Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

La présente affaire porte sur des actes de discrimination et de harcèlement fondés sur le sexe et le harcèlement sexuel dans le milieu de travail. Elle concerne aussi la responsabilité de l’employeur.

Mme Young et M. Sawchuk travaillaient comme préposés aux locomotives chez VIA Rail. Mme Young s’est plainte du comportement que M. Sawchuk manifestait à son égard sur leur lieu de travail pendant deux ans. Plusieurs incidents témoignent de ce comportement offensant. Par exemple, M. Sawchuk observait Mme Young d’une manière qui n’était pas nécessaire à l’accomplissement de son propre travail. Une fois, lorsqu’elle lui a demandé de quitter la cabine de la locomotive, il a refusé de le faire. M. Sawchuk lui lançait des injures et faisait des commentaires grossiers et peu professionnels en personne et par radio, notamment en utilisant des insultes et un langage sexistes. Il l’a rabaissé devant ses collègues pour le ton de sa voix de femme et a critiqué ses vêtements. Il s’est tenu très près d’elle dans des circonstances qui la déstabilisaient. Il a imposé à Mme Young de communiquer avec lui par le canal de radio commun seulement, même lorsqu’ils étaient à proximité. Il l’a critiquée publiquement après qu’elle a effectué une manœuvre qu’il avait lui-même ordonnée. Il a essayé de l’intimider par des moyens qui compromettaient la sécurité.

Le Tribunal a conclu que chaque incident, pris individuellement, pouvait sembler sans importance. Cependant, leur effet cumulatif sur près de deux ans a révélé des habitudes, voire une campagne, de harcèlement et d’abus. Ensemble, ces incidents constituaient un traitement défavorable. Le sexe, qui n’était pas nécessairement le facteur principal ou même intentionnel du traitement défavorable, y a joué un rôle. Pour ces raisons, le comportement de M. Sawchuk équivaut à une discrimination fondée sur le sexe en cours d’emploi.

Comme M. Sawchuk agissait de manière importune et persistante, Mme Young en a informé l’employeur. Par conséquent, le Tribunal a conclu que le comportement de M. Sawchuk constituait également du harcèlement fondé sur le sexe. Toutefois, ce comportement n’était pas de nature sexuelle et ne constituait donc pas du harcèlement sexuel.

Le Tribunal a jugé que VIA était responsable des actions de son employé, M. Sawchuk. VIA n’a pas démontré avoir pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher ces actes ou pour en atténuer les effets. VIA n’a pas pris assez au sérieux les préoccupations de Mme Young. VIA n’a pas agi avec diligence pour prévenir le comportement discriminatoire. VIA disposait d’une politique en matière de harcèlement sur le lieu de travail, mais a plutôt choisi d’appliquer son code de conduite. C’est seulement après des mois d’aggravation des dommages que VIA est intervenue. De plus, il y avait peu de documents et de détails sur l’enquête, et la décision finale de VIA n’a pas été prise de façon indépendante.

Le Tribunal a ordonné à VIA de verser une compensation financière. Il a également ordonné des mesures de réparation systémiques visant à assurer la mise en place par VIA de politiques et de procédures adéquates en matière de droits de la personne et de lutte contre le harcèlement.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2023 TCDP 25

Date : le 27 juin 2023

Numéro du dossier : T2225/4717

Entre :

Jennifer Young

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

VIA Rail Canada Inc.

l'intimée

Décision

Membre : Kirsten Mercer

 


Table des matières

I. Aperçu et résumé de la décision 1

II. Questions en litige 2

A. Questions préliminaires 2

1. État de la diversité des genres à VIA : une tradition qui se poursuit 2

2. La femme raisonnable par rapport à la personne raisonnable dans les mêmes circonstances 4

B. Principales questions en litige 5

III. Droit applicable 6

IV. Analyse 12

A. Mme Young a fait l’objet d’une conduite discriminatoire 12

1. Traitement défavorable en cours d’emploi (al. 7b) de la LCDP) 12

2. Harcèlement fondé sur le sexe (al. 14(1)c) de la LCDP) 47

3. Harcèlement sexuel (par. 14(2) de la LCDP) 50

B. VIA est responsable de la conduite discriminatoire au regard de l’art. 65 de la LCDP 51

4. Position de l’intimée 52

5. Position de la Commission 53

6. Position de la plaignante 54

7. Analyse de la responsabilité de l’intimée à l’égard de la conduite discriminatoire 55

C. Une indemnisation et des mesures de réparation visant la politique sont nécessaires pour empêcher que la situation ne se reproduise 66

1. Indemnité pour préjudice moral fondée sur l’al. 53(2)e) de la LCDP 67

2. Indemnité pour conduite délibérée ou inconsidérée au sens du paragraphe 53(3) de la LCDP 69

3. Dommages-intérêts pour perte de salaire fondés sur l’alinéa 53(2)c) de la LCDP 71

4. Coûts engagés dans la poursuite de la plainte 75

5. Intérêts (par. 53(4) de la LCDP) 77

6. Mesures de réparation visant la politique (al. 53(2)a) de la LCDP) 78

V. Décision 80

VI. Conclusion 81


I. Aperçu et résumé de la décision

[1] Mme Jennifer Young (la « plaignante » ou « Mme Young ») allègue que son employeur, VIA Rail Canada Inc. (l’« intimée » ou « VIA ») doit répondre du harcèlement fondé sur le sexe ayant été exercé contre elle par son collègue, M. Kevin Sawchuck, lequel n’est pas partie à la présente instance. Mme Young s’est réclamée à cet égard des protections prévues à l’alinéa 7b) (contre la discrimination en cours d’emploi) et à l’article 14 (contre le harcèlement fondé sur le sexe en matière d’emploi) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP » ou la « Loi »).

[2] Personne n’a contesté devant le Tribunal le fait que M. Sawchuk se soit livré à une conduite préjudiciable et non professionnelle à l’endroit de Mme Young. En fait, après avoir conclu que la façon dont M. Sawchuk traitait Mme Young contrevenait au Code de conduite de la compagnie, VIA a infligé à ce dernier des mesures disciplinaires importantes. VIA conteste toutefois que la conduite de M. Sawchuk ait été discriminatoire au sens de la Loi, ou qu’elle ait compris du harcèlement fondé sur le sexe ou du harcèlement sexuel. VIA conteste également sa responsabilité à l’égard de la conduite de M. Sawchuk.

[3] La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a appuyé la plainte pour discrimination de Mme Young et a soutenu que VIA était effectivement responsable de la conduite de M. Sawchuk en vertu de la Loi. En particulier, la Commission a fait valoir que VIA n’avait pas répondu adéquatement aux plaintes initiales de Mme Young au sujet de la conduite de M. Sawchuk et que l’enquête interne de VIA était inadéquate. Selon la Commission, VIA était donc responsable de la conduite de M. Sawchuk.

[4] Pour les motifs exposés ci-après, j’ai conclu que M. Sawchuk s’est livré à une conduite discriminatoire à l’endroit de Mme Young, en contravention de la Loi. Plus précisément, j’ai estimé qu’il a commis à l’encontre de Mme Young, dans le cours de l’emploi de celle-ci, des actes assimilables à de la discrimination et à du harcèlement fondés sur le sexe. J’ai constaté que la conduite de M. Sawchuk n’était pas de nature sexuelle et que, par conséquent, il n’y avait pas eu de violation qui déclencherait les protections prévues au paragraphe 14(2) de la Loi. J’ai en outre conclu que VIA ne peut se dégager de sa responsabilité légale à l’égard de la conduite en milieu de travail de son employé, M. Sawchuk, dans la mesure où elle a omis de faire preuve de diligence raisonnable pour prévenir ou atténuer la conduite discriminatoire en cause.

II. Questions en litige

A. Questions préliminaires

1. État de la diversité des genres à VIA : une tradition qui se poursuit

[5] Le Tribunal prend acte du fait que, traditionnellement, les emplois dans le secteur ferroviaire au Canada (y compris la conduite et l’entretien des trains) étaient majoritairement occupés par des hommes.

[6] Le Tribunal a mentionné ce contexte à l’audience, pendant les exposés finaux, et VIA a choisi de présenter des observations écrites supplémentaires sur ce point.

[7] VIA a soutenu qu’[traduction] « aucune preuve » n’indiquait que le centre de maintenance de Toronto (« CMT ») était un milieu de travail à prédominance masculine et que [traduction] « la présence et la contribution des femmes dans le milieu de travail, au centre de maintenance de Toronto, étaient bien établies ». VIA a admis que les trois gestionnaires concernés par les faits de l’affaire étaient tous des hommes, mais a fait valoir qu’ils avaient tous reçu une formation adéquate sur le harcèlement et sur le Code de conduite de VIA.

[8] VIA a fait observer que Mme Leslie Selesnic avait joué un rôle important dans l’enquête en milieu de travail réalisée en l’espèce. Elle a ajouté que Mme Barbara Anne Blair y avait aussi participé.

[9] Malgré les arguments de VIA, la preuve permet de conclure que le CMT — et en particulier les préposés aux locomotives du quart de nuit, les intervenants qui ont le plus directement pris part aux faits dans la présente plainte — représente un groupe de travailleurs traditionnellement masculin. Cette conclusion ne veut pas dire qu’aucune femme n’y travaille, car manifestement, tel n’est pas le cas. Elle signifie plutôt que la plainte s’inscrit dans un contexte en milieu de travail où les normes et les valeurs sont façonnées par la culture dominante de la main-d’œuvre, ici traditionnellement composée d’hommes.

[10] Au cours de la période pertinente, les contrôleurs étaient tous de sexe masculin. Le superviseur de quart était aussi un homme et, dans son témoignage, le cadre supérieur du CMT, M. Zeke Medeiros, a indiqué que le manque de diversité des genres dans ce milieu de travail était depuis fort longtemps un problème qu’il s’était engagé à résoudre; il a défini le secteur ferroviaire comme étant une [traduction] « industrie dominée par les hommes ».

[11] L’affirmation de VIA selon laquelle rien ne permet au Tribunal de conclure que le CMT ou, de façon plus générale, le secteur ferroviaire, constitue historiquement un milieu de travail masculin, est tout simplement inexacte. En fait, je suis très heureuse que M. Medeiros ait parlé avec sincérité, dans son témoignage, de ses préoccupations concernant la diversité des genres à VIA, et au CMT en particulier. Il a fait remarquer qu’[traduction] « à l’époque » où M. Sawchuk avait commencé son emploi au CMT, vers 1985, une seule femme y travaillait, et que pendant une dizaine d’années, on s’était retrouvé sans aucune femme au sein du service, jusqu’à ce que Mmes Julie Trepanier et Teona Kindt soient embauchées.

[12] M. Medeiros a également indiqué dans son témoignage qu’il s’était réjoui du recrutement de Mme Young dans le cadre du programme des préposés aux locomotives, en affirmant qu’[traduction] « il était bon de voir une femme participer au programme ».

[13] Si le Tribunal souligne que le secteur ferroviaire est dominé de longue date par les hommes, c’est parce qu’il peut être utile de bien saisir le contexte historique et normatif de la plainte pour pouvoir comprendre la discrimination et y remédier, si son existence est constatée. L’histoire n’excuse pas la discrimination, pas plus que le fait de reconnaître cette histoire ne suppose qu’un milieu de travail est condamné à la revivre éternellement.

[14] Toutefois, tant que l’on n’aura pas été capable de nommer et définir les façons dont un privilège traditionnel et continu façonne un milieu de travail, on sera limité dans sa capacité à repérer la discrimination lorsqu’elle se manifeste et à réagir adéquatement pour la prévenir et la contrer.

[15] Le Tribunal félicite VIA des mesures qu’elle a prises pour veiller à ce que son milieu de travail continue de refléter la pleine diversité des genres présente dans les collectivités qu’elle dessert, dont certaines ont été mentionnées par M. Medeiros dans son témoignage. C’est dans cet esprit de parvenir à un milieu de travail exempt de discrimination que le Tribunal rend sa décision.

2. La femme raisonnable par rapport à la personne raisonnable dans les mêmes circonstances

[16] À la fin de l’audience, après avoir pu prendre connaissance des exposés finaux des parties et tenu compte de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Stadnyk c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), 2000 CanLII 15796 (CAF) [Stadnyk], j’ai demandé aux parties si mon analyse des agissements détaillés dans la plainte, ainsi que de la question de savoir si cette conduite aurait pu ou dû être perçue comme indésirable, devait se fonder sur la norme de la personne raisonnable dans les mêmes circonstances ou sur la norme de la femme raisonnable, et si une telle distinction était importante dans la présente affaire.

[17] VIA a fait valoir que l’application de la norme de la femme raisonnable en l’espèce lui porterait préjudice, car elle perdrait ainsi l’occasion de convoquer deux des autres femmes qui ont travaillé avec M. Sawchuk, et dont les témoignages au sujet de la conduite de ce dernier auraient pu avoir eu une certaine incidence sur l’analyse du Tribunal.

[18] Je ne suis pas d’accord.

[19] Que l’on applique la norme de la femme raisonnable énoncée par le Tribunal, et confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Stadnyk, ou la norme de la personne raisonnable dans les mêmes circonstances formulée par le Tribunal dans l’affaire Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées), 1999 CanLII 18902 (CF) [Franke] (sur laquelle l’intimée prétend s’appuyer), dans les circonstances de la présente affaire — et, d’ailleurs, dans la plupart des cas de harcèlement sexuel et fondé sur le genre —, la personne raisonnable dans les circonstances devrait en vérité être une femme.

[20] Le problème des relations de M. Sawchuk avec ses collègues de sexe féminin et, en particulier, avec celles ne partageant pas ses vues sur la façon d’accomplir le travail d’un préposé aux locomotives, était évident pour toutes les parties à la présente instance, et ce, dès le départ. Les rapports qu’entretenait M. Sawchuk avec Mme Kindt et Mme Trepanier, ainsi qu’avec d’autres femmes avec lesquelles il interagissait en milieu de travail, ont été cités à maintes reprises tout au long de l’audience et dans les observations des parties, y compris celles de VIA.

[21] Malgré cela, VIA a décidé de ne pas citer Mme Trepanier et Mme Kindt comme témoins dans le cadre de l’instance. Cette décision, prise pour des raisons que VIA seule connaît, a pour conséquence que les affirmations faites à l’audience au sujet de la relation de travail de M. Sawchuk avec les femmes en général, et avec chacune d’elles, ne puissent être opposées aux deux femmes, et que leurs réponses ne puissent être mises à l’épreuve en contre-interrogatoire. Que les parties aient été ou non surprises par les questions du Tribunal au sujet de l’arrêt Stadnyk, il est difficile de croire que ni l’une ni l’autre n’était au courant de la relation de M. Sawchuk avec ses collègues féminines. Le fait que VIA ait choisi, pour quelque motif que ce soit, de ne pas convoquer les collègues de sexe féminin de M. Sawchuk ne permet pas maintenant de penser qu’elle serait lésée par l’examen, par le Tribunal, de ce qu’une femme raisonnable (ou une personne raisonnable dans les mêmes circonstances) percevrait comme une conduite importune.

[22] Cela dit, je suis d’avis que la personne raisonnable dans les circonstances de la présente plainte est une femme raisonnable. Et, en tout état de cause, je conclus qu’il est loisible au Tribunal de se fonder sur l’arrêt Stadnyk, qui a pour lui force de précédent.

B. Principales questions en litige

  1. La conduite de M. Sawchuk envers Mme Young constitue-t-elle une contravention à la Loi?
    1. La conduite de M. Sawchuk constitue-t-elle, au sens de l’alinéa 7b) de la Loi, de la discrimination exercée en cours d’emploi contre Mme Young en raison de son sexe, ou de son identité en tant que femme?
    2. La conduite de M. Sawchuk constitue-t-elle, au sens de l’alinéa 14(1)c) de la Loi, du harcèlement fondé sur l’identité de Mme Young en tant que femme?
    3. La conduite de M. Sawchuk correspond-elle à du harcèlement sexuel au sens du paragraphe 14(2) de la Loi?
  2. En cas de réponse affirmative à l’une ou l’autre des questions a, b ou c ci-dessus, VIA est-elle responsable de la conduite de M. Sawchuk, par application de l’article 65 de la Loi?
  3. Dans l’affirmative, quelles mesures de réparation y a-t-il lieu d’ordonner à l’encontre de VIA?

III. Droit applicable

[23] Tout au long de l’audience relative à la présente plainte ainsi que dans leurs observations finales, les parties ont axé leurs observations sur le fait que la conduite de M. Sawchuk constituait du harcèlement fondé sur le sexe, au sens de l’article 14 de la LCDP (en confondant parfois la notion de harcèlement fondé sur le sexe avec celle de harcèlement sexuel). Mme Young a également invoqué l’alinéa 7b) de la LCDP au soutien de sa plainte relative à un traitement défavorable subi en cours d’emploi du fait de son identité de femme.

[24] Aux termes de l’alinéa 7b) de la LCDP, constitue un acte discriminatoire le fait de défavoriser un employé en cours d’emploi pour un motif de distinction illicite. Quant à l’alinéa 14(1)c) de la LCDP, il dispose que le fait de harceler un individu en matière d’emploi constitue un acte discriminatoire s’il est fondé sur un motif de distinction illicite.

[25] Dans le cas d’une plainte qui porte sur un traitement défavorable en cours d’emploi (alinéa 7b) de la LCDP) tout comme dans le cas d’une plainte pour harcèlement en milieu de travail (article 14 de la LCDP), l’analyse que doit réaliser le Tribunal suppose de déterminer la conduite discriminatoire adoptée en milieu de travail à l’égard d’un plaignant en raison d’une caractéristique protégée. Toutefois, étant donné que le critère d’analyse applicable par le Tribunal diffère quelque peu pour chacun des motifs de plainte prévus par la Loi et invoqués en l’espèce, j’analyserai ceux-ci individuellement ci‑après.

i. Discrimination en cours d’emploi (al. 7b) de la LCDP)

[26] Dans le contexte de l’instruction d’une plainte relative aux droits de la personne, c’est au plaignant qu’il revient, à l’étape initiale, de s’acquitter du fardeau de la preuve. On parle souvent de cet exercice comme de l’établissement d’une preuve prima facie de discrimination. L’utilisation de cette expression latine est toutefois superflue, car elle rend le droit moins accessible aux Canadiennes et aux Canadiens et peut même être source de malentendus au sujet du droit applicable en matière de discrimination (voir les observations similaires dans Duverger c. Aeropro, 2019 TCDP 18 (CanLII), au par. 14 [Aeropro], Simon c. Première Nation Abegweit, 2018 TCDP 31, au par. 51; voir aussi Emmet c. Agence du revenu du Canada, 2018 TCDP 23, aux par. 53 et 54, et Vik v. Finamore (No 2), 2018 BCHRT 9).

[27] Quel que soit le nom qu’on lui donne, l’étape initiale de l’instruction demeure la même : il s’agit, pour le Tribunal, de déterminer si le plaignant a établi une preuve « [...] qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé » (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536, au par. 28).

[28] L’analyse en trois étapes relative à des allégations de discrimination a été définie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), [2012] RCS 61 [Moore], au paragraphe 33. Selon cette analyse, les plaignants doivent démontrer :

1) qu’ils possèdent une caractéristique protégée par la LCDP contre la discrimination;

2) qu’ils ont subi un effet préjudiciable;

3) que le motif de distinction illicite a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable.

[29] Ainsi, c’est sur ce critère d’analyse défini dans l’arrêt Moore que le Tribunal se fonde pour examiner les plaintes faisant état d’un traitement défavorable en cours d’emploi au sens de l’alinéa 7b) de la LCDP (voir p. ex. Aeropro).

[30] La preuve présentée au Tribunal doit être évaluée selon la prépondérance des probabilités, et il n’est pas nécessaire, pour le plaignant, de démontrer que le motif prohibé a été l’unique facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable qu’il a subi (Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation)), [2015] RCS 789 [Bombardier]).

[31] Une preuve directe de discrimination n’est pas forcément nécessaire, non plus que la preuve d’une intention de commettre un acte discriminatoire n’est obligatoire (voir Bombardier, aux par. 40 et 41). Souvent, la discrimination n’est pas exercée ouvertement ou intentionnellement. Or, la question de l’intention n’est pas celle que le Tribunal doit trancher en l’espèce. Il doit plutôt déterminer si la conduite en cause, peu importe l’intention qui la motivait, a eu un effet préjudiciable sur Mme Young. Ce faisant, le Tribunal doit tenir compte de l’ensemble des circonstances de la plainte pour pouvoir déceler si de subtiles odeurs de discrimination s’en dégagent (voir Basi c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP) [Basi]).

[32] Le Tribunal peut tirer une conclusion de discrimination à partir d’une preuve circonstancielle si la preuve présentée à l’appui des allégations de discrimination rend une telle conclusion plus probable que n’importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible (voir Basi). Cela dit, la preuve circonstancielle doit tout de même présenter un rapport tangible avec la décision ou la conduite contestée (voir Bombardier, au par. 88).

ii. Harcèlement fondé sur le sexe (al. 14(1)c) de la LCDP)

[33] Bien qu’elle vise en fin de compte à préciser quels sont les agissements qui constituent une conduite de nature discriminatoire, l’analyse d’une plainte fondée sur l’article 14 de la Loi suit une approche quelque peu différente.

[34] La notion de harcèlement n’est pas définie dans la LCDP. Toutefois, la jurisprudence du Tribunal et des cours de révision a défini le cadre d’analyse applicable à l’égard d’une plainte pour harcèlement déposée en vertu de l’article 14 de la Loi.

[35] Ainsi, dans la décision Morin c. Canada (Procureur général), 2005 TCDP 41 [Morin], le membre Athanasios D. Hadjis écrivait, aux paragraphes 245 et 246 :

[245] Aux termes de l’article 14 de la Loi, le fait de harceler un individu en matière d’emploi constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite.

[246] Le harcèlement jugé illicite aux termes de la Loi a été défini de façon générale comme une conduite non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour la victime (Janzen c. Platy Enterprises Ltd. 1989 CanLII 97 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1252, à la p. 1284; Rampersadsingh c. Wignall (no 2) (2002), 45 C.H.R.R. D/237, au par. 40 (T.C.D.P.)). Dans Canada (RHC) c. Canada (Forces armées) et Franke, 1999 CanLII 7907 (CF), [1999] 3 C.F. 653, aux par. 29 à 50 (C.F., 1re inst.) (Franke), la juge Tremblay-Lamer définit le critère servant à déterminer s’il y a harcèlement aux termes de la Loi. Pour établir le bien-fondé d’une plainte, il faut prouver ce qui suit :

i. Il faut montrer que la présumée conduite de la partie intimée est liée au motif de distinction illicite invoqué dans la plainte (en l’espèce, la couleur du plaignant). Cette démonstration doit être fondée sur la norme de la personne raisonnable dans les circonstances entourant l’affaire, en gardant à l’esprit les normes de la société.

ii. Il faut prouver que les actes jugés répréhensibles étaient importuns. Afin de déterminer s’il s’agissait d’actes importuns, on tient compte de la réaction de la partie plaignante au moment où les présumés incidents de harcèlement se sont produits et on détermine si celle-ci a expressément montré, par son comportement, que la conduite reprochée était importune. Il n’est pas nécessaire dans tous les cas de déterminer si un refus verbal a été exprimé; le fait d’omettre à maintes reprises de répondre aux commentaires de l’auteur du harcèlement constitue pour ce dernier une indication que sa conduite était importune. La norme à appliquer en vue d’apprécier la conduite est celle de la personne raisonnable dans les mêmes circonstances.

iii. Pour qu’il y ait harcèlement, il faut habituellement la présence d’un élément de persistance ou de répétition; toutefois, dans certaines circonstances, un seul incident peut suffire à créer un milieu de travail hostile. Ainsi, une seule agression physique peut être suffisamment grave pour constituer du harcèlement, mais une plaisanterie vulgaire, même si elle est de mauvais goût, ne suffira généralement pas pour constituer du harcèlement, étant donné qu’elle est moins susceptible, à elle seule, de créer un milieu de travail défavorable. On se fonde également sur le critère objectif de la personne raisonnable pour évaluer cet élément.

iv. Enfin, si un employeur fait l’objet d’une plainte ayant trait à la conduite d’un ou de plusieurs de ses employés, comme c’est le cas en l’espèce, l’équité exige que la victime du harcèlement avise, si possible, l’employeur de la présumée conduite offensante. Cette exigence existe lorsqu’il y a chez l’employeur un service du personnel ainsi qu’une politique générale et véritable en matière de harcèlement sexuel, y compris des mécanismes de redressement appropriés.

[36] Dans la décision Morin, le Tribunal s’est appuyé sur l’arrêt Janzen c. Platy Enterprises Ltd. [1989] 1 R.C.S. 1252 [Janzen] de la Cour suprême du Canada et sur la décision Franke de la Cour fédérale, deux précédents qui ont été cités devant moi en l’espèce.

[37] Les principes établis dans la décision Morin ont été repris par notre Tribunal dans diverses autres décisions (voir p. ex. Aeropro, Dawson c. Postes Canada, 2008 TCDP 41, Hill c. Air Canada, 2003 TCDP 9, Alizadeh-Ebadi c. Manitoba Telecom Services Inc., 2017 TCDP 36, Croteau c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2014 TCDP 16, Day c. Société canadienne des postes, 2007 TCDP 43, Stanger c.Société canadienne des postes, 2017 TCDP 8 [Stanger], Siddoo c. Syndicat international des débardeurs et magasiniers, section locale 502, 2015 TCDP 21 [Siddoo], conf. par 2017 CF 678).

iii. Harcèlement sexuel (par. 14(2) de la LCDP)

[38] La Loi ne prévoit pas de définition expresse du harcèlement sexuel. Toutefois, la Cour suprême du Canada a défini le harcèlement sexuel comme étant « une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour les victimes de harcèlement ». (Janzen). Au cours des décennies suivant sa formulation par la Cour suprême, cette interprétation de ce qui constitue du harcèlement sexuel a été confirmée à maintes reprises dans des décisions rendues par des cours de justice, des tribunaux administratifs (y compris notre Tribunal) et des arbitres d’un bout à l’autre du Canada (voir, plus récemment, Peters c. United Parcel Service du Canada Ltd. et Gordon, 2022 TCDP 25 [Peters].)

[39] Dans la décision Franke, la Cour fédérale a statué que le Tribunal était tenu d’appliquer le critère juridique posé dans l’arrêt Janzen. Elle a ainsi reformulé les éléments requis du critère:

1) une conduite importune;

2) une conduite de nature sexuelle;

3) soit un comportement persistant, soit un seul incident grave.

Elle y a aussi ajouté une quatrième exigence :

4) l’obligation, pour l’employé, d’aviser l’employeur du harcèlement sexuel présumé lorsque l’employeur dispose d’un service des ressources humaines, et qu’une politique générale et efficace en matière de lutte contre le harcèlement sexuel ainsi que des mécanismes de redressement sont en place.

iv. Responsabilité à l’égard de la conduite d’un employé (art. 65 de la LCDP)

[40] Si le plaignant est en mesure de s’acquitter du fardeau de preuve qui lui incombe, l’intimé pourra se prévaloir d’une défense prévue dans la LCDP, si possible, ou limiter sa responsabilité, le cas échéant, en vertu du paragraphe 65(2) de la LCDP. Dans la présente affaire, l’intimée cherche à invoquer l’article 65 pour limiter sa responsabilité, dans l’éventualité où le Tribunal conclurait que la plainte de Mme Young est fondée.

[41] Le paragraphe 65(1) de la LCDP dispose que « les actes ou omissions commis par un employé, un mandataire, un administrateur ou un dirigeant dans le cadre de son emploi sont réputés [...] avoir été commis par la personne, l’organisme ou l’association qui l’emploie ». Selon le paragraphe 65(2), « la personne, l’organisme ou l’association visé au paragraphe (1) peut se soustraire à son application s’il établit que l’acte ou l’omission a eu lieu sans son consentement, qu’il avait pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher et que, par la suite, il a tenté d’en atténuer ou d’en annuler les effets ».

[42] En effet, si le Tribunal conclut à une conduite discriminatoire de la part d’un employé, l’employeur peut éviter d’être tenu responsable de cette conduite s’il parvient à démontrer qu’il ne l’a pas approuvée ni cautionnée et qu’il a réagi de façon raisonnablement efficace pour y remédier ou l’empêcher.

IV. Analyse

A. Mme Young a fait l’objet d’une conduite discriminatoire

[43] La plainte de Mme Young porte essentiellement sur le fait que M. Sawchuk a fait preuve de discrimination son égard parce qu’elle est une femme. Dans sa plainte, dans son exposé des précisions, tout au long de l’audience ainsi que dans sa plaidoirie, Mme Young a décrit le traitement défavorable dont elle a été victime comme constituant du harcèlement, tout comme l’a fait Commission.

[44] Ainsi qu’il a été indiqué précédemment, deux dispositions de la Loi traitent du type de conduite ayant donné lieu à la plainte de Mme Young, soit l’alinéa 7b) et l’article 14, qui sont tous deux mentionnés dans les actes de procédure produits en l’espèce. Bien que la conduite reprochée soit la même dans l’un et l’autre cas, l’analyse que commande chacune des protections offertes par la Loi est quelque peu différente. Par conséquent, j’examinerai les faits allégués par Mme Young et je tirerai des conclusions à leur sujet, en analysant d’abord la conduite en cause à la lumière du critère applicable relativement à l’alinéa 7b). J’examinerai ensuite cette même conduite compte tenu du critère que le Tribunal doit appliquer à l’égard des questions de harcèlement exercé en matière d’emploi pour le motif du sexe (al. 14(1)c)). Et, enfin, j’examinerai le critère particulier relatif au harcèlement sexuel qui a été établi par la jurisprudence pertinente du Tribunal.

1. Traitement défavorable en cours d’emploi (al. 7b) de la LCDP)

[45] Comme je l’ai déjà dit plus haut, la méthode suivie par le Tribunal pour analyser une plainte fondée sur l’article 7 de la Loi est décrite dans l’arrêt Moore. Chacun des facteurs énoncés dans cet arrêt sera examiné ci-dessous, mais, à la lumière des observations des parties, les principales questions dont le Tribunal est saisi sont celles de savoir : 1) si, selon la prépondérance des probabilités, la conduite alléguée par Mme Young a été établie; et 2) si, selon toute vraisemblance, le sexe de Mme Young a été un facteur dans la conduite de M. Sawchuk à son endroit.

[46] Tout au long de l’audience, et dans ses observations finales, VIA a confondu à répétition les deuxième et troisième éléments de l’analyse définie dans Moore (soit celui du traitement préjudiciable et celui de l’existence d’un lien avec une caractéristique protégée). Par exemple, VIA a déclaré :

[traduction]

L’intimée soutient que, même si certains incidents décrits dans les allégations pourraient constituer des différends liés à du harcèlement en milieu de travail, il n’y a aucune preuve de traitement défavorable ou de harcèlement fondé sur le sexe ou le genre.

[47] L’amalgame entre ces deuxième et troisième étapes de l’analyse vient brouiller la question centrale en litige dans la présente plainte, à savoir si le sexe de Mme Young a constitué un facteur dans la conduite de M. Sawchuk à son endroit.

[48] Pour pouvoir évaluer correctement si une plainte devrait être déclarée fondée, il convient d’examiner à tour de rôle chacune des étapes de l’analyse.

[49] Premièrement, le Tribunal doit chercher à savoir si la plaignante possède une caractéristique protégée par la Loi contre la discrimination. Deuxièmement, il doit déterminer si la plaignante a subi un traitement préjudiciable, ce qui ressort à l’évidence de la preuve présentée en l’espèce et qui sera exposé plus en détail ci-dessous. Troisièmement, en supposant qu’il y a bien eu traitement préjudiciable, le Tribunal doit déterminer si la caractéristique protégée a joué un rôle dans celui-ci, en gardant à l’esprit qu’il n’est pas nécessaire qu’il se soit agi du seul, ou même du principal facteur dans le traitement préjudiciable; il suffit qu’il ait été un facteur.

i. Caractéristique protégée

[50] Nul n’a contesté devant moi le fait que Mme Young est de sexe féminin, et que le sexe est une caractéristique protégée par la Loi.

ii. Traitement défavorable

[51] Dans sa plainte, Mme Young allègue plus d’une vingtaine d’incidents qui, selon elle, constituent du harcèlement fondé sur son sexe. Au cours de l’audience, certains de ces incidents ont été traités en détail, d’autres n’ont été mentionnés qu’au passage, et d’autres encore n’ont pas été mentionnés du tout. Pour les fins de la présente analyse, je me suis alignée sur les parties, en ce que mes motifs seront axés sur les faits ou les incidents qu’elles ont mis en évidence à l’audience, de même que sur les éléments ou les aspects de la plainte qui étaient les plus pertinents ou utiles pour rendre la présente décision (Turner, 2012 CAF 159 (CanLii) au par. 40, Constantinescu c. Service correctionnel du Canada, 2022 TCDP 13, au par. 33).

[52] À partir des éléments de preuve présentés à l’audience, et compte tenu de la propre définition du harcèlement donnée par VIA, à savoir [traduction] « tout acte importun qui humilie, offense ou intimide », selon la politique sur le harcèlement présentée en tant que pièce par la compagnie dans le cadre de l’instance, j’ai examiné 11 des incidents particuliers qui, selon les allégations de Mme Young et de la Commission, constituaient une conduite discriminatoire, mais aussi l’ensemble des interactions entre Mme Young et M. Sawchuk au sujet desquelles le Tribunal a entendu des témoignages.

[53] Nul n’a tenté sérieusement de faire valoir que la conduite de M. Sawchuk n’avait pas eu d’effet préjudiciable pour Mme Young. En fait, en plus des conclusions de VIA selon lesquelles les agissements de M. Sawchuk constituaient une violation du Code de conduite qui justifiait des mesures disciplinaires importantes, les témoins, y compris les propres témoins de VIA, ont qualifié la conduite de M. Sawchuk de [traduction] « grossière », [traduction] « non professionnelle », [traduction] « vulgaire » et [traduction] « pénible ».

[54] Le caractère préjudiciable du traitement réservé à Mme Young par M. Sawchuk a pratiquement été reconnu à l’audience par VIA, en plus d’avoir été corroboré par l’enquête interne menée en milieu de travail par cette dernière. J’étudierai tout de même bon nombre des incidents allégués soulevés dans la plainte et tirerai des conclusions à leur égard, vu que les détails qui s’y rapportent sont pertinents pour l’analyse que commande la dernière étape du critère de l’arrêt Moore, soit celle qui concerne le lien entre la conduite discriminatoire et le sexe ou l’identité de Mme Young en tant que femme, lien ayant été contesté par VIA.

(1) Incidents particuliers allégués s’inscrivant dans la conduite de M. Sawchuk

  1. Surveillance et prise de photographies (janvier 2012)

[55] Mme Young a témoigné que le premier incident décrit en détail dans sa plainte était survenu en janvier 2012. M. Sawchuk, a-t-elle dit, l’observait depuis l’intérieur de son véhicule alors que Mme Young et son partenaire, M. Kanelopoulos, travaillaient au poste de ravitaillement. Mme Young a ajouté que M. Sawchuk prenait des photos d’elle pendant qu’elle travaillait, que sa conduite globale était [traduction] « troublante » et qu’elle la rendait mal à l’aise.

[56] M. Kanelopoulos, qui a également témoigné devant le Tribunal, a confirmé les dires de Mme Young, bien que les deux témoins aient admis qu’ils se trouvaient à bonne distance de M. Sawchuk au moment des faits.

[57] Dans son témoignage devant le Tribunal, M. Sawchuk a admis s’être trouvé sur les lieux au moment où cet incident se serait produit, mais il a nié avoir pris des photos de Mme Young. En réponse aux questions du Tribunal, M. Sawchuk a déclaré qu’il ne se souvenait pas de ce qu’il faisait au moment de l’incident. M. Sawchuk a ajouté qu’après avoir été confronté par le superviseur de quart, M. Gilbert Hamilton, au sujet des photos qu’il aurait prises de Mme Young, il avait offert de laisser VIA examiner son téléphone, vraisemblablement pour qu’elle vérifie s’il y avait d’éventuelles preuves de ces photos. M. Hamilton avait alors refusé d’inspecter le téléphone de M. Sawchuk ou de déterminer autrement si quelque photo avait été prise la nuit en question.

[58] Le Tribunal a entendu de nombreux témoins, y compris M. Sawchuk lui-même, au sujet de l’habitude qu’il avait d’observer le travail effectué par ses collègues pendant leur quart de travail et d’ensuite signaler à ceux-ci ou à la direction que, le cas échéant, il jugeait ce travail déficient.

[59] À la lumière des éléments de preuve dont je dispose, je conclus que M. Sawchuk était présent au poste de ravitaillement et qu’il observait Mme Young pendant qu’elle et M. Kanelopoulos accomplissaient leurs tâches. J’estime en outre que ce type de surveillance en milieu de travail exercée par un pair ou un collègue dénué de toute responsabilité de supervision à l’égard de Mme Young était un comportement importun et susceptible d’humilier, d’offenser ou d’intimider.

[60] En revanche, à partir de la preuve dont je dispose, je ne peux conclure que M. Sawchuk prenait alors des photos de Mme Young, même si je crois que Mme Young en est convaincue. Il ne faut toutefois pas voir dans cette déclaration la conclusion que M. Sawchuk n’a pas pris les photos. Je conclus plutôt qu’étant donné que Mme Young et M. Kanelopoulos étaient à bonne distance de M. Sawchuk, et compte tenu du témoignage de M. Sawchuk et du fait que M. Hamilton n’a pas inspecté le téléphone de celui-ci, je conclus que je ne suis pas en mesure de trancher dans un sens ou dans l’autre la question de savoir si M. Sawchuk a pris des photos de Mme Young au cours de la nuit concernée.

[61] Bien qu’il puisse être désagréable, importun ou — pour reprendre le terme de Mme Young — « troublant », un seul incident de surveillance de collègues pendant leur travail est peu susceptible de suffire à établir le bien-fondé d’une plainte de harcèlement. Toutefois, je conclus que, combinée à d’autres traitements préjudiciables ou importuns, cette conduite est préjudiciable au sens de la Loi.

  1. Prestation de serment (janvier 2012)

[62] Mme Young a déclaré qu’une semaine après l’incident décrit ci-dessus survenu au poste de ravitaillement, elle et M. Sawchuk avaient eu un désaccord sur la question de savoir si M. Sawchuk pouvait monter dans la cabine pendant qu’elle effectuait un déplacement de train. Afin de se faire emmener d’une zone de la gare de triage à une autre, M. Sawchuk, comme c’était parfois la pratique dans la gare de triage, était monté à bord du train que Mme Young était chargée de déplacer.

[63] Il n’est pas contesté que Mme Young était en droit, selon les règles de sécurité, de demander à M. Sawchuk de sortir de la cabine pendant qu’elle effectuait le déplacement du train, ce dont M. Sawchuk devait être au fait, vu sa connaissance et sa compréhension approfondies des règles de sécurité applicables au travail d’un préposé aux locomotives.

[64] Toutefois, selon la preuve dont je dispose, au lieu d’agir de façon respectueuse et courtoise lorsque Mme Young lui a demandé de quitter la cabine, M. Sawchuk a réagi en ayant un accès de frustration, notamment en émettant des jurons.

[65] À l’audience devant le Tribunal, VIA a soutenu que les jurons n’avaient pas été lancés par M. Sawchuk contre Mme Young, mais seulement en réponse au fait qu’elle lui avait demandé de quitter son environnement de travail pendant qu’elle déplaçait le train. Je ne trouve pas cette distinction significative dans les circonstances, pas plus que le gestionnaire de VIA, M. Hamilton, qui a réprimandé M. Sawchuk pour une conduite qu’il a jugée inacceptable.

[66] Bien qu’aucun témoin n’ait pu se souvenir des mots utilisés par M. Sawchuk, je suis convaincue que cet incident constitue un comportement intimidant de la part de M. Sawchuk, et je conclus qu’il s’agit d’un traitement préjudiciable au sens de la Loi.

[67] À la suite de l’incident, Mme Young a signalé pour la première fois à la direction la conduite de M. Sawchuk. M. Hamilton a alors demandé à Mme Young de déposer sa plainte par écrit, ce qu’elle a fait le 2 janvier 2012. Mme Young y affirmait que M. Sawchuk l’avait observée et photographiée au poste de ravitaillement une semaine auparavant, et que la veille, il avait refusé de quitter la cabine à sa demande alors qu’elle effectuait le déplacement d’un train. Mme Young a informé VIA que M. Sawchuk avait levé le ton et lui avait crié des injures.

[68] Je souligne ici — et j’y reviendrai plus en détail dans mon analyse de la responsabilité de VIA à l’égard de la conduite de M. Sawchuk en milieu de travail — que cette réaction excessive de M. Sawchuk à la demande que lui avait adressée Mme Young a été portée à l’attention de la direction. Un tel comportement agressif et non professionnel de la part d’un employé qui connaissait bien les règles et les attentes liées à son travail aurait dû susciter chez VIA des préoccupations quant à l’existence d’un problème sous‑jacent appelant une surveillance, voire une enquête, plus poussée.

[69] Cependant, lorsque l’affaire (ainsi que l’incident allégué de surveillance et de prise de photographies de Mme Young au poste de ravitaillement) a été signalée à M. Hamilton, celui-ci n’a pas mené d’enquête approfondie. Il n’a pris aucune mesure pour arriver à savoir si des photos de Mme Young avaient bel et bien été prises (au-delà du fait que de M. Sawchuk avait nié leur existence), et il ne semble pas non plus que VIA ait pris des mesures pour enquêter sur les raisons pour lesquelles M. Sawchuk avait répondu de façon aussi agressive à la demande de sa collègue de quitter la cabine pendant sa manœuvre de déplacement du train.

[70] Bien que les observations finales de VIA indiquent que M. Hamilton [traduction] « a fait enquête sur la question et l’a résolue », les événements qui ont suivi donnent à penser que la question était loin d’avoir été réglée adéquatement.

  1. Conduite dangereuse

[71] Mme Young a allégué qu’en février 2012, peu après la prétendue résolution de sa plainte par M. Hamilton, M. Sawchuk avait conduit un véhicule de l’entreprise de façon imprudente dans sa direction, dans la gare de triage, et qu’il avait tenté de l’empêcher d’obtenir des fournitures de l’entrepôt.

[72] Mme Young s’est également plainte d’un deuxième incident de conduite dangereuse qui, selon elle, aurait eu lieu en septembre 2013. Ce deuxième incident a été mentionné dans le témoignage de plusieurs témoins, et Mme Young en a parlé comme d’une source d’inquiétude importante pour sa sécurité personnelle.

[73] Mme Young a déclaré dans son témoignage que, vers le 18 septembre 2013, M. Sawchuk avait conduit le véhicule de la compagnie de façon imprudente à un passage à niveau où elle était en train d’effectuer le déplacement d’un train. Mme Young, qui se souvenait très bien des événements de ce jour-là, a témoigné que son niveau d’inquiétude sur le plan de la sécurité était alors particulièrement élevé à cause d’un incident qui s’était produit à un passage à niveau près d’Ottawa, où un train avait heurté un véhicule de transport en commun et ainsi causé le décès de six personnes. Mme Young a précisé que le niveau de stress, cette nuit-là dans la gare de triage du CMT, était élevé, et qu’à son avis, M. Sawchuk avait tenté de l’intimider pendant qu’elle effectuait les déplacements de trains qui lui avaient été assignés.

[74] Le témoignage de Mme Young au sujet de l’incident de septembre 2013 a été corroboré par M. Kanelopoulos, qui a dit au Tribunal que M. Sawchuk avait conduit le véhicule de l’entreprise de façon imprudente au passage à niveau, ce qui avait obligé M. Kanelopoulos à [traduction] « actionner les freins » ou à s’arrêter brusquement. M. Kanelopoulos a déclaré avoir signalé l’incident à M. Hamilton.

[75] M. Sawchuk a également témoigné au sujet de l’incident. Il a nié avoir conduit le véhicule au passage à niveau d’une manière destinée à intimider Mme Young. Il a corroboré l’accident évité de justesse, mais a déclaré ne pas avoir vu le train, parce qu’il n’y avait pas de feux à l’arrière de celui-ci. M. Sawchuk a ajouté n’avoir pas cherché alors à intimider Mme Young.

[76] Au fil des nombreux témoignages entendus par le Tribunal à l’audience, l’observation selon laquelle M. Sawchuk était obsédé par les règles et par ce qu’il percevait comme des problèmes de sécurité est revenue constamment. M. Sawchuk a été décrit à maintes reprises comme étant un [traduction] « maniaque du contrôle » obnubilé par la sécurité et les règles.

[77] Compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve attestant l’expérience qu’avait M. Sawchuk du travail pendant le quart de nuit, son comportement vigilant dans la gare de triage et son obsession avouée pour la sécurité, et vu le sentiment de conscience accrue à l’égard de la sécurité qui régnait cette nuit-là, à la suite d’une collision mortelle entre un train et un véhicule survenue plus tôt dans la journée, je ne trouve pas crédible que M. Sawchuk ait pu s’être approché d’un passage à niveau à bord d’un véhicule sans avoir remarqué la présence d’un train.

[78] La preuve permet de conclure que l’accident a bel et bien été évité de justesse et, bien que je ne croie pas que M. Sawchuk ait agi en pensant qu’il mettait véritablement sa vie ou le train en danger, j’estime que, selon toute vraisemblance, il était conscient de ce qu’il faisait. Toutefois, même si je conclus que Mme Young avait la conviction sincère que la conduite de M. Sawchuk constituait une tentative délibérée de l’intimider ou de la menacer, particulièrement dans le climat d’émotivité exacerbée qui, selon ce qu’elle a décrit, régnait pendant le quart concerné, je ne dispose pas d’éléments de preuve suffisants pour conclure que M. Sawchuk a commis un acte aussi imprudent de façon intentionnelle dans le but de nuire à Mme Young.

  1. Se tenir derrière Mme Young alors qu’elle était penchée

[79] La plainte de Mme Young mentionne un incident qui, selon elle, aurait eu lieu en avril 2012. Mme Young a déclaré que M. Sawchuk, qui conduisait une camionnette dans la gare de triage, avait immobilisé son véhicule directement derrière elle alors qu’elle agissait en tant que personne au sol pendant un déplacement de train. Mme Young était en train d’exécuter une opération qui consistait à aligner l’attelage de deux wagons. Mme Young a expliqué que, pour pouvoir visualiser cet alignement, elle devait se pencher à partir de la taille de manière à ce que sa ligne de visée corresponde au joint d’attelage. Mme Young a déclaré qu’elle était mal à l’aise, en tant que femme, de se pencher de cette façon alors que M. Sawchuk était assis dans un véhicule à quelques pieds derrière elle. Il était clair, d’après le témoignage de Mme Young, qu’elle se sentait exposée et vulnérable en se penchant de la sorte, compte tenu surtout de sa relation déjà tendue avec M. Sawchuk.

[80] Le fait que cette interaction a eu lieu n’a pas été contesté devant moi à l’audience. Aucun des témoins n’a contredit le témoignage de Mme Young selon lequel elle avait demandé à M. Sawchuk de s’éloigner, mais, plutôt que d’accéder à la demande de sa collègue, il avait refusé de bouger, et affirmé qu’elle avait suffisamment d’espace pour terminer la manœuvre. Selon Mme Young, M. Sawchuk avait fait fi de sa demande. Lorsqu’elle lui avait de nouveau demandé de se déplacer, il avait refusé. Cette déclaration n’a été contestée par aucun témoin.

[81] Mme Young a déclaré avoir ensuite demandé de l’aide à M. Doré, un gestionnaire qui se trouvait à proximité, mais que celui-ci avait refusé d’intervenir, en faisant remarquer qu’elle avait suffisamment d’espace pour exécuter la manœuvre. Encore une fois, le témoignage de Mme Young à ce sujet a été corroboré par celui d’autres témoins.

[82] Ce n’est que lorsque Mme Young a refusé de poursuivre la manœuvre de déplacement du train que M. Sawchuk s’est finalement éloigné et que Mme Young a pu terminer la tâche.

[83] Les témoignages de nombreux témoins — dont Mme Young, M. Sawchuk et M. Doré — entendus par le Tribunal à propos des faits entourant cet incident étaient remarquablement cohérents. Toutefois, à l’audience et dans ses observations finales, VIA a soutenu que les interactions en question étaient [traduction] « inexplicables », tandis que Mme Young a clairement indiqué que le comportement en cause constituait la preuve d’un traitement défavorable fondé sur son sexe.

[84] Mme Young a déclaré qu’elle ne se sentait pas à l’aise de se pencher devant M. Sawchuk, un collègue masculin qui la rendait inconfortable et l’effrayait, et dont elle avait trouvé la conduite [traduction] « troublante ». Ni M. Doré ni M. Sawchuk ne semblent avoir compris la raison ou la nature de l’inquiétude de Mme Young et de son appel à l’aide.

[85] Je conclus que M. Sawchuk a refusé de se déplacer lorsque Mme Young l’en a prié et que, lorsque celle-ci a sollicité l’aide de M. Doré, celui-ci a refusé d’intervenir. J’estime en outre que, dans les mêmes circonstances, une personne raisonnable comprendrait que lorsqu’un collègue de sexe masculin avec lequel on a une relation tendue est assis dans un véhicule derrière soi, à observer pendant qu’on se penche, il s’agit là d’une conduite pouvant être considérée comme préjudiciable et importune.

[86] Je reviendrai sur cette interaction au moment d’analyser le lien entre le traitement défavorable subi par Mme Young et son sexe, mais il est clair que ni au moment des faits, ni par la suite, VIA n’a compris ce qui pouvait être pénible pour Mme Young dans cet incident, à savoir, se pencher en avant en exposant l’arrière de son corps à un collègue de sexe masculin avec qui elle avait une relation tendue, et au sujet de qui elle avait exprimé un inconfort.

[87] De plus, j’estime que le fait que M. Doré n’ait pas cherché à déterminer ce qui se passait devant lui, et qu’il ait refusé de donner suite à la demande d’aide de Mme Young, a aggravé les effets de la situation et donné à Mme Young l’impression que son employeur était indifférent à ses préoccupations.

[88] Même si elle ne l’a fait que brièvement au cours de son témoignage, Mme Young a aussi parlé d’un autre incident où la proximité physique de M. Sawchuk lui avait causé une détresse semblable.

[89] Mme Young a décrit un incident au cours duquel, alors qu’elle était en train de descendre une échelle pour débarquer du train, M. Sawchuk avait commencé à grimper la même échelle, pour s’arrêter juste sous elle. Il ressort manifestement du témoignage de Mme Young qu’elle se sentait exposée et vulnérable dans cette position.

[90] Comme la question n’a été abordée par aucun autre témoin et qu’elle a seulement été mentionnée au passage par Mme Young, j’estime que, selon toute vraisemblance, cette interaction a eu lieu, mais j’y accorderai peu de poids aux fins de mes motifs.

  1. Commentaires grossiers et dénigrants

[91] Mme Young a déclaré qu’elle avait été l’objet à maintes reprises de commentaires grossiers et dénigrants de la part de M. Sawchuk, soit en personne, soit sur la fréquence radio. En particulier, elle a témoigné qu’en décembre 2012, M. Sawchuk avait passé des commentaires au sujet de son utilisation des toilettes, en diffusant ces commentaires sur la fréquence radio utilisée par tous les préposés aux locomotives qui étaient de service. Le témoignage de Mme Young au sujet de cet incident a été corroboré par d’autres témoins, dont M. Al Arsenault, et VIA ne l’a pas contredit ou contesté directement.

[92] M. Arsenault, qui travaillait avec Mme Young à l’époque, a témoigné qu’il avait entendu cette communication sur la fréquence radio. Lorsqu’il était allé chercher Mme Young à l’atelier où elle se trouvait au moment de l’incident, il avait remarqué qu’elle avait pleuré. Il a déclaré que, lorsqu’il avait demandé à Mme Young ce qui s’était passé, elle lui avait répondu qu’elle se sentait embarrassée et mal à l’aise.

[93] Au vu de la preuve dont je dispose, j’estime que, selon toute vraisemblance, cet incident s’est produit tel qu’il a été allégué, et je conclus qu’il constitue un traitement défavorable au sens de la Loi.

[94] Mme Young a également affirmé que M. Sawchuk lui avait parlé de manière rabaissante et non professionnelle de la façon dont elle devait effectuer une manœuvre de train. Malgré le fait qu’il n’était pas le superviseur de Mme Young, M. Sawchuk, selon elle, lui avait parlé de manière impolie et lui avait dit [traduction] : « Je vais te donner des directives ». Mme Young a déclaré qu’elle avait vu dans ces agissements une tentative de M. Sawchuk d’affirmer sa supériorité et sa domination sur elle en insistant pour qu’elle se conforme à ses vues sur la manière d’exécuter les manœuvres de train. Et ce, malgré le fait que, comme le Tribunal l’a appris, il y a souvent plus d’une façon correcte d’accomplir une tâche en toute sécurité dans la gare de triage.

[95] VIA n’a pas contesté que M. Sawchuk ait agi de façon impolie envers Mme Young, que ce soit lors de cet incident en particulier ou d’une manière plus générale. De fait, Mme Young a déclaré que M. Doré avait convenu avec elle, au moment de l’incident, que le ton et la communication de M. Sawchuk étaient inappropriés. Dans sa propre déposition, M. Doré a confirmé les déclarations de Mme Young sur ce point. En outre, lors de son contre-interrogatoire, M. Medeiros a confirmé avoir dit à Mme Young que le comportement de M. Sawchuk était du [traduction] « harcèlement, absolument ». M. Medeiros a affirmé qu’à l’époque où il était intervenu dans la situation entre Mme Young et M. Sawchuk, il savait qu’elle était anxieuse en présence de M. Sawchuk et qu’à n’en pas douter, elle était bouleversée et avait peur de lui.

[96] Je conclus qu’à de multiples reprises, M. Sawchuk s’est exprimé de façon grossière et non professionnelle à l’endroit de Mme Young, tant en s’adressant à elle directement qu’en sa présence ou sur l’appareil radio, et j’estime que ce comportement constitue un traitement défavorable au sens de la Loi.

  1. Critique de la voix de Mme Young sur l’appareil radio (octobre 2012)

[97] Selon le témoignage de Mme Young, M. Sawchuk se plaignait du fait qu’elle ne parlait pas assez fort pour qu’il l’entende sur la fréquence radio lorsqu’ils travaillaient durant le même quart de travail, mais ne travaillaient pas ensemble. Mme Young a allégué que la critique de M. Sawchuk la visait, en tant que collègue féminine, et était destinée à la rabaisser et à la dénigrer. Mme Young a fait remarquer que d’autres collègues n’avaient aucune difficulté à l’entendre et à la comprendre lorsqu’elle s’exprimait sur l’émetteur radio, et que M. Sawchuk s’en prenait à elle en faisant référence à une caractéristique liée au sexe, à savoir une voix féminine (plus douce).

[98] M. Sawchuk a admis s’être plaint à plusieurs reprises et à de nombreuses personnes de la voix de Mme Young sur la fréquence radio. Il a affirmé qu’il soulevait ainsi une préoccupation valable quant au fait que Mme Young ne se conformait pas au protocole de communication radio. M. Sawchuk a déclaré qu’il avait aussi porté plainte contre d’autres préposés aux locomotives. M. Medeiros a confirmé dans son témoignage que M. Sawchuk était [traduction] « pointilleux » en ce qui a trait au protocole radio.

[99] Malgré les plaintes de M. Sawchuk au sujet de la voix de Mme Young, le Tribunal n’a été saisi d’aucun élément de preuve qui indiquerait qu’il s’agissait là d’un problème de rendement pour Mme Young, ou que sa conduite était contraire à ce que l’on attendait d’une personne occupant son poste. En l’absence de tout élément de preuve établissant que M. Sawchuk soulevait là un problème valide de sécurité ou de rendement, je conclus que ses plaintes adressées à Mme Young et formulées contre elle au sujet de sa voix constituent un traitement défavorable selon la Loi.

[100] Il convient de souligner, ici, que des remarques et des comportements pouvant paraître neutres à une personne qui jouit du privilège associé à la culture dominante dans un contexte particulier peuvent être ressentis comme — et, en fait, constituer — de l’exclusion, de la stigmatisation ou de la discrimination du point de vue d’une personne qui ne jouit pas du même privilège dans le même contexte.

[101] Par exemple, dans un milieu traditionnellement masculin, des commentaires concernant une caractéristique liée au sexe, comme le ton de voix d’une femme ou le caractère approprié de ses vêtements, peuvent créer une expérience d’« altérité » dont l’effet est de diminuer ou de rabaisser une personne en fonction d’une caractéristique protégée. Par exemple, des remarques sur les antécédents familiaux ou les caractéristiques physiques (comme les cheveux) d’une personne racisée, lorsqu’elles sont faites dans un contexte où la plupart des gens ne partagent pas ces mêmes caractéristiques, peuvent avoir des effets discriminatoires. De telles remarques sont de plus en plus considérées comme une forme de comportement discriminatoire que l’on appelle microagressions.

[102] La conséquence des récriminations de M. Sawchuk a été de donner l’impression que la façon dont Mme Young s’exprimait à la radio — une question qui n’a pas été autrement soulevée en tant que problème de rendement par d’autres collègues ou par des superviseurs — était mauvaise ou incorrecte. Mme Young a déclaré avoir eu le sentiment que ces agissements étaient dirigés contre elle, et qu’ils faisaient partie de la conduite de M. Sawchuk consistant à affirmer son contrôle et sa domination sur elle au travail. J’arrive en outre à la conclusion que M. Sawchuk s’est plaint de Mme Young au superviseur de celle-ci et, de son propre aveu, à d’autres collègues, au sujet de la même question. Bien que je ne sois pas en mesure d’évaluer s’il s’agissait d’une préoccupation valable du point de vue des protocoles radio et des règles de sécurité en milieu de travail, je conclus que les agissements en cause étaient, à tout le moins, non professionnels. Somme toute, au regard de la relation globale et du comportement décrits dans les présents motifs, je conclus que les commentaires et les plaintes de M. Sawchuk au sujet de la voix de Mme Young sur la fréquence radio constituaient un traitement défavorable au sens de la Loi.

  1. Absence de réponse aux communications et insistance quant à une communication par émetteur radio (décembre 2012)

[103] Mme Young a déclaré dans son témoignage que, vers la fin de 2012, au bout d’une période de près de douze mois qui, selon elle, était caractérisée par un comportement non professionnel et dénigrant de la part de M. Sawchuk et une intervention minimale de la part de VIA, la situation entre M. Sawchuk et Mme Young s’était considérablement détériorée. Mme Young a dit qu’à cette époque, alors qu’elle et M. Sawchuk travaillaient en partenariat pendant un quart de travail, il insistait pour diffuser toutes les communications entre eux sur la fréquence radio commune utilisée par tous leurs collègues de l’équipe, en dépit du fait qu’ils se trouvaient souvent à quelques pieds l’un de l’autre et parfaitement à portée de voix. Aux dires de Mme Young, il avait également exigé qu’elle fasse de même. Cette allégation n’a été contredite par aucun témoin, et je crois comprendre qu’il ne s’agit pas là d’une pratique normale chez des collègues qui travaillent ensemble.

[104] La situation a atteint son paroxysme le 7 décembre 2012 lorsque, selon le témoignage de Mme Young, M. Sawchuk faisait mine de ne pas l’entendre alors qu’elle lui parlait dans la cabine du train. Mme Young a réagi en activant l’arrêt d’urgence, ce qui, d’après ce que j’ai compris des divers témoignages livrés à l’audience au sujet de l’incident, constitue une réaction sérieuse à une menace pour la sécurité perçue dans la gare de triage.

[105] M. Sawchuk a riposté aux actions de Mme Young en sortant de la cabine et en claquant la porte derrière lui.

[106] Je suis d’avis que l’insistance de M. Sawchuk pour que sa collègue communique exclusivement par radio avec lui est méprisante et contrôlante. Bien que j’aie entendu un témoignage selon lequel cette façon de faire entrait dans les paramètres des règles de sécurité et des protocoles radio, je ne suis pas convaincue que, sur le plan de la sécurité, une raison valable justifiait que M. Sawchuk impose à Mme Young de communiquer avec lui par radio seulement. Je suis d’avis que M. Sawchuk entendait ainsi contrôler et embarrasser Mme Young, de même qu’affirmer sa domination et son sentiment de supériorité sur elle en agissant d’une manière qui était autorisée par les règles, mais qui la faisait sentir inapte à répondre à ses exigences. Je conclus que ce comportement constitue un traitement défavorable au sens de la Loi.

[107] Mme Young avait signalé l’incident à son superviseur, M. Doré, qui a témoigné au Tribunal avoir également été préoccupé par la conduite de M. Sawchuk. M. Doré a parlé de la détérioration de la dynamique de travail comme d’un danger pour la sécurité et, à ce moment-là, il avait fait part de ses inquiétudes au sujet du comportement de M. Sawchuk (en ce qui concerne cet incident et de façon plus générale) à la haute direction, y compris à M. Medeiros et à M. Hamilton, dans un courriel daté du 8 décembre 2012.

[108] Dans son courriel, M. Doré se disait très inquiet de la conduite de M. Sawchuk, à la lumière des événements décrits par Mme Young. Il y sonnait l’alarme au sujet des interactions de M. Sawchuk avec un certain nombre d’employés, et demandait : [traduction] « Il y en a combien d’autres? Et combien de plus allons-nous tolérer? »

[109] M. Medeiros, qui avait reçu la note de service de M. Doré, a témoigné que [traduction] « tout cela n’était que des ouï-dire », en ajoutant qu’il avait alors conclu à l’absence d’une plainte écrite officielle concernant M. Sawchuk (même s’il a admis avoir reçu le courriel d’un de ses gestionnaires qui se disait alarmé par la conduite de M. Sawchuk et qui qualifiait la situation de dangereuse). À l’époque, tout comme dans le cadre de l’audience, VIA a minimisé la gravité des agissements de M. Sawchuk et des préoccupations de Mme Young, en affirmant que celle-ci réagissait de façon excessive aux préjudices qu’elle subissait. La direction de VIA, de surcroît, avait fixé son attention sur la question de l’existence de plaintes écrites officielles, sans se soucier suffisamment de la dégradation rapide et potentiellement dangereuse de la situation entre M. Sawchuk et Mme Young.

[110] Je suis d’avis que, dès décembre 2012, la direction de VIA disposait d’amplement de preuves que la situation entre M. Sawchuk et Mme Young était dysfonctionnelle et risquée (surtout dans un milieu de travail où la sécurité est un enjeu).

[111] Presque tous les témoins qui ont témoigné devant le Tribunal au sujet du comportement de M. Sawchuk ont décrit ce dernier en des termes peu flatteurs. Et VIA n’a fait aucun effort pour contester l’argument de Mme Young selon lequel M. Sawchuk était impoli, contrôlant et non professionnel.

[112] Le fait que VIA minimise la détérioration de la situation, y compris les préoccupations soulevées dans le courriel de M. Doré datant de décembre 2012, a eu pour effet que la situation dérape de plus en plus. À ce stade, il aurait dû être évident pour VIA que M. Sawchuk et Mme Young ne pouvaient pas travailler ensemble en toute sécurité, compte tenu surtout de la nature de leurs fonctions.

  1. Observation par M. Sawchuk du vestiaire des femmes

[113] Mme Young a déclaré que M. Sawchuk était fréquemment présent à l’extérieur du vestiaire des femmes, dans l’aire de repos où se trouvent des fauteuils, lorsqu’elle arrivait pour le début de son quart de travail. Son témoignage sur ce point a été corroboré par M. Kalelopoulos et admis par M. Sawchuk.

[114] Mme Young a déclaré avoir été préoccupée de ce que M. Sawchuk la regarde arriver au travail et prenne des photos d’elle dans le vestiaire. À mon avis, il s’agissait d’une réelle source de préoccupation pour Mme Young, qui avait sincèrement l’impression d’être observée par M. Sawchuk lorsqu’elle arrivait sur les lieux et se préparait pour le travail. Compte tenu de la relation de plus en plus tendue et détériorée entre Mme Young et M. Sawchuk, je comprends pourquoi Mme Young a estimé qu’il s’agissait d’un traitement préjudiciable.

[115] M. Sawchuk a témoigné que, lorsqu’ils prennent une pause de leur travail dans la gare de triage, lui et des collègues s’assoient régulièrement dans l’aire de repos appelée « the leathers » [« les cuirs »], et qu’il s’y assoit aussi seul à l’occasion. Il a ajouté qu’il n’observait pas Mme Young dans le vestiaire et ne la photographiait pas pendant qu’elle se préparait pour son quart de travail.

[116] D’après les images du vestiaire qui ont été présentées en preuve à l’audience, je conclus que l’entrée de celui-ci est visible depuis l’aire de repos. Cependant, je ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure qu’il est possible d’apercevoir l’intérieur du vestiaire à partir des fauteuils qui s’y trouvent. La preuve produite à l’audience ne permet pas de confirmer que M. Sawchuk prenait des photos de Mme Young dans le vestiaire, même si celle-ci redoutait sincèrement que ce fût le cas.

[117] Compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve, y compris le propre témoignage de M. Sawchuk, et du fait que M. Medeiros a précisé au sujet de M. Sawchuk qu’il avait l’habitude d’observer et de commenter les faits et gestes de ses collègues en milieu de travail, je conclus que, selon toute vraisemblance, M. Sawchuk a observé les allées et venues de Mme Young au travail d’une manière qui n’était pas requise dans le cadre de son emploi.

[118] Bien que ce fait, à lui seul, ne soit pas déterminant, il s’inscrit dans une conduite et a contribué à créer une atmosphère dans laquelle Mme Young se sentait surveillée par M. Sawchuk. Je conclus que M. Sawchuk surveillait effectivement Mme Young, et qu’il s’agissait là d’une conduite préjudiciable dirigée contre elle.

  1. Différend concernant le fait de travailler avec la porte de la cabine ouverte et remarques sur la tenue vestimentaire de Mme Young (février 2013)

[119] Mme Young a déclaré qu’en février 2013, par une froide journée d’hiver, alors qu’elle et M. Sawchuk travaillaient ensemble dans la cabine d’une locomotive, M. Sawchuk, qui se trouvait près de la porte de la cabine, avait insisté pour la garder ouverte pendant un certain nombre d’heures durant son quart de travail. Mme Young a déclaré que cette situation la mettait très mal à l’aise, et que M. Sawchuk n’était pas disposé à accéder à sa demande de fermer la porte.

[120] Lorsque Mme Young avait demandé à son superviseur, M. Hamilton, de l’aider à gérer la situation avec M. Sawchuk, M. Hamilton avait parlé à celui-ci. Selon la preuve dont dispose le Tribunal, M. Sawchuk a réagi à la plainte de Mme Young en disant à M. Hamilton qu’elle [traduction] « devrait penser à s’habiller en fonction de la météo », ce qui laissait entendre que la demande de Mme Young de fermer la porte l’hiver était déraisonnable ou que cette dernière ne comprenait pas comment s’habiller pour son travail.

[121] M. Hamilton a tranché que, pour chaque quart de travail ou manœuvre, il revenait à l’employé affecté au poste de conducteur de décider si la porte de la cabine devait rester ouverte ou fermée. Le membre d’équipe devait suivre les instructions du conducteur.

[122] Puis, un autre différend est survenu en mars 2013. Mme Young avait été affectée comme conductrice pendant le quart de travail, et M. Sawchuk prenait place dans la cabine. Mme Young a déclaré que M. Sawchuk avait refusé de fermer la porte de la cabine, malgré sa demande en ce sens et la directive de M. Hamilton selon laquelle le conducteur avait le droit de décider si la porte resterait ouverte ou fermée.

[123] Les faits entourant ces deux incidents n’ont pas été contestés devant moi. Cependant, les versions des témoins divergeaient considérablement.

[124] Mme Young s’est plainte de ce que la conduite de M. Sawchuk était méprisante, et ses commentaires au sujet de sa tenue au travail, dénigrants et sexistes.

[125] VIA a fait valoir que le conflit entre les deux collègues était un simple désaccord lié à une question de confort et à la température qui devrait régner dans leur lieu de travail.

[126] Bien que cette caractérisation par VIA soit plausible dans le cas du premier incident — quoique peu probable vu le contexte général de la relation entre M. Sawchuk et Mme Young —, la résurgence du différend quelques semaines plus tard, malgré les directives de leur gestionnaire, est révélatrice des véritables intentions de M. Sawchuk. Le fait d’insister, malgré les objections d’une collègue, pour garder la porte ouverte par une froide nuit d’hiver ne représente pas qu’un simple désaccord raisonnable entre collègues au sujet de la température du lieu de travail, encore moins lorsqu’il se produit à répétition malgré des directives claires d’un superviseur. Je conclus donc, selon la prépondérance des probabilités, que M. Sawchuk s’est conduit ainsi pour tenter d’affirmer son contrôle et sa domination sur Mme Young et de profiter de l’occasion pour l’embêter et la mettre mal à l’aise, ce qui équivaut à un traitement défavorable au sens de la Loi.

[127] Je trouve également dénigrant et condescendant le commentaire de M. Sawchuk à son superviseur selon lequel Mme Young devrait s’habiller en fonction de la météo.

[128] Je ne saurais convenir que les propos de M. Sawchuk sur les vêtements de Mme Young étaient à caractère sexuel ou constituaient du harcèlement sexuel. Toutefois, comme je l’explique ailleurs dans les présents motifs, des remarques qui visent à diminuer ou à exclure une personne n’en peuvent pas moins constituer de la discrimination fondée sur le sexe, surtout lorsqu’elles font partie d’une conduite visant à établir une domination et un contrôle sur la personne et qu’ils sont liés à une caractéristique protégée.

  1. Dénigrement de Mme Young concernant le déplacement d’un train

[129] Mme Young a déclaré que, la nuit même où s’était produit le deuxième incident avec la porte de la cabine, au début de mars 2013, M. Sawchuk (la personne au sol) lui avait demandé (en tant que conductrice) d’effectuer le déplacement du train, en lançant : [traduction] « 203, allez-y », ce qui signifiait que le train 203 devait avancer. Mme Young a déclaré qu’elle avait alors procédé au déplacement comme demandé. Or, M. Sawchuk l’avait ensuite réprimandée à plusieurs reprises sur la fréquence radio pour avoir effectué la manœuvre, tout en niant lui avoir lui-même demandé de l’exécuter.

[130] Le témoignage de Mme Young à ce sujet était clair et précis. Elle a déclaré que cet incident était extrêmement préoccupant à ses yeux, car il aurait pu entraîner de lourdes conséquences pour elle si quelque chose était arrivé au train, à tout autre véhicule ou à une personne dans la gare de triage. Le témoignage de Mme Young sur cette question n’a été contredit par aucun autre témoin. Interrogé au sujet de l’incident, M. Sawchuk a déclaré qu’il ne se souvenait pas précisément des faits en question.

[131] Tout bien pesé, j’estime que le témoignage de Mme Young à ce sujet est fiable. Elle a relaté les faits tels qu’elle s’en souvenait clairement, et les gestes qu’elle a posés immédiatement après l’incident corroborent son témoignage selon lequel elle redoutait les conséquences d’ordre professionnel et sécuritaire susceptibles de découler d’un tel incident, advenant qu’il se reproduise. De plus, sa déposition concordait avec les faits rapportés dans sa plainte présentée en milieu de travail, son entrevue avec Mme Selesnic et la présente plainte. Par conséquent, je conclus que M. Sawchuk a donné à Mme Young la directive de déplacer le train, pour ensuite la réprimander sur la fréquence radio, ce qui constitue un traitement défavorable visé par la Loi.

[132] Lorsque Mme Young est allée voir M. Hamilton pour lui dire qu’elle ne voulait plus travailler avec M. Sawchuk, le superviseur lui a demandé de communiquer son refus de travailler par écrit. À ce moment-là, Mme Young a déposé auprès de VIA neuf lettres de plainte où elle décrivait en détail les événements qui s’étaient produits entre avril 2012 et mars 2013. Ces lettres indiquent clairement que la situation entre Mme Young et M. Sawchuk avait atteint un point où Mme Young craignait les répercussions de la conduite de M. Sawchuk sur la sécurité ainsi que les dysfonctions qui en résultaient en milieu de travail.

[133] À ce stade, M. Medeiros avait commencé à s’occuper plus directement de la situation, et lui et Mme Young ont tous deux témoigné qu’ils considéraient alors que l’affaire engageait l’application de la politique de VIA sur le harcèlement en milieu de travail. En mars et en avril 2013, une série de mesures ont été mises en place, y compris une enquête officielle en matière de harcèlement en milieu de travail menée par Mme Selesnic, une autre gestionnaire de VIA.

[134] L’enquête menée par Mme Selesnic sera examinée plus en détail ci-dessous. Toutefois, il importe de noter ici qu’à la suite d’une enquête interne réalisée en milieu de travail (qui était en fait une série d’entrevues détaillées), Mme Selesnic a fourni une sorte de rapport verbal de ses conclusions à M. Medeiros et à M. Hamilton. Il ne semble pas qu’un rapport écrit ait été produit et, de toute façon, aucun n’a été soumis en preuve au Tribunal. Même si, à l’origine, l’enquête avait été présentée comme portant sur une plainte de harcèlement, à un certain moment au cours du processus, VIA l’a rebaptisée en tant qu’enquête sur une [traduction] « conduite inconvenante ».

[135] Au bout du compte, après l’enquête, la direction de VIA a décidé que le comportement de M. Sawchuk à l’égard de Mme Young contrevenait au Code de conduite et nécessitait une sanction disciplinaire sévère.

[136] Selon la preuve de VIA, les mesures disciplinaires infligées à M. Sawchuk à la suite de l’enquête sont les suivantes :

a) l’attribution de 25 points d’inaptitude;

b) la consigne d’éviter tout contact avec Mme Young.

[137] Le Tribunal n’est pas lié par les conclusions d’une enquête interne en milieu de travail. Cela dit, le fait que VIA ait elle-même déterminé que M. Sawchuk s’était livré à de graves agissements transgressant le Code de conduite vient conforter la conclusion du Tribunal selon laquelle M. Sawchuk a adopté une conduite défavorable à l’égard de Mme Young, tant en regard des politiques de VIA applicables au milieu de travail — comme il est expliqué dans les présents motifs — que sous le régime de la Loi.

  1. Contact physique au poste de ravitaillement (septembre 2013)

[138] Dans sa plainte et à l’audience, Mme Young a consacré beaucoup de temps à traiter de la question de savoir si, en septembre 2013, M. Sawchuk avait eu un contact physique avec elle au poste de ravitaillement, lors d’un quart de travail où ils étaient tous deux de service.

[139] Mme Young a déclaré que M. Sawchuk était entré dans le poste de ravitaillement alors qu’elle et son partenaire s’y trouvaient déjà, et qu’il avait entrepris de traverser devant elle pendant qu’elle assurait l’entretien de sa locomotive. Mme Young a déclaré qu’alors qu’elle s’affairait à l’avant du train, M. Sawchuk avait établi un contact physique avec elle au moment de la dépasser.

[140] M. Sawchuk a nié avoir touché Mme Young.

[141] En prenant connaissance des éléments de preuve relatifs à cette allégation, j’ai eu la possibilité de regarder des enregistrements vidéo et un certain nombre de photos. Par suite de cet examen, et compte tenu des témoignages respectifs de Mme Young et de M. Sawchuk, je conclus que M. Sawchuk s’est donné du mal pour traverser la voie ferrée tout près de Mme Young, mais que rien ne me permet de conclure à un contact physique avec elle.

[142] Cette conclusion ne veut pas dire que j’estime que Mme Young a été malhonnête dans son témoignage à propos de l’incident. Au vu de l’ensemble de la preuve, et du témoignage de Mme Young en particulier, je ne doute pas que celle-ci soit convaincue de la véracité de son témoignage, même si la preuve ne me permet pas de conclure qu’il y a eu un contact physique.

[143] En septembre 2013, la perception qu’avait Mme Young des faits et du comportement de M. Sawchuk pourrait avoir été influencée par la crainte et le traumatisme qu’a laissés chez elle la conduite abusive longtemps subie de la part de M. Sawchuk. Si une telle possibilité est pertinente quant au poids que je puis accorder au témoignage de Mme Young, ce témoignage ne s’en trouve pas pour autant affaibli, d’autant plus qu’il a été, dans de nombreux cas, corroboré par celui d’autres témoins.

[144] Même si je ne suis pas prête à faire primer la perception qu’a Mme Young de l’incident en question sur mon propre examen des photographies ou des enregistrements vidéo produits en preuve, je constate que la conduite adoptée par M. Sawchuk au poste de ravitaillement ce soir-là était contraire à l’avertissement qu’il avait reçu à la suite de l’enquête en milieu de travail, et selon lequel il devait éviter Mme Young. À mon avis, il ne fait aucun doute que M. Sawchuk a orienté sa trajectoire de manière à passer extrêmement près de Mme Young, alors qu’il aurait facilement pu choisir d’emprunter un autre chemin pour laisser plus d’espace à celle-ci.

[145] Même en l’absence d’un contact physique avec Mme Young, je constate que M. Sawchuk a fait fi des instructions qui lui avaient été données d’éviter Mme Young, alors qu’il savait ou aurait dû savoir qu’agir ainsi la mettrait mal à l’aise. J’estime que ce comportement cadre avec la conduite qui ressort à l’évidence des présents motifs, à savoir que M. Sawchuk tentait d’affirmer son contrôle ou sa domination sur Mme Young — souvent dans une relative impunité — et je conclus qu’il s’agit là d’un traitement défavorable au sens de la Loi.

  • 1)Conduite de M. Sawchuk en général

[146] En plus d’analyser individuellement les incidents allégués pour déterminer les effets des agissements d’une personne sur un plaignant, il est souvent important de prendre du recul et d’examiner la conduite en cause dans son ensemble. Dans de nombreux cas, y compris celui qui nous occupe, le tout est effectivement bien plus grand que la somme de ses parties.

[147] Bien que, pris isolément, de nombreux incidents allégués dans la plainte de Mme Young puissent sembler anodins, l’effet cumulatif de la conduite adoptée M. Sawchuk pendant près de deux ans révèle un comportement dénigrant, qui visait vraisemblablement à imposer un contrôle et qui a certainement eu un effet préjudiciable pour Mme Young.

[148] Le Tribunal a entendu pendant des semaines les témoignages de seize témoins, dont presque tous, y compris M. Sawchuk lui-même, ont affirmé qu’il était difficile de travailler avec lui. Ces témoignages ont composé un portrait tout à fait clair, et en grande partie cohérent, de M. Sawchuk en tant que préposé aux locomotives fort compétent, qui possède beaucoup d’expérience et de connaissances au sujet du travail ferroviaire, mais avec qui de nombreux collègues et superviseurs trouvaient difficile de travailler au quotidien.

[149] Les témoins ont utilisé au sujet de M. Sawchuk des termes comme [traduction] « intimidation », [traduction] « contrôle » et [traduction] « gros problème » pour décrire un comportement que le Tribunal qualifierait d’abusif et de toxique, et qui comprend notamment le fait de crier contre les employés et de recourir à un langage vulgaire ou à des jurons. Certains témoins ont également décrit M. Sawchuk comme quelqu’un qui surveille ses pairs en milieu de travail et qui prétend corriger leurs écarts de rendement, ou encore qui signale aux superviseurs de quart les rendements qu’il juge inappropriés. M. Medeiros, pour sa part, a dit de M. Sawchuk qu’il est une personne toujours désireuse d’avoir raison, qui croit être la meilleure au travail et qui est toujours convaincue que sa façon de faire est la meilleure.

[150] J’ai entendu de nombreux témoins dire que Mme Young ne s’en remettait pas à M. Sawchuk pour savoir comment exercer ses fonctions de préposée aux locomotives. Plusieurs témoins ont confirmé que de nombreuses tâches pouvaient être accomplies correctement de diverses manières, et que les préposés aux locomotives pouvaient les exécuter avec succès sans nécessairement suivre l’approche retenue par M. Sawchuk. Cependant, pour certains employés, en particulier ceux que M. Sawchuk considérait comme inférieurs à lui sur le plan des compétences et de l’expérience, le fait de ne pas se plier à l’approche privilégiée par celui-ci revenait à être la cible de ses critiques, de son intimidation et de son contrôle.

[151] M. Medeiros a témoigné que M. Sawchuk agissait de la sorte avec les employés les plus récemment arrivés, dont un certain nombre de femmes, mais qu’il n’essayait pas de contrôler ainsi le comportement au travail des préposés aux locomotives plus expérimentés, avec qui il travaillait depuis longtemps, et qui étaient tous des hommes.

[152] J’estime, en l’espèce, que M. Sawchuk avait du mépris pour la façon dont Mme Young abordait son travail de préposée aux locomotives, et qu’il ne la respectait pas comme collègue. Mme Young ne s’est pas pliée aux tentatives de M. Sawchuk de la former à sa méthode de travail, ce qui lui a valu les foudres de ce dernier. Elle a donc fait l’objet d’une campagne de harcèlement et d’abus qui, examinée globalement, constitue un grave traitement défavorable. Via aurait dû reconnaître celui-ci et y remédier.

Résumé de la question du traitement défavorable

[153] Il n’appartient pas au Tribunal de se prononcer sur une conduite qui dépasse la portée de la présente plainte. En outre, le Tribunal ne prétend pas détenir une expertise particulière dans des domaines autres que ceux visés par la Loi. Toutefois, compte tenu des éléments de preuve présentés au Tribunal et de la nature délicate, sur le plan de la sécurité, du travail des préposés aux locomotives au CMT, la plainte de Mme Young illustre le danger qui guette un milieu de travail qui ne parvient pas à repérer et à éliminer les comportements toxiques et abusifs au travail.

[154] Compte tenu de l’ensemble de la preuve — notamment les conclusions de l’enquête menée par VIA en milieu de travail, le témoignage de nombreux témoins, dont le propre témoin de VIA, M. Medeiros, et les documents déposés en preuve —, je conclus que M. Sawchuk a adopté une conduite dénigrante et rabaissante à l’égard de Mme Young, et ce, de janvier 2012 à la fin de 2013, alors que M. Sawchuk a été retiré de l’équipe de nuit et qu’ils ont cessé de travailler ensemble.

[155] J’estime que, prise dans son ensemble, la conduite de M. Sawchuk à l’égard de Mme Young constitue un traitement préjudiciable au sens de la Loi. Tout bien considéré, cette conduite atteint le seuil nécessaire pour satisfaire à la deuxième étape du critère de l’arrêt Moore.

iii. La caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable

[156] Ayant tranché que M. Sawchuk s’est livré à une conduite préjudiciable à l’égard de Mme Young, le Tribunal entreprendra maintenant l’analyse qui consiste à déterminer si le sexe de Mme Young a été un facteur dans le traitement défavorable qu’elle a subi. En l’espèce, il est juste de dire qu’il ne s’agit pas d’une affaire où la nature discriminatoire de la conduite est flagrante. Pour reprendre l’expression consacrée par la jurisprudence du Tribunal, il s’agit d’une affaire où la détection de [traduction] « subtiles odeurs de discrimination » exige d’analyser soigneusement les faits pris dans leur contexte global (Basi).

[157] Il ne faut donc pas s’étonner que cet aspect de la plainte soit celui qui fasse le plus débat entre les parties. Je commencerai par résumer la position des parties sur la question d’un lien entre le traitement préjudiciable précédemment exposé et le sexe de Mme Young, puis j’exposerai les raisons pour lesquelles je suis arrivée à la conclusion que le sexe de Mme Young a été un facteur dans ce traitement préjudiciable.

  1. Position de la plaignante

[158] Comme il a été expliqué en détail ci-dessus, le Tribunal a conclu que M. Sawchuk a tenté d’affirmer sa domination et d’imposer aux préposés aux locomotives une méthode de travail particulière correspondant à son approche de prédilection. Cette conduite visait principalement les employés « moins expérimentés » qui ne s’en remettaient pas à son point de vue sur la façon d’exécuter le travail. Mme Young faisait partie de ces employés.

[159] Mme Young a mentionné à maintes reprises que son genre ou son sexe avait été un facteur dans le comportement qu’elle avait subi de la part de M. Sawchuk. Tout au long de l’audience, et dans ses observations, elle a précisé quatre façons dont son identité de femme a joué dans le traitement préjudiciable qui lui a été réservé :

1) M. Sawchuk réagissait plus agressivement aux femmes résistant à ses tentatives de contrôle qu’aux hommes, qu’il n’osait pas défier;

2) M. Sawchuk est à l’origine de plusieurs incidents particuliers où le sexe a constitué un facteur direct dans le traitement préjudiciable lui-même, notamment lorsqu’il : a refusé de s’éloigner de l’arrière de Mme Young quand elle avait dû se pencher; a grimpé l’échelle où elle se trouvait de manière à se retrouver juste devant l’arrière de son corps; s’est plaint à la direction de la voix de Mme Young à la radio; a passé des commentaires condescendants sur le fait que Mme Young n’était pas vêtue correctement pour faire son travail;

3) En tant que femme travaillant la nuit dans une vaste gare de triage souvent mal éclairée, Mme Young, en raison de la conduite de M. Sawchuk, a ressenti de la peur et de l’intimidation, une expérience qui était liée à son identité de femme;

4) Le défaut de VIA de reconnaître le caractère discriminatoire de la situation entre elle et M. Sawchuk et d’y remédier a fait en sorte que les gestionnaires de VIA, principalement des hommes, aient exclu et diminué Mme Young pendant trop longtemps.

  1. Position de l’intimée

[160] Selon la position de VIA, M. Sawchuk était un collègue difficile qui avait des agissements non professionnels, mais sa conduite envers Mme Young n’avait rien à voir avec son identité de femme. Bien que M. Sawchuk ait pu avoir été impoli ou irrespectueux, ou s’être livré à une [traduction] « conduite inconvenante », comme l’enquête sur le lieu de travail l’a établi, le comportement de M. Sawchuk était selon elle le résultat d’un conflit entre deux groupes d’employés. VIA a soutenu, dans ses observations finales, qu’[traduction] « une personne raisonnable n’interpréterait pas ce comportement comme étant un traitement défavorable ou du harcèlement fondé sur le sexe ou le genre ».

[161] VIA a soutenu que l’hostilité de Mme Young à l’égard de M. Sawchuk avait faussé sa perception des relations positives que M. Sawchuk entretenait avec d’autres femmes au travail.

[162] VIA a également fait valoir que Mme Young avait présenté des allégations vagues et non étayées sur les relations de travail antérieures de M. Sawchuk avec des collègues de sexe féminin, et que le Tribunal devrait préférer le propre témoignage de M. Sawchuk sur ses attitudes et de son comportement envers les femmes aux éléments de preuve émanant de Mme Young et de leurs collègues ayant témoigné à l’audience.

[163] Dans ses observations finales, VIA a également attiré l’attention sur des passages des déclarations de plusieurs autres témoins (dont Kirk Porter, Michelle Pitt et M. Arsenault) pour appuyer sa position selon laquelle M. Sawchuk avait une bonne relation de travail avec certaines femmes.

[164] Enfin, VIA a demandé au Tribunal de rejeter les témoignages de MM. Arsenault, Micallef, Anroop et Cormier, qui ont tous déclaré que M. Sawchuk avait des difficultés avec les femmes, en particulier avec celles qui ne se conformaient pas à ses vues sur la manière d’exercer les fonctions de préposé aux locomotives. Chacun de ces témoins s’est expressément dit d’avis que le traitement réservé à Mme Young par M. Sawchuk était en partie dû au fait qu’elle était une femme.

iii. Position de la Commission

[165] La Commission a fait valoir que la principale question que doit trancher le Tribunal dans la présente plainte est celle de savoir si, au sens de la LCDP, le comportement de M. Sawchuk à l’égard de Mme Young constitue du harcèlement fondé sur le motif de distinction illicite qu’est le sexe. Dans ses observations finales, la Commission a déclaré : [traduction] « La question qui se pose est celle de savoir si son comportement, dans ces circonstances, avait quoi que ce soit à voir avec le sexe de Mme Young ».

[166] Dans ses observations, la Commission a indiqué que la preuve à cet égard est, du moins en partie, contradictoire, et que la réponse du Tribunal à la précédente question repose sur une évaluation de la crédibilité des témoins ayant comparu devant le Tribunal.

[167] La Commission a relevé, d’une part, que Mme Selesnic et M. Medeiros avaient tous deux témoigné ne pas croire que la conduite de M. Sawchuk était liée au sexe de Mme Young, et que selon Mme Selesnic, au début de l’enquête en milieu de travail, Mme Young avait mis l’accent sur la sécurité au travail et non sur le harcèlement fondé sur le sexe.

[168] La Commission a aussi relevé, d’autre part, que selon le témoignage de Mme Young, M. Sawchuk traitait les femmes différemment des hommes, et lorsqu’elle contestait la façon dont elle devait selon lui accomplir son travail de préposée aux locomotives, il ne lui répondait pas de la même manière qu’il répondait à ses collègues de sexe masculin quand ceux-ci refusaient de retenir sa méthode de travail.

[169] La Commission a observé que M. Arsenault avait corroboré le témoignage de Mme Young en confirmant que M. Sawchuk traitait les femmes différemment. M. Arsenault avait aussi dit que M. Sawchuk aimait contrôler la façon dont les gens travaillaient et qu’il confrontait ses collègues féminines jusqu’à ce qu’elles se plient à sa méthode de travail de prédilection. La Commission a également relevé le comportement généralement contrôlant de M. Sawchuk et le fait qu’un certain nombre de témoins l’avaient qualifié de maniaque du contrôle.

  1. Analyse du lien entre la conduite de M. Sawchuk et le sexe de Mme Young

[170] Le Tribunal rappelle que, souvent, la discrimination n’est pas exercée ouvertement ni intentionnellement. Toutefois, pour donner leur sens aux protections prévues par la Loi, le Tribunal est chargé de déceler s’il se dégage des faits ne serait-ce que de subtiles odeurs de discrimination afin de déterminer si une caractéristique protégée a constitué un facteur dans une conduite contestée.

[171] Dans le cas où la preuve est circonstancielle, le Tribunal peut tirer une conclusion de discrimination si les éléments de preuve présentés à l’appui des allégations permettent d’inférer que, selon la prépondérance des probabilités, la conduite en cause était plus probablement discriminatoire que le contraire.

[172] Outre les observations des parties, le Tribunal a examiné les transcriptions de l’audience et les documents déposés en preuve concernant la question du lien entre la conduite de M. Sawchuk et le sexe de Mme Young. À la suite de cet examen, et compte tenu aussi bien des incidents particuliers que du comportement général de M. Sawchuk, j’estime disposer de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure à l’existence d’un lien entre la conduite de M. Sawchuk et le sexe de Mme Young.

[173] Cette conclusion repose sur deux points principaux :

a) Somme toute, la preuve présentée à l’audience milite en faveur de la conclusion selon laquelle M. Sawchuk réservait aux femmes — dont Mme Young — qui n’adhéraient pas à sa façon de travailler un traitement différent de celui qu’il adoptait à l’égard des hommes avec lesquels il avait des désaccords semblables;

b) Le sexe de Mme Young a été un facteur dans certains des incidents particuliers en cause qui, comme le Tribunal l’a conclu, sont assimilables à un traitement préjudiciable.

[174] J’exposerai plus amplement chacun de ces points ci-dessous.

  • a)M. Sawchuk traitait différemment des hommes les femmes qui n’étaient pas d’accord avec lui

[175] Plusieurs des témoins ont déclaré qu’avec les femmes qui n’étaient pas d’accord avec lui, M. Sawchuk se comportait de manière plus agressive qu’avec les hommes, et qu’il était plus enclin à tenter d’imposer aux employées de sexe féminin sa façon de voir le travail des préposés aux locomotives. Ces déclarations ont été contestées par des témoins de VIA, qui ont indiqué qu’ils n’avaient pas vu M. Sawchuk traiter les femmes différemment des hommes.

[176] Plusieurs des témoins cités par Mme Young ont dépeint M. Sawchuk comme quelqu’un qui avait un problème avec les femmes. Leur témoignage était cohérent et corroborait celui de Mme Young.

[177] Les témoins appelés par VIA, dont M. Sawchu, qui ont témoigné au sujet des interactions de M. Sawchuk avec les femmes, ont soit nié qu’il traitait les femmes et les hommes différemment, soit déclaré qu’ils n’avaient pas observé ce comportement chez lui et ne se souvenaient pas des incidents précis qui leur avaient été mentionnés en contre-interrogatoire.

[178] Les témoignages fournis respectivement par ces deux groupes de témoins ne sont pas conciliables, du moins en partie. C’est pourquoi je dois déterminer lesquels il me faut privilégier afin de rendre ma décision. Comme l’ont souligné VIA et la Commission dans leurs observations finales, cette question cruciale se résume, pour le Tribunal, à évaluer la crédibilité de deux ensembles de témoignages incompatibles.

[179] Mme Young a déclaré qu’elle avait vu M. Sawchuk traiter ses collègues masculins différemment d’elle, même lorsqu’ils étaient en désaccord avec lui, et qu’il traitait les femmes différemment en général. MM. Arsenault et Micallef ont eux aussi indiqué que M. Sawchuk traitait les femmes de manière différente. M. Micallef a déclaré qu’en ce qui concerne les employées de sexe féminin, M. Sawchuk les confronte jusqu’à ce qu’elles acceptent de faire leur travail de la façon qu’il préfère.

[180] En réponse à une question du Tribunal, M. Micallef a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Ouais, bien, quand il a un problème avec un employé masculin, il ne vient pas nous voir. Il va voir le gestionnaire, et il demande qu’un membre de la direction nous parle. Que ce soit justifié ou pas, il y va, et il se plaint à notre sujet. Mais dans le cas des femmes, il fait juste — il est juste sur leur dos, il les harcèle : « Tu dois procéder de cette façon-là; il faut que tu fasses comme ça ». Mais avec nous, il ne nous dit pas ça, surtout [que] nous connaissons notre travail.

[181] Ce témoignage de M. Micallef a été corroboré par celui d’autres témoins, y compris des gestionnaires de VIA, selon qui M. Sawchuk vient souvent les voir pour se plaindre d’autres employés. Même si la réticence de M. Sawchuk à défier directement ses collègues masculins s’explique en partie par le fait qu’il a été maltraité par eux par le passé, comme il l’a affirmé dans son témoignage, la différence de traitement qui en résulte pour Mme Young, ou pour d’autres femmes ne se conformant pas d’emblée à sa méthode de prédilection, n’en est pas moins discriminatoire.

[182] M. Anroop a témoigné au sujet d’une insulte sexiste qu’avait prononcée M. Sawchuk en parlant de Mme Young et d’une autre collègue. M. Anroop a affirmé avoir entendu M. Sawchuk parler de quelqu’un qui se trouvait à bord d’un train comme d’une [traduction] « maudite salope », après quoi il avait vu Mme Young en descendre. M. Anroop a dit avoir alors compris que M. Sawchuk faisait référence à Mme Young en utilisant ces insultes. M. Anroop a également décrit un incident où M. Sawchuk avait traité une autre collègue de [traduction] « maudite salope ». En réponse à une série de questions du Tribunal, M. Anroop a précisé que M. Sawchuk manquait de respect envers les femmes et qu’il les rabaissait.

[183] Dans son témoignage devant le Tribunal, M. Sawchuk a nié qu’il traitait ses collègues de sexe féminin différemment. Citant à l’appui sa relation avec deux autres collègues de sexe féminin, il a affirmé avoir déjà travaillé avec d’autres femmes sans problème par le passé. Le Tribunal observe que, hormis Mme Young, aucune des femmes travaillant directement avec M. Sawchuk n’a été appelée à témoigner à l’audience.

[184] M. Medeiros, à l’instar de Mme Selesnic, a déclaré qu’il n’avait pas vu M. Sawchuk traiter les femmes différemment. Cependant, ces deux témoins ont également déclaré qu’ils ne travaillaient directement avec M. Sawchuk que rarement, voire pas du tout.

[185] M. Hamilton, qui agissait comme superviseur direct du quart de nuit, a déclaré qu’il avait vu M. Sawchuk traiter tout le monde de la même manière, et qu’il n’était pas d’accord pour dire que celui-ci traitait les femmes différemment. Cependant, malgré son titre de superviseur, il semblait ne pas avoir eu connaissance de certains incidents relatifs à la conduite de M. Sawchuk dont d’autres témoins avaient fait état. En contre-interrogatoire, il a aussi dit ne pas se souvenir qu’une autre femme affectée au même quart de travail avait déposé une plainte au sujet du comportement de M. Sawchuk.

[186] VIA a fait valoir que le Tribunal devrait écarter les témoignages de Mme Young et de MM. Anroop, Arsenault et Micallef, pour les raisons suivantes :

  1. La perception des faits de Mme Young était déformée par son mépris pour M. Sawchuk;

  2. Les personnes citées par Mme Young pour témoigner du comportement de M. Sawchuk envers les femmes — et, en particulier, envers celles qui ne sont pas d’accord avec lui — ne sont pas fiables, en raison de l’animosité que ces personnes éprouvent à son égard.

[187] VIA a ajouté que, en ce qui concerne la question qui nous occupe, je devrais accorder préséance au témoignage de M. Sawchuk par rapport à celui de Mme Young.

[188] La Commission, quant à elle, n’a pas pris position sur les questions de crédibilité qui se posent au Tribunal.

[189] De façon générale, bien que le Tribunal ait conclu que le témoignage de Mme Young pouvait ne pas être fiable dans certains cas, ou que celle-ci pouvait avoir réagi de manière exagérée à un incident donné, j’ai estimé que son témoignage était, dans l’ensemble, sincère et véridique. J’ai aussi constaté que la majeure partie de son témoignage concernant la présente question a été corroborée par des documents et par d’autres récits de témoins ou n’a pas été contestée par VIA.

[190] Le témoignage de M. Sawchuk était également partagé. Certains passages de sa déposition m’ont paru sincères et véridiques, par exemple lorsqu’il a relaté sa propre expérience de harcèlement et de mauvais traitements de la part de certains de ses collègues, ainsi que sa frustration face à l’inaction de la direction. Toutefois, sa déposition était aussi incohérente sur un certain nombre de points. Par exemple, en réponse à une question où l’avocat de VIA avait parlé du nettoyage des vitres de train comme d’un [traduction] « travail cochonné », M. Sawchuk a déclaré qu’il n’utilisait pas de langage coloré lorsqu’il s’adressait à ses partenaires. Mais le Tribunal a pu constater que M. Sawchuk avait bel et bien lancé des jurons à ses collègues et employé un langage grossier à plusieurs reprises. M. Sawchuk a également indiqué ne pas comprendre le fondement de l’enquête en milieu de travail ni celui des sanctions disciplinaires qui lui ont été imposées, bien qu’il ait participé au processus d’enquête et insisté pour que le syndicat conteste les résultats de celle-ci par voie de grief jusqu’à se rendre en arbitrage, la troisième étape de la procédure de règlement des griefs.

[191] Même à supposer que le Tribunal écarte les témoignages de M. Sawchuk et de Mme Young au motif qu’il pourrait s’agir de témoignages intéressés, le Tribunal se retrouve, d’un côté, avec les dépositions de collègues de quart ayant travaillé avec M. Sawchuk pendant de nombreuses années, qui soutiennent la position de Mme Young et ont témoigné de la différence de traitement qui lui était réservée — et, dans le cas de M. Anroop, du recours à une insulte sexiste en référence à Mme Young et à une autre collègue de sexe féminin. Et de l’autre côté, il y a les témoignages de deux cadres de VIA, dont aucun n’a travaillé directement avec M. Sawchuk à l’époque pertinente. Et même s’il lui était clairement loisible de le faire, VIA a choisi de ne pas citer Mmes Kindt ou Trepanier — les deux autres femmes qui travaillaient à l’époque avec M. Sawchuk pendant le même quart de nuit que lui — pour qu’elles témoignent à l’audience de leur expérience de travail avec M. Sawchuk.

[192] La question dont est saisi le Tribunal ne consiste pas à savoir si M. Sawchuk méprise toutes les femmes ou s’il est incapable de travailler avec elles. En fait, pour que la discrimination soit établie, il n’est même pas nécessaire que le sexe de Mme Young ait été le facteur principal ou intentionnel des actes de M. Sawchuk; il suffit qu’il ait été un facteur.

[193] Selon ce que j’ai observé de M. Sawchuk au cours de son témoignage, il se peut qu’il ne soit sincèrement pas conscient de la manière dont ses actes constituent de la discrimination fondée sur le sexe, ou encore, qu’il ignore la nature genrée de ses agissements au travail. Par exemple, il a décrit positivement une partenaire de sexe féminin en disant qu’elle [traduction] « suivait bien les instructions », ce qui est apparu comme un compliment étrange venant de quelqu’un qui n’était ni le gestionnaire, ni le superviseur de cette personne. J’ai également été troublée par les éléments de preuve attestant l’utilisation répétée, par M. Sawchuk, d’une insulte sexiste dans ses accès de colère contre ses collègues.

[194] En ce qui concerne les allégations précises formulées contre M. Sawchuk au sujet de son attitude à l’égard des femmes, je ne suis pas disposée à écarter les dépositions sous serment de nombreux témoins qui ont fait part de leur expérience et de leurs observations directes selon lesquelles M. Sawchuk manque de respect envers les femmes et les traite de manière plus agressive que ses collègues masculins. Le témoignage de M. Anroop, qui a témoigné de manière précise de sa propre observation de M. Sawchuk utilisant un langage sexiste, a particulièrement convaincu le Tribunal. La crédibilité de M. Anroop a également été confirmée par le témoin de VIA, M. Hamilton, qui a déclaré qu’il ne croyait pas que M. Anroop était malhonnête ou inventait des histoires.

[195] En parvenant à la présente conclusion, je tiens à préciser que je ne remets pas en question la crédibilité des dépositions de M. Medeiros et de Mme Selesnic. Si leur témoignage au sujet de la relation de travail de M. Sawchuk avec ses collègues féminines est jugé moins fiable, c’est simplement parce qu’ils n’ont pas souvent eu l’occasion d’observer M. Sawchuk au travail. La crédibilité de M. Hamilton n’est pas remise en question non plus. Ces trois témoins ont eu moins d’occasions d’observer M. Sawchuk ou ne se souvenaient pas des incidents précis au sujet desquels ils ont été interrogés. Par conséquent, je ne peux accorder autant de poids à leurs témoignages concernant les relations de M. Sawchuk avec ses collègues de sexe féminin que j’en accorde aux autres.

[196] Je suis encline à accepter qu’à un moment donné au cours de la période où Mme Young a vécu du harcèlement de la part de M. Sawchuk, sa peur et son traumatisme (terme que je ne prétends pas utiliser dans un sens clinique) ont peut-être entraîné chez elle une hypersensibilité aux actions et aux motivations de M. Sawchuk. Pour autant que cette sensibilité accrue ait pu avoir influencé sa perception et son interprétation des incidents qu’elle a vécus, j’en ai tenu compte au moment d’évaluer le poids à accorder à son témoignage sur certains points. Néanmoins, je ne suis pas disposée à conclure que cette éventualité rend Mme Young indigne de confiance en tant que témoin. Il me paraît plus approprié de comprendre le témoignage de Mme Young comme étant empreint d’un sentiment de peur accru, ce qui a pour effet de confirmer, plutôt que de contredire, la nature traumatisante et l’importance de l’expérience qu’elle a vécue.

[197] En d’autres termes, un événement dont l’effet perturbateur pourrait être évalué à 3 sur une échelle de 10 par une autre personne sera ressenti par Mme Young comme se situant à 7 sur cette même échelle. On trouve un exemple de cette dynamique à l’œuvre dans l’incident du 5 septembre 2012 au poste de ravitaillement.

[198] Cela dit, dans bien des cas, la preuve de Mme Young a été corroborée par d’autres témoins, de même qu’étayée par la conclusion de VIA elle-même selon laquelle M. Sawchuk avait eu un comportement non professionnel enfreignant le Code de conduite de la compagnie (ce qui lui avait valu des sanctions disciplinaires importantes). Bien que nous ne disposions pas, en l’espèce, d’un rapport rédigé suite à l’enquête, ni du raisonnement à l’appui de la décision de frapper M. Sawchuk de mesures disciplinaires pour avoir enfreint le Code de conduite, j’estime que les témoignages relatifs à l’enquête interne de VIA cadrent davantage avec la version des faits de Mme Young qu’avec celle de M. Sawchuk.

[199] Tout compte fait, le Tribunal conclut que, selon toute vraisemblance, M. Sawchuk a, dans l’ensemble, traité certaines collègues de sexe féminin différemment et de manière plus agressive que ses collègues de sexe masculin.

  • b)Le sexe a été un facteur dans certains incidents particuliers

[200] Outre la preuve générale concernant l’attitude de M. Sawchuk à l’égard des femmes, certains des incidents allégués dans la plainte de Mme Young sont implicitement genrés et reposent sur une conduite que, selon moi, une femme raisonnable placée dans les mêmes circonstances ressentirait comme un traitement préjudiciable fondé sur le sexe.

[201] Plus précisément, j’estime que l’incident au cours duquel M. Sawchuk a refusé de se déplacer alors qu’il se trouvait derrière Mme Young, malgré le malaise et la demande en ce sens de celle-ci, fait intervenir des questions liées au sexe et au fait que Mme Young puisse se sentir mal à l’aise de se pencher, avec son corps de femme, devant un collègue masculin.

[202] De même, l’allégation selon laquelle M. Sawchuk est monté sur l’échelle de la cabine alors que Mme Young était en train d’en descendre a fait entrer en jeu des questions liées au sexe et au fait que Mme Young ait pu se sentir inconfortable lorsque son corps de femme, au moment où elle descendait, s’était retrouvé au-dessus de la tête/du visage de M. Sawchuk.

[203] Mme Young a également déclaré qu’en tant que femme, elle éprouvait un sentiment accru de peur et de vulnérabilité dans la grande zone industrielle où elle et M. Sawchuk travaillaient. Certains secteurs du CMT n’étaient pas bien éclairés, et Mme Young a expliqué avoir craint pour sa sécurité. D’autres témoins, dont M. Arsenault, ont dit que Mme Young semblait avoir peur et se sentir mal à l’aise de côtoyer M. Sawchuk dans la gare de triage.

[204] Le Tribunal ne laisserait en aucun cas entendre que ce genre de peur est une expérience universellement vécue par les femmes, ou même qu’il s’agirait de la seule réaction justifiée dans les circonstances décrites par Mme Young dans ses observations. Toutefois, je souscris à l’argument de Mme Young selon lequel, en tant que femme, le genre de peur qu’elle ressentait la nuit, dans la vaste et sombre gare de triage du secteur industriel, avait pour elle des effets distincts comparativement à ses collègues masculins. Autrement dit, Mme Young a vécu une expérience propre à son sexe du fait de la conduite de M. Sawchuk à son égard, vu la nature de leurs fonctions et le milieu de travail qui était le leur.

[205] Les allégations qui se rapportent au fait d’être surveillée par un collègue avec qui l’on a (au minimum) une relation tendue sont peut-être plus délicates. Enfin, comme il a été mentionné précédemment, dans les milieux de travail caractérisés par un privilège historique favorisant un groupe par rapport à un autre, des commentaires sur des caractéristiques liées au sexe, comme la voix d’une femme ou le fait qu’elle soit habillée de façon appropriée ou non pour le milieu de travail, comportent également un élément relatif au sexe.

[206] À la lumière de l’analyse qui précède, je conclus que le sexe de Mme Young a été un facteur dans le traitement préjudiciable que M. Sawchuk lui a réservé.

[207] Ayant répondu par l’affirmative aux trois questions énoncées dans l’arrêt Moore (si Mme Young a un motif de distinction illicite protégé, si elle a subi un effet préjudiciable et si le motif de distinction illicite protégé de Mme Young a été un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable), je conclus que la conduite de M. Sawchuk à l’égard de Mme Young a contrevenu à la Loi en application de l’alinéa 7b).

2. Harcèlement fondé sur le sexe (al. 14(1)c) de la LCDP)

[208] Mme Young et la Commission ont allégué que la conduite de M. Sawchuk constituait du harcèlement, et qu’elle était par conséquent incompatible avec les protections prévues par l’article 14 de la Loi.

[209] Je n’ai pas l’intention de répéter ici mon analyse de la conduite de M. Sawchuk, car je l’ai déjà exposée en détail ci-dessus, tout comme j’ai déjà tiré des conclusions factuelles au sujet des incidents allégués et du lien entre ces incidents et l’identité de Mme Young en tant que femme. Cependant, comme la plaignante et la Commission ont expressément allégué le harcèlement, et puisque l’analyse que commande une plainte fondée sur l’article 14 diffère quelque peu de l’analyse suivant le critère de l’arrêt Moore, le Tribunal, par souci d’exhaustivité, passera brièvement en revue chacun des éléments du critère visant à déterminer s’il y a eu violation de l’article 14 de la Loi. Il appliquera ensuite ce critère aux faits particuliers de l’affaire.

[210] Le critère relatif à l’alinéa 14(1)c) a été énoncé dans l’arrêt Morin. En appliquant les quatre éléments du critère de l’arrêt Morin aux faits de l’espèce, le Tribunal décidera si :

  1. La conduite de M. Sawchuk est liée à la caractéristique protégée de Mme Young (son sexe);

  2. Les actes de M. Sawchuck étaient importuns;

  3. La conduite de M. Sawchuck comportait l’élément de persistance requis ou encore un seul incident qui était suffisamment grave pour constituer du harcèlement;

  4. Mme Young a avisé VIA, l’employeur, de la présumée conduite offensante.

i. La conduite de M. Sawchuk était liée au sexe de Mme Young

[211] À la lumière de l’analyse déjà exposée précédemment concernant le lien entre la conduite de M. Sawchuk et le sexe de Mme Young, j’estime que la conduite de M. Sawchuk était au moins en partie liée à une caractéristique protégée.

ii. La conduite de M. Sawchuk était importune

[212] Comme le Tribunal l’a expliqué en détail plus haut, Mme Young a indiqué clairement et à maintes reprises, tant à M. Sawchuk qu’à VIA, que la conduite de ce dernier était importune, et qu’elle était mal à l’aise en sa présence. Nul n’a laissé entendre au Tribunal que cet élément du critère n’avait pas été établi.

iii. La conduite de M. Sawchuk était persistante

[213] Comme nous l’avons vu précédemment, la série d’incidents au fondement de la présente plainte représente une conduite persistante et d’une durée prolongée. Même si, sur certains points, j’ai jugé que les éléments de preuve soumis au Tribunal étaient insuffisants pour justifier une conclusion de fait, la preuve dans son ensemble ne laisse planer aucun doute sur le fait que M. Sawchuk s’est livré à une conduite à la fois persistante, non professionnelle, inappropriée et importune. Cette conclusion est en outre corroborée par les résultats de l’enquête interne menée par VIA elle-même sur la conduite de M. Sawchuk, résultats selon lesquels sa conduite était inconvenante.

iv. Mme Young a avisé VIA de la conduite en cause

[214] Les parties ont convenu que la question avait été portée à l’attention de l’employeur.

[215] VIA a fait valoir que, lorsqu’elle avait reçu la première plainte de Mme Young, en janvier 2012, elle n’avait pas compris la gravité des doléances qu’elle contenait ni considéré le problème comme étant du harcèlement (une question que j’examinerai plus en détail ci‑dessous). Il est vrai qu’au moment où Mme Young s’était plainte pour la première fois, la situation était loin d’être aussi grave qu’elle finirait par le devenir avant que VIA ne prenne des mesures. Toutefois, le Tribunal est convaincu que la lettre de plainte initiale de Mme Young, envoyée en janvier 2012, était suffisante pour aviser VIA de l’existence d’un problème entre elle et M. Sawchuk — notamment parce que plusieurs incidents de conduite non professionnelle s’étaient produits — et de la possibilité que la Loi entre en application. Après avoir été mise au courant de la situation, VIA aurait dû prendre des mesures proactives pour surveiller la situation entre Mme Young et M. Sawchuk et s’assurer qu’elle ne continuait pas de s’aggraver. Au lieu de quoi, les éléments de preuve présentés au Tribunal indiquent que M. Hamilton, qui a reçu la plainte de Mme Young en janvier 2012, a considéré que l’affaire était réglée après sa discussion avec M. Sawchuk et n’a pris aucune autre mesure proactive pour gérer la situation.

[216] Mme Young a ensuite déposé, en mars 2013 une plainte détaillée comportant neuf lettres de plainte où étaient décrits de nombreux incidents, après quoi VIA a finalement ouvert une enquête.

[217] D’après la preuve présentée au Tribunal, il ne fait aucun doute que VIA a été avisée des préoccupations de Mme Young.

[218] À la lumière de l’analyse qui précède, je conclus que la conduite de M. Sawchuk à l’égard de Mme Young constituait du harcèlement fondé sur le sexe, en contravention de l’alinéa 14(1)c) de la Loi, qui offre des protections à cet égard.

3. Harcèlement sexuel (par. 14(2) de la LCDP)

[219] À l’audience et dans certaines observations finales, les parties ont fait référence à la plainte en tant que plainte de harcèlement sexuel, et la Commission, en particulier, a présenté des observations sur le sujet.

[220] J’ai déjà tiré des conclusions concernant les allégations de harcèlement fondé sur le sexe en tant que caractéristique protégée par l’alinéa 14(1)c) de la Loi, mais à mon avis, il est également utile de traiter des allégations de harcèlement sexuel en regard du critère énoncé dans la décision Franke.

[221] Le Tribunal conclura à l’existence de harcèlement sexuel si la preuve établit :

1) que la partie s’est livrée à une conduite importune;

2) que la conduite reprochée est de nature sexuelle;

3) qu’il y avait soit un comportement persistant, soit un seul incident grave;

4) que l’employé a avisé l’employeur du harcèlement sexuel présumé, lorsque l’employeur dispose d’un service des ressources humaines et qu’une politique générale et efficace en matière de lutte contre le harcèlement sexuel ainsi que des mécanismes de redressement sont en place.

[222] J’ai déjà conclu que M. Sawchuk s’est livré, à l’encontre Mme Young, à des comportements de harcèlement assimilables à de la discrimination fondée sur le sexe, et je n’entends pas répéter l’analyse pertinente ici.

[223] M. Sawchuk s’est livré de façon soutenue et persistante à une conduite qui était, du moins en partie, liée au sexe de Mme Young; ainsi, les premier et troisième éléments du critère énoncé dans Franke sont remplis. J’ai également conclu que Mme Young avait porté ce comportement à l’attention de son employeur, comme l’exige le quatrième élément du même critère.

[224] Cependant, je ne suis pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que la conduite de M. Sawchuk était de nature sexuelle.

[225] Dans ses observations, la Commission a fait valoir que le harcèlement sexuel n’a pas besoin d’être de nature sexuelle. Selon elle, il peut inclure un comportement sexiste, c’est-à-dire qui vise un sexe et non l’autre, par exemple un comportement offensant ou humiliant basé sur le sexe d’une personne, des remarques sexistes sur les caractéristiques physiques de la personne ou des agressions verbales sexistes.

[226] Comme je l’ai déjà constaté en l’espèce, il est clair que, pour que le Tribunal puisse conclure à du harcèlement fondé sur le genre (le « sexe », selon la Loi), il n’est pas nécessaire qu’il y ait eu un comportement de nature sexuelle. Cependant, pour éviter toute confusion, il m’apparaît nécessaire de faire la distinction entre le harcèlement fondé sur le sexe (une forme de comportement discriminatoire qui est liée au sexe ou au genre d’une personne, et qui est contraire à l’alinéa 14(1)c)) et le harcèlement sexuel (qui, d’après le paragraphe 14(2), est un sous-ensemble du harcèlement fondé sur le sexe qui suppose un comportement de nature sexuelle). À mon sens, il est important de distinguer entre les deux types de harcèlement : le deuxième est un sous-ensemble distinct du premier.

[227] Bien que j’aie conclu que la conduite de M. Sawchuk constitue du harcèlement à caractère sexiste (ou, aux termes de la Loi, du harcèlement fondé sur le sexe), je ne suis pas d’avis que les éléments de preuve produits à l’audience étayent une conclusion selon laquelle ce harcèlement aurait été de nature sexuelle, au sens voulu par le paragraphe 14(2).

[228] Par conséquent, je rejette les allégations selon lesquelles la conduite de M. Sawchuk aurait contrevenu au paragraphe 14(2) de la Loi.

B. VIA est responsable de la conduite discriminatoire au regard de l’art. 65 de la LCDP

[229] Dès lors que le Tribunal a déclaré que la conduite de M. Sawchuck en milieu de travail était contraire à la Loi, il incombe à l’intimée, VIA, de démontrer qu’elle ne devrait pas être tenue responsable des actes de M. Sawchuk.

[230] L’article 65 de la LCDP énonce qu’un employeur est réputé responsable de la conduite de ses employés, à moins de pouvoir établir :

  1. qu’il n’a pas consenti à la conduite de l’employé;

  2. qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher;

  3. qu’il a par la suite pris toutes les mesures nécessaires pour atténuer ou annuler les effets néfastes de cette conduite.

[231] La jurisprudence du Tribunal évolue de telle sorte qu’il devient de plus en plus clair que, pour pouvoir se prévaloir d’une défense fondée sur l’article 65, l’employeur doit démontrer que ces trois précédentes conditions sont réunies. Autrement dit, celles-ci ne sont pas des moyens de défense subsidiaires. L’employeur doit prouver qu’il n’a pas consenti à la conduite, qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher et qu’ensuite, il a pris toutes les mesures nécessaires pour atténuer ou annuler les effets néfastes de la conduite (voir R. L. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2021 TCDP 33, au par. 198, Aeropro, au par. 194).

4. Position de l’intimée

[232] À l’audience, VIA a présenté des éléments de preuve montrant qu’une politique contre le harcèlement était en vigueur au moment des faits en cause. Elle a également soumis des éléments de preuve attestant l’existence de divers cours de formation offerts à ses employés (dont certains étaient obligatoires). En outre, Mme Selesnic, la gestionnaire de VIA qui a mené l’enquête interne sur la plainte de harcèlement déposée par Mme Young contre M. Sawchuk, a été citée comme témoin par Mme Young. Le Tribunal a aussi entendu des témoignages détaillés sur l’enquête interne que VIA a finalement menée et sur les mesures disciplinaires qui y ont fait suite.

[233] Bien que les parties ne se soient pas attardées sur ce point à l’audience ni dans leurs observations, je suis prête à déduire des observations de VIA qu’elle considère ne pas avoir expressément consenti à la conduite de M. Sawchuk, et ses observations peuvent être interprétées comme rejetant toute proposition contraire.

[234] VIA a fait valoir qu’elle a examiné, traité et résolu avec diligence chacun des problèmes soulevés par Mme Young, en plus d’avoir consacré beaucoup de temps à enquêter sur le fondement factuel des incidents soulevés par celle-ci. Dans ses observations, VIA a attiré l’attention sur le témoignage de M. Medeiros selon lequel il avait passé [traduction] « une centaine d’heures » à écouter des enregistrements de communications radio et à les transcrire à la main pour pouvoir faire toute la lumière sur les préoccupations de Mme Young.

[235] VIA a également avancé que son [traduction] « enquête externe » — qui était en fait interne chez VIA, mais externe par rapport à l’équipe de travail du quart de nuit du CMT dont Mme Young et M. Sawchuk faisaient partie — respectait les règles d’équité procédurale, et qu’elle avait débouché sur une procédure valable et proportionnelle aux conclusions de l’enquête.

[236] Enfin, le Tribunal a entendu des témoignages au sujet des restrictions qui ont progressivement été imposées à M. Sawchuk, et qui ont abouti à son retrait du poste de préposé aux locomotives qu’il occupait pendant le quart de nuit. VIA a en fait soutenu qu’en retirant M. Sawchuk du lieu de travail de Mme Young pour éviter tout contact entre les deux, elle était allée au-delà de toute obligation qu’elle aurait pu avoir en tant qu’employeur compte tenu de la situation.

[237] VIA a affirmé que le fait qu’elle ait imposé à M. Sawchuk des restrictions — dont certaines qui auraient semble-t-il empiété sur ses droits d’ancienneté en vertu de la convention collective applicable — qu’elle n’était même pas légalement tenue de lui imposer démontre qu’elle comprenait la gravité de la situation et qu’elle s’était efforcée de répondre aux besoins de Mme Young.

[238] Dans ses observations finales, VIA a invoqué la décision du Tribunal dans l’affaire Cassidy c. Société canadienne des postes et Raj Thambirajah, 2012 TCDP 29 (CanLII) [Cassidy] pour étayer son argument selon lequel, bien que son intervention n’ait peut-être pas été parfaite, elle s’était néanmoins dûment acquittée de son obligation de faire preuve de diligence raisonnable, aussi bien avant que ne surviennent les incidents décrits dans la plainte qu’en réponse à ceux-ci.

5. Position de la Commission

[239] Dans ses observations finales, en ce qui concerne les mesures prises par VIA à la suite des plaintes de Mme Young liées à la conduite de M. Sawchuk, la Commission s’est concentrée sur les deux principaux sujets de préoccupation suivants : i) la tardiveté de l’intervention; et ii) les lacunes dans le processus d’enquête.

i. Intervention tardive

[240] La Commission a soutenu que VIA ne s’était pas acquittée de son obligation d’enquêter sans délai sur les préoccupations de Mme Young concernant la conduite de M. Sawchuk. Elle avait en effet attendu plus d’un an, à compter de la date de la plainte initiale (janvier 2012), avant d’entreprendre sérieusement de faire enquête.

ii. Lacunes dans le processus d’enquête

[241] La Commission a soulevé d’autres préoccupations liées à la manière dont l’enquête a été menée. Elle a souligné que la description donnée par Mme Selesnic de son mandat, à savoir qu’elle devait recueillir de l’information plutôt que de mener une enquête sur le harcèlement, était contraire au point de vue de la Commission sur ce qui est attendu d’une enquête diligente.

[242] La Commission en a conclu que VIA ne s’était pas acquittée de son obligation, prévue à l’article 65 de la Loi, de mener sans délai une enquête approfondie et équitable sur les allégations et de mettre en place une solution appropriée.

6. Position de la plaignante

[243] Tout au long de l’audience, Mme Young a mentionné de nombreuses préoccupations soulevées par la réponse de VIA à ses plaintes concernant la conduite de M. Sawchuk, en particulier pour ce qui est de la reconnaissance du harcèlement que celui‑ci lui a fait subir et aux mesures prises par la compagnie pour y remédier. Les sujets de préoccupation étaient notamment les suivants :

a) la capacité des gestionnaires à bien reconnaître le harcèlement, y compris la nature sexiste de certains des incidents décrits dans la plainte;

b) le caractère suffisant de la formation offerte aux personnes chargées de mener les enquêtes;

c) le lancement tardif de l’enquête;

d) le manque de transparence dans le processus d’enquête (y compris lorsque l’on est passé d’une plainte de harcèlement à une violation du Code de conduite) et, surtout, l’absence de tout document écrit faisant état des conclusions de l’enquête (que la partie ayant ouvert l’enquête ait été censée recevoir ces conclusions ou non).

[244] Dans ses observations finales, Mme Young a reconnu que la politique sur le harcèlement en tant que telle était complète et bien formulée.

7. Analyse de la responsabilité de l’intimée à l’égard de la conduite discriminatoire

[245] La Loi établit clairement que l’employeur doit répondre de la conduite discriminatoire adoptée en milieu de travail par son employé. Le paragraphe 65(1) de la Loi est libellé comme suit :

Sous réserve du paragraphe (2), les actes ou omissions commis par un employé, un mandataire, un administrateur ou un dirigeant dans le cadre de son emploi sont réputés, pour l’application de la présente loi, avoir été commis par la personne, l’organisme ou l’association qui l’emploie.

[246] Nul n’a contesté devant moi que les actes décrits dans la plainte de Mme Young ont été commis par un employé dans le cadre de son emploi.

[247] Le paragraphe 65(2) de la Loi prévoit une exception à cette présomption de responsabilité :

La personne, l’organisme ou l’association visé au paragraphe (1) peut se soustraire à son application s’il établit que l’acte ou l’omission a eu lieu sans son consentement, qu’il avait pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher et que, par la suite, il a tenté d’en atténuer ou d’en annuler les effets.

[248] Pour atteindre ce seuil, l’employeur doit être intervenu sans délai; il doit avoir pris des mesures préventives et, par la suite, des mesures atténuantes.

[249] Dans l’éventualité où le Tribunal déclarerait fondée la plainte de Mme Young selon laquelle elle aurait été victime d’une conduite discriminatoire contraire à la Loi, VIA a invoqué le paragraphe 65(2) comme moyen de défense contre la responsabilité à l’égard des agissements d’un employé, responsabilité qui, autrement, serait engagée au titre du paragraphe 65(1).

[250] Il incombe à l’intimé de démontrer qu’il n’a pas consenti à la conduite contestée et qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher et, par la suite, en atténuer les effets (voir Aeropro, aux par. 208 et suivants).

Résumé des faits pertinents

[251] Pour la plupart, les faits pertinents qui concernent la réponse de VIA à la conduite de M. Sawchuk envers Mme Young n’ont pas été contestés.

[252] VIA avait une politique sur le harcèlement en place au moment des incidents en question.

[253] VIA a donné à ses employés de la formation sur cette politique sur le harcèlement.

[254] Dans une lettre datée du 12 janvier 2012, Mme Young a soulevé pour la première fois des préoccupations au sujet de la conduite de M. Sawchuk (surveillance, photographies et injures de sa part) auprès de la direction de VIA. Plus d’un mois s’est écoulé avant que VIA n’intervienne, et Mme Young a déclaré que, le 17 février 2012, le gestionnaire qui avait traité sa plainte avait communiqué de façon informelle avec les personnes impliquées et averti M. Sawchuk d’[traduction] « agir de façon plus professionnelle à l’avenir », ce dont M. Sawchuk avait convenu à contrecœur.

[255] Malgré cette réticence affichée par M. Sawchuk, VIA n’a fourni aucune preuve indiquant qu’elle aurait effectué un suivi ou pris des mesures pour s’assurer que M. Sawchuk agissait réellement de façon plus professionnelle. Comme il est expliqué en détail dans les présents motifs, la situation a plutôt continué de se détériorer. Cette détérioration a parfois, mais pas toujours, été portée à l’attention de la direction de VIA.

[256] La situation a atteint son paroxysme 14 mois après la première lettre de plainte de Mme Young.

[257] Le 7 mars 2013, Mme Young a avisé M. Hamilton qu’elle ne voulait plus travailler avec M. Sawchuk. Qu’un refus de travailler, au sens de la Loi sur la santé et la sécurité au travail, ait été déposé officiellement ou non, Mme Young a parlé de sa décision en ces termes. M. Hamilton a dit à Mme Young qu’elle devait consigner ses préoccupations par écrit, avec preuves à l’appui.

[258] Le 13 mars 2013, Mme Young a déposé auprès de VIA neuf lettres de plainte où elle exposait en détail les faits décrits dans les présents motifs et alléguait que M. Sawchuk s’était livré à un comportement inapproprié et dangereux.

[259] Le 21 mars 2013, MM. Hamilton et Medeiros ont rencontré Mme Young. Malgré le large éventail d’incidents décrits dans les lettres de plainte, la rencontre avait principalement porté sur les transmissions radio liées à certains des incidents soulevés dans la plainte de Mme Young datée du 13 mars. Il avait également été question de la politique sur le harcèlement et du processus de médiation de VIA en la matière.

[260] Mme Young a clairement fait savoir qu’elle ne voulait pas assister à une réunion avec M. Sawchuk, et qu’elle n’était pas à l’aise d’aller en médiation.

[261] Mme Young et M. Medeiros ont tous deux déclaré que M. Medeiros avait semblé troublé par les allégations et par le fait qu’elle ne se soit pas adressée à lui plus tôt.

[262] Le syndicat est ensuite intervenu, et il a été décidé de retirer M. Sawchuk du quart de soir au CMT à compter du 23 avril 2013.

[263] VIA a également décidé à ce moment-là de procéder à une enquête formelle.

[264] Le 18 avril 2013, Mme Selesnic a lancé une vaste enquête pour établir les faits concernant les plaintes déposées par Mme Young et elle a envoyé un avis à Mme Young à cet effet. On a de nouveau demandé à Mme Young de fournir à VIA des précisions sur ses plaintes.

[265] Dans le cadre de l’enquête de Mme Selesnic, M. Hamilton a fait une déclaration où il indiquait savoir que M. Sawchuk et Mme Young ne s’entendaient pas, mais ne pas être au courant [traduction] « qu’un quelconque harcèlement se produisait ». Il a aussi fait remarquer qu’[traduction] « aucune autre plainte écrite » n’avait été reçue entre le 12 janvier 2012 et le 13 mars 2013.

[266] Mme Selesnic a interrogé onze employés de VIA, dont Mme Young et M. Sawchuk. Mme Young a témoigné que son entrevue avec Mme Selesnic avait pris plus de deux journées de 12 heures.

[267] À un certain moment au cours du processus d’enquête, il a été décidé que la plainte de harcèlement de Mme Young serait traitée comme une plainte en vertu du Code de conduite. À l’audience, aucune explication n’a été fournie au sujet de la date et de la raison de cette décision, ni au sujet des personnes qui l’ont prise. Et je ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour pouvoir tirer des conclusions à cet égard.

[268] Les témoignages portant sur la conclusion de l’enquête étaient confus. Cependant, je puis déterminer qu’à la fin de son enquête, Mme Selesnic a fait un compte rendu verbal de celle-ci à M. Medeiros et M. Hamilton. VIA a indiqué à plusieurs reprises qu’il n’existait aucune trace écrite des résultats ou des conclusions de l’enquête.

[269] Mme Selesnic a indiqué dans son témoignage ne pas avoir été partie prenante aux conclusions à tirer de l’enquête approfondie qu’elle avait menée. Elle a ajouté que, même si elle avait elle-même mené l’enquête, elle ne s’était pas prononcée sur les allégations qui y avaient été formulées. M. Medeiros, quant à lui, a témoigné qu’il avait participé directement aux décisions sur les suites à donner à l’enquête de Mme Selesnic. Le Tribunal a pris connaissance d’un courriel de Mme Blair résumant les mesures que VIA prendrait en réponse à l’enquête. Cependant, lors de son témoignage, Mme Blair a précisé que M. Medeiros avait décidé des mesures disciplinaires à imposer, le cas échéant, alors qu’elle‑même avait arrêté toutes les autres mesures à prendre par l’organisation, notamment offrir des formations ou apporter des modifications à la politique.

[270] À la fin de juin 2013, Mme Young avait rencontré MM. Medeiros et Hamilton, qui l’ont alors informée que l’enquête était terminée et que M. Sawchuk avait fait l’objet de mesures disciplinaires. Mme Young a déclaré avoir été convaincue à ce moment-là que l’affaire avait été résolue.

[271] Selon le témoignage de Mme Young, elle avait demandé à ce qu’on lui fournisse une copie du rapport de Mme Selesnic, mais on ne l’avait pas fait. À l’époque, on lui avait dit que Mme Selesnic était absente et que son rapport n’était pas disponible. VIA a ultérieurement informé le Tribunal et les parties qu’un tel rapport n’existait pas.

[272] Mme Young a déclaré que, le 15 juillet 2013, M. Medeiros lui avait écrit pour lui communiquer les résultats de l’enquête. La lettre du 15 juillet a été présentée en preuve à l’audience, et la Commission en a inclus l’extrait suivant dans ses observations finales :

[traduction]

À la suite de l’examen des faits et des déclarations recueillies, je souhaite vous informer qu’il n’a pas été possible d’établir les allégations que vous avez formulées dans votre plainte. Cependant, les mesures correctives appropriées ont été prises à l’endroit de M. Sawchuk. Veuillez noter que la direction veillera à ce que le Code de conduite et la Politique sur le harcèlement soient respectés sur le lieu de travail. M. Sawchuk a été informé de nos conclusions et du fait que tout autre acte de harcèlement, d’intimidation ou de représailles de sa part sera considéré comme une inconduite et ne sera pas toléré.

[273] Après l’enquête, une sanction de 25 points d’inaptitude avait été infligée à M. Sawchuk, et d’autres mesures avaient été instaurées pour éviter que les agissements de M. Sawchuk ne se reproduisent.

[274] Bien qu’elles n’aient pas permis d’éliminer entièrement les problèmes entre Mme Young et M. Sawchuk, j’estime que les mesures prises par VIA à la suite de l’enquête de Mme Selesnic constituaient une réponse raisonnable — quoique tardive — dans les circonstances.

Analyse de la réponse de VIA à la conduite discriminatoire de M. Sawchuk

[275] À l’audience et dans leurs observations finales, la plaignante et la Commission ont insisté sur deux points à l’égard desquels, selon elles, l’intimée n’avait pas agi avec diligence raisonnable à l’égard de la conduite de M. Sawchuk :

  1. le long délai écoulé avant qu’une enquête officielle soit amorcée;

  2. la procédure suivie dans le cadre de l’enquête elle-même.

[276] Comme je l’ai déjà souligné précédemment, pour pouvoir se prévaloir de l’exception prévue par la Loi et ainsi se dégager de sa responsabilité à l’égard de la conduite d’un employé, VIA doit établir, selon la prépondérance des probabilités, i) qu’elle n’a pas consenti à la conduite contestée; ii) qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher; et iii) qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires pour en atténuer les effets.

[277] Comme VIA et la Commission l’ont fait valoir à juste titre dans leurs observations finales respectives, la norme à appliquer à cet égard n’est pas celle de la perfection, mais celle du caractère raisonnable (Laskowska v. Marinleland of Canada Ltd., 2005 HRTO 30 [Laskowska], au paragraphe 60).

(i) VIA a-t-elle consenti à la conduite de M. Sawchuk?

[278] Bien que les dispositions de la politique de 2007 sur le harcèlement aient été présentées en preuve devant le Tribunal, il n’en a pas beaucoup été question dans les témoignages, et elles n’ont guère suscité de débat. Les parties ont admis que la politique de VIA était adéquate et que VIA, en tant qu’organisation, n’approuve pas ou ne consent pas au harcèlement ou à la discrimination.

[279] Les éléments de preuve qui m’ont été présentés à l’audience pour attester l’existence et la fréquence d’une formation étaient contradictoires, et ils ont clairement fait ressortir que de nombreux employés de VIA, gestionnaires y compris, n’ont pas une compréhension nuancée des droits de la personne en milieu de travail et des conditions nécessaires à un environnement de travail exempt de discrimination.

[280] L’incapacité de plus d’un gestionnaire à reconnaître non seulement l’aspect lié au sexe dans les préoccupations de Mme Young, mais aussi la manière dont son identité de femme influençait son expérience de la conduite de M. Sawchuk, m’amène à conclure que davantage d’efforts et de formation sont nécessaires pour s’assurer que les problèmes de discrimination soient facilement reconnus dans le lieu de travail.

[281] Quoi qu’il en soit, j’ai certes conclu que la conduite de M. Sawchuk était effectivement discriminatoire, mais je suis convaincue que VIA, et en particulier M. Medeiros, s’inquiétait de la conduite de M. Sawchuk, même si l’un et l’autre ne comprenaient pas sa nature discriminatoire à l’époque. Le retard mis par VIA à répondre officiellement à la plainte de Mme Young est préoccupant, tout comme le fait qu’un certain nombre des inquiétudes de Mme Young (exprimées directement à la direction, mais pas par écrit) et de M. Doré au sujet de M. Sawchuk semblent, d’après la preuve dont je dispose, être restées sans réponse. Cette intervention tardive a contribué à ma conclusion, ci-dessous, selon laquelle VIA n’a pas pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher la conduite de M. Sawchuk. Toutefois, je suis disposée à conclure, en me fondant sur la preuve dont je dispose, que VIA n’a pas consenti à cette conduite.

(ii) VIA a-t-elle pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher la conduite discriminatoire de M. Sawchuk?

[282] La situation exposée dans les présents motifs n’aurait pas dû nécessiter la présentation d’une plainte écrite officielle pour que l’employeur intervienne ou s’acquitte de ses obligations prévues par la Loi. Une plainte écrite peut être utile pour examiner des problèmes de discrimination, mais plusieurs témoins, dont M. Medeiros et M. Hamilton, semblaient croire que, tant que la direction de VIA n’avait pas reçu de plainte écrite officielle, ils ne pouvaient rien faire au sujet de la conduite de M. Sawchuk. Indépendamment du contenu de toute politique ou de tout protocole de VIA, cette façon de voir les choses est incompatible avec les obligations qui incombent à l’employeur selon la Loi.

[283] Mme Young a déposé sa plainte initiale en janvier 2012. À l’évidence, la situation qui y est décrite est beaucoup moins grave que les nombreux incidents compris dans la plainte de mars 2013, mais c’est en partie à cause de l’inaction de VIA que la situation s’est aggravée comme elle l’a fait. Si VIA avait fait preuve de plus de rigueur au moment de la plainte initiale et avait agi plus proactivement pour veiller à ce que la relation entre Mme Young et M. Sawchuk ne s’envenime pas davantage, il est peu probable que la situation aurait atteint un tel niveau de gravité.

[284] Les diverses préoccupations signalées entre janvier 2012 et mars 2013, y compris dans la note de service de M. Doré, n’ont pas été prises suffisamment au sérieux, et il ne semble pas que le comportement de M. Sawchuk et la dégradation de ses rapports avec Mme Young aient été traités avec diligence pour empêcher ce qui était, au moins en partie, un comportement discriminatoire en milieu de travail.

[285] VIA ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher la conduite discriminatoire.

(iii) VIA a-t-elle pris toutes les mesures nécessaires pour atténuer ou annuler les effets néfastes de la conduite de M. Sawchuk?

[286] C’est à cette étape-ci de l’analyse que je chercherai à déterminer si l’enquête de VIA était suffisante et que je répondrai aux nombreuses préoccupations soulevées par la Commission et la plaignante au sujet du processus d’enquête.

[287] Comme il a été mentionné précédemment, l’obligation de l’employeur de faire enquête s’apprécie suivant la norme du caractère raisonnable, et non suivant celles de la décision correcte ou de la perfection. Dans la décision Laskowska, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (le « TDPO ») a énoncé ainsi le critère pertinent dont doit tenir compte l’employeur dans son devoir d’enquêter :

[traduction]

1) Sensibilisation aux questions de discrimination/harcèlement, mécanisme de plainte prévu par la politique et formation : était-on sensibilisé au problème de discrimination et de harcèlement dans le milieu de travail lors de l’incident? Existait-il une politique anti-discrimination/harcèlement appropriée? Existait-il un mécanisme de plainte proprement dit en place? La direction et les employés ont-ils bénéficié d’une formation adéquate?;

2) Après la plainte : la gravité de l’incident, la rapidité d’intervention, la prise en charge de son employé, l’enquête et la mesure prise : Après qu’une plainte interne a été formulée, l’employeur a-t-il traité le dossier sérieusement? A-t-il réglé la question rapidement et avec doigté? A-t-il mené une enquête et agi de manière raisonnable?;

3) Règlement de la plainte (y compris fournir au plaignant un environnement de travail sain) et communication : L’employeur a-t-il proposé une solution raisonnable dans les circonstances? Si le plaignant a choisi de retourner au travail, l’employeur pouvait-il lui assurer un environnement de travail sain, exempt de discrimination? A-t-il communiqué ses conclusions et interventions au plaignant?

[288] Dans la décision Laskowska, le TDPO a aussi déclaré, au paragraphe 60 :

Bien que les trois éléments ci-dessus soient de nature générale, leur application doit conserver une certaine souplesse pour tenir compte des faits propres à chaque cas. La norme est celle du caractère raisonnable, non pas celles de la décision correcte ou de la perfection. Il y aurait eu plusieurs options — toutes des mesures raisonnables — auxquelles aurait pu recourir l’employeur. Ce dernier n’est pas tenu de satisfaire à chacun des éléments dans tous les cas afin d’être considéré comme ayant agi de façon raisonnable, bien que ce serait l’exception plutôt que la norme. Il faut regarder chaque élément individuellement, puis dans l’ensemble avant de porter un jugement à savoir si l’employeur a agi de manière raisonnable.

[289] En ce qui a trait à la question de savoir si les mesures prises par VIA en réaction à la conduite visée par la plainte satisfaisaient à l’exigence consistant à prendre toutes les mesures nécessaires, la plaignante et la Commission ont relevé deux principaux problèmes :

  1. il avait fallu trop de temps pour intervenir dans une situation qui était dangereuse et se dégradait;

  2. la transparence et les documents nécessaires faisaient défaut dans l’enquête.

[290] Une fois appliqués les facteurs de la décision Laskowska, que le Tribunal a repris à son compte dans l’affaire Cassidy, nous constatons que, bien que les mesures finalement prises par VIA pour réagir à la conduite de M. Sawchuk aient permis d’éliminer les effets discriminatoires de cette conduite sur Mme Young, elles sont survenues après des mois de préjudice qui allait croissant. La procédure d’enquête sur la plainte suivie par VIA soulève de sérieuses questions sur la transparence et l’indépendance du processus, mais aussi des considérations d’ordre systémique, et elle laisse planer un doute quant à savoir si toutes les mesures nécessaires ont été prises pour éviter et atténuer le préjudice découlant de la conduite discriminatoire.

[291] La capacité du Tribunal à évaluer le caractère adéquat du processus d’enquête de VIA est limitée, vu l’absence de documentation et de détails liés à cette enquête en particulier. Peu d’éléments de preuve ont été fournis, voire aucun, sur l’examen et les discussions ayant fait suite aux enseignements recueillis par Mme Selesnic, sur le poids ayant été accordé aux différentes déclarations, et sur la façon dont il a été décidé que M. Sawchuk avait enfreint le Code de conduite et s’était livré à une [traduction] « conduite inconvenante ». Toutefois, la preuve indique que cette décision a été prise par MM. Medeiros et Hamilton après une séance d’information donnée par Mme Selesnic, l’enquêtrice.

[292] Bien que les déclarations aient été colligées par une enquêtrice provenant de l’extérieur du CMT, il ressort des éléments de preuve non contredits que la décision finale relative aux suites à donner à l’enquête n’a pas été prise de manière indépendante, mais par MM. Medeiros et Hamilton, et que les questions organisationnelles plus générales ont été examinées et traitées par Mme Blair (quoique rien ne prouve que des changements organisationnels ou systémiques aient été apportés à la suite de l’enquête).

[293] Cette absence d’indépendance dans la prise de décision n’est manifestement pas compatible avec un processus d’enquête indépendant, d’autant plus que l’un des sujets de préoccupation qui ont été soulevés devant moi — et Mme Young, selon ses dires, avait soulevé cette même préoccupation à l’époque — concernait l’inaction de la direction de VIA, notamment de M. Medeiros et de M. Hamilton, au cours des 14 mois suivant la plainte initiale.

[294] Mme Young a censément déposé une plainte pour harcèlement, mais il ne semble pas que la politique officielle en matière de harcèlement ait été appliquée, et les éléments de preuve dont je dispose m’amènent à conclure qu’à un certain moment au cours du processus, il a été décidé que la plainte de Mme Young ne relevait pas de cette politique. La Commission a fait valoir que VIA n’avait mené aucune enquête en vertu de celle-ci.

[295] La possibilité, pour le Tribunal, de tirer des conclusions sur ce qui s’est passé au cours de l’enquête est grandement limitée par l’insuffisance de la preuve documentaire produite. Il s’agit là en soi d’une lacune du processus d’enquête. Toutefois, dans la mesure où il incombe à l’intimée de démontrer que VIA a pris toutes les mesures nécessaires, elle peut difficilement satisfaire à cet élément de l’analyse du Tribunal, vu l’absence de preuve.

[296] Même s’il ne fait aucun doute que le processus d’entrevue a été approfondi et complet, le Tribunal n’a aucune preuve que le processus décisionnel a été tout aussi rigoureux. En fin de compte, puisqu’il n’y a pas de rapport écrit ou de témoignage clair pour expliquer : les résultats de l’enquête; les motifs de la décision de juger non fondées les allégations de harcèlement; la décision d’examiner la plainte sous le régime du Code de conduite; les sanctions disciplinaires imposées à la suite de l’enquête; ce qui a pu si mal tourner dans la présente affaire; tout changement que VIA pourrait apporter pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise à l’avenir avec M. Sawchuk et Mme Young ou avec tout autre employé, le Tribunal ne peut être convaincu que l’enquête respecte le critère de diligence raisonnable applicable.

[297] En ce qui concerne les mesures ayant finalement été mises en place pour régler ce que VIA avait jugé être une [traduction] « conduite inconvenante », le Tribunal arrive à la conclusion que, pendant la période de juin 2013 à décembre 2013, VIA a pris des mesures de plus en plus restrictives afin d’établir une distance entre Mme Young et M. Sawchuk, pour finir par retirer celui-ci du quart de nuit.

[298] Le Tribunal conclut que ces mesures étaient adaptées à la gravité de la situation, et qu’elles ont ultimement permis d’empêcher la conduite discriminatoire grâce au retrait du fautif du lieu de travail.

[299] Toutefois, le Tribunal observe qu’il ne semble pas que l’on ait pris des moyens pour remédier à l’incompréhension apparente de M. Sawchuk quant à la nature de sa conduite. Même lorsqu’il a témoigné devant le Tribunal, soit plusieurs années après les faits en cause, M. Sawchuk n’a paru aucunement conscient d’avoir commis des actes répréhensibles. Il a affirmé n’avoir jamais eu d’explications sur ce qu’il avait fait pour justifier les sanctions disciplinaires reçues et le fait qu’il avait été forcé de passer au quart de jour.

[300] Bien que le conflit ait effectivement pris fin, le témoignage de M. Sawchuk laisse planer des doutes quant à savoir si l’on a véritablement remédié à la source du conflit, ou si on n’a fait que la déplacer.

[301] Je le répète : la norme en fonction de laquelle une mesure d’enquête sera examinée n’est pas celle de la perfection, mais du caractère raisonnable. Néanmoins, l’approche retenue par VIA en l’espèce comporte des lacunes structurelles et procédurales qui représentent un défi insurmontable lorsque vient le moment, pour la compagnie, de s’acquitter de son fardeau de démontrer qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir ou atténuer le préjudice découlant de la conduite de M. Sawchuk. Pour les motifs qui précèdent, je conclus que VIA n’a pas réussi à prouver que, selon toute vraisemblance, elle a pris toutes les mesures nécessaires pour remédier aux problèmes soulevés dans la présente plainte.

C. Une indemnisation et des mesures de réparation visant la politique sont nécessaires pour empêcher que la situation ne se reproduise

[302] Dès lors que j’ai déclaré la plainte fondée et conclu que VIA n’est pas en mesure de se prévaloir du moyen de défense prévu au paragraphe 65(2) de la Loi, j’examinerai maintenant les recours que le Tribunal peut accorder en vertu des pouvoirs de réparation et de prévention qu’il tire de l’article 53 de la Loi.

[303] Mme Young a demandé des réparations dont certaines dépassent la portée de ce que la Loi permet au Tribunal d’accorder, notamment des dommages-intérêts au titre de la politique sur la violence en milieu de travail ou de la législation en matière de santé et de sécurité au travail, ainsi que la suppression de clauses relatives à des mesures disciplinaires imposées qui ne relèvent pas des questions sur lesquelles le Tribunal doit statuer.

[304] Ensemble, Mme Young et la Commission ont relevé cinq types de réparations que le Tribunal pourrait ordonner à l’encontre de VIA : 1) des dommages-intérêts pour atteinte à la dignité; 2) des dommages-intérêts pour conduite délibérée et inconsidérée; 3) une indemnité pour perte de salaire; 4) les frais engagés dans la poursuite de la plainte; 5) des intérêts sur les montants accordés; 6) des réparations visant la politique.

1. Indemnité pour préjudice moral fondée sur l’al. 53(2)e) de la LCDP

[305] Mme Young réclame l’indemnité maximale de 20 000 $ en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP au titre du préjudice moral causé par le harcèlement de M. Sawchuk et le traitement défavorable qu’elle a subi au cours de son emploi.

[306] La Commission n’a pas pris position sur le montant des dommages-intérêts particuliers qu’il convient d’accorder en l’espèce. Elle a seulement mentionné qu’une indemnité spéciale était justifiée.

[307] Par le passé, le Tribunal, dans l’exercice de sa discrétion en matière de dommages-intérêts, a accordé le montant maximal permis par la LCDP, soit 20 000 $, dans les cas les plus flagrants de discrimination (Premakumar c. Air Canada, T.D. 03/02, 4 avril 2002; Aeropro, au par. 272). De plus, comme il a été mentionné à plusieurs reprises dans la présente décision, mais à d’autres égards, la plaignante doit démontrer le lien de cause à effet entre les dommages-intérêts réclamés et l’acte discriminatoire (Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268, au par. 32 [Chopra]).

[308] Les dommages-intérêts au titre du préjudice moral visent à indemniser la plaignante, dans la mesure du possible, pour le préjudice qu’elle a subi et les difficultés qu’elle a éprouvées en raison de la discrimination, y compris toute atteinte à sa dignité (Nielsen c. Nee Tahi Buhn Indian Band, 2019 TCDP 50, au par. 142; Beattie et Bangloy c. Affaires autochtones et du Nord Canada, 2019 TCDP 45 (CanLII), au par. 206 [Beattie et Bangloy]; Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et autres c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien), 2019 TCDP 39 (CanLII), au par. 223).

[309] Le Tribunal est convaincu que Mme Young a subi un préjudice moral en raison de de la discrimination dont elle a été victime.

[310] Dans ses observations finales, Mme Young a relaté avoir été effrayée, avoir été en larmes et avoir connu de l’anxiété et du stress sans cesse croissants alors que la direction de VIA ne s’occupait pas de ses préoccupations. Mme Young a décrit d’une manière qui paraissait authentique et sincère les effets d’une telle expérience sur sa vie en dehors du travail, en tant que mère.

[311] À l’audience, le Tribunal a également pu observer chez Mme Young ce qui semblait être les effets du harcèlement et de la discrimination, même des années plus tard, dans le cadre de la présente instance. Elle avait parfois de la difficulté à être présente d’esprit au cours de l’audience et semblait parfois bouleversée et dépassée par ce qu’elle éprouvait et par les témoignages qu’elle entendait. De plus, le témoignage de Mme Young à l’audience était émotif et crédible quant aux répercussions que les événements décrits dans la plainte ont produites sur elle. Raconter son histoire et parler de ces événements était manifestement très difficile pour elle, et elle semblait (parfois) vouloir se replier physiquement sur elle‑même.

[312] Il est apparu évident pour le Tribunal que le traumatisme et la crainte persistants vécus par Mme Young en raison des agissements M. Sawchuk ont eu une incidence sur sa perception de ce qui se passait autour d’elle, et lui ont causé une profonde détresse. J’ai remarqué également de la colère chez Mme Young au moment où elle a témoigné avoir demandé à plusieurs reprises de l’aide et du soutien à son employeur, aide qui s’était longtemps fait attendre.

[313] La détresse et la frustration de Mme Young découlant de son expérience étaient palpables, et ces sentiments se sont clairement manifestés tout au long du processus d’audience. Bien que Mme Young n’ait pas présenté de preuve médicale concernant sa santé mentale, son témoignage à l’audience ne laissait guère de doute sur le fait que les événements décrits dans sa plainte étaient graves et continus et qu’ils avaient eu un impact sur sa dignité et son bien-être.

[314] Les actes de M. Sawchuk et la réponse tardive de VIA ont aggravé le préjudice subi par Mme Young en raison du stress et de la peur qu’elle vivait constamment. Ils ont en outre porté atteinte à sa dignité.

[315] Le préjudice moral subi est évident pour le Tribunal, qui n’a pas besoin d’être convaincu davantage du lien de cause à effet entre le préjudice moral causé à Mme Young et les actes discriminatoires (Chopra, précité).

[316] Compte tenu de la gravité des faits en cause et de leur effet important sur la plaignante, qui, même au moment de l’audience, semblait encore souffrir des conséquences du harcèlement et de la discrimination, l’octroi d’un montant de 12 000 $ est approprié dans les circonstances (par. 53(2)e) de la LCDP).

2. Indemnité pour conduite délibérée ou inconsidérée au sens du paragraphe 53(3) de la LCDP

[317] La plaignante a demandé la somme de 20 000 $ — soit le montant maximal autorisé en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP — en dommages-intérêts spéciaux contre VIA en raison de la conduite inconsidérée de celle-ci.

[318] Le Tribunal a passé 19 jours à entendre des témoignages relatifs au milieu de travail dans lequel Mme Young et M. Sawchuk occupaient leur emploi, et ces témoignages ont soulevé de sérieuses préoccupations quant au degré de tolérance de l’intimée à l’égard de comportements abusifs et inappropriés en milieu de travail. Même si, en grande partie, la conduite en cause se situe en dehors de la portée de la plainte et, par conséquent, échappe à la compétence du Tribunal, j’estime que la direction de VIA a omis à plusieurs reprises d’intervenir dans une situation qui était assurément dysfonctionnelle. Situation qui, par ailleurs, comme l’a déjà déclaré le Tribunal, était liée à un comportement discriminatoire de la part de M. Sawchuk, l’employé de VIA. Même si VIA n’a pas su reconnaître que la conduite de M. Sawchuk était discriminatoire, elle n’a pas non plus sérieusement tenté de faire valoir que cette conduite n’était pas profondément problématique, ni la relation entre les employés du quart de nuit au CMT, gravement dysfonctionnelle.

[319] Le fait qu’un conflit en milieu de travail qui s’envenimait, et qui opposait ce que l’on a à plusieurs reprises qualifié de différentes [traduction] « factions », ait été balayé du revers de la main par la direction comme étant une [traduction] « chicane de famille », est très troublant pour le Tribunal.

[320] Dans la décision Cassidy, au paragraphe 192, le Tribunal a écrit ce qui suit :

La LCDP et d’autres lois antidiscriminatoires sur les droits de la personne visent à « rétablir un plaignant dans sa situation antérieure », à mettre cette personne dans une position dans laquelle elle aurait été si elle n’avait pas été victime de discrimination. La LCDP est une loi réparatrice. Elle vise à compenser, non pas à punir un intimé. Cela dit, les facteurs aggravants (par opposition aux facteurs punitifs) et atténuants sont pertinents le moment venu d’accorder une indemnité. La réparation doit être raisonnable et avoir un lien de causalité avec l’acte discriminatoire dont a constaté l’existence.

[321] En outre, dans la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et autres c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2015 TCDP 14 (CanLII), le Tribunal a indiqué, au paragraphe 22 :

La Cour fédérale a considéré que ce paragraphe est une « […] disposition punitive visant à dissuader ou à décourager ceux qui se livrent de façon délibérée à des actes discriminatoires » (Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2013 CF 113, au paragraphe 155, décision confirmée par 2014 CAF 110 [Johnstone CF]). Une conclusion d’agissement délibéré exige que « […] l’acte discriminatoire et l’atteinte aux droits de la personne aient été intentionnels » (Johnstone CF, au paragraphe 155). L’acte inconsidéré est « […] celui qui témoigne d’un mépris ou d’une indifférence quant aux conséquences et d’une manière d’agir téméraire ou insouciante » (Johnstone CF, au paragraphe 155).

[322] Il faut ajouter que, lorsque le Tribunal décide d’accorder ou non une indemnité spéciale, il analyse le comportement ou l’inaction de l’intimé, et non sur l’effet qu’a eu ce comportement sur le plaignant (Beattie et Bangloy, au par. 210).

[323] En l’espèce, la conduite de l’intimée n’était pas de nature à justifier l’octroi de dommages-intérêts spéciaux se situant à l’extrémité supérieure de la fourchette, comme l’a demandé Mme Young. Cependant, je suis convaincue que le fait que VIA ait minimisé la conduite abusive et dangereuse sur le lieu de travail pendant le quart de nuit, et qu’elle ait tardé à apporter une solution efficace et complète à ce qui était une dynamique de travail de plus en plus toxique et nocive constitue de « l’indifférence quant aux conséquences ». Et cette indifférence a permis qu’une conduite jugée discriminatoire persiste trop longtemps.

[324] Étant donné qu’une grande partie de la conduite décrite devant lui dépasse la portée de la plainte dont le Tribunal est saisi en l’espèce, et comme je crois que le lien entre la conduite de M. Sawchuk et l’identité de Mme Young en tant que femme n’était peut-être pas évident pour VIA à l’époque où Mme Young avait déposé ses plaintes, l’octroi par le Tribunal de dommages-intérêts spéciaux en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP sera limité à 3 000 $.

3. Dommages-intérêts pour perte de salaire fondés sur l’alinéa 53(2)c) de la LCDP

Occasions de temps supplémentaire perdues

[325] La plaignante a soutenu qu’à cause du harcèlement exercé par M. Sawchuk et des restrictions ultérieurement imposées à celui-ci pour éviter qu’ils n’aient à travailler ensemble, elle avait perdu, pendant une période de sept ans, la possibilité d’effectuer des quarts de travail supplémentaires.

[326] VIA a fait valoir que, bien que le Tribunal soit habilité à accorder une indemnité pour perte de salaire, aucune indemnité de la sorte ne devrait être accordée en l’espèce, puisque les pertes de salaire associées au temps supplémentaire n’ont pas été prouvées. VIA soutient qu’en réalité, Mme Young a personnellement choisi d’effectuer moins de temps supplémentaire que par le passé. VIA a ajouté que cette réclamation de Mme Young ne s’appuyait sur aucune preuve précise, et que l’intimée n’était responsable d’aucune perte de salaire.

[327] La Commission n’a pas présenté d’observations finales concernant les occasions de temps supplémentaire perdues; elle s’en est plutôt remise à son exposé des précisions.

[328] Mme Young a déclaré qu’à compter de mars ou avril 2012, elle avait commencé à refuser des quarts de travail supplémentaires pour éviter de travailler avec M. Sawchuk. Ce témoignage était étayé par les documents produits devant le Tribunal.

[329] Mme Young a également déclaré qu’à certains moments, on omettait son nom de la liste d’appel pour les heures supplémentaires, ce que M. Medeiros a validé dans son témoignage (bien que les deux témoins ne s’entendaient pas sur la fréquence d’une telle omission). Certains documents déposés en preuve à l’audience corroborent également la conclusion selon laquelle, à compter de la première partie de 2013, Mme Young a été omise au moins à quelques reprises de la liste d’appel, et je suis convaincue que, le cas échéant, l’absence de son nom était liée à la décision de VIA de s’assurer que Mme Young et M. Sawchuk ne travaillent pas ensemble.

[330] J’ai également entendu les déclarations de plusieurs autres témoins qui travaillaient au CMT au cours de la période pertinente, et qui ont dit que les heures supplémentaires faisaient assez régulièrement partie de leur travail et qu’en général, beaucoup de quarts supplémentaires disponibles pour les préposés aux locomotives. Ces témoignages n’ont été contredits par aucun autre témoin.

[331] En fait, que Mme Young ait manqué des occasions de temps supplémentaire parce qu’elle ne pouvait avoir la certitude d’être en sécurité au travail, ou parce que VIA avait choisi de ne pas lui proposer d’heures supplémentaires en raison des préoccupations qu’elle avait soulevées au sujet de M. Sawchuk, Mme Young a, selon toute vraisemblance, manqué des quarts de travail en heures supplémentaires en 2012 et en 2013 du fait de la conduite de M. Sawchuk.

[332] Mme Young a réclamé des dommages-intérêts pour les occasions de temps supplémentaire perdues sur une période de sept ans, bien que la preuve relative au montant demandé soit plutôt incohérente et de nature spéculative.

[333] J’ai certes conclu que les occasions de temps supplémentaire perdues après le premier trimestre de 2012 et jusqu’en 2013 peuvent raisonnablement être attribuées à la conduite de M. Sawchuk et aux mesures prises par VIA en réponse à cette conduite, à la fin de 2013. Cependant, j’ai aussi déterminé que les mesures mises en place par VIA constituaient une réponse suffisante à la conduite de M. Sawchuk. Je me rends compte que Mme Young a peut-être continué, après 2013, d’avoir des réserves quant au fait d’accepter des quarts de travail supplémentaires, mais les éléments de preuve permettent de conclure que VIA s’est occupée des agissements de M. Sawchuk de telle façon que Mme Young aurait dû pouvoir reprendre le travail normalement, en étant fortement confiante qu’elle ne travaillerait plus avec M. Sawchuk, qui avait été transféré au quart de jour.

[334] En vertu de l’alinéa 53(2)c) de la Loi, le Tribunal a compétence pour accorder des dommages-intérêts au titre des occasions de temps supplémentaire perdues lorsqu’il conclut que cette perte découle de la conduite discriminatoire.

[335] En l’espèce, je suis arrivée à la conclusion que Mme Young a manqué des occasions d’effectuer des quarts de travail en heures supplémentaires au cours des trois derniers trimestres de 2012 et jusqu’en 2013 en raison de la conduite discriminatoire dont elle a fait l’objet, soit parce qu’elle a refusé ces quarts de travail dans le but d’éviter de travailler avec M. Sawchuk, soit parce que VIA a omis son nom de la liste d’appel pour les heures supplémentaires.

[336] Il est très difficile de déterminer avec certitude ce que Mme Young aurait fait si VIA avait pu remédier plus tôt à la conduite de M. Sawchuk, combien d’heures supplémentaires Mme Young se serait vu offrir ou à quelle fréquence elle aurait accepté des quarts de travail.

[337] Le témoignage de Mme Young comportait des faiblesses et présentait un certain degré de spéculation ou d’incertitude quant à ce qui se serait passé, n’eût été la conduite de M. Sawchuk. Toutefois, compte tenu de mes conclusions selon lesquelles Mme Young a perdu des occasions de temps supplémentaire à cause de la conduite discriminatoire, le Tribunal ne doit pas pour autant jeter la proverbiale éponge devant pareilles incertitudes (Kelsh c. Canadien Pacifique, 2019 TCDP 51, au par. 153). Au contraire, à l’instar de la Cour d’appel fédérale, qui a adopté la citation du professeur Waddams dans l’affaire Société canadienne des postes c. Alliance de la Fonction publique du Canada (2010 CAF 56, conf. par la Cour suprême du Canada dans 2011 CSC 57), la solution appropriée consiste, pour le Tribunal, à faire du mieux qu’il peut avec les éléments de preuve dont il dispose :

Si ce montant [de la perte] est difficile à estimer, le tribunal doit simplement faire de son mieux à partir des éléments dont il dispose; évidemment, si la partie demanderesse n’a pas produit une preuve dont on aurait pu s’attendre qu’elle soit produite si la demande était bien fondée, son omission sera interprétée en sa défaveur.

[338] Les éléments de preuve soumis au Tribunal démontrent qu’en 2011, Mme Young a reçu un montant de 3 634,20 $ à titre de rémunération pour des heures supplémentaires. Bien qu’il puisse s’agir d’une approximation imparfaite, l’année complète précédant le début des incidents décrits dans la plainte de Mme Young servira de base à mon calcul des dommages-intérêts. Par conséquent, j’accorderai à Mme Young des dommages-intérêts au titre de la perte d’occasions de temps supplémentaire, selon les montants suivants :

  1. 2 725,65 $ en 2012 (pour les ¾ de l’année);

  2. 3 634,20 $ en 2013 (pour l’année entière);

pour un total de 6 359,85 $.

Perte d’une possibilité d’avancement

[339] Mme Young a allégué avoir perdu une possibilité d’avancement en raison de la présente plainte. Elle a déclaré dans son témoignage qu’elle aurait obtenu une promotion si elle n’avait pas porté plainte contre M. Sawchuk.

[340] Mme Young a intégré dans ses observations finales une demande d’indemnisation fondée sur l’alinéa 53(2)c) pour :

  1. une perte de revenus futurs d’un montant de 920 000 dollars liée au fait que sa candidature pour un poste de gestion n’a pas été prise en considération à cause de sa plainte;
  2. la perte d’une augmentation de salaire de 27 000 $ par année sur une période de 23 ans par suite de la discrimination qu’on a laissée s’aggraver, pour un montant total de 621 000 $ au titre de la perte de gains futurs.

[341] Bien que Mme Young ait fourni certains éléments de preuve sur ce qu’elle prétend être la perte d’une possibilité de participer à des concours de dotation et sur sa relative ancienneté ou expérience par rapport aux candidats retenus, je dispose de très peu de témoignages ou d’éléments de preuve documentaire à l’appui de ses allégations selon lesquelles elle aurait eu le droit d’être prise en considération pour une promotion, mais avait été exclue. La demande d’indemnisation de Mme Young repose sur ses spéculations quant aux raisons pour lesquelles elle n’a pas été incluse dans un bassin d’embauche donné ni choisie pour un poste en particulier.

[342] Je tiens également compte de la preuve attestant le fait que le CMT est un milieu de travail syndiqué et que Mme Young est représentée par un syndicat. En l’absence d’élément de preuve clair concernant l’occasion d’emploi en question, les dispositions de la convention collective, le processus d’embauche ou les facteurs susceptibles d’avoir une incidence sur toute possibilité d’emploi, je ne suis pas disposée à conclure que Mme Young a perdu l’occasion de présenter sa candidature en vue d’obtenir de l’avancement ou qu’elle a ainsi été privée d’un tel avancement.

[343] Ni VIA ni la Commission n’ont présenté d’observations à ce sujet.

[344] S’il est vrai que la Loi habilite le Tribunal à accorder des dommages-intérêts relativement à toute perte découlant d’une conduite discriminatoire, y compris la perte d’avancement, si un lien de causalité peut être établi entre la conduite discriminatoire et la perte réclamée, je ne suis pas convaincue, à la lumière de la preuve présentée à l’audience, que la conduite de M. Sawchuk est la raison pour laquelle Mme Young n’a pas obtenu de promotion ou n’a pas été incluse dans le bassin de candidats pour une quelconque occasion d’emploi chez VIA.

[345] Par conséquent, le Tribunal ne dispose pas d’éléments de preuve suffisants pour accorder des dommages-intérêts au titre de la perte de possibilité d’avancement.

4. Coûts engagés dans la poursuite de la plainte

[346] La plaignante a largement documenté les dépenses qu’elle a engagées au cours du long processus de présentation de sa plainte devant le Tribunal. Elle a ainsi réclamé 15 580 $ pour les frais d’administration et de litige associés à l’instruction de sa plainte par le Tribunal. (Bien que le total inclus dans les observations écrites de Mme Young ait été de 158 805 $, je crois qu’il s’agissait d’une erreur typographique, car les montants indiqués dans ses observations finales totalisent en fait 15 580 $.)

[347] VIA a attiré l’attention sur la décision Stanger c. Société canadienne des postes, 2018 TCDP 14, aux paragraphes 43 à 45 [Stanger], pour faire valoir que la demande de la plaignante visant l’adjudication des dépens engagés dans le cadre de la plainte ne relève pas du pouvoir de réparation conféré au Tribunal par l’article 53.

[348] La Commission ne s’est pas prononcée sur la question.

[349] Dans l’affaire Stanger, le Tribunal a statué comme suit :

[43] Mme Stanger a présenté divers reçus pour ce qu’elle décrit comme des « dépenses que la plaignante a engagées pour présenter » sa plainte. Les reçus concernent des articles comme des photocopies, les frais de poste, les frais de téléphone cellulaire, des cartables, des onglets et du papier, ainsi que le stationnement et les repas payés lors de la comparution à l’audience à Victoria.

[44] Dans Grant c. Manitoba Telecom Services Inc. 2012 TCDP 20 (« Grant »), le Tribunal s’est penché sur une demande semblable au paragraphe 20 :

[20] La plaignante sollicite une indemnité pour les dépenses qu’elle a supportées dans le cadre de l’audition de la présente affaire, et elle a présenté un tableau de dépenses à cet égard à l’audience du 10 juillet 2012. Elle sollicite la somme de 2 000 $ au titre de l’hébergement, des repas, du stationnement et des déplacements. Dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53 [Mowat], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il ressort clairement du texte, du contexte et de l’objet de la Loi que le Tribunal n’est pas habilité à adjuger des dépens. Selon le raisonnement exposé dans cet arrêt, et compte tenu du fait qu’il n’y a aucun lien entre les types particuliers d’indemnité décrits à l’article 53 et les dépens que réclame la plaignante en l’espèce, je ne puis voir dans la Loi une source quelconque qui autoriserait le Tribunal à accorder une indemnité pour les dépenses supportées par la plaignante relativement à l’audition de la présente affaire. De ce fait, aucune indemnité ne peut être accordée pour ces dépens.

[45] Je suis d’accord avec la décision rendue par le Tribunal dans Grant, précité, qui se fonde sur le raisonnement de la Cour suprême du Canada dans Mowat, précité, selon laquelle la Loi ne prévoit pas le remboursement des coûts « administratifs » engagés dans la présentation de la plainte à l’audience et au préalable, en vertu de l’article 53. Par conséquent, je n’accorde aucun montant pour les frais administratifs réclamés.

[350] Le Tribunal est maître de sa propre procédure et il doit disposer de la latitude nécessaire pour faire en sorte que les audiences tenues devant lui se déroulent d’une manière qui favorise et protège à la fois l’application régulière de la loi et la dignité humaine. La Loi indique clairement que le TCDP n’a pas le pouvoir d’accorder des dépens à la partie ayant gain de cause, ainsi que le réclame la plaignante (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53 (CanLII), Grant c. Manitoba Telecom Services Inc., 2012 TCDP 20 (CanLII) 2012 TCDP 20).

[351] Le Tribunal est conscient des coûts extraordinaires (sur les plans humain et financier) que suppose une audience pour toutes les parties concernées. Il reconnaît aussi que l’impossibilité de recouvrer les coûts liés à la participation à une audience peut limiter la capacité des parties à s’engager pleinement dans le processus d’audience. Néanmoins, le fait que le Tribunal reconnaisse ce manque à gagner ne lui permet pas pour autant de concevoir une réparation que la Loi ne l’autorise pas à concevoir.

[352] S’il est possible, dans certaines circonstances, d’adjuger des dépens résultant de la conduite des parties au cours d’une audience devant le Tribunal, nous ne sommes pas en présence d’un tel cas en l’espèce. Malgré ma conclusion selon laquelle elle a omis de prévenir la conduite de M. Sawchuk et d’y réagir comme il se devait, et doit par conséquent être tenue responsable de cette conduite en vertu de la Loi, rien n’indique que VIA n’a pas participé à l’audience devant le Tribunal en toute bonne foi et collégialité.

[353] Je suis consciente du lourd fardeau qui pèse sur la personne qui dépose une plainte en vue de faire respecter ses droits protégés par la LCDP et, en fait, sur toutes les parties à une procédure devant le Tribunal. Il ne m’échappe pas non plus que la plupart des Canadiens ordinaires n’ont pas les ressources nécessaires pour retenir les services d’un avocat dans le cadre du processus ardu d’une plainte pour atteinte aux droits de la personne. Comme l’illustrent les observations de Mme Young, les procédures en matière de droits de la personne sont longues, complexes et coûteuses, même si l’on n’a pas recours à un avocat.

[354] Cela dit, l’analyse de la LCDP faite par la Cour suprême du Canada ne laisse aucune place au débat dans un cas comme celui-ci. La Loi n’autorise pas normalement le Tribunal à accorder des dépens (y compris les frais administratifs) à la partie qui obtient gain de cause.

[355] Par conséquent, la demande de Mme Young visant les dépens associés au dépôt et à la poursuite de sa plainte est rejetée.

5. Intérêts (par. 53(4) de la LCDP)

[356] Comme l’a réclamé la Commission dans son exposé des précisions, le Tribunal estime justifié d’accorder, en vertu du paragraphe 53(4) de la LCDP, des intérêts sur les indemnités à compter de la date à laquelle Mme Young a déposé sa plainte auprès de la Commission.

[357] Conformément au paragraphe 53(4) de la LCDP et au paragraphe 9(12) des Règles de procédure du Tribunal (03-05-04), la plaignante, Mme Young, a droit à des intérêts sur l’indemnité ordonnée, intérêts qui courent à partir de la date du dépôt de sa plainte à la Commission.

[358] Toutefois, les intérêts calculés sur les montants accordés au titre de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 52(3) ne doivent en aucun cas porter le montant total des indemnités au‑delà du montant maximal prescrit par ces mêmes dispositions (Chopra, au par. 53; citant Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53 (CanLII), à la p. 437).

[359] Les intérêts seront calculés à taux simple sur une base annuelle en se fondant sur le taux officiel d’escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle).

6. Mesures de réparation visant la politique (al. 53(2)a) de la LCDP)

[360] Compte tenu de ma conclusion selon laquelle VIA ne s’est pas acquittée de son obligation d’examiner sans délai les allégations de discrimination et d’y donner suite rapidement, non plus qu’elle n’a mené une enquête rapide, approfondie et équitable sur les allégations soulevées par Mme Young; et en ayant également à l’esprit le mandat, confié par la Loi au Tribunal, d’empêcher que les comportements discriminatoires ne se reproduisent, j’estime que la présente affaire commande l’exercice, par le Tribunal, de son pouvoir d’ordonner des mesures de réparation visant la politique, suivant l’alinéa 53(2)a) de la Loi, où l’on peut lire :

(2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

a) de mettre fin à l’acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables, notamment :

(i) d’adopter un programme, un plan ou un arrangement visés au paragraphe 16(1),

(ii) de présenter une demande d’approbation et de mettre en œuvre un programme prévus à l’article 17; […]

[361] Les mesures de réparation touchant la politique demandées par la Commission sont énoncées dans l’exposé des précisions de celle-ci, et comprennent notamment :

  1. une ordonnance exigeant de VIA qu’elle travaille avec la Commission pour examiner et réviser sa politique sur le harcèlement;

  2. une ordonnance exigeant que VIA, en consultation avec la Commission, retienne les services de personnes indépendantes et compétentes pour donner une formation en milieu de travail sur le harcèlement et la discrimination aux employés, y compris les gestionnaires, les superviseurs et les employés responsables de mener des enquêtes sur le harcèlement en milieu de travail;

  3. une ordonnance exigeant de VIA qu’elle informe tous les nouveaux employés de l’existence de la politique sur le harcèlement et qu’elle leur fournisse la formation nécessaire;

  4. une ordonnance exigeant que VIA ait achevé, dans les six mois suivant la date de la décision rendue par le Tribunal en l’espèce, la mise en œuvre de toutes les réparations visant la politique réclamées.

[362] En l’espèce, après avoir tenu compte l’ensemble de la preuve, de la gravité de la conduite en cause et, surtout, de la nature délicate, sur le plan de la sécurité, du travail des préposés aux locomotives, j’estime qu’il est approprié, pour le Tribunal, de rendre des ordonnances de réparation visant la politique qui serviront plusieurs fins. Ces ordonnances permettront de sensibiliser les employés du milieu de travail qui nous occupe en l’espèce aux questions liées au harcèlement et aux droits de la personne; d’élaborer des procédures d’enquête et des formations appropriées; et d’instaurer un mécanisme de reddition de comptes grâce auquel VIA pourra vérifier si les politiques, la formation et les procédures qu’elle met en place ont l’effet voulu, c’est-à-dire, si elles permettent d’empêcher la discrimination et le harcèlement fondés sur une caractéristique protégée. Les ordonnances en question seront exposées en détail plus loin, au paragraphe 369 des présents motifs.

[363] La Commission a également demandé à ce que le Tribunal conserve sa compétence sur l’affaire pour une période de neuf mois à compter de la date de ma présente décision.

[364] Le Tribunal a le pouvoir de conserver sa compétence à l’égard d’une question (voir Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien), 2020 TCDP 7, aux par. 51 et suivants).

[365] Le Tribunal n’a pas pour pratique courante de rendre une ordonnance par laquelle il s’autorise à conserver sa compétence sur une affaire une fois que celle-ci a définitivement été tranchée sur le fond. Bien qu’il ait le pouvoir de le faire, et qu’il puisse effectivement être approprié de le faire dans certains cas, le Tribunal ne dispose pas de ressources suffisantes, et n’est pas structuré de telle manière à pouvoir superviser la mise en œuvre de ses ordonnances dans la plupart des cas. Et, en temps normal, il est important que les parties puissent compter sur le caractère définitif des décisions et tourner la page sur les instances.

[366] Cela dit, dans le contexte de la présente décision, je choisis, pour les deux raisons ci-après, d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de manière à conserver ma compétence sur les réparations que j’ai ordonnées en ce qui concerne la politique :

  1. Que ce soit au cours de l’audience ou dans ses observations finales, VIA n’a présenté aucune observation significative au sujet de mesures qu’elle aurait prises, depuis le début de l’instruction, pour remédier aux problèmes soulevés dans la plainte, ou pour porter à l’attention du Tribunal toute mesure susceptible de rendre redondantes ou contre-productives les ordonnances prononcées ici.

  2. Compte tenu du temps qui s’est écoulé depuis l’audience, je souhaite donner aux parties la possibilité d’examiner d’éventuelles questions qui seraient apparues entre‑temps, et qui pourraient se rapporter aux ordonnances de réparation touchant la politique.

[367] Afin d’éviter toute conséquence négative imprévue du côté de l’intimée, je conserverai compétence pour une période de six mois à l’égard des ordonnances de réparation visant la politique.

V. Décision

[368] Pour tous les motifs qui précèdent, j’accorde à Mme Young :

  1. un montant de 12 000 $ au titre de l’alinéa 53(2)e) de la Loi à l’égard du préjudice moral subi par suite de la conduite discriminatoire de M. Sawchuk;
  2. un montant de 3 000 $ au titre du paragraphe 53(3) de la Loi à l’égard de la conduite inconsidérée de VIA;
  3. un montant de 6 359,85 $ au titre de l’alinéa 53(2)c) de la Loi à l’égard de la perte de rémunération de temps supplémentaire;
  4. les intérêts sur ces montants, calculés à taux simple sur une base annuelle en se fondant sur le taux officiel d’escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle), intérêts qui courent à partir de la date du dépôt de la plainte auprès de la Commission, soit le 15 novembre 2013, jusqu’à la date du paiement de l’indemnité, pourvu que ces montants ne dépassent pas le montant maximal permis par la Loi, soit 20 000 $, pour chacun des éléments 1 et 2 ci-dessus.
  5. Le Tribunal ordonne également à VIA de mettre fin aux actes discriminatoires et de prendre des mesures pour empêcher que de tels actes ne se reproduisent à l’avenir. Plus précisément, j’ordonne à l’intimée,
  1. dans un délai de six mois suivant la date de la présente décision :

  • d’élaborer, en consultation avec la Commission, des politiques et des procédures en matière de droits de la personne et de lutte contre le harcèlement. Ce faisant, une attention particulière devra être accordée aux moyens de déceler la discrimination et les préjugés implicites en milieu de travail, ainsi qu’aux répercussions de la discrimination et des préjugés dans les milieux de travail où la sécurité est un enjeu;

  • de faire appel, après la création de telles politiques en matière de droits de la personne et de lutte contre le harcèlement, à un expert externe pour former ses employés, y compris tous les superviseurs, au sujet de ces nouvelles politiques et procédures;

  1. dans les trois ans suivant la date des politiques et procédures révisées en matière de droits de la personne et de lutte contre le harcèlement :

  • de faire appel à un expert externe pour effectuer la vérification des politiques et des procédures en matière de droits de la personne et de lutte contre le harcèlement, ainsi que du niveau de formation, de compréhension et de respect des politiques par les employés, vérification dont les résultats devront être examinés sans délai par la Commission.

  1. Enfin, j’ordonne que le Tribunal demeure saisi des présentes ordonnances de réparation visant la politique, et ce, pendant une période de six mois à compter de la date des présents motifs.

VI. Conclusion

[369] Enfin, je remercie les parties et leurs avocats de la courtoisie et du professionnalisme dont ils ont fait preuve au cours de la longue audience en l’espèce, et je sais gré aux parties de leur patience pour ce qui est du délai écoulé avant que les présents motifs ne soient rendus.

Signée par

Kirsten Mercer

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 27 juin 2023

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2225/4717

Intitulé de la cause : Jennifer Young c. VIA Rail Canada Inc.

Date de la décision du Tribunal : Le 27 juin 2023

Date et lieu de l’audience : Les 19, 21, 27 et 28 septembre 2018

Du 10 au 12 octobre 2019

Du 19 au 23 novembre 2018

Du 8 au 11 janvier 2019

Les 25 et 26 février 2019

Les 24 et 25 juin 2019

Toronto (Ontario)

Comparutions :

Jennifer Young, pour son propre compte

Ikram Warsame , pour la Commission canadienne des droits de la personne

William Hlibchuk, pour l'intimée

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