Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Les policiers dans cette affaire affirment que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) les a discriminés. Les noms des policiers ont déjà été anonymisés, c’est-à-dire qu’ils sont confidentiels, en raison de la nature de leur travail. Les détails concernant leur travail ne peuvent pas non plus être divulgués.

Dans sa requête, la GRC a demandé que l’audience soit tenue sans la présence du public. Selon la GRC, cette restriction est nécessaire pour protéger l’identité des policiers et la nature de leur travail.

Le Tribunal a accepté de tenir l’audience sans le public.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2023 TCDP 46

Date : le 17 octobre 2023

Numéros des dossiers : T2635/1121, T2636/1221, T2637/1321

Entre :

SM, SV et JR

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Gendarmerie royale du Canada

l’intimée

Décision sur requête

Membre : Paul Singh

 



I. Décision sur requête

[1] Les plaignants, SM, SV et JR, qui sont d’origine sud-asiatique, sont des policiers au service de l’intimée, la Gendarmerie royale du Canada (la « GRC »). Leurs plaintes portent sur le défaut de la GRC de les promouvoir lorsqu’ils travaillaient au sein d’une unité de la GRC en Ontario (l’« unité ») de même que sur le racisme systémique dont l’intimée aurait fait preuve dans les processus de promotion en général au sein de l’unité. Les actes en cause, soutiennent-ils, constituent de la discrimination fondée sur la couleur, l’origine nationale ou ethnique, la race ou la religion, en contravention des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP »).

[2] La GRC nie avoir fait preuve de discrimination à l’égard des plaignants au cours des processus de promotion en question, ou à tout autre moment, et elle nie l’existence de toute politique ou pratique systémique visant à priver de possibilités d’avancement les plaignants ou tout autre agent de l’unité qui déclare appartenir à une minorité visible.

[3] Les questions relatives à la responsabilité et aux mesures de réparation inhérentes aux plaintes ont été scindées sur consentement des parties, et il est prévu qu’une audience de trois semaines sur la responsabilité débute le 14 novembre 2023.

[4] En octobre 2021, j’ai accueilli, sur consentement des plaignants, la requête de la GRC qui visait à obtenir une vaste ordonnance de confidentialité restreignant la divulgation publique de renseignements. L’ordonnance rendait anonymes les noms des plaignants et de l’unité de même que la nature des opérations (les « opérations ») menées par l’unité, au motif que la divulgation publique de ces renseignements porterait atteinte à la sécurité nationale, aux opérations de nature délicate de la GRC et à la sécurité des agents : SM, SV et JR c. Gendarmerie royale du Canada, 2021 TCDP 35 (la « décision sur requête relative à la confidentialité »).

[5] Sur consentement des plaignants, la GRC dépose maintenant une requête en vue d’obtenir une ordonnance pour que l’audience se déroule à huis clos. La Commission canadienne des droits de la personne a choisi de ne pas participer à l’audience et ne s’est pas prononcée sur la requête.

[6] Pour les motifs qui suivent, j’accueille la requête de la GRC et j’ordonne que l’audience devant débuter le 14 novembre 2023 se déroule à huis clos.

II. Cadre juridique

[7] Les instances judiciaires, y compris celles de notre Tribunal, sont présumément publiques et le principe de la publicité des débats judiciaires est essentiel au bon fonctionnement de la démocratie canadienne.

[8] Cependant, le droit canadien reconnaît qu’il y a des moments où il faut imposer des limites discrétionnaires à la publicité des débats judiciaires afin de protéger d’autres intérêts publics, le cas échéant. La nécessité de cette souplesse dans l’application du principe de la publicité des débats judiciaires pour le Tribunal est énoncée à l’article 52 de la LCDP, qui confère au Tribunal de vastes pouvoirs lui permettant de rendre les ordonnances qu’il juge nécessaires pour assurer la confidentialité de l’instruction dans certaines circonstances. Le Tribunal peut notamment utiliser ces pouvoirs lorsqu’il y a une sérieuse possibilité que la sécurité d’une personne soit mise en danger, ou lorsqu’il y a un risque sérieux de divulgation de questions touchant la sécurité publique, d’atteinte au droit à une instruction équitable ou de contrainte excessive pour une partie ou un témoin.

[9] Dans l’arrêt Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25 [Sherman (Succession)], la Cour suprême du Canada a réaffirmé que le seuil à respecter pour limiter la publicité des débats judiciaires est élevé. Pour réussir à obtenir une exception au principe de la publicité présumée des débats judiciaires, le demandeur doit établir que :

  1. la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;

  2. l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque; et

  3. du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.

(Sherman (Succession), au par. 38).

[10] Le critère établi dans l’arrêt Sherman (Succession), qui s’applique aux divers types de limites discrétionnaires à la publicité des débats judiciaires, notamment les ordonnances de mise sous scellés, les ordonnances de non-publication, les ordonnances de caviardage et les ordonnances excluant le public d’une audience, clarifie l’analyse que le Tribunal doit réaliser en regard de l’article 52 de la LCDP, et il concorde généralement avec le critère énoncé à cet article : A.B. et Gracie c. Service correctionnel du Canada, 2022 TCDP 15, aux par. 15 et 16; SM, SV et JR c. Gendarmerie royale du Canada, 2021 TCDP 35, aux par. 8 à 11.

III. Analyse

[11] Comme je le précise ci-après, je juge que la requête de la GRC visant à obtenir une ordonnance d’audience à huis clos satisfait au critère énoncé à l’article 52 de la LCDP et clarifié par l’arrêt Sherman (Succession).

A. Il y a un risque sérieux de divulgation de questions touchant la sécurité publique

[12] Tel qu’il est indiqué dans la décision sur requête relative à la confidentialité, la divulgation de renseignements d’identification et de renseignements relatifs à des enquêtes présenterait des risques sérieux pour des intérêts de sécurité publique importants, notamment la sécurité nationale, pour les opérations de nature délicate de la GRC et pour la sécurité des agents, comme le démontre l’affidavit incontesté qu’a déposé l’inspecteur responsable de l’unité de la GRC : SM, SV et JR c. Gendarmerie royale du Canada, 2021 TCDP 35, aux par. 12 à 14.

[13] Je suis convaincu qu’il y a un risque sérieux que la divulgation, dans le cadre d’une audience publique, de renseignements permettant d’identifier les membres de la GRC qui prennent part aux opérations, y compris leur identification à titre de plaignants ou de témoins dans la présente instance, puisse mettre en péril la sécurité des agents, les opérations de la GRC et la sécurité nationale.

[14] Je suis également convaincu qu’il y a un risque sérieux que la divulgation, à l’audience, de renseignements sur les enquêtes et les techniques qui ont été employées dans le cadre des opérations ou qui le sont toujours, notamment au moyen des témoignages et des observations, puisse compromettre les opérations de la GRC et la sécurité nationale.

B. Les mesures raisonnables autres que l’audience à huis clos ne permettront pas d’écarter le risque

[15] Je suis d’avis qu’il est nécessaire d’exclure le public de l’audience pour atténuer les risques énoncés ci-dessus et qu’il n’y a pas d’autres mesures raisonnables qui permettraient d’empêcher que des renseignements confidentiels soient divulgués au public.

[16] La GRC soutient que les témoignages porteront sur l’expérience de travail substantielle des plaignants et des autres membres qui prennent part aux opérations, ce qui est tout à fait raisonnable à mon avis. Ces témoignages devraient essentiellement avoir pour objet les renseignements protégés de la divulgation publique conformément à la décision sur requête relative à la confidentialité, y compris les renseignements sur des enquêtes et des techniques employées dans le cadre des opérations et sur la participation des membres aux opérations.

[17] Compte tenu de la vaste portée de la décision sur requête relative à la confidentialité et de la nature des éléments de preuve et des observations qui devraient être présentés à l’audience, je conclus qu’il est raisonnablement impossible d’atténuer les risques en tenant une audience efficace devant le public.

C. La nécessité d’une audience à huis clos l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique

[18] Enfin, je suis convaincu que les avantages de l’audience à huis clos l’emportent sur les effets négatifs qu’elle pourrait avoir à l’égard de la publicité des débats judiciaires.

[19] L’ordonnance protégera les opérations et la sécurité des agents de la GRC en permettant à cette dernière de continuer à recueillir efficacement des éléments de preuve liés à des activités criminelles graves au Canada, y compris à des menaces à la sécurité nationale.

[20] Comme l’ordonnance de confidentialité du Tribunal a été rendue à l’intention du public et non des parties, elle ne causera pas préjudice à ces dernières. En outre, le public aura accès aux motifs du jugement du Tribunal à la suite de l’audience, ce qui lui permettra de comprendre le raisonnement suivi par le Tribunal pour rendre sa décision sur requête.

IV. Ordonnance

[21] Pour les motifs qui précèdent, la requête de la GRC est accueillie. L’audience devant débuter le 14 novembre 2023 se tiendra à huis clos.

Signée par

Paul Singh

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 17 octobre 2023

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossiers du tribunal : T2635/1121, T2636/1221, T2637/1321

Intitulé de la cause : SM, SV et JR c. Gendarmerie royale du Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 17 octobre 2023

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Représentations écrites par :

Malini Vijaykumar , pour les plaignants

Kathryn Hucal et Jennifer Caruso , pour l’intimée

 

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