Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Tribunal's coat of arms

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence: 2023 TCDP 12

Date : le 21 mars 2023

Numéro(s) du/des dossier(s) : HR-DP-2845-22

Entre :

Frank Kim

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Service correctionnel du Canada

l’intimé

Décision sur requête

Membre : Athanasios Hadjis



I. APERÇU

[1] Frank Kim (le plaignant) est un délinquant détenu à l’Établissement de La Macaza exploité par l’intimé, le Service correctionnel du Canada (le « SCC » ou l’« intimé »). Dans sa plainte pour atteinte aux droits de la personne, il allègue que l’intimé a exercé des représailles contre lui parce qu’il avait précédemment déposé deux autres plaintes pour atteinte aux droits de la personne auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission »), lesquelles ont fait l’objet d’un règlement. Il soutient qu’une psychologue travaillant pour l’intimé a déposé, lors de son audience de libération conditionnelle, un rapport dans lequel elle tirait des conclusions défavorables du fait qu’il avait précédemment déposé des plaintes pour atteinte aux droits de la personne, ce qui a relevé son niveau de risque / évaluation du risque. La Commission des libérations conditionnelles du Canada (la « CLCC ») a rejeté sa demande de libération conditionnelle.

[2] Les parties ont déposé leur exposé des précisions, mais le plaignant soutient que la divulgation de l’intimé est incomplète. Il demande qu’il soit ordonné à l’intimé de présenter six séries de documents.

II. DÉCISION

[3] Les demandes sont accordées en partie.

III. CRITÈRES DE DIVULGATION

[4] Dans l’affaire Brickner c. Gendarmerie royale du Canada, 2017 TCDP 28 (CanLII), aux paragraphes 4 à 10, le Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal » ou le « TCDP ») a établi les critères s’appliquant à la divulgation. Selon le paragraphe 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 [LCDP], les parties qui se présentent devant le Tribunal doivent avoir la possibilité pleine et entière de faire valoir leurs arguments. Cela exige, entre autres choses, que les parties adverses divulguent les renseignements potentiellement pertinents qui sont en leur possession ou sous leurs soins avant l’audience sur la question. Outre les faits et les questions en litige présentés par les parties, la divulgation de renseignements permet à chaque partie de savoir ce qui lui est reproché et, par conséquent, de se préparer adéquatement à l’audience.

[5] Pour décider de la divulgation des renseignements, le Tribunal doit déterminer la pertinence des renseignements en cause. Il ne s’agit pas d’une norme particulièrement élevée. S’il existe un lien rationnel entre un document et les faits, les questions ou les formes de redressement mentionnés par les parties en cause, les renseignements devraient être divulgués.

[6] Toutefois, la demande de divulgation ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une « partie de pêche ». Les documents demandés devraient être décrits de façon suffisamment précise. Le Tribunal peut refuser d’ordonner la divulgation d’éléments de preuve lorsque la valeur probante de ces éléments ne l’emporte pas sur leur effet préjudiciable sur la procédure. Le Tribunal doit faire preuve de prudence avant d’ordonner une recherche de documents qui serait onéreuse et vaste pour une partie, surtout si cette ordonnance risque d’entraîner un retard important dans l’instruction de la plainte ou si les documents ne se rapportent qu’à une question secondaire plutôt qu’aux questions principales en litige.

[7] La divulgation de renseignements potentiellement pertinents ne veut pas dire que ces renseignements seront admis en preuve lors de l’audience ou qu’on leur accordera une importance significative au cours du processus décisionnel. De plus, étant donné que l’obligation de divulgation d’une partie se limite aux documents « qu’elle a en sa possession », le Tribunal ne peut ordonner à une partie de générer ou de créer de nouveaux documents pour les fins de la divulgation.

IV. ÉLÉMENTS DEMANDÉS

[8] Compte tenu de ces principes, je traite chaque demande de divulgation ci-dessous.

(i) Les dossiers de gestion de cas du SCC concernant le plaignant, entre le 7 novembre 2014 et le dossier actuel, non expurgés de tout élément lié aux plaintes que le plaignant a déposées auprès de la Commission ou à son recours à la procédure de la Commission

[9] Malgré la mention de la Commission dans la demande, l’intimé semble la considérer comme une demande visant tous ses dossiers de gestion de cas liés au plaignant, ce qui, selon lui, représente 3 640 pages au total. Pour ce seul motif, l’intimé s’oppose à la demande, au motif qu’elle est excessivement onéreuse.

[10] Dans sa réponse aux observations de l’intimé, le plaignant ne s’oppose pas spécifiquement à l’interprétation de l’intimé à l’égard de ce qu’englobe la demande. Il soutient que le volume de documents allégué est exagéré et mentionne qu’il a une demande d’accès à l’information en instance visant l’ensemble de son dossier.

[11] Il ne fait aucun doute que les plaintes antérieures pour atteinte aux droits de la personne du plaignant sont pertinentes en l’espèce. La présente plainte est déposée en vertu de l’article 14.1 de la LCDP, qui porte que constitue un acte discriminatoire le fait, pour la personne visée par une plainte déposée au titre de la partie III de la LCDP, ou pour celle qui agit en son nom, d’exercer ou de menacer d’exercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée. Par conséquent, une plainte déposée en vertu de l’article 14.1 ne peut concerner que des représailles pour avoir déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne en application de la LCDP auprès de la Commission.

[12] Les plaintes pour atteinte aux droits de la personne en question sont identifiées comme étant les plaintes nos 20141166 et 20170936 déposées auprès de la Commission (« les plaintes antérieures »). Elles ont été déposées en 2014 et en 2017, respectivement. Le plaignant soutient que la psychologue a fait allusion aux plaintes antérieures en procédant à une évaluation du risque plus élevée dans le rapport qu’elle a déposé devant la CLCC. Les informations concernant les plaintes antérieures sont donc potentiellement pertinentes. Cependant, je ne vois pas en quoi tout autre dossier de gestion de cas concernant le plaignant serait potentiellement pertinent. Même s’il est vrai, comme le note le plaignant, que le Tribunal doit tenir compte de toutes les circonstances pour déterminer s’il y a une subtile odeur de discrimination, l’élargissement de la portée de sa demande de divulgation au delà des questions directement liées aux plaintes antérieures équivaut à une partie de pêche.

[13] Par conséquent, la demande du plaignant au titre de cet élément n’est accordée qu’en partie, pour les documents qui font mention des plaintes antérieures ou qui y sont directement liés.

(ii) Tout dossier de la correspondance entre la Commission et le plaignant ou toute discussion concernant les plaintes que le plaignant a déposées devant la Commission entre le 7 novembre 2014 et le 13 août 2018 qui figurent dans les dossiers du SCC, y compris les dossiers de gestion de cas du plaignant

[14] Ces documents sont probablement compris dans la demande précédente dans la mesure où ils sont en la possession de l’intimé. L’intimé souligne que le plaignant aurait reçu toute correspondance lui étant adressée de la part de la Commission. En outre, il soutient que toute copie de la correspondance entre la Commission et le plaignant qu’il a reçue avait déjà été incluse dans sa liste de documents et était donc déjà divulguée.

[15] Toutefois, l’intimé soutient aussi que la correspondance avec la Commission concernant les plaintes antérieures n’est pas pertinente. J’ai déjà déterminé que les éléments ayant trait aux plaintes antérieures sont potentiellement pertinents. Contrairement à ce que laisse entendre l’intimé, la divulgation de ces informations au plaignant ne constitue pas une partie de pêche.

[16] La demande du plaignant est accordée en ce qui concerne tout document qui n’était pas déjà divulgué.

(iii) Les courriels pertinents envoyés ou reçus par le personnel du SCC, y compris ceux qui comportent des discussions au sujet des plaintes que le plaignant a déposées auprès de la Commission

[17] L’intimé est convenu de divulguer ces documents. Dans sa réponse à la requête, il indique qu’il examine ces courriels pour expurger tout renseignement confidentiel et qu’il les enverra au plaignant sous peu. Je fais remarquer une fois de plus que ces documents et ceux qui font l’objet des deux premières demandes peuvent se chevaucher.

(iv) La décision de la CLCC d’accorder au délinquant Takahashi une mise en semi-liberté en juillet ou en août 2016

[18] Dans son exposé des précisions, le plaignant compare sa situation à celle d’un autre délinquant (« Takahashi »), qui a obtenu sa libération conditionnelle de la CLCC. Cette décision de la CLCC aurait été relatée dans les médias nationaux. Le plaignant soutient avoir demandé, en vain, à plusieurs reprises à l’intimé une copie de la décision expurgée de tout renseignement personnel non pertinent.

[19] L’intimé affirme ne pas pouvoir fournir au plaignant des documents concernant d’autres délinquants ni être responsable de la divulgation de documents en la possession de la CLCC. Il maintient aussi que, bien que la décision Takahashi ne soit pas pertinente, le plaignant pourrait en demander une copie directement à la CLCC, ce qu’il a d’ailleurs fait en novembre 2021 et, apparemment, il attend toujours une réponse.

[20] Il appert que cette décision de la CLCC est du domaine public. Selon la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 143 et 144 (LSCMLC), la CLCC doit tenir un dossier des procédures dont elle est saisie et donner accès à son registre à toute personne qui démontre qu’elle a un intérêt à l’égard d’un cas particulier. Par conséquent, le plaignant peut faire une telle demande et, apparemment, il l’a faite.

[21] Bien que, habituellement, les décisions sur requête rendues par des organes décisionnels soient considérées comme faisant autorité et ne soient pas incluses dans le processus de divulgation documentaire, le plaignant semble avoir l’intention d’utiliser la décision Takahashi dans un contexte différent en tant qu’élément de preuve dans son dossier. Par conséquent, je suis d’avis que cette décision est potentiellement pertinente. Bien que le plaignant ait apparemment demandé une copie à la CLCC, il semble qu’il ne l’ait pas encore reçue. Si l’intimé est en possession de la décision Takahashi, il doit en fournir une copie au plaignant. La demande du plaignant est accordée.

(v) Une copie des transcriptions et des pièces de l’audience et du procès de déclaration de délinquant dangereux que l’intimé a reçues

[22] Le plaignant indique que le rapport de la psychologue faisait mention de son évaluation en tant que délinquant dangereux qui a été effectuée en 1999. L’intimé lui a dit à plusieurs reprises qu’il n’avait jamais reçu une copie de cette évaluation. Vers 2016, le plaignant a appris que la CLCC avait une copie de l’évaluation, ce qui l’a incité à déposer des griefs contre l’intimé pour avoir omis de veiller à ce que les renseignements le concernant soient aussi exacts et à jour que possible, conformément au paragraphe 24(1) de la LSCMLC. Les griefs ont été rejetés.

[23] Toutefois, dans la correspondance qu’il a reçue de l’intimé en novembre 2022, le plaignant a appris que, dès 2002 ou 2003, l’intimé possédait des transcriptions de l’audience de déclaration de délinquant dangereux. Le plaignant soutient que l’intimé s’est livré à des actes de tromperie relativement aux documents qu’il a reçus et qui sont en sa possession et qu’il doit, pour être transparent, fournir les informations demandées.

[24] L’intimé nie avoir déjà affirmé qu’il ne possédait pas ces documents. Il soutient avoir simplement dit au plaignant que ces documents n’étaient pas pertinents.

[25] Le plaignant n’a pas établi la pertinence de ces documents à l’égard de l’objet de la plainte — à savoir s’il a fait l’objet de représailles pour avoir déposé des plaintes pour atteinte aux droits de la personne auprès de la Commission en 2014 et en 2017. La demande concernant cet élément est rejetée.

(vi) Une copie des manuels contenant les critères et les instructions pour les outils d’évaluation psychologique et du risque et toute autre documentation du développeur de ces outils :

  • STABLE-2007

  • STATIQUE-99

  • PCL-R

[26] Le plaignant affirme que la psychologue a utilisé ces outils pour l’évaluer. Il se demande si elle a bien appliqué ces outils et soutient que son évaluation ne concordait pas avec celle d’un autre psychologue qui l’avait évalué précédemment. Le plaignant maintient que les copies doivent lui être remises puisque l’intimé a l’intention de faire témoigner la psychologue lors de l’audience.

[27] L’intimé affirme que la divulgation des manuels contreviendrait à l’article 50 du Code de déontologie des psychologues, RLRQ, c. C-26, r. 2012, qui indique que le psychologue ne doit pas compromettre la valeur méthodologique et métrologique d’un test et, à cet effet, il ne remet pas le protocole au client ou à un tiers qui n’est pas psychologue. Le plaignant met en doute cette affirmation en soulignant qu’une copie du manuel PCL lui a été remise lors de son audience de déclaration de délinquant dangereux en 2000, mais qu’il ne l’a plus.

[28] Toutefois, en dépit de savoir si cette divulgation contreviendrait à la réglementation, j’estime que ces informations ne sont pas pertinentes pour les questions de la présente affaire. La question soumise au Tribunal ne consiste pas à réévaluer le bien-fondé clinique du rapport de la deuxième psychologue ni à déterminer si son évaluation concordait avec celle du premier psychologue. Ces questions doivent être soulevées devant la CLCC. La question en l’espèce consiste à savoir si toute conclusion défavorable tirée dans le rapport de la deuxième psychologue du fait que le plaignant avait déposé les plaintes antérieures constitue des représailles pour le dépôt de ces plaintes, en violation de l’article 14.1 de la LCDP.

[29] La demande du plaignant au titre de cet élément est rejetée.

V. ORDONNANCE

[30] Le Tribunal ordonne à l’intimé de divulguer les éléments ci-dessous au plus tard le 21 avril 2023.

  1. Une copie de tout document dans les dossiers de gestion de cas du SCC concernant le plaignant, entre le 7 novembre 2014 et le dossier actuel, qui fait mention des plaintes nos 20141166 et 20170936 déposées auprès de la Commission (les plaintes antérieures) ou qui y est directement lié, y compris tout dossier de correspondance entre la Commission et le plaignant et tout courriel envoyé ou reçu par le personnel du SCC dans lequel il est question des plaintes antérieures. L’intimé peut expurger tout renseignement personnel concernant des personnes autres que le plaignant. Il peut conserver tous les documents à l’égard desquels il invoque un privilège de non-divulgation, mais ces documents doivent être identifiés dans une liste indiquant les motifs du privilège invoqué, conformément au paragraphe 20(1) des Règles de pratique du Tribunal.

  2. Une copie de la décision Takahashi, si l’intimé l’a en sa possession.

Signé par

Athanasios Hadjis

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 21 mars 2023

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : HR-DP-2845-22

Intitulé : Frank Kim c. Service correctionnel du Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : le 21 mars 2023

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Représentations écrites par :

Frank Kim , partie non représentée

Camille Rochon et Erin Morgan , pour l’intimé

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