction récapitulative finale » (la « rétroaction finale »). Un administrateur dirige cette séance et tous les évaluateurs D‑II d’un candidat sont présents et disponibles pour donner de la rétroaction.

[298] Les évaluateurs donnent la rétroaction de vive voix et les candidats reçoivent et emportent leur rapport d’évaluation des simulations D‑II. Aucune recrue ne reçoit copie des livrets de notation des évaluateurs. L’administrateur du volet des tests leur communique les résultats de leurs examens écrits. Qu’un candidat réussisse ou non à l’étape D‑II, il reçoit dans chaque cas une rétroaction finale proprement dite. L’autre but est de donner de la rétroaction aux recrues sur les aspects à améliorer dans leur rendement.

[299] On demande aux recrues qui ont réussi de présenter leur rapport d’évaluation des simulations D‑II et la rétroaction reçue à leurs futurs superviseurs qui continueront à les encadrer. Le témoin de l’intimée, Patrick Gadoury, qui était l’administrateur du volet des examens écrits du FORPE, a déclaré que, au terme du compte rendu final pour une recrue ayant échoué, le stagiaire était avisé qu’il pouvait en appeler à la Commission de la fonction publique et qu’il pouvait aussi s’entretenir à Rigaud avec un représentant du Programme d’aide aux employés. Ensuite, deux instructeurs accompagnaient les recrues non retenues à leur chambre pour qu’elles y prennent leurs effets personnels, et ils les escortaient jusqu’à la réception et l’extérieur des locaux. M. Gadoury a signalé que l’ASFC convoyait tous les candidats non retenus de la même manière, le but étant de veiller à leur sécurité et de s’assurer qu’ils quittent les lieux.

[300] Personne ne conteste les présences lors de la rétroaction finale de M. Itty le 4 février 2009. Il s’agissait de MM. Gadoury, Phillips, Zbitnoff, Slee et Borgia et de Mme Fowler. Tous les gens présents ont témoigné sauf M. Slee.

[301] M. Itty a dit que M. Phillips, l’évaluateur principal, avait commencé par lire quelques paragraphes du rapport qu’il avait en main et où il était dit qu’il avait échoué au programme. M. Itty lui avait demandé de préciser pourquoi il avait échoué et M. Phillips avait renvoyé la question à Mme Fowler, qui avait parlé de la simulation qu’elle avait observée. Cependant, M. Gadoury a expliqué dans son témoignage que lui, en tant qu’administrateur, était là pour communiquer les notes globales de réussite ou d’échec aux candidats. M. Phillips et lui se rappelaient que c’était la façon dont la séance de M. Itty avait commencé.

[302] Mme Fowler avait dit à M. Itty qu’il aurait dû poser plus de questions de clarification à la simulation 4. M. Itty a raconté lui avoir alors dit : [traduction] « N’ai‑je pas posé toutes ces questions? », alors que, selon lui, elle [traduction] « se tenait juste assise là sans rien dire ». M. Itty prenait des notes jusqu’à ce moment.

[303] M. Gadoury se souvenait que, lorsque M. Phillips avait commencé sa rétroaction finale, M. Itty s’était prononcé contre les résultats et les raisons communiqués par celui‑ci en disant que les résultats n’étaient pas justes. Lorsque Mme Fowler a donné sa rétroaction, M. Itty s’est répandu en arguments et en objections contre elle au sujet de ses résultats dans la simulation notée par elle en disant qu’il n’était pas traité équitablement, que les résultats étaient injustes, qu’il n’était pas évalué en toute équité et qu’il intenterait des poursuites contre l’ASFC.

[304] M. Gadoury a indiqué que M. Itty parlait haut et fort. Il se rappelait que celui‑ci affirmait que l’intégrité de l’ASFC laissait à désirer.

[305] À un moment donné, M. Gadoury est intervenu dans la procédure en avertissant M. Itty que, s’il ne se montrait pas courtois et respectueux, la rétroaction finale prendrait fin. Selon son témoignage, M. Itty et Mme Fowler parlaient en même temps et il se sentait le devoir de [traduction] « faire en sorte que la séance de rétroaction finale se déroule dans le calme et d’une manière respectueuse ». Il a précisé ne pas avoir haussé le ton ni dit à M. Itty de se tenir tranquille. Il a décrit le compte rendu final de M. Itty comme [traduction] « différent de tout autre » parmi les plus de 10 séances finales de rétroaction auxquelles il avait été associé. Il a expliqué que le compte rendu finale n’est pas le lieu où la recrue accepte, rejette ou négocie ses notes de test, puisqu’il existe d’autres tribunes pour cela. Plus tard ce jour‑là, M. Gadoury a porté une note sur la rétroaction finale de M. Itty au dossier de celui‑ci dans le lecteur G. Cette note a été produite comme pièce à l’audience et je constate qu’elle s’accorde avec le témoignage de M. Gadoury et ceux des évaluateurs Fowler, Phillips et Zbitnoff.

[306] Le souvenir qu’en garde M. Itty est que M. Gadoury l’avait [traduction] « fait taire de la voix » en disant qu’il n’était pas censé poser ces questions et que, s’il continuait, il couperait court à la rétroaction finale.

[307] Tant M. Itty que Mme Fowler ont témoigné que Kevin Phillips était aussi intervenu pour dire à M. Itty de simplement déposer son crayon, de ne pas prendre de notes et d’écouter ce que lui disait Mme Fowler. M. Itty a déclaré s’être plié à [traduction] « l’ordre » de M. Phillips. Ce dernier ne se rappelait pas avoir dit cela.

[308] Le sentiment que M. Itty a déclaré avoir alors eu est que, pour aucune raison apparente, l’ASFC le laissait tomber. Il a ajouté que Patrick Gadoury, qui occupait un poste supérieur dans la fonction publique, l’avait « fait taire de la voix ». Personne dans la fonction publique ne lui avait jamais parlé de la sorte, [traduction] « d’une telle manière cruelle et humiliante ». Il avait l’impression que l’ASFC ne lui témoignait aucun respect. Il pensait qu’aucun Blanc n’aurait un tel traitement et se décrivait comme une [traduction] « proie facile ». Il a dit avoir été si désorienté après sa rétroaction finale qu’il s’était égaré en rentrant chez lui.

[309] Fernando Borgia a dit dans son témoignage qu’il savait qui avait échoué avant que ne commence la séance de rétroaction finale. Parfois, il était informé le matin même de la rétroaction finale. S’il avait été l’évaluateur d’une simulation, il aurait appris qui avait échoué à la réunion d’intégration. M. Borgia ne se rappelait pas quelle information il avait lorsqu’il était allé à la séance de rétroaction finale de M. Itty.

[310] Selon son témoignage, Fernando Borgia avait droit à des réactions différentes des candidats aux séances de rétroaction finales lorsqu’il leur disait qu’ils avaient échoué — parfois la situation était tendue et parfois c’était [traduction] « le contraire ».

[311] Il se rappelait que le compte rendu final de M. Itty avait commencé par l’expression d’une divergence entre M. Itty et les évaluateurs, signe que le compte rendu final s’engageait mal. M. Itty a eu toute possibilité d’écouter sa rétroaction. M. Borgia l’a décrit comme semblant contrarié, frustré et un peu bruyant, mais en disant que [traduction] « c’était à peu près tout ». Il se souvenait que M. Itty s’en était pris à la rétroaction de Mme Fowler et il le décrivait comme ennuyé ou contrarié par elle. Il se rappelait que M. Gadoury était intervenu, mais sans se remémorer en particulier ce qu’il avait dit ou s’il avait élevé la voix pour que M. Itty prête attention.

[312] Mme Fowler a caractérisé la réaction de M. Itty comme un état de colère lorsqu’il avait appris avoir reçu une note globale d’échec. Elle a déclaré que M. Gadoury avait dû demander à M. Itty de se calmer, sinon le compte rendu final prendrait fin. À son avis, ce compte rendu n’était pas productif, parce que M. Itty n’était pas réceptif à la rétroaction et s’opposait vivement à elle en particulier.

[313] Mme Fowler a mentionné que M. Itty s’était fait dire de ne pas prendre de notes parce qu’il n’était pas [traduction] « normal » que les candidats prennent des notes à la séance finale de compte rendu. La séance était conçue seulement pour donner un aperçu de ce que le candidat avait mal fait ou devait améliorer. Ce n’était pas une séance en bonne et due forme où on s’assoit et passe en revue tous les détails; le temps ne permettait pas de prendre des notes.

[314] M. Zbitnoff a confirmé avoir été présent au compte rendu final de M. Itty. Il se rappelait que lui, Mme Fowler, M. Phillips et Patrick Gadoury étaient dans la pièce avec M. Itty et que, en tant qu’évaluateur principal, M. Phillips avait communiqué les résultats des simulations au candidat. M. Itty, se souvenait‑il, était très en colère, contrarié, excité et bruyant. Poursuivant son témoignage, M. Zbitnoff a déclaré que M. Phillips et Mme Fowler avaient bien tenté de donner de la rétroaction au plaignant sur les évaluations qu’ils avaient notées. Il a décrit M. Itty comme peu disposé à écouter et comme voulant accaparer le temps de parole. À sa connaissance, M. Gadoury essayait de ramener le calme dans la pièce et de laisser libre cours à la rétroaction pour M. Itty sans largement y parvenir. Il a décrit le comportement de Mme Fowler et M. Phillips comme [traduction] « calme, professionnel, respectueux ».

[315] M. Gadoury [traduction] « ne croy[ait] pas » avoir dit à M. Itty de ne pas poser de questions; il voulait que M. Itty obtienne les réponses à ses questions. Il a mentionné que M. Itty avait demandé les notes des évaluateurs et pensait ne pas les avoir obtenues. Il avait reçu le formulaire de notation sommaire comme tous les autres candidats.

[316] J’accepte le témoignage de Mme Fowler et de M. Gadoury lorsqu’ils disent que M. Itty accusait l’ASFC de partialité et d’injustice, demandait les numéros d’insigne et évoquait des poursuites contre l’ASFC. M. Gadoury a déclaré que M. Itty s’était ainsi exprimé deux fois.

[317] Dans ses observations finales, le plaignant ne conteste pas qu’il ait été contrarié en apprenant qu’il avait échoué au FORPE. Il dit de la séance de compte rendu D‑II qu’elle [traduction] « devenait tendue et enflammée ».

[318] M. Itty soutient que les évaluateurs ne lui ont pas donné de réponses suffisantes et que, en particulier, Mme Fowler n’en avait eu aucune pour lui. La preuve ne corrobore pas cette observation. Selon les déclarations des témoins, les évaluateurs, y compris Mme Fowler, ont répondu aux questions de M. Itty, mais celui‑ci n’a pas accepté ce qu’il recevait comme réponses et disputait les réponses et les résultats. J’estime qu’il a obtenu des réponses, mais sans aimer ce qu’il recevait ni l’accepter.

[319] La majorité de ceux qui ont témoigné sur la séance finale de compte rendu ont noté que, pendant qu’il argumentait, M. Itty haussait le ton et était visiblement en colère. J’accepte ce témoignage. M. Gadoury dit s’être lui‑même prononcé contre le comportement de M. Itty non pas parce que celui‑ci posait des questions, mais à cause de la manière de le faire et de sa façon de s’attaquer à l’intégrité de l’ASFC.

[320] Je prends acte du fait que presque tous ceux qui ont témoigné sur la séance de compte rendu D‑II, y compris M. Itty, ont employé le terme [traduction] « contrarié » pour décrire en partie la réaction de celui‑ci à l’annonce de son échec au FORPE et à la rétroaction qu’il recevait et pour rendre compte de son comportement. Je juge compréhensible M. Itty ait été contrarié lorsqu’il a appris avoir échoué à l’étape D‑II.

[321] Je n’accepte pas le témoignage de M. Gadoury lorsqu’il affirme ne pas avoir élevé la voix lorsque M. Itty avait parlé haut et fort et ne s’était pas prêté initialement aux tentatives de M. Gadoury de rétablir la civilité et le respect dans ce compte rendu final. J’accepte la description que donne M. Zbitnoff de la réaction de M. Itty qui se montrait [traduction] « bruyant » et « très en colère » dans son comportement et qui [traduction] « accaparait le temps de parole ». Selon le témoignage de M. Zbitnoff, M. Gadoury avait tenté de ramener le calme dans les propos sans d’abord y parvenir. Selon le témoignage de M. Gadoury, il avait tenté de capter l’attention de M. Itty, mais sans y arriver au début parce que celui‑ci parlait à Mme Fowler. Il a dit que lui‑même était contrarié, non pas parce que M. Itty posait des questions, mais à cause de sa façon de le faire et de s’attaquer à l’intégrité de l’ASFC. Il ne serait pas logique que, dans les circonstances décrites par ces témoins, il n’ait pas élevé la voix au moins après le temps passé à tenter d’obtenir l’attention de M. Itty.

[322] Le plaignant soutient que, conformément à la Politique et directives sur le racisme et la discrimination raciale de la Commission ontarienne des droits de la personne, il ne faut pas s’attendre à ce que les victimes de discrimination raciale se tiennent coites; elles peuvent en effet réagir avec colère, se montrer agressives verbalement ou se répandre en accusations; les expériences de racisme en milieu de travail [traduction] « peuvent éveiller la colère et l’hostilité » et agir en général sur le tempérament de l’employé. Le plaignant mentionne la décision Campbell v. Vancouver Police Board (No. 4), 2019 BCHRT 75 [Campbell], au paragraphe 135, citant la décision Briggs v. Durham Regional Police Services, 2015 TDPO 1712, au paragraphe 235. On y défend l’idée qu’une tolérance raisonnable s’impose devant des réactions si fortes à des expériences profondément douloureuses et que de telles réactions [traduction] « ne doivent pas être à l’origine d’un traitement différentiel défavorable ».

[323] Je juge que la réaction de M. Itty, si elle est compréhensible dans un contexte où quelqu’un estime avoir été victime de discrimination, est à distinguer de la réaction évoquée dans la décision Campbell, puisque M. Itty n’a pas connu comme résultat ultérieur un traitement différentiel défavorable. Le compte rendu final a été mené à son terme et lui‑même a été escorté hors du centre de Rigaud comme toute autre recrue ayant échoué à l’étape D‑II.

[324] Je ne tiens pas pour fiable le témoignage de M. Itty lorsqu’il dit que Mme Fowler ne lui avait donné aucune réponse. D’après ce témoignage, celle‑ci lui avait dit qu’il posait des questions suggestives et ne répondait pas à certaines questions. Le témoignage de Mme Fowler et de M. Borgia a établi l’existence d’une [traduction] « divergence d’opinion » entre Mme Fowler et M. Itty. La première a aussi déclaré que M. Itty s’était [traduction] « particulièrement insurgé » contre ce qu’elle lui disait. Je préfère le témoignage de Mme Fowler et de M. Borgia à celui de M. Itty sur ce point. Ainsi, Mme Fowler aurait bel et bien tenté de dire à M. Itty pourquoi il avait échoué à la simulation 4, mais en voyant celui‑ci contester ce qu’elle disait et l’interrompre. En d’autres termes, il avait reçu des réponses d’elle, mais n’aimait pas ou rejetait ce qu’il entendait.

[325] Je conclus que la preuve a établi que, dans la séance finale de compte rendu de M. Itty, les évaluateurs ont tenté de répondre à ses questions sur le pourquoi de son échec aux simulations, mais qu’il refusait les réponses et les disputait. M. Gadoury a dit à M. Itty de se calmer, sinon il mettrait fin au compte rendu final; la séance a continué une fois que M. Itty a repris son calme.

[326] Après avoir examiné et soupesé l’ensemble de la preuve sur le compte rendu final de M. Itty, dont le témoignage sur son objectif et le témoignage de tous les participants sauf M. Slee, je conclus que M. Gadoury a élevé la voix devant M. Itty non à cause de la race, de la couleur ou de l’origine nationale ou ethnique, mais parce que celui‑ci était en proie à une réaction de colère au moment d’apprendre les résultats des simulations comportementales D‑II et parce que lui‑même tentait d’obtenir l’attention de M. Itty pour en revenir à l’objet du compte rendu final. M. Itty a eu notamment pour réaction d’argumenter haut et fort avec les évaluateurs qui prononçaient son échec, d’accuser l’ASFC et ces mêmes évaluateurs de partialité à son endroit et d’évoquer des poursuites contre l’ASFC. M. Gadoury a témoigné que ce qui l’avait dérangé n’était pas tant le fait que M. Itty ait posé des questions, mais plutôt sa manière de le faire et le fait qu’il se soit attaqué à l’intégrité de l’ASFC. Tous les éléments de preuve qui précèdent sur la séance finale de compte rendu établissent que l’ASFC n’a pas usé de discrimination contre M. Itty dans ce compte rendu final en raison de son origine nationale ou ethnique, de sa race ou de sa couleur.

[327] Mme Willis s’est dite d’avis que le FORPE n’appliquait pas un système de notation reconnu des centres d’évaluation parce que ce programme attribuait des notes par réussite ou échec dans l’évaluation des simulations. Toutefois, M. Durand a déclaré qu’un système de notation n’était pas meilleur qu’un autre — ils étaient seulement différents — et que chacun présentait ses avantages et ses inconvénients. Ainsi, le système de notation par réussite et échec du FORPE revenait plus facilement à la mémoire des évaluateurs dans une situation où ils pouvaient faire 16 évaluations par jour. En fait, 16 était le nombre d’évaluations de simulations D‑II que les divers évaluateurs avaient faites pour la classe de M. Itty.

[328] Fait intéressant, les deux experts convenaient que la partialité ne peut jamais être entièrement éliminée, mais que la formation des évaluateurs contribue dans une très large mesure à atténuer la partialité ou à la réduire le plus possible.

VIII. CONCLUSION

[329] La preuve a établi selon la prépondérance des probabilités que le programme FORPE n’a pas donné lieu à une sous-représentation des gens partageant les caractéristiques protégées de M. Itty. De nombreux témoignages d’experts et de profanes ont démontré que les évaluateurs sont convenablement formés et sensibilisés au risque de partialité dans leurs évaluations, mais que le programme est mené consciencieusement. Je n’admets pas que quelque situation décrite par M. Itty en classe ou en situation de test ait à voir avec sa race, sa couleur ou son origine ethnique ou nationale. On ne saurait parler de perfection pour chaque élément du FORPE ou de ses artisans, mais ce n’est pas ce que je dois décider. Je conclus que la preuve a permis d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que des lacunes du programme ou des préjugés des évaluateurs de M. Itty n’ont pas joué comme facteur dans son échec au FORPE.

[330] Pour les raisons qui précèdent, je conclus que le plaignant n’a pas fait la preuve prima facie d’une discrimination au sens de l’article 7a) de la Loi. La preuve n’établit pas non plus que, dans son Programme de formation des recrues pour les points d’entrée, l’ASFC se soit livrée à des pratiques ou à des politiques discriminatoires pour des motifs de distinction illicite fondés sur la race ou sur l’origine nationale ou ethnique, au sens de l’article 10 de la Loi.

IX. LA QUESTION DE LA PREUVE DE LA DESTRUCTION D’ÉLÉMENTS DE PREUVE

[331] Maintenant que j’ai traité des grandes questions de la présente affaire, je vais exposer mes conclusions sur une question de preuve soulevée par le plaignant. Celui‑ci a allégué qu’il y avait eu destruction d’éléments de preuve quand l’ASFC avait détruit les notes manuscrites des évaluateurs sur le rendement des costagiaires ayant réussi aux simulations D-II (les « formulaires d’évaluation » ou « formulaires de notation »). C’est ainsi que M. Itty a fait valoir que le Tribunal devait tirer une conclusion défavorable du contenu de preuve détruit. Plus précisément, il maintient que le Tribunal devait en déduire que les formulaires d’évaluation détruits auraient appuyé sa position selon laquelle l’ASFC avait usé de discrimination à son endroit en l’assujettissant à une norme plus élevée que celle appliquée aux autres membres de la classe A‑236.

[332] L’ASFC ne nie pas avoir détruit les dossiers des costagiaires de M. Itty qui avaient réussi ou échoué. Ces dossiers comprenaient les formulaires d’évaluation renfermant les observations manuscrites des évaluateurs sur leurs simulations, les scripts en fin de simulation avec les réponses de la main de ces mêmes évaluateurs et les feuilles de notation de toutes les simulations comportementales et organisationnelles D‑I et D‑II. L’ASFC affirme avoir agi selon sa politique de conservation et d’élimination des documents et n’avoir été animée d’aucun autre motif. Elle fait valoir que la destruction ne visait nullement à influer sur le litige en cours.

[333] La doctrine de la destruction de la preuve se définit ainsi dans le Black’s Law Dictionary : « [traduction] “la destruction, l’amputation, l’altération ou la dissimulation intentionnelles d’éléments de preuve […] Si elle est avérée, la destruction d’éléments de preuve peut être invoquée pour établir que la preuve était défavorable à la partie qui en est responsable » (Bryan A. Gamer, éd., Black’s Law Dictionary, 11e éd. (Thomson Reuters, 2019) sous l’entrée « spoliation » [« destruction d’éléments de preuve »]). L’arrêt de principe sur la question de la destruction d’éléments de preuve a été rendu par la Cour d’appel de l’Alberta : McDougall v. Black & Decker Canada Inc., 2008 ABCA 353 (CanLII) [McDougall CA]; dans cette affaire, la destruction d’éléments de preuve a été plaidée comme un délit. Or, les concepts principaux demeurent applicables aux procédures administratives plaidées en preuve comme en l’espèce (voir la décision Peters c. United Parcel Service Canada Ltd. et Gordon, 2022 TCDP 25, au par. 116). Dans l’arrêt McDougall, la Cour a dit :

[traduction] En droit, le délit de destruction d’éléments de preuve ne découle pas du simple fait que les éléments de preuve ont été détruits. Ce délit implique qu’une partie ait détruit intentionnellement des éléments de preuve pertinents à un litige, en cours ou envisagé, dans des circonstances où il est raisonnable de croire que cette destruction visait à influer sur le litige en question. Une fois que le caractère intentionnel a été démontré, il naît une présomption selon laquelle l’élément de preuve détruit aurait nui à la cause de la partie qui l’a detruit. Toutefois, le prétendu destructeur peut réfuter cette présomption en présentant d’autres éléments de preuve pour démontrer que sa conduite, bien de qu’intentionnelle, ne visait pas à avoir une incidence sur le litige, ou encore que sa cause est bien fondée ou que celle de son adversaire de l’est pas.

[335] Au sens de l’arrêt McDougall, pour que M. Itty réussisse à prouver qu’il y a eu destruction d’éléments de preuve dans la présente affaire et que les notes des évaluateurs auraient nui à la cause de l’ASFC, il devrait établir selon la prépondérance des probabilités :

a) que la preuve qui a été détruite était pertinente;

b) qu’elle a été détruite intentionnellement;

c) qu’un litige était envisagé ou en cours au moment de la destruction des éléments de preuve;

d) qu’il est raisonnable de déduire que la preuve a été détruite en vue d’influer sur l’issue de l’affaire.

a) La preuve détruite était‑elle pertinente?

[336] La preuve a établi que M. Itty était la seule recrue de la classe A‑236 qui ait échoué aux simulations comportementales D‑II. Selon l’une des allégations formulées par M. Itty, les évaluateurs des simulations D‑II qui lui avaient attribué une note globale d’échec lui avaient imposé une norme plus élevée que celle appliquée à ses costagiaires qui n’avaient pas la même race que lui, ni la même couleur, ni la même origine nationale ou ethnique.

[337] Je conclus que les formulaires détruits d’évaluation D‑II des costagiaires de M. Itty étaient pertinents quant à l’allégation relatve à l’imposition d’une norme plus élevée parce qu’il faut foncièrement, pour établir le bien-fondé d’une allégation, comparer comment les évaluateurs ont noté M. Itty et ses camarades de classe. J’estime qu’il est plus probable qu’improbable que les formulaires de notation D‑II aient ajouté des détails utiles à des fins comparatives, ce qui en faisait une preuve pertinente.

b) La preuve a‑t‑elle été détruite intentionnellement?

[338] La position de l’intimée est qu’elle a détruit les dossiers des costagiaires de M. Itty conformément aux politiques applicables de conservation et de destruction de documents et qu’elle n’a pas procédé intentionnellement à cette destruction afin d’influer sur l’instruction de la plainte.

[339] La témoin de l’intimée, Annie Roy, a dirigé la réponse de l’ASFC à l’ordonnance de divulgation de 2019. Elle a consulté Nathalie Lavoie, superviseure de l’équipe du Soutien administratif, Sylvie Mainville, une préposée aux archives, d’autres préposés à l’archivage de l’ASFC, la bibliothécaire de Bibliothèque et Archives Canada (Archives Canada) et les Relations de travail de l’ASFC. J’accepte le témoignage de Mme Roy selon lequel, cumulativement, elle et les employés de l’ASFC l’ayant aidée à trouver des renseignements sur les documents détruits avaient chacun consacré approximativement de sept à dix jours à cette recherche au prix d’efforts [traduction] « soutenus ».

[340] Mme Roy a témoigné sur les politiques de conservation et de destruction de documents de l’ASFC en général et en ce qui concerne les dossiers du FORPE, dont ceux de M. Itty et de ses costagiaires. Elle travaille à l’ASFC depuis 2001. En 2008‑2009, elle était superviseure du groupe des tactiques de défense du FORPE pendant la participation de M. Itty. Elle ne se souvenait pas avoir eu une interaction avec celui‑ci dans le programme FORPE.

[341] J’ai estimé que Mme Roy était une témoin digne de foi, directe et honnête. J’ai eu l’impression qu’elle n’avait pas l’intention cachée de montrer sous son meilleur jour la destruction des documents.

[342] Je conclus également qu’elle a pris au sérieux sa tâche de responsable de la recherche de documents par l’ASFC en application de l’ordonnance de divulgation de 2019 et que sa recherche a été approfondie et consciencieuse. Elle s’est familiarisée avec certains documents pour être sûre de bien tout comprendre et elle a consulté divers membres du personnel de l’ASFC pour s’enquérir de la communication de documents en particulier et de l’application des politiques de consultation et de destruction. Ces consultations ont notamment consisté en discussions en personne et en examens documentaires avec Nathalie Lavoie et Sylvie Mainville, qui avaient créé deux documents utiles joints aux dossiers de l’ASFC en question lorsqu’ils avaient été expédiés à Archives Canada. Mme Roy s’est également entretenue avec les Relations de travail. Elle a fouillé et fait fouiller dans les dossiers électroniques de l’ASFC. Lorsqu’il y avait ce qu’elle appelle des [traduction] « liens manquants », elle cherchait plus avant des documents ou des personnes pour les expliquer. Elle ne trouvait pas toujours de réponses ni de documents, mais la preuve a établi qu’elle avait cherché avec diligence et demandé au personnel de chercher aussi.

[343] J’ai tenu compte du fait que des parties du témoignage de Mme Roy relevaient du ouï‑dire. L’alinéa 50(3)c) de la Loi permet au Tribunal de recevoir des éléments de preuve indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire; la jurisprudence confirme que cela comprend le ouï‑dire. Les arguments du plaignant sur le ouï‑dire dans le témoignage de Mme Roy concernent le poids à y accorder, et non son admissibilité. J’ai traité du ouï‑dire dans son témoignage en évaluant s’il y avait une preuve documentaire à l’appui, puis en décidant du poids à y prêter.

[344] Mme Roy a déclaré qu’il y avait deux politiques pour diriger l’ASFC dans les questions de conservation et de destruction de documents. La première est l’Autorisation de disposition pluri-institutionnelle no 98/005 des Archives nationales du Canada (la « première autorisation d’élimination de documents »), qui se présente en grande partie sous forme de tableau. Elle autorise l’ASFC à éliminer les documents de ressources humaines à l’expiration des délais prescrits de conservation (les « délais de conservation ») qu’indique ce tableau.

[345] Mme Roy a expliqué ce qu’était le cours ordinaire d’une mesure de dotation de « routine ». Cette « routine » était celle des dossiers des candidats qui réussissaient au FORPE. Une mesure de dotation de « politique » ne suivait pas ce cours ordinaire : une recrue se retirait, échouait ou quittait autrement le processus de dotation. Le délai de conservation des documents de « routine » (des candidats ayant réussi) est de deux ans à compter de la date à laquelle le candidat signait la lettre d’offre de l’ASFC; le délai de conservation des documents de « politique » (des candidats n’ayant pas réussi) est de cinq ans à compter de la date de promotion de la classe du candidat non retenu. L’exception est un appel, une procédure judiciaire ou une autre question au dossier, auquel cas le dossier est conservé encore cinq ans après le règlement du litige ou de cette autre question.

[346] Mme Roy a aussi déclaré que, une fois que l’ASFC apprend qu’une procédure judiciaire est engagée dans un dossier, elle conserve tous les documents relatifs au plaignant dans le dossier pendant cinq ans après le règlement en justice. Elle aurait appris qu’une procédure judiciaire avait débuté en s’adressant aux Relations de travail pour des documents. Elle était au courant d’autres affaires où des candidats non retenus avaient contesté leurs résultats devant le Tribunal.

[347] La promotion de la classe A‑236 de M. Itty a eu lieu le 5 février 2009. Dans l’application des délais de conservation de l’Autorisation de disposition pluri-institutionnelle, le 5 février 2011 était la date la plus hâtive d’élimination des dossiers des candidats retenus de la classe A‑236. La date correspondante pour les candidats non retenus de cette classe était le 5 février 2014. Mme Roy a dit que, en 2013, le vice-président de l’ASFC aux Ressources humaines avait mis à jour la première autorisation d’élimination de documents, c’est‑à‑dire l’« Autorisation de disposition pluri-institutionnelle » (la « nouvelle autorisation d’élimination de documents »). Mme Roy la connaissait bien. Elle a expliqué qu’elle se serait appliquée aux candidats non retenus de la classe de M. Itty et qu’elle ne changeait rien à la période de cinq ans de conservation des dossiers en question.

[348] L’ASFC a entreposé dans des boîtes les dossiers des candidats retenus du FORPE à Rigaud pendant un certain temps pour s’assurer qu’ils étaient complets. Lorsqu’elle a été persuadée que les dossiers étaient complets et que les boîtes suffisaient, elle a envoyé le tout à Archives Canada, organisme responsable de la destruction des dossiers des candidats retenus.

[349] La pièce A5‑18 est un tableau de l’ASFC que Mme Roy a qualifié de [traduction] « registre évolutif » que l’ASFC pouvait mettre à jour au gré des mesures prises dans les dossiers, et ce, jusqu’à la destruction des documents inclusivement. Le registre évolutif se rapporte aux dossiers des candidats retenus des classes du FORPE entre le 15 septembre 2008 et le 5 février 2009. Ceux‑ci étaient tous dans le groupe d’admission 68 et la classe A‑236. C’est là un document interne créé par et pour le Soutien administratif. En examinant le registre, Mme Roy avait pu établir qu’il y avait deux boîtes pour la classe A‑236, soit le boîtes 6823 et 6824.

[350] La date de destruction indiquée pour le contenu de ces boîtes est le 1er mars 2011, jour que Mme Roy a décrit comme la date la plus hâtive de destruction proposée en application de la première autorisation d’élimination de documents. Sous la rubrique [traduction] « Expédié aux Archives ou date de destruction », elle a expliqué que la mention en français « envoyé pour destruction 31 mars 2011 » signifiait que les boîtes de la classe A‑236 avaient été envoyées toutes deux à l’interne à Archives Canada en vue de leur destruction le 31 mars 2011. Elle a précisé que cela voulait dire qu’Archives Canada aurait demandé à l’ASFC si elle pouvait détruire les documents de ces boîtes et que l’ASFC aurait réitéré son consentement. Archives Canada aurait à son tour confirmé par la suite cette destruction le 31 mars 2011 et l’ASFC aurait porté cette indication au registre évolutif.

[351] L’ASFC a joint un rapport de prévisions d’acquisition (le « rapport d’acquisition ») à la palette des boîtes expédiées à Archives Canada. Ce document contenait un tableau indiquant à Archives Canada quand elle pourrait détruire les dossiers des boîtes numérotées.

[352] Voici les indications portées à la page 2 du rapport d’acquisition : (i) les numéros de boîte vont de 6801 à 6828; (ii) le contenu consiste en [traduction] « dossiers des diplômés des groupes d’admission 67 et 68 ». S’ajoutaient comme mentions (iii) les délais de conservation et (iv) la date d’élimination, c’est‑à‑dire la date à laquelle Archives Canada pourrait détruire le contenu des boîtes. Mme Roy a indiqué que les boîtes 6801 à 6828 comprenaient les boîtes 6823 et 6824 renfermant les dossiers des costagiaires retenus de M. Itty. La date d’élimination, « 03 2011 », signifiait qu’Archives Canada pouvait détruire les documents en mars 2011 en étant sûre que cette destruction intervenait au moins deux ans après la date de promotion de la classe A‑236, soit le 5 février 2009.

[353] Mme Roy a déclaré que l’ASFC avait pour pratique de ne pas consulter les Relations de travail au sujet de la destruction des dossiers des candidats retenus.

[354] Mme Mainville a créé la pièce A5‑19, autre tableau aux mêmes rubriques que celui du registre évolutif. Je l’appellerai le [traduction] « registre d’expédition ». Mme Mainville l’a aussi joint à l’envoi des boîtes. Dans ce cas, la date de destruction est le 1er juillet 2011. Mme Roy a mentionné que le registre d’expédition avait été créé le 28 mai 2009 en même temps que le rapport d’acquisition et avait été modifié la dernière fois le 29 juin 2009. Il procurait à Archives Canada une liste détaillée de tout le contenu des boîtes expédiées. Il indiquait les numéros de boîte, les groupes d’admission et les candidats retenus dans ces groupes; il était modifié au gré des mesures qui étaient prises. Les boîtes 6823 et 6824 figurent au registre d’expédition. Mme Roy a demandé à Mme Mainville pourquoi elle avait changé sa date de destruction pour le 1er juillet 2011. Celle‑ci a dit que [traduction] « la question ne se posait pas vraiment », puisque le registre d’expédition donnait seulement la liste des noms des candidats dont les dossiers étaient dans les boîtes au cas où l’ASFC devrait revenir à Archives Canada en ayant une raison de récupérer un dossier. Le 1er juillet 2009 était la date d’expédition effective des boîtes à Archives Canada, comme il était indiqué, et Mme Mainville avait alors fixé une date de destruction postérieure de deux ans à la date d’expédition, à savoir le 1er juillet 2011.

[355] Dans le cadre de son examen, Mme Roy a vu que, à l’approche de la date d’élimination, un ancien employé d’Archives Canada, R. Sawyer, enverrait une télécopie ou un courriel à l’ASFC pour qu’elle confirme à nouveau qu’Archives Canada pouvait détruire les dossiers. Mme Roy s’était enquise auprès d’Archives Canada des courriels ou des télécopies de M. Sawyer, mais l’organisme n’en avait repéré aucun à la date de son témoignage. En preuve, il n’y avait ni télécopies ni courriels de réponse d’ASFC à Sawyer.

[356] J’ai examiné le registre évolutif et l’ai soigneusement comparé au registre d’expédition. Ils portent les mêmes numéros de boîte, c’est‑à‑dire les mêmes numéros de pièce, de cours et de classe avec les dates de classe, et ils comprennent le groupe d’admission 68.

[357] Je remarque que, selon le registre évolutif, les dossiers des costagiaires retenus de M. Itty ont été détruits le 31 mars 2011.

[358] Il a été demandé à Mme Roy si elle aurait eu connaissance que, quelque part avant 2011, Rigaud avait été informé de la plainte. Elle a répondu : [traduction] « [N]ous savions qu’il y avait déjà eu des mouvements dans le dossier, à commencer par une demande d’AIPRP en 2009 », de sorte que Rigaud aurait conservé le dossier de M. Itty plus longtemps de toute manière. Elle a précisé que la plainte serait passée par la [traduction] « filière » à Rigaud, lequel aurait eu la lettre du 24 mars 2010 de la Commission à l’ASFC, mais qu’elle ne pouvait attester quand Rigaud avait reçu le document.

[359] En ce qui concerne l’avis donné par la Commission dans sa lettre que les parties étaient [traduction] « tenues de conserver tout document relatif aux allégations de la plainte, dont l’information sous forme électronique, jusqu’au règlement final de l’affaire », Mme Roy a déclaré que le Soutien administratif aurait conservé toute information relative à M. Itty plus longtemps jusqu’au règlement du litige. Il reste que le Soutien administratif n’aurait pas examiné les allégations de la plainte ni jugé des documents à conserver parce que tel n’était pas son mandat. Cette détermination devait venir des Relations de travail ou des gens s’occupant du litige.

Lettre de mai 2011 de l’enquêteur de la Commission et réponse de l’ASFC

[360] Le Tribunal n’a pas pour pratique à une audience d’admettre beaucoup d’éléments de preuve, s’il en admet, au sujet d’un processus de plainte pendant que celle‑ci est instruite par la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission »). Une des raisons en est que le Tribunal instruit la plainte de novo dans un nouveau départ sans tenir compte des rapports ni d’autres éléments de preuve de la Commission. Ajoutons que les témoignages ne se font pas sous serment. Cependant, le plaignant a soulevé la question de la preuve de la destruction d’éléments de preuve, aussi est‑il nécessaire que le Tribunal évalue la preuve sur certains éléments de l’interaction de la Commission et de l’ASFC sur les documents.

[361] Le 19 mai 2011, l’enquêteur de la Commission a écrit à Rachel Stanford, des Relations de travail de l’ASFC, pour lui demander des renseignements et des documents sur la plainte. Les deux demandes les plus importantes sont les suivantes :

[traduction] « [L]e dossier du concours concernant tous les candidats ayant participé au processus DP‑II »;

[traduction] « […] toutes les notes relatives au plaignant et aux autres demandeurs avec indication de ceux qui ont réussi à ce niveau […] »

[364] Le 24 mai 2011, Mme Stanford a envoyé à Helene Helde, administratrice nationale de la formation par intérim à Rigaud, un courriel où il lui demandait de l’aider à répondre à la lettre de l’enquêteur de la Commission. Le 25 mai 2011, Mme Helde écrivait des questions et quelques réponses en rouge directement sur la lettre de l’enquêteur de la Commission et Mme Stanford répondait en noir aux questions auxquelles elle pouvait répondre (la « lettre annotée de l’enquêteur de la Commission).

[365] Mme Helde s’enquérait par ses questions de l’étendue de la demande de la Commission en voulant savoir si elle désirait [traduction] « toutes les feuilles de rétroaction de la pratique, tous les examens et tous les tests de simulation », ce à quoi Mme Stanford a répondu [traduction] « Oui, mais seulement de son groupe ». Mme Helde a demandé si la Commission voulait les mêmes documents ou seulement les rapports de notation des « autres demandeurs » et Mme Stanford a répondu [traduction] « Même chose ». Dans son courriel d’accompagnement du 24 mai 2011, Mme Helde disait aussi poser ses questions [traduction] « pour pouvoir répondre correctement à la demande » et parce que [traduction] « [P]lus particulièrement pour les dossiers, cela représente beaucoup de travail et de papier ».

[366] Dans une lettre de décision sur requête datée du 11 février 2020, j’ai admis en preuve la lettre annotée de l’enquêteur de la Commission. Bien qu’il se soit agi à l’origine d’une lettre de la Commission, le Tribunal a pris acte du fait qu’une question de destruction d’éléments de preuve se posait et que la lettre de l’enquêteur concernait cette question : l’envoi comportait une demande des résultats de l’évaluation des costagiaires du plaignant. Ces documents présentent de l’intérêt pour une allégation de destruction d’éléments de preuve. J’ai aussi jugé que, une fois que Mme Helde et Mme Stanford portaient des commentaires écrits sur la lettre de l’enquêteur de la Commission, ce document devenait alors plus qu’un document de la Commission, il en était aussi un de l’intimée.

[367] Mme Roy a déclaré le 25 novembre 2019 qu’elle avait vu la chose, qu’elle n’avait pas le document avec elle et qu’elle n’en avait pas parlé à Mme Helde. La décision sur requête autorisait l’intimée à rappeler Mme Roy ou un autre témoin pour parler de la lettre annotée de l’enquêteur de la Commission, ce qui remédiait à tout préjudice éventuel pour l’intimée puisque Mme Roy n’avait pas eu la possibilité de témoigner sur la lettre.

[368] Le 13 juin 2011, Guy Cormier, alors gestionnaire de l’équipe des tests à Rigaud, envoyait deux notes de service à Rachel Stanford. Par souci de commodité et sans préjuger de l’ordre des documents, je parlerai de la pièce A5‑23 comme la « première note de service de juin 2011 de M. Cormier » et de la pièce A5‑24 comme la « seconde note de service de juin 2011 de M. Cormier ».

[369] L’« objet » de la première note de service de juin 2011 était [traduction] « ITTY, Johnson ». Les pièces jointes étaient : [traduction] « manuel FORPE; objectif de test FORPE; feuille de rétroaction D2; rapport écrit d’évaluation des simulations D2; sommaire avant FORPE; processus de test; restriction de temps de 2 ans; aperçu du FORPE ».

[370] Dans sa recherche à l’été 2019, Mme Roy a trouvé la seconde note de service de juin 2011 de M. Cormier dans le dossier de M. Itty. Le document venait de l’équipe des tests qui faisait le suivi de tout mouvement au dossier. Cette note avec les pièces jointes est toujours au dossier de M. Itty.

[371] La seconde note de service de juin 2011 de M. Cormier a comme pièces jointes les [traduction] « dossiers d’évaluation pour les examens écrits et les simulations des recrues de la classe ». À la question de savoir si cela indiquerait que les formulaires d’évaluation des divers candidats existaient toujours en juin 2011, Mme Roy a répondu que les [traduction] « dossiers d’évaluation » auxquels M. Cormier faisait référence étaient les versions électroniques que l’ASFC conservait, et non les notes d’observation originales. Mme Roy n’en avait pas parlé à M. Cormier, mais elle savait ce qu’était la référence aux « dossiers d’évaluation » parce qu’elle avait reçu les versions avec les noms expurgés, des avocats de l’ASFC, lesquels les avaient eux-mêmes reçues des Relations de travail. Mme Roy a fait les recoupements entre les versions aux noms expurgés joints à la seconde note de service de juin 2011 de M. Cormier et les versions électroniques non caviardées des autres candidats de la classe de M. Itty pour constater que les documents joints à la note de service étaient les mêmes sauf pour les noms cette fois expurgés.

[372] Le dossier de Rigaud contenait seulement la seconde note de service de juin 2011 de M. Cormier sans les pièces jointes.

[373] Mme Roy a précisé ce qu’était chaque pièce jointe dans cette seconde note de service. En ce qui a trait à la destruction des formulaires d’évaluation décrits par M. Cormier comme [traduction] « dossiers d’évaluation pour les examens écrits et les simulations des recrues de la classe (prière d’expurger les noms pour permettre la communication de l’information) », Mme Roy a précisé que c’étaient là les versions électroniques non caviardées des rapports d’évaluation des simulations D‑II des costagiaires du plaignant. Elle a ajouté que la seconde note de juin 2011 de M. Cormier avait été remise aux avocats en 2012 avec les rapports d’évaluation électroniques non caviardés. Elle a dit en ignorer la date précise de réception par les avocats.

[374] La compréhension qu’avait Mme Roy des pièces jointes de la seconde note de juin 2011 de M. Cormier était en partie fondée sur les documents que lui avaient remis les avocats, ainsi que sur son entretien d’août 2019 avec Nathalie Lavoie. Elle avait demandé à Mme Lavoie de passer les pièces en revue avec elle, bien qu’ayant compris la nomenclature ou [traduction] « l’appellation » des documents.

[375] Mme Lavoie a aussi exposé à Mme Roy la politique adoptée par l’ASFC pour répondre à une demande de documents, notamment à une demande relevant de la Loi sur la protection des renseignements personnels : si le nom cité en objet était « Johnson Itty » par exemple, l’ASFC procurait tous les documents relatifs à Johnson Itty; si la demande ne mentionnait pas expressément une autre personne, elle fournissait seulement les documents pour la personne désignée, en l’occurrence M. Itty.

[376] Mme Roy a mentionné que M. Cormier avait demandé à Mme Stanford d’expurger les noms dans les dernières pièces jointes à sa seconde note de service de juin 2011, parce qu’il s’agissait là de renseignements personnels sur d’autres candidats à un processus de sélection hors de tout rapport avec M. Itty.

[377] À la pièce R1-4, il y a deux groupes de pièces jointes, mais les noms des recrues y sont expurgés : le premier groupe est constitué des [traduction] « résultats des examens écrits de connaissances de l’étape de détermination II pour 15 camarades de classe de M. Itty avec les résultats de tests de deux candidats ayant échoué ». Le second groupe est constitué des rapports dactylographiés des évaluations des simulations D‑II des 15 camarades de classe, qui tous ont réussi aux simulations comportementales D‑II.

[378] Je juge donc que Mme Roy a témoigné sans erreur sur ce que M. Cormier entendait par « dossiers d’évaluation pour les examens écrits et les simulations des recrues de la classe » dans sa seconde note de service de juin 2011. Je conclus aussi que la demande par M. Cormier d’expurger les noms établit que les rapports d’évaluation des simulations D‑II qu’il avait joints étaient les versions électroniques non caviardées.

[379] Personne ne conteste que les documents joints à la seconde note de juin 2011 de M. Cormier aient existé en juin 2011.

[380] La preuve démontre que l’ASFC a demandé à Archives Canada de détruire les formulaires d’évaluation des deuxième, troisième et quatrième simulations D‑II des candidats retenus de la classe A‑236 du plaignant le 31 mars 2011.

[381] Le 24 avril 2012, la Commission renvoyait la plainte au Tribunal. Le plaignant a déposé son exposé des précisions le 31 janvier 2013. Le 17 mai de la même année, l’intimée déposait une requête d’ordonnance de confidentialité pour certains documents, et s’ensuivait la première ordonnance de confidentialité (Itty c. Agence des services frontaliers du Canada, 2013 TCDP 34 (CanLII).

[382] Le 13 juin 2013, C. McLaughlin, des Relations de travail, envoyait un courriel à Mme Roy pour lui demander de faire tenir à qui de droit la dernière demande de documents du représentant de M. Itty. Ce courriel disait que l’ASFC avait déjà dit au représentant avoir détruit les [traduction] « dossiers d’intégration » de M. Itty en 2011 [traduction] « […] conformément à la politique du gouvernement ».

[383] Ce courriel disait aussi que C. McLaughlin avait une des notes de service de juin 2011 de M. Cormier dans son dossier. Mme Roy a déclaré que le courriel en question énumérait tous les documents joints à la note de service de M. Cormier. La description que donne Mme McLaughlin de la liste des pièces jointes à la note de M. Cormier qu’elle avait et le témoignage de Mme Roy établissent ensemble que Mme McLaughlin faisait référence à la seconde note de service de juin 2011 de M. Cormier; [traduction] « Il semblerait que cela n’a pas été détruit en mars 2011; nous avons reçu des copies complètes […], etc. Elles ont été caviardées ici — nous demandons les copies intactes ». Mme McLaughlin a écrit que [traduction] « nous avons à les fournir dans le cadre de cette divulgation. Nous devons être absolument sûrs qu’ils n’existent pas ».

[384] En réponse au courriel de Mme McLaughlin, Pascale Trachy, administratrice de l’équipe des tests, lui écrivait par courriel en juin 2013 : [traduction] « Je peux en effet confirmer, etc., que les notes personnelles des évaluateurs ont été détruites. Les documents du groupe d’admission 68 ont été détruits le 31 mars 2011, mais tous les dossiers relatifs aux recrues qui n’ont pas réussi ont encore à être détruits. » Mme Roy a témoigné que Mme Trachy aurait obtenu cette information du Soutien administratif qui se serait reporté au registre évolutif.

[385] Dans le même courriel, Mme Trachy répondait aussi à la demande de renseignements du représentant de M. Itty sur une autre recrue ayant échoué au FORPE. Elle a indiqué que cette recrue faisait partie du groupe d’admission 69, qu’elle avait échoué aux simulations D‑II le 31 mars 2009 et que les dossiers des recrues ayant réussi dans ce même groupe avaient été détruits le 5 juillet 2011, mais que ceux des recrues non retenues étaient toujours là.

[386] À mon avis, cette preuve documentaire confirme le témoignage de Mme Roy et les deux établissent selon la prépondérance des probabilités que la date de destruction des dossiers des costagiaires retenus de M. Itty a été le 31 mars 2011, presque deux mois avant que l’ASFC ne reçoive de la Commission la demande des dossiers de toutes les recrues, et non du seul M. Itty.

[387] Les parties citent un courriel du 1er juin 2011 de Nathalie Lavoie à Mme Stanford : [traduction] « Je dois vous informer que, vérification faite, tous les dossiers pour ce groupe d’admission ont été détruits en mars 2011. Pour les recrues qui ont réussi, les dossiers sont conservés deux ans, puis détruits par les Archives nationales. » Au dire de l’intimée, ce courriel indique que Mme Lavoie supposait à tort que la demande de la Commission visait seulement les dossiers des candidats retenus de la classe du plaignant, bien que les dossiers des candidats non retenus aient été encore disponibles à cette date. L’intimée parle dans ce cas d’une [traduction] « erreur honnête » qui s’est répercutée sur l’avenir lorsqu’une demande a été adressée aux Relations de travail en février 2014 au sujet de la destruction des dossiers des candidats non retenus. Les Relations de travail ont dit que ces dossiers pouvaient être détruits, supposant par erreur que tous les documents utiles avaient déjà été produits.

[388] J’y vois un autre signe du défaut de saisir la nuance de la plainte de M. Itty. Dans sa plainte initiale de 2010, celui‑ci employait une formulation comme [traduction] « assujetti à une norme plus élevée que celle » appliquée aux autres recrues. J’estime raisonnable de supposer que quelqu’un quelque part aurait dû comprendre à l’époque que tous les autres dossiers seraient utiles. Je peux néanmoins comprendre pourquoi la chose s’est produite. Le point de mire est qui avait réussi au FORPE dans l’ensemble, et non qui avait échoué, mais en ayant quand même réussi aux simulations. J’y vois pour ma part une erreur honnête, mais malheureuse.

[389] Que l’ASFC, au moment où M. Itty a présenté sa demande de documents en 2009 en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, ait gardé tout son dossier, dont les formulaires de notation des simulations D‑II des évaluateurs, et ait continué à le faire, mais sans garder aucun des dossiers sur papier de ses costagiaires retenus est conforme à ce que Mme Roy a rapporté des propos de Mme Lavoie : l’ASFC conservait les seuls dossiers des personnes expressément nommées dans toute demande de documents au‑delà des délais de conservation prescrits par l’autorisation d’élimination de dossiers et sa version mise à jour.

[390] Le 4 juillet 2011, Patti Bordeleau, alors directrice générale à la Direction des relations de travail et de la rémunération de l’ASFC, présentait la réponse de l’ASFC à la lettre de l’enquêteur de la Commission. Pour ce qui est des documents demandés, elle écrivait avoir été informée que les Archives nationales avaient détruit [traduction] « tous les dossiers relatifs à ce processus de dotation qui ne sont conservés que deux ans ». Elle avait joint [traduction] « les rapports finals […] par les évaluateurs pour tous les autres demandeurs ayant réussi à ce niveau […] », plus les notes écrites de ces mêmes évaluateurs sur M. Itty. Vu les éléments de preuve qui précèdent, on peut raisonnablement estimer que les « rapports finals » évoqués par Mme Bordeleau étaient les rapports dactylographiés d’évaluation des simulations D‑II des costagiaires du plaignant. Mme

[391] Dans sa recherche de 2019, Mme Roy a essayé de repérer les [traduction] « cahiers noirs » où Mme Helde aurait normalement pris les notes que, selon le témoignage des évaluateurs, elle consignait lorsqu’ils l’avaient fait venir à la réunion d’intégration D‑II de M. Itty. Mais Mme Helde était en congé et ne pouvait être jointe et le FORPE n’avait pas déniché les « cahiers noirs ».

[392] Le 28 février 2012, Marc Thibodeau, alors directeur général à la Direction des relations de travail et de la rémunération de l’ASFC, écrivait au gestionnaire des enquêtes de la Commission en réponse à sa lettre du 22 février 2012 où il sollicitait une réponse aux observations présentées par le plaignant à la Commission. Cette lettre indiquait que les documents détruits [traduction] « […] portaient seulement sur le processus de dotation initial, tous les autres documents traitant du Programme de formation des recrues pour les points d’entrée (FORPE) ayant été fournis à l’enquêteur. Ces documents comprenaient les évaluations et les notes des trois évaluateurs pour toutes les recrues du groupe des plaignants [sic] » (erreur dans l’original).

[393] Nul n’a témoigné sur l’une ou l’autre des lettres des deux directeurs généraux, bien que le Tribunal ait donné à l’intimée la possibilité de convoquer un témoin pour ce faire.

[394] La lettre de février 2012 de M. Thibodeau contredit non seulement la lettre de 2011 de Mme Bordeleau, mais aussi le témoignage de Mme Roy et la preuve documentaire sur la destruction par l’ASFC des dossiers des costagiaires retenus et non retenus de M. Itty. J’ai accepté la preuve sur les délais de conservation de la première autorisation d’élimination de documents, la preuve documentaire sur la destruction le 31 mars 2011 des dossiers des costagiaires retenus de M. Itty, ainsi que le témoignage de Mme Roy et la preuve documentaire au sujet de la destruction en juin 2014 par l’ASFC des dossiers des costagiaires non retenus de M. Itty. Je conclus que la lettre de M. Thibodeau est inexacte sur ces points et je n’y accorde aucun poids.

[395] Ces lettres apparemment contradictoires des directeurs généraux démontrent-elles une intention d’influer sur l’issue de la plainte? Bien que, à première vue, elles trahissent un manque de connaissance ou de compréhension de certains aspects du délai de conservation des dossiers des candidats ayant échoué au FORPE, elles n’établissent pas selon la prépondérance des probabilités, pas plus que le reste de la preuve, que le personnel de l’ASFC ait eu l’intention de modifier l’issue de la plainte.

[396] À mon avis, les deux lettres et d’autres communications comme le courriel de 2013 de Mme Trachy à Mme McLaughlin démontrent aussi à première vue que les noms attribués par l’ASFC à ces documents étaient trop ressemblants et prêtaient donc à confusion, pouvant permettre une utilisation imprudente et non conforme par inadvertance. Ainsi, « dossier d’évaluation » pour le gestionnaire Cormier correspondait à un ensemble particulier de documents que nous avons décrit; « formulaires d’évaluation » dans la présente plainte est le titre que l’ASFC a donné au livret de huit pages contenant les formulaires de notation manuscrite en temps réel des évaluateurs avec leurs observations, leurs feuilles de notation et les réponses des recrues en fin de simulation. La désignation [traduction] « rapport d’évaluation des exercices de simulation D‑II des recrues » correspond au rapport sommaire D‑II que produisaient à la main les évaluateurs à partir de leurs formulaires d’évaluation.

[397] Selon l’intimée, ce risque de confusion a seulement causé la destruction des dossiers sur papier des camarades de classe du plaignant avec les formulaires d’évaluation D‑II des costagiaires qui avaient réussi ou échoué au FORPE dans l’application par l’ASFC de l’autorisation d’élimination de dossiers et de sa version à jour, et ce, sans aucune intention d’influer sur l’issue de la plainte.

[398] J’estime que les questions et les commentaires du 25 mai 2011 de l’administratrice Helde dans la lettre annotée de l’enquêteur de la Commission démontrent aussi un désir de restreindre le nombre de documents que l’ASFC avait à procurer à la Commission, puisqu’il était demandé à Mme Stanford de préciser quels dossiers des recrues étaient recherchés dans une situation où il fallait prévoir « beaucoup de travail et de papier ». Mme Helde avait aussi besoin de précisions « pour pouvoir répondre correctement à la demande ». J’en conclus qu’elle voulait diminuer le travail, mais en désirant aussi « répondre correctement à la demande ».

[399] Je conclus que rien dans les questions de Mme Helde dans son courriel du 25 mai 2011, dans les questions qu’elle a portées sur la lettre de l’enquêteur de la Commission ou dans l’explication donnée en 2019 par Mme Lavoie à Mme Roy ne révèle une intention d’influer sur l’issue de la plainte.

[400] J’ajoute que, même si dans la plainte M. Itty a mentionné trois costagiaires pour illustrer que l’ASFC l’avait assujetti à une norme plus élevée, l’ASFC ne semble pas avoir saisi que les formulaires d’évaluation D‑II des camarades de classe de M. Itty pouvaient présenter de l’intérêt pour cette allégation.

[401] L’intimée n’a pas contesté avoir intentionnellement détruit les dossiers sur papier des costagiaires du plaignant, y compris les formulaires de notation manuscrite des simulations D‑II des trois évaluateurs. Cette intention ne suffit pas à établir qu’il y ait eu destruction d’éléments de preuve (McDougall, précité, au par. 18). L’intention à démontrer pour qu’il y ait destruction d’éléments de preuve est que le destructeur de la preuve avait l’intention d’influer sur un litige envisagé ou en cours (ibid.).

[402] Même si, comme le prétend le plaignant, les représentants de l’intimée étaient [traduction] « grossièrement incompétents » (je ne me prononce pas là-dessus) dans leur façon de traiter les dossiers des costagiaires du plaignant, l’incompétence, tout comme la négligence, n’atteint pas le degré nécessaire d’intention défini dans l’arrêt McDougall, ibid. Rien ne prouve l’affirmation faite par le plaignant que quelqu’un à l’ASFC avait jugé avantageux de détruire les dossiers sur papier sous couvert de documents de « routine ».

[403] Que l’ASFC ait attendu les deux années du délai prescrit jusqu’au 1er mars 2011 pour demander à Archives Canada de détruire les dossiers des candidats retenus de la classe A‑236 est un autre facteur dont je tiens compte pour conclure que l’ASFC a seulement détruit les dossiers en application de la première autorisation d’élimination de documents. Cette attente est très différente de celle qui figure dans l’affaire Forsey c. Burin Peninsula Marine Service Centre, 2014 CF 974, où le défendeur avait détruit la preuve pertinente dans les 48 heures suivant l’accident, de sorte que l’expert maritime du plaignant, dont le défendeur savait qu’il allait inspecter le lieu du sinistre, soit dans l’incapacité de l’examiner.

[404] Je tiens également compte de ce que le registre évolutif indique à la dernière page que, au moment où l’ASFC a expédié les dossiers des candidats retenus de la classe A‑236 à Archives Canada, elle a aussi envoyé les dossiers des candidats retenus des classes A‑255 et A‑260, qui avaient suivi le cours FORPE en même temps que la classe A‑236, soit du 24 novembre 2008 au 5 février 2009. Cela confirme en outre que l’intention de l’ASFC n’était pas de détruire en particulier les dossiers des candidats retenus de la classe A‑236 de manière à modifier l’issue de l’affaire. Cela montre plutôt que son intention était d’observer le délai de conservation de deux ans de la première autorisation d’élimination de documents pour les candidats retenus.

[405] Parlons maintenant des dossiers des candidats non retenus de la classe du plaignant.

[406] Mme Roy a témoigné que, de février 2009 à février 2014, l’ASFC a conservé les dossiers des candidats non retenus là où il était possible d’y avoir accès, parce que des mouvements étaient plus probables sur ces dossiers que sur ceux des candidats retenus. Par « mouvement », on entend les appels, les demandes en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et sous le régime d’AIPRP ou les plaintes à la Commission de la fonction publique, auquel cas l’ASFC conservait les dossiers conformément à l’autorisation d’élimination de documents et à sa version à jour.

[407] Mme Roy a témoigné sur le tableau sans date qui avait été préparé par et pour le Soutien administratif sous le titre « Échecs et départs volontaires des sessions 64 à 79 » (le « registre des échecs et des départs »). Pour se familiariser avec ce tableau, elle avait parlé à Mme Lavoie. L’ASFC a commencé à tenir ce registre lorsque le programme FORPE a commencé, le but étant de suivre tous les candidats qui avaient échoué ou quitté le programme pour d’autres raisons. Il contient le nom du plaignant et de trois autres candidats non retenus dans la classe A‑236. Sous la rubrique [traduction] « Zone d’entreposage des dossiers », la mention en français est [traduction] « détruit 2014 03 01 ». Mme Roy a expliqué que, le 1er mars 2014, l’ASFC avait commencé à retirer les dossiers de la zone de stockage pour les préparer à leur destruction. Pour un autre candidat non retenu de la classe A‑236, Mme Roy avait vérifié auprès des Relations de travail que la date de destruction « 2013‑11‑14 » était une erreur.

[408] Mme Roy a expliqué que, avant toute destruction des dossiers de candidats non retenus, Rigaud aurait envoyé un courriel aux Relations de travail pour demander que soit confirmé que les dossiers pouvaient être détruits. Il l’avait fait en janvier 2014 et, le 1er février 2014, les Relations de travail avaient répondu que la destruction pouvait avoir lieu. La date de destruction était la même que pour les autres candidats non retenus de la classe A‑236 sauf qu’il n’y avait pas de date de destruction de dossier pour M. Itty à cause de sa demande en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de sa plainte; l’indication « 2017 11 21 » pour le dossier de M. Itty était la date de destruction prévue ou proposée, mais l’ASFC n’a pas détruit son dossier.

[409] Le 11 février 2014, après avoir vérifié auprès des régions si elles avaient besoin des dossiers, Stéphanie Pieri, alors gestionnaire intérimaire des Relations de travail à l’ASFC, avait envoyé un courriel à Hugo Martel, un commis du Soutien administratif, pour qu’il soit procédé à la destruction des dossiers des candidats non retenus. D’après les dates, la facture et le courriel en provenance du service d’approvisionnement de l’ASFC, je conclus que les dossiers en question ont été détruits en juin 2014.

[410] Mme Roy a déclaré que l’ASFC avait passé un contrat avec une entreprise privée (Shred‑It) pour que soient détruits les dossiers des candidats non retenus de la classe de M. Itty. Le 4 septembre 2019, le service d’approvisionnement envoyait par courriel à Mme Longpré un document de commande subséquente de l’ASFC ressemblant à une facture. La commande subséquente indiquait que Shred‑It était venue à Rigaud détruire les documents le 9 juin 2014, ce que montrait la mention en français sous « Description ». Mme Roy a dit que, à en juger par les dates et le courriel du service d’approvisionnement indiquant qu’il n’y avait pas eu de déchiquetage de documents en 2015, les documents détruits le 9 juin 2014 étaient les dossiers des costagiaires de M. Itty qui avaient échoué.

[411] Je conclus que les éléments de preuve combinés font voir que le 9 juin 2014 tombait plus de cinq ans après la date du 5 février 2009 de promotion de la classe A‑236 de M. Itty, que la commande subséquente indiquait le 9 juin 2014 comme date de destruction des documents et que le témoignage de Mme Roy établissait que l’ASFC avait demandé à Shred‑It de détruire les dossiers des candidats non retenus de la classe A‑236 le 9 juin 2014, ce que Shred‑It avait fait.

[412] La preuve a permis d’établir que l’ASFC avait deux types de dossiers du FORPE, sur papier et sur support électronique. Les éléments de preuve combinés du témoignage de Mme Roy et des courriels de 2011 entre Mme Stanford des Relations de travail et l’administratrice Helde ont démontré qu’il n’y avait que des versions papier des formulaires de notation D‑I et D‑II des évaluateurs. Les mêmes éléments de preuve, auxquels s’ajoutent les témoignages de M. Gadoury, des évaluateurs D‑II de M. Itty et de Mme Surprenant, établissent que l’évaluateur principal a dactylographié les rapports de notation sommaire des simulations D‑II des recrues à l’ordinateur et que chaque recrue a reçu copie de son propre rapport dans une séance individuelle de compte rendu final.

[413] L’ASFC a conservé les versions électroniques des rapports d’évaluation des simulations D‑II des recrues et pouvait donc en produire une copie pour tous les costagiaires de M. Itty. Mme Roy a déclaré que l’ASFC avait procuré tous les documents électroniques qu’elle avait pu trouver pour les candidats de la classe de M. Itty.

[414] Je conclus que la destruction des dossiers des candidats non retenus de la classe de M. Itty a eu lieu le 9 juin 2014 conformément et dans l’intention de se conformer à l’autorisation d’élimination de documents mise à jour.

c) Un litige était‑il envisagé ou en cours au moment où les éléments de preuve ont été détruits?

[415] Le 24 mars 2010, la Commission a avisé l’intimée de la plainte de M. Itty en en joignant copie. J’ai conclu que l’ASFC avait demandé à Archives Canada que soient détruits le 31 mars 2011 les dossiers des costagiaires retenus de M. Itty, ce qui comprenait leurs formulaires d’évaluation des simulations D‑II. La plainte était alors déjà en cours de traitement par la Commission. Ainsi, un litige était envisagé le 31 mars 2011. La plainte était devant le Tribunal depuis le 24 avril 2012 et le litige était en cours. J’ai également conclu que, en juin 2014, l’ASFC avait demandé la destruction des dossiers des costagiaires de M. Itty qui avaient échoué, ce qui comprenait leurs formulaires d’évaluation des simulations D‑II.

[416] Ainsi, la preuve établit qu’un litige était envisagé ou en cours lorsque l’ASFC a détruit les dossiers des costagiaires du plaignant.

d) Est‑il raisonnable de déduire que la preuve a été détruite en vue d’influer sur l’issue de l’affaire?

[417] Pour les motifs exposés plus haut à la rubrique b), je conclus que, selon la preuve, il n’est pas démontré qu’il serait raisonnable de déduire que l’ASFC avait détruit les documents avec l’intention d’influer sur l’issue de la plainte. Elle les a plutôt détruits en application de l’autorisation d’élimination de documents et de sa version à jour. En appliquant les critères de l’arrêt McDougall, précité, je conclus donc que la preuve n’établit pas, selon la prépondérance des probabilités, que la destruction par l’ASFC des dossiers des costagiaires du plaignant et des formulaires de notation manuscrite des simulations D‑II constitue une destruction d’éléments de preuve.

[418] Les éléments de preuve présentés ne satisfont pas aux conditions préalables pour que s’applique la doctrine de la destruction d’éléments de preuve. M. Itty ne peut donc se prévaloir de la présomption selon laquelle les documents détruits auraient été défavorables à l’ASFC.

[419] Malgré les témoignages selon lesquels l’ASFC aurait déjà pris des mesures pour remédier aux lacunes constatées en matière de conservation et d’élimination de documents, l’ASFC se doit véritablement d’adopter une approche plus globale et contextuelle pour la conservation des documents. La main gauche aux Relations de travail devrait savoir ce que fait la main droite à l’Administration. Il devrait y avoir bien plus de communication et de formation sur la nature des documents qui intéressent sans conteste une plainte en droits de la personne.

[420] Disons enfin que, dans ses observations écrites finales, le plaignant a demandé à présenter des observations sur une réparation à prévoir à la destruction des formulaires d’évaluation (que je conclue ou non à la destruction d’éléments de preuve) en faisant valoir que cette destruction était si imprudente qu’elle pouvait être qualifiée d’abus de procédure et que, selon la compétence dont jouit foncièrement le Tribunal de contrôler son propre processus, cet abus devrait être redressé par ses soins.

[421] Dans sa décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien), 2019 TCDP 1 (CanLII), le Tribunal a écrit :

Conformément au paragraphe 48.9(1) de la LCDP, l’instruction des plaintes par le Tribunal doit se faire, autant que possible, de façon expéditive. Si une partie abuse de la procédure du Tribunal et empêche celui‑ci de remplir son mandat conformément au paragraphe 48.9(1) de la LCDP, le Tribunal peut prendre des mesures pour protéger sa procédure contre l’abus.

[422] Dans son arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 (CanLII), la Cour suprême du Canada a dit ce qui suit de l’abus de procédure :

Pour conclure qu’il y a eu abus de procédure, la cour doit être convaincue que [traduction] « le préjudice qui serait causé à l’intérêt du public dans l’équité du processus administratif, si les procédures suivaient leur cours, excéderait celui qui serait causé à l’intérêt du public dans l’application de la loi, s’il était mis fin à ces procédures » (Brown et Evans, op. cit., à la p. 9‑68). Le juge L’Heureux-Dubé affirme dans Power, précité, à la p. 616, que, d’après la jurisprudence, il y a « abus de procédure » lorsque la situation est à ce point viciée qu’elle constitue l’un des cas les plus manifestes. À mon sens, cela s’appliquerait autant à l’abus de procédure en matière administrative. Pour reprendre les termes employés par le juge L’Heureux-Dubé, il y a abus de procédure lorsque les procédures sont « injustes au point qu’elles sont contraires à l’intérêt de la justice » (p. 616). « Les cas de cette nature seront toutefois extrêmement rares » (Power, précité, à la p. 616). Dans le contexte administratif, il peut y avoir abus de procédure lorsque la conduite est tout aussi oppressive.

(Non souligné dans l’original)

[423] En me fondant sur les éléments de preuve examinés selon le critère de la destruction d’éléments de preuve, j’estime que la conduite de l’intimée relativement à la destruction des documents en question ne satisfait pas au critère d’abus de procédure : il s’agissait dans le pire des cas d’une erreur par négligence et irréflexion sans qu’on puisse certainement parler du type de conduite « extrêmement rare » qu’envisage la Cour suprême.

X. ORDONNANCE

[424] La plainte n’est pas fondée et, par conséquent, le Tribunal la rejette.

Signée par

Olga Luftig

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 31 mars 2023

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties inscrites au dossier

Dossier du tribunal : T1817/4712

Intitulé de la cause : Geevarughese Johnson Itty c. Agence des services frontaliers du Canada

Date de la décision du tribunal : le 31 mars 2023

Dates d’audience : du 14 au 18 août 2017;

les 21 et 22 août 2017;

les 18 et 19 novembre 2019;

du 25 au 27 novembre 2019;

les 9 et 10 mars 2020;

le 12 mars 2020.

Plaidoiries écrites : le 26 mars 2021

Comparutions :

Pour Geevarughese Johnson Itty :

Aux dates d’audience dans la période du 14 au 21 août 2017

Alliance de la fonction publique du Canada

Jean‑Rodrigue Yoboua, agent de représentation

À la date d’audience du 22 août 2017, pour son propre compte

Aux dates d’audience de la période du 18 novembre 2019 au 12 mars 2020

Champ & Associates

Paul Champ et Bijon Roy

David Aaron et Alexandra Pullano, pour l'intimée

 

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